L’Imitation de Jésus-Christ (Lamennais)/Livre quatrième/14

Traduction par Félicité de Lamennais.
Texte établi par M. Pagès, Bonne Presse (p. 321-323).


CHAPITRE XIV.

DU DÉSIR ARDENT QUE QUELQUES AMES SAINTES ONT DE RECEVOIR LE CORPS DE JÉSUS-CHRIST.
Voix du disciple.

1. Combien est grande, ô mon Dieu, l’abondance de douceur que vous avez réservée à ceux qui vous craignent ![1]

Quand je viens à considérer avec quel désir et quel amour quelques âmes fidèles s’approchent, Seigneur, de votre sacrement, alors je me confonds souvent en moi-même, et je rougis de me présenter à votre autel et à la table sacrée de la Communion avec tant de froideur et de sécheresse ; d’y porter un cœur si aride, si tiède, et de ne point ressentir cet attrait puissant, cette ardeur qu’éprouvent quelques-uns de vos serviteurs, qui, en se disposant à vous recevoir, ne sauraient retenir leurs larmes, tant le désir qui les presse est grand, et leur émotion profonde. Ils ont soif de vous, ô mon Dieu, qui êtes la source d’eau vive ; et leur cœur et leur bouche s’ouvrent également pour s’y désaltérer. Rien ne peut rassasier ni tempérer leur faim, que votre sacré Corps, qu’ils reçoivent avec une sainte avidité et les transports d’une joie ineffable.

2. Oh ! que cette ardente foi est une preuve sensible de votre présence dans le sacrement !

Car ils reconnaissent véritablement le Seigneur dans la fraction du pain, ceux dont le cœur est tout brûlant, lors que Jésus est avec eux[2].

Qu’une affection si tendre, un amour si vif, est souvent loin de moi !

Soyez-moi propice, ô bon Jésus, plein de douceur et de miséricorde ! Ayez pitié d’un pauvre mendiant, et faites que j’éprouve, au moins quelquefois, dans la sainte Communion, quelques mouvements de cet amour qui embrase tout le cœur, afin que ma foi s’affermisse, que mon espérance en votre bonté s’accroisse, et qu’enflammé par cette manne céleste, jamais la charité ne s’éteigne en moi.

3. Dieu de bonté, vous êtes tout-puissant pour m’accorder la grâce que j’implore, pour me remplir de l’esprit de ferveur, et me visiter dans votre clémence, quand le jour choisi par vous sera venu.

Car encore que je ne brule pas de la même ardeur que ces âmes pieuses, cependant, par votre grâce, j’aspire à leur ressembler, désirant et demandant d’être compté parmi ceux qui ont pour vous un si vif amour, et d’entrer dans leur société sainte.

RÉFLEXION.

Avant le jour de la Pâque, Jésus sachant que son heure était venue de passer de ce monde à son Père, comme il avait aimé les siens qui étaient dans le monde, il les aima jusqu’à la fin[3]. Ce fut alors qu’il institua la divine Eucharistie, comme pour perpétuer sa demeure au milieu des disciples qu’il avait aimés, et de tous ceux qu’il aimerait jusqu’à la consommation des siècles, accomplissant ainsi cette promesse : Je ne vous laisserai pas orphelins ; je viendrai à vous[4] : et il est venu, il a habité parmi nous, et nous avons vu sa gloire, la gloire du Fils unique du Père, plein de grâce et de vérité[5]. Il est vrai que sa présence se dérobe à nos sens ; mais elle n’en est ni moins réelle, ni moins efficace : ainsi je crois, Seigneur ; ainsi j’adore. Si Jésus-Christ, en se donnant à nous dans le Sacrement de l’autel, ne se couvrait pas d’un voile, s’il ne re tenait pas en soi une partie de sa lumière, s’il se montrait selon tout ce qu’il est, plus beau qu’aucun des enfants des hommes[6], et avec une tendresse ineffable aspirant de s’unir à nous, corps à corps, cœur à cœur, esprit à esprit[7], notre frêle humanité ne pourrait supporter le poids d’une félicité semblable, et l’âme briserait ses liens mortels. C’est pourquoi le divin Sauveur a voulu ne se rendre visible qu’à la foi seule ; et la foi suffit pour embraser de telles ardeurs les vrais fidèles, qu’il n’est rien sur la terre de comparable à leur amour. Aucune langue ne peut exprimer ce qui se passe, dans le secret du cœur, entre l’Époux et l’Épouse : ces transports, ce calme, ces élans du désir, cette joie de la possession, ces chastes embrassements de deux âmes perdues l’une dans l’autre, cette douce langueur, ces paroles brûlantes, ce silence plus ravissant. Ah ! si vous saviez le don de Dieu, et quel est celui qui vous dit : Donnez-moi à boire, vous lui demanderiez vous-même, et il vous donnerait de l’eau vive[8]. Tous les Saints lui ont demandé, et il a entendu leur voix, et il les a désaltérés à la source éternelle. Demandez aussi, priez, suppliez : l’Esprit et l’Épouse disent : Venez. Et que celui qui écoute, dise : Venez. Que celui qui a soif vienne, et que celui qui veut, reçoive gratuitement l’eau qui donne la vie. Et l’Époux dit : Je viens. Ainsi soit-il ! Venez, Seigneur Jésus[9].

  1. Ps. xxx, 23.
  2. Luc. xxiv, 49.
  3. Joann. xiii, 1.
  4. Joann. xiii, 1.
  5. Joann. xiii, 1.
  6. Ps. xliv, 3.
  7. Bossuet.
  8. Joann, iv, 10.
  9. Apoc. xxi, 17, 20.