L’Heptaméron des nouvelles/Nouvelle 07

Texte établi par Claude Gruget, Vincent Sertenas (p. 21r-22r).

Vn marchant de Paris trompe la mere de ſ’amie, pour couurir leur faulte.


NOVVELLE SEPTIESME.



En la ville de Paris y auoit vn marchant, amoureux d’vne fille ſa voiſine, ou pour mieux dire, plus amy d’elle qu’elle n’eſtoit de luy. Car le ſemblant qu’il faiſoit de l’aimer & cherir, n’eſtoit que pour couurir vn amour plus haulte & honorable. Mais elle qui ſe conſentoit d’eſtre trompée, l’aimoit tant, qu’elle auoit oublié la façon dont les femmes ont acouſtumé de refuſer les hommes. Ce marchant icy apres auoir eſté long temps à prendre la peine d’aller ou il l’a pouuoit trouuer, la faiſoit venir ou il luy plaiſoit, dont ſa mere ſ’aperceut, qui eſtoit vne tres honneſte femme, & luy defendit que iamais elle ne parlaſt à ce marchãt, ou qu’elle la mettroit en religion. Mais ceſte fille qui plus aimoit le marchant qu’elle ne craignoit ſa mere, le cheriſſoit plus qu’au parauant. Et vn iour aduint, qu’eſtant toute ſeule en vne garderobbe, ce marchant y entra : lequel ſe trouuant en lieu commode, ſe print à parler à elle le plus priuément qu’il luy fut poſsible. Mais quelque chambriere qui le vit entrer dedans, le courut dire à la mere : laquelle auec vne treſ grãde colere ſ’y en alla : & quand ſa fille l’ouyt venir, diſt en pleurant à ce marchant. Helas mon amy ! à ceſte heure me ſera bien cher vẽdu l’amour que ie vous porte. Voicy ma mere, qui cognoiſtra ce qu’elle a touſiours craint & doubté. Le marchant qui d’vn tel cas ne fut point eſtonné, la laiſſa incontinẽt, & ſ’en alla au deuant de la mere : & en eſtendant les bras, l’embraſſa le plus fort qu’il luy fut poſsible. Et auec ceſte fureur dont il commençoit à entretenir ſa fille, getta la pauure femme vieille fut vne couchette. Laquelle trouua ſi eſtrange ceſte façon de faire, qu’elle ne ſçauoit que luy dire, ſinon que voulez vous ? reſuez vous ? Mais pour cela ne laiſſoit de la pourſuiure d’auſsi pres, que ſi c’euſt eſté la plus belle fille du mõde. Et n’euſt eſté qu’elle cria ſi fort que les varlets & chambrieres vindrẽt à ſon ſecours, elle euſt paſſé le chemin qu’elle craignoit que ſa fille marchaſt. Parquoy à force de bras oſterent ceſte pauure vieille d’entre les mains du marchant, ſans que iamais elle ſceuſt ny ne peuſt ſçauoir l’occaſion pourquoy il l’auoit ainſi tourmẽtée. Durant cela ſe ſauua ſa fille en vne maiſon aupres, ou il y auoit des nopces : dont le marchant & elle ont maintesfois riz enſemble depuis aux deſpens de la vieille, qui iamais ne ſ’en apperceut.

Par cecy voyez vous, mes dames, que la fineſſe d’vn homme a trompé vne vieille, & ſaulué l’honneur d’vne ieune femme. Mais qui vous nommeroit les perſonnes, ou qui euſt veu la cõtenance du marchant, & l’eſtonnement de ceſte vieille, euſt eu grand peur de ſa conſcience ſ’il ſe fuſt gardé de rire. Il me ſuffit que ie vous prouue par ceſte hiſtoire, que la fineſſe des hommes eſt auſsi prompte & ſecourable au beſoing ; que celle des femmes : à fin mes dames, que vous ne craigniez point de tomber entre leurs mains. Car quand voſtre eſprit vous fauldra, le leur ſera preſt à couurir voſtre honneur. Longarine luy diſt : Vrayment Hircan, ie confeſſe que le compte eſt fort plaiſant, & la fineſſe grande, mais ſi n’eſt-ce pas vn exemple que les filles doiuent enſuiure. Ie croy bien qu’il y en a à qui vous le vouldriez faire trouuer bon : mais ſi n’eſtes vous pas ſi ſot, de vouloir que voſtre femme, ny celle dont vous aimez mieulx l’honneur que le plaiſir, vouluſt iouër à tel ieu. Ie croy qu’il n’y en auroit point vn qui de plus pres les regardaſt, ne qui mieulx y miſt ordre que vous. Par ma foy diſt Hircan, ſi celle que vous dictes auoit faict pareil cas : & que ie n’en euſſe rien ſceu, ie ne l’eſtimerois pas moins. Et ſi ne ſçay ſi quelque vn en a point faict d’auſsi bons, dont le celer me mect hors de peine. Parlamente ne ſe peut tenir de dire : il eſt impoſsible que l’homme mal faiſant ne ſoit ſoupçonneux, mais bien heureux eſt celuy ſur lequel on ne peult auoir ſoupçon par occaſion donnée. Longarine diſt : Ie n’ay gueres veu grand feu, de quoy ne vint quelque fumée, mais i’ay bien veu la fumée, ou il n’y auoit point de feu : Car auſsi ſouuent eſt ſoupçonné par les mauuais le mal, ou il n’eſt point congneu lá ou il eſt. À l’heure Hircan luy diſt : Vrayement Longarine vous en auez ſi bien parlé en ſouſtenant l’honneur des dames à tort ſoupçonnées, que ie vous donne ma voix pour dire la voſtre, par ainſi que vous ne nous faciez point pleurer comme a faict ma dame Oiſille, par trop loüer les femmes de bien. Longarine en ſe prenant bien fort a rire, commença à dire ainſi : Puis que vous auez enuie que ie vous face rire ſelon ma couſtume, ce ne ſera pas aux deſpens des femmes, & ſi diray choſe pour monſtrer combien elles ſont ailées à tromper, quand elles mettent leur fantaſie à la ialouſie, auecques vne eſtime de leur bon ſens, de vouloir tromper leurs mariz.