L’Homme et la Terre/III/11

Librairie universelle (Tome quatrièmep. 267-320).
LA RENAISSANCE : NOTICE HISTORIQUE


France. A Charles VII, 1422−1461, succède son fils Louis XI, 1461−1483, puis Charles VIII, tout d’abord sous la régence de sa sœur Anne de Beaujeu. Le roi étant mort sans enfant en 1498, le duc d’Orléans monte sur le trône : Louis XII, 1498−1515. A sa mort, une nouvelle branche des Capet accède au pouvoir avec François Ier, 1515−1547.

Allemagne. La dignité impériale appartient à l’époque de la Renaissance — depuis 1438 et jusqu’en 1740 — à la famille des Habsburg, ducs d’Autriche. Frédéric III occupe le trône de 1439 à 1493, puis son fils Maximilien jusqu’en 1519. Celui-ci, marié à l’unique enfant de Charles le Téméraire, a un rejeton, Philippe, qui meurt prématurément (1506) laissant un enfant de son mariage avec Jeanne la Folle. C’est ce petit-fils de Maximilien, Charles, héritier en 1516 des possessions du Nouveau Monde et des couronnes d’Espagne et des Deux Siciles, puis en 1519 du duché d’Autriche, de la Bourgogne et des Flandres, qui se présente au choix des Princes électeurs et devient l’empereur Charles Quint, 1519−1556.

Espagne. Les rois d’Aragon, possesseurs de la Sicile depuis 1409 et du royaume de Naples depuis 1435, se succèdent régulièrement : Ferdinand Ier, Alphonse, 1416−1458, Jean, 1458−1479. Ferdinand II, roi des Deux Siciles du vivant de son père, 1468, épouse en 1469 Isabelle, sœur du roi de Castille ; il peut à la mort de celui-ci mettre la couronne de ce royaume sur la tête de sa femme et le couple règne sur toute l’Espagne catholique dès 1479. Isabelle meurt en 1504, laissant une seule enfant, Jeanne, mère de Charles-Quint.

Les princes de Portugal engagés dans l’œuvre de découverte de la Terre sont Jean Ier (Joâo), 1385−1433, ses fils le roi Edouard et l’infant Henri, puis Alphonse, 1438−1481, Jean II, Emmanuel depuis 1495 et Jean III, 1521−1557.

Les plus célèbres et les moins despotes de la famille des Medici sont Cosme, 1389−1464, gonfalonier depuis 1429, et Laurent, 1448−1492. Nous ne citons ici que quelques grands noms, parmi les hommes de la Renaissance. D’autres, nés après 1467, se trouveront plus loin avec leurs contemporains, les Réformateurs.

Giotto (di Bondone), peintre, né en Toscane 
 1266−1336
Pétrarque (Francesco Petrarca), né à Arezzo 
 1304−1374
Boccace (Giovanni Boccaccio), Florentin né à Paris 
 1313−1375
Gémiste, dit Pléthon, né à Constantinople 
 (1355)−(1450)
Les frères van Eyck, peintres flamands, Hubert 
 1366−1426
et Jean 
 (1385)−1441
Donnatello, sculpteur toscan 
 1386−1466
Fra Angelico (Fra Giovanni da Fiesoli) 
 1387−1455
Biondo Flavio, historien, né à Forli 
 1388−1463
Fra Filippo Lippi, né à Florence 
 1400−1469
Battista Alberti, architecte, né à Gènes 
 1404−1472
Giovanni Bellini, peintre, né à Venise 
 1426−1516
Bojardo, poète, né près de Modène 
 1430−1494
Andréa Mantegna, peintre, né à Padoue 
 1430−1505
Pulci, poète, né à Florence 
 1432−1484
Constantin Lascaris, grammairien, né à Constantinople 
 1434−1493
Memling, peintre flamand, né en Souabe 
 1435−1494
Giocondo, architecte, né à Vérone 
 1435−1515
Bramante (Lazzari dit), architecte, né à Urbino 
 1444−1514
Pérugin (Pietro Yannucci dit le), peintre 
 1446−1524
Botticelli (Alessandro Filipepi), peintre florentin 
 1447−1510
Alde Manuce, imprimeur, né à Bassiano 
 (1449)−1515
Ghirlandajo (Domenico Currado dit), né à Florence 
 1449−1498
Lionardo da Vinci, peintre et savant, né en Toscane 
 1452−1519
Savonavrole (Jérôme), né à Ferrare 
 1452−1498
Pierre Vischer, sculpteur, né à Nuremberg 
 1455−1529
Adam Krafft, sculpteur, né à Nuremberg 
 (1456)−1507
Pic de la Mirandole, philosophe, né près de Modène 
 1463−1494
Quentin Metzys, peintre, né à Louvain 
 1466−1530

masque remplaçant les gravures de František Kupka - en-tête de chapitre
masque remplaçant les gravures de František Kupka - en-tête de chapitre
RENAISSANCE
L’humanité future, telle que doit la préparer une
éducation virile, ne sera-t-elle pas composée
d’hommes dont chacun pourra se suffire à
lui-même et recréer un monde autour de lui ?


CHAPITRE XI


RENAISSANCES. — QUATTROCENTO. — HUMANISTES. — BIBLIOTHÈQUES

ÉDUCATION. — RÉHABILITATION DE LA CHAIR. — AMOUR DE LA NATURE
RENAISSANCE EN ALLEMAGNE. — IMPRIMERIES. — UTOPIES
LOUIS XI ET CHARLES LE TÉMÉRAIRE. — FRANÇAIS EN ITALIE
JUIFS ET BANQUIERS ALLEMANDS. — DÉPLACEMENT DU COMMERCE

CONQUÊTES ESPAGNOLES. — PRESTIGE ET DÉCADENCE DE L’ESPAGNE

Tandis que la force vive de l’Europe civilisée s’appliquait à la découverte du monde, elle s’employait aussi à l’intérieur pour la reconstitution sociale en un grand sentiment d’unité humaine, tout différent de l’union factice obtenue par la communauté, purement verbale, des dogmes religieux et par la hiérarchie du clergé catholique.

On embrasse d’ordinaire sous le nom de « Renaissance » la période d’émancipation intellectuelle qui se produisit aux quinzième et seizième siècles, sous la double influence de l’accroissement du savoir dans l’espace et dans le temps. Les découvertes qui se sont accomplies en Chine et dans l’Extrême Orient avec les Vénitiens, en Afrique et dans les Indes avec les Portugais, puis dans le Nouveau Monde avec les Espagnols et tous les navigateurs de l’Europe occidentale ont singulièrement reculé les bornes de l’horizon terrestre et en même temps accru la portée de l’imagination, l’audace de la pensée ; de même l’érudition, la mise en lumière de la littérature antique rattachent les siècles présents aux siècles anciens, par delà les origines mêmes de l’Église, l’humanité s’est doublement agrandie : d’une part, elle a pris possession de tout son domaine terrestre sur la rondeur complète du globe, et, d’autre part, elle s’est emparée de son héritage gréco-romain depuis les origines de son histoire. Pareille époque mérite bien d’être désignée d’une manière spéciale dans la succession des âges.

Cependant, ce mot « Renaissance » n’a qu’une valeur relative, car avant le xve siècle, avant la fuite des grammairiens grecs de Constantinople, emportant leurs livres vers l’Occident, jamais les lettres latines n’avaient cessé d’être cultivées à Rome et dans les Gaules : Virgile y avait même été vénéré à l’égal d’un père de l’Eglise, presque divinisé. La Renaissance italienne n’avait-elle pas eu Pétrarque pour devancier, un siècle auparavant, et n’avait elle pas été précédée par la Renaissance arabe, durant laquelle les Maures, les Juifs, les Levantins apportaient en Europe la connaissance de l’Asie orientale, de ses conditions géographiques, de ses populations, de ses produits et de son histoire ? A toutes les époques, il y eut des « renaissances » d’une valeur plus ou moins décisive. Avant celle qui répondit aux découvertes de Gutenberg et de Colomb, on cite couramment celle de Charlemagne, puis celle du douzième siècle qui, excitée par la philosophie de l’antiquité, eut l’avantage de ne point en être dominée, comme le fut sa jeune sœur, la grande Renaissance.

De même que de contrée en contrée les migrations et les transplantations sont fréquentes, donnant ainsi lieu à des phénomènes d’ordre très différents de la routine des choses, de même des « sauts » de siècle à siècle peuvent s’accomplir par dessus les âges intermédiaires et rendre à des idées antiques une jeunesse nouvelle : telle génération ne resplendit en sa deuxième fleur qu’après des intervalles de décadence et de stérilité. C’est ce qui arriva pour la littérature, la philosophie, la morale des anciens, au sortir de la sombre époque du moyen âge. C’est en Italie surtout que l’évolution de la science et de l’art, suivant des voies nouvelles, se manifesta d’une manière assez puissante pour mériter le nom de « Renaissance » : on l’a même résumée par le mot de « quattrocento », s’appliquant à tous les progrès de l’esprit humain qui se sont accomplis spécialement en Italie pendant le cours du xve siècle[1].

Cl. J. Kuhn, édit.
venise. — piazzetta.

Au fond Saint-Marc, à droite le Palais des Doges, à gauche le Campanile (écroulé) et la Libreria de San Sovino, un des plus purs monuments de la Renaissance.

À cette époque, la commune italienne disparaissait, remplacée partout par le gouvernement d’un seigneur : une seule ville conservait sa forme républicaine, Venise, que les lagunes séparaient de la terre ferme et à laquelle les conditions tout à fait spéciales de sa politique étrangère créaient une vie complètement différente de celle des autres cités italiennes.

Les causes de la décadence et de la ruine définitive des communes d’Italie ne sont que trop évidentes. Se partageant en castes ennemies, chacune d’elles consume ses forces en luttes intestines et, toujours, la caste opprimée va chercher à l’occasion ses alliés à l’extérieur ; la noblesse urbaine s’appuie sur la noblesse étrangère, les gros marchands concluent des alliances avec les gros marchands d’ailleurs ; le populaire fait appel au petit peuple des cités voisines, à moins que, dans son imprudence, il n’introduise dans les murs quelque puissant seigneur qui flatte ses passions, ou n’acclame un riche distribuant largement ses deniers. Chaque caste ne voit que ses intérêts particuliers et, dans les cités heureuses où l’équilibre s’est peu à peu établi, la Commune n’a d’autre idéal qu’elle-même et ne comprend pas que si elle ne défend la liberté de tous, la sienne est également compromise. Les exemples d’une plus haute appréciation des choses sont rares dans les annales des cités. Lorsqu’en 1289, Florence délivra les paysans de toute servitude, « parce que la liberté, droit imprescriptible, ne peut dépendre de l’arbitre d’autrui», cette noble attitude ne fut guère imitée, et elle même l’oublia bientôt dans sa conduite envers Pise. Peu de républiques eurent de la magnanimité dans la compréhension de leurs vrais intérêts.

Et si les communes étaient destinées à périr de leurs luttes intestines, elles l’étaient aussi de par les guerres continuelles qu’elles soutenaient contre les cités voisines. Florence en veut à Pise de lui prendre la mer, à Sienne de lui fermer le chemin de Rome ; Milan reproche à Pavie, à Crémone, à Brescia de balancer son pouvoir, de diminuer sa part de richesses ! Pas plus à Lucques en 1548 qu’à Milan en 1447, le peuple ne voulut entendre parler d’une fédération de villes ayant toutes les mêmes droits.

Les occasions de conflit sont si nombreuses que la Commune n’a plus le temps de guerroyer par elle-même : elle doit se confier à des spécialistes, à des gens dont le métier est précisément de se louer soit à un prince soit à une ville pour combattre à leur place, gagner leurs victoires ou subir leurs défaites. Celui qui sent en lui l’audace nécessaire, le goût de la rapine, l’esprit des aventures tache de grouper une bande de mauvais sujets, aussi peu respectueux que lui de la vie humaine et des produits du travail et, quand il a réuni sa condotta, parcourt le pays à la recherche de villes dont il puisse entreprendre les affaires. Il se vend au plus offrant, et, si l’ennemi qu’il combattait hier lui offre plus que son allié d’un jour, il change de parti et pénètre comme maître dans la cité dont il était le défenseur. Jamais la loterie de la guerre ne se décida plus brusquement, par coups inattendus, que sous le régime des condottieri. Tel qui devient le seigneur absolu d’une ancienne commune libre est une redoutable bête féroce : on tache de s’en accommoder dans l’espérance que son fils ou quelque heureux rival sera un bon prince, généreux et plein de mansuétude. On ne vit plus qu’au hasard, ballotté par la chance et la malchance, suivant les rencontres, les trahisons et les massacres.

Cl. J. Kuhn, édit.
venise. statue du condottiere « il colleone »,
par andrea del verocchio, né à Florence en 1422 ou 1435, mort à Venise en 1488.

Mais la poussée de liberté qui avait constitué les républiques, les communes et les ligues contre la féodalité devait se continuer logiquement jusqu’à l’émancipation de l’individu. L’homme du quinzième siècle cherche à se dégager de la société ambiante pour se découvrir dans la plénitude de sa force et de sa beauté. Une sorte de parallélisme se produit entre la période de la Renaissance italienne et la grande époque de floraison hellénique. A deux mille ans d’intervalle, on voit également l’homme chercher à réaliser son idéal en force, en élégance, en charme personnel, ainsi qu’à se développer en valeur intellectuelle et en savoir. Tel est le mouvement de l’ « humanisme » dans son sens profond : l’individu tient à se révéler dans toute la splendeur de sa personne, débarrassé des multiples entraves des coutumes et des lois. Sans doute une élite bien faible par le nombre peut atteindre à la perfection voulue, mais c’est déjà beaucoup de le tenter, et, d’ailleurs, l’ensemble de la société se modèle toujours sur des types qui lui donnent leur caractère et en sont l’âme, pour ainsi dire. Aussi malgré les tyrannies locales, malgré les guerres civiles et étrangères, malgré le remous politique dans lequel tournoyaient les Etats, l’époque de la Renaissance n’en est pas moins une des plus remarquables de l’histoire, car la valeur des sociétés se mesure à celle des individualités fortes, conscientes d’elles mêmes, qui en surgissent. L’humanité future, telle que doit la préparer une éducation virile, ne sera-t-elle pas composée de pareils hommes, dont chacun pourrait se suffire à lui-même et recréer un monde autour de lui ?

Le mouvement du grand siècle de la Renaissance, continuant l’ancêtre Pétrarque, eut donc une bien autre portée que celle de créer des « humanistes » dans le sens étroit de ce mot : des hommes mettant leur gloire à parler en beau latin et voyant en un barbarisme le comble de l’opprobre. Non, l’humanisme, dans sa conception la plus haute, consistait, ainsi que son nom l’indique, dans la recherche de tout ce qui est « humain », de tout ce qui relève l’homme à ses yeux, le montre non seulement dans la pratique d’un « beau langage » — dicendi peritus — mais aussi dans l’exercice de toute bonté : noble, généreux, magnanime, et c’est parce que la littérature antique, grecque et latine, contient, sous la forme la plus belle, les pensées les plus profondes et la plus haute morale, c’est parce que tout le trésor des acquisitions humaines s’y trouve réuni que l’attention exclusive des hommes de la Renaissance s’est portée sur les écrivains de l’antiquité classique.

La révolution qui se produisait dans les esprits était, en sa vraie nature, essentiellement religieuse : l’homme, cessant d’être la victime du péché originel, reprenait sa pureté première et son droit de goûter librement aux fruits du paradis : malgré la défense antique, promulguée par toutes les Eglises qui se succédèrent dans l’histoire, il avait droit surtout au fruit de l’arbre de la science : innocence et ignorance avaient cessé d’être synonymes. Certes, tous les humanistes ne furent point des hommes de haut caractère, il y eut parmi eux des gens sans consistance et sans dignité, hypocrites, flatteurs et parasites, et leur action éducatrice en fut nécessairement amoindrie, mais ils n’en apportaient pas moins des connaissances nouvelles, ils n’en ouvraient pas moins des écoles et représentaient la science contre ceux qui, avec saint Paul et saint Augustin, prêchaient l’ « absurde foi ».

Quoiqu’en disent certains, le moyen Age, dans son ensemble, haïssait les livres, et ceux des religieux qui les aimaient quand même, par instinct spontané, avaient été jalousement surveillés comme fauteurs d’une révolte cachée. Pourtant, certains noms de couvents, tel celui du mont Cassin, éveillent l’idée de livres et de manuscrits : le mot de « bénédictins » fait naître l’illusion, si commune parmi ceux qui voient les choses par ordre et de confiance, que les moines du moyen Age étaient pour la plupart appliqués à l’étude, à la lecture, à la transcription des manuscrits, et que nous leur devons le précieux héritage de la littérature antique ; erreur ne tenant nul compte de l’état général de la société pendant cette noire époque et de l’étroitesse d’esprit qu’engendre forcément dans toute communauté la rigide observance des règles ayant pour seul but la diminution de l’initiative personnelle. D’ailleurs, le zèle de l’apôtre Paul, faisant brûler les livres d’Ephèse, anima longtemps les pontifes pénétrés de la ferveur primitive. « On m’apprend, écrivait à la fin du sixième siècle Grégoire le Grand à un évêque, on m’apprend, et je ne puis le répéter sans honte, que votre Fraternité a osé exposer à quelques-uns les principes de la grammaire… C’est chose grave et honteuse qu’un évêque s’occupe de ces futilités, indignes des religieux et des laïques ». Et nombre d’évêques négligeaient en effet ces misères mondaines de l’instruction : plus de quarante prélats, au concile de Chalcédoine, en 451, n’avaient-ils du recourir à l’obligeance de leurs collègues ou de leurs clercs pour attester leur approbation des décrets qu’ils ne savaient pas signer eux-mêmes ? Chez les moines bénédictins, dont le nom est devenu le synonyme d’hommes d’étude, grâce aux religieux érudits du dix-septième et du dix-huitième siècles, la règle n’exigeait pas que le frère sût lire et écrire et ne lui ordonnait point de s’instruire dans les arcanes de l’alphabet pendant son année de noviciat. Chez les moines de Citeaux, la norme pour ceux qui s’adonnaient à la lecture était de ne lire qu’un seul ouvrage par an et de transcrire les manuscrits en se gardant bien de les orner de la moindre rubricature[2]. C’était aux artistes du dehors, aux ouvriers enlumineurs, que revenait ce travail profane.

Aussi, combien pauvres en livres étaient, pendant les siècles du moyen âge, les plus illustres monastères ! Le plus riche de tous, en 1472, à la veille de la Renaissance, est celui de Clairvaux, qui, d’après d’Arbois de Jubainville, renfermait 1 714 volumes. Notre-Dame de Paris ne possédait, en 1297, que 97 ouvrages, tandis qu’avant cette époque, au Caire, la bibliothèque des Fatimites aurait, d’après Quatre-mère, contenu plus de deux millions et demi de volumes ! Il est vrai que la bibliothèque du Vatican dépassait toutes les autres en Europe : sous Sixte IV, elle se composait de 2 546 volumes. On se rappelle la visite faite par Boccace à ce qui restait au quatorzième siècle de la bibliothèque du mont Cassin : il n’y trouva guère que des livres mutilés ; les moines raclaient alors les cahiers, coupaient les marges et en faisaient de petits psautiers pour les enfants et les femmes[3] ! C’est ainsi que nombre d’ouvrages de l’antiquité gréco-romaine, existant encore au dixième et au douzième siècles, se perdirent avant les jours lumineux de la Renaissance et si, à cette époque, les érudits purent heureusement en retrouver un grand nombre, c’est qu’ils les cherchèrent et les firent apparaître de nouveau, sous le grimoire de prières, de recettes ou de formules sans valeur dont les parchemins avaient été griffonnés.

Même avant la découverte de l’imprimerie, les humanistes avaient commencé la grande œuvre de conquête littéraire et scientifique qui, désormais, devait se poursuivre sans arrêt. Le sens de la continuité dans l’histoire se réveille, et des érudits cherchent à renouer les événements des temps anciens à ceux des temps modernes par dessus la période obscure du moyen âge. Flavio Biondo, l’auteur du premier ouvrage de reconstitution archéologique de Rome[4], essaie de renouveler en Italie la tentative de Ibn Khaldun chez les Mahométans de Maurétanie, un siècle avant lui, mais avec un esprit plus large, une conception plus haute et plus philosophique. L’historien arabo-berbère avait pris pour objet de ses études le développement de la civilisation dans l’ensemble de l’humanité, mais, tout en disant qu’il croit avoir été le seul à s’occuper de celle « science nouvelle ». il ajoute modestement, qu’il peut se tromper, car « il y a tant de sciences, et tant de savants ont existé chez les diverses nations ! Ou sont les connaissances des anciens Persans ? où les sciences des Chaldéens, des Syriens, des Babyloniens, avec leurs monuments ? »

Académie des Beaux-Arts, à Venise.Cl. J. Kuhn, edit.
épisode de la vie de ste-ursule
retour des ambassadeurs anglais dans leur patrie
par carpaccio, né à Venise vers 1460, mort en ce même lieu en 1522.

Cette résurrection du passé, qu’Ibn Khaldun croyait impossible, a fini par se réaliser quelques siècles après lui, grâce aux âpres chercheurs de la Renaissance, comme Alde Manuce, qui s’occupèrent toute leur vie, avec une inlassable ardeur, de restituer au moins le trésor littéraire de Rome et de la Grèce, et qui surent avec tant d’intelligence et de sagacité divinatoire, discuter les textes pour en élaguer les erreurs de copie, les interpolations, les commentaires et en rétablir la pureté première. C’est ainsi que le sens critique se développa, d’abord sur les problèmes de ponctuation, d’orthographe et de mots, puis sur les questions plus hautes de l’histoire et de la science dans son ensemble. De cette étude scrupuleuse des manuscrits différents et contradictoires naquit le libre examen des doctrines également diverses et opposées.

Les Italiens n’avaient pas attendu l’exode des Grecs de Constantinople pour prendre possession de l’héritage hellénique. D’ailleurs, même à la veille de la Renaissance, l’élément grec, qui, deux mille années plus tôt, avait alimenté l’école de Pythagore et d’autres collèges de science et de philosophie dans la Grande Grèce, se maintenait encore au sud de l’Italie, grâce à l’influence de Constantinople, qui était restée la souveraine du pays jusqu’à la fin du onzième siècle, et n’avait cessé de lui envoyer de nombreux fugitifs. Le vieux fond japygien de la population primitive apparentée aux Pélasges s’était si bien accommodé de la culture grecque que la langue « romaïque » ne serait pas complètement éteinte vers l’extrémité méridionale de la terre d’Otrante et de celle de Calabre. La patrie de Giordano Bruno, de Campanella, de Vico n’est-elle pas foncièrement grecque par le caractère de la pensée[5] ?

Toutefois, la restitution de la littérature et de la pensée grecques à l’époque de la Renaissance ne se fit point dans l’Italie méridionale, encore à demi-hellénique d’origine : elle devait naturellement s’accomplir dans la partie septentrionale de la Péninsule, là où l’histoire avait eu sa plus rapide évolution. Florence, qui était alors le véritable centre de l’Italie artistique et savante, « Florence, la cité qui fut la fleur des cités »[6], devint comme une nouvelle ville grecque.

Florence apporte à son œuvre artistique tout autant d’imagination et de verve créatrice que la grande Athènes, mais pourtant moins de richesse et de variété : elle semble découragée, dégoûtée de l’action et ne s’insurge pas contre la domination étrangère. Le cœur n’y est pas au niveau du génie, nous dit-on[7], mais ne serait ce pas plutôt que son idéal est au-dessus de la terre et que les misérables disputes des hommes ne peuvent en ternir la pureté adamantine ? Les poètes depuis Pulei et Bojardo jusqu’à l’Arioste et à Goldoni, les peintres depuis le Pérugin jusqu’au Corrège, tous montrent la même sérénité. Durant le sac de Rome, le Parmesan peignait encore que les lansquenets pénétraient dans son atelier. « Cherchez, dit Quinet, dans les vierges d’Andréa del Sarto et de Raphaël, le triste regard de l’Italie esclave, violée, dépouillée, lacérée, déchiquetée : vous y trouverez le regard du bienheureux qui monte au ciel, non le désespoir d’une chute politique ». L’Italie est, par l’histoire de son art et de sa pensée philosophique et politique, sortie la première du cercle étroit de la nationalité proprement dite. Elle s’est confiée, sans défense, à l’esprit de civilisation, au génie de l’humanité. La patrie des Italiens fut longtemps l’univers[8].

Cl. J. Kuhn, édit.
cathédrale de florence
A l’horizon, à droite, on aperçoit les hauteurs de Fiesole.
Le dôme de la cathédrale fut construit par Bhunelleschi, florentin, 1377-1466.

Florence, la cité lumineuse par excellence, s’était transformée en capitale depuis que les riches marchands, les Médicis, avaient su prendre le pouvoir royal, tout en en dédaignant le titre. Nulle part la vie du bourgeois et du lettré n’était plus splendide, plus joyeuse et, en même temps, plus noblement embellie par la grandeur des arts et l’élégance de la parole, en prose et en vers, en latin souple et fluide, redevenu langue vivante et presque maternelle, en grec sonore et correct. Les courtisans, les orateurs, les grammairiens et les poètes qui gravitaient autour de Laurent le « Magnifique » avaient pleine conscience de vivre dans une époque glorieuse entre toutes, digne d’être comparée à celle qui vit la splendeur d’Athènes. Marsile Ficin, un des hommes les plus illustres du groupe, s’écrie avec bonheur : « Ce siècle est un siècle d’or ; il a remis en lumière les disciplines libérales presque éteintes, la grammaire, la poésie, l’éloquence, la peinture, architecture, la musique, l’art de chanter sur l’antique lyre d’Orphée, et tout cela à Florence ! » Il écrit à un ami qu’il convie à s’établir dans la noble cité : « Sois heureux, sois Florentin ! »

Durant ce beau siècle de la Renaissance, en cette belle contrée d’Italie, les joies de l’étude n’étaient pas réservées à la seule élite des hauts esprits, des princes et fils de princes, elles devaient être également réparties au peuple, s’accommoder aux enfants, transformer les écoles, en faire des « maisons joyeuses », types de celles que bâtissent çà et là les hommes libres de la société moderne. Telle l’école que fonde Viltorino Rabaldoni, près de Mantoue, dans une prairie « réjouie d’arbres et de fontaines ». Dans la vaste maison, ornée de fresques et de fleurs, les enfants, venus de tous les pays, appartenant à toutes les classes sociales, vivent en frères, heureux, sans avoir à craindre les coups. Viltorino, dont le visage est si ouvert « qu’il guérit les malades », sait rendre la science aimable et le jeu instructif, tellement que ses disciples travaillent lorsqu’ils dansent, sautent, chantent, montent à cheval, courent les montagnes, et qu’ils s’amusent lorsqu’ils récitent du Virgile, écrivent du latin, improvisent des discours. L’éducateur avait compris que les diverses parties de l’être doivent être développées parallèlement, l’intelligence renouvelée par la variété des études, le corps restauré par la diversité des aliments et tout défaut physique corrigé : c’est ainsi que s’obtiennent la force et l’endurance, la beauté et la grâce. Rabaldoni, « né d’un chêne », était le modèle auquel tous cherchaient à ressembler[9].

Que l’on compare à ce lieu de bonheur les autres dans lesquels les élèves soumis à la torture des routines avaient a payer tous leurs manquements par un autre supplice, celui du fouet, traitement qui a tant d’admirateurs en Angleterre ! Un écrivain, louangeur du moyen âge, essaie de nous montrer cette éducation féroce sous un côté poétique. Il nous décrit la « Fête des Verges » que maîtres et parents, conduisant la troupe des petits, célébraient en Allemagne pendant un beau jour d’été. Sous l’œil sévère des gens d’âge, les écoliers allaient au bois faire la provision des verges qui devaient cingler leur chair : on les leur faisait choisir souples et dures, en fin bois de bouleau, et l’on donnait à chacun son fardeau à porter. Puis, après les jeux et le dîner sur l’herbe, les enfants rentraient en ville chantant la « Chanson des Verges » ; tels les gladiateurs s’inclinant devant le César qui, d’un signe, allait les faire mourir[10].

N° 368. Florence et les Environs.

En se rapprochant de la vérité scientifique, l’Italie, et l’Europe avec elle, s’éloignent de la foi. Sans doute les vieilles formés traditionnelles du culte ne changent point, et même, l’art se mêlant davantage à la vie populaire, les fêtes religieuses gagnent en éclat, en splendeur, en richesse ; mais l’indifférence, plus encore que les hérésies, détourne graduellement de l’Église les hommes instruits des choses de l’antiquité : un des néo-platoniciens venus à Florence, Gémiste Pléthon, professe sans causer de scandale parmi ses amis que la religion future ne sera « ni de Christ ni de Mahomet, et ne différera point essentiellement du paganisme ». L’autorité du souverain pontife s’était singulièrement affaiblie, surtout dans cette Italie même dont il était l’un des princes temporels. Le territoire de Rome devenait une principauté sécularisée où l’on s’occupe avant tout d’intérêts politiques et mondains, en les appuyant beaucoup plus sur la force guerrière et la ruse que sur des exhortations religieuses. Humanistes et collectionneurs de manuscrits comme d’autres potentats de l’Italie, les papes, pour la plupart hostiles à tout zèle religieux, se bornaient à consacrer les traditions de la curie. Lorsque Nicolas V mourut, le rimeur Filelfo ne parle que du désespoir d’Apollon et des muses. Et plus tard, lorsque le Portugal et l’Espagne intriguent de leur mieux auprès des chambellans et des greffiers du pape pour se faire adjuger la meilleure moitié du globe, Alexandre VI, occupé de son État, de sa famille, de ses affaires privées, ignore les grands intérêts que fait naître en Europe le nouvel équilibre du monde. A Rome, le cardinal Jacopo Ammanati cherche un précepteur chrétien : il ne trouve que des lettrés. Le mot « vertu » était devenu synonyme de virtuosité dans l’usage du latin.

Et c’est précisément à l’époque où l’autorité du pape cesse d’être reconnue dans l’Occident que, par une bizarre ironie des choses, on procède à la cérémonie d’un prétendu retour de l’Église d’Orient sous la houlette du pontife de Rome. Un concile se réunit à Ferrare, puis, chassé par la peste, se transfère à Florence où, après avoir fait montre d’érudition, de dialectique et d’éloquence, les lettrés les plus diserts de l’Église grecque et de l’Église latine proclament l’union dogmatique entre les deux parties de la chrétienté. Dans la nef de Sainte Marie-Nouvelle se dressent deux trônes érigés à la même hauteur, celui du pape de Rome, Eugène IV, celui de l’empereur d’Orient, Jean Paléologue ; les grands dignitaires les entourent, les prêtres des deux clergés officient, la foule applaudit et se prosterne. Le traité d’union, rédigé dans les deux langues, est lu et juré solennellement, et, lettre morte, va reposer dans les archives. Ces belles fêtes de réconciliation religieuse, célébrées en 1439 dans la ville qui est le foyer même de l’humanisme, n’eurent en réalité rien de religieux : elles furent essentiellement païennes, le joyeux salut
Pinacothèque de Münich.Cl. J. Kuhn, édit.
dürer peint par lui-même (1500).
d’amour adressé aux grands génies de l’antiquité grecque revenus parmi les hommes !

Le relâchement de la piété catholique permettait à la société pensante de revenir à la nature et d’interrompre pour un temps les pratiques d’ascétisme ; elles eurent pourtant leur courte période de retour victorieux lorsqu’à la fin du quinzième siècle Jérôme Savonarole, entouré de ses « pleureurs » ou piagnoni, dicta des lois à la seigneurie même de Florence, et, revenant à la tradition de saint Paul, fit brûler des tableaux, des instruments de musique et des œuvres de littérature profane, entr’autres les Contes de Boccace. Mais cette crise de foi aiguë et de pénitence dura quatre années à peine et, à son tour, Savonarole fut brûlé par ordre du pape Alexandre VI, pour crime de trop grande ardeur dans son élan vers Dieu.

Il est certain que le mouvement de la Renaissance, pris dans son ensemble, détermina l’émancipation de la société civile en la rattachant à la culture antique par-dessus et par delà les âges chrétiens. C’est ainsi que la femme, moitié de l’humanité, reconquit alors pratiquement une faible part de la vie sociale que lui avait refusée l’Eglise : elle put sortir du cercle de la famille et de l’ombre des nefs et couvents ; même un très grand nombre de femmes devinrent célèbres par leur science, leur esprit, leurs qualités viriles ; en mainte famille noble, les filles participaient pleinement à l’éducation de leurs frères.

La malédiction que l’Église chrétienne avait prononcée contre le corps, considéré comme le siège de toute passion vile, cessa de peser sur les hommes : « Les mille ans de crasse », par lesquels Michelet résume le moyen âge, eurent enfin leur terme. Ce fut là une grande révolution, la plus importante qu’ait déterminée la Renaissance, car elle implique un affaiblissement de ce dogme terrible du péché originel qui avait pourri l’humanité chrétienne et lui apprenait à mépriser son corps, ou à voir en lui le réceptacle de tous les vices. La punition de la coulpe première entraînait forcément l’horreur de la « chair » contrastant avec l’âme immortelle, et, dans la pratique de la vie, ce mépris du corps ne fut autre chose que la saleté. La vermine, les ulcères, les plaies furent en honneur ; on se fit gloire d’élever vers Dieu des mains purulentes, d’appeler son regard sur des membres atrophiés ou découlant de sanie. Dans les campagnes françaises, soumises pendant quatorze cents ans à la discipline ecclésiastique, ce fut jusqu’à une époque récente un devoir pour les fidèles de ne pas « laver l’eau du baptême » : par une étrange dépravation, le symbole même de la purification avait fini par servir de prétexte à l’impureté. De nos jours encore, les Mongols cessent de laver leurs vêtements pendant toute une année lorsqu’un malheur public, la perte d’une récolte par exemple, a témoigné de la colère céleste[11] ; leur mentalité n’a guère changé depuis la visite de Rubruk : il raconte qu’une lessive suffirait pour faire tomber la foudre. Et, pour revenir dans les terres chrétiennes que la domination des moines a tant fait ressembler à celles de la Mongolie, ne vit-on pas en Espagne l’Église défendre l’usage de l’eau pure ? En 1467, le cardinal Espinoza mit un terme au scandale des bains que prenaient encore les descendants des Arabes restés dans le royaume « catholique » par excellence[12], dans ce pays où la malpropreté d’une princesse fut érigée en héroïsme.

Or, la réhabilitation de la chair — ainsi que s’exprimaient les saint-Simoniens à l’époque romantique du socialisme — était la condition essentielle de l’émancipation de l’art. Certes le peuple de la belle Italie avait toujours gardé le sens de la beauté, ou plutôt il avait toujours reflété le charme et la grâce de la nature environnante. Les paysages si aimables de la Toscane, du Lucquois, de l’Ombrie, avec la ligne pure de leurs collines, leurs bosquets, leurs rivières, leurs villages roses, la riche variété de leurs cultures, le contraste du vert tendre et des cyprès noirs, puis les forêts bruissantes des hauts Apennins, et par delà les plaines padanes à l’inlassable fécondité, les avant-monts fleuris des Alpes, ce merveilleux ensemble aux couleurs changeantes, du printemps à l’hiver et de l’hiver à un nouveau printemps, tout cela se retrouve dans le caractère du peuple, gai, dispos, spirituel, aimant, délicieusement artiste.

Cl. J. Kuhn, édit.
murcie. ruines de bains arabes


« Joacbim de Flore aimait la nature et savait la regarder ; un jour qu’il prêchait par la pluie, les nuages s’entr’ouvrirent soudain et un joyeux rayon illumina l’église. Le prédicateur s’arrête, salue le soleil, entonne le Veni Creator et sort avec son troupeau pour contempler la campagne souriante »[13]. Alberti, humaniste s’il en fut, dont la douceur magnétique charmait les animaux sauvages, fondait en larmes à la vue d’un bel arbre ou de riches moissons ; toute beauté était révélation.

Nuls paysans au monde n’ont de chants populaires plus touchants de sentiment vrai, plus harmonieux, plus élégants et mesurés dans la forme que les rispetti, les stornelli des villageois toscans. Nulle part non plus les maisonnettes ne marient plus gracieusement leur décor avec celui des arbres et des champs : le campagnard maçon ne songe point, comme en tant d’autres pays, à imposer sa bâtisse à la vue ; il sait l’unir au milieu, en ajoutant un trait de plus à la grâce du paysage. Et lui-même conscient de sa beauté, il sait la garder, faire honneur à la femme qu’il a choisie : il fleurit ses enfants, il enguirlande ses bœufs, dresse dans les champs des épouvantails qui sont des objets d’art, et, pour le plaisir des yeux, « place une tomate au dessus d’un sac de blé »[14].

À cet amour de la nature se rattache un fait précis qui lui donne une date dans les conquêtes humaines. Les escaladeurs de montagnes, grimpant pour la joie de monter, de voir les horizons s’élargir devant eux, les villes surgir derrière les collines et la ligne claire de la mer après celle des plaines, peuvent revendiquer la grande mémoire de Pétrarque gravissant le mont Ventoux[15].

Ainsi d’âge en âge, malgré l’oppression de l’Église et des seigneurs, malgré les incendies et les guerres, le peuple italien avait gardé le trésor du sens artistique, mais l’art ne put se développer qu’avec la liberté de sculpter et de peindre les vraies formes humaines, débarrassées de tout l’attirail hiératique imposé jadis par la coutume religieuse. Il fallait se dégager du symbole, revoir l’homme tel qu’il est dans sa beautés non flétrie par le péché originel, et comprendre même les scènes réputées sacrées et divines à travers les personnes, les actes et les attitudes de la vie journalière : les yeux de l’artiste reprenaient le droit de voir la nature et les hommes tels qu’ils sont, et les chaînes tombaient de ses mains. Deux mille ans s’étaient écoulés depuis que les artistes grecs avaient compris la beauté de l’homme et l’avaient représentée en toute sa splendeur ; maintenant arrivés par d’autres voies, les artistes italiens s’élevaient également à la vision du beau, sinon très différente de celle des Hellènes, non moins parfaite en son ordre de sentiments nouveaux. Tandis que les sculpteurs ioniens s’abandonnant joyeusement à la vie représentaient la jeunesse de l’art, les artistes italiens, détachés des liens du moyen âge, gardaient pour la plupart, même dans leur joie naïve, une pointe de mélancolie, de morbidesse, rappelant les tristesses d’autrefois. Ils avaient conquis, par les souffrances antérieures, la profondeur du sentiment et, par l’étude de l’homme et de la nature, retrouvaient l’entière beauté de la forme. Même le plus humblement chrétien des peintres de ce temps, fra Angelico, qui n’osait faire gras à la table du pape sans l’autorisation de son prieur et peignait tous ses personnages consciencieusement vêtus du cou jusqu’aux pieds, ne perdait jamais de vue dans ses œuvres la beauté du corps humain et s’inspirait des progrès accomplis dans la technique par ses contemporains.

Musée du Louvre.Cl. J. Kuhn, édit.
le concert champêtre
par giorcione, Vénitien, 1477-1511.

Et combien grande dut être la joie des artistes émancipés, presque tous gens de petits métiers, que l’on connaissait seulement par leurs prénoms ou sobriquets, quelquefois par le nom de leur ville, combien heureux dut être leur élan vers la beauté quand ils se sentirent libres de la représenter comme ils la voyaient dans tout l’éclat de la jeunesse et de la force ! Ce fut une époque de ravissement à laquelle le menu peuple prenait part, enchanté de voir les œuvres merveilleuses des siens. En même temps, les peintres, rendus audacieux par leurs progrès, se lançaient dans la voie des découvertes : ils s’instruisaient dans la science de l’anatomie, apprenaient les lois de la perspective, trouvaient des procédés nouveaux pour la préparation des couleurs et le métier de la peinture. Ce fut un âge d’or dans le monde des artistes italiens et, par extension, dans toutes les parties de l’Europe occidentale où des conditions analogues avaient fait naître les citoyens à la compréhension de la beauté. Les cités flamandes et les villes industrielles de l’Allemagne centrale, qui avaient passé par l’éducation première de la vie communale et chez lesquelles l’émancipation de la pensée avait libéré l’initiative individuelle, devinrent notamment, par la pratique et l’appréciation de l’art, autant de petites Italies, mais chacune avec son originalité propre.

Quel merveilleux centre de poésie, de science et d’art fut la cité de Nürnberg (Nuremberg), non moins curieuse que Florence ! Ainsi que le constate un auteur du temps[16], « l’abondance et la richesse y étaient apportées par sept peuples différents, Hongrois, Esclavons, Turcs, Arabes, Français, Anglais et Hollandais ». C’est dire que toute l’Europe et l’Orient méditerranéen trafiquaient avec la grande cité industrielle. Aussi longtemps que Venise et Gênes étaient restées en relations avec l’Inde et l’intérieur de l’Asie par leurs voies respectives, Nürnberg, Augsbourg avaient gardé une importance de premier ordre pour la répartition des précieuses denrées dans le centre de l’Europe, et ces villes, la première surtout, savaient consacrer une part considérable de leurs profits à la glorification du travail et à la splendeur de l’art. Admirable monde d’artistes vraiment hommes que celui de la glorieuse Renaissance germanique, sœur de la Renaissance italienne. Ne cherchant qu’à bien faire, mais ne voulant point en tirer honneur, nombre de ces artistes sont restés anonymes : leur œuvre était parfaite, mais ils furent volontairement inconnus. Architectes, sculpteurs, orfèvres, peintres, verriers, miniaturistes vivaient en ouvriers, en frères de corporation, mangeant et devisant ensemble. Un Adam Krafft se disait « tailleur de pierres » ; un Peter Vischer était « chaudronnier »[17] et se représente en costume de travailleur au tombeau de saint Sebald. L’art est partout à cette belle époque de renouveau : l’homme, conscient de la beauté de son corps, cherche à l’accroître par un costume à la coupe élégante et aux couleurs variées : les meubles, les maisons s’ouvragent avec amour ; les rues mêmes sont peintes, racontant aux étrangers les annales, les chroniques de la cité.

Cl. J. Kuhn, édit.
une maison à nuremberg


« Sous le rapport de l’art, nous sommes réduits à considérer l’époque du quinzième siècle, si brillante en Allemagne, comme un paradis perdu » (Schmoller).

La prééminence de ce grand moment dans l’histoire provenait de l’équilibre respectif des grandes villes qui, tout en s’étant dégagées de la domination des prêtres et de l’autorité absolue de l’empereur, étaient néanmoins obligées de s’appuyer les unes sur les autres pour se maintenir en liberté et constituaient en réalité une sorte de fédération des plus complexes, puisque les conditions en variaient étrangement de communauté à communauté. Par suite de cet appui mutuel, la paix s’était établie, une paix toujours frémissante et instable comme l’aiguille aimantée, qui, tout en oscillant sans fin, n’en reste pas moins en constante gravitation vers son nord. Ces villes étaient puissantes par leur commerce et par leurs corporations industrielles ; elles l’étaient aussi comme centres agricoles et possédaient de grands domaines. Le territoire de Nürnberg, urbain et terrien, s’étendait sur l’espace énorme de 1 100 kilomètres carrés, quatorze fois celui de Paris : il comprenait non seulement de vastes communaux, mais aussi des terres de labour, cultivées au profit des citoyens et consistant pour la plupart en fiefs achetés à des familles nobles tombées dans la misère. Ces possessions urbaines étaient presque toutes exploitées par des fermiers libres, quoique le travail des colons asservis à la glèbe n’en fût point exclu, tant les régimes sociaux les plus divers s’entremêlaient dans cette société si compliquée du moyen âge ! C’est l’époque où Maximilien, du vivant de son père, proposait la réunion d’un congrès à Francfort pour l’établissement de la paix perpétuelle[18].

Les progrès étaient facilités, dans cette période relativement heureuse, par la constitution de la propriété, beaucoup moins injustement distribuée qu’elle l’avait été précédemment et qu’elle le fut après la Réforme. Tous les villages possédaient leur communal, consistant en bois, prairies, pâtis, et tous les communiers y avaient un droit égal, même dans les domaines composés de biens seigneuriaux : le colon attaché à la glèbe avait sa part de terre comme le paysan libre, pourvu qu’il appartint réellement au pays, qu’il y eût son « propre feu, son pain et sa nourriture bien à lui ». Aucune parcelle de ce terrain de tous ne pouvait être vendue, et les seigneurs fonciers n’avaient pas même le droit, sans la permission des communiers, d’y faire couper du bois et d’en ordonner le transport en dehors des limites du village. Cependant le malheureux, l’étranger avaient des droits sur les terres de tous.

N° 369. Nuremberg et son Territoire.


Les femmes en couches, qu’elles fussent ou non de la commune, prélevaient, en beaucoup de villages, leur provision de bois. Le passant pouvait jeter, au moins une fois, son filet dans le ruisseau ou l’étang commun, le cavalier, le charretier, traversant le pays pendant la moisson, emportaient leur gerbe ou même davantage. Le voyageur dont les bêtes étaient fatiguées demandait le fourrage ou le remède nécessaires, et la forêt communale fournissait le bois qui devait servir à la réparation du char endommagé. A des époques déterminées, on faisait l’inspection solennelle des terres communales, en processions pédestres ou en cavalcades, bannières déployées, tambours et fifres en tête, suivant un cérémonial que l’on retrouve encore de nos jours en Écosse, quand annuellement on simule l’inspection des bornes du territoire urbain, qu’autrefois le seigneur déplaçait volontiers. À cette époque, un autel était construit sur la limite du champ, l’Évangile y était lu et le curé bénissait la terre de la commune[19].

Les progrès s’accomplissaient si rapidement durant cette période d’équilibre des cités industrielles que le transfert de la propriété se faisait graduellement au profit du cultivateur naguère asservi : le travail menait dans une certaine mesure à l’appropriation du sol. Il était uniformément admis en principe que le laboureur dont les soins avaient assuré une bonne récolte acquérait par cela même droit à la plus forte part des produits ; toute amélioration de la terre devait appartenir à l’améliorateur ; la bonification du sillon nourricier en assurait l’acquisition progressive. La société en arrivait ainsi à reconnaître que les biens affermés au colon devenaient sa propriété légitime, tandis que le droit du ci-devant propriétaire foncier allait s’amoindrissant toujours davantage, transformé à la fin en une simple taxe et garantie de prestations[20].

Il se produisait aussi un phénomène analogue à celui qui a pris de si vastes proportions dans le courant du dix-neuvième siècle, la ruée des paysans vers les cités, où ils trouvent une vie supérieure d’intelligence, plus de chemins ouverts à leur initiative. La passion du savoir se portait à une sorte de fureur. Neuf des universités existant encore actuellement en Allemagne se fondèrent pendant le demi-siècle qui s’écoula de 1450 à 1506 : l’amour de la découverte scientifique allait de pair avec le zèle des inventions matérielles. Mais que de difficultés dans les études ! Que de pauvreté dans l’équipement ! A la fin du quinzième siècle, la faculté anatomique de Tübingen reçoit le droit de faire une autopsie tous les trois ou quatre ans ; à partir de 1538, on peut disséquer un cadavre chaque année ; en 1547, l’université fit l’acquisition d’un squelette, le seul qu’elle aura pendant 104 ans[21]. L’ardeur d’apprendre et d’enseigner fut telle qu’on vit des jeunes hommes devenir professeurs à l’âge où on ne les aurait pas encore trouvés de force à porter les armes, et, tandis que des adolescents enseignaient, des vieillards, abbés, chanoines, princes se pressaient sur les bancs pour écouter ; les femmes étaient entraînées également par le désir d’apprendre[22]. Les étudiants faisaient leur tour d’Allemagne et d’Europe comme les compagnons des divers métiers, et l’hospitalité qu’ils trouvaient en tous lieux était réglée de la même manière. Déjà professeurs, géographes, astronomes, naturalistes, savants de toute espèce allaient s’établir en de grandes villes lointaines, telles que Lisbonne, où les rencontraient marins et aventuriers en quête de découvertes. La confection des globes, imaginée par les Martin Behaim comme par les Toscanelli, hâta certainement l’ « invention » du Nouveau Monde.

N° 370. Universités au Début du XVIe Siècle.

Succédant à l’Ecole de Ravenne, l’Université de Bologne prétend être antérieure à l’an mil ; la fondation de l’Ecole de Salerne daterait de 1080, celle d’Oxford de 1167 ; Paris ouvre son université en 1150 ou 1170 suivant les origines qu’on lui reconnaît, Montpellier en 1137 ou 1220 ; Modène et son annexe Reggio en 1182−1188.(The Universities of Europe, Hast. Rashdall). Les deux cartes nos 370 et 371 sont à l’échelle de 1 à 20 000 000.

C’est en cette Allemagne si bien préparée par l’étude et la diffusion du savoir, par l’apparition ou la restauration des industries les plus diverses que se révéla, vers le milieu du xve siècle, le procédé de l’imprimerie en caractères mobiles, point de départ d’une révolution intellectuelle et morale auprès de laquelle toutes les révolutions précédentes n’ont qu’une valeur secondaire : c’est même grâce à l’imprimerie qu’elles se montrent à nous dans leur véritable importance relative. Le grand xve siècle, l’initiateur de la civilisation moderne, doit son rang dans l’histoire aux deux découvertes capitales, de l’espace et du temps ; de l’espace, par l’exploration de la rondeur du globe en Afrique et dans les deux Indes, du temps, par la résurrection et la mise en lumière des chefs-d’œuvre de l’antiquité. Or, c’est l’imprimerie qui permit de faire cette conquête sur les âges écoulés, et si elle naquit, c’est précisément par suite du besoin qu’éprouvaient les humanistes de reproduire à l’infini les fragments manuscrits si peu nombreux qu’ils possédaient des œuvres originales de l’antiquité. Le désir de répandre ses propres idées, de s’adresser directement à ses contemporains comme littérateur, philosophe ou moraliste n’eut qu’une part fort minime dans la poussée d’efforts qui fit surgir l’industrie nouvelle, car tous les ouvrages imprimés dans les premières années de la découverte furent des documents religieux ou profanes déjà connus, embellis par l’auréole que donne la tradition. On avait écrit dans les siècles qui précédèrent la découverte du caractère mobile, mais, au plus, la centième partie des livres du moyen âge a pu survivre[23]. Le nombre des auteurs devait être immense en un temps où l’écrivain était son propre éditeur, le poète son propre incitateur, le dramaturge son propre acteur, mais l’homme mort, l’œuvre disparaissait. L’imprimerie fut donc en certains cas un obstacle aux lettres en décourageant le penseur sans énergie, mais elle multiplia à l’infini le champ d’action des écrits qui passaient sous presse.

N° 371. Imprimeries en 1500.

Gütenberg aurait fait des essais à Strassburg vers 1436 avant de s’établir à Mayence en 1444. Waldvogel de Prague vivait à Avignon en 1444 et enseignait l’ « écriture artificielle » à quelques personnes. Les prétentions de Haarlem, Bamberg et Florence sont moins bien soutenues. C’est de Mayence que proviennent les plus anciennes impressions parvenues jusqu’à nous.

L’invention de l’imprimerie est un fait d’importance si capitale que nombre de pays et de villes en ont revendiqué la gloire. En admettant, ce qui d’ailleurs est probable, que la connaissance de cet art n’ait point été apportée de la Chine dans l’Occident européen par quelque Rubruk ou quelque Polo, et qu’on puisse en affirmer l’origine locale, il n’en est pas moins vrai que Mayence, Strasbourg, Bamberg, Avignon, Florence, Haarlem prétendent également à l’honneur d’être le lieu natal du grand art ; et, en pareille discussion, le verdict est d’autant plus difficile à rendre que les industriels gardaient alors très jalousement leurs secrets, et que l’imprimerie proprement dite prend ses origines en des industries antérieures très rapprochées, entr’autres la gravure sur bois des cartes à jouer, des images de saints avec invocations et prières. Quoi qu’il en soit, selon l’opinion générale des érudits, Mayence est bien la patrie de la noble invention et Gutenberg en fut l’auteur. Lorsqu’après la conquête de la ville par l’archevêque Adolphe de Nassau en 1462, le « merveilleux secret » de l’imprimerie fut divulgué de par le monde, Mayence possédait deux établissements d’impression, celui de Gutenberg, luttant péniblement contre la misère mais travaillant quand même, et celui du riche Johann Fust ou Faust, qui avait cru réduire son ancien associé à l’impuissance en le faisant condamner illégalement à rembourser deux prêts avec les intérêts et les intérêts des intérêts : comme toujours, aux origines et dans le développement de l’industrie, se retrouve l’âpre lutte du capital et du travail. Mais la découverte était entrée dans la période de réalisation. Le premier incunable, dont il n’existe plus qu’un très petit nombre d’exemplaires, est une vulgate en deux volumes in-folio, que Gutenberg mit trois années à imprimer, de 1452 à 1455. L’ouvrage se vendait trente florins ; manuscrit, il en coûtait quatre ou cinq cents[24].


Bibliothèque Nationale.
une page de la première bible de gutenberg
Jean Geinsfleisch, dit Gutenberg, naquit et mourut à Mayence, 1400-1468.

Ayant cessé d’être un secret, l’art de imprimerie se répandit rapidement dans toute l’Europe, et, jusqu’à la fin du siècle, en moins de quarante années, on compte plus de mille imprimeurs, pour la plupart Allemands d’origine. Deux ans après la prise de Grenade sur les Maures, il y avait déjà dans cette ville trois imprimeurs allemands ; deux de ces industriels s’aventuraient même jusque dans l’île équatoriale de Sâo-Tome, où maintenant il serait difficile de découvrir un libraire.

Naturellement une certaine division du travail ne manqua pas de s’établir aussitôt dans les diverses contrés pour l’œuvre de reproduction des manuscrits possédés par les savants. L’Allemagne beaucoup plus engagée que l’Italie dans le mysticisme du moyen âge, imprimait surtout des ouvrages religieux, psautiers, prières, récitations pieuses auxquels s’ajoutaient des grammaires, des recueils de mots et de dictons. Beaucoup de livres imprimés en Allemagne, avant la fin du quinzième siècle se sont perdus pendant les guerres qui suivirent, mais il reste encore plus de mille ouvrages de cette époque, dont plus de cent Bibles et 59 Imitations. Quant à l’Italie, le pays des humanistes par excellence, déjà presque dégagée en ses classes instruites de la croyance au christianisme, elle s’occupa surtout de la publication des classiques. Deux moines, Schweinheim et Panartz, avaient introduit, en 1465, l’imprimerie dans le couvent de Subiaco ; dès 1476, Milan imprima le premier livre grec, la grammaire de Constantin Lascaris, et bientôt l’on voit Alde Manuce « le Romain » imprimer « toute la sagesse des Grecs… aussi longtemps qu’il a un souffle de vie ». De 1495 à 1514, il publie successivement Aristote, Hésiode, Jamblique et les néo-platoniciens, Aristophane, les épistoliers grecs, Thucydide, Sophocle, Hérodote, les Helléniques de Xénophon, Euripide, Démosthènes, les Opuscules de Plutarque, Platon, Pindare ; puis Virgile et autres latins. A l’époque où l’atelier de Manuce à Venise produit ces admirables et précieuses éditions, dont les exemplaires se vendaient 2 fr. 50, valeur actuelle, l’Allemagne en est encore à imprimer laidement et petitement des grammaires et des manuels d’orthographe pour des commençants.

Désormais tout le trésor de l’antiquité appartient à celui qui veut apprendre et savoir, et l’on peut boire directement à la source, au lieu de recevoir la liqueur plus ou moins mélangée dans son cours par des canaux impurs. Qu’on se rappelle le cri d’enthousiasme poussé par le bon Gargantua, s’adressant à son fils Pantagruel : « Maintenant toutes disciplines sont restituées, les langues instaurées : grecque, sans laquelle c’est honte que personne se die sçavant, hébraïcque, chaldaïcque, latine. Les impressions, tant élégantes et correctes en usances, qui ont esté inventées de mon aage par inspiration divine, comme, à contre-fil, l’artillerie par suggestion diabolique… Tout le monde est plein de gens sçavans, de précepteurs très doctes, de librairies très amples… Je voy les brigans, les bourreaux, les aventuriers, les palefreniers de maintenant, plus doctes que les docteurs et prescheurs de mon temps ». Il faut entendre aussi l’ardent Ulrich von Hutten pousser un cri de joie en l’honneur de son siècle : « O sæculum, o litteræ ! Juvat vivere etsi quiescere nondum juvat ![25] »

L’excédent de force que possédait la société de la Renaissance, et qui lui permit de faire de si grandes choses, devait se manifester aussi en œuvres sans réalisation pratique : l’Age des étonnantes découvertes dans l’espace et dans le temps fut également celui de pérégrinations dans un monde chimérique. L’ivresse d’une science mal comprise dans ses détails, mais profondément ressentie dans son ampleur et dans sa portée, est toujours créatrice d’utopies, d’un vol d’imagination d’autant plus étendu que la vie contemporaine a produit plus de changements. La triomphante victoire des Grecs sur les innombrables hordes que les rois de Perse avaient lancées contre eux porta les vainqueurs à se considérer presque comme des dieux, et, malgré la pondération naturelle de l’esprit hellénique, les écrivains imaginèrent à l’envi des sociétés idéales qu’ils savaient d’ailleurs ne devoir jamais se réaliser. Un mouvement analogue se produisit aux beaux siècles de la Renaissance et sous une poussée de même nature : tout ce qui s’était fait de surprenant dans la vie des nations fit naître par contre-coup un monde de rêves, presque tous grandioses et splendides. Toutefois il s’en faut que les utopies des philosophes et des poètes fussent toutes de véritables améliorations du monde actuel, une fois transformées en faits. Loin de là. Il est rare que le rêve ait la beauté de la vie. En outre, les livres des utopistes ressemblent à leurs auteurs : comme tous les autres écrits, ils reproduisent les nobles désirs et les ambitions mauvaises, les hauts sentiments et les passions basses de ceux qui les ont pensés. Souvent, dans ces œuvres de chimère, le mauvais l’emporte sur le bon. N’est ce pas là ce qu’il faut dire de la première utopie fameuse que nous a léguée Platon sous le nom de « République » ? Qui n’est en réalité qu’une glorification des Spartiates, un recul vers cette société d’où toute initiative était bannie.

Nouvelle Sacristie San-Lorenzo.Cl. J. Kuhn, édit.
florence. tombeau de lorenzo de medici
par michel-ange, 1475−1564.

La Renaissance arabe ayant précédé la Renaissance italienne, le cycle des utopies commença aussi à une époque antérieure chez les Maures d’Espagne, de même que chez les Syriens et les Arabes d’Asie. Parmi les chercheurs d’idéal évoquant une société future pour la dépeindre à leurs contemporains espagnols, chrétiens et mahométans, les érudits citent l’Arabe Ibn-Badja, qui naquit à Zaragoza, il y a huit siècles environ, et dont le nom a pris dans l’histoire la forme vulgaire d’Aven-Pace ou Avempace. Ses écrits ne sont point parvenus jusqu’à nous, et l’on n’en connaît la substance que par une analyse due au juif Moïse de Narbonne ; mais il est certain que nul auteur ne comprit mieux l’importance de l’éducation individuelle, chaque homme étant un centre naturel autour duquel se constitue la société dans son ensemble comme autour de son axe[26]. Précurseur s’il en fut, il voyait nettement que les révolutions durables ne viennent point d’en haut, de prêtres ni de rois ni même d’une élite de penseurs, mais doivent se faire d’abord en chaque individu, élément initial de tout progrès. « Solitaire » lui même, Ibn-Badja s’adresse aux « solitaires » qui, dans une société imparfaite, s’essaient à devenir des êtres constitutifs d’une société parfaite. D’abord il leur conseille de se dégager de leur éducation première, comme des plantes qui, après avoir été courbées, reprennent leur port naturel et croissent comme il convient à leur instinct de vie ; devenus des « étrangers dans leurs familles et dans la société qui les entoure, les solitaires se transportent par la pensée dans la république idéale qui est leur vraie patrie ». Dans le monde nouveau que suscite Ibn-Badja, il sera inutile de rendre la justice parce que les relations des individus entre eux seront celles de l’amour[27]. La société se transformera en une grande école où chaque individu sera sollicité à la perfection de son être, à la splendeur de sa beauté corporelle et morale.

Avant Ibn-Badja, les Arabes avaient eu parmi leurs philosophes un autre utopiste fameux, Ibn-Sina ou Avicenne[28], dont l’enseignement bien compris avait au fond la même portée libertaire mais dans lequel les Occidentaux ne virent guère qu’un roman, un jeu d’esprit. Le médecin philosophe autour duquel la jeunesse studieuse de Bokhara se pressait s’imagine l’existence d’un enfant, Haï, qui naît et se développe dans une île déserte, instruit peu à peu par les phénomènes de la nature et par les leçons de toute espèce que lui donnent les bêtes. Avec les animaux et les plantes, il vit heureux, aimant tous ceux qui l’entourent et en étant aimé, apprenant sans cesse, grâce à l’observation patiente : il devient ainsi philosophe et moraliste, savant et poète. Ce retour vers la nature, cette fraternisation avec les animaux restés purs de toutes les conventions de la vie artificielle enchantèrent pendant tout le moyen âge les troubadours et jongleurs, que les nécessités de l’existence forçaient de se dire chrétiens mais qui vivaient aussi leurs rêves chevaleresques de justice et de bonté[29]. De transformation en transformation, le personnage de Haï, incessamment modifié par les utopistes, qui faisaient de lui le représentant de leur caractère et le porteur de leurs idées, finît par se vulgariser fort, et sa généalogie se termine par la nombreuse famille des Robinson, qui découvrent non point une société nouvelle mais simplement les moyens pratiques de vivre en s’accommodant à leur milieu.

Cl. J. Kuhn, édit.
façade principale du chateau d’azay-le-rideau

Les utopies de la Renaissance avaient un caractère plus élevé, ainsi qu’en témoigne le sens même donné à ce mot d’ « utopie », détourné de sa signification primitive « Nulle part »[30]. Le terme devait s’appliquer désormais aux projets d’amélioration sociale, condamnés sans doute à ne point se réaliser mais inspirés par un sentiment profond de solidarité humaine : Campanella cherche à placer l’individu dans une telle situation qu’il lui est presque impossible d’être dépravé ni méchant. Toutefois, chacun a son utopie, déterminée par sa nature propre : le plus voluptueux des poètes, Torquato Tasso, dans l’Amiata, chante l’âge d’or et le libre amour suivant les rites de l’innocence naturelle. Pour la foule, accablée par le travail et manquant souvent du nécessaire, l’utopie est le « pays de Cocagne », le « Schlaraffenland », où les sources de lait et de vin jaillissent du sol, où les repas délicieux tombent du ciel tout préparés, où les tables chargées de viandes et de fruits se dressent à souhait sous l’ombrage, au bord des ruisseaux chanteurs. La ripaille est le rêve du peuple famélique, tandis que l’humanité bien nourrie mais amoureuse des livres voit dans son imagination surgir un palais aux vastes bibliothèques, fournies de volumes à la reliure superbe et au texte irréprochable. L’abbaye de Thélème, la plus belle demeure d’Utopie qu’ait élevée la Renaissance, renfermait de « grandes librairies en grec, latin, hébreu, françois, tuscan et espagnol, disparties par les divers étages selon y ceux langages ». Et, chose extraordinaire : dans cette abbaye, si différente de toutes autres, dans cet asile idéal de la libre conscience, de l’étude et du bonheur par le respect mutuel et par la pratique de la vie noble, en ce « séjour d’honneur », Rabelais, le peintre de tant de goinfreries, néglige absolument les cuisines. Il se plaît à donner tous les détails de l’architecture ; il décrit galeries peintes, salles d’étude et de jeux, collections, observatoire, bassins de natation, jardins, toutes les dispositions des édifices qui pouvaient contribuer au confort des habitants ; il a si grand soin de dépeindre ce palais de la Volonté et de la Conduite Libres qu’on a pu essayer de reproduire le plan de l’abbaye utopique[31] ; mais l’auteur n’a pas songé ou peut-être a dédaigné de mentionner la réfection du corps en viande et en boissons, fait étonnant à une époque où chaque abbaye possédait des cuisines monumentales et reposait sur d’amples caves emplies de barriques superposées[32].

Les souverains qu’affolent si fréquemment le vertige du pouvoir et l’encens des flatteries et des louanges devaient également subir à leur manière la griserie de cette époque et donner à leurs chimères une forme romantique. Le duc de Bourgogne Charles le Téméraire fut, au milieu du quinzième siècle, le type le plus remarquable de ces chefs d’État qui se laissaient emporter par la passion frénétique de l’impossible. D’ailleurs, la bizarre configuration de ses États, si peu conforme aux divisions géographiques naturelles, dut contribuer pour une bonne part à la destinée fatale de l’ambitieux personnage : cet ensemble disparate de possessions n’avait de valeur à ses yeux qu’en se complétant par toutes les régions intermédiaires, et tant qu’il n’avait pas réussi à lui donner une forme normale, définitive, il lui fallait intriguer, comploter, surtout combattre sans repos.

Cl. Selliet.
abbaye du mont saint-michel. cuisine et réfectoire


Son existence aventureuse fut la conséquence nécessaire de cette logique de l’histoire lui commandant la transformation de ses domaines épars en un royaume puissant et bien équilibré.

Mais cette unité qu’il voulait créer pour une Bourgogne en très grande partie artificielle entrait forcément en conflit avec d’autres groupes politiques plus solidement constitués et d’une plus grande vitalité naturelle comme organisations nationales, l’Allemagne, la Suisse, la France. Or, cette dernière se trouvait précisément régie par le maître le plus avisé et le moins aventureux qui fût jamais. Le contraste entre les deux souverains rivaux était complet, ajoutant des traits comiques et même grotesques aux éléments du drame. Déjà les populations avaient été frappées de la singulière différence que présentaient dans leur port et leur maintien le jeune Louis XI et le duc de Bourgogne, dit « le Bon », qui s’était fait le fastueux mentor et protecteur du roi de France. Lorsqu’ils firent ensemble leur entrée dans Paris (1461), on disait du roi : « Est-ce là un roy de France ? Tout ne vaut pas vingt livres, cheval et habillement de son corps », tandis que Philippe le Bon était proclamé « un soleil d’homme » par la voix unanime de la foule[33]. Lorsque plus tard Louis XI eut pour adversaire, quoique souvent pour allié prétendu, le simple et impétueux fils de Philippe, Charles le Téméraire, l’opposition des deux individualités caractéristiques placées à la tête des deux États prit une forme saisissante. Ils étaient pourtant bien l’un et l’autre fils de leur temps et n’appartenaient au moyen âge que par des survivances d’ordre secondaire. Louis XI comprenait parfaitement l’intérêt capital qu’il avait à s’appuyer sur le populaire pour combattre les grands vassaux et ramener la féodalité à l’observance des lois du royaume ; quoique fort dévot et même fétichiste dans son adoration des images saintes, il n’ignorait pas le danger que courrait la société civile s’il laissait s’affermir la puissance des prêtres et des moines, et, quoique le premier des rois de France que le pape eût qualifié de « très chrétien », il fut peut-être celui qui aida le plus à dégager le peuple de sa foi première en donnant à l’administration civile la prépondérance sur le pouvoir religieux ; enfin il aima la paix et sut même vivre simplement, en un modeste château qui n’avait rien de royal. On l’appela l’ « araignée » : il se tenait prudemment blotti au fond de sa toile, surveillant les mouches bourdonnantes qui volaient de-ci de-là autour de lui et qui, finalement, venaient se faire prendre dans les fils du réseau.
N° 372. La France à la fin du XVe siècle.

Le grisé ouvert recouvre le territoire qui resta à la maison de Bourgogne à la mort de Charles le Téméraire. Durant sa vie, le duc avait possédé le duché de Bourgogne (voir Carte n° 345, page 135) et, par moments, l’Alsace, puis la Lorraine.

Les hachures serrées indiquent le domaine directement gouverné par Louis XI à la fin de son règne; la Bretagne vint bientôt s’y ajouter, en 1491, parle mariage de Charles VIII avec la jeune duchesse, Anne, qu’épousa également son successeur Louis XII.

Quant au « Téméraire », descendu d’une longue génération de chevaliers, il aimait la guerre pour elle-même ; il se plaisait à donner des coups et il s’attendait à en recevoir en échange, mais ce n’était pas un simple guerroyer comme on en voit tant parmi ses ancêtres ; il se sentait également pénétré des vastes ambitions de son siècle, et, parfois aussi cruel que son rival Louis XI, avait, cependant, quelques traits de magnanimité. Poursuivi par le désir fou de se conquérir un royaume, qui ne lui aurait point suffi et qu’il eût voulu universel, il fit de ses dix années de règne dix années de guerres, et finit par périr misérablement devant les murs de Nancy (1477). Précédemment, deux sanglantes défaites subies en Suisse, à Granson et à Morat, l’avaient découronné de son prestige : les riverains du lac de Morat aimaient à se montrer flottant sur les eaux les grandes algues tachetées de rouge qu’ils appelaient « sang des Bourguignons ».

La maison de Bourgogne s’effondra au profit des États voisins, surtout à celui de la France. Lorsque Louis XI mourut, il avait étendu son royaume jusqu’aux Alpes et aux Pyrénées, et nombre de cités, qui ne lui avaient appartenu d’abord que par les liens d’un hommage indirect, se trouvaient définitivement soumises à ses lois ; les revenus de son domaine avaient plus que doublé et le poids des impôts payés par les bourgeois et les manants s’était singulièrement allégé. Quant à la Suisse, enorgueillie par ses victoires, elle devait se laisser entraîner par son triomphe même à la honte nationale par excellence, celle de vendre ses hommes au plus offrant comme des engins vivants de guerre. La location des mercenaires devint la principale industrie des confédérés : pendant quatre cents années, les Suisses, aujourd’hui si fiers de leur « libres montagnes », eurent pour fructueux métier celui d’aller à prix d’argent détruire la liberté des peuples d’alentour. La France surtout fut le marché de chair helvétique ; 12 cantons sur 13 étaient engagés à fournir au roi une levée permanente de six à seize mille hommes, mais les salaires stipulés ne suffisaient pas, il fallait aussi des cadeaux : souvent les Suisses attendus ne se présentaient pas.

Le successeur de Louis XI n’eut pas de peine à dépenser royalement les économies de son père. Comme Charles le Téméraire, mais sans aucune âpreté dans le vouloir, Charles VIII se laissa mener par sa fantaisie. Celle-ci lui montra les merveilles de l’Italie et il en fut aussitôt fasciné. En réalité, l’expédition de Charles au delà des Alpes ne fut pas une guerre, mais un roman d’aventure. Il ne savait lui-même où il allait, se dirigeant seulement vers le soleil du midi, vers la mer bleue, vers les pays splendides desquels était issue la vie. Il chevauchait devant lui comme le paladin des légendes qu’il avait lues dans son enfance.

N° 373. Campagnes françaises en Italie.

Les principaux événements des campagnes d’Italie peuvent se grouper ainsi :

1494−1495.
Entrée de Charles VIII à Naples, retour précipité, bataille de Fornoue (1).
1500−1512.
Victoire de Louis XII à Novare (2), occupation de Milan, entrée à Naples en 1501 ; retraite en 1503, perte de Gaète en 1504 ; révolte de Gênes en 1507; défaite des Vénitiens à Agnadel (3) en 1509 ; victoires françaises à Bologne et à Valeggio (4) en 1512, puis, cette même année, défaite de Ravenne (5) et perte du Milanais.
1513.
Défaite de Novare (2), évacuation de la plus grande partie du Piémont.
1515−1524.
François Ier à Marignan (6), occupation du Milanais ; défaite de la Bicocca (7) en 1522; les Impériaux envahissent la Provence et assiègent Marseille, 1524.
1525−1529.
Nouvelle attaque de François Ier, défaite de Pavie (8). Sac de Rome par le connétable de Bourbon 1527, défaite des Français à Landriano (9).
1544.
Inutile victoire des Français à Cérisoles (10).

Le Piémont fut occupé par les Français pendant la majeure partie du seizième siècle.

Nulle conquête ne fut plus facile, parce que l’Italie, divisée politiquement entre tant de princes, n’avait plus aucune force de résistance collective dans ses communes, et que la plupart des lettrés avaient déjà dépassé l’étroite conception de patrie, sans avoir encore compris que tout oppresseur est l’ennemi. C’est ainsi que les Français de Charles VIII, « déplorables, malhonnêtes et mal réglés », n’en eurent pas moins très aisément le renom de héros. Comme le dit Comines, ils vinrent « la craie en la main des fourriers pour marquer leur logis sans autre peine ». Mais il leur fallut pourtant repasser précipitamment les Alpes hors de ce pays au sol perfide où ils eussent risqué de périr jusqu’au dernier.

Les guerres qui suivirent, sous Louis XII, et même sous François Ier, furent dictées également par la hantise du Midi : au fond, c’étaient de nouvelles invasions de barbares, comme celles qui avaient ébranlé le monde mille années auparavant. Au point de vue politique et militaire, ces expéditions étaient absurdes et imprudentes, il était d’autant plus dangereux de s’aventurer au loin, par delà les Alpes aux périlleux sentiers, dans le Milanais, dans les Romagnes, même dans le Napolitain, que la France restait ouverte et menacée sur ses frontières du Nord. Aussi le résultat de ces campagnes ne pouvait être que désastreux au point de vue matériel. Et cependant, il en résulta un bien indirect. Pendant deux générations, la France militaire avait vécu dans le rêve, attirée vers le Midi par de beaux tableaux, des statues et des livres que l’éclat de la Renaissance mettait splendidement en lumière. Plus tard, d’autres barbares que les Français et que leurs alliés, les Suisses, flétris par les vers de l’Arioste[34], « quei villan bruti », vinrent prendre part au pillage ; à leur tour les Allemands de Charles-Quint, commandés par le connétable de Bourbon, renouvelèrent dans Rome les hauts faits des Goths et des Vandales. Les phénomènes d’endosmose et d’exosmose qui se produisent dans les corps organisés ont également lieu dans le corps social. En vertu de sa prééminence même dans le monde intellectuel et moral, l’Italie se livrait en proie aux peuples voisins, et, selon le degré de culture des hommes qui participaient à la curée, elle donnait aux uns des ripailles et des festins, ou bien de l’or, des pierres, des bijoux, aux autres le trésor impérissable de la science et de l’art. Le domaine de la Renaissance s’étendait ainsi dans les contrées environnantes, mais par le fait même du contact et de la propagation des idées, non par la volonté des maîtres, comme le prétendirent des historiens subissant le mirage du pouvoir. La flatterie a décerné le titre de « Protecteur des sciences et des arts » au roi François Ier, mais il est bon de savoir que, par ses lettres patentes du 13 janvier 1534, ce personnage déclarait vouloir supprimer l'imprimerie[35]. « Dans sa singulière affection pour l’accroissement des belles lettres et estudes », il avait tout d’abord exemple de divers
Cl. J. Kuhn, édit.
chateau de blois. aile de françois ier
le grand escalier
impôts et du service militaire les vingt-quatre imprimeurs-libraires de Paris ; mais, cédant aux plaintes intéressées des docteurs en Sorbonne, il menaça « de la hart quiconque désormais imprimerait ou ferait imprimer dans son royaume ». Pourtant, sur les remontrances du Parlement, « douze personnages bien qualifiés et cautionnés » furent autorisés à imprimer les livres « approuvés et nécessaires au bien public »[35].

Par une singulière ironie des choses, la période de la Renaissance en Europe coïncida pour l’Espagne avec une soudaine et lamentable déchéance. L’Église catholique triomphante, hiérarchie puissante qui se rattachait officiellement à Rome mais qui agissait en autocratie parfaite, sans autre but que la défense de son pouvoir absolu, était devenue la dominatrice universelle et travaillait graduellement à s’asservir la royauté même, à la rendre impuissante par le réseau du cérémonial et de l’étiquette. On sait comment les prêtres avaient su profiter de la ligue des cités contre les seigneurs pour se substituer à cette « sainte Fraternité » et transformer l’unité civile en un tribunal ecclésiastique, l’Inquisition. Ces défenseurs de la foi s’acharnèrent contre toute pensée indépendante. Leur premier souci fut de brûler les bibliothèques et de fermer les écoles et les bains. Puis ils s’en prirent à tout le passé, renversant les édifices, murant les chefs-d’œuvre d’arabesques, pour les remplacer par de grossiers badigeonnages, vouant les travaux d’irrigation à l’abandon, exhumant des millions de cadavres, toutes les générations défuntes, pour en faire des feux de joie. Ici même, sur cette terre, les flammes matérielles, symbole de ces flammes de l’enfer qui ne s’éteindront jamais, devaient exterminer tous les hérésiarques et relaps, Juifs, Maures et surtout penseurs libres !

Dès l’an 1492, l’année même qui vit la prise de Grenade et la découverte de l’Amérique, la persécution des Juifs espagnols fut inaugurée d’une manière atroce. Le baptême est déclaré obligatoire, et tout Juif qui s’y refuse est tenu de quitter le royaume dans un délai de trois mois sous peine de mort et de confiscation des biens. Ceux qui repoussent l’abjuration et préfèrent le bannissement restent libres, jusqu’au départ, de disposer de leur fortune, mais non d’en emporter la valeur en or ou en argent ; c’est donc la ruine absolue : les malheureux fuient de tous côtés, mais la chasse à l’homme est déchaînée, la cruauté des souverains autorisant celle des sujets, on dépouille, on massacre les fugitifs. Quatre-vingt mille Juifs cherchent un passage vers la mer à travers le Portugal, et le roi Joâo II leur vend le transit au prix de huit écus d’or par tête. Deux à trois cent mille proscrits se dispersent en Afrique et en Orient ; il ne reste que des traîtres, des apostats, les marranos, livrés d’avance à la suspicion et à des persécutions nouvelles.

De pareils attentats contre toute une race ayant eu jusqu’alors le monopole comme intermédiaire du commerce ne pouvaient être tentés sans avoir pour conséquence un retour complet vers la barbarie primitive, si les Juifs n’avaient pu être remplacés par des rivaux, chrétiens ou prétendus tels. Or ces chrétiens empressés à prendre la succession des Juifs se présentaient en foule, surtout des Italiens, des Flamands, des Souabes. Les grands mouvements géographiques causés par l’accroissement en étendue du monde commercial expliquent ce déplacement des centres d’activité. Tout d’abord, la fermeture des chemins orientaux par les Turcs avait fait refluer vers l’Occident des gens de commerce, et des plus habiles parmi eux, Vénitiens, Lombards, Florentins ; de Bristol à Cadiz, on les rencontrait partout, s’établissant à demeure. Pour l’initiative des affaires, pour l’entregent, l’habileté en toute transaction d’argent et de diplomatie, les Florentins étaient devenus les principaux intermédiaires de l’Europe : le pape Boniface VIII disait d’eux qu’ils étaient le « cinquième élément » après la terre, l’eau, l’air et le feu.

Cl. J. Kuhn, édit.
anvers. cour du musée plantin

Mais au point de vue purement financier, ce furent surtout les Allemands du sud-ouest qui remplacèrent les Juifs dans le maniement des grandes affaires de l’Espagne. Lorsque Venise eut perdu sa domination commerciale, les cités actives de l’Allemagne ne cessèrent de la considérer comme la cité sans pareille, et les Augsbourgeois, notamment, continuaient d’y envoyer leurs jeunes gens comme à l’école du négoce par excellence. Cependant, la grande révolution qui avait frappé l’Italie devait ébranler, par contre-coup les comptoirs de l’Allemagne intérieure. Le premier résultat avait été de déplacer tout le centre de gravité vers l’Ouest : Venise ayant été remplacée par Lisbonne comme marché d’importation des Indes, les entrepôts de l’Europe centrale eurent à subir un mouvement général de traction dans le sens de l’Occident, les voies majeures changèrent de direction et quelques grandes villes de l’Est perdirent leur ancienne activité. Breslau, notamment, fut découronnée au profit de Leipzig, tandis que les cités occidentales de l’Allemagne, surtout celles de l’angle du sud-ouest, gagnèrent en importance relative[36].

Aussi longtemps que le Portugal, maître du chemin des Indes, conserva la prépondérance dans les échanges avec le monde des épices. Augsbourg et Nürnberg, en très bons rapports avec Lisbonne, réussirent à profiter indirectement de la nouvelle voie qui s’était ouverte au commerce du monde ; même des négociants d’Allemagne, avec leurs secrétaires et leurs employés, furent autorisés à prendre part aux expéditions vers l’Inde et à joindre quelques bâtiments au convoi de la flotte royale[37]. Mais de l’Allemagne à Lisbonne, ainsi qu’à Séville et à Cadiz, les ports d’expédition de l’Espagne, la route était beaucoup plus longue que jusqu’à Venise et à Gênes, et surtout elle avait à franchir les nombreuses redoutables douanes intermédiaires en France et en Espagne. Les dangers étaient plus grands, les voyages plus dispendieux, de gros capitalistes seuls pouvaient se risquer à ce fructueux commerce des épices, et il fallut que de très puissants syndicats unissent leurs capitaux pour l’exploitation de ce trafic : leur richesse s’en accrut, et en conséquence leur audace : graduellement ces « compagnies générales » accaparèrent les blés, les vins, la viande, aussi bien que les denrées coloniales, et la société tout entière fut de plus en plus pressurée par elles. Le monopole de ces compagnies, substitué à celui des Juifs, s’étendit également sur les mines, et l’enchérissement général se produisit pour tous les objets de première nécessité : ce n’est pas aux mines du Nouveau Monde, comme on le croit d’ordinaire, mais à celles de l’Europe centrale que, par un mouvement parallèle, on dut en Allemagne la grande dépréciation de l’argent[38].

Ce déplacement de la puissance se produisit également en Russie, et, pour une bonne part, sous l’influence des mêmes causes. La république de Novgorod n’était plus « toute puissante », et la jalousie de ses rivales, Pskov et Moscou, avait brisé son indépendance ; même ses meilleurs citoyens furent exilés et remplacés par des immigrants moscovites. On oublia le chemin des anciens marchés.

Cl. J. Kuhn, édit.
moscou. église de basile le bienheureux, 1544.

Les Novgorodiens asservis n’eurent plus de relations commerciales avec les contrées que parcourt le fleuve de l’Ob’ « au delà des partages », c’est-à-dire à l’est des monts Ourals, et ce pays, déjà bien connu des écrivains arabes et, par leur entremise, des géographes chrétiens, dut être découvert une seconde fois, en 1579, lorsque le cosaque fugitif Yermak, à la tête de ses bandits, pénétra dans la ville de Sibir. Le patriotisme guerrier, qui ne conçoit rien sans la violence, fait un mérite à ce Yermak d’avoir occupé en conquérant des territoires dont les habitants eussent volontiers continué leurs transactions pacifiques des anciens temps, si les tsars de Russie ne les avaient eux-mêmes rendues impossibles.

Tandis que la haute banque chrétienne de l’Allemagne, plus prédatrice que ne l’avaient été les Juifs espagnols, préparait la sujétion et la ruine définitive des habitants de la péninsule Ibérique, les guerres d’expansion politique à l’extérieur continuaient sans trêve. On comprend que éternelle bataille, ayant été pendant sept siècles l’état normal des populations, ne pouvait cesser brusquement. Vainqueurs des Maures, maîtres de tout le sol des aïeux entre les Pyrénées et le détroit, les Espagnols devaient, en vertu de l’hérédité, chercher à dépenser ailleurs leur excédent de force. Les plus hardis parmi les batailleurs et les aventuriers voyaient le Nouveau Monde s’ouvrir devant eux, mais ces terres de miracle, dont on raconta bientôt des merveilles, se trouvaient fort éloignées ; les navires en partance, dont quelques-uns fuyaient en secret, inconnus du fisc, étaient peu nombreux et les expéditions fort coûteuses, les souverains unis de Castille et d’Aragon, très avares de leurs deniers, ne voulaient risquer de grands trésors en vue de ces conquêtes lointaines, aux résultats encore incertains. De même, ils ne s’engageaient qu’avec prudence sur le littoral d’Afrique, dont l’intérieur ne leur était que vaguement connu ; mais, très avides des richesses qu’ils voyaient à leur portée, ils se ruèrent sur les îles de la Méditerranée et sur l’Italie méridionale : de ce côté ils poussèrent à fond, non simplement par amour des aventures et du plaisir, comme les Français de Charles VIII, mais en gens pratiques, très décidés à garder les riches contrées dont ils avaient acquis la possession. Parmi les maisons royales de toute origine qui se sont succédé dans la domination de Naples, il n’en est pas qui ait eu la solidité de celle d’Aragon : elle croyait à sa force. A Naples, le roi Ferrante était un maître absolu, un vrai roi-soleil, plus âpre, plus tragique, moins majestueux, il est vrai, que le fut plus tard Louis XIV. « Nous croyons à un seul Dieu dans sa gloire, nous ne voyons qu’un soleil dans les cieux, et nous adorons un roi sur la terre », disait Giuniano Maio dans son livre De Majestate,

Et cet orgueil espagnol, à la fois aragonais et castillan, semblait justifié par le succès et par cette valeur militaire à laquelle, aux époques troublées, on attache la première importance. Partout où se présentait la solide infanterie espagnole, c’était pour remporter des victoires. La guerre, accompagnée de la cruauté et de l’esprit de rapine, était entrée dans le sang des vainqueurs de l’Islam. Mais les victoires s’achètent, non seulement par le malheur des vaincus, mais aussi par le regrès moral et matériel des triomphateurs.

N° 374. Espagne et Maurétanie.

Possessions espagnoles en Maurétanie (Presidios) : Ceuta, — île de Alboran (1), — île Peñon de Velez de la Gomera (2), — île et baie d’Alhucemas (3), — Melilla, — île Chaffarinas (4), H : Honeïn, port de Tlemcen, K: Kazar el Kebir, défaite en 1578 du roi Sébastien de Portugal

On en vit un exemple frappant dans toutes les contrées que baigne la Méditerranée occidentale. Avant les agressions espagnoles, quand la Maurétanie n’avait d’autres habitants que des indigènes berbères et des envahisseurs arabes, les Européens y commerçaient en paix, et le droit des gens y était respecté. Il existait des traités réguliers entre les communautés des deux rivages opposés ; des colonies de marchands s’étaient fixées dans les villes mauresques, les personnes et les biens étaient sauvegardés, et même le chrétien étranger avait le droit d’élever des églises à côté des mosquées. Les souverains de la Maurétanie, notamment les rois de Tlemcen, avaient à leur service des milices chrétiennes : pendant trois siècles, jusqu’à la fin du quinzième, le va-et-vient se faisait librement de la Provence et de l’Italie à toute la côte barbaresque et dans les villes de l’intérieur. Les galères vénitiennes, dites « de Barbarie », partaient régulièrement du Lido dans la seconde quinzaine de juillet, puis faisaient escale à Syracuse, à Tripoli, Djerba, Tunis, Bougie, Alger, Oran, pour terminer leur voyage au port de Honeïn, ville aujourd’hui détruite, qui servait d’échelle à Tlemcen[39].

Mais lorsque, en 1509, le roi Ferdinand, le conquérant astucieux, eut fait débarquer soldats et missionnaires sur le rivage d’Afrique et qu’il eut pris pied dans la ville d’Oran, tout changea. Les musulmans comprirent qu’on en voulait non seulement à leur territoire, mais aussi à leur foi, à leur vie, et que le seul moyen de salut était de se défendre à outrance, puis, après avoir repoussé l’envahisseur dans la mer, de fermer complètement le pays aux chrétiens, à leur influence, même à leur trafic. La victoire de l’Espagne eût été le triomphe de l’Inquisition, et d’une Inquisition non moins féroce que celle dont la lèpre et la flamme dévorèrent les Espagnols eux-mêmes. Cependant, les armées de Ferdinand le « Catholique » et, plus tard, celles de Charles-Quint avaient une si grande force offensive que la conquête de la Maurétanie, du moins de toute la région du littoral, se serait certainement accomplie, si l’Europe n’avait été alors occupée de l’entreprise immense de l’exploration et de la colonisation du Nouveau Monde et surtout de ses guerres d’ambition, en Italie et dans toute l’Europe occidentale. Les Maures d’Afrique, aidés des populations berbères, purent donc résister à la fougue des conquérants espagnols, non sans faire appel aux Turcs et sans laisser leurs ports aux mains des pirates. Les tentatives avortées des envahisseurs chrétiens n’eurent pour résultat que de couper désormais toute communication pacifique entre les deux littoraux de la Méditerranée, celui du Christ et celui de Mahomet. Le recul de la civilisation dans ces parages se fit d’une manière complète pour une période de trois siècles : pendant ce temps on n’apprit de part et d’autre que par des prisonniers réduits en esclavage les événements qui s’étaient déroulés en pays ennemi. Il est vrai que les Espagnols avaient pu se maintenir en apparence sur la terre africaine en fortifiant la ville d’Oran d’une ceinture de murailles et de puissants ouvrages militaires ; mais ils se trouvaient enfermés dans cette grande caserne, comme ils le sont aujourd’hui à Ceuta, à Melilla et dans leurs autres présidios de la côte marocaine : ils n’osaient sortir des portes, au delà desquelles chaque buisson cachait un ennemi.

Mais cet insuccès des Espagnols de l’autre côté de la mer bleue resta ignoré ou du moins inexpliqué et mystérieux, perdu dans l’éblouissement des victoires. La transformation politique de l’Espagne en cette courte période pouvait être en effet considérée comme une succession de prodiges. Nulle raison saine n’aurait pu imaginer d’avance de pareils événements. Comment un petit roi d’Aragon, une pauvre reine de Castille, personnages secondaires parmi les souverains d’Europe, purent-ils mener à fin une œuvre à laquelle les chrétiens d’Espagne s’étaient acharnés pendant sept cent années ? Et cette œuvre, ils l’achevèrent entièrement, constituant l’unité politique des anciens royaumes distincts, et ajoutant à ce noyau péninsulaire toute une multitude de duchés, de comtés, de seigneuries, de villes dites « libres » ; puis, voici qu’un nouveau monde surgit par delà les océans, et ce monde, c’est l’Espagne encore qui se l’attribue et en réalise la conquête : des bandes, comprenant au plus quelques centaines d’Espagnols, se lançaient presque au hasard à travers des pays inconnus, parmi des millions d’hommes qui auraient pu être des amis, mais que l’on rendait ennemis par des violences et des brutalités sans nom : assurés de leur victoire, quoique privés de toute communication avec la mère-patrie, ils allaient droit devant eux et, dans les combats, voyaient distinctement la vierge Marie, saint Jacques de Compostelle et d’autres dignitaires des cieux accourir pour prendre part à l’égorgement des infidèles. Il n’est pas étonnant que, protégés ainsi par le ciel, les Espagnols eussent encore, par une merveilleuse conjoncture des astres, la chance de voir leur roi, presque un enfant, placer sur sa tête la couronne du « saint empire Romain » qu’avaient gouverné César et Charlemagne. Rien ne paraissait plus impossible : la monarchie universelle, image terrestre de l’infini royaume des cieux, semblait à la veille de s’étendre sur le monde. Et cependant, par une poignante ironie des choses, l’Espagne, arrivée à l’hégémonie de l’Europe, se trouvait en pleine décadence : les moyens mêmes par lesquels s’était accomplie son ascension étaient ceux qui devaient amener son irrémédiable chute. L’histoire détaillée du seizième siècle montre comment l’Espagne, prise dans l’engrenage des événements humains, se vit absolument incapable de résoudre les problèmes de la nature, industriels, économiques, intellectuels, moraux qui se présentaient aux hommes, et comment, avec toute l’apparence de la force, elle tomba lamentablement dans l’impuissance absolue. C’est que, dans ce pays, la source de toute force était tarie : la liberté individuelle, l’autonomie communale avaient disparu.



  1. Philippe Monnier, Le Quattrocento, Essai sur l’Histoire littéraire du xve siècle italien, 2 vol.
  2. D’Arbois de Jubainville, De l’Intérieur des Abbayes cisterciennes, p. 62.
  3. Benvenuto de Imola, cité par Philippe Monnier.
  4. Roma Instaurata, 1446.
  5. François Lenormant, La Grande-Grèce, t. XI, p. 65 ; — Ernest Nys, Autour de la Méditerranée, p. 4.
  6. J. Ruskin.
  7. G. Perrot. Revue des Deux Mondes, nov. 1870.
  8. Paul Ghio, L’Anarchisme aux États-Unis., p. 148.
  9. Philippe Monnier, Le Quattrocento, t. I. pp. 241 et suiv.
  10. J. Janssen, L’Allemagne à la Fin du Moyen âge.
  11. W. W. Rockhill, Diary of a Journey through Mongolia and Tibet, p. 154.
  12. A. S. Martin, Spain, its Greatness and Decay, p. 153.
  13. Arvède Barine, L’Italie Mystique.
  14. Philippe Monnier, ouvrage cité, t. II, p. 223.
  15. Günther, Wissenschaftliche Bergbesteigung.
  16. Rosenplut.
  17. J. Jansson, L’Allemagne à la Fin du Moyen âge.
  18. J. Janssen, vol. cité, p. 500.
  19. Grimm, Weisthümer ; — J. Janssen, l’Allemagne à la Fin du Moyen âge, p. 276 et suiv. ; — Maurer, Geschichte der Dorfverfassung in Deutschland.
  20. J. Janssen, ouvrage cité, pp. 393, 394.
  21. A. Froriep, Globus, 1903, p. 162.
  22. Richard Heath, Anabaptism, p. 4.
  23. Remy de Gourmont, Le Chemin de Velours, p. 30.
  24. V. Duruy.
  25. O siècle, ô belles-lettres ! Il plaît de vivre, quoiqu’il ne plaise pas encore de se reposer !
  26. S. Münck, Mélanges de Philosophie juive et arabe, p. 363.
  27. Ernest Nys, Autour de la Méditerranée.
  28. Avicenne, 980−1037. — Avempace, né à Saragosse en 1100, mort à Fez en 1138.
  29. Raoul Debardt, Revue Blanche, 1er déc. 1900. p. 302.
  30. Thomas Morus, De optimo reipublicæ statu, deque nova insula Utopia, p. 303.
  31. Arthur Heulhard, Rabelais, ses Voyages en Italie ; César Daly, Revue d’Architecture, 1841.
  32. Eugène Noël, Notes manuscrites.
  33. H. Fierens-Gevaert, Psychologie d’une Ville.
  34. Orlando furioso.
  35. a et b Pierre Margry, Navigations françaises.
  36. J. Partsch, Lage und Bedeutung Breslau’s, page 7.
  37. F. Kunstmann, Historisch-politische Blatter. 48, 1861.
  38. J. Janssen. ouvrage cité, p. 384.
  39. La Mas-Latrie, Traité de Paix et de Commerce.