L’Encyclopédie/1re édition/YEUX

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YEUX, (Médec. séméiotiq.) les yeux ne sont pas moins le miroir fidele des affections du corps que des passions de l’ame ; le séméioticien éclairé y voit représentés avec exactitude & netteté les divers états de la machine, tandis que l’observateur inhabile, le charlatan effronté, le chirurgien déplacé, la ridicule bonne femme, & autres médecins subalternes, qui sans connoissance de la médecine se mêlent d’en faire le dangereux exercice, ne soupçonnent pas même qu’ils puissent rien signifier, & ne voient pas le rapport qu’il peut y avoir entre une petite partie en apparence isolée, peu nécessaire à la vie, & les différens organes à l’action desquels la santé & la vie sont attachées. Mais ces lumieres ne sont pas faites pour eux, ce n’est que pour les vrais & légitimes médecins que leur illustre législateur a prononcé que « l’état du corps est toujours conforme à celui des yeux, & que sa bonne ou mauvaise disposition influe nécessairement sur la couleur & l’action de ces organes ». (Epidem. lib. VI. sect. IV. n°. 26.) Ce n’est que pour eux qu’il a établi & fixé d’une maniere invariable le rapport qu’il y a entre certains états des yeux & certains dérangemens présens ou futurs de la machine, & qu’il a en conséquence établi les signes prognostics & diagnostics que les yeux peuvent fournir. Dans le détail où nous allons entrer, nous suivrons la même méthode que nous avons adoptée dans les autres articles de Séméiotique, & qui nous paroît la plus avantageuse, c’est-à-dire nous ne ferons qu’extraire des différens ouvrages d’Hippocrate les axiomes que cet exact observateur y a répandus, & qui sont relatifs à notre sujet, & nous les exposerons tels qu’il les a donnés lui-même, sans prétendre démontrer l’enchaînement qui doit se trouver entre le signe & la chose signifiée, laissant par conséquent à part toute discussion théorique.

Nous remarquerons d’abord avec lui que les yeux bien disposés, c’est-à-dire bien colorés, brillans, clairvoyans, ni rouges, ni livides, ni noirâtres, ni chargés d’écailles connues sous le nom de ems, indiquent une bonne santé, ou font espérer dans l’état de maladie une parfaite guérison. Il y a peu d’exemples de maladies qui aient eu une issue peu favorable avec un pareil état des yeux. Les vices de cet organe dénotent toujours dans le courant des maladies, un nouveau dérangement, un trouble survenu dans la machine, qui dans quelques cas peut être avantageux, & qui le plus souvent est funeste. Les yeux sont censés vicieux, lorsqu’ils sont mal colorés, qu’ils ont perdu leur force & leur éclat, qu’ils ne peuvent pas supporter la lumiere, que leur action est ou diminuée ou tout-à-fait anéantie, que les larmes coulent involontairement, qu’ils sont étincelans, enflés, hagards, immobiles, obscurs, sombres, pesans, de travers, creux, fermés, &c. Pour que les yeux puissent dans ces différens états contre nature avoir quelque signification, il faut qu’ils aient été rendus tels par l’effort de la maladie, & non par aucun accident étranger ; c’est pourquoi il faut, avant de juger par les yeux, être instruits de leur disposition naturelle ou antérieure à la maladie ; car les seuls effets peuvent être signes de leur cause. Les présages que l’on peut tirer de la plûpart de ces dérangemens dans l’extérieur ou l’action des yeux, seront salutaires, s’ils sont occasionnés par un effort critique, s’ils arrivent après la coction, & s’ils sont accompagnés par d’autres signes critiques ; ils seront plus ou moins desavantageux, si ces dérangemens ne sont ni précédés de coction ni suivis de crise, s’ils se rencontrent avec une extreme foiblesse ou avec quelque autre accident fâcheux dont ils augmenteront le danger. Ainsi, dit Hippocrate, on doit attribuer à la force du mal le mauvais état des yeux qui s’observe le trois ou quatrieme jour. Prognost. lib. I. n°. 3 & 4.

1°. Lorsque dans une fievre aiguë qui n’a rien de funeste, une douleur constante occupe la tête & les yeux, ou que la vue s’obscurcit, & qu’en même tems le malade sent de la gêne à l’orifice supérieur de l’estomac, il ne tardera pas à survenir un vomissement de matieres bilieuses ; mais si avec la douleur de tête, les yeux, au lieu d’être obscurcis tout-à-fait, ne sont qu’hébétés ou louches, ou s’ils sont fatigués par des éclairs ou des étincelles qui se présentent fréquemment, & au lieu de cardialgie, il y ait une distention des hypocondres sans inflammation & sans douleur, il faut s’attendre à une hémorrhagie du nez, & non pas au vomissement, sur-tout si le malade est jeune ; car à ceux qui ont passé trente ans, il faudroit s’en tenir au premier prognostic. Hippocr. prognost. lib. III. n°. 23 & 29.

La rougeur des yeux & la douleur du col sont un signe d’hémorragie du nez. Prorrhet. lib. I. sect. III. n°. 45. La même excrétion est aussi annoncée par une rougeur foncée des yeux & par une douleur de tête très-opiniatre, par le clignotement des yeux. Coac. prænot. cap. iv. n°. 7.

Personne n’ignore la fameuse prédiction que Galien fit d’une hémorragie du nez, & la fermeté avec laquelle il s’opposa à une saignée que des médecins peu éclairés vouloient faire à un malade attaqué d’une fievre violente. Il tira ces signes & ses contrindications principalement de la rougeur des yeux, & de ce que le malade s’imaginoit voir toujours voltiger devant ses yeux des serpens rouges ; le succès le plus complet & le plus prochain justifia son prognostic & sa conduite. Le malade saigna abondamment du nez un instant après, & sa guérison fut décidée dès ce moment. Si la saignée eût été faite, il y a lieu de présumer que cette crise auroit échoué ou du moins n’auroit pas été aussi prompte & aussi heureuse, & que le malade auroit été plongé dans un très grand danger. Tel est l’avantage qu’ont les médecins qui savent temporiser, qui étudient & suivent la nature ; tels sont les risques que courent les malades qui confient leurs jours à des aveugles routiniers, qui prétendent maîtriser la nature sans la connoître, & qui assassinent les malades par les efforts impuissans & mal concertés qu’ils font pour les guérir. L’hémorragie du nez est aussi quelquefois annoncée par le larmoyement des yeux ; mais il faut que les larmes soient involontaires, & qu’en même tems les autres signes concourent ; car s’il paroit quelque signe mortel, elles n’annoncent point l’hémorragie, mais la mort prochaine (epidem. lib. I. stat. III.) & si les larmes sont volontaires, elles ne signifient rien. Aphor. 52, lib. IV.

L’état des yeux qui précede dans la plûpart des femmes, & qui accompagne l’excrétion des regles, est connu de tout le monde ; on sait qu’ils perdent une partie de leur force & de leur éclat, qu’ils deviennent languissans, & que tout le tour des paupieres inférieures devient plus ou moins livide ou violet, & dans l’état où il seroit après un coup violent qui auroit produit une contusion plus ou moins forte. Les éruptions des pustules autour des yeux dans les malades qui commencent à se rétablir, dénotent un dévoiement prochain. Coac. prænot. cap. vj. n°. 10. On peut tirer aussi le même présage de la rougeur de ces parties voisines du nez & des yeux. Ibid. n°. 5. La rougeur des yeux marque aussi quelquefois un fond de dérangement chronique dans le ventre. Ibid. n°. 9. Lorsque les yeux auparavant obscurs, sales & mal colorés reprennent leur brillant, leur pureté & leur couleur naturelle, c’est un signe de crise d’autant plus prochaine que les yeux se dépouillent plus promptement. Ibid. n°. 6. La distorsion des yeux & leur renversement fournissent aussi quelquefois le même présage ; tel est le cas du malade qui étoit au jardin de Déalces, qui fut attaque le neuvieme jour d’un frisson, d’une fievre légere & de sueurs auxquelles le froid succéda, qui tomba ensuite dans le délire, eut l’œil droit de travers, la langue seche, fut tourmenté de soif & d’insomnie, & cependant se rétablit parfaitement. Epidem. lib. III. agrot. xiij. Galien dans le commentaire de ce passage remarque que le délire & la distorsion des yeux qui paroissent le neuvieme jour, sont assez ordinairement des signes critiques.

2°. Lorsque les affections des yeux n’annoncent aucun mouvement critique, elles sont de mauvais augure, & présagent ou quelque maladie, ou quelque nouvel accident, ou la mort même. La couleur jaune des yeux est un signe d’ictere commençant ou de la mauvaise constitution du foie ; elle est plus fâcheuse, lorsqu’elle se rencontre avec une certaine lividité dans les pleurésies. Les yeux à demi fermés, & dont on ne voit que le blanc, sont des signes avant-coureurs des convulsions, & dénotent la présence des vers dans les premieres voies. Les convulsions sont aussi annoncées, suivant Hippocrate, par l’obscurcissement des yeux joint à la foiblesse (coac. prænot. cap. vj. n°. 10.), ou accompagné de défaillances, d’urines écumeuses & de refroidissement du col, du dos, ou même de tout le corps. Prorrhet. lib. I. sect. III. n°. 20.

La férocité des yeux qu’on observe avec douleur de tête fixe, délire, rougeur du visage, constipation, dénotent une convulsion prochaine des parties postérieures qu’on appelle opistotonos (ibid. sect. II. n°. 55, & coac. prænot. cap. iv. n°. 3.) ; & si pendant les convulsions les yeux ont beaucoup d’éclat, sont très-animés, c’est signe que le malade est dans le délire, & qu’il trainera long-tems. Prorrhet. lib. I. sect. III. n°. 32. Les yeux étincelans, fixes, hagards, marquent le délire ou les convulsions (epidem. lib. VI. text. 1.), & les malades qui avec les yeux féroces ou fermés sont dans le délire, vomissent des matieres noirâtres, ont du dégoût pour les alimens, ressentent quelque douleur au pubis, sont en très grand danger ; les purgatifs ne feroient dans ces circonstances qu’irriter encore le mal ; il faut soigneusement s’en abstenir. Pr. l. I. sect. II. n°. 36. Les yeux poudreux, la voix aiguë, clangosa, comme celle des grues, succédant aux vomissemens nauséeux, présagent le délire ; tel fut le sort de la femme d’Hermozy ge, qui eut un délire violent, & mourut ensuite après avoir tout-à-fait perdu la voix. Ibid. sect. I. n°. 17. Les ébranlemens de la tête, les yeux rougeâtres & les délires manifestes sont des accidens très-graves ; il est cependant rare qu’ils occasionnent la mort du malade ; leur effet le plus ordinaire est d’exciter des abscès derriere les oreilles.

On tire en général un mauvais présage dans les maladies aiguës du brisement (κατάκλασις) des yeux, de leur obscurcissement, de leur fixité ou immobilité, de leur distorsion, soit simple, soit jointe à des selles fréquentes, aqueuses & bilieuses dans le cours des fievres ardentes, avec refroidissement ; & le frisson qui survient à ces distorsions des yeux accompagnées de lassitude, est très-pernicieux. Ces malades sont aussi dans un danger pressant, s’ils tombent alors dans quelque affection soporeuse. Prorrhet. lib. I. sect. II. n°. 51, 48, 56, &c. La situation droite des yeux & leur mouvement rapide, le sommeil troublé ou des veilles opiniatres, l’éruption de quelques gouttes de sang par le nez dans le courant des maladies aigues, n’annoncent rien de bon. Coac. præn. n°. 17. cap. vj.

Les signes que les yeux fournissent le plus ordinairement mortels, sont les suivans : les larmes involontaires, la crainte de la lumiere, leur distorsion, leur grosseur inégale, le changement de la couleur blanche des yeux en rouge, livide ou noirâtre, l’apparition de petites veines noires sur le blanc, la lividité, la paleur, la rigidité, circumtension, la distorsion des paupieres, la formation de petites écailles, λῆμαι, l’élévation des yeux & leur tremblement, de même s’ils sont trop portés en-dehors avec rougeur, sur-tout dans l’angine, ou s’ils sont trop enfoncés, ce qui est un des signes de la face hippocratique, si leur action, leur force & leur éclat sont considérablement diminués ou tout-à-fait anéantis, si les paupieres ne fermant pas exactement pendant le sommeil, ne laissent voir que le blanc des yeux, pourvû que le malade n’ait pas le dévoiement naturel ou occasionné par un purgatif pris dans le jour, ou qu’il n’ait pas accoutumé de dormir dans cet état. Prognost. lib. I. n°. 5, 6 & 7 Cependant ce dernier signe est si funeste, qu’il annonça ou précéda la mort dans Guadagnina, femme de Prosper Alpin, quoique, remarque cet auteur, elle eût quelquefois les yeux disposés de cette façon pendant le sommeil ; mais il étoit accompagné d’affection soporeuse, du refroidissement des extrémités, d’inquiétudes, de la noirceur & de la rudesse de la langue, sans altération. De præsag. vit. & mort. agrot. lib. V. cap. vij. pag. 309.

L’immobilité ou une espece de stupéfaction des yeux, κατάπληξις, fut un signe mortel dans la fille de Nerios, dans qui Hippocrate l’observa peu de jours après avoir reçu un coup du plat de la main sur le sommet de la tête. epidem. lib. V. text. 47. La grosseur inégale des yeux fut un des avant-coureurs de la mort qui survint le lendemain dans le fils de Nicolas & la femme d’Hermoptoleme. Epidem. lib. VII. text. 100 & 13. La flétrissure & le desséchement des yeux fournissoient aussi le même présage, qui se trouve confirmé par l’exemple d’un malade qui avoit reçu une blessure au foie, dont il est parlé ibid. text. 13. A ces signes Hippocrate ajoute encore l’augmentation du blanc des yeux, qui est quelquefois telle que tout le noir est caché par la paupiere supérieure, & le rétrecissement du noir ou de la pupille, la courbure & le clignotement continuel des paupieres. Coac. præn. cap. vj. n°. 8. J’ai souvent observé dans les moribonds, que la pupille se dilatoit beaucoup, sans doute par une suite du relâchement général, de l’apathie universelle ; on peut aussi mettre au nombre des signes mortels, la fausse apparence de mouches, des pailles qui paroissent voltiger devant les yeux, & que le malade s’efforce de prendre ; la fausse apparence de corps noirs qu’on imagine sur les corps voisins ou sur quelque partie de son corps, indique ordinairement la gangrene dans les yeux : ce fut un signe de mort dans un malade attaqué de la petite vérole.

Quelque certains que soient tous ces différens signes, nous répétons encore qu’il faut, pour ne pas hazarder un jugement qui peut nuire à la santé du malade & à sa propre réputation, les combiner avec les autres ; il ne faut négliger aucune partie de la séméiotique ; le travail est immense, j’en conviens ; mais l’importance de la matiere doit être un motif assez pressant, & l’avantage de l’humanité une récompense assez considérable. (m)

Yeux de serpent, (Physique générale.) sorte de pierres figurées, qui ne sont autre chose, suivant plusieurs physiciens, que les petites dents pétrifiées d’un poisson des côtes du Brésil, qu’on y appelle le grondeur, & les plus grandes de ce poisson, celles qui broyent, se nomment crapaudines. Il y a aussi des yeux de serpent & des crapaudines, qui se peuvent rapporter à des dents de dorade, poisson qui se trouve dans nos mers, & ce système seroit plus simple ; quoi qu’il en soit, voyez l’article Crapaudine (D. J.)

Yeux à neige, (Hist. nat.) c’est ainsi que les Esquimaux nomment dans leur langue des especes de lunettes, dont ils se servent pour garantir leurs yeux de l’impression de la neige, dont leur pays est presque perpétuellement couvert. Ce sont des petits morceaux de bois ou d’os, qui ont une fente fort étroite, précisément de la longueur des yeux, & qui s’attachent au moyen d’un cordon que l’on noue derriere la tête. On voit très-distinctement au-travers de cette fente, & sans aucune incommodité ; de cette façon les sauvages se garantissent de maladies des yeux très-douloureuses, auxquelles ils sont exposés, sur-tout au printems ; ils se servent même de ces lunettes pour voir les objets qui sont dans l’éloignement, comme nous ferions d’une lunette d’approche.

Yeux de bœuf, (Marine.) on appelle ainsi les poulies qui sont vers le racage, contre le milieu d’une vergue, & qui servent à maneuvrer l’itague. Il y a six de ces poulies aux pattes de boulines, trois pour chaque bouline. Il y en a aussi une au milieu de la vergue de civadiere, quoiqu’il n’y ait point de racage, parce que sa vergue ne s’amene point. Dans un combat on la met le long du mât, quand on veut venir à l’abordage.

Yeux de pie, voyez Œil de pie.

Yeux de perdrix, (Soierie.) étoffe, partie de soie, partie de laine, diversement ouvragée & façonnée, qui se fait par les hauts-lisseurs de la sayeterie d’Amiens. (D. J.)