Librairie de Ch. Meyrueis et Comp. (Volume 1p. 345-360).


CHAPITRE XXV.


Déjà dans ton esprit purifié,
Bien qu’il y ait encore des maux et des cicatrices,
Le sens élevé du devoir sera ton guide,
Et toutes les puissances salutaires aideront une âme comme la tienne.

(Southez.)



— Voici le moment, se dit Walter en quittant son cabriolet de place, et en montant l’escalier d’un hôtel. Puissé-je avoir la force de résister !

On ouvrit une porte, et il se trouva en présence de M. Edmonstone, de Markham et d’un troisième personnage, Sébastien Dixon ! Tous se levèrent, et M. Edmonstone, saisissant Walter par les deux mains, s’écria :

— Le voici. Walter, mon cher ami, vous êtes le garçon du monde le plus généreux ! Vous avez été on ne peut plus mal traité ; je voudrais qu’on m’eût coupé la main avant que j’écrivisse cette lettre : mais tout est fini, et vous me pardonnerez, n’est-ce pas ? Vous reviendrez à Hollywell avec moi, et nous ferons chercher votre cheval.

Walter était muet de surprise. D’une main il pressait celle de M. Edmonstone, de l’autre il se frottait les yeux pour s’assurer que tout ceci n’était pas un rêve.

— Je sais comment vous avez dépensé votre argent, reprit M. Edmonstone, et je vous honore pour cela ; j’ai toujours pensé que vous étiez calomnié.

Walter se tourna d’un air surpris vers son oncle, qui n’attendait que d’être interrogé pour s’expliquer.

— J’ai appris ce matin seulement que vous aviez été soupçonné à cause de moi. Pourquoi ne me l’avez-vous pas dit ?

— Et vous avez tout expliqué ?

— Oui, pourquoi vous avez payé cet homme avec mon billet, reprit M. Edmonstone, et tout ce que vous avez fait pour la petite fille. Comment votre pension a-t-elle suffi à tout cela ? M. Philippe avait grand’raison de dire que votre bourse était toujours vide ! Il n’y avait là rien de bien surprenant.

— Si j’avais su que vous vous imposiez des privations, reprit Dixon, je n’aurais pas souffert…

— Mais expliquez-moi clairement comment cela s’est fait, dit Walter en s’adressant à Markham. Suis-je complètement justifié aux yeux de M. Edmonstone ?

— Oui, Monsieur, répondit Markham ; M. Dixon a expliqué l’affaire du billet de trente livres, et tout est dit.

Walter respira plus librement.

— Je ne puis assez vous remercier, dit-il à son oncle.

Puis, s’adressant à M. Edmonstone :

— Comment va Charles à présent ?

— Mieux, beaucoup mieux ; vous le verrez demain.

— Mais je ne puis pas vous dire pourquoi j’avais besoin de ces mille livres.

— N’importe, comme vous ne les avez pas eues, vous ne pouvez en avoir fait un mauvais usage.

— Et vous pardonnez mes expressions ?…

— C’était une faute légère que d’accuser Philippe de s’être mêlé de ce qui ne le regardait pas ; et pour moi, j’ai été dix fois un imbécile de m’être laissé persuader par lui d’écrire cette lettre.

— Mais, non, vous deviez le faire, dans l’erreur où vous étiez ; j’avais les apparences contre moi. Mais à présent… les choses en sont-elles au point où elles étaient ?

— Oui, certainement, et nous vous apprécions plus que jamais, mon cher ami.

— C’en est trop ! s’écria Walter ému, en sentant ses mains pressées dans celles de M. Edmonstone ; je crois rêver. Mais, ajouta-t-il en se tournant vers son oncle, comment avez-vous su que cette affaire avait besoin d’être expliquée ?

— Par M. Markham ; et vous ne pouvez croire combien j’ai été désolé que votre générosité…

— Vous m’aviez envoyé chez mesdemoiselles Wellwood, dit Markham ; je ne pus voir d’abord l’aînée de ces dames, et, en l’attendant, je liai conversation avec sa sœur. Elle me dit que la fille de M. Dixon parlait toujours de vos bontés pour son père, et d’un certain jour, entre autres, où vous l’aviez tiré de quelque difficulté. Je pensai que ce pourrait être l’origine de tous vos ennuis, et je me mis à la recherche de M. Dixon. Ce matin, j’ai eu le bonheur de le trouver, et tout s’est expliqué.

— Combien je vous dois de remercîments à tous, dit Walter.

— Nous sommes assez payés en vous voyant heureux. Pensez-vous que j’aurais voulu vous laisser dans l’embarras où vous vous étiez mis, avec cette malheureuse habitude de ne pas tenir vos comptes ?

— Et vous, dit Walter à son oncle, à qui il était charmé de devoir quelque chose, vous ne pouvez deviner quel service vous venez de me rendre !

— Je ne mérite pas de remercîments, répondit Sébastien, puisque j’ai été la cause involontaire de vos peines. C’est ma destinée de faire le malheur de ceux que j’aime. Ah ! si je pouvais aussi facilement réparer le tort que j’ai fait à votre père !

Et il se mit à s’accuser, comme il faisait quelquefois. Walter, qui avait horreur de ces exclamations, fut bien aise que M. Edmonstone l’interrompît en disant :

— Allons, ce qui est fait est fait ; nous n’avons pas le temps d’en dire davantage. Monsieur Dixon, ne nous quittez pas, et lisez le journal pendant que je signe ces papiers. Vous dînerez avec nous, pour boire à la santé de votre neveu.

Walter fut très satisfait de cette invitation, ainsi que de la considération que Markham avait montrée pour Dixon dans tout son récit. M. Dixon, qui avait l’habitude de regarder les parents et les tuteurs comme des tyrans, parut surpris et ravi ; mais il avait un autre engagement qui ne lui permit pas de rester. Walter accompagna son oncle jusqu’au bas de l’escalier ; celui-ci l’engageait à venir le soir à un concert où il jouait, mais Walter sentait que, pour ce jour-là, la voix amicale de M. Edmonstone lui ferait plus de plaisir que la plus belle musique.

— Eh bien ! Walter, dit M. Edmonstone quand il rentra, il ne vous a pas conduit à son concert ! Voudriez-vous rester à Londres pour le suivant ?

Et le bon tuteur se mit à rire en frappant sur l’épaule du jeune homme, qui rougit et lui jeta un regard d’intelligence. Markham le remarqua, et comprit encore mieux ce qui s’était passé.

— Cet homme est mieux que je ne m’y attendais, poursuivit M. Edmonstone. Il a montré beaucoup de regret d’avoir été la cause de vos embarras.

— Oui, il a de nobles sentiments.

— Il est pourtant descendu bien bas, depuis que je ne l’avais vu, dit Markham.

— Il a tant de sensibilité, reprit Walter. Mais, Markham, avez-vous vu la petite Marianne ?

— Oui, je voulais la faire parler. C’est l’image de votre mère ; elle paraît fort intelligente : seulement la pauvre enfant ne sent pas le moins du monde les torts de son père. Elle me conta que vous étiez venu les voir un matin où sa mère était fort inquiète, parce que son père risquait d’aller en prison, mais que vous lui aviez donné un papier qui l’avait tirée de peine et avait sauvé son père. Alors je lui demandai l’adresse de son père, et je tâchai de le découvrir à Londres. Je le trouvai enfin, et je lui expliquai le but de ma visite. Quand il sut tout ce que vous aviez souffert pour lui, il se désespéra comme un héros de tragédie, et jura qu’il viendrait tout expliquer à votre tuteur. Je le mis tout de suite en voiture pour ne pas lui laisser le temps de se repentir, et je l’amenai ici.

— Il est inutile de vous dire combien je vous suis reconnaissant, mon bon Markham.

— Depuis environ quarante années je ne fais guère autre chose que de réparer les sottises de votre famille, dit Markham ; mais le temps passe, et nous avons beaucoup à faire.

On se mit alors à régler les comptes. Il y avait beaucoup à faire, et, quoique, légalement, Walter n’eût encore aucun pouvoir sur sa fortune, à cause du testament de son grand-père, il n’en fut pas moins consulté sur tout. Il n’était pas fâché d’avoir à penser à des bails et à des réparations, pour ne pas se laisser complètement absorber par la perspective de son bonheur. Mais l’idée qu’Amy lui appartiendrait encore, lui passait de temps en temps par l’esprit comme un éclair, et le faisait tressaillir de joie. L’affaire de Coombe-Prior fut arrangée. On convint de nommer un vicaire pour cette paroisse, et Walter espérait que ce pourrait être son ami M. Wellwood.

On n’eut pas le temps d’écrire à Hollywell ; M. Edmonstone s’en consola en disant que la surprise ne ferait pas de mal à sa famille, et que la joie ne tuait jamais personne.

Mais à Hollywell on ne laissa pas d’être inquiet en ne voyant pas arriver de lettre le lendemain matin. Madame Edmonstone et Charles avaient beaucoup espéré ; Amy ne comprit elle-même combien elle s’était flattée d’un heureux succès que lorsqu’on se répéta tristement les uns aux autres : Pas de lettre !

Ce qu’il y avait de pire, c’est que, selon l’habitude de M. Edmonstone de changer toujours les choses au dernier moment, il avait fixé son retour de Londres pour ce même mercredi, et qu’il y avait ce soir-là un dîner à Hollywell. À quatre heures personne au chemin de fer ! Il ne serait donc là qu’à sept, quand toute la société serait réunie.

Laura aida Amy à s’habiller, plaça des fleurs dans ses cheveux, l’embrassa et lui témoigna toute sa sympathie. Amy la remercia, soupira et pris son bras pour descendre, en lui disant tout bas :

— Si seulement je pouvais m’empêcher d’espérer encore un peu !

Laura ne répondit rien, car elle n’avait aucun espoir et ne voulait pas en donner à sa sœur. Amy s’assit au pied du sofa sur lequel était Charles, et sans oser le regarder, elle prit son ouvrage. Une voiture !… Elle rougit et pâlit. C’étaient seulement quelques-uns des invités. Une autre !… celle de la famille Brownlow. Amy parlait à mademoiselle Brownlow, quand elle entendit de nouvelles salutations… Cette fois c’était bien son père, faisant mille excuses pour son arrivée tardive, et Walter ! Walter à qui sa mère touchait la main !

Était-ce un rêve ? Elle ferma les yeux et les rouvrit. Cette fois il était près d’elle ; elle sentit qu’il lui serrait la main ; mais elle ne distingua sa voix que quand il dit : — Comment vous portez-vous, Charles ? Son père vint ensuite à elle, et la baisa au front, comme il le faisait toujours en arrivant. Puis, ne pouvant encore la quitter, il lui donna de nouveau deux baisers sur les joues, en disant d’une voix qui signifiait bien des choses :

— Comment êtes-vous, ma petite Amy ?

Tout le salon semblait danser devant ses yeux ; elle ne put que sortir en toute hâte. Mais, dans l’antichambre, elle entendit une domestique crier :

Le porte-manteau de M. Walter dans sa chambre ! Elle n’aurait pas osé avancer, si elle n’avait vu arriver M. Ross et sa fille. Elle les salua, fit quelques observations sur le chapeau de Mary, et la conduisit dans sa propre chambre.

— Amy, ma chère enfant, qu’avez-vous donc ?

— Papa est arrivé, et…

Le reste de la phrase ne vint pas.

— Et ?… répéta Mary, et le mystère est expliqué ?

— Je ne sais pas ; ils sont arrivés dans cet instant, et je me suis sentie si émue que je me suis sauvée.

— Ils sont arrivés ! pensa Mary. Ma petite Amy, je sais tout.

Elle fit durer aussi longtemps que possible l’opération d’ôter son chapeau et d’arranger sa toilette, pendant qu’Amy l’aidait sans paraître penser à ce qu’elle faisait. Quelqu’un monta l’escalier en courant, et Mary vit Amy rougir subitement.

Puis elle prit son bras, et toutes deux retournèrent au salon.

Madame Edmonstone brûlait d’entendre les détails ; mais elle se contenta, pour le moment, de deviner que tout allait bien et fut charmée qu’Amy sût si bien se contenir. Celle-ci, en passant près de Charles, lui avait tendu la main, qu’il avait serrée sans mot dire, puis elle se réfugia derrière Mary Ross, tandis que Laura parlait à chacun, pour montrer que toute la famille n’avait pas perdu le sens. Walter reparut ; mais, après avoir jeté un regard du côté d’Amy pour s’assurer qu’elle était là, il ne tourna plus les yeux vers elle, et alla s’appuyer, comme autrefois, sur le canapé de Charles, qui, oubliant ce qu’il disait à madame Brownlow, s’embrouilla complètement dans son discours.

Dès que M. Edmonstone reparut, on se mit à table. Comme madame Edmonstone plaçait sa compagnie, elle se demanda où elle mettrait Walter.

— Si vous étiez venu deux heures plus tôt, je vous aurais traité en enfant de la famille, pensa-t-elle. Mais vous serez un étranger, pour ce soir, et vous vous contenterez d’être auprès de moi.

Amy fut placée fort heureusement hors de la portée de sa vue, du même côté de la table, et à côté de M. Ross, qui, comme sa fille, en devinait assez pour la laisser tranquille.

Cependant Charles et Charlotte, demeurés ensemble au salon, faisaient mille charmantes suppositions. Ils causèrent ainsi jusqu’au retour des dames ; alors Charles fit à Mary Ross bien plus de confidences qu’elle n’avait pu en tirer de Laura.

Amy, devenue tout à fait maîtresse d’elle-même, pouvait converser sur tous les sujets avec les dames ; elle continua de même à l’arrivée des messieurs, quoiqu’elle prêtât l’oreille à ce que Walter et M. Ross disaient de Coombe-Prior. Ce qui la gêna le plus, c’est qu’on lui demanda de faire de la musique. Laura aurait voulu pouvoir l’épargner, mais elle ne put y parvenir. Et, pendant que les deux sœurs feuilletaient leurs cahiers, pour trouver quelque chose de facile, une autre main vint tourner les pages, avec une parfaite expérience, et ouvrit le livre à un morceau d’ensemble où Amy n’avait presque rien à faire. Quand il fut fini, elle s’éloigna du piano, pour écouter Laura et Walter, qui continuèrent à chanter.

— Tout ceci ne vous est-il pas fort désagréable ? lui demanda Laura.

— Non, je puis mieux chanter que parler, répondit-il.

Enfin la société se retira. Mary Ross ne put s’empêcher de dire tout bas à madame Edmonstone :

— Vous devez être bien aise de vous débarrasser de nous.

Madame Edmonstone sourit.

Dès que les voitures se furent éloignées, Amable alluma sa bougie, souhaita le bonsoir à Walter, et se retira dans sa chambre. Les autres demeurèrent dans un silencieux embarras. M. Edmonstone se frottait les mains, Laura allumait les bougies, Charlotte demandait des nouvelles de Trim, qui était demeuré à Oxford, et Charles se souleva sur le sofa pour s’asseoir.

— Vous aiderai-je à monter ? demanda Walter.

— Non, merci ; pour le moment, on me porte comme un enfant ; ainsi, ne m’attendez pas. Allez tout conter à maman : je ne laisserai pas ma porte ouverte. Oui, oui, montez avec maman, puisque Amy s’est sauvée.

— C’est cela, Walter, s’écria M. Edmonstone.

Et quand sa femme et son jeune ami furent sortis, ceux qui demeuraient au salon s’écrièrent :

— Eh bien ?

— Tout est éclairci : il n’y avait pas un mot de vrai dans tout ce qu’on nous a dit. J’en étais sûr, et je n’aurais jamais dû écouter Philippe.

— Hourrah ! s’écria Charles en battant des mains. Comment avez-vous découvert la vérité ?

— Par Dixon. Il y avait longtemps qu’il aidait cet homme, mettant son enfant en pension, payant ses dettes de jeu. C’est là que mon billet est allé.

— Oh ! oh ! fit Charles.

— Oui ; l’enfant l’a dit à Markham, et Markham m’a amené le père pour qu’il me le répétât. Je suis furieux, quand je pense à la monstrueuse histoire que Philippe avait faite de cela.

— J’en étais sûr, s’écria Charles. J’ai toujours pensé qu’il valait mieux que personne, et que c’était pourquoi on ne voulait pas le croire.

— Sans doute, répondit M. Edmonstone. C’était Philippe qui faisait paraître noir ce qui était blanc.

— Je n’ai jamais cru Philippe, dit Charles, depuis que j’ai vu son animosité.

— Les absents ont toujours tort, interrompit Laura ; puis, craignant de se découvrir, elle ajouta : Viens, Charlotte ; il est très tard.

— Et je serai la première à tout dire à Amy, s’écria la petite fille, en courant pour ne pas être prévenue.

Laura s’arrêta encore à ranger quelques livres dans la pièce voisine. Elle ne savait que penser de tout cela. Le jugement de Philippe était à ses yeux bien plus décisif que celui de son père : elle ne pouvait croire Walter innocent, sachant quelle était l’opinion de son cousin. Cependant elle avait de l’affection pour ce jeune homme ; et, quoique le bonheur de sa sœur la fît soupirer, en pensant à l’amour sans espoir de Philippe, elle désirait sincèrement pouvoir rendre toute son estime à Walter. Avec un effort, elle entra dans la chambre de sa sœur, qu’elle trouva tout émue de la joie tumultueuse de Charlotte. Jugeant donc qu’elle avait besoin de repos, elle lui souhaita amicalement une bonne nuit, et se retira.

Il serait difficile de peindre l’émotion de madame Edmonstone, quand elle s’assit avec Walter devant le feu de son cabinet de toilette. Elle remarqua qu’il était plus pâle que de coutume, et que ses yeux n’avaient plus le même joyeux éclat. Son expression était devenue plus grave ; et, quoiqu’il eût toujours l’air fort jeune, il avait perdu ce qui lui restait d’un peu enfantin dans les manières. On voyait qu’il avait souffert. Madame Edmonstone se sentait encore plus d’affection pour lui qu’au moment où il était venu lui avouer son amour pour sa fille. Enfin elle lui dit :

— Je suis heureuse de vous avoir encore auprès de moi.

Il sourit et répondit :

— Puis-je vous conter toute l’affaire ?

— Asseyez-vous, et commencez. Vous avez beaucoup souffert ?

— Oui, Madame, répondit-il simplement : et il garda le silence.

— C’est fini, heureusement, reprit-elle. J’ai à peine vu M. Edmonstone : mais il m’a dit qu’il était parfaitement satisfait.

— Il a la bonté de l’être, quoique je n’aie pas pu lui expliquer pourquoi je lui avais demandé ces mille livres.

— Nous avons confiance en vous, répondit en souriant madame Edmonstone. Mais il me tarde de savoir enfin comment vous vous êtes expliqués.

Walter lui fit un récit exact de toute l’affaire, et elle parut vivement touchée de sa reconnaissance pour le pardon de M. Edmonstone.

— C’était plutôt à vous de pardonner, dit-elle.

— Vous oubliez comment je me suis comporté, répondit Walter en rougissant. Si vous saviez comme j’étais furieux, au premier moment, vous trouveriez qu’une pénitence d’un hiver était moins que je ne méritais.

— Vous ne dites donc pas, comme Charles, que nos soupçons injustes excusaient votre colère ?

— Non, certainement, Madame.

Il s’arrêta de nouveau.

— Dieu merci, ce n’a pas été long, mais assez cependant pour me faire voir le danger d’une telle disposition d’esprit.

— Vous l’avez surmontée. Vos exclamations du premier moment venaient de ce que vous n’étiez pas sur vos gardes : ensuite vous vous êtes très bien conduit envers Philippe.

— J’ai reconnu que l’offense n’était pas aussi grave que je l’avais cru au premier moment, et que Philippe était dans l’erreur.

Madame Edmonstone fut très frappée de la manière dont Walter jugeait sa faute. Il acceptait tout le blâme à cause de sa colère ; il excusait son cousin et ne lui supposait que de bonnes intentions.

— J’écrirai à Philippe aussitôt que possible, reprit-il ; à présent que je peux tout lui expliquer. Oh ! Madame, si vous saviez quel bonheur j’éprouve à vous revoir tous, à la revoir !

— Amy s’est admirablement conduite cet hiver.

Il lui répondit par un regard expressif ; puis il s’écria naïvement :

— Mais, Madame, sérieusement et franchement, croyez-vous que je puisse la rendre heureuse ?

— Mon cher Walter, répondit madame Edmonstone, ayant de la peine à ne pas rire, je vous ai dit ce que j’en pensais l’été dernier, et il vous faudra décider cette question demain avec Amy. Mais il est temps d’aller se coucher ; bonne nuit.

— Bonne nuit, répéta Walter, en prenant la main qu’elle lui tendait. Qu’il y a longtemps que l’on ne m’a souhaité la bonne nuit ! Dormez bien, chère maman !

Elle lui pressa la main, et il courut aider à porter Charles, pendant que madame Edmonstone entra dans la chambre d’Amy.

La lumière était éteinte, et Amy dans son lit, éclairé par les rayons de la lune. Elle s’assit quand sa mère entra, et elle s’écria :

— Oh ! maman, que vous êtes bonne !

— Je ne puis rester qu’un instant, car votre père monte ; mais j’ai voulu vous dire que je viens d’avoir une excellente conversation avec Walter. Il s’est noblement conduit, et votre père est complètement satisfait. À présent, mon enfant, tâchez de dormir, pour être en état de lui parler demain.

Amy passa ses bras autour du cou de sa mère, et murmura :

— Il est donc heureux ? Oh ! qu’il me tarde de tout savoir !

— Il vous le dira demain, Amy. Je suis contente de vous, mon enfant ; dormez bien.

Amy se coucha, et remercia encore sa mère, en lui souhaitant aussi une bonne nuit.

Elle ferma les yeux, et madame Edmonstone, en se retirant, s’arrêta encore pour regarder la douce et calme expression de la jeune fille, dans son lit blanc que la lune éclairait.

Amy était toujours disposée à l’espérance et à la soumission ; elle savait que Walter était dans la maison ; sa mère l’assurait que tout allait bien, et lui demandait de s’endormir aussi vite qu’elle pourrait ; et, sans s’agiter le moins du monde, elle fut bientôt plongée dans un doux et profond sommeil.



fin du tome premier.