L’Homme et la Terre/III/08

Librairie universelle (Tome quatrièmep. 85-160).
LES MONARCHIES : NOTICE HISTORIQUE


Angleterre. Henri Plantagenet, fils d’un duc d’Anjou et d’une petite-fille du Conquérant, monta sur le trône d’Angleterre en 1154, deux ans après avoir épousé Aliénor d’Aquitaine, épouse divorcée de Louis VII. La plupart des princes de cette famille, régnant jusqu’en 1485, se succèdent de père en fils aîné : Henri II, 1154−1189, Richard Cœur de Lion, 1189−1199, son frère Jean Sans Terre, 1199−1216, Henri III, 1216−1272, puis les trois Edouard, remplacés en 1807, 1327 et 1377. Le fils de ce dernier, le prince Noir, étant mort avant lui, son petit-fils Richard lui succéda, 1377−1399; puis trois Henri, IV, V et VI jusqu’en 1461. Edouard IV, enfin un des « enfants d’Edouard » et son meurtrier Richard III, 1483−1485.

Ecosse. Longue série de rois plus ou moins authentiques, dont les derniers furent Malcolm IV, 1153−1165, Guillaume, 1165−1214, Alexandre II et Alexandre III, 1249−1286; interrègne sous la domination anglaise que remplit la révolte de Wallace, exécuté en 1305. Robert Bruce relève l’étendard écossais et, vainqueur à Bannockburn, règne jusqu’en 1329; son fils David alterne avec un Baliol; mais dès 1370, les Stuart prennent le pouvoir et le conservent pendant plus de trois siècles.

France. La descendance directe de Saint Louis dura peu : Philippe III le Hardi, 1270−1285, Philippe le Bel, 1285−1314, et ses trois fils, Louis X, Philippe V, Charles IV, qui ne règnent que quatorze ans en tout. L’ordre de primogéniture appelle sur le trône Philippe de Valois, neveu de Philippe le Bel, mais Edouard III d’Angleterre était, par sa mère, petit-fils du même roi, fait qui explique la guerre de Cent ans. A Philippe VI, 1328−1350, succèdent Jean le Bon, 1350−1364, trois Charles, le cinquième du nom, le sixième ou le Fou, 1380−1422, et le septième, mort en 1461, puis Louis XI et Charles VIII qui mourut en 1498 sans descendance. Une nouvelle branche des Capétiens allait accéder au trône.

Les dates principales de la lutte franco-anglaise à partir du xiie siècle sont : traité de Péronne 1199, prise de Rouen 1204, traité de Chinon 1214, bataille de Saintes 1242, traité de Paris 1258, batailles de l’Ecluse 1340, de Crécy 1346, prise de Calais 1377, bataille de Poitiers 1356, paix de Brétigny 1360, bataille d’Azincourt 1415, alliance anglo-bourguignonne à Troyes 1420, Jeanne d’Arc 1429, traité d’Arras 1435, batailles de Formigny 1450, de Castillon et prise de Bordeaux 1453.

Le Trône de Saint Pierre ne compta pas moins de neuf occupants pendant les vingt-trois années qui suivirent la mort de Clément IV, 1268. Après eux, Boniface VIII, adversaire de Philippe le Bel, fut pape jusqu’en 1303 et Benoît XI jusqu’en 1305. La nomenclature classique énumère ensuite sept chefs de l’Eglise siégeant à Avignon, de Clément V, 1305−1314, à Grégoire XI, 1370−1378, rentré à Rome en 1377. A sa mort éclate le grand schisme d’Occident pendant lequel on voit des pontifes s’excommuniant de Rome à Avignon ou à Bâle. En 1447, la liste unique reprend avec Nicolas V.

Par suite du mariage du duc de Bourgogne, Philippe, fils de Jean le Bon avec Marguerite de Flandre, les deux territoires se trouvent dès 1384 dans les mêmes mains, et le duc exerce en France un rôle prépondérant. Après Philippe, mort en 1404, et Jean sans Peur, assassiné à Montereau, 1419, viennent Philippe le Bon, 1419−1467, et Charles le Téméraire, battu par les Suisses à Granson et à Morat en 1476 et tué devant Nancy en 1477.

Les empereurs élus en Allemagne de 1273 à 1437 appartiennent à différentes familles : aux Habsbourg, Rodolphe, 1273−1291, et Albert, 1298−1308, séparés par Adolphe de Nassau ; à la maison de Bavière, Louis, 1314−1347, et Robert, 1400−1410, mais surtout à celle de Luxembourg, Henri VII, 1308-1313, Charles IV, 1347−1378, Wenceslas, 1378−1404. et Sigismund, 1411−1438.

Des personnages sont cités dans les pages suivantes : Froissart, 1338−1404, né à Valenciennes, Gerson 1362−1428, né en Champagne, « docteur très chrétien », auteur probable de l’Imitation de Jésus Christ, un des juges de Jean Huss. La pensée s’arrête plus volontiers sur d’autres noms.

Bacon (Roger), expérimentateur et savant 
 1214−1294
Thomas d’Aquin, né à Rocca-Secca, père de l’Eglise 
 1226−1274
Dante Alighieri, poète florentin 
 1265−1321
Artevelde (Jacques et Philippe van), patriotes gantois, en 
 1345 et 1382
Pétrarque, né à Arezzo, poète 
 1304−1374
Rienzo, patriote romain 
 1313−1354
Du Guesclin, né près de Dinan 
 1320−1380
Wiclef, né à York, hérésiarque 
 1324−1384
Chaucer (Geoffroy), né à Londres, poète 
 1340−1399
Huss (Jean), né à Husinetz, patriote et hérésiarque 
 1369−1415
Jeanne d’Arc, née à Domremy, patriote française 
 1412−1431

masque remplaçant les gravures de František Kupka - en-tête de chapitre
masque remplaçant les gravures de František Kupka - en-tête de chapitre
MONARCHIES
Que de droits périssent et tombent dans l’oubli
quand ils ne sont pas soutenus par la force
des citoyens conscients, comme le fut la coutume
glorieusement revendiquée dans les vertes
prairies de la Tamise !


CHAPITRE VIII


FRANCE FÉODALE. — MAGNA CHARTA. — PARIS ET LONDRES

ALLEMAGNE SANS CAPITALE. — VIENNE. — PRINCES ÉLECTEURS
EXTENSION DU POUVOIR ROYAL EN FRANCE. — JUIFS ET USURE
GUERRE DE CENT ANS. — JACQUERIES. — BOURGOGNE ET FLANDRE
PESTE, BRIGANDAGE, ESCLAVAGE, TENURE DU SOL. — WICLEF ET HUSS

ECOSSE ET ANGLETERRE. — CHRÉTIENS ET MAURES

Malgré l’extrême fragmentation du monde féodal et la résistance acharnée que les seigneurs opposaient au groupement spontané des populations en organismes nationaux, l’extension considérable des échanges et la fréquence des voyages rapprochaient les hommes, élargissaient les horizons. De grands États tendaient à se constituer en conservant d’ailleurs la forme monarchique imposée par la timidité des esprits, qui n’osaient pas être libres. Seules, les communautés de pâtres montagnards, les républiques italiennes, les villes industrielles et commerçantes du nord de la France, de la Belgique, de l’Allemagne cherchaient à se maintenir en foyers indépendants.

Au milieu du treizième siècle, lorsque le mouvement des Croisades tirait à sa fin, l’une des parties de l’Europe qui, par sa configuration géographique, semblait le mieux destinée à se constituer en un corps politique distinct, cette France, qui déjà lors de la domination romaine formait, sous le nom de Gaule, une contrée bien délimitée dans l’ensemble de l’empire, avait été si totalement démembrée et déchiquetée par le régime féodal qu’il en restait à peine quelques lambeaux de territoire, auxquels s’ajoutait, il est vrai, la force virtuelle donnée par la suzeraineté royale. Ce beau polygone de terres, nettement limité par la Manche et l’Océan, par les Pyrénées, le golfe du Lion, les Alpes et le Jura, ne renfermait qu’un bien petit domaine royal représentant la France proprement dite : c’était à peu près la vingtième partie de la surface que l’on s’est habitué depuis à considérer comme terre française.

Le roi d’Angleterre était en même temps duc de Normandie, comte d’Anjou et des seigneuries qui s’y rattachaient ; en outre, un mariage heureux de Henri II Plantagenet avait ajouté l’Aquitaine à ces possessions anglaises : des Pyrénées à la Somme, plus de la moitié du territoire français se trouvait entre les mains d’un vassal, bien autrement puissant que le suzerain. Henri II, homme d’une activité prodigieuse et politique fort avisé, commença par consolider le pouvoir dans son royaume insulaire : il soumit les montagnards celtiques du pays de Galles, puis obligea le roi d’Ecosse, Malcolm, à lui rendre hommage, et, muni de l’incitation du pape, inaugura la conquête de l’Irlande, « l’île sœur », devenue l’île esclave. Revenu en France, il se fait concéder le comté de Nantes, ce qui lui permettra plus tard de prétendre à toute la presqu’île de Bretagne, puis il cherche, sans succès d’ailleurs, à s’emparer de Toulouse, en qualité de duc d’Aquitaine : il fait aussi valoir ses droits à la possession de l’Auvergne et du Berri : ce qu’il cherche, c’est à entourer complètement de ses domaines l’étroite enclave du roi de France. Il parvient même à établir ses garnisons dans quelques châteaux voisins de Paris, tels que Montfort l’Amauri[1] ; et le prétendu maître, cerné dans son « Ile », ne peut même plus communiquer facilement avec Etampes ou Orléans.

N° 334. Domaine royal en 1154

Le territoire grisé horizontalement est le domaine royal de Louis VII en 1154 ; la limite du royaume, de l’Escaut à la Saône, est indiqué par un liseré.

Les districts recouverts de hachures inclinées : Amiens, Beauvais, Noyon, Laon, Reims. Châlons, Langres, Toul, Metz, Verdun, Trêves, Liège, Cologne sont des fiefs ecclésiastiques.

Amiens, Corbie et Nesle sont les trois villes picardes ayant une convention commerciale avec Londres.


Un siècle et demi avant le début de la guerre de Cent ans, dans la seconde moitié du xiie siècle, le domaine continental de la couronne anglaise est plus étendu qu’il ne sera lorsque Jeanne d’Arc apparaît sur la scène. Ce qui sauva peut-être la continuité de la monarchie française sous la forme qu’elle présentait alors, ce fut la résidence du pape Alexandre III (1163&minus ;1165) dans le pays du « fils aîné de l’Église ». Louis VII, auquel son hôte pontifical avait remis la « rose d’or », emblème de piété parfaite, put bénéficier du double prestige de la royauté et de la sainteté. Alexandre, établi dans sa ville de Sens, devenue momentanément une véritable Rome, était alors le vrai souverain, protecteur du roi de France. Pendant ce temps, Henri II se mettait dans une situation périlleuse à regard de l’Église par ses « constitutions » de Clarendon (1164), en vertu desquelles les prélats catholiques devenaient de simples vassaux et les terres d’église étaient assujetties à l’impôt royal. Le meurtre de Thomas Becket, archevêque de Canterbury (1170), accompli par des chevaliers empressés de faire leur cour au roi d’Angleterre, souleva contre lui de telles indignations qu’il dut même reculer et demander pardon à l’Église. Ces épisodes fournirent un nouveau répit au roi de France. Puis les dissensions de famille, la révolte des fils de Henri retardèrent encore les ultimes annexions qui semblaient inévitables ; enfin Barberousse lui-même, craignant un rival à l’empire d’Allemagne dans cet ancien comte d’Anjou, qui s’avançait en conquérant jusque dans les Alpes, intervint quelque peu en faveur de Louis VII. Par un remarquable contraste, ce pauvre roi bigot, plutôt moine que chevalier, fut peut-être le suzerain de France sous lequel l’idée de l’unité géographique du pays et son existence virtuelle comme grand État se préparèrent le mieux dans les esprits.

Aidé par ses alliés naturels, qui étaient la terre elle-même et les affinités qui se forment entre gens ayant langage et culture en commun, le successeur de Louis VII, Philippe II, put reconstituer en grande partie le domaine sur lequel son père n’avait eu que des droits fictifs de suzeraineté : après de grands périls auxquels il sut échapper bien plus encore par la ruse que par la force, il réussit enfin à restaurer le royaume. En 1206, Philippe arrache à Jean sans Terre la Normandie, la Bretagne, la plus grande partie de l’Anjou et de la Touraine, puis, devenu chef d’un grand État, il remporte la victoire de Bouvines (1214), à la fois sur les troupes anglaises de Jean sans Terre et l’armée allemande de l’empereur guelfe, Otton IV. On lui donne le surnom d’ « Auguste » qu’il mérite pleinement, non par la noblesse de son caractère, mais par le succès de ses entreprises. Pourtant il ne recouvra point l’Aquitaine, trop éloignée de Paris, sa capitale, mais c’est sous son règne que commença cette invasion du comté de Toulouse et des terres voisines qui devait avoir pour conséquence de livrer, appauvries et dépeuplées, les villes et les campagnes du Midi aux pillards de la France du Nord. Obligée de se soumettre au pouvoir de la royauté, la chevalerie prenait sa revanche en massacrant la foule des roturiers.

N° 335. France et Angleterre vers 1180

Cette carte est à l’échelle de 1 à 7 500 000.

Le grisé recouvre la France non anglaise de 1154 à 1187 ; la diminution graduelle de ce fief est indiquée par ses limites aux dates ultérieures, 1200, 1259, 1328. Entre-temps, la France avait incorporé le Vivarais et le Valentinois. — P. marque l’emplacement de Péronne (traité de 1199) ; B. celui de Bouvines (bataille de 1214).

Ce régime féodal auquel la France échappait à grand’peine pour refaire son unité, non par la fédération libre de ses provinces mais sous la domination d’un maître commun, ce régime, l’Angleterre ne l’avait pas connu sous la même forme que la France et l’Allemagne. Tandis que sur le continent, le serf cultivateur du sol dépendait uniquement de son maître et que celui-ci, à son tour, ne devait fidélité qu’à son seigneur immédiat, sans avoir à s’inquiéter de la volonté du roi ni à se reprocher le crime de rébellion s’il avait suivi son propre suzerain dans une expédition de révolte, il n’en était pas de même en Angleterre, où tous les habitants étaient considérés comme sujets directs du roi. Guillaume le Conquérant avait exigé de tous un serment de féauté à sa personne, et chaque vassal ou sous-vassal était tenu pour responsable envers le maître commun avant de l’être envers son maître particulier. Chacun des hommes d’armes était « homme du roi » avant d’appartenir à son baron. Ce fut une des causes qui donna plus tard aux armées anglaises une si grande force de cohésion lorsqu’elles se trouvèrent en lutte avec les bandes françaises, unies seulement les unes aux autres en la personne de leurs chefs[2].

Cette forme de vassalité, si différente de celle qui s’était maintenue en France et dans le centre de l’Europe, avait eu une autre conséquence parmi les seigneurs eux-mêmes : l’ensemble de leur classe présentait une organisation plus démocratique. Moins séparés du pouvoir central puisque les degrés de la hiérarchie féodale étaient plus effacés, ils pouvaient se plaindre, protester, se révolter plus directement, et l’accord était plus facile entre eux, quand ils voulaient tenter une action commune. L’occasion s’en présenta dès le commencement du treizième siècle, lorsque Jean sans Terre, ayant signé le traité de Chinon (1213), par lequel il abandonnait au roi de France la plus grande partie de son domaine continental, débarqua en Angleterre, vaincu, bafoué, demandant à ses barons et à son peuple de lui payer les frais de la malheureuse guerre. L’indignation fut universelle et réconcilia contre le roi, prêtres, nobles et bourgeois. S’appuyant sur une vieille charte de Henri Ier, qui promettait « à l’Eglise le respect de ses biens et la liberté de ses élections, aux nobles la libre transmission de leurs fiefs, à tous les Anglais une bonne monnaie et une législation clémente », les seigneurs se pressent autour de Jean sans Terre et le somment de signer l’engagement solennel de respecter désormais leurs franchises et libertés.

Cabinet des Estampes.Bibliothèque Nationale.
vue ancienne de londres
1. Eglise de Saint-Paul. 2. Saint-Laurent. 3. Saint-Duston.
4. La Tour. 5. Winchester. 6. Sainte-Marie Overs.
  7. Saint-Olawes.


Il refuse avec colère, mais quand il voit la guerre se préparer et les barons armés l’entoure menaçants dans la plaine de Runnymede, près de Windsor, il signe, la mort dans l’âme, le document fameux connu depuis sous le nom de « Grande charte », Magna charta. En réalité, cette pièce arrachée au faible roi méprisé n’était autre que les « coutumes » normandes qui assuraient aux seigneurs le droit de vote par leurs représentants dans la fixation de l’impôt ; peut-être aussi, pour certains détails, Simon de Montfort, qui eut une si grande pari à la rédaction de la Charte, appliqua-t-il à l’Angleterre le régime de l’Aquitaine, dont il avait été gouverneur[3]. Mais que de droits périssent et tombent dans l’oubli quand ils ne sont pas soutenus par la force comme le fut la « coutume » glorieusement revendiquée en ce jour du 15 juin 1215, dans les vertes prairies de la Tamise ! En termes explicites, la Grande charte ne contient que peu de chose : elle ne fait que consacrer d’anciens privilèges de l’Eglise, des seigneurs, des bourgeois et des marchands ; elle ne stipule rien en faveur des paysans et du menu peuple ; mais elle est placée sous la sauvegarde d’hommes en armes qui veillent à l’exécution des promesses du souverain : l’Angleterre n’était pas livrée au pur caprice d’un maître absolu comme la France, et cela suffit pour l’orienter dans une voie plus heureuse et plus digne. Guillaume, par sa conquête et sa politique, avait brisé l’organisation urbaine qui naissait en Grande-Bretagne comme sur le continent ; mais les ardeurs ne s’en tirent que mieux jour pour avoir été contenues pendant cent cinquante ans : la royauté anglaise resta astreinte à l’observance de la Grande charte, alors que les autres monarchies écrasaient la liberté des Communes.

Quoique l’Angleterre, partie intégrante de l’Europe, participât à l’évolution féodale des contrées baignant dans les mêmes eaux atlantiques, et que, pendant plusieurs siècles, ses princes et ses nobles, de Guillaume le Conquérant à Simon de Montfort, fussent à la fois seigneurs dans l’île et sur la terre ferme, cependant l’existence du détroit, constituant une limite évidente pour tous les esprits, donnait un caractère particulier à la vie politique des insulaires. A une époque où la langue, la religion, les mœurs, les traditions de famille étaient les mêmes chez les nobles de l’Angleterre et chez ceux de la Normandie et de l’Anjou, les premiers arrivaient bientôt à se considérer comme formant un groupe à part : ils se constituaient en aristocratie distincte, et c’est comme « barons anglais » qu’ils arrachèrent au roi Jean cette précieuse charte qui fut la sauvegarde de leurs privilèges et, par évolution lente, la garantie de la constitution britannique[4].

Mais il y eut aussi des révolutions, quoi qu’on en dise, et l’année même où le serment solennel avait été juré dans la prairie de Runnymede fut l’année du parjure. Jean sans Terre obtint d’Innocent III, le pape qui distribuait les terres à son gré, une bulle de révocation de la parole donnée, et des bandes de mercenaires vinrent aider le roi à reprendre les villes et les châteaux de son royaume. Dans leur anxiété, les barons firent appel à Philippe Auguste, offrant la couronne à son fils, celui qui, plus tard, devait occuper le trône de France sous le nom de Louis VIII. L’Angleterre méridionale fut conquise une deuxième fois par l’étranger, tandis qu’au Nord le roi d’Ecosse, Alexandre II,
Cabinet des Estampes.Bibliothèque Nationale.
simon de montfort
Baron anglo-normand, chef de la croisade contre les Albigeois, vainqueur à Muret 1213. collaborateur de la Grande charte 1215, tué devant Toulouse 1218.
s’emparait des terres limitrophes. Mais Jean sans Terre étant mort sur ces entrefaites, les événements changèrent de cours ; le jeune roi Henri III put accepter la Grande charte sans trop d’humiliation, et les Français, battus à Lincoln (1217), durent évacuer le territoire.

Cinquante ans après, sous ce même roi, le conflit reprit de nouveau, le « parlement » des barons s’assembla, obligeant le roi au respect de la charte, lui imposant des conseillers, des contrôleurs et des juges : la guerre dut régler le litige, et le roi, vaincu à la bataille de Lewes, tomba captif (1264) entre les mains du comte de Leicester, fils de Simon de Montfort, le terrible adversaire des Albigeois. Le prisonnier n’avait plus qu’à obéir ; mais, quand même, la Grande charte eût été exposée à devenir lettre morte par suite de conjurations et d’alliances avec des souverains étrangers si Montfort n’avait pas compris que la noblesse seule serait impuissante à la longue et qu’il fallait qu’elle s’alliât à la bourgeoisie naissante. Dès l’année suivante se réunissait un parlement dans lequel nombre de villes et de bourgades étaient représentées chacune par deux bourgeois qui discutèrent en des conditions d’égalité avec les mandataires nobles des comtés, élus également au nombre de deux pour chaque circonscription. Cette innovation, qui devait survivre à l’ascendant du comte de Leicester, est évidemment l’origine de la chambre des Communes, dont l’histoire se confond avec celle de l’Angleterre elle-même et qui exerça sur le monde entier, par la force de l’exemple et de l’imitation, une influence si considérable pendant les siècles qui viennent de s’écouler.

Le langage des Anglais se modifiait en même temps que les mœurs et les institutions politiques. En arrivant en un pays étranger, où tous les habitants parlaient une langue différente de la leur, Guillaume le Conquérant et ses barons n’avaient point essayé d’imposer leur parler français aux populations assujetties ; au contraire, par l’expression de leur pensée, il leur plaisait de se sentir autres que la multitude asservie : cela même constituait à leurs yeux une incontestable supériorité. Mais, par la durée de la domination, les seigneurs et ceux qu’ils avaient amenés avec eux apprirent peu à peu l’anglo-saxon, tandis, que le français se répandait chez les Anglais : le vocabulaire de chacune des deux langues, s’enrichissait par des emprunts et, bien que les ordres, les décrets, les actes légaux fussent toujours publiés en langue populaire afin que la foule des sujets pût les comprendre, des termes franco-normands s’y mêlaient de plus en plus nombreux. Puis, deux cents ans après la conquête, lorsque tous les barons parlaient déjà l’anglais entre eux et que leurs fils étaient, obligés d’apprendre le français comme une langue étrangère, se produisit ce fait étrange que l’anglais fut abandonné dans tous les documents politiques et légaux pour laisser la place au français comme langage officiel, C’est que Rouen avait été pendant longtemps la vraie capitale de l’Angleterre, ou du moins la résidence la plus habituelle de la cour, et que la France exerçait une force d’attraction puissante comme royaume à conquérir en entier. Toutefois ces efforts d’en haut furent impuissants contre la poussée qui se produisait dans la masse populaire. En 1362 l’anglais remplaça le français à l’ouverture du Parlement et des tribunaux, et l’usage exclusif de la langue nationale fut ordonné pour les débats et les plaidoiries[5]. La pédanterie juridique maintint néanmoins pendant longtemps l’usage de transcrire en français tous décrets, lois et actes légaux ; de nos jours encore, après l’interruption qu’amena la période républicaine, de vieilles formules en grimoire franco-normand paraissent indispensables aux légistes et chanceliers en perruque pour assurer à l’Etat britannique son fonctionnement normal.

N° 336. Plaine du nord de la France.

Les noms en capitales sont ceux des villes ayant conquis leur charte municipale, mais il en manque, par exemple Compiègne, Saint-Quentin, Evreux ; d’autre part, parmi les noms inscrits en plus petits caractères, Senlis et Sens avaient bien quelque franchise, mais elle leur avait été concédée plutôt par le bon vouloir des suzerains que par suite de l’audace des habitants.

Le contraste des deux pays, la France et l’Angleterre, devait se reproduire et se caractériser dans leurs capitales, Paris et Londres. Ces villes occupent d’ailleurs des positions prédestinées de par leur milieu géographique à exercer un rôle de première importance dans l’histoire de l’Europe et du monde.

N° 337. Paris sous Philippe-Auguste.
1. Notre-Dame. 2. Hôtel-Dieu. 3. Châtelet.
4. Saint-Eustache. 5. Saint-Germain-l’Auxerrois. 6. Le Louvre.
7. Thermes de Julien. 8. Saint-Merry.

Paris se trouve au centre naturel, à la fois géologique et géographique, de tout le bassin compris dans l’enceinte de hauteurs dont les Ardennes, le Morvan et les collines du Perche forment les principaux bastions extérieurs ; il est le lieu de rendez-vous nettement indiqué pour toute la région, d’autant plus que les routes historiques tracées vers la cité par les vallées des rivières sont disposées comme les rayons convergents d’un demi-cercle : elles viennent de la haute Loire et du haut Allier par Montargis et Nemours, d’Autun par Clamecy et Auxerre, des plateaux de la Côte d’Or par Troyes et Montereau, des confins de la Lorraine par le cours de la Marne, des frontières de la Belgique par les bords de l’Oise, et de l’estuaire de la Seine par Rouen.

N° 338. Londres au treizième Siècle.
1. Saint-Paul. 2. Ludgate. 3. Newgate.
4. Aldergate. 5. Cripplegate. 6. Moorgate.
7. Bishopsgate. 8. Aldgate. 9. St-Martin-le-Grand.
  10. Leadenball.

Au Sud-Ouest, la plaine rase de la Beauce est encore plus facile à parcourir qu’une vallée fluviale et donne accès facile aux belles campagnes de la Loire, d’où un réseau de voies, de tout temps suivies, s’épanouît dans la direction du Sud et de l’Ouest, Paris a tous les avantages comme lieu de concentration : comparée à Londres, il lui manque seulement le chemin de la mer, quoiqu’elle ait été fondée par une corporation des mariniers et ait pris pour blason symbolique un navire ballotté par les flots. Mais si Paris n’avait au moyen Age aucun trafic direct avec la mer, elle n’en commandait pas moins les routes qui du centre de la France mènent au littoral et en gouvernait le mouvement par ses ports d’attache.

Londres, on le voit sur la carte, avait au plus haut degré la supériorité maritime pour les échanges avec les contrées d’Europe qui lui faisaient face, et en outre, elle était devenue le principal entrepôt de l’Angleterre par toutes les routes qui rayonnaient vers les autres ports et estuaires des côtes du Sud, de l’Ouest et du Nord. Mais pourquoi, s’est-on fréquemment demandé, la cité de Londres n’est-elle pas devenue la capitale officielle du royaume anglais ? Le siège du gouvernement ne semblait il pas dû à la cité la plus importante du royaume ? Pourquoi le petit village saxon de Charing, situé à quelques portées de flèche en dehors des murailles, fut-il le lieu de campement des chefs saxons, et pourquoi Westminster, son héritière, a-t-elle été choisie par les rois normands comme le centre de la vie politique ? Précisément parce que Londres, occupée par des marchands et des marins qui se régissaient selon des lois distinctes, constituait un microcosme d’origine antique et respectée, un État enclavé ne tenant à l’ensemble du royaume que par la reconnaissance du même souverain. C’est ainsi que les Mandchoux, descendant vers l’empire du Milieu, fondaient une ville tartare à côté de chaque ville chinoise, et que les barbares Touareg veillaient en armes dans leur campement aux portes de Tombouctou. C’est peut-être à cause de ce caractère de double capitale que London-Westminster a reçu en français, sous la forme de Londres, la marque du pluriel. Et pourtant, Lyon et Marseille ont prit la même terminaison dans l’orthographe anglaise, ce dont ne rend pas compte celle explication.

Quant à la Germanie impériale, elle n’avait et, d’après l’idée même qu’on se faisait de l’empire, ne pouvait avoir d’autre capitale que Rome, la résidence des antiques Césars. L’obligation morale qui incombait aux empereurs de s’y faire couronner fut l’occasion principale des guerres que les armées du Nord promenaient incessamment dans les campagnes de l’Italie ; c’était, du reste, la seule expédition pour laquelle les princes allemands dussent un contingent à leur élu.

Mais, au nord des Alpes, une ville s’imposa. Frankfurt, « gué des Franks », qui, dès le règne de Louis le Germanique, avait été le marché le plus actif du « Royaume oriental », prit naturellement une importance de premier ordre lorsque la plaine jadis lacustre, puis marécageuse, où elle s’élève eut été desséchée ; il est peu de régions en Allemagne qui occupent une situation plus centrale.

N° 338. Le Rhin, de Strasbourg à Cologne


Elle est bâtie sur le Main, non loin de son confluent avec le Rhin, et sur la ligne transversale formée de l’Est à l’Ouest vers le milieu de la vallée du grand fleuve allemand par les deux cours du Main et de la Nahe, arrivant en sens inverse. C’est là qu’aboutit la voie historique de tout temps suivie entre le Danube et le Rhin, et doublée même au temps de Charlemagne par un canal de jonction entre les deux fleuves ; Frankfurt était, de Vienne à la mer du Nord, le principal lieu d’étape pour les marchands ; en outre, la grande route de l’Est se dirigeant vers la brèche de la Saxe, entre les montagnes de la Thuringe et celles de la Franconie, avait également Frankfurt comme lieu de diramation dans le bassin rhénan, et d’autres routes moins importantes s’y rattachaient aussi. On comprend donc que la ville ait acquis dans le mouvement des échanges de l’Allemagne une très grande force d’attraction et que le monde politique y ait eu son centre temporaire. Elle devint la ville électorale des empereurs, et son hôtel de ville, dit Rômer ou « le Romain », en garde comme un reflet de Rome, la capitale virtuelle de l’empire.

Quelle autre cité de l’Allemagne aurait pu prendre une prépondérance incontestée, alors que l’empire, à frontières toujours flottantes entre les Français à l’Ouest, les Slaves à l’Est, les Italiens au Sud, se trouvait divisé à l’intérieur en une multitude de souverainetés et de fiefs aux limites non moins changeantes, et que le suzerain, pris successivement en diverses familles, déplaçait fréquemment sa résidence, appelé de-ci ou delà suivant les oscillations de la politique et les hasards de la guerre ? Souvent même l’empereur séjournait en dehors de l’Allemagne, tel Frédéric II dans sa ville italienne de Lucera, au milieu de Normands et de Sarrasins. Par ses massifs de montagnes, et plus encore par ses vastes forêts parsemées d’étangs, l’Allemagne était partagée en contrées bien distinctes et toutes d’assez grande importance pour balancer mutuellement leur pouvoir. Tandis qu’en France, le bassin moyen de la Seine, uni à celui de la Loire, avec Paris pour centre de gravité, l’emportait évidemment en cohésion et en puissance sur le cercle de terres basses entourant le massif central des plateaux et des monts, où fallait-il chercher le foyer vital par excellence dans cette vaste Germanie, s’étendant du Rhin à la Vistule ? La grande vallée rhénane elle-même se décomposait en deux régions aussi différentes au point de vue de l’histoire qu’à celui de la géologie : au Nord Cologne équilibrait en population et en gloire les villes du bassin méridional, Strasbourg, Spire, Mannheim, Worms, Francfort et Mayence. Le grand bassin de la Bavière, où le haut Danube entraîne les gaves puissants des Alpes, formait aussi une région naturelle où devaient se constituer des centres politiques de premier ordre, Nürnberg, Augsburg, Regensburg, Passau et, plus tard, Munich. La Saxe, bien appuyée sur l’Erzgcbirge et les montagnes de la Thuringe, constituait une autre province naturelle, grâce à l’Elbe moyenne et à sa belle ramure d’affluents, tandis qu’au nord-ouest le bassin de la Weser, avec ses nombreux petits États, faisait la transition entre les campagnes de l’Elbe et celles du Rhin.

francfort-sur-le-main, salle du römer


Au nord, les landes du Brandenburg, ses tourbières, ses traînées de lacs et ses lents ruisseaux appartenaient à une nature différente, qui déjà ressemblait à celle des grandes plaines de la Slavie et qui donnait aux habitants de la frontière germanique le rôle de sentinelle avancée. Enfin sur les deux mers se succédaient les ports de commerce, également devenus les centres d’une puissance politique très sérieuse, surtout après l’alliance de Hamburg et de Lübeck (1241), qui fut l’origine officielle de la ligue hanséatique.

N° 340. Vienne et le Danube au moyen âge

L’Allemagne proprement dite, avec tous ses royaumes, duchés, comtés, seigneuries, villes libres et confédérations diverses, comprenait aussi les pays des Alpes, le Tirol, la Carinthie, la Styrie et l’Autriche, de même que les vallées dont la population se groupe de nos jours sous le nom de « Suisse allemande ». La cité de Vienne, qui devait plus tard acquérir une importance de premier ordre comme centre d’activité mondiale, devenait alors le foyer principal d’attraction pour les Allemands du sud-est. Elle était en même temps la gardienne de l’empire contre les envahisseurs de races diverses qui se pressaient à l’Orient et contre les Slaves qui occupaient en force les montagnes, les plaines du nord, ainsi que le grand quadrilatère de la Bohème, coupant les communications directes de l’Autriche avec les régions populeuses et plus civilisées de la Germanie nord occidentale. Vienne occupait alors une position d’avant garde très menacée et ne se rattachait à l’Allemagne que par l’étroite vallée du Danube moyen, réduite en certains endroits à de simples défilés par les avant-monts des Alpes et du Böhmerwald. Mais cet état de lutte même lui donnait un caractère d’autant plus précis comme individualité germanique, malgré le mélange des races qui s’y accomplissait sans cesse, comme dans un creuset la fusion des métaux. Tirant de l’Allemagne entière ses ressources en connaissances et en force morale pour sa continuelle résistance contre les agressions du monde oriental. Vienne transformait tous ses éléments ethniques en Allemands, d’ailleurs très différents des purs Germains de la Souabe et de la Thuringe.

N° 341 Vienne et le Danube au vingtième Siècle

Antique cité gauloise, puis romaine, Vindomina, devenue Vindobona, finit par réunir en elle tous les avantages géographiques des lieux riverains du Danube qui se succèdent dans la traversée de l’Autriche proprement dite, entre le confluent de l’Inn et celui de la March ou Morava. Deux de ces villes avaient pour les Romains une importance spéciale, Laurcacum, le village actuel de Lorch, où venait aboutir la route principale que suivaient les légions à travers les chaînes parallèles des Alpes, et Carnuntum, en aval de Vindobona, en face de la large plaine où serpente la Morava, avant de se joindre au Danube. Les chemins des Alpes, partant des deux bords de l’Adriatique, la rive italienne et la rive istriote, s’unissent à Vienne, qui se trouve précisément à l’angle nord-oriental du système des Alpes proprement dites, au lieu d’arrivée dans la plaine du Danube de tous les chemins naturels descendus de la montagne : ces conditions assuraient ainsi à la ville l’avantage de surgir au point de croisement des deux grandes voies maîtresses de l’Europe centrale, la route danubienne entre Paris et Constantinople et la route moravienne entre l’Italie et le littoral baltique : de toutes les villes du continent qui servent de carrefours à des routes transversales du même genre, Vienne est certainement celle qui eut la plus grande importance historique. Depuis le moyen âge, la capitale autrichienne a encore augmenté sa puissance en devenant maîtresse du grand fleuve dont autrefois elle redoutait le trop proche voisinage.

Le treizième siècle fut pour l’Allemagne l’époque pendant laquelle le pouvoir impérial eut le moins de force et où, par une conséquence naturelle, les initiatives locales se firent le mieux sentir. Ce fut l’âge le plus heureux de la nation et jamais son développement ne fut plus rapide dans les connaissances et dans les arts. Frédéric II, dont le règne dura pendant l’espace de toute une génération (1215 à 1250), avait habitué ses peuples à se passer de lui : s’il régnait officiellement, guerroyant ou légiférant quelque part, dans le sud de l’Italie ou en Orient, la vie indépendante des cités allemandes se manifestait dans l’accomplissement des œuvres nationales. Même dans les documents publics et malgré les moines, la langue populaire devenait le véhicule de la pensée. Les poètes, qui voyagent de ville en ville et de cour en cour pour y réciter leurs chants, se rencontrent et s’instruisent mutuellement dans l’emploi d’un langage pur, harmonieux et logique se substituant aux parlers provinciaux. En même temps des hommes laborieux étudient le pays et en résument la géographie, l’histoire, les légendes, la jurisprudence. Les architectes construisent alors les édifices superbes du style ogival, qui sont encore la gloire des cités du bassin rhénan et, à un moindre degré, des autres régions allemandes. Enfin déjà commence à se préciser et à devenir conscient cet amour de la nature que ressentent si profondément les poètes de la Germanie et qui dans les derniers siècles a produit tant de belles œuvres littéraires. En pleine période de chasses et de guerres incessantes à l’animal et à l’homme, quelques forêts étaient cependant interdites à toute œuvre de sang. L’une d’elles était la forêt du Harz : « Quand Dieu créa l’homme », dit le Sachsen-Spiegel, au commencement du treizième siècle, « quand Dieu créa l’homme, il lui donna pouvoir sur les poissons, les oiseaux et tous les animaux sauvages. Pourtant il y a trois lieux où le ban du Roi assure la paix aux animaux… Quiconque capture du gibier en ces endroits paiera l’amende de soixante sous. Celui qui chevauche à travers les bois interdits doit avoir son arc détendu, son carquois recouvert et ses chiens tenus en laisse ».

N° 342. terre des Chevaliers teutoniques.

Malgré les invasions, l’élément ethnique de la Germanie continua de gagner dans la direction de l’Est et du Nord par refoulement et assimilation graduelle des populations slaves : le Holstein, le Mecklembourg, la Poméranie devinrent des terres tout à fait allemandes, et, sous le commandement de Hermann von Salza, 1330−1337, les chevaliers teutoniques fondèrent des colonies d’Allemands dans les provinces « baltiques » de Courlande, de Livonie et d’Ehstonie.

Même dans le plus grand péril de guerre, l’Allemagne, unie par le sentiment du danger, pouvait se passer de l’empereur. Ainsi, lorsque les Mongols, après avoir triomphé de toute résistance dans les contrées de l’Europe orientale, se ruèrent contre les pays allemands, en 1241, l’empereur régnant, Frédéric II, semble n’avoir eu aucune part à la résistance, même par sa diplomatie, ce furent les populations des pays immédiatement menacés, surtout la Moravie et la Silésie, Slaves et Allemands, qui soutinrent le terrible choc à la bataille de Liegnitz et, quoique vaincus, par leur attitude firent comprendre aux vainqueurs qu’il était plus sûr de ne pas pousser plus avant ; l’invasion mongole, déviant vers le Sud, alla se disperser sur les côtes de la Dalmatie. En dépit de l’ « interrègne » de près d’un quart de siècle (1254 à 1273), l’Allemagne ne cessa de prospérer moralement en puissance et en civilisation ; on nomma des rois, mais comme des êtres virtuels, choisis en pays étranger et gardant leurs noms. On n’avait pas à craindre l’intervention de Guillaume de Hollande, Richard de Cornwales, Alphonse de Castille : princes et peuples allemands se passaient d’eux, comme ils s’étaient passés des Hohenstaufen italiens.

C’est qu’une importante évolution s’accomplissait alors dans l’idée que les Allemands se faisaient du pouvoir impérial. A l’origine, le souvenir prestigieux de l’ancien empire romain dominait tellement les esprits que les ambitieux se donnaient pour but unique de le continuer : c’est à Rome qu’ils devaient être sacrés, et si la traversée des Alpes donnait lieu à de grandes dépenses pour l’entretien du cortège, le voyage en pleine Italie, entre des cités souvent hostiles et sous la menace constante d’assauts et de révolutions locales, les obligeait à se faire accompagner d’une armée ; chaque visite d’apparat se transformait en campagne de guerre. La dernière expédition de ce genre, celle de Conrad IV, fils de Frédéric II, s’était même terminée de la manière la plus fatale. Charles d’Anjou s’était emparé de l’Italie du sud et de la Sicile au détriment de l’empire, et le fils de Conrad, le jeune et gracieux Conradin, dernier des Hohenstaufen, fut publiquement décapité à Naples (1368), tragique aventure que le romantisme patriotique des Allemands ne pardonna jamais à la France. Charles Ier de Naples fut du reste le mauvais génie de sa famille ; après le meurtre de Conradin, c’est lui qui dirigea vers Tunis la croisade où son frère saint Louis devait mourir, c’est lui qui, par sa politique « orthodoxe » succédant à la mansuétude religieuse des Hohenslaufen, provoqua les Vêpres siciliennes, lui enfin qui engagea son neveu Philippe III dans la malheureuse expédition du Roussillon (1285). Le voyage de l’empereur au-delà des monts était donc accompagné de dangers indéniables, mais la notion d’empire n’en restait pas moins populaire, bien que les électeurs féodaux, princes civils et ecclésiastiques, craignant de se donner un maître trop puissant, hésitassent souvent beaucoup avant d’élire un candidat.

vallée du rhin à saint-goar

Pendant le cours du treizième siècle se constitua d’une manière distincte le corps électoral qui devait, à la place du pape, conférer aux futurs empereurs la majesté du pouvoir. Il se composait de sept princes, les trois archevêques de Mayence, de Cologne, de Trèves et quatre seigneurs temporels, le duc de Saxe, le comte palatin du Rhin, le margrave de Brandenburg et le roi de Bohême : mais celui-ci, souverain étranger par la race, bien que rattaché à l’Allemagne par de multiples intérêts, avait à défendre son privilège contre le duc de Bavière.

N° 343. Villes et Provinces d’Allemagne.

Cette carte porte l’indication Prusse, conformément à la réalité actuelle, tandis qu’aux treizième et quatorzième siècles, c’est la province à l’est de la Vistule qui portait ce nom. (Voir carte n° 342.)


La puissance de l’Allemagne, représentée par les sept grands électeurs, avait son centre de gravité dans la partie occidentale de l’empire, et la vallée du Rhin, la « rue des Prêtres ». comme on disait parfois à la pensée des innombrables églises et des somptueuses cathédrales riveraines du fleuve, avait à elle seule la majorité des votes ; mais, quoique les archevêques rhénans eussent dans le conseil électoral une influence souvent décisive et qu’on fût tenté de voir en eux des représentants du pape, l’influence directe du pontife romain était désormais écartée.

N° 344. Relief de l’Allemagne

Le col de Taus est indiqué sur cette carte ; sur la carte n° 343, T. marque l’emplacement de la ville de Taus, celui de Lorch, C, celui de Carnuntum. (Voir page 105.)

Même en 1330, un manifeste formel établit nettement l’indépendance des électeurs impériaux en face des prétentions de Rome : il spécifie que les pouvoirs de l’empereur émanent exclusivement de l’oligarchie des princes.

En 1273, après l’ « interrègne », le choix des électeurs tomba sur un seigneur de rang secondaire, Rodolphe de Habsbourg, qui dut probablement sa fortune à la modestie relative de son rang. Le nouvel empereur, réduit à l’impuissance dans la grande politique, déjà lié, comme nombre de souverains modernes, par les règles de la constitution et les traditions du ministère, dut se borner à bien asseoir ses droits et privilèges de famille. Cependant quelques-uns de ses successeurs se laissèrent encore aller à la fascination de Rome et de l’Italie, mais sans résultat sérieux. Et non seulement la Péninsule échappait à l’empire, le royaume d’Arles aussi devenait difficile à gouverner et se fragmentait au profit de la monarchie française ; de plus, les routes se fermaient qui traversaient les Alpes suisses, les représentants des vallées s’étant unis par serment pour sauvegarder leur indépendance contre les prétentions des Habsbourg et de leurs baillis. Le duc Léopold d’Autriche pénétra imprudemment avec ses chevaliers lourdement armés dans les hauts défilés des Alpes : les pierres et les massues y triomphèrent des lances. La bataille décisive gagnée par les montagnards à Morgarten (1315) assura l’autonomie des cantons forestiers, noyau de la Confédération suisse. Lorsque le conflit se renouvela, vers la fin du siècle, les batailles de Sempach (1386) et de Næfels (1388) prouvèrent de nouveau que les monts de la Suisse étaient un rempart intangible.

Le domaine d’activité des empereurs allemands ne dépassait guère les régions méridionales et occidentales de la Germanie proprement dite ; les contrées du nord et de l’est se trouvaient sous la dépendance des villes hanséatiques, des chevaliers teutons et des margraves de Brandebourg, constituant ainsi un groupe distinct ayant déjà sa vie propre et contenant en soi les germes de cette individualité politique destinée à devenir la Prusse. Le contraste qui devait un jour prendre une importance capitale entre les deux grandes puissances de l’Allemagne, Autriche et Prusse, commençait à se dessiner historiquement : d’ailleurs, n’était-il pas déjà indiqué par le relief même des terres ? Les campagnes du moyen Danube et les terres sableuses où serpentent les rivières, où dorment les lacs d’entre Elbe et Oder, sont nettement séparées par le grand quadrilatère de la Bohême, ceint de montagnes et de forêts ; tandis qu’à l’ouest de l’Allemagne le cours du Rhin unissait franchement les contrées du nord à celles du sud et, par ses affluents Main et Neckar, mettait en libre communication l’Autriche, le Tirol, le pays de Salzbourg, la Bavière, la Souabe avec la Thuringe, la Hesse, la Westphalie.

Cl. J. Kuhn, édit.
cathédrale de beauvais, — la nef

En France, où l’unité politique était beaucoup mieux indiquée par la nature, mais où elle ne pouvait être complètement réalisable qu’après la ruine des grands fiefs, la lutte se continuait entre le roi et ses vassaux. Après Philippe-Auguste, la diplomatie royale ne se maintint pas avec la même rigueur inflexible vers la subordination de toutes les fonctions à l’Etat ; toutefois, dans l’ensemble, la royauté française accrut fortement son pouvoir, non seulement aux dépens des hauts feudataires mais également du pape ; même le roi dont l’Eglise fit un « saint », Louis IX, ne se laissa point diriger par le clergé : plus sincèrement religieux que la plupart des prêtres et des moines, il pouvait se passer de leurs conseils. Un de ses successeurs, Philippe le Bel, qui monta sur le trône en 1285, put aller plus loin dans sa lutte contre l’Eglise : devancier de maint souverain moderne, il fut en plein moyen âge un diplomate retors, méprisant toute chevalerie, s’entourant de bourgeois aussi fins que lui, ne visant qu’à de bonnes affaires pour accroître méthodiquement son pouvoir et ses biens. Le pape que, précisément, il eut pour adversaire était un nouveau Hildebrand. Boniface VIII, un prêtre qui prétendait à la domination des corps aussi bien qu’à celle des âmes et qui croyait encore à la vertu des vieilles foudres d’excommunication. Philippe le Bel n’en réduisit pas moins son clergé à l’obéissance et, poursuivant le pape dans son propre domaine, Agnani, le fit capturer par des affidés, « dans l’intérêt de notre mère la Sainte Eglise » — ainsi s’exprime l’envoyé Nogaret —, et le réduisit à mourir de colère et de chagrin (1303). Le nouveau pape dut se faire très humble envers le roi que Boniface avait exclu de l’Eglise, puis fut remplacé par une créature de Philippe, par un simple vassal religieux, Clément V (Bertrand de Got), qui subit la honte de quitter la « ville éternelle » et d’aller demeurer dans Poitiers, puis dans Avignon, sous la surveillance de son véritable maître (1305).

La papauté, appuyée sur les communes lombardes, avait vaincu l’empire germanique après une longue série de luttes, mais cette dernière insulte faite par la monarchie française au pape ne menaçait en rien l’indépendance des villes libres ; aussi le monde chrétien s’émut-il fort peu de l’attentat d’Agnani : on ne croyait plus a l’autorité divine parlant par la bouche du successeur de saint Pierre.

Non seulement le roi de France s’attaqua directement au pape, il entreprit l’œuvre plus difficile encore de toucher à l’âme même de l’Eglise, représentée par ses trésors. L’excommunié de la veille commença par se faire octroyer toutes les dîmes du clergé français pendant cinq années ; puis, après s’être emparé des Juifs pour en extraire tout l’or qu’ils possédaient, comme on extrait l’huile de l’olive, après avoir rogné les pièces d’or et d’argent, il se fit livrer les Templiers, devenus banquiers chrétiens, et mit à l’ouvrage ses courtiers de Florence pour retirer de leurs commanderies tous les trésors amassés par les Chevaliers du Temple depuis le commencement des Croisades. Leur crime, d’une évidence parfaite, était d’être riches : ils possédaient plus de neuf mille manoirs et des provinces entières dans toute l’Europe, du Portugal et de la Castille jusqu’à l’Irlande et à l’Allemagne. D’autre part, ils donnaient certainement prise aux accusations les plus graves ; aussi longtemps qu’ils avaient été les défenseurs du Saint Sépulcre, nul n’eût osé les juger, bien qu’ils se fussent permis tout ce que peut suggérer l’orgueil, l’insolence, l’avidité et la luxure : l’on se racontait à voix basse les rites abominables, musulmans et diaboliques, par lesquels ils glorifiaient le Temple comme distinct de l’Eglise. Aidée dans cette œuvre de déplacement des fortunes par les moines mendiants et autres parasites, c’est en raison de leurs hérésies que la royauté française osa les attaquer.

Cl. Kuhn, édit.
avignon. — le chateau des papes.

Le roi avait à se venger de n’avoir pu être reçu dans l’ordre, dont il aurait voulu devenir le grand-maitre ; en outre, il devait de l’argent aux Templiers et n’avait d’autres moyens de leur payer ses dettes qu’en les pillant eux-mêmes, en ravissant leurs trésors : après la ruine des Juifs, il n’avait plus que des chrétiens à rançonner. Toutefois, ces adversaires étaient si redoutables par le nombre, par la richesse, par le prestige que Philippe le Bel, aidé de son pape complaisant, put longtemps craindre de ne pas réussir. Le procès dura des années et fut conduit d’une manière atroce à l’aide de faux témoignages, de menaces, de supplices. Quoique la principale force des Templiers se trouvât en France et que Philippe pût en conséquence frapper l’ordre de chevalerie en plein cœur, les autres États étaient grandement intéressés au procès et, s’ils avaient jugé autrement que le roi de France, auraient pu lui susciter ainsi de grandes difficultés. Tout d’abord leurs conciles acquittèrent les Templiers, mais, après les condamnations sévères et les spoliations ordonnées par Philippe, ils se ravisèrent afin de prendre également leur part du précieux butin. L’Espagne seule les défendit jusqu’au bout ou du moins permit la transformation pacifique de leur ordre : c’est que dans cette terre la croisade n’était pas encore terminée[6].

Tous ces procès, tous ces bûchers dressés par les inquisiteurs au service de la royauté prouvent combien la question du capital et de l’argent monnayé avait déjà pris d’importance dans celle société qui se dégageait du moyen âge. On a fait grand état de l’interdiction du commerce de l’argent fait au public par le christianisme primitif, mais cette loi morale se traduisit fort peu dans les pratiques courantes de la société : le chrétien, qui n’aurait pu sans pécher prélever un intérêt sur l’argent prêté à un autre chrétien, était heureux à l’occasion de pouvoir emprunter à un infidèle, à un Juif, et, d’ailleurs, ne cherchait-il pas, lui aussi, à s’enrichir par l’épargne ou le revenu foncier ? Rien n’était plus facile que de tourner la loi et de se faire payer intérêt sous une autre forme. Le fidèle, qui devait s’abstenir d’exiger intérêt ou « usure » d’une somme d’argent prêtée, pouvait stipuler que le preneur et ses héritiers paieraient en échange une rente à perpétuité[7]. De même les canons ecclésiastiques ne défendirent jamais le contrat de cheptel, illustré dans la légende hébraïque par le génie mercantile du patriarche Jacob. Le chrétien, aussi bien que l’ancêtre juif, eut toute autorisation divine pour s’enrichir par le croît de ses troupeaux. Or, le « cheptel », « têtes de bétail », mot qui, en anglais, est devenu cattle, l’ensemble des troupeaux, est l’une des formes par excellence de l’épargne, et indique par son nom même qu’il fut l’une des principales origines du capitalisme moderne[8]. Et puis, l’Eglise elle-même, tout en vitupérant contre la richesse quand il s’agissait des autres, n’eut-elle pas bientôt pour idéal de s’enrichir à son tour, puisqu’il lui convint de solliciter les donations et les legs ? Elle avait mauvaise grâce à blâmer chez autrui ce qui était devenu sa constante pratique, directe ou indirecte.

Quand l’Eglise n’empruntait pas, elle faisait emprunter par le Juif ; elle en était quitte pour le maudire et le dépouiller comme voleur et comme impie après l’avoir utilisé comme préteur d’argent. Les théologiens les plus honnêtes cherchaient des arguments pour expliquer leur hypocrisie : « Qui ne sait, dit Gerson, que l’usure doit être extirpée ; mais il serait bon de dire dans quel cas il y a vraiment péché d’usure… afin de ne pas s’exposer par une rigueur mal entendue à compromettre les revenus mêmes de beaucoup d’églises »[9]. A cet égard, une sorte de division du travail s’opéra au profit du monde clérical, entre les ecclésiastiques régulièrement établis d’une part, et, d’autre part, les moines mendiants. Ceux-ci s’en tenaient à l’antique orthodoxie, qui ne reconnaissait aucun droit de propriété, ni en particulier, ni en commun. Ce principe de conduite justifiait, commandait même la mendicité, et celle-ci avait, en outre, l’avantage d’accroître les richesses ecclésiastiques, car ceux qui n’avaient pas le droit de posséder avaient néanmoins toute autorisation de gérer les biens d’autrui, et, dès qu’ils les géraient au nom de l’Eglise, nulle prescription de temps n’interrompait leurs droits. Il en était autrement pour les moines trop zélés qui eussent voulu pratiquer le communisme sociétaire par le travail et risquaient ainsi de se rapprocher de la société civile : ils étaient aussitôt condamnés et persécutés[10].

À cette époque de transition, alors que la richesse se mobilisait rapidement par la monnaie, par le crédit et par la banque, les Juifs furent de précieux auxiliaires pour les gouvernements. De tout temps, les pouvoirs royaux, que leur politique, même inconsciente, porte à diviser pour régner, eurent intérêt à disposer d’une classe de sujets sur lesquels ils pussent, dans les circonstances difficiles, détourner la colère et les violences du peuple. C’est ainsi que les Juifs furent pour les États de la chrétienté médiévale les « précieux déicides » qu’il était légitime de frapper quand d’autres étaient coupables : ils n’eussent pas existé que l’Eglise les aurait fait naître sous le nom d’hérésiarques ou de schismatiques. Pendant les grandes expéditions des Croisades, dans les villes conquises, les chefs donnaient aux bandes armées des Juifs à massacrer ; lorsque les guerres civiles étaient à craindre, on avait soin, comme de nos jours en Russie, de guider, de canaliser la fureur populaire en poussant les faméliques loin des riches abbayes et des somptueux châteaux vers les comptoirs des Juifs maudits ; mais à moins qu’on eût des vengeances personnelles à exercer, on se gardait bien de désigner à la foule les riches usuriers ou collecteurs de taxes, qui plaçaient à gros deniers l’argent des nobles et des prêtres. Comme étranger de race et de religion, le Juif était haï, mais comme agent d’affaires il était indispensable : telle fut l’origine de la théorie juridique d’après laquelle le Juif fut considéré comme « serf » du roi et des seigneurs. Sur une grande étendue du monde féodal, chaque seigneur avait son Juif, comme il avait son tisserand, son forgeron. Le Juif était une véritable propriété qui s’inféodait, que l’on vendait, et qui lui-même ne pouvait avoir aucun bien en propre, son maître disposant de tout ce qui lui appartenait. Telle était la doctrine que professait l’illustre Thomas d’Aquin et que la plupart des puissants d’Europe mettaient en pratique. Les souverains anglais surtout procédèrent avec méthode, organisant, systématisant l’usure au moyen de leurs instruments, de leurs « meubles », les Juifs, que William de Newbury appelle les « usuriers royaux ». Toutefois, ces agents spéciaux du roi, très méthodiques dans leurs procédés, réussissaient à garder pour eux une forte part des richesses qu’ils étaient chargés d’extraire de la nation. En 1187 déjà, on évaluait approximativement leur fortune mobilière en pays anglais à 240 000 livres sterling, tandis que tous les autres habitants du royaume, incomparablement plus nombreux, n’avaient ensemble que 700 000 livres[11].

Naturellement, les Juifs durent porter la peine de leur fortune, et que de fois le peuple s’ameuta contre eux, que de fois les souverains, se retournant contre leurs usuriers, qui s’enrichissaient en proportion même de l’appauvrissement du royaume, leur firent rendre l’or dont ils s’étaient gorgés ; enfin, que de fois aussi, les foules fanatisées et les prêtres, prirent-ils prétexte de l’usure exercée par les Juifs pour satisfaire leur haine religieuse en torturant, en massacrant, en brûlant des Juifs à petit feu !

La folie s’en mêlait parfois. C’est ainsi qu’en 1321, une rumeur insensée parcourut la France, incitant le peuple aux plus cruelles abominations. Le bruit s’était répandu que les Juifs avaient imaginé un poison assez virulent pour détruire toute la chrétienté, à condition qu’il fût administré par les « mésiaulx » ou lépreux. L’horrible histoire
lépreux tenant la cliquette
D’après un vitrail de la cathédrale de Bourges, xiiie siècle.
ne trouva pas d’incrédules et de toutes parts on se précipita sur les maladreries pour y « bouter le feu : en Aquitaine et en une grande partie de la Franche-Comté tout li mésiel furent ars ». La peur instinctive de la contagion contribuait sans doute à jeter le peuple dans cette atroce frénésie, mais le roi lui-même, qui eut « si grant volonté de tenir ses sujets en bone paiz et en bone amour », lança trois ordonnances successives pour livrer les « lépreux fétides », hommes, femmes et enfants au-dessus de quatorze ans, aux rigueurs de la « justice », de la torture et du bûcher : à Chinon, 160 lépreux et lépreuses furent brûlés le même jour[12].

A un point de vue tout à fait général. On peut dire que les Israélites auraient certainement fini par s’accommoder graduellement au milieu chrétien, parmi les nations de l’Europe au moyen âge, s’ils avaient continué d’être indispensables et si l’âpre concurrence de banques chrétiennes ne les avait écartés. Les grandes persécutions se produisent à l’époque où l’on commence à n’avoir plus besoin d’eux. Les moines Templiers, les « Lombards », les changeurs florentins, ayant appris à manier l’or, l’argent et les pierres précieuses avec autant d’habileté que les Juifs, découvrirent également tous les secrets du crédit et, par leurs agents et correspondants, établis dans toutes les villes de l’Orient, sur la route des Indes et de la Chine, ils s’enhardirent bientôt à soutenir la lutte contre les Juifs. Ceux-ci, devenus inutiles, furent fatalement écartés ; ils succombèrent, et leurs rivaux triomphants purent se laver les mains des supplices en les attribuant à l’exaspération populaire. Il en fut de même quand on fit rendre le sang dont s’étaient gorgées d’autres sangsues : pour remplacer les Templiers brûlés, il ne manqua pas de Lombards ni de Flamands !

A cette époque, le pays des Flandres, comprenant au point de vue politique une zone d’étendue considérable où se parlait la langue française, était, sur le versant océanique de l’Europe, la région dont la bourgeoisie avait pu se dégager le plus complètement de l’ancienne tutelle ecclésiastique et où les pratiques industrielles et commerciales avaient le plus librement suivi leur évolution. Vis-à-vis du roi de France revendiquant la suzeraineté féodale, les villes flamandes représentaient un mouvement presque républicain, mais elles ne possédaient malheureusement pas cette unité de vouloir qui donne le succès définitif : dans chaque ville deux classes étaient en lutte incessante, patriciens et plébéiens, donnant alternativement la victoire à chaque parti et permettant à d’habiles ambitieux de déplacer à leur profit l’enjeu de la lutte. C’est ainsi que les gens du peuple se trouvèrent combattre, non pour leur propre cause, mais pour tel ecclésiastique démagogue, heureux de se faire comte et chef d’armée : de leur côté, les riches citoyens des Flandres, devenus leliaerts ou « gens du lys », étaient par cela même tenus comme Français et, qu’ils le voulussent ou non, luttaient pour l’asservissement politique de leur patrie. La liberté sociale que rêvaient quelques-uns ne pouvait s’obtenir en un pareil chaos et devait forcément dévoyer. Tout d’abord, en 1302, les prolétaires remportèrent, près de Courtrai, une de ces victoires mémorables où l’on vit une foule anonyme d’ouvriers et de paysans triompher des princes et des barons : ce fut dans l’histoire des artisans un fait analogue à celui qui se produisit quelques années plus tard, à Morgarten, dans l’histoire des montagnards. Et à Courtrai, ce furent aussi bien les habitants de la Flandre méridionale que ceux de Bruges qui culbutèrent les chevaliers « aux éperons d’or » de Philippe le Bel ; quand Fouquard de Merle convoquant le peuple de Douai lui demanda quel parti il entendait prendre dans la guerre qui s’engageait, tous s’écrièrent : « Tos Flamens, tos Flamens estons ! Pardieu ! Fouquard, por nient en parleis, car tos summes et serons Flamens[13] ! ». Mais, trois ans après la bataille de Courtrai, le peuple vainqueur se laissa représenter auprès du roi de France par des ambassadeurs nobles qui, en réalité, étaient ses ennemis, et de nouveau il dut se conformer aux traditions d’obéissance : sa colère s’était vainement assouvie pour un temps. Si les cités des Flandres purent reprendre contre la France la vieille querelle, ce fut grâce aux complications européennes qui permirent aux Artevelde, représentants des libertés gantoises, de s’appuyer sur l’Angleterre. Dans cette lutte, les comtes de Flandre et les nobles prirent invariablement le parti de leur suzerain français : la guerre ne prit que très secondairement un caractère national : elle était avant tout un conflit entre la classe bourgeoise de la société moderne et la classe survivante de la féodalité.

Cl. J. Kuhn, édit.
les halles à ypres

C’est surtout entre la France et l’Angleterre que les guerres finirent par déterminer un état héréditaire de haine, devenu presque instinctif : des uns aux autres le phénomène normal pendant cinq siècles de durée fut de s’injurier et de se combattre, et l’on sait s’il en reste encore dans les esprits de déplorables survivances. La « guerre de Cent ans » — officiellement cent seize années depuis le jour où Édouard III prétendit à la couronne de France (1337) jusqu’à la prise de Bordeaux (1453), bien qu’en réalité l’antagonisme durât depuis Guillaume le Conquérant, roi en Angleterre, vassal en France, — la guerre de Cent ans fut la cause d’un très grand recul matériel et moral chez les deux nations. Ce drame effroyable explique par contre-coup comment l’Espagne et le Portugal, pourtant moins favorisés que la France à maints égards, l’emportèrent de beaucoup dans la concurrence vitale pendant le quinzième siècle : en épuisant la France et l’Angleterre, la guerre de Cent ans donna la suprématie temporaire à la péninsule Ibérique. La différence des caractères, le contraste des conditions sociales se révélèrent d’une manière remarquable entre les deux nations belligérantes, et donnèrent aux événements une forme singulièrement tragique. On peut dire, d’une manière générale, que la France représentait à la fois deux causes bien différentes : celle du peuple qui défendait justement et âprement ses campagnes, ses villes, ses ateliers, et la cause de la féodalité, qui ne savait même plus combattre et se lançait follement dans les batailles comme en des tournois de parade. Quant à l’armée anglaise, aventurée sur un sol étranger, elle savait dès le premier jour combien la guerre était chose sérieuse et s’y appliquait avec une industrie toute pratique. À cet égard elle constituait une sorte de démocratie contre la survivance féodale.

Le grand avantage initial des armes anglaises pendant cette guerre interminable provenait de la possession de la Guyenne : la France du nord était ainsi prise comme dans un étau. D’autre part, la situation géographique particulière de la Guyenne, relativement au pays de ses suzerains, les rois d’Angleterre, obligeait ceux-ci à prendre d’extrêmes ménagements pour se faire accepter comme protecteurs dans cette province éloignée. Le voisinage d’ennemis redoutables qui, du nord, de l’est, du sud, menaçaient constamment la frontière, les facilités qu’auraient eues les habitants pour se révolter si le moindre tort leur avait été causé par les maitres féodaux, leur assuraient de la part des Anglais un respect scrupuleux des libertés locales. Les Gascons se trouvaient alors, à l’égard du gouvernement de Westminster, dans une situation analogue a celle des Canadiens d’aujourd’hui. Dix sept communes autonomes prospéraient dans le Bordelais, territoire correspondant à peu près au
Cl. J. Kuhn, édit.
bordeaux. — porte de la grosse cloche
département actuel de la Gironde, et, plus de deux siècles après la ruine des communes de la France capétienne, celles du sud-ouest jouissaient tranquillement de leur pleine liberté ; en outre un très grand nombre de villettes appelées « bastides » possédaient aussi leurs chartes et privilèges[14].

La ville de Bordeaux, qui plus tard devait être en France le champion du libre échange, recevait de Jean sans Terre, des l’an 1205, l’exemption de toute « maltôte » ou impôt pour ses marchandises, dans la ville et le long du fleuve. Que l’on compare à cette politique sensée les absurdes mesures commerciales dont s’entourait la monarchie française ! Louis IX que l’on a l’habitude de mentionner comme un sage, comprenait la protection du trafic national comme le feraient encore des prohibitionnistes de nos jours. En établissant le port d’Aigues-Mortes, il lui concéda en même temps un monopole auquel « tout fut sacrifié ». Les autres ports et graus du littoral, de la Camargue au roc de Leucate, furent fermés au commerce, les rivières, Hérault, Orb, Aude déclarées closes : tous les navires, même ceux que leur destination eût dû faire passer au large d’Aigues-Mortes, reçurent l’ordre d’y accoster afin d’acquitter sur le montant de leur cargaison un droit de tonnage pour l’entretien du nouveau port. Et même l’absurde loi fut censée rester en vigueur quand le port d’Aigues-Mortes eut été rendu complètement impraticable par l’effet des alluvions[15]. C’est dire que le trafic maritime était défendu à la France méditerranéenne ; aussi le commerce fut-il rejeté forcément sur les contrées limitrophes. A l’autre extrémité du royaume, les procédés de protection industrielle et commerciale étaient également absurdes et pouvaient entraîner des conséquences atroces. Une ordonnance du 14 juillet 1315 proscrivit tous les Flamands, les expulsant, du royaume de France, sous peine d’être condamnés « à être serfs et esclaves ». Et s’il en restait encore « après l’octave de la Madeleine », on devait les mettre à mort « sans attendre aucun jugement et en quelque lieu qu’ils fussent pris. »[16].

Au milieu du treizième siècle, Bordeaux, heureuse de n’être point protégée, devenait commune de plein droit, nommant son maire sans intervention du suzerain et s’alliant même directement avec Bruges, la cité républicaine des Flandres[17]. Tandis que les rois de France, forts du droit brutal donné par la conquête, secondés par les percepteurs d’impôts et la hiérarchie administrative, opprimaient ou supprimaient les communes, les rois d’Angleterre opposaient savamment les intérêts des Aquitains aux ambitions de la France. Certes, ils n’auraient pu faire naître un patriotisme anglais spontané : les mœurs, la langue, le milieu s’opposant à la fusion des volontés dans les deux patries respectives ; du moins Bordeaux et les villes de la Guyenne comprenaient-elles parfaitement bien qu’elles avaient tout avantage matériel à rester sous la suzeraineté anglaise et, loin d’aider la France dans ses luttes contre les insulaires, s’efforçaient-elles de resserrer avec ceux ci les liens traditionnels de l’amitié. Une seule révolte eut lieu, provoquée en 1365 par les taxes arbitraires du Prince Noir, mais cette expérience suffit et les maîtres étrangers eurent le bon sens de ne pas répéter la tentative.

Cl. Kuhn, édit.
église de neuvy-saint-sépulcre (indre)
Type d’église ronde. (Voir p. 74).

Les privilèges de la bourgeoisie bordelaise furent si bien respectés que les jurats prirent rang avant les nobles et que même l’aristocratie féodale était vue de mauvais œil, exclue d’avance de l’exercice des charges comme frappée d’indignité : un édit de 1375 décide que « nul gentil d’ici en avant ne pourra être juré de la ville[18]. » Combien tout aurait rapidement changé si Bordeaux, qu’un géographe arabe de l’époque appelle la capitale de l’Angleterre, avait cessé d’être un enjeu dans la lutte entre les deux nations. Aussi les bourgeois prenaient-ils leurs précautions et se prémunissaient-ils contre les conséquences fatales qu’aurait pu avoir à leur endroit la conquête définitive de la France par les Anglais. Ils exigèrent donc d’Édouard III que, si lui parvenait jamais à saisir la couronne de France, eux resteraient toujours attachés directement au royaume d’Angleterre. De même que la grande commune libre, les autres communes de Guyenne, les « filleules », demandaient aussi le maintien des institutions qui les gardaient séparées de leurs voisines françaises : la charte de l’une d’elles, Bazas, contient même des extraits de la loi anglaise de l’habeas corpus[19]. En 1379, Bordeaux était déjà bloquée par les Français du côté de la terre, lorsque toutes les villes-communes des bords de la Garonne et de la Dordogne, depuis Saint Macaire et Castillon jusqu’à Blaye, se liguèrent pour sauver la métropole et la garder à l’Angleterre.

Les batailles de Crécy (1346) et de Poitiers (1356), puis au siècle suivant, celle d’Azincourt (1415) présentent une telle ressemblance que l’on croirait y voir une seule et même rencontre. Dans ces trois journées, Français et Anglais paraissent appartenir et appartiennent en effet à des époques différentes. Les premiers sont encore dans l’âge des romans de chevalerie : chacun des preux, vivant dans son rêve, veut agir à sa guise, sûr de disperser devant lui la tourbe des manants ; les Anglais, au contraire, entrés dans l’ère du raisonnement, tâchaient de procéder avec science dans leur campagne : ils attendaient prudemment le choc et, de concert, écrasaient les assaillants, repoussés en désordre. La vanité des nobles français, représentants par excellence de la chevalerie dans sa décrépitude, comme ils l’avaient été dans sa fleur, le sot amour-propre des gens cuirassés de fer avaient pris de telles proportions que les malheureux se ruaient à leur propre perte, entraînant dans leur ruine la France elle même. Tandis que les armées des Flandres et de l’Angleterre tiraient leur force principale de leurs hallebardiers, archers, porteurs de maillets ou de piques, les arrogants chevaliers français jugeaient indigne d’eux de s’adjoindre un corps de troupes prises dans la roture, ou bien, lorsqu’ils étaient accompagnés dans la guerre par cette « piétaille » méprisée, ils l’écartaient, l’écrasaient au moment suprême pour ne pas lui laisser remporter la victoire. C’est ainsi qu’à Courtrai, les petits fantassins français ayant déjà repoussé les Flamands, la crainte de se voir ravir l’honneur de la victoire souleva la colère des nobles hommes d’armes : ils se précipitèrent sur les rangs de leurs propres arbalétriers et les foulèrent au pied des chevaux, pour avoir l’orgueil du triomphe là où ils ne trouvèrent, d’ailleurs, qu’une défaite honteuse et méritée. De même à Crécy Philippe de Valois fit massacrer toute la « ribaudaille » victorieuse qui lui barrait « la voie sans raison ». Il voulait vaincre sans elle, et sans elle il fut vaincu. C’est également pour crime de jactance que la chevalerie française fut si durement et si terriblement châtiée à Maupertuis, près de Poitiers, par les archers du Prince Noir[20].

Ces défaites plus que honteuses de Crécy et de Poitiers, venant après la bataille navale de l’Ecluse ou Sluys (1340), près Bruges, où la flotte française avait été complètement détruite, étaient de nature à ruiner à jamais le prestige du pouvoir royal et des chevaliers qui le représentaient avec une insolence si peu justifiée. Il semblait que le temps était venu de voir tomber ces institutions en un mépris définitif, mais la force des habitudes et des préjugés héréditaires est telle que cette succession de désastres, quoique blessant la chevalerie à mort, lui laissa pourtant prolonger pendant près d’un siècle sa néfaste existence. La féodalité eut même, dans le royaume dévasté, une période de renouveau, grâce à sa transformation démocratique par Du Guesclin, qui sut tirer l’enseignement des rencontres précédentes et se servir, pour la reconquête du sol, des éléments populaires organisés en bandes avec les armes qui leur convenaient, suivant leur génie propre et leurs affinités de mœurs et de langage. Les guerres prirent ainsi une forme spontanée et révolutionnaire à laquelle le peuple même apportait autant de passion que les nobles. C’est en Bretagne surtout que la lutte acquit son caractère le plus national, le plus contraire à une bonne entente avec l’Anglais. Bien différents des habitants de la Guyenne, les Bretons n’étaient pas encore entrés dans la période industrielle et commerçante ; ils n’avaient pas de denrée précieuse à vendre comme l’étaient, par exemple, les vins de Clairac (Claret) et autres produits du Bordelais. D’ailleurs, les rudes Armoricains n’avaient pas la souplesse du Gascon et s’accommodaient mal des étrangers : ils voulaient rester maîtres chez eux et la lente infiltration française les gênait moins que les brusques irruptions de l’Angleterre. Sans doute, leur duc ne demandait qu’à les trahir et plus d’une fois rendit hommage au roi d’Angleterre, mais la résistance des populations le ramenait du côté français et ce fut là un événement de capitale importance dans l’histoire de l’Europe occidentale. Si la Bretagne, ce bloc de granit, n’avait résisté aux Anglais, comme les îles de ses rivages contre le flot, si, s’interposant entre la Normandie et l’Anjou[21], elle n’avait rompu la continuité des possessions de l’envahisseur, la France berrichonne et champenoise eût été certainement conquise par la France angevine et aquitaine sous l’hégémonie anglaise, et l’on peut évoquer toutes les conséquences heureuses et néfastes que cette victoire aurait eues pour chacun des pays intéressés, pour leurs voisins et pour la civilisation mondiale enfin !

Naturellement le peuple de France, villes et campagnes, essaya d’utiliser en faveur de l’émancipation le désarroi dans lequel étaient tombées la royauté et la chevalerie. Notamment les bourgeois de Paris crurent l’occasion propice lorsque le roi Jean le Bon, retenu comme otage par les Anglais, faisait mendier dans tout le royaume le paiement de sa rançon. L’autorité des nobles fut si bien abolie dans Paris que les titres furent même considérés comme une flétrissure. C’est ainsi que, lors de la destruction du château d’Ermenonville par ordre du prévôt Etienne Marcel, le châtelain Robert de Lorris fut forcé de renier « gentillesse et noblesse » pour avoir la vie sauve avec femme et enfants, il jura mieux aimer les bourgeois et le « commun de Paris » que ses parents et anciens amis, les nobles[22]. Mais les seigneurs, expulsés de Paris, avaient encore trop de prestige et de pouvoir héréditaire sur la population des campagnes pour accepter ainsi leur déchéance : avant de périr, la féodalité, impuissante contre l’étranger, eut assez de cohésion pour se venger de la foule haïe des bourgeois et des manants révoltés. Paris ne jouît pas longtemps de son indépendance municipale.

Avant cette époque, qui fut également celle de la « Jacquerie », il y avait eu de tout temps des révoltes de paysans contre les exactions intolérables des pressureurs et la brutalité des nobles. On peut citer en exemple la belle fédération de paysans qui se forma dans le Velay, vers 1180, sous le nom de confrérie des « Pacifiques ». Alors, comme plus tard, pendant la guerre de Cent ans, les routiers, les malandrins étaient les maîtres de la France, et les malheureux travailleurs du pays, ouvriers ou paysans, que ne défendaient pas leurs propres seigneurs, cherchèrent dans leur étroite union des éléments de résistance, promettant de « s’aimer et de s’entraider toujours ».

Cl. J. Kuhn, édit.
rosace. sainte-chapelle à paris, élevée de 1243 à 1248


Leur petit capuchon de laine blanche leur valut aussi le nom de « Capuchonnés » ou « Chaperons blancs », puis, lorsqu’ils furent devenus fort nombreux, non seulement dans le Velay, mais également dans l’Auvergne, le Berry, la Bourgogne, l’Aquitaine, la Provence, et qu’ils se confédérèrent dans tout le royaume, on les connut surtout sous l’appellation de « Jurés ». Ils se promettaient les uns aux autres de mener toujours une conduite régulière, d’aller à confesse, de ne jouer ni blasphémer, de ne pas fréquenter les tavernes. de donner le pain et le vin, même le baiser de paix, à celui qui, par accident, aurait été le meurtrier d’un frère. Dans leurs réunions ils devaient toujours se présenter sans armes.

Mais contre l’ennemi, les jurés s’armaient et s’équipaient avec soin, et tout d’abord remportèrent de grandes victoires. En 1183, les jurés d’Auvergne massacrent trois mille malandrins, puis, bientôt après, dans le Bourbonnais, ils en égorgent dix mille. Devenus forts, ils ne se bornèrent plus à détruire le brigandage et, s’adressant aux seigneurs et aux évêques, réclamèrent aussi que justice leur fût rendue. En un manifeste, que l’Eglise a déchiré comme impie, « ce peuple sot et indiscipliné, ayant atteint le comble de la démence, osa signifier aux comtes, vicomtes et autres princes qu’il leur fallait traiter leurs sujets avec plus de douceur… » Un contemporain constate que « les seigneurs n’osaient plus exiger de leurs hommes que les redevances légales : ils en étaient réduits à se contenter de ce qui leur était dû…; par l’effet de cette invention diabolique, il n’y avait plus ni crainte, ni respect des supérieurs. Les jurés s’efforçaient de conquérir la liberté, disant qu’ils la tenaient des premiers hommes. »[23]. A leur tour, les puissants de ce monde se retournent contre les pacifiques, ils font alliance avec les routiers et partout réduisent les paysans à merci. Le brigandage redevint florissant, et « une notable partie de la France retomba sous le régime de la terreur et de la désolation qui était pour elle l’état normal ».

Parmi tant d’autres révoltes de paysans dans toutes les contrées de l’Europe féodale, la « Jacquerie » proprement dite ne fut qu’une commotion de très courte durée, comme un de ces prodigieux incendies qui parcourent en quelques heures une savane immense. Non préparée, aussitôt écrasée, cette insurrection soudaine ne dura qu’une quinzaine de jours, un mois en comptant les tueries de paysans, et pourtant cette brève fulguration resta dans la mémoire du peuple un des grands événements de la vie nationale. Les massacres commandés par le roi ou par les seigneurs féodaux n’étonnaient personne, et les chroniqueurs du temps les racontent comme chose naturelle, mais une révolte de laboureurs contre les nobles frappa les imaginations comme une sorte de prodige. Dans une société plus respectueuse de la personne humaine, il eût au contraire paru des plus étrange que ces malheureuses gens des campagnes aient pu supporter si longtemps sans explosion de fureur les traitements féroces auxquels les soumettait la noblesse.

cathédrale de reims. — les morts sortant de leur tombeau.
Fragment du tympan du portail du jugement.

À cette époque la guerre était un métier profitable, et les soldats mercenaires qui s’étaient engagés pour le compte des rois et grands vassaux continuaient volontiers pendant la paix les pillages et meurtres accoutumés : le nom de « brigands » sous lequel étaient désignés les gens de guerre, avec la signification d’embrigadés, eut bien vite mérité le sens sous lequel il est compris de nos jours[24]. Les « grandes compagnies », commandées presque toutes par des chevaliers de haut parage, parcouraient le pays, n’ayant d’autre souci que de piller et de dévaster, de vivre grassement de la substance des villageois et même des citadins. Certaines contrées étaient devenues inhabitables, ou du moins les paysans ne pouvaient cultiver leurs champs qu’en postant des sentinelles sur les rochers ou les tourelles de guet. Aux bords des cours d’eau, les campagnards, abandonnant leurs cabanes, allaient passer la nuit dans les îlots ou les barques ancrées au milieu du courant ; dans les pays de rochers, ils se cachaient au fond des grottes ou des carrières. Après la bataille de Poitiers, lorsque le prince de Galles eut congédié ses troupes en leur livrant comme une proie « le bon et plentiveux[25] » pays de France, la dévastation prit un caractère atroce et, en certaines contrées, le travail s’arrêta complètement.

Parfois, cependant, les paysans résistaient, et des batailles rangées se terminèrent par la défaite des « compagnies de brigands ». Les manants osèrent même lutter directement contre la noblesse tout entière, car un ordre du régent, le futur Charles V, ayant mandé aux « chevaliers de France et du Beauvoisis » de mettre en état de guerre et d’approvisionnement tous les châteaux et forteresses de la contrée, les campagnards, prévoyant tout ce que leur coûterait cette restauration féodale, se soulevèrent aussitôt contre les gentilshommes, et les massacres, les « effrois » commencèrent çà et là.

Les événements qui s’accomplirent pendant la courte période de lutte ne sont guère connus que par la chronique de Froissart, simple parasite des nobles, et par les récits d’autres gens intéressés à mendier la faveur des puissants ; les « Jacques » ne sont signalés dans l’histoire du temps que par les paroles d’exécration, coutumières à ceux qui se vengent d’avoir eu peur, cherchant par de basses injures à motiver une féroce répression. L’histoire de la Jacquerie reste donc obscure dans ses détails, puisque les écrivains d’alors n’eurent d’autre souci que d’en maudire les fauteurs : mais on sait que les Jacques, armés au hasard, sans plan d’attaque, ignorants de toute stratégie et sans autre idéal que la vengeance, marchaient au hasard de la fureur. Comme les moujiks russes soulevés contre les seigneurs, ils gardaient la religion du roi et poussaient dans la bataille le cri de « Montjoie ! » sous les plis d’un étendard fleurdelisé. Ils eurent bien quelques amis dans les villes, et même on vit dans leurs rangs des chevaliers et des moines transfuges de leur classe, mais nulle alliance étroite ne se fit, comme on eût pu s’y attendre, entre les paysans insurgés contre les nobles et les communiers de Paris ou autres villes soulevées contre le pouvoir royal : il n’y eut que des entr’aides fortuites, pour ainsi dire, chaque bande tirant de son côté après accord momentané. La défaite des Jacques, de même que celle des communiers, était donc fatale, puisqu’ils séparaient leurs forces contre des rivaux réconciliés, royauté et noblesse.

La Jacquerie, commençant le 21 mai, près de Compiègne, se terminait le 10 juin, près de Clermont, à une trentaine de kilomètres à l’ouest ; mais à « l’effroi » qui avait fait trembler les seigneurs, combien d’autres « effrois » succédèrent dans les chaumières des paysans !

Plus important et encore moins connu fut le soulèvement des Tuchins — « Tue-chiens, ceux qui sont réduits par une misère extrême à tuer des chiens pour se nourrir »[26] — qui couva dans les districts de Saint-Flour et de Mauriac. Répondant aux exactions d’un duc de Berry, ce mouvement ensanglanta la Haute Auvergne dès 1363, s’étendit à tout le Midi, de Beaucaire au Poitou, et fut noyé dans le sang en 1384.

La désorganisation de la France, que l’Angleterre menaçait de toutes parts, au nord, directement par ses armées, au sud par ses vassaux, et qui se trouvait en état continuel de guerre civile entre citadins, paysans et seigneurs, cette désorganisation fut singulièrement hâtée par la scission que lui fit subir la constitution du duché de Bourgogne en un grand État réellement indépendant. Le centre de gravité des Gaules semblait s’être reporté à l’est de la Loire et de la Seine, dans le bassin de la Saône supérieure, et c’est autour de ce centre que, par le hasard des alliances, des successions et des entreprises féodales, vinrent s’agréger les terres les plus disparates, n’ayant entre elles aucune affinité par leurs populations au point de vue de l’origine, de la langue ou de l’idéal politique, sous la domination de Philippe de Bourgogne devenu par son mariage (1369) souverain des Flandres. Ce vaste royaume, formant une longue bande du sud-est au nord-ouest, rappelait par sa disposition générale et par son incohérence naturelle l’ancien empire de Lothaire, démembré si rapidement par d’inévitables guerres. En soi, l’ensemble de possessions féodales que l’on appelait la Bourgogne était un véritable monstre géographique, le type de ces formations bizarres, qui, ne tenant aucun compte de la configuration physique des contrées, des conditions ethniques et de la volonté des habitants, jetaient en un désordre chaotique les duchés et les comtés, les seigneuries et les terres franches avec leurs institutions, leurs lois, leurs coutumes différentes, leurs centres d’attraction distincts et leurs ferments de haines héréditaires. La Bourgogne, prise dans un sens provincial, comme pays des Burgondes et des modernes Bourguignons, c’est-à-dire la vallée de la Saône et les versants des hauteurs environnantes, est une région naturelle, organiquement constituée, qui se maintient dans le jeu spontané de sa vie économique, indépendamment des changements politiques et des divisions administratives ; mais le grand État féodal de la Bourgogne était en pleine révolte contre la réalité des choses : d’un côté, les campagnes riveraines de la Saône, de l’autre, les plaines des Flandres formaient les deux extrémités de cet ensemble hétérogène. Dijon, Bruges en étaient les deux capitales, et de l’une à l’autre cité, si différentes par l’aspect, les habitants, le milieu, les seules routes étaient des chemins de guerre traversant des territoires étrangers, des fiefs alliés, des possessions d’un jour. Il arriva même que le centre de gravité du duché de Bourgogne se porta complètement du côté des Flandres : Bruges devint non seulement la ville la plus importante du domaine bourguignon, elle prit rang parmi les cités « mondiales » et peut-être fut-elle la première dans l’Occident européen. Vers 1400, le mot « Flamand » était devenu en Angleterre et ailleurs une expression courante, synonyme de « marchand », de même que « Lombard » avait pris le sens de « prêteur, manieur d’écus ». Les industries des lainages, des velours et autres étoffes, des tapisseries, des bijoux avaient donné le premier rang aux Flandres parmi les contrées de l’Europe. Et cela, grâce à la liberté de la production et des échanges pour toutes marchandises autres que les denrées alimentaires. Dans les premières années du quatorzième siècle, Edouard II d’Angleterre, ayant voulu faire exclure les traitants écossais des marchés flamands, s’attira du duc cette réponse, depuis bien oubliée par la majorité de ceux qui détiennent le pouvoir : « Notre pays de Flandre est en société avec le monde entier et l’accès en est libre a chacun » ! Il savait se battre aussi : à la bataille de Roosebeek, contre Charles VI, en 1382, neuf mille drapiers gantois, la moitié du contingent, se fit tuer sur place avec Philippe van Artevelde. Il n’existait alors ni droits protecteur ou différentiels, ni primes d’aucune sorte, et la décadence ne commença qu’avec le système de « protection » introduit par les ducs de Bourgogne, guerriers et centralisateurs. Plus le joug politique pesa lourdement sur les Flandres, plus le commerce périclita[27].

Les princes de Bourgogne, disposant des richesses inespérées que l’industrie ouvrière avait amassées dans leur résidence et dans les autres villes des Flandres, en jouirent avec une prodigalité sans exemple, que les sujets, nobles, bourgeois et manants s’empressèrent d’imiter : ce fut une fureur de kermesses débordantes, de processions luxueuses, N° 345. Duché de Bourgogne.
de cortèges et d’ « esbattements » de tous genres ; les tables étaient chargées de viandes pour la multitude rassemblée, toutes les fontaines publiques versaient l’hydromel et le vin. De même que la population romaine s’était vendue aux Césars pour le « pain et les jeux », de même celle des Flandres, oubliant le vieil esprit de l’indépendance communaliste, se livrait à ses maîtres pour la joie des festins[28] ; Bruges ne s’enorgueillissait pas seulement de l’activité de son commerce, de la splendeur de ses produits, elle était surtout très fière de ses glorieuses ripailles, où ses ducs trouvaient le plus sûr moyen de gouvernement. Entre les joies de la table, qu’immortalisèrent plus tard les Teniers et les Jordaens, et celles de l’extase ascétique, qui, par contraste, sévissait alors dans les couvents et les béguinages, il n’y avait point de place pour la revendication des libertés d’autrefois. Les princes pouvaient tout se permettre : tout leur était pardonné d’avance. C’est ainsi que Philippe l’Asseuré, cynique impitoyable et cruel, devint Philippe le « Bon » dans la mémoire du peuple qui se goinfrait avec lui.

Dans la situation très humiliée où se trouvaient les rois de France, les riches et fastueux vassaux bourguignons devaient naturellement intervenir en patrons, en protecteurs, et peu s’en fallut qu’ils ne devinssent les véritables maîtres : ils s’allièrent aux Anglais et le partage de la France paraissait inévitable. Dans Paris même, les partis se disputaient la domination de la rue. En une nouvelle bataille, Azincourt (1415), ce qui restait de la folle chevalerie française se fit battre honteusement par des manants à pied, comme l’avaient fait leurs pères à Crécy et à Poitiers, puis, aidés par la reine même, les Anglais entrèrent dans Paris (1418). La Loire était devenue la seule ligne défensive du royaume qui avait été si puissant sous Philippe-Auguste. On évalue aux deux tiers la diminution qu’eut à subir la population de la France pendant la guerre de Cent ans[29]. De vastes étendues avaient été changées en solitudes, villes et villages par centaines avaient disparu sous la brousse, et la bête sauvage y avait remplacé l’homme. Et pourtant la paix ne venait pas encore ! Les prodigieuses victoires des Anglais n’avaient servi qu’à prolonger la guerre en leur faisant espérer le triomphe final, à les encourager dans cette entreprise impossible : réduire une contrée trop vaste pour eux, où leurs forces finissaient par s’égarer et se perdre.

Ce que la France eut à souffrir pendant cette période est indicible : la population se trouvait en entier poussée vers la folie. A Paris, plus de vingt mille maisons abandonnées tombaient en ruines ; les métiers ne battaient plus dans les villes industrielles, le travail était partout délaissé ; la vie était devenue si incertaine qu’on ne la demandait plus à un labeur désormais illusoire et qu’on en était venu à la disputer aux loups. Les pestes passaient et repassaient sur le peuple, laissant la terreur derrière elles. Les désespérés se firent malandrins ou sorciers. On vit en certains districts les paysans sur le point de « se donner au diable », espérant en effet que l’Eternel ennemi, le dieu du mal et de l’enfer leur serait moins dur que le « bon Dieu »[30] ! « Mettons-nous en la main du Diable, ne nous chault ce que nous devenions ! » Quant aux docteurs subtils, aux timides et aux délicats que la prière et la souffrance avaient réduits à la suppression de toute volonté, ils n’avaient d’autre ressource que la résignation extatique et lisaient l’Imitation de Jésus-Christ.

N° 346. France de la Guerre de Cent ans.

Le territoire grisé est celui qui obéissait au roi de France au moment où Jeanne d’Arc se présente à Charles VII.

Au début de la guerre de Cent ans, les Anglais ne tenaient que la Guyenne et le Ponthieu (Voir : carte carte n° 335, page 91.) Après leurs victoires de Crécy (Cr.) et de Poitiers (Mau.), à la paix de Brétigny (Br.), en 1360, leur domaine s’étendait du Poitou à l’Armagnac, jusqu’à la ligne en pointillé. Dans la seconde partie de la guerre, après la campagne de Du Guesclin et Azincourt (Az.), les Français avaient réoccupé une grande partie de la France du sud-ouest, mais presque tout le nord était aux mains des Anglais.

Et d’où pouvait venir le salut ? Le pauvre peuple aurait voulu se laisser guider encore par les seigneurs, qui l’avaient défendu si étrangement sur les champs de bataille, qu’il ne l’aurait pu, puisque les nobles se trouvaient presque tous dans les camps étrangers. Il ne lui restait plus qu’à « faire jacquerie » contre les Anglais, comme il l’avait fait plus d’une fois contre les nobles. Le désespoir lui conseillait toutes les folies, et c’est pour cela qu’il se précipita à la suite d’une bergère inspirée. C’était insensé, disaient les gens de guerre, mais la France fut délivrée. Du moins pour un temps, la lutte cessa d’être un tournoi de chevalerie, et les femmes, les paysans s’y lancèrent en toute sincérité, se servant des armes qu’ils possédaient et qu’ils surent d’ailleurs manier avec plus de force et d’adresse que les fils des paladins n’avaient su manier les leurs. La fortune changea de parti et, les unes après les autres, les villes murées, les provinces furent reprises aux Anglais. Par un magnifique exemple, le peuple des opprimés et des battus montra que l’on pouvait se passer des rois tout brodés d’or et des prélats magnifiques : aussi fut-ce par un instinct très sûr de l’intérêt de classe que le roi Charles VII abandonna Jeanne d’Arc qui l’avait couronné (1429), et que les prélats, archevêque en tête, la convainquirent de sorcellerie, de pacte avec le diable, et la brûlèrent sur une place de Rouen (1431). Ceux même qui, de nos jours, continuent la tradition conservatrice de la royauté et de l’Eglise s’efforcent maintenant de placer Jeanne la Pastourelle au rang de « Sainte ». Après un demi-millénium, c’est un repentir tardif.

L’intervention directe du peuple dans ses propres affaires reconquit graduellement le territoire national. Paris revint à la France en 1436, et les Anglais, que commandait Talbot, firent à Castillon (1453) leurs derniers efforts de résistance, bientôt suivis de la soumission de Bordeaux qui vit la résistance inutile. Les deux places de Calais et de Guines restèrent seules au pouvoir de l’Angleterre, parce qu’elles se trouvaient enclavées en domaine bourguignon.

De part et d’autre l’épuisement des peuples était complet. Sans doute, les expéditions, les manœuvres et les batailles ayant eu lieu sur le territoire français, c’est la que la misère et la faim causèrent le plus de maux, mais si la guerre de Cent ans ne ravagea pas directement le sol de l’Angleterre, la situation des vainqueurs ne fut guère moins misérable que celle des vaincus. D’abord, les Anglais eurent beaucoup à souffrir du brusque débarquement de pirates normands, bataves, arabes ou turcs, non seulement en temps de guerre, mais aussi en temps de paix. Malgré la vigilance des riverains, peu de villes de la côte anglaise, de Bristol et de Plymouth jusqu’à Berwick, échappèrent à l’incendie et aux ravages : les îles de Wight et de Thanet, mal secourues par les
Cl. J. Kuhn, édit.
statue de jeanne d’arc à vaucouleurs
donnée par louis xi.

Vingt-cinq ans après la mort de Jeanne, en 1456, son
procès fut révisé et sa mémoire réhabilitée à Rouen.
gens de la grande terre, furent presque entièrement dépeuplées, et, parmi les villes détruites par les pirates français, il en est qui ne se sont pas encore relevées du désastre : telle, sur la côte de Kent, la ville maritime Jadis fort importante de Sandwich. On cessa d’entretenir les routes qui conduisaient des ports de mer vers l’intérieur, de peur qu’elles ne servissent aux corsaires. Même les habitants de Salisbury, qui se trouve pourtant à 40 kilomètres de la mer, en ligne droite, élevèrent un rempart et creusèrent un large fossé autour de leur ville, pour la mettre à l’abri des dangereux visiteurs.

Dans tout le pays, l’appauvrissement causé par le poids des impôts et des corvées, par le départ des jeunes hommes, la cessation du commerce et de l’industrie, eut la famine pour conséquence ; en maints endroits, les femmes mangèrent leurs enfants ; les voleurs enfermés dans les prisons attendaient avec impatience qu’on leur amenât d’autres criminels afin de se jeter sur eux et de les dévorer encore tout palpitants.

Les animaux domestiques disparurent en grande partie, volés par les rôdeurs ou bien enlevés par les maladies et tombant d’inanition ; en certains districts, il ne restait ni bœufs, ni vaches, ni volailles, les abeilles mêmes furent tuées par la pestilence. Les rapaces et les bêtes de proie se refusaient à manger la chair des animaux putréfiés : il fallut désigner des « cadavérateurs » spéciaux pour enfouir toutes ces matières en décomposition. Les plantes nourricières mêmes étaient malades, et les « herbes médicinales », dit un auteur du temps, « distillaient du poison[31] ».

La peste régnait aussi sur les hommes, et cette peste n’était, en réalité, qu’une autre forme de la misère. Pour les malheureux paysans, 1348, le « surlendemain » de Crécy, fut l’année fatale par excellence, puisque les annalistes racontent que plus d’une moitié de la population avait été emportée par le fléau : des villages furent effacés de la terre sans qu’il en restât souvenir : en certaines villes, comme Norwich, plus des trois quarts des habitants succombèrent à la « mort noire ». Le clergé fut encore plus frappé que les laïques : en un seul diocèse, celui de Norwich, on eut à remplacer 863 « recteurs » ; on ordonnait précipitamment des laïcs pour la seule raison qu’ils savaient lire ou qu’ayant perdu leur femme, ils pouvaient prononcer le vœu de célibat. Les pestes qui suivirent causèrent moins de mal, car le vide s’était déjà fait devant la mort, mais de fréquentes reprises se succédèrent, comme des incendies renaissant d’un foyer mal éteint. On évalua en général à une vingtaine d’assauts les attaques de la peste qui se renouvelèrent pendant la fin du quatorzième siècle et la durée du quinzième, mais il est plus vrai de dire que la maladie se maintint pendant toute cette période avec plus ou moins de violence. Les rapports étaient interrompus de ville à ville. En 1406, le roi Henri IV manqua fort d’être capturé par des pirates, parce que, n’osant pas traverser Londres, il s’était aventuré sur la basse Tamise pour aller du Kent dans l’Essex : une partie de son convoi fut enlevée. La cérémonie du baise main tomba en désuétude, le vassal craignant de contaminer ses lèvres, le suzerain n’osant pas livrer sa main.[32]

Dans ses études historiques sur le moyen âge en Angleterre, Denton essaie de calculer le mouvement de la population depuis Guillaume le Conquérant. Il semble qu’il y eut progrès réel, quoique lent, pendant la période normande, jusqu’après la mort d’Edouard Ier. Au milieu du quatorzième siècle, la population anglaise devait être d’environ quatre millions, mais la guerre de Cent ans, la lutte continuelle sur la marche d’Ecosse, la misère et la peste firent de nouveau la solitude, et le nombre des habitants tomba probablement au-dessous du niveau indiqué par les registres du Domesday-book[33].

Cl. J. Kuhn, édit.
style flamboyant
Eglise de Caudebec-en-Caux, construite de 1426 à 1515.

Le recul de civilisation qui se manifesta pendant les deux siècles de massacres, de misère et de dépeuplement fut si considérable que les objets de confort et de luxe employés pendant l’époque normande furent complètement oubliés. Ainsi les pairs d’Angleterre recommencèrent à manger avec leurs doigts, et quand les fourchettes réapparurent sur les tables, pendant le règne d’Elisabeth, on parla de ces instruments comme de véritables découvertes[34]. Pourtant dès la fin du dixième siècle, un théologien éminent raconte avec horreur que la sœur d’un empereur d’Orient, ayant épousé le fils d’un doge de Venise, employait des petites fourches pour porter les aliments à sa bouche : luxe insensé qui appelait bientôt le courroux céleste sur terre, puisqu’ils moururent de la peste quelques années après !

Le brigandage était devenu la grande industrie des campagnes. Le danger des attaques à main armée avait fait voter une loi (1285) d’après laquelle les seigneurs, les communes, et autres propriétaires étaient tenus d’abattre toutes haies, broussailles et forêts jusqu’à deux cents pieds de distance, de chaque côté des chemins menant d’un bourg de marché à un autre. Le possesseur des terrains que traversaient les routes était considéré comme responsable de tout crime de violence accompli là où l’on avait négligé le travail de déboisement riverain[35].

Les conditions de la tenure du sol avaient changé et la situation du pauvre peuple empirait. Le caprice et l’avidité des seigneurs ne laissaient aux paysans que la routine de leur culture : tout était réglé dans le travail agricole. Une part de la terre était divisée en petits lots ayant chacun sa demeure familiale, bien délimitée par une clôture en bois ou la haie vive, le ton ou tun, origine première de tant de towns ou de cités[36]. Une deuxième partie du sol était également soumise à la culture, mais non au profit de familles distinctes ; le labeur s’y faisait au bénéfice collectif de la communauté. Ce champ était divisé en billons d’une longueur uniforme, mesure que les arpenteurs et dessinateurs de plans emploient encore en Angleterre : le furlong[37], et chacun d’eux était séparé des autres par un espace inculte, gazonné ou broussailleux, dans lequel pouvaient s’abriter les lièvres. Tous les billons d’un même groupe étaient, labourés par la même charrue et la récolte se faisait en même temps pour que la terre devînt pâturage commun depuis le 1er août (Lammasday) jusqu’à la Chandeleur, au commencement de février.

Le « seigneur du manoir » regardait avidement vers ces cultures qui appartenaient à la commune dont il pouvait se croire le représentant et, par une conséquence naturelle, le véritable maître. Mais l’ambition par excellence du noble était de s’emparer des forêts, des pâturages, des tourbières qui constituaient depuis les temps les plus reculés la propriété de tous et perpétuaient de siècle en siècle l’ancien régime communautaire, tel qu’il avait existé avant la période historique, chez les ancêtres bretons, germains et Scandinaves. Dans ces tentatives d’accaparement, les seigneurs avaient naturellement l’appui que donne la loi, puisqu’ils formaient eux-mêmes le Parlement et pouvaient ainsi légiférer à leur aise, en s’assurant à prix d’argent le concours des juristes, haute domesticité du royaume.

Depuis le milieu du treizième siècle, une guerre ininterrompue régnait entre les barons et les communes pour la possession de ces terrains indivis : les tribunaux, le Parlement retentissaient continuellement de ces débats, et parfois on essaya de les résoudre par la force. En 1235, un acte donna le droit aux seigneurs du manoir d’enclore les parties du sol commun qui « n’étaient pas nécessaires aux communiers libres ». Mais quelle était la règle précise permettant d’établir cette distinction entre le terrain nécessaire et le terrain inutile ? Les seigneurs, généralement soutenus par les corps délibérants, demandaient la plus grosse et la meilleure part du sol, sinon la totalité, tandis que les communiers réclamaient le maintien des anciens droits et, quand on ne leur donnait pas raison, détruisaient souvent de vive force les haies ou autres espèces de clôture établies par les seigneurs. Thomas Morus parle dans son Utopie de ces continuels empiétements des « nobles et gentils qui enclosent tout pour en faire des pâtures, renversant les maisons, déracinant les villages et ne laissant rien debout, si ce n’est l’église, pour en faire des parcs à brebis ». Ce sont des plaintes de cette nature que contiennent la plus forte part des écrits politiques anglais de la fin du quinzième siècle et de la première moitié du seizième. A chaque instant surgit encore dans la Grande-Bretagne du vingtième siècle la lutte entre les paroisses et les grands propriétaires pour le right of way, droit de passage, que souvent la loi refuse en fin de compte aux citoyens.

Cl. Kuhn, édit.
le rhin et la cathédrale de cologne

En s’emparant de la terre, les seigneurs cherchaient aussi à s’emparer de l’homme, à rétablir l’esclavage sous une autre forme. A cet égard, il y avait recul évident sur les progrès antérieurs. Lors de la conquête normande, les esclaves étaient encore nombreux en Angleterre, mais ils paraissent avoir diminué rapidement, grâce au refuge que leur présentaient les villes et les domaines royaux : tous ceux qui parvenaient à échapper aux recherches pendant un an et un jour cessaient d’être esclaves ou serfs pour devenir des travailleurs libres. Il est vrai que dans les actes du treizième siècle on parle fréquemment des apprentis « vendus » et « achetés », mais ces mots avaient probablement perdu leur sens primitif et se rapportaient simplement aux droits et engagements respectifs des patrons et de leurs élèves[38].

Pour faire travailler les domaines dont ils accroissaient incessamment l’étendue, les seigneurs cherchaient à fixer de nouveau l’homme et son labeur. Afin de disposer de la main-d’œuvre nécessaire, ils firent publier un acte du Parlement, par lequel il était défendu aux paysans de quitter leur paroisse ; toutefois, la misère était si grande en certains districts des marais, des landes, et des marches de Galles et d’Ecosse que, dans ces contrées, la « recherche du travail » n’était pas considérée comme un délit punissable par la loi. De même, à l’encontre d’un édit défendant l’augmentation du salaire des ouvriers agricoles, les nécessités de l’offre et de la demande obligeaient souvent les propriétaires de violer à leur détriment leurs propres lois pour s’assurer des travailleurs par un accroissement de gages. Les garçons, les filles employés dans leur enfance au travail de la terre étaient par cela même condamnés à la glèbe pendant tout le reste de leur vie, l’apprentissage d’un métier leur étant absolument interdit. Cependant, l’intérêt des villes se trouvant en opposition complète avec celui des propriétaires terriens, il en résultait des juridictions contradictoires. Ainsi, la ville de Londres, où la mortalité dépassait de beaucoup la natalité, serait devenue rapidement un cimetière si des immigrants de la campagne n’étaient venus, en dépit des lois, remplir les vides laissés par les morts ; le même phénomène économique devait se reproduire dans toutes les autres villes, qui se maintenaient en violation de toutes les règles de l’hygiène. Les districts industriels faisaient aussi fléchir la loi à leur profit[39].

Mais de toutes manières, seigneurs et bourgeois se disputaient la possession exclusive des bras humains pour les utiliser en maîtres impitoyables. Aussi l’Angleterre eut-elle ses « jacqueries » et même celle de toutes qui fut entreprise avec le plus de méthode et atteignit les résultats les plus considérables, d’ailleurs éphémères, connue ceux des jacqueries du continent. C’était en 1381, le Parlement venait d’imposer une nouvelle loi de capitation pour subvenir aux frais de guerre et au luxe de la cour : les paysans, exaspérés par les agents du fisc, se soulevèrent dans le comté d’Essex ; bientôt tous les autres comtés du sud-est suivirent le mouvement, et des bandes constituant une armée de plus de cent mille hommes se mirent en marche vers la capitale, détruisant les châteaux, ouvrant les prisons, bâtonnant seigneurs et magistrats. Le roi Richard II n’osa point se mesurer avec eux, les révoltés entrèrent dans Londres, où ils brûlèrent les palais des seigneurs les plus haïs. Alors le gouvernement céda, s’engageant par serment à toutes les réformes demandées. Les paysans confiants se dispersèrent, et Wat Tyler — Gault le Tuilier —, le chef des insurgés, fut assassiné par le lord-maire lors d’une conférence avec le roi. Il ne restait plus à celui-ci qu’à se faire dégager de ses promesses par le Parlement et à faire tuer et martyriser par centaines ceux des paysans que l’on signalait comme meneurs. L’oppression reprit de plus belle après cette tentative d’émancipation.

Parallèlement à ce mouvement économique s’était produite une poussée de liberté dans l’église anglaise : la « réforme » s’accomplissait un siècle et demi avant la période critique portant ce nom dans l’Europe occidentale. Le docteur Wiclef personnifia et dirigea cette transformation religieuse. A l’université d’Oxford, devant le Parlement et surtout devant le peuple, on le voit combattre les prétentions du pape à la domination des âmes, et l’ingérence des prêtres et des moines dans la société civile et la vie des familles ; il rejette la confession, puis, faisant appel à la Bible contre ses interprètes officiels, se met à la traduire en langage populaire pour que le peuple lui-même, débarrassé des maîtres officiels de l’Eglise, soit le juge direct et le confesseur de sa foi, enfin, par de vigoureux pamphlets, répand ses sarcasmes sur les abus religieux. Homme de principes, Wiclef va jusqu’aux conséquences de ses idées et, comme précurseur, par la logique de sa doctrine religieuse, même politique et sociale, dépasse de beaucoup ses continuateurs ; en réalité, il « aboutit à l’anarchisme individualiste absolu[40] ». Aussi le pouvoir civil devait-il réprouver son action, aussi bien que le pouvoir religieux. En 1381, l’année même du conflit qui mit directement aux prises la jacquerie des paysans et la royauté, l’enseignement de Wiclef est condamné par les professeurs d’Oxford, et ses adhérents, les lollards, sont persécutés. Cependant, on n’osa pas toucher à cet homme pur, universellement respecté, et il mourut trois années après sans avoir subi de violences. C’est en 1428 seulement que, par ordre du concile de Constance, ses ossements furent déterrés et détruits par le feu.

Quand même, l’esprit de révolte continua de brûler sous la cendre en mainte communauté religieuse d’Angleterre, attendant l’époque où le grand incendie devait éclater de nouveau. Mais c’est ailleurs, en Bohême, au centre du continent européen, que l’œuvre de Wiclef fut reprise directement, grâce aux conditions politiques spéciales dans lesquelles se trouvait ce pays. Slaves et Germains y étaient alors en conflit, comme ils le sont encore de nos jours, et l’inimitié naturelle provenant de la différence des langues, des mœurs, des inégalités sociales qui en étaient la conséquence, exalta suffisamment les esprits pour donner la plus grande âpreté aux dissensions religieuses. Cette contrée, qui se présente superbement en affrontant les plaines germaniques, semble constituer un corps distinct et comme un monde à part. Mais en considérant les Slaves comme la garnison de la puissante citadelle, on constate que, sur la plus grande partie de leur pourtour, les murailles d’enceinte sont précisément occupées par l’ennemi, c’est-à-dire par les Germains. Les Tchèques, venus de l’est, avaient pu facilement pénétrer en Bohême dont ils avaient occupé toute la partie centrale, surtout les anciennes terres lacustres, transformées en fécondes campagnes, qui rayonnent autour du confluent de la Vltava et de la Labe — de la Moldau et de l’Elbe —, et que gardait la ville de Praha ou Prague, puissamment fortifiée par eux. Mais ils avaient été arrêtés par les monts couverts de forêts, et ne les avaient franchis qu’en de rares passages, dont le principal était celui de Domazlice ou Taus, qui pointe vers le coude du Danube. Les Allemands, plus nombreux, et, d’ailleurs, appelés par les rois de Bohême qui voulaient peupler leurs domaines, avaient escaladé les monts, s’étaient installés dans les clairières, puis avaient colonisé çà et là les vallées de l’intérieur : toute une ceinture ethnologique s’était déployée en demi-cercle autour des populations slaves de la Bohême centrale.

Ainsi le contraste des races, opposées par la force des choses et indépendamment des volontés, devait compliquer la situation religieuse, qui seule intéressait alors l’Eglise souveraine. À cette époque, Jean Huss était, de tous les novateurs nourris de la doctrine de Wiclef, celui qui avait gardé de cet enseignement l’impression la plus vive il en était agité jusque dans son sommeil[41] ; il s’éleva contre l’autorité despotique du clergé. Obligé de fuir Prague, où sa vie était menacée, il fut mandé devant le concile qui siégeait alors à Constance (1414) pour essayer de remédier à l’infini désarroi de l’Eglise, dont trois papes se disputaient le gouvernement.

Cl. Kuhn, édit.
prague, hôtel de ville


Huss se méfiait à bon droit de l’invitation courtoise qui lui était adressée, mais l’empereur Sigismond le munit d’un sauf-conduit et le fit accompagner de chevaliers garants. Toutefois, l’Eglise, qui possède les clefs du paradis et de l’enfer, et qui détient également le droit de changer le mal en bien pour la plus grande gloire de Dieu, déchira le sauf-conduit et fit monter Huss sur le bûcher, crime qui ne devait point être oublié. En Bohême même la guerre éclata presque aussitôt : plus de cinq cents églises et couvents furent incendiés et des batailles sanglantes livrées entre les Hussites — devenus d’ardents patriotes slaves — et les catholiques allemands des alentours. L’équilibre ne devait se rétablir, au profit du catholicisme et de la maison d’Autriche, que dans la première moitié du dix-septième siècle.

La victoire de l’Eglise sur les novateurs Wiclef et Jean Huss, en Angleterre et en Bohême, de même qu’à une époque antérieure, l’écrasement des Albigeois, témoigne de l’étonnante force de résistance que possédait encore la routine des populations à l’initiative intellectuelle et morale des pionniers de justice : c’est bien la masse profonde des nations européennes qui ne voulut point se prêter au changement, quoique le désordre de l’institution papale fût devenu un véritable chaos et que de toutes parts les bourgeoisies naissantes ou constituées fissent appel à un concile de réformateurs pour mettre fin aux abus monstrueux du gouvernement clérical, aux luttes intestines du clergé, aux excommunications mutuelles des papes et des anti-papes. Les conciles se assemblèrent, à Pise, à Constance, à Bâle ; les prélats siégèrent pendant des années, mais s’ils réussirent à reconstituer l’unité apparente de l’Eglise en la soumettant au pouvoir spirituel d’un seul pontife, ils ne parvinrent point à purifier le catholicisme des pratiques de simonie, des prévarications, des violences, des exactions de toute espèce qui avaient déjà causé les premières tentatives de révolte, et qui devaient amener, dans le siècle suivant, l’explosion définitive de la Réforme. Redevenus les chefs incontestés de l’Eglise, comme princes temporels et spirituels, les papes se crurent désormais tout permis. Les conciles avaient été impuissants contre eux, ne pouvant, en vertu de leurs propres principes, contester au successeur de saint Pierre le gouvernement des âmes.

L’empire germanique était encore plus divisé que l’Eglise et son unité n’était reconnue que temporairement, suivant les intérêts immédiats des grands princes électeurs, des villes et des fédérations de villes qui se livraient des guerres incessantes. L’Allemagne, aux contours vagues, imprécis, moins bien marqués que les frontières naturelles des États qui la constituent, était encore très éloignée de présenter des rudiments d’unité politique : à cet égard, elle était évidemment très en retard sur les contrées de l’Europe occidentale, France, Angleterre, Espagne, dont les domaines géographiques naturels étaient du reste nettement définis.

Malgré les terribles guerres qui les avaient épuisés, malgré leur appauvrissement et leurs épidémies de « mort noire », les deux royaumes séparés par la Manche gravitaient chacun vers une forme définitive s’accordant avec les indications du milieu. En France, cet aboutissement naturel ne pouvait que se préparer, et non se réaliser, aussi longtemps que le duché de Bourgogne déroulait ses anneaux comme un dragon du Charolais aux Flandres.

Cl. Kuhn, édit.
prague, le vieux pont sur la vltava.


En Angleterre, l’évolution se faisait d’une manière plus méthodique et plus sûre. Les districts montagneux habités par les Celtes gallois avaient été annexés en 1283, et, dès que cette conquête eut été accomplie, Edouard Ier s’était appliqué à l’œuvre beaucoup plus difficile de subjuguer les Écossais et, de placer ainsi toute la Grande-Bretagne sous la domination des rois d’Angleterre. Déjà la plus grande partie de l’Irlande leur était soumise : l’ensemble de l’archipel était forcément condamné, par l’inégalité des populations en lutte, à subir tôt ou tard l’ascendant anglais.

Mais, en dépit de cette unité imposée par la violence, la Grande-Bretagne, ce fragment détaché du continent d’Europe, que de nombreuses indentations découpent en péninsules, surtout à l’occident, et qui se prolonge du sud au nord sur un énorme développement linéaire d’un millier de kilomètres, avec une très faible largeur relative, se divise, par cela même, en plusieurs contrées différentes les unes des autres, bien façonnées pour donner aux populations résidantes une vie autonome. La presqu’île de Cornwales et le massif montagneux de Wales, qui s’avance au loin dans les eaux du canal d’Irlande, étaient évidemment désignés par la nature comme des terres dont les habitants auraient dû normalement rester longtemps à part des autres insulaires en maintenant leurs coutumes, langue et institutions propres. Bien plus encore ceci était-il vrai pour le principal membre articulé du corps de la Grande-Bretagne, ce territoire dont le contraste géologique, géographique, climatique, ethnique et social a créé celui des deux nations, Écosse et Angleterre.

Evidemment, la zone basse de terrains comprenant les deux bassins de la Clyde, sur le versant occidental, et du Forth, sur le versant oriental de l’île, a dû prendre une importance capitale dans l’histoire des luttes qui eurent lieu de part et d’autre avant l’union des deux royaumes. Un foyer spécial de vie nationale devait se développer en ces campagnes à double pente, où le seuil de partage n’a que 61 mètres d’élévation au-dessus de la mer et où l’industrie ne manquera pas de creuser quelque jour un canal de grande navigation. En comparaison des régions montagneuses du nord, où s’alignent les âpres chaînes des Grampians, cette étroite dépression des terres fertiles, devenues populeuses, représente presque toute la partie vivante de la contrée, et, du côté du sud, elle se trouve également en contraste avec des montagnes couvertes de bruyères, avec des rochers et des solitudes qui s’étendent de mer à mer. Les Cheviot-hills, se prolongeant obliquement aux rivages dans la direction du nord-est au sud-ouest, constituent le rempart extérieur de ce massif avancé ; la limite officielle de l’Écosse, qui vient aboutir à la découpure du Solway Firth, correspond presque exactement à la limite naturelle : c’est bien là que se trouve la « taille » du grand corps élancé dont l’Écosse comprend la tête et le torse. Seulement, à l’extrémité nord-orientale des Cheviot-hills, un couloir assez large permettait le passage, et la possession de cette porte naturelle donna lieu à d’incessants conflits. C’est à la traversée des rivières, à la conquête des seuils que se livraient les batailles les plus acharnées.

Si l’on ajoute au territoire de l’Écosse proprement dite les archipels qui le continuent au nord, la moitié écossaise de la Grande Bretagne est aussi développée en longueur que la moitié anglaise, mais elle reste de superficie moindre, et de tout temps la population dut en être plus clairsemée et proportionnellement très inférieure en nombre. Les obstacles de la nature rétablissaient pourtant l’équilibre militaire, à cette époque où les moyens de communication n’aidaient pas encore à la pénétration des régions du nord.

Cl. Kuhn, édit.
chateau de alnwick, northumberland


Et même les Écossais avaient, de par leur position géographique, des habitudes naturelles de pillage qu’il leur était facile de croire véritablement un droit. Du haut de leurs collines où ils musaient en gardant leurs troupeaux, ils apercevaient les campagnes labourées, les granges pleines, et quand la faim leur rongeait les chairs, ne devait-il pas leur sembler très légitime de descendre en bandes chez leurs voisins pour en rapporter des vivres ? Les incursions régulières amenaient un état permanent de guerres et de massacres. Puis dans les grandes campagnes stratégiques, les Méridionaux, c’est-à-dire les Anglais, réussissaient le plus souvent, grâce à leur supériorité numérique, à forcer les multiples remparts des Low lands ou « Terres-basses », et à saisir les positions militaires d’entre Forth et Clyde; mais au delà, ils se heurtaient contre les monts escarpés du nord, où la nature leur était aussi ennemie que les hommes. L’âpreté de la contrée compensait l’infériorité du nombre.

Dès la fin du treizième siècle, l’Écosse paraissait sur le point d’être soumise. Successivement, les chefs Baliol et Wallace furent battus par Edouard Ier; mais un nouveau révolté, Bruce, groupa les forces écossaises pour une résistance désespérée et réussit en effet à triompher de l’armée anglaise, sur la colline de Bannockburn (1314), qui couvre au sud la porte stratégique de la haute Écosse, Stirling. Cette victoire permit au royaume du nord de reprendre l’offensive : Bruce pénétra même en Irlande, où il espérait pouvoir trouver des alliés contre l’Angleterre ; mais, depuis longtemps envahie, découpée en domaines et en principautés diverses, Erin ne présentait en aucune de ses provinces assez d’unité politique pour offrir un point d’appui suffisant.

La victoire de Bannockburn fut peut-être pour les Écossais un déplorable triomphe : elle fit le plus grand mal à leurs ennemis, mais à eux-mêmes bien davantage encore. L’Écosse, qui, jusqu’alors, avait reçu du midi britannique tout son ferment de vie, cessa d’être alimentée au point de vue de l’industrie, du commerce et de l’art. Les gens instruits et les artisans habiles, qui, pour la plupart, étaient Anglais, durent quitter l’Écosse : tout rétrograda, au point de vue matériel, intellectuel et même moral. Les Écossais, redevenus presque sauvages, en arrivèrent même à ne plus savoir fabriquer leurs armes, qu’il leur fallait importer de France et des Flandres. D’autre part, l’ancienne nation des Pictes doit sans doute à cette séparation politique et sociale d’avoir vécu suivant un développement plus original et maintenu à travers les siècles son individualité propre.

Des deux côtés de la Solway et de la Tweed la zone bordière se changea en désert : aussi loin que pouvaient atteindre les pillards dans une chevauchée nocturne, tout le pays fut rapidement dévasté. Plus d’un million d’hommes, dit-on, furent massacrés dans les guerres nationales et civiles de l’Écosse. On peut juger des malheurs du peuple par le sort des rois eux-mêmes : la plupart périrent de mort violente, laissant le trône à leurs enfants mineurs. Nombre de cités tombèrent en ruines, bientôt recouvertes de gazon : le port de Berwick, qui, dans la Grande-Bretagne, n’avait été dépassé en importance que par celui de Londres et qu’on avait appelé une « autre Alexandrie », perdit toute son activité, qu’il n’a jamais reconquise.

No 347. Basse Écosse.
Privée de tout rapport avec sa voisine l’Angleterre, son éducatrice naturelle, l’Ecosse fut par contre-coup rejetée vers la France, qui devint à la fois son alliée politique et son modèle en civilisation[42]. Mais les deux contrées sont fort éloignées l’une de l’autre et les mers qui les séparent périlleuses à franchir. La force d’attraction mutuelle devait, par la nature même des choses, diminuer « en proportion du carré de la distance » ; néanmoins on reste étonné des gallicismes de toute espèce qui se sont introduits et maintenus depuis cette époque dans les institutions, l’architecture, les mœurs et la langue des Écossais.

A une autre extrémité de l’Europe, les habitants de la péninsule Ibérique se débattaient aussi en de constantes luttes, sollicitées par l’une ou l’autre des deux forces en conflit, la passion de l’individualité provinciale et l’ambition de l’unité générale du pays : les traits géographiques marqués dans la presqu’île par les contours des plateaux et les arêtes des montagnes expliquent ces événements. Dans l’ensemble, les guerres incessantes du moyen âge en Espagne sont représentées à la fois comme un conflit de religions et de races. Pour les esprits simplistes, ayant subi l’éducation catholique, où tout se présente en larges couleurs unies, les révolutions d’Espagne n’auraient été qu’une revendication sans fin de la foi chrétienne contre le culte musulman, qu’un tournoi entre les chevaliers de Dieu et les suppôts du démon ; tout au plus se serait-il mêlé à ce conflit religieux un peu du contraste ethnique produit par le contact des races aborigènes et des fils des Suèves et des Visigoths avec les envahisseurs du Sud et de l’Orient, Berbères et Arabes. Certainement, il y a quelque part de vérité dans cette vue générale des choses, mais les phénomènes de la vie locale, dans leur mélange avec la tendance nationale vers l’unité politique, eurent sans aucun doute une importance plus considérable encore.

Et puis, il faut aussi faire la part du retour vers la barbarie créé par le continuel brigandage. On peut en juger par la véridique histoire de Ruy ou Rodrigo Diaz de Bivar, le Campeador ou « Batailleur », dans lequel la légende voyait le champion incorruptible et chevaleresque de la foi chrétienne, tandis qu’il fut en réalité un chef de bandes mercenaires, se mettant soit au service des chrétiens, soit à la solde des musulmans, d’après les chances du butin. Il « faisait métier d’enchainer les prisonniers, de raser les forteresses », au profit de l’un ou de l’autre maître, torturant les captifs, les brillant à petit feu, les faisant déchirer par ses dogues, non pour les convertir à une foi quelconque, mais pour les forcer à révéler les cachettes où se trouvait leur or.

Cl. Kuhn, édit.
rocher de dumbarton, sur la clyde.

Lorsque les Anglais envahissaient l’Ecosse, ils se contentaient généralement d’occuper quatre points fortifiés commandant l’isthme : les rochers volcaniques de Dumbarton et d’Edimbourg, la colline de Stirling et un fortin près de Borrowstoness (Bo’nes).


D’ailleurs, le nom de Cid, — en arabe Sidi, « Seigneur », qui lui est resté, est la désignation sous laquelle le connaissaient ses alliés musulmans. Désormais, l’histoire de ce bandit est bien connue[43], mais il faut dire que les documents déjà utilisés par les historiens antérieurs s’exprimaient uniformément dans le même sens ; seulement on ne voulait pas y croire, tant il semblait téméraire de combattre la légende accréditée. Triste civilisation relative que celle dans laquelle un Cid Campeador peut concentrer en lui, comme un soleil, tous les rayons de l’admiration d’un peuple ! C’est à la fin du onzième siècle qu’eurent lieu les aventures guerrières célébrées dans un Romancero du seizième siècle, et, dès le début du siècle suivant, les chrétiens purent espérer la conquête entière de la Péninsule. Un roi d’Aragon, devenu par mariage co-souverain de la Castille, crut même le moment venu de s’appeler « empereur d’Hispanie ». En 1147, une chance heureuse ayant permis aux chrétiens de prendre Alméria, les royaumes arabes du midi se trouvaient déjà menacés du côté de la mer et partiellement séparés de leurs coreligionnaires d’Afrique. Dès la première moitié du treizième siècle, le sort des Arabes est irrévocablement fixé, puisque le blocus, se resserre autour d’eux. Ils sont battus à Navas de Tolosa (1212), puis à Merida (1230) et l’Estrémadure leur est enlevée : on leur prend Cordoue, puis Séville, enfin Cadix, en 1250. La migration de retour commence pour les musulmans des provinces conquises, et les familles nobles demandent le baptême en foule pour devenir gentilshommes de Castille. Le cercle de fer fut complété en 1340, lorsque Algeciras tomba aux mains des Espagnols et que le royaume arabe de Grenade resta complètement isolé. Toutefois, plus d’un siècle devait encore se passer avant que fût porté le dernier coup : c’est que les peuples, intéressés au travail, n’eussent pas mieux demandé que de vivre en paix ; le zèle de la foi catholique n’avait point cette ardeur que lui donne le mirage des siècles. Même les ordres de chevalerie qui, pourtant, avaient été spécialement créés pour mener la croisade à l’intérieur, les compagnies de Santiago, d’Alcantara, de Calatrava, s’occupaient beaucoup plus d’accroître leurs titres et privilèges, leurs domaines et revenus que de guerroyer et risquer leur vie contre les infidèles. D’ailleurs, quel que fût le zèle des champions les plus ardents de l’Espagne chrétienne, ils n’en restaient pas moins les élèves des Arabes par une grande part de leur civilisation. Même en leurs institutions politiques, ils les prenaient pour modèles. La justice aragonaise fut entièrement copiée sur celle des Arabes, ainsi que l’organisation administrative et le régime militaire[44].

L’équilibre, instable et constamment modifié, comportait alors deux centres principaux dans l’Espagne catholique : la Castille, aristocratique et fière, et l’Aragon, sorte de République paysanne qui surveillait son roi, tout en lui permettant de faire des conquêtes extérieures, d’annexer les Baléares, la Sardaigne, la Sicile. Quant au Portugal, qui s’était rendu indépendant de la Castille depuis le commencement du douzième siècle, il avait eu son évolution autonome, et par ses propres forces s’était graduellement débarrassé des Arabes : Alphonse III, qui mourut en 1279, avait pu se proclamer « roi de Portugal et d’Algarve ».

N°348. Avance graduelle des Chrétiens en Espagne.

Les lignes datées indiquent, d’une manière un peu synthétique, le recul graduel des Musulmans. Les chiffres près des villes donnent la date de leur passage aux mains des chrétiens. Alcantara (Al. sur le Tage), Badajoz (Bad.), Almeria (Alm.) retombèrent au pouvoir des Maures après avoir été perdues par eux une première fois. Cal. sur un affluent de l’Elen est Catalayud ; Cal. sur le Guadiana, alors qu’il devrait être à 50 kilomètres plus au sud, est Calatrava.


La fusion se fît même entre conquérants et conquis sans amener les horribles persécutions qu’eurent plus tard à subir les Maures de l’Espagne voisine. Lisbonne, si admirablement située sur l’estuaire du Tage, conserva l’importance commerciale que lui avaient donnée les Arabes et l’accrut même, grâce à ses relations avec les havres du Nord ; elle devint un tel foyer de vie cosmopolite qu’elle prit une place tout à fait distincte dans l’ensemble de la péninsule Ibérique ; autour d’elle se constitua une individualité politique assez précise, sinon au nord, du côté de la Galice, du moins à l’est, vers la Castille et l’Estrémadure, où de vastes étendues montagneuses, couvertes de bruyères et de cistes, se déroulent en solitudes monotones. En 1415, lorsque les Portugais, mal à l’aise en leur étroit littoral, s’emparèrent de Ceuta, sur la côte africaine, ils étaient prêts pour la carrière de découvertes qui fit d’eux un peuple inégalé dans l’histoire du progrès humain.



  1. A. Luchaire, Histoire de France d’Ernest Lavisse, tome III, chap. II, p. 36.
  2. W. Deaton, England in the fifteenth Century, pp. 27, 29.
  3. Wentworth Webster, Société Ramond. 2° trim., 1902.
  4. S. Novicov, Conscience et Volonté sociales, p. 208.
  5. W. Denton, England in the fifteenth Century, pp. 4 à 6.
  6. J. Michelet. Histoire de France, t. III, p. 158.
  7. Viollet, Précis de l’Histoire du Droit français, p. 582.
  8. Gaston Richard, le Socialisme et la Science sociale, p. 12.
  9. Charles Jourdain, Mém. de l’Acad. des Insc. et Belles-Lettres, t. XXVIII, 1874.
  10. Guillaume de Greef, Essais sur la Monnaie, le Crédit et les Banques, pp. 34, 35.
  11. Ernest Nys, Recherches sur l’Histoire de l’Economie politique.
  12. Lehugeur, André Lefèvre, Quelques années du bon vieux Temps, Revue de l’Ecole d’Anthropologie de Paris, nov. 1901, pp. 351 et suiv.
  13. O. des Murez, Revue de l’Université de Bruxelles.
  14. D. Brissaud, les Anglais en Guyenne, pp. 65 et suivantes.
  15. A. Duponchel, Introduction à la Géographie générale du département de l’Hérault, pp. 62, 65.
  16. Alphonse de Hauteville, les Aptitudes Colonisatrices des Belges, p. 119.
  17. D. Brissaud, ouvrage cité, pp. 230, 231.
  18. D. Brissaud, ouvrage cité, p. 127.
  19. Même ouvrage, p. 263.
  20. Siméon Luce, Histoire de la Jacquerie, p. 32.
  21. J. Michelet, Histoire de France, t. II.
  22. Siméon Luce, Histoire de la Jacquerie, pp. 115, 116.
  23. Chroniqueur anonyme de Laon, cité par A. Luchaire, Grande Revue, mai 1900.
  24. Siméon Luce, Histoire de la Jacquerie, pp. 9 et 10.
  25. Froissart, Chroniques, I, V, 190.
  26. Marcellin Boudet, la Jacquerie des Tuchins.
  27. Alphonse de Hauteville, les Aptitudes colonisatrices des Belges, pp. 112 à 119.
  28. H. Fierens-Gevaert, Psychologie d’une Ville.
  29. W. Denton, England in the fifteenth Century, p. 82.
  30. Journal d’un Bourgeois de Paris, année 1421, — cité par Raoul Rosières, Recherches critiques sur l’Histoire religieuse de la France, pages 411 et suivantes.
  31. Troketowe ; — W. Denton, England in the fifteenth Century, p. 85 et suivantes.
  32. W. Denton, ouvrage cité, pp. 97, 105.
  33. W. Denton, England in the fifteenth Century, pp. 128, 129.
  34. Même ouvrage, p. 51.
  35. Même ouvrage, p. 171.
  36. Emile de Laveleye, Revue des Deux Mondes, 15 juillet 1870.
  37. Furrow long, « longueur de sillon », soit 220 yards ou 660 pieds (201 mètres) : c’est la huitième partie du mille de terre, English ou Statute mile.
  38. W. Denton, ouvrage cité, p. 36.
  39. Même ouvrage, pp. 145, 217 et suiv.
  40. Ernest Nys, Notes sur la Neutralité, Revue de Droit International et de Législation comparée, 1900.
  41. Alfred Dumesnil, Jean Huss, fragment d’une Histoire du Libre Esprit.
  42. W. Denton, England in the fifteenth Century, pages 65-79.
  43. Reinhart Dozy, Histoire des Musulmans d’Espagne.
  44. Julian Ribera, Origenes della Justicia de Aragon.