L’Heptaméron des nouvelles/Nouvelle 08

Texte établi par Claude Gruget, Vincent Sertenas (p. 22r-25r).

Vn quidam ayant couché auec ſa femme au lieu de ſa chambriere, y enuoya ſon voiſin qui le feit cocu ſans que ſa femme en ſceuſt rien.


NOVVELLE HVICTIESME.



En la comté d’Allex, y auoit vn homme nommé Bornet, qui auoit eſpousé vne honneſte & femme de bien, de laquelle il aimoit l’honneur & la reputation, comme ie croy que tous les mariz, qui font icy font de leurs femmes. Et combien qu’il vouluſt que la ſienne luy gardaſt loyauté, ſi ne vouloit il pas que la loy fuſt egale à tous deux. Car il deuint amoureux de ſa chãbriere, au chãge dequoy il ne craignoit ſinõ que la diuerſité des viãdes ne pleuſt. Il auoit vn voiſin de pareille condition que luy, nommé Sandras, tabourineur, & couſturier. Et y auoit entre eux telle amitié, que hors mis la femme, ils n’auoient rien party enſemble. Parquoy il declara à ſon amy l’entrepriſe qu’il auoit ſur ſa chambriere, lequel non ſeulement le trouua bon : mais aida de tout ſon pouuoir à la paracheuer, eſperãt auoir part au gaſteau. La chambriere qui ne s’y vouloit conſentir, ſe voyant preſsée de tous coſtez, l’alla dire à ſa maiſtreſſe, la priant luy donner congé de s’en aller ſur ſes parents, car elle ne pouuoit plus viure en ce tourment. La maiſtreſſe qui aimoit bien fort ſon mary, & duquel elle auoit ſoupçon, fut bien aiſe d’auoir gaigné ce poinct ſur luy, & de luy pouuoir monſtrer iuſtement qu’elle en auoit eu doubte. Parquoy diſt à ſa chambriere : Tenez bon mamie, tenez peu à peu bon propos à mon mary, & puis apres luy donnez aſsignation de coucher auec vous en ma garderobbe, & ne faillez à me dire la nuit qu’il deura venir, mais gardez que nul n’en ſçache riẽ. La chambriere feit tout ainſi que ſa maiſtreſſe luy auoit commandé : dont le maiſtre fut ſi aiſe, qu’il en alla faire la feſte à ſon compaignõ, lequel le pria, veu qu’il auoit eſté du marché, d’en auoir le demeurant. La promeſſe faicte & l’heure venuë, s’en alla coucher le maiſtre, comme il cuidoit, auec ſa chambriere. Mais ſa femme qui auoit renoncé à l’auctorité de commander pour le plaiſir de ſeruir, s’eſtoit miſe en la place de la chambriere, & receut ſon mary, nõ comme femme, mais faignant la contenance d’vne fille eſtonnée, ſi bien que ſon mary ne s’en apperceut point. Ie ne vous ſçaurois dire lequel eſtoit le plus aiſe des deux ou luy de penſer tromper ſa femme, ou elle de tromper ſon mary. Et quand il eut demeuré auec elle non ſelon ſon vouloir, mais ſelon ſa puiſſance, qui ſentoit ſon vieil marié, s’en alla hors de la maiſon, ou il trouua ſon compaignon beaucoup plus fort & ieune que luy, & luy feit la feſte d’auoir trouué la meilleure robbe, qu’il auoit point veuë. Vous ſçauez (luy diſt ſon compaignon) ce que m’auez promis. Allez doncques viſtement, diſt le maiſtre, de peur qu’elle ſe lieue, ou que ma femme ait affaire d’elle. Le cõpaignon s’y en alla & trouua encore la meſme chambriere que le mary auoit meſcogneuë. Laquelle cuidant que ce fuſt ſon mary, ne le refuſa de choſe qu’il demandaſt, i’entends demander pour prendre car il n’oſoit parler. Il y demeura bien plus longuement que le mary, dont la femme ſ’eſmerueilloit fort. Car elle n’auoit point accouſtumé d’auoir telles nuictées : toutesfois elle eut patience, ſe reconfortant aux propos qu’elle auoit deliberé de luy tenir lendemain, & à la mocquerie, qu’elle luy feroit receuoir. Sur le poinct de l’aube du iour, ceſt homme ſe leua d’aupres d’elle, & en ſe partant du lict ſe ioüa à elle, & en ce iouant luy arrachea vn anneau, quelle auoit au doigt, duquel ſon mary l’auoit eſpousée. Choſe que les femmes de ce païs gardent en grande ſuperſtition, & honorẽt fort vne femme qui garde ceſt anneau iuſques à la mort. Et au contraire ſi par fortune le pert, elle eſt deſeſtimée, comme ayant donné ſa foy à vn autre qu’à ſon mary. Elle fut treſcontente qu’il luy oſtaſt, pẽſant que ce ſeroit ſeur teſmoignage de la tromperie qu’elle luy auoit faicte. Quand le cõpaignon fut retourné deuers le maiſtre, il luy demanda, & puis ? Il luy reſpondit qu’il eſtoit de ſon opinion, & que ſ’il n’euſt craint le iour, encor y fuſt il demeuré : & ainſi ſe vont tous deux repoſer le plus coyemẽt qu’ils peurẽt. Et le matin en s’habillant, apperceut le mary l’anneau que ſon compaignon auoit au doigt, tout pareil de celuy qu’il auoit donné en mariage à ſa femme. Et demanda à ſon compaignon, qui le luy auoit baillé. Mais quand il entẽdit qu’il l’auoit arraché du doigt de ſa chambriere, il fut fort eſtonné, & commença à donner de la teſte contre la muraille & à dire : Ha vertu dieu, me ſerois-ie bien faict cocqu moy-meſme, ſans que ma femme en ſceuſt rien ? Son cõpaignon pour le reconforter luy diſt : Peult eſtre que voſtre femme bailla ſon anneau au ſoir en garde à la chãbriere. Le mary s’en va à la maiſon ou il trouua ſa femme plus belle, plus gorgiaſe, & plus joyeuſe qu’elle n’auoit accouſtumé, comme celle qui ſe reſiouiſſoit d’auoir ſaulué la conſcience de ſa chambriere, & d’auoir experimẽté iuſques au bout ſon mary, ſans y rien perdre, que le veiller d’vne nuict. Le mary la voyant auec ſi bon viſage, diſt en ſoy-mefme : ſi elle ſçauoit ma bonne fortune, elle ne me feroit pas ſi bonne chere : & en parlant à elle de pluſieurs propos, la print par la main & aduiſa qu’elle n’auoit pas l’anneau, qui iamais ne luy partoit du doigt, dont il deuint tout trãſi, & luy demãda en voix tremblante, qu’auez vous faict de voſtre anneau ? Mais elle qui fut bien aiſe qu’il la mettoit au propos, qu’elle auoit enuie de luy tenir, luy diſt : O le plus meſchant de tous les hommes ! à qui le cuidez vous auoir oſté ? Vous pẽfiez bien que ce fuſt à ma chambriere, pour l’amour de laquelle auez deſpenfé deux fois plus de voz biens que iamais vous ne feiſtes pout moy. Car à la premiere fois que y eſtes venu coucher, ie vous ay iugé tant amoureux d’elle, qu’il eſtoit poſsible de plus. Mais apres que vous fuſtes ſailly dehors, & puis encores retourné, il ſembloit que fuſsiez vn diable ſans ordre ne meſure. O malheureux ! penſez quel aueuglement vous a prins de loüer tant mon corps, & mon en bon point, dont par ſi long temps vous ſeul auez eſté ioïſſant, ſans en faire grande eſtime. Ce n’eſt doncques pas la beauté, & l’en bon point de voſtre chambriere qui vous a faict trouuer ce plaiſir ſi agreable : mais c’eſt le peché infame, & la vilaine concupiſcence qui bruſle voſtre cueur, & vous rend les ſens ſi hebetez que par la fureur en quoy vous mettoit l’amour de ceſte chambriere, ie croy que vous euſsiez prins vne cheure coiffée pour vne belle fille. Or il eſt temps, mon mary de vous corriger, & de vous contenter de moy, & en me congnoiſſant voſtre, & femme de bien, penſer ce que vous auez faict, cuidant que ie fuſſe vne pauure meſchante. Ce que i’ay faict, a eſté pour vous retirer de voſtre malheureté, à fin que ſur voſtre vieilleſſe, nous viuons en bõne amitié & repos de conſcience. Car ſi vous voulez continuer la vie paſsée, i’aime mieux me ſeparer de vous, que de voir de iour en iour la ruine de voſtre ame, de voſtre corps, & de voz biens deuant mes yeux. Mais s’il vous plaiſt cognoiſtre voſtre faulſe opinion, & vous deliberer de viure ſelon Dieu, gardant ſes commandemens, i’oublieray toutes les faultes paſsées, comme ie veux que Dieu oublie mon ingratitude à ne l’aimer comme ie doy. Qui fut bien esbahy & deſeſperé, ce fut ce pauure mary voyant ſa femme tãt belle, chaſte & honneſte, auoir eſté delaiſſée de luy, pour vne qui ne l’aimoit pas. Et qui pis eſt, d’auoir eſté ſi malheureux, que de la faire meſchante ſans ſon ſceu, & faire participant vn autre au plaiſir, qui n’eſtoit que pour luy ſeul. Parquoy ſe forgea en luy meſme les cornes de mocquerie perpetuelle. Mais voyant ſa femme aſſez courroucée de l’amour qu’il auoit porté à ſa chambriere, ſe garda bien de luy dire le meſchant tour qu’il luy auoit faict, & en luy demandant pardon auec promeſſe de changer entierement ſa mauuaiſe vie, luy rendit ſon anneau qu’il auoit reprins de ſon compaignon, lequel pria de ne reueler ſa honte. Mais comme toutes choſes dictes à l’oreille ſont preschées ſur le tect, quelque temps apres la verité fut cogneuë, & l’appelloit on cocu, ſans la hõte de ſa ſẽme.

Il me ſemble, mes dames, que ſi tous ceux qui ont faict pareilles offenſes à leurs femmes, eſtoient puniz de pareille punition, Hircan & Saffredent deuroient auoir belle peur. Et dea Longarine, diſt Saffredent, n’y en a il point d’autres en la compaignie mariez, que Hircan & moy ? Si a bien, diſt elle, mais non pas qui vouluſſent iouër vn tel tour. Ou auez vous veu, diſt Saffredent, que nous ayons pourchaſſé les chambrieres de noz femmes ? Si celles à qui il touche, diſt Longarine, vouloient dire la verité, lon trouueroit bien chambriere, à qui lon a donné congé auant ſon quartier. Vrayement, ce diſt Guebron, vous eſtes vne bonne dame, qui en lieu de faire rire la compaignie, cõme vous auez promis, mettez ces deux pauures gens en colere. C’eſt tout vn, diſt Longarine, meſque ils ne viennent point aux eſpées, leur colere ne fera que redoubler noſtre rire. Mais il eſt bon, diſt Hircan, car ſi noz femmes vouloient croire ceſte dame, elle brouilleroit le meilleur meſnage qui ſoit en la compaignie. Ie ſçay bien deuant qui ie parle, diſt Longarine, car voz femmes ſont ſi ſages, & vous aimẽt tant que quand vous leur feriez cornes, auſsi puiſſantes que celles d’vn dain, encores ſe voudroient elles perſuader, & au monde auſsi, que ce ſont chapeaux de roſes. La cõpaignie, & meſmes ceux à qui il touchoit, ſe prindrent tant à rire, qu’ils meirent fin à leur propos. Mais Dagoucin qui encores n’auoit ſonné mot, ne ſe peut tenir de dire : L’homme eſt bien deſraiſonnable, quand il a dequoy ſe contenter, & veult chercher autre choſe. Car i’ay veu ſouuent pour cuider mieux auoir, & ne ſe contenter de la ſuffiſance, que lon tombe au pis, & ſi lon n’eſt point plainct. Car l’incõſtance eſt touſiours blaſmée. Simontault luy diſt : Mais que feriez vous à ceux qui n’ont pas trouué leur moitié ? Appellez vous inconſtance de la chercher en tous les lieux ou lon la peult trouuer ? Pource que l’homme ne peult ſçauoir, diſt Dagoucin, ou eſt ceſte moictié dont l’vnion eſt ſi egale, que l’vn ne differe de l’autre, il fault qu’il s’arreſte ou l’amour le cõtraint, & pour quelque occaſion qui puiſſe aduenir, ne changer le cueur ny la volonté, car ſi celle que vous aymez eſt tellement ſemblable à vous, & d’vne meſme volonté, ce ſera vous que vous aimerez & non pas elle. Dagoucin, diſt Hircan, ie veux dire que ſi noſtre amour eſt fondé ſur la beauté, bonne grace, amour, & faueur d’vne femme & noſtre fin ſoit fondée ſur plaiſir, honneur, ou profit, l’amour ne peut longuement durer : Car ſi la choſe ſurquoy nous la fondons deffault, noſtre amour s’en volle hors de nous. Mais ie ſuis ferme en mon opinion, que celuy qui aime, n’a autre fin ne deſir que de bien aimer, & laiſſera pluſtoſt ſon ame par la mort, que ceſte ferme amour faille, de ſon cueur. Par ma foy, dift Simontault, ie ne croy pas Dagoucin que iamais vous ayez eſté amoureux. Car ſi vous auiez ſenty le feu comme les autres, vous ne nous peindriez icy la republicque de Platon, qui eſcript & n’experimente point. Si i’ay aimé, diſt Dagoucin, i’ayme encores, & aymeray tant que viuray. Mais i’ay ſi grand peur, que la demonſtrance face tort à la perfection de mon amour, que ie crains que celle de qui ie deurois deſirer amitié ſemblable, l’entende. Et meſmes ie n’oſe penſer ma pensée, de peur que mes yeux en reuelent quelque choſe. Car tant plus ie tiens ce feu celé & couuert, plus en moy croiſt le plaiſir de ſçauoir, que i’ayme parfaitement. Ha par ma foy, diſt Guebron, ſi ne croy-ie pas que vous ne fuſsiez bien aiſe d’eftre aimé. Ie ne dy pas le contraire, diſt Dagoucin, mais quand ie ſerois tant aimé comme i’aime, ſi n’en ſçauroit croiſtre mon amour, comme elle ne ſçauroit diminuer pour eſtre ſi peu aimé, comme i’aime fort. À l’heure Parlamente, qui ſoupçonnoit ceſte fantaſie, luy diſt donnez vous garde Dagoucin. Car i’en ay veu d’autres que vous, qui ont mieux aimé mourir, que parler. Ceux lá donques, diſt Dagoucin s’eſtiment bien heureux. Voire diſt Saffredent, & dignes d’eſtre mis au nombre des innocens, deſquels l’Egliſe chante, Non loquendo ſed moriendo confeßi ſunt. I’en ay tant ouy parler de ſes tranſiz d’amours ; mais encores iamais n’en vey-ie mourir vn. Et puis que ie ſuis eſchappé, veu les ennuiz que i’en ay porté, ie ne penſe iamais qu’autre en puiſſe mourir. Ha Saffredent, diſt Dagoucin, voulez vous donques eſtre aimé, puis que ceux de voſtre opinion n’en meurẽt point ? Mais i’en ſçay aſſez bon nombre, qui ne ſont morts d’autre maladie, que d’aymer trop parfaictement. Or puis qu’en ſçauez des hiſtoires, diſt Longarine, ie vous donne ma voix pour nous en racompter quelque belle, qui ſera la neufieſme de ceſte iournée. A fin, diſt Dagoucin, que ma veritable parolle ſuyuie de ſignes & miracles, vous y face adiouſter foy, ie vous reciteray vne hiſtoire aduenuë depuis trois ans.