Librairie de Ch. Meyrueis et Comp. (Volume 1p. 165-179).


CHAPITRE XII.


Son doux sourire, son extrême vivacité,
Montrent qu’elle est une simple et heureuse enfant ;
Mais sur son large front,
Dans ses paroles sages, son regard pensif,
Est mêlée, avec la joyeuse légèreté de l’enfance,
La modeste dignité d’une jeune fille.



Un jour d’été, deux ans après le bal et la revue, comme M. Ross achevait de dîner avec sa fille Mary, elle lui dit :

— Papa, si vous n’avez pas besoin de moi cette après-midi, j’irai à Hollywell. Vous savez que j’y trouverai Eveline de Courcy ?

— Non, je ne le savais pas. Pourquoi est-elle venue ?

— Charles prétend qu’elle a fait des excès de polka à Londres, et qu’on l’envoie ici pour se reposer et respirer l’air de la campagne. Je veux lui faire une visite, et, par la même occasion, demander quelques conseils à M. Walter Morville, sur ce que nous devrions faire chanter aux enfants de l’école le jour de la fête.

— Vous croyez donc qu’il y viendra, à la fête ?

— Je compte sur sa voix pour cacher tous les défauts de celles des enfants.

— Et, s’il vous manque de parole, comme à madame Brownlow ?

— Oh ! papa, le blâmez-vous d’avoir rompu avec une société si peu digne de lui ? Son amour pour la musique l’avait conduit trop souvent dans cette maison où l’on en fait d’excellente : mais il a reconnu que, si la musique était bonne, les manières étaient mauvaises.

— Il a bien fait, et ce que je viens de dire m’était suggéré par un mot du capitaine Morville.

— Il n’approuve jamais ce que fait son cousin. Ce n’est pas comme Charles.

— Combien Charles a gagné depuis quelque temps ! Il a perdu sa disposition au mécontentement et au sarcasme ; et semble avoir trouvé un but sérieux à sa vie.

— Oui, il s’occupe, et Amy apprend de lui à s’occuper ; vous vous souvenez que dans le temps où l’institutrice des jeunes demoiselles Edmonstone les quitta, nous craignions qu’Amy ne prît l’habitude de ne faire autre chose que de soigner Charles, et de perdre son temps à de gracieuses bagatelles ; mais, depuis que son frère est devenu plus sérieux, elle a suivi son exemple, et son esprit a fait des progrès surprenants. Vous ne l’avez peut-être pas remarqué, parce qu’elle a conservé ses manières enfantines, et qu’elle est toujours silencieuse et réservée devant les personnes plus âgées qu’elle ; mais elle profite de ce qu’elle entend.

— Elle ne se développera que plus sûrement pour s’être développée lentement.

— Ces deux sœurs sont fort différentes l’une de l’autre. Laura a toujours eu l’air beaucoup plus âgée, et surtout depuis quelque temps ; je ne sais si elle travaille trop ; mais on lui donnerait plutôt vingt-cinq ans que vingt…

À trois heures et demie, Mary entrait dans un taillis qui touchait à la propriété de M. Edmonstone, quand elle entendit des voix joyeuses et un fragment d’une vieille chanson :

Ne pleurez plus, noble dame, noble dame, ne pleurez plus ;
Votre chagrin est vain ;
Car, une fois les violettes cueillies, la plus douce pluie
Ne les fait pas revivre.

Un joyeux éclat de rire interrompit ce chant, et, au détour d’un sentier, Mary vit Walter, Amy et Charlotte fort occupés auprès d’un églantier. Walter avait peu changé pendant ces deux années, il n’avait pas beaucoup grandi, et il était toujours agile plutôt que fort. Il coupait les branches de l’églantier avec son grand couteau, et Amy ramassait soigneusement les rameaux fleuris. Pour Charlotte, elle portait dans ses mains un paquet d’écorce de tilleul, et ne cessait de s’embarrasser les jambes dans les broussailles.

Tous trois saluèrent gaiement Mary.

— Nous sommes très occupés, dit Charlotte ; Walter a fait venir des greffes de Redclyffe.

— Elles viennent du jardin particulier de Markham, qui est un grand fleuriste, ajouta Walter.

— Et vous coupez toutes les branches de ce pauvre églantier ?

— N’est-ce pas dommage ? dit Amy. Nous avions employé tous ceux qui sont dans le jardin, et on transplantera celui-ci en automne.

— Amy croit devoir le consoler, en lui disant que c’est pour son bien.

— Je ne sais pourtant pas si vos précieuses roses vaudront mieux que ces boutons délicats à la longue barbe verte.

— Et vous, vous chantiez pour consoler Amy ? dit Mary.

— Mais continuez, je suis assez horticulteur moi-même pour m’intéresser à ce que vous faites.

Il ne restait que deux bourgeons à insérer, et, dans le moment le moins critique de l’opération, Mary demanda des nouvelles du reste de la famille, et parla de la fête que l’on allait donner à l’école.

— Ô Walter, ne partez pas auparavant ! dit Charlotte.

— Partir ! Pour quel lieu ? demanda Mary.

— Je ne sais, il va sottement perdre le reste des vacances à étudier les mathématiques.

— Ce n’est que trop vrai, dit Walter, je vais me joindre à quelques amis, et nous nous préparerons ensemble pour la rentrée.

— J’espère que vous ne partirez pas avant jeudi prochain, quoique notre petite fête ne soit pas digne de vous arrêter !

— Non, je resterai jusqu’à vendredi, et j’aurai le plus grand plaisir à me rendre à votre invitation, mademoiselle… Encore un peu d’écorce, Charlotte… bien, voilà qui est fini.

Pendant que Walter et Charlotte débarrassaient le sentier des branches de l’églantier, Amy eut le temps d’expliquer à Mary que Walter, trouvant qu’il perdait trop de temps dans les vacances à Hollywell, s’était arrangé, avec quelques-uns de ses condisciples d’Oxford, pour passer dans un endroit retiré quelques semaines à étudier les mathématiques sous la direction de M. Wellwood. On avait d’abord pensé au bord de la mer ; mais Philippe avait recommandé une ferme dans la paroisse de Stylehurst, et non loin de Saint-Mildred, pour laquelle on s’était décidé, parce que M. Wellwood serait à portée de voir ses amis dans cette ville.

En arrivant sur la pelouse, ils trouvèrent madame Edmonstone, Laura et Eveline assises avec leurs ouvrages et leurs livres. Laura était plus belle que jamais, quoiqu’elle eût l’air plus âgée qu’elle ne l’était en réalité. Ce n’était pas qu’elle eût perdu sa fraîcheur, car son teint était toujours remarquable par son éclat, tandis que celui d’Amy était pâle, et que celui d’Eveline portait l’empreinte des veilles et de la fatigue. Elle était, avec cela, gaie et animée, et prenait part à la conversation avec un air d’intérêt. C’était plutôt Amy qui avait quelque chose de méditatif, quand elle était silencieuse. Mais Mary se dit ce jour-là que Laura était devenue décidément une femme et qu’elle avait perdu l’insouciance du premier âge.

Mary fit part de ses plans pour la fête : le service à l’église à quatre heures, suivi d’un thé offert aux enfants dans la prairie et dans le jardin aux autres invités ; ensuite des divertissements, auxquels prendraient part tous ceux qui en auraient envie. Chacun aime ces sortes de fêtes, où règne la plus entière liberté, et où les riches des environs ont le plaisir de se rencontrer et de penser qu’il ne sont pas venus chercher uniquement un passe-temps frivole.

Madame Edmonstone promit de s’y rendre avec sa famille, et lady Eveline de se bien porter et d’enseigner aux enfants une foule de nouveaux jeux.

Ensuite Mary consulta Walter au sujet du chant. Amy les conduisit l’un et l’autre au piano : mais, comme Mary était trop peu musicienne pour comprendre leurs explications, ils promirent de se rendre à East-Hill, pour s’entendre avec le maître d’école. Puis toute la famille accompagna miss Ross jusqu’à une barrière où l’on se sépara.

La situation de Philippe et de Laura n’était pas changée. Son régiment n’avait jamais été très éloigné de Hollywell, et Philippe y venait plus souvent, depuis que Laura apprenait à le voir avec plus de calme. Il n’était, pour ainsi dire, jamais seul avec elle ; mais son influence sur cette jeune personne n’en était pas pour cela diminuée. Un regard, un geste, qu’elle seule apercevait, lui faisaient comprendre ce qu’elle était pour lui, ou ce qu’il désirait d’elle. Elle lui était si complètement dévouée, qu’elle s’effrayait quelquefois, en reconnaissant que son affection pour le reste de sa famille était bien peu de chose auprès de son amour, et cependant elle ne sentait pas quelle faute elle commettait en le cachant ainsi. Il lui semblait avoir assez expié son erreur par tout ce qu’elle avait souffert ; en un mot, elle s’endurcissait de plus en plus contre les reproches de sa conscience.

Ce qu’elle craignait par-dessus tout, c’étaient les tête-à-tête et les conversations sur des romans, qu’elle ne pouvait presque jamais éviter avec Eveline. Celle-ci était toujours sa compagne, quand on se promenait en long et en large le soir sur la terrasse, pendant que Walter et Amy montraient une tendance particulière à marcher de front, ce qui n’échappait pas à la jeune Irlandaise.

— Quelle belle soirée ! dit Amy à demi-voix.

— Il ne manque à sa solennité que le sourd et doux murmure de l’océan, répondit Walter. Voilà la musique par excellence ! Que doit être Celui dont l’oreille saisit toute cette harmonie ?

— Que je voudrais entendre l’océan !

— Et le voir, Amy ! Oh ! si je pouvais vous donner une idée de la mer éclairée par les rayons du soleil ! Cette ligne immense à l’horizon, ces champs de lumière qui vous en séparent ! Si vous pouviez connaître le sentiment de liberté que l’on éprouve lorsque, debout sur un roc escarpé, vous sentez le vent de la mer vous souffler dans les cheveux après avoir traversé la moitié du globe ! Oh ! la mer, la mer !

— Cependant vous n’avez pas voulu aller avec vos camarades d’étude à Redclyffe.

— C’est que j’aurais craint que cela n’ennuyât Markham, et ne dérangeât la vieille madame Drew.

— Ennuyé Markham de vous voir !

— Non pas moi, mais les jeunes gens qui m’auraient accompagné. Ils en auraient eu aussi peur là-bas que des bêtes sauvages ! Puis, il y a si longtemps que je n’ai été à Redclyffe ! Je ne voudrais y retourner que pour ne plus le quitter.

— Ah ! cela vous attristera au premier moment, mais ensuite vous y serez bien heureux.

— Certainement ; que d’anciens souvenirs ! Mais il s’est fait un si grand changement là-bas ! et de plus un étranger au presbytère !

— Connaissez-vous le nouveau ministre ? Si je ne me trompe, madame Ashford est parente de lady Thorndale ?

— Oui ; Thorndale les appelle « une famille modèle. » Je ne doute pas qu’ils ne fassent beaucoup de bien chez nous ; nous sommes très retardés, et il nous faut, pour les enfants, autre chose que l’école de dame Robinson.

À ce moment, M. Edmonstone les appela de la fenêtre, disant qu’il était temps de rentrer.

Madame Edmonstone dormit peu et réfléchit beaucoup la nuit suivante. Elle avait cru remarquer autrefois que lady Eveline plaisait à Walter, et elle s’était sentie curieuse d’observer ce qui résulterait de la visite de cette jeune personne. Eveline avait beaucoup gagné, et pris quelque chose de plus réfléchi, en sorte que madame Edmonstone la trouvait presque digne de son jeune favori. Mais soudain, au milieu de ces belles imaginations, une chose frappa madame Edmonstone. C’était sa petite Amy, et non pas Eveline, qui était sans cesse avec Walter. Lectures, musique, promenades sur la terrasse, ils ne faisaient rien l’un sans l’autre. Et, quand la bonne mère se reportait par la mémoire aux dernières vacances de Pâques, c’était la même chose.

Quoique madame Edmonstone aimât tendrement Walter, elle se demanda jusqu’à quel point elle devait d’empêcher ces deux jeunes cœurs de s’engager sans le savoir, puisque Walter avait vu si peu de monde, qu’il pourrait se repentir un jour de ne pas avoir attendu plus tard pour faire un choix ? Et, si sa conduite venait seulement d’une amitié toute fraternelle, Amy ne risquait-elle pas de s’y accoutumer tellement, qu’elle éprouverait un grand vide quand il quitterait Hollywell ? Il fallait, avant qu’il fût trop tard, lui faire sentir que cette intimité n’était pas convenable et lui épargner ainsi les souffrances que Laura semblait avoir éprouvées. Mais comment aborder un pareil sujet avec une jeune fille si innocente ? Madame Edmonstone ne s’y serait peut-être jamais décidée, si, à ce moment, Amy n’avait frappé à sa porte.

— Où avez-vous été tout ce temps, Amy ?

— Dans la chambre d’Eveline, où nous ayons formé un projet pour demain, que je viens vous demander la permission d’exécuter. Vous savez que Walter a promis à Mary d’aller à East-Hill pour entendre le chant des enfants. Nous aimerions à l’accompagner avec l’âne, le poney et sa petite voiture, et goûter à East-Hill. Là nous demanderions à Mary de venir avec nous au haut de la colline, pour jouir de la vue que Walter dit être magnifique. Il ajoute que le sentier est assez bon pour que nous puissions prendre Charles avec nous.

Amy fut surprise de voir hésiter sa mère, qui, d’ordinaire, ne s’opposait pas à des parties de ce genre.

— Aviez-vous quelque autre projet, maman ? Nous ferons ce que vous voudrez.

— Non. ma chère enfant, mais…

Elle fit un effort pour parler.

— Je n’aime pas que vous soyez tout à fait aussi familière avec Walter.

La vive rougeur qui couvrit soudain le visage de la jeune fille fit bien voir à sa mère qu’il était temps de parler. Elle continua :

— Vous ayez passé dernièrement une grande partie de votre temps avec lui, très convenablement et très sensément, je le sais. Je ne vous blâme pas, mon enfant, n’ayez pas l’air si malheureux. Seulement vous savez que, quoique nous l’appelions cousin, nous sommes à peine parents.

— Oh ! maman, ne continuez pas, je vous en prie, s’écria la pauvre Amy, qui ne pouvait supporter l’idée d’avoir paru manquer de réserve.

Sa mère reprit :

— Je vous le répète, Amy, vous n’avez rien fait qui ne fût parfaitement convenable, seulement je crois devoir vous avertir, afin que vous ne vous permettiez pas des familiarités qui pourraient attirer l’attention. Changez peu de chose à vos habitudes passées : évitez seulement de vous promener seule avec lui dans le jardin, et tenez-vous plus souvent auprès de moi et de Laura.

Ces simples paroles rendaient la pauvre Amy plus confuse qu’une accusation de coquetterie n’aurait fait bien des jeunes filles. Elle avait sur la conscience d’avoir pris trop de plaisir dans la société de Walter ; elle en était confuse ; sans oser regarder sa mère, qui l’embrassait, elle cachait sa tête sur son épaule. Madame Edmonstone la caressa et lui donna plusieurs baisers. Enfin, la laissant aller : Bonne nuit, mon enfant, dit-elle.

— Bonne nuit, ma chère maman, dit-elle doucement ; j’ai bien du regret.

— Il n’y a pas de quoi, ma petite, soyez seulement sur vos gardes à l’avenir.

Il aurait été difficile de dire si les joues de la fille étaient plus brûlantes que celles de la mère.

La pauvre Amy, dans sa confusion, se demandait sans cesse ce qu’elle avait à faire. C’est seulement après sa conversation avec sa mère qu’elle s’aperçut de tout ce que Walter avait été pour elle. Elle s’indignait contre elle-même, en voyant combien la présence de ce jeune homme était nécessaire à son bonheur, combien elle l’avait recherchée. Il fallait en finir, quoiqu’il lui en coûtât. Amy s’agenouilla donc, et pria Dieu de l’aider à garder sa résolution.

Elle ne se doutait pas que, dans cette affaire, l’inclination était réciproque, et qu’elle ferait souffrir Walter autant qu’elle-même en s’éloignant de lui.

Le lendemain matin, Amy sentit sa résolution s’affermir ; mais, quand Laura vint lui demander ce que madame Edmonstone pensait de leur projet, elle se sentit confuse, baissa les yeux, répondit qu’elle était indécise. Heureusement sa mère entra dans le moment, disant qu’elle avait pensé à la course en question, et voulait être aussi de la partie. Amy comprit pourquoi et en fut bien reconnaissante.

Quand Laura avait voulu changer de conduite vis-à-vis de Walter, elle y avait facilement réussi, sans en avoir l’air, car elle était très calme et sentait son cœur parfaitement libre. Elle avait donc pu juger de ce qu’elle devait faire ou ne pas faire, et sauver les apparences. Mais il n’en était pas ainsi de sa jeune sœur. Elle avait peur d’elle-même et se jeta dans l’exagération. Elle ne voulut descendre qu’au dernier moment, pour éviter les causeries du matin. À déjeuner elle ne parla presque pas, et, dans le jardin, elle n’osait s’éloigner d’un pas de Laura et d’Eveline. Charles l’ayant appelée de la fenêtre pour venir lire avec lui et Walter, elle le pria de l’excuser, disant qu’elle ne pouvait aller.

Enfin, l’heure du départ étant arrivée, Amy marcha en avant avec Laura et Eveline, parce que Walter était avec sa maman ; mais bientôt, après avoir ouvert une barrière pour laisser passer Charlotte sur son âne, il rejoignit les jeunes demoiselles. Aussitôt Amy vit quelque chose dans la haie, une fleur. N’eût-elle vu qu’une ortie, elle l’aurait aussi bien cueillie pour qu’on la laissât en arrière ; malheureusement on l’attendit. Alors elle essaya de garder le silence, mais Walter lui parla le premier ; elle courut joindre Charlotte et l’âne ; mais, à la barrière suivante, Walter vint encore l’ouvrir et il demeura auprès d’elle à causer. Enfin elle se mit sous l’aile de sa mère, et, ne la quittant plus, elle trouva moyen de se tirer assez bien d’affaire tant qu’on fut à East-Hill. Mais plus loin elle monta l’âne, qui, comme tous les ânes, voulait toujours être en tête de la caravane. Walter le conduisait ; ainsi elle se trouvait plus que jamais seule avec lui. Du haut de la colline, on jouissait d’une vue étendue et variée ; de grands bois, des champs d’orge et de blé, des prairies, se présentaient aux regards et finissaient par se perdre dans un horizon lointain. Amy savait que cet endroit avait un grand charme pour Walter, et qu’il avait surtout désiré de le lui faire admirer. Elle fut plus d’une fois sur le point de lui demander si c’était aussi beau que Redclyffe ; mais elle se souvint de sa résolution et ne dit mot. Sur le penchant de la colline, il y avait un bois, d’où Walter lui avait souvent rapporté des fleurs pour son herbier, et il aurait voulu qu’elle en vînt chercher elle-même. Mais la côte était trop escarpée pour madame Edmonstone, Eveline ne devait pas se fatiguer et Laura n’avait pas la passion des fleurs. Amy fut donc obligée de refuser cette expédition, quoique Charlotte lui dît que c’était une sottise ; que ce serait très amusant de descendre là-bas, et que Walter la priât lui-même de vouloir bien venir seulement à quelques pas pour trouver de superbes orchis. Mary, après ce qu’elle avait vu la veille, ne pouvait deviner la raison de ce refus, sans quoi elle aurait quitté Charles et aurait accompagné Amy jusqu’aux fleurs. Mais elle n’y pensa même pas. La pauvre Amy était très fatiguée bien avant la fin de la promenade, et Walter, qui s’en aperçut, lui offrit aussitôt son bras. Elle ne voulut pas l’accepter, et s’efforça de ne pas rester en arrière, car sa mère était dans la voiture.

Sa fatigue fut une bonne excuse pour éviter de faire de la musique et de se promener sur la terrasse le soir ; elle alla se coucher avec la pensée consolante qu’elle avait fait son devoir.

Le jour suivant, Amy continua de suivre la même ligne de conduite ; pas de lecture avec les jeunes gens, quoique Charles la grondât ; puis elle se tint dans sa chambre jusqu’à ce que Walter fût sorti, et, le soir, quand le reste de la compagnie alla se promener sur la terrasse, elle demeura auprès de Charles. Mais ceci ne lui réussit guère, car Walter vint les joindre. Aussitôt qu’elle l’osa, Amy se leva, disant qu’elle allait chercher Laura ; mais sa robe se prit à la fenêtre, et, en se retournant pour la dégager, elle rencontra le regard de Walter, si plein d’anxiété et de tristesse, qu’elle put difficilement le supporter.

— Sans doute il me trouve impolie et capricieuse, se dit-elle avec un soupir, mais il se consolera avec Charles, et sa prochaine absence lui fera bientôt oublier Amy, puisqu’il n’a pour elle aucune affection particulière.