L’Imitation de Jésus-Christ (Lamennais)/Livre quatrième/15

Traduction par Félicité de Lamennais.
Texte établi par M. Pagès, Bonne Presse (p. 323-325).


CHAPITRE XV.

QUE LA GRACE DE LA DÉVOTION S’ACQUIERT. PAR L’HUMILITÉ ET L’ABNÉGATION DE SOI-MÊME.
Voix du bien-aimé.

I. Il faut désirer ardemment la grâce de la ferveur, ne vous lasser jamais de la demander, l’attendre patiemment et avec confiance, la recevoir avec gratitude, la conserver avec humilité, concourir avec zèle à son opération, et, jusqu’à ce que Dieu vienne à vous, ne vous point inquiéter en quel temps et de quelle manière il lui plaira de vous visiter.

Vous devez surtout vous humilier lorsque vous ne sentez en vous que peu ou point de ferveur ; mais ne vous laissez point abattre, et ne vous affligez point avec excès.

Souvent Dieu donne en un moment ce qu’il a longtemps refusé ; il accorde quelquefois à la fin de la prière ce qu’il a différé de donner au commencement.

2. Si la grâce était toujours donnée aussitôt qu’on la désire, ce serait une tentation pour la faiblesse de l’homme.

C’est pourquoi l’on doit attendre la grâce de la ferveur avec une confiance ferme et une humble patience.

Lorsqu’elle vous est cependant ou refusée ou ôtés secrètement, ne l’imputez qu’à vous-même et à vos péchés.

C’est souvent peu de chose qui arrête ou qui affaiblit la grâce ; si pourtant l’on peut appeler peu de chose, et si l’on ne doit pas plutôt compter pour beaucoup, ce qui nous prive d’un si grand bien.

Mais, quel que soit cet obstacle, si vous le surmontez parfaitement, vous obtiendrez ce que vous demandez.

3. Car, dès que vous vous serez donné à Dieu de tout votre cœur, et que, cessant d’errer d’objets en objets au gré de vos désirs, vous vous serez remis entièrement entre ses mains, vous trouverez la paix dans cette union, parce que rien ne vous sera doux que ce qui peut lui plaire.

Quiconque élèvera donc son intention vers Dieu avec un cœur simple, et se dégagera de tout amour et de toute aversion déréglée des créatures, sera propre à recevoir la grâce, et digne du don de la ferveur.

Car Dieu répand sa bénédiction où il trouve des vases vides ; et plus un homme renonce parfaitement aux choses d’ici-bas, plus il se méprise et meurt à lui-même, plus la grâce vient à lui promptement, plus elle remplit son cœur, et l’affranchit et l’élève.

4. Alors, ravi d’étonnement, il verra ce qu’il n’avait point vu, et il sera dans l’abondance, et son cœur se dilatera, parce que le Seigneur est avec lui, et qu’il s’est lui-même remis sans réserve et pour toujours entre ses mains.

C’est ainsi que sera béni l’homme qui cherche Dieu de tout son cœur, et qui n’a pas reçu son âme en vain[1].

Ce disciple fidèle, en recevant la sainte Eucharistie, mérite d’obtenir la grâce d’une union plus grande avec le Seigneur, parce qu’il ne considère point ce qui lui est doux, ce qui le console, mais, au-dessus de toute douceur et de toute consolation, l’honneur et la gloire de Dieu.

RÉFLEXION.

Bien qu’on doive aimer Dieu pour lui seul, il est permis de désirer ses dons, pourvu qu’on demeure pleinement soumis à sa volonté sainte. Les grâces les plus précieuses ne sont pas toujours les grâces senties, celles qui, pour ainsi dire, inondent l’âme de lumière et de joie. Elles peuvent, si l’on n’y prend garde, exciter la vaine complaisance. Souvent il est plus sûr de marcher en cette vie dans les ténèbres de la pure foi, d’être éprouvé par la tristesse, la souffrance, l’amertume, et de porter la Croix intérieure comme Jésus, lorsqu’il s’écriait : Mon Père ! pourquoi m’avez-vous délaissé ?[2] Alors tout orgueil est abattu ; on ne trouve en soi qu’infirmité ; on s’humilie sous la main qui frappe, mais qui frappe pour guérir, et ce saint exercice d’abnégation, plus méritoire pour l’âme fidèle et plus agréable à Dieu qu’aucune ferveur sensible, attendrit le céleste Époux et le ramène près de l’Épouse qui, privée de son bien-aimé, veillait dans sa douleur, semblable au passereau solitaire qui gémit sous le toit[3]. Il se découvre à elle dans la divine Eucharistie ; il la console, il lui prodigue ses chastes caresses, il l’embrase de son ainour, comme les disciples d’Emmaüs, alors qu’ils disaient : Notre cœur n’était-il pas tout brûlant au dedans de nous, lorsqu’il nous parlait dans le chemin, et nous ouvrait les Écritures ?[4] Seigneur, je m’avoue indigne de goûter ces ravissantes douceurs. Je connais mon iniquité, et mon péché est sans cesse devant moi[5]. Que me devez-vous, sinon la rigueur et le châtiment ? Et toutefois j’oserai implorer votre miséricorde immense : je m’approcherai, le ront contre terre, de la source d’eau vive, espérant que votre pitié en laissera tomber quelques gouttes sur mon âme aride. Accordez moi, Seigneur, ce rafraîchissement avant que je m’en aille, et bientôt je ne serai plus[6].

  1. Ps. xxiii, 4.
  2. Marc. xv, 34.
  3. Ps. ci, 8.
  4. Luc. xxiv, 32.
  5. Ps. l, 5.
  6. Ps. xxviii, 14.