L’Hermaphrodite (Le Nismois)/Tome 2/02

(alias Alphonse Momas)
[s.n.] (Tome 2p. 19-26).
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II


À trois heures, Antioche entra, accompagné d’une sœur, vêtue de noir, le visage masqué par la cagoule. Elle tressaillit à cette vue et s’écria :

— La rebellion se propagerait-elle, qu’une sœur se prête à ton abomination !

— Il n’y a de rebellion que par ton entêtement a oublier ton rôle de mère et à ne pas vouloir pardonner.

— Depuis quand, aux Bleuets, pardonne-t-on sans que le châtiment ait suivi son cours ?

— Le châtiment est sur ta tête, orgueilleuse abbesse, non sur la nôtre ! J’ai mené une de nos sœurs pour te démontrer le chemin fait dans une nuit. La lutte s’ouvre inexorable entre toi et moi. Tu n’as pas voulu pardonner, ton absence est justifiée, je suis le maître du Couvent.

— Cette fille, traîtresse à son abbesse et à l’Ordre qui autorise notre Communauté, est si peu sûre de ta maîtrise, qu’elle cache son visage !

— D’un geste rapide, Espérandie lança sa cagoule à terre et se découvrit.

— Toi ! s’écria l’abbesse.

— Elle est ici, reprit Antioche, pour te dicter et te faire écrire la formule d’investiture du pouvoir, que tu lui confères par l’entremise de Marthe.

— Vraiment !

— Nous te marquons ainsi notre désir de traiter plus tard et en paix, quand tu seras revenue à la saine notion de ta faiblesse actuelle.

— Lis la lettre.

L’abbesse, assise sur un fauteuil, les jambes allongées, écouta en silence cette lecture :

« Obligée de m’absenter, sans avoir fait reconnaître Marthe comme une moitié de ma personnalité, je ne veux pas qu’il soit sursis à cette reconnaissance, et je délègue notre sœur Espérandie pour me représenter auprès d’elle et auprès des sœurs dans toutes les circonstances qui se produiront dans la manifestation de l’Abbétiat. Salut et amour à nos sœurs et à nos frères. »

Au grand étonnement d’Antioche et d’Espérandie, l’abbesse ne se récria pas et dit :

— La lettre est bien telle que je l’eusse écrite ; elle est dans nos traditions.

— Rentrons-y, dit Antioche ému, oublions tout de part et d’autre.

— Non, répliqua l’abbesse, mais je ne refuse pas, pour la hauteur de la tâche qui m’incombe, d’écrire et de signer cette lettre. Je demande seulement jusqu’à cette nuit.

— Je la veux tout de suite, dit Espérandie.

— Tu parles trop vite, ma fille, pour une femme qui se pâmait à l’abandon de mes charmes ! C’est moi qui ordonne et non toi.

— Il me faut cette lettre pour ce soir.

— Tu ne l’auras pas.

— Antioche, je te l’ai répété, nous n’obtiendrons rien, agis.

— Ce n’est pas mon avis, Espérandie ; notre mère demande jusqu’à cette nuit, je lui accorde le délai, et je pense que nous trouverons la lettre prête et signée. Nous reviendrons à minuit, accompagnés, et nous emploierons les grands moyens si elle n’a pas cédé.

— Les grands moyens ! dit avec dédain l’abbesse.

— Voici du papier, de l’encre, tout ce qu’il faut, au revoir, Josépha.

L’abbesse se leva, vint à Espérandie, sur l’épaule de qui elle posa la main et dit :

— Tu es plus fautive que lui, ma fille, tu es criminelle ; Josépha ici n’est rien, mais tu atteins en la personne de l’abbesse, la Communauté et toutes tes sœurs.

— Avec ou sans ta lettre, Josépha je représente l’autorité, les principes qui nous régissent ne sont pas violés.

— Folle, folle, folle, dit l’abbesse lui frappant le front de l’index.

— Elle me frappe, Antioche ! s’écria Espérandie.

Antioche saisit le bras de l’abbesse ; elle le fixa dans les yeux et dit :

— C’est moi qui t’ai élevé, serpent, bas la main.

— Frappe-la donc, commanda Espérandie, elle ne cédera jamais, donne-lui un acompte de ses futures joies.

D’un mouvement brutal, Antioche jeta Josépha contre le lit, et avant qu’elle ne fût revenue de sa stupeur, il la saisissait à bras-le-corps, la troussait, et criait à Espérandie :

— Tu as le martinet, tape toi-même.

De dessous sa robe, elle sortit en effet l’instrument répressif, et Antioche maintenant l’abbesse qui, du reste, opposait l’impassibilité la plus méprisante à cette nouvelle violence, Espérandie cingla son cul de plusieurs coups, le zébrant et disant :

— Voilà pour t’assouplir, le titre d’abbesse n’implique pas le droit de méchanceté : tu fus méchante, Josépha.

— Je ne te fis jamais que du bien, Espérandie.

— Scrute ta conscience.

Les coups pleuvaient, tapant le gras des cuisses, et Josépha, malgré sa fermeté, faiblissait sur les jambes.

Antioche, qui la sentit trembler, intervint :

— Assez, Espérandie, elle réfléchira, et elle comprendra qu’il vaut mieux céder que de nous pousser à employer les pires moyens.

Les coups s’arrêtèrent, Antioche lâcha l’abbesse qui se laissa aller sur un fauteuil, les dents serrées, toute pâle, mais indomptable.

Enlaçant Espérandie, Antioche la baisa sur la bouche et dit :

— Merci de ton appui, Espérandie, retournons près de Marthe.

Ils ne virent pas couler une larme sur les joues de l’abbesse, ils l’enfermèrent et elle les entendit s’éloigner.

Elle souffrait terriblement aux fesses ; elle se tenait sur un côté pour éviter la cuisson que provoquait le frottement contre le siège.

En appelant à toute son énergie, elle grimpa au cabinet, se mit de la poudre adoucissante sur les chairs, et déchira une chemise pour s’en faire un bandage. Elle se porta alors à la fenêtre, guettant avec patience le passage du premier inconnu.

Plus d’une heure, elle demeura ainsi ; un pas enfin la fit tressauter. On venait de son côté ; elle distingua un pantalon, puis la silhouette d’un homme, et retint un cri de joie ; elle appela doucement :

— Maillouchet.

Le jeune homme était devant la croisée, il ne crut pas tout d’abord que le cri sortit de là, il regarda devant et derrière lui.

— Maillouchet, répéta-t-elle.

Il se pencha, eut un grand étonnement en la reconnaissant.

— Notre mère ! dit-il.

— Chut, ne perdons pas de temps, tu m’es dévoué ?

— Jusqu’à la mort.

— Tiens, ce mot chez M. Dollemphe, sans retard, tu m’apporteras la réponse ici.

— Je suis envoyé pour chercher une voiture, que dois-je faire ?

— M’obéir à moi.

— Vous obéir, oh, je le veux de tout mon cœur ; mais n’est-ce pas vous exposer à un danger que je pressens, en révélant que vous m’avez parlé et en m’empêchant d’accomplir mon ordre. Ne vaut-il pas mieux que je l’exécute et que je cherche une occasion de sortir. Vous savez que je puis le demander.

— Tu as raison, mais passe ici cette nuit vers dix heures, il faut que nous causions.

— Je vous jure d’y être, ma chère maîtresse, et votre commission sera faite d’ici là.

Maillouchet s’éloigna rapidement, tout en inspectant si personne ne l’avait vu, et en se promettant d’éclaircir cette mystérieuse affaire qui rendait l’abbesse prisonnière, justifiant ainsi les craintes de Suzanne et d’Eulalie.