L’Encyclopédie/1re édition/VOMISSEMENT

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VOMISSEMENT, s. m. (Médecine.) c’est un mouvement spasmodique & retrograde des fibres musculaires de l’ésophage, de l’estomac, des intestins, accompagné de convulsions des muscles de l’abdomen & du diaphragme, qui, lorsqu’elles sont légeres, produisent les rots, les nausées & le vomissement, quand elles sont violentes. Ces désordres convulsifs procedent de la quantité immodérée, ou de l’acrimonie des alimens, d’un poison, de quelque lésion du cerveau, comme plaies, contusion, compression, ou inflammation de cette partie, d’une inflammation au diaphragme, à l’estomac & aux intestins, à la rate, au foie, aux reins, au pancréas ou au mésentere, de l’irritation du gosier, d’un mouvement désordonné des esprits, causé par une irritation ou une agitation non accoutumée, comme le mouvement d’un carrosse, d’un vaisseau, ou autre cause semblable, ou l’idée de quelque chose dégoûtante.

Les symptômes du vomissement sont les nausées incommodes, la tension dans la région épigastrique, un sentiment de pesanteur au même endroit, l’amertume dans la bouche, la chaleur, les tiraillemens, la perte de l’appétit, l’anxiété, la chaleur à l’endroit de l’estomac, l’agitation, l’affluence de la salive à la bouche, les crachats fréquens, le vertige, l’affoiblissement de la vue, la pesanteur, la rougeur au visage, le tremblement de la levre inférieure, la cardialgie qui dure jusqu’à ce qu’on ait rejetté ce qui étoit contenu dans l’estomac.

Tous ces symptomes dénotent évidemment un mouvement spasmodique & convulsif de l’estomac, & de ses parties nerveuses.

Le vomissement se distingue par les matieres que l’on rend. Le pituiteux est celui où l’on rend des matieres mucilagineuses, chyleuses, & des restes d’alimens imparfaitement dissous. Il est bilieux lorsque les matieres rendues ne sont qu’un amas bilieux ; enfin, il y a des vomissemens noirâtres, corrompus, verds, érugineux & porracés, selon la couleur des matieres & des humeurs rejettées. On rend aussi quelquefois par le vomissement des vers & des insectes.

Le vomissement est souvent sanguinolent ; on rend alors le sang tout fluide, il est souvent épais, noirâtre ; cela arrive sur-tout dans la maladie noire d’Hippocrate, dans l’inflammation & l’engorgement de l’estomac.

Souvent le vomissement est stercoreux, parce que le mouvement retrograde de l’estomac & des intestins rappelle de ces cavités les matieres stercorales, il y a des vomissement où l’on évacue du pus & une matiere sanieuse. On voit des malades rendre par le vomissement des masses charnues & membraneuses qui s’étoient engendrées dans leur estomac.

On voit que la cause prochaine qui dispose au vomissement est la stimulation ou le tiraillement des fibres nerveuses de l’estomac & du duodenum, ou la matiere qui cause ce tiraillement est dans ces parties mêmes, ou dans d’autres plus éloignées, mais qui correspondent à celles-ci par des nerfs, de là naît la distinction du vomissement en symptomatique & en idiopathique, la cause matérielle de celui-ci est dans l’estomac même ou dans le duodenum ; celle de l’autre ou du symptomatique est plus éloignée, elle réside dans les intestins inférieurs, les conduits biliaires, les reins, la tête, ou quelqu’autre partie distante ou prochaine de l’estomac, elle dépend principalement du concours des parties, de la sympathie des nerfs ; c’est ainsi que les douleurs du foie, de la rate, des reins, de la vessie, les rétentions d’urine, la colique néphrétique, l’affection cœliaque, la hernie entérocele, épiplocele, périplocele, causent les vomissemens.

Le symptomatique est plus ordinaire que l’idiopathique, il paroît occasionné par le renversement des mouvemens des nerfs & des esprits, ce qui provient des chatouillemens différens ; c’est ainsi que l’imagination frappée de quelque chose de désagréable excite au vomissement ; c’est ainsi que les vers dans le nez, dans les intestins produisent le vomissement : Une plaie dans le cerveau excite le même symptome.

Prognostic. Le vomissement critique en général est salutaire. Le symptomatique est mauvais ; le pire de tous est celui que cause une acrimonie subtile qui irrite les nerfs.

Le vomissement violent avec toux, douleur, obscurcissement de la vue, pâleur, est dangereux ; car il peut causer l’avortement, une descente, repousser la matiere arthritique, dartreuse, érésypélateuse, vérolique sur quelques parties nobles, au grand détriment du malade ; il occasionne quelquefois la rupture de l’épiploon, le vomissement devient mortel dans ceux qui sont disposés aux hernies, ou qui en sont attaqués, car il y produit un étranglement.

Les vomissemens bilieux poracés, érugineux, sont effrayans ; ils menacent d’inflammation.

Le vomissement causé par des vers qui corrodent l’estomac, sur-tout si l’on rend des vers morts, & qu’il y ait cessation des symptomes les plus formidables, avec des convulsions violentes dans les membres, c’est l’indication d’un sphacele qui détruit les vers & les malades.

Le vomissement fétide n’augure jamais rien de bon, attendu qu’il indique une corruption interne.

Le vomissement de sang continué long-tems & violent ne peut que terminer bientôt la vie du malade.

Le vomissement qui dure depuis six mois & plus, qui est accompagné de chaleur & de fievre lente avec extenuation par tout le corps, donne lieu de soupçonner oue l’estomac est ulcéré.

Souvent le vomissement se guérit de lui-même, parce qu’il détruit la cause morbifique qui le produisoit ; c’est ainsi que les matieres peccantes étant évacuées & emportées cessent d’irriter l’estomac. Dans ce sens l’émétique est salutaire dans le vomissement, & le proverbe qui dit vomitus vomitu curatur, se trouve vrai. C’est le sentiment d’Hippocrate, Epid. l. VI. & la maxime qui dit que les contraires se guérissent par les contraires, n’est pas moins vraie dans ce cas.

Le traitement du vomissement demande que l’on emporte les causes qui le produisent, & que l’on emploie ensuite les remedes calmans, restaurans & prophilactiques : ainsi la premiere indication consiste à évacuer la matiere peccante par le vomissement, si cette voie est nécessaire.

On commence dans l’acrimonie par saigner le malade, pour diminuer la contraction spasmodique de l’estomac, c’est ce qui se pratique aussi dans le vomissement de sang, dans la chaleur d’entrailles ; ensuite on ordonne l’émétique en lavage, le tartre stibié, comme nous l’avons dit en son lieu (voyez Émétique) ou l’ipécacuanha, à la dose de six grains, lorsque la matiere peccante est une humeur glaireuse qui corrode & irrite les tuniques de l’estomac. Ce végétal résineux opere de même dans le vomissement, que dans la dyssenterie, contre laquelle il est regardé comme spécifique.

On peut encore évacuer & calmer tout-à-la-fois par un purgatif ordonné de la façon suivante. Prenez de manne deux onces, de catholicon double une once, de sirop violet une once, d’eau de pavot rouge six onces ; faites du tout une portion purgative & calmante.

La seconde indication dans le vomissement consiste à calmer les spasmes, les convulsions & les tiraillemens de l’estomac par les remedes appropriés.

Dans le vomissement bilieux, on évacuera la bile surabondante, on la délayera par les amers, les purgatifs minoratifs, comme la casse, la manne, la rhubarbe, le rapontic & autres.

Dans le vomissement de sang, on emploiera la saignée réitérée, on évitera l’émétique, à-moins qu’il n’y eût saburre ; on emportera ce mal par les eaux acidules, les aposèmes & les juleps astringens & anodins.

Mais on doit prendre garde de tourmenter le malade par les remedes astringens dans aucun vomissement ; si l’on n’a pas eu le soin auparavant d’emporter les matieres âcres & irritantes, autrement on fatigueroit beaucoup, & on ne feroit qu’attirer des inflammations sur l’estomac ou les intestins. Ainsi dans le vomissement sympathique & symptomatique, il faut songer avant toutes choses à attaquer la cause éloignée qui produit le vomissement. Ainsi, on doit commencer par soulager le mal de tête, la migraine, les plaies, les contusions du cerveau, les convulsions des méninges ; on emportera la fievre, les vers, la colique néphrétique, on remettra la hernie, on fera rentrer le sac herniaire, s’il est possible, on procurera le rétablissement des évacuations ordinaires, dont la suppression auroit pu causer le vomissement ; c’est ainsi que l’écoulement des menstrues, le flux hémorroïdal rétabli guérissent le vomissement causé par leur suppression.

Dans le vomissement avec cardialgie continuelle & accompagné de vapeurs, ou précédé de spasme & de convulsion, on ordonnera les remedes antispasmodiques, tels que les teintures de castor, les huiles de succin, les teintures de fleurs de tilleul, de pivoine, l’eau de cerise noire, l’opium & ses préparations, les gouttes d’Angleterre, l’huile douce de vitriol, le souffre anodin de vitriol.

Dans le vomissement avec ulcere à l’estomac, on aura soin de penser à cet ulcere ; pour remplir les indications qu’il présente, & soulager le malade autant qu’il est possible, on doit éviter tout aliment âcre, on emploiera les alimens gélatineux & nourrissans, le lait coupé avec les bois, les baumes naturels & artificiels, & sur-tout celui du commandeur de Perne.

Mais tous les remedes sont inutiles, si on n’insiste sur un régime exact & modéré ; les alimens doivent être proportionnés à la cause du mal, à l’état de l’estomac & à sa foiblesse, la quantité doit être réglée, l’esprit doit être tranquille, on doit aider le sommeil, l’air sera pur, l’exercice fréquent & modéré.

La troisieme indication sera préservative ou prophilactique ; ainsi elle variera selon les causes : on aura donc recours aux atténuans, aux remedes chauds & stomachiques dans la viscosité des humeurs, dans la disposition pituiteuse & phlegmatique des visceres, on emploiera les amers dans le défaut de ressort & l’atonie des parties qui servent à la chylification.

Les principaux remedes & les plus efficaces dans le vomissement produit par un acide, répondent à une indication fort générale, qui est d’absorber ces mêmes acides qui produisent le vomissement ; on emploie pour la remplir les absorbans, les terreux & les diaphorétiques.

Les absorbans sont d’autant plus salutaires, qu’ils émoussent les pointes des acides, & forment avec elles de véritables sels neutres qui sont laxactifs & purgatifs.

Le vomissement chronique & qui a duré long-tems, ne peut s’emporter que par l’usage des eaux minérales sulphureuses ou thermales dans le cas de relâchement & de viscosité, par les eaux savonneuses dans le cas d’obstruction lentes & glutineuses des visceres, & par les eaux acidules & ferrugineuses, lorsque les obstructions sont tenaces & produites par un sang épais & noirâtre.

La saignée n’est nécessaire dans le vomissement que dans le cas de chaleur, d’ardeur d’estomac, ou dans le vomissement de sang. La saignée est pour prévenir l’effet des remedes indiqués dans cette maladie.

Corrollaire. Le vomissement peut être regardé comme un symptome salutaire dans beaucoup de maladies, il est des personnes en qui il produit le même effet que le flux menstruel & l’éruption des regles ; alors on ne doit point l’arrêter, non plus que ces évacuations, il faut seulement procurer l’évacuation par une autre voie.

Il ne faut pas s’exciter à vomir à la légere, souvent on s’attire des maladies funestes, & l’estomac affoibli par ce vomissement forcé ne peut se rétablir quelque remede que l’on emploie.

Vomissement de mer, (Marine.) la plupart de ceux qui voyagent sur mer sont sujets à des vomissemens qui deviennent souvent dangereux pour leur santé, indépendamment de l’incommodité qui en résulte pour eux. M. Rouelle a trouvé que l’éther ou la liqueur éthérée de Frobenius, étoit un remede souverain contre ces accidens ; cette liqueur appaise les vomissemens, & facilite la digestion des alimens dans ceux qui étant sujets à ces inconvéniens, sont forcés de se priver souvent de nourriture pendant un tems très-considérable. Pour prévenir cette incommodité, l’on n’aura donc qu’à prendre dix ou douze gouttes d’éther sur du sucre, que l’on avalera en se bouchant le nez, de peur qu’il ne s’exhale ; ou bien on commencera par mêler l’éther avec environ dix ou douze parties d’eau, on agitera ce mélange afin qu’il s’incorpore, au moyen d’un peu de sucre en poudre, qui est propre à retenir l’éther, & à le rendre plus miscible avec l’eau, & l’on boira une petite cuillerée de ce mélange, ce qui empêchera le vomissement, ou le soulevement d’estomac que cause le mouvement de la mer.

Vomissement artificiel, ou Vomitif, (Médecine thérapeutique.) il s’agit ici du vomissement qui est déterminé à dessein par des remedes, dans la vûe de changer en mieux l’état du sujet qu’on fait vomir.

Ce vomissement est donc un genre de secours médicinal ; & comme il peut être employé ou pour prévenir un mal futur, ou pour remédier à un mal présent, c’est tantôt une ressource qui appartient à la partie de la Médecine connue sous le nom d’hygienne, c’est-à-dire régime des hommes dans l’état de santé (voyez Régime), & tantôt une ressource thérapeutique ou curative, c’est-à-dire appartenant au traitement des maladies. Voyez Thérapeutique.

Le vomissement artificiel est une espece de purgation. Voyez Purgatif & Purgation.

Les moyens par lesquels les médecins excitent le vomissement, sont connus dans l’art sous le nom d’émétique, qui est grec, & sous celui de vomitif, dérivé du latin vomitivum ou vomitorium ; on exprime encore l’effet de ces remedes en disant qu’ils purgent par le haut, per superiora.

Le vomissement artificiel est un des secours que la Médecine a employés le plus anciennement, sur-tout à titre de préservatif, c’est-à-dire comme moyen d’éviter des maux futurs. Hippocrate conseilloit aux sujets les plus sains de se faire vomir au moins une ou deux fois par mois, au printems & en été, surtout aux gens vigoureux, & qui vomissoient facilement ; & avec cette circonstance que ceux qui avoient beaucoup d’embonpoint, devoient prendre les remedes vomitifs à jeun ; & ceux qui étoient maigres, apies avoir dîné ou soupé. Le plus commun de ces remedes vomitifs se preparoit avec une décoction d’hyssope, à laquelle on ajoutoit un peu de vinaigre & de sel commun. C’étoit encore un remede vomitif, usité chez les anciens, qu’une livre d’écorce de racine de raiforts macérée dans de l’hydromel, mêlé d’un peu de vinaigre simple ou de vinaigre scillitique, que le malade mangeoit toute entiere, & sur laquelle il avaloit peu à peu la liqueur dans laquelle elle avoit macéré. Ce remede fut sur-tout familier aux méthodiques, qui l’employoient même dans les maladies aiguës, au rapport de Cælius Aurelianus. Prosper Alpin rapporte que les Egyptiens modernes sont encore dans l’usage de se faire vomir de tems en tems dans le bain.

Cet usage du vomissement artificiel est presqu’entierement oublié parmi les médecins modernes ; & il paroît qu’en effet, & l’usage en lui-même, & le moyen par lequel on le remplissoit, se ressentent beaucoup des commencemens grossiers & imparfaits de l’art naissant.

Quant à l’usage curatif du vomissement, les anciens ne l’employerent presque que dans certaines maladies chroniques ; & ils en usoient au contraire très sobrement dans les maladies aiguës. Hippocrate ne le conseille par préférence à la purgation par en bas, & la purgation étant indiquée en général, que dans le cas de douleur de côté, qui a son siege au-dessus du diaphragme. Voyez aphorisme 18. sect. 4. & il n’est fait mention qu’une fois dans ses livres des épidémies (liv. V.) de l’emploi de ce secours contre un cholera morbus, dans lequel il dit avoir donné de l’ellébore avec succès.

Les principales maladies chroniques dans lesquelles il l’employoit, étoient la mélancolie ; la manie ; les fluxions qu’il croyoit venir du cerveau, & tomber sur les organes extérieurs de la tête ; les douleurs opiniâtres de cette partie ; les foiblesses des membres, & principalement des genoux ; l’enflure universelle, ou leucophlegmatie, & quelques autres maladies chroniques très-invétérées. Hippocrate qui employoit quelquefois le vomissement dans tous ces cas, osoit faire vomir aussi les phthisiques, & même avec de l’ellébore blanc, qui étoit le vomitif ordinaire de ce tems-là, & qui est un remede si féroce. Voyez Ellébore.

En général, les anciens ont mal manié les émétiques ; & cela est arrivé vraissemblablement parce qu’ils n’en avoient que de mauvais, soit qu’ils fussent impuissans, comme la décoction d’hyssope d’Hippocrate ; soit qu’ils fussent d’un emploi très-incommode dans les maladies, comme les raves des méthodiques ; soit enfin qu’ils fussent trop violens, comme l’ellébore blanc de tous les anciens.

Les médecins modernes au contraire, sont très habiles dans l’administration des vomitifs, qui sont devenus entre leurs mains le remede le plus général, le plus efficace, & en même tems le plus sûr de tous ceux que la médecine emploie ; & il est vraissemblable que leur pratique prevaut en ce point sur la pratique ancienne, par l’avantage qu’a la pharmacie moderne d’avoir été enrichie de plusieurs émétiques très-efficaces, mais en même tems sûrs & innocens. Quoi qu’il en soit, le très-fréquent usage que les médecins modernes font des émétiques, peut être considéré, & même doit l’être (pour être apprécié avec quelque ordre), par rapport aux incommodités ou indispositions légeres, par rapport aux maladies aiguës, & par rapport aux maladies chroniques.

Au premier égard, il est sûr que toutes les indispositions dépendantes d’un vice des digestions, & principalement d’un vice récent de cette fonction, que toutes ces indispositions, dis-je, sont très-efficacement, très-directement, & même très-doucement combattues par le vomissement artificiel ; & notamment que la purgation ordinaire, c’est-à-dire la purgation par en-bas, qu’on n’emploie que trop souvent au lieu du vomissement, est inférieure à ce dernier secours à plusieurs titres.

Premierement une médecine glisse souvent sur les glaires & les autres impuretés qui sont les principales causes matérielles de ces sortes d’indispositions, & par conséquent ne les enlevent point ; au lieu que les émétiques les enlevent infailliblement, & leur action propre est même ordinairement suivie d’une évacuation par les selles qui acheve l’évacuation de toutes les premieres voies.

2°. Les potions purgatives sont souvent rejettées ou vomies par un estomac impur, & cela sans qu’elles entraînent qu’une très-petite portion des matieres viciées contenues dans ce viscere, & dès-lors c’est un remede donné à pure perte.

3°. L’action d’un émétique usuel, est plus douce que l’action d’une médecine ordinaire, au moins elle est beaucoup plus courte, & elle a des suites moins fâcheuses. On éprouve pendant le vomissement, il est vrai, des angoisses qui vont quelquefois jusqu’à l’évanouissement, & quelques secousses violentes ; mais ces secousses & ces angoisses ne sont point dangereuses, & elles ne sont que momentanées ; & enfin après l’opération d’un émétique, qui est communément terminée en moins de deux heures, le sujet qui vient de l’essuyer n’est point affoibli, n’est point fatigué, ne souffre point une soif importune, ne reste point exposé à une constipation incommode ; au lieu que celui qui a pris une médecine ordinaire, est tourmenté toute la journée, éprouve des foiblesses lors même qu’il n’éprouve point de tranchées, souffre après l’opération du remede une soif toujours incommode, est foible encore le lendemain, est souvent constipé pendant plusieurs jours.

4°. Enfin une médecine ordinaire est communément un breuvage détestable, & un émétique, même doux, peut être donné dans une liqueur insipide ou agréable, dont elle n’altere point le goût.

Quant à la méthode plus particuliere encore aux modernes de prescrire des émétiques au commencement de presque toutes les maladies aiguës, l’expérience lui est encore très-favorable.

Ce remede, qu’on donne ordinairement après le premier, ou tout au plus après le second redoublement, & qu’on a coutume de faire précéder par quelques saignées, a l’avantage singulier d’exciter la nature sans troubler ses déterminations, sans s’opposer à sa marche critique ; en ébranlant au contraire également tous les organes excrétoires, au lieu de faire violence à la nature en la sollicitant d’opérer par un certain couloir l’évacuation critique que dès le commencement de la maladie elle avoit destinée à un autre ; ce qui est l’inconvénient le plus grave de l’administration prématurée des évacuans réels & proprement dits.

L’emploi de ce remede dans le cours d’une maladie aiguë, ou dans d’autres tems que dans le commencement, demande plus d’attention & plus d’habileté de la part du médecin, parce que cet emploi est moins général, & que l’indication de réveiller par une secousse utile les forces de la nature qui paroît prête à succomber dans sa marche, & cela sans risquer de les épuiser, parce que cette indication, dis-je, ne peut être saisie que par le praticien le plus consommé ; il est même clair à présent que c’est faute d’avoir su choisir ce tems de la maladie, & juger sainement de l’état des forces du malade, que les émétiques réussissoient quelquefois si mal lorsqu’on ne les donnoit que dans les cas presque désespérés, & à titre de ces secours douteux qu’il vaut mieux tenter dans ces cas, selon la maxime de Celse, que de n’en tenter aucun, comme il le fait encore dans les angines suppurées, par exemple. Au reste, ces cas où l’on peut donner l’émétique avec succès dans les cours des maladies aiguës, peuvent être naturellement ramenés au cas vulgaire de leurs emplois dans le commencement des maladies ; car c’est précisément lorsqu’une nouvelle maladie survient, ou commence dans le cours d’une autre maladie, que l’émétique convient éminemment. Or ce cas d’une maladie aiguë entée sur une autre fort peu observé par la foule des médecins, est un objet très-intéressant, & soigneusement observé par les grands maîtres ; & cet état se détermine principalement par la nouvelle doctrine du pouls. Voyez Pouls (Médecine.)

On voit clairement par cette maniere dont nous envisageons l’utilité des émétiques dans les maladies aiguës, que nous ne l’estimons point du tout par l’évacuation qu’il procure ; il paroît en effet que c’est un bien très-subordonné, très-secondaire, presqu’accidentel, que celui qui peut résulter de cette évacuation ; aussi quoique les malades, les assistans & quelques médecins n’apprécient le bon effet des émétiques que par les matieres qu’ils chassent de l’estomac, on peut assurer assez généralement que c’est à peine comme évacuant que ce remede est utile dans le traitement des maladies aiguës.

En effet, on observe que l’efficacité de ce remede est à-peu-près la même dans ce cas, soit que l’action de vomir soit suivie d’une évacuation considérable, soit qu’elle ne produise que la sortie de l’eau qu’on a donnée au malade, devenue mousseuse & un peu colorée ; ce qui est précisément l’événement le plus fréquent, & celui sur lequel les artistes les plus expérimentés doivent toujours compter. Il faut observer encore à ce sujet, que quand même on pourroit procurer quelquefois par l’émétique une évacuation utile, ce ne pourroit jamais être qu’à la fin ou dans le tems critique de la maladie, & dans le cas très rare où la nature prépareroit une crise par les couloirs de l’estomac, & jamais dans le commencement des maladies aiguës ; tems auquel nous avons dit que les médecins modernes l’employoient assez généralement & avec succès. Enfin, on doit remarquer que l’effet des émétiques donnés dans le commencement des maladies aiguës, est, par les considérations que nous venons de proposer, bien différent de l’effet de ce remede dans les indispositions dont nous avons parlé plus haut.

Quant à l’emploi des émétiques contre les maladies chroniques, il est très-rare ou presque nul dans la pratique moderne ; il a seulement lieu à titre de préservatif pour ceux qui sont sujets à quelques maladies à paroxisme, & principalement aux maladies convulsives & nerveuses, comme épilepsie, apoplexie, paralysie, &c. car quant à l’usage des émetiques dans le paroxisme même de plusieurs maladies chroniques, comme dans ceux de l’apoplexie & de l’asthme ; comme il est certain que ces paroxismes doivent être regardés en soi-même comme des affections aiguës, il s’en suit que cet usage doit être ramené à celui de ce remede dans les maladies aiguës. Et quant aux toux stomacales & aux coqueluches des enfans qui en sont des especes, les émétiques agissent dans ces cas & comme dans les maladies aigues, & comme dans les incommodités ; ils ébranlent utilement toute la machine, ils réveillent l’excrétion pectorale cutanée, & ils chassent de l’estomac des sucs viciés & ordinairement acides, qui sont vraissemblablement une des causes matérielles de ces maladies.

Le vomissement artificiel, excité dans la vue de procurer la sortie du fœtus mort ou de l’arriere-faix, qui est recommandé dans bien des livres, & par conséquent pratiqué par quelques médecins, est une ressource très-suspecte.

Il est peu de contrindications réelles des émétiques ; outre le cas d’inflammations réelles de l’estomac, des intestins & du foie, elles se bornent presque à ne pas exposer à leurs actions les sujets qui ont des hernies ou des obstructions au foie, & les femmes enceintes ; encore y a-t-il sur ces derniers cas une considération qui semble restraindre considérablement l’opinion trop légerement conçue du danger inévitable auquel on exposeroit les femmes enceintes en général, en les faisant vomir dans les cas les plus indiqués. Cette considération qu’Angetus Sala propose au commencement de son émétologie, est que rien n’est si commun que de voir des femmes vomir avec de grands efforts & très-souvent, pendant plusieurs mois de leur grossesse, & que rien n’est si rare que de les voir faire de fausses couches par l’effet de cet accident. Il n’est pas clair non plus que les émétiques soient contrindiqués par la délicatesse de la poitrine, & par la pente aux hémorrhagies de cette partie, ou aux hémorrhagies utérines. Hippocrate, comme nous l’avons rapporté plus haut, émétisoit fortement les phthisiques ; & quoique ce ne soit pas une pratique qu’on doive conseiller sans restriction, l’inutilité presque générale des remedes benins contre la phthitie peut être regardée comme un droit au moins à ne pas exclure certains remedes héroïques, quand même on ne pourroit dire en leur faveur, sinon qu’ils ne peuvent faire pis que les remedes ordinaires, à plus forte raison, lorsqu’on peut alléguer en leur faveur l’autorité d’Hippocrate.

Les contrindications tirées de l’âge, des sujets, des climats & des saisons, sont positivement démenties par l’expérience ; les émétiques peuvent être donnés utilement à tous les âges, depuis la vieillesse la plus décrépite, dans toutes les saisons, quoiqu’Hippocrate ait excepté l’hiver, quoiqu’Hippocrate ait exclus cette saison ; & dans tous les climats, quoique Baglivi ait écrit qu’on ne pouvoit pas les donner à Rome, in aere romano, qui étoit très chaud, encore qu’il les crût très-utiles dans les pays plus tempérés ; & que des médecins de Paris eussent écrit auparavant que des émétiques pouvoient être très-convenables en Grece, où le climat étoit chaud, mais que pour des climats plus froids tel que celui de Paris, on devoit bien se donner de garde de risquer de tels remedes.

Au reste, ce préjugé contre le vomissement s’accrut considérablement dans plusieurs pays, & notamment à Paris, lorsqu’il se confondit avec un autre préjugé plus frivole encore, qui fit regarder vers le milieu du dernier siecle un remede dont les principales préparations étoient émétiques, comme un vrai poison. Je veux parler de cette singuliere époque de l’histoire de la faculté de médecine de Paris, rappellée dans la partie historique de l’article Chymie (Voy. cet article) où une guerre cruelle excitée dans son sein au sujet de l’antimoine, présenta l’événement singulier de la proscription de ce remede par un decret de la faculté, confirmé par arrêt du parlement, d’un docteur dégradé pour avoir persisté à employer ce remede ; & enfin l’antimoine triomphant bientôt après, & placé avec honneur dans l’antidotaire de la faculté. L’ouvrage plein de fanatisme & d’ignorance, qui a pour titre martyrologe de l’antimoine, & qui ne put manquer d’être accueilli avec fureur par les ennemis de l’antimoine dans ce tems orageux, est aujourd’hui presqu’absolument ignoré, & les médecins modernes qui font un usage si étendu des émétiques, n’emploient presque que des émétiques antimoniaux. Voyez Antimoine. Il est très-essentiel d’observer à ce sujet que ceux qui craignent encore aujourd’hui ces émétiques antimoniaux, se trompent évidemment sur l’objet de leur crainte ; ils s’occupent de l’instrument employé à procurer le vomissement, du tartre émétique, par exemple, qui est toujours innocent, tandis que c’est le vomissement lui-même, c’est-à-dire, la secousse, les efforts, la convulsion de l’estomac & son influence sur toute la machine, qui est le véritable objet de l’attention du médecin. Car quoique la plûpart des sujets veuillent être délicats, que le plus grand nombre de ceux à qui on propose des remedes un peu actifs se trouvent même offensés de ce que le médecin les croit capables d’en supporter l’action ; il n’en est cependant aucun qui ne se crût en état de vomir sans danger, si on ne lui annonçoit d’autre vomitif que de l’eau chaude. Or s’il vomissoit cinq ou six fois avec de l’eau chaude, & par le secours d’une plume ou du doigt qu’il introduiroit dans sa gorge, il essuieroit une opération médicamenteuse toute aussi violente, peut-être plus incommode à la machine, que s’il avoit vomi le même nombre de fois au moyen de trois grains de bon émétique. Au reste, ce préjugé populaire (où trop de médecins sont encore peuples à cet égard) contre les émétiques antimoniaux, commence heureusement à se dissiper, & on commence à l’employer même à Montpellier, où l’emploi presque exclusif des purgatifs regne souverainement.

Nous avons déja insinué que les émétiques des anciens qu’ils tiroient principalement du regne végétal, n’étoit plus en usage chez les modernes. Ils n’ont presque retenu que le cabaret ou oreille d’homme, & ils ne lui ont associé qu’une autre production du regne végétal ; savoir, l’ypecacuanha qui est une découverte moderne, voyez Cabaret & Ypecacuanha. Le tabac qui est une autre découverte moderne & qui est un émétique très-féroce, n’est employé que dans des cas rares. Voyez Tabac.

Le regne animal ne fournit aucun vomitif usuel, ce sont des sujets du regne minéral traités par la Chimie, qui ont fourni aux médecins modernes le plus grand nombre d’émétiques ; & ces principaux sujets sont les vitriols, le mercure & l’antimoine ; & principalement ce dernier qui est aujourd’hui le seul dont les préparations soient employées à ce titre.

Parmi un grand nombre de préparations antimoniales que les Chimistes ont décrites ou vantées sans en révéler la composition, telles que, un aqua benedicta Rullandi, un oxisac charum emeticum Angeli Salæ, un oxisac charum emeticum Ludovici ; des sirops émétiques préparés avec les sucs de tous les différens fruits acides, avec le vinaigre & avec la crême de tartre, un sapa vomitoria Sylvii ; le mercure de vie, la rose minérale d’Angelus Sala, &c. au lieu de tout cela, dis-je, les Médecins instruits n’emploient plus que le tartre émétique, & par préférence celui qui est préparé avec le verre d’antimoine.

Le mochlique des freres de la charité de Paris, voyez cet article, n’est employé qu’à un usage particulier, aussi-bien que le verre d’antimoine ciré ; savoir, la colique de Poitou pour le premier, & la dysenterie pour le dernier. Voyez Colique & Dysenterie.

C’est une pratique connue de tout le monde, que celle de faire prendre de l’eau tiéde à ceux à qui on a donné des émétiques ; mais c’est une regle moins connue de cette administration, que celle qui prescrit de n’en faire prendre que lorsque l’envie de vomir est pressante.

Il est encore à-propos de faire d’observer, que l’action des émétiques jette ordinairement dans des angoisses qui vont quelquefois jusqu’à la défaillance ; mais que cet état est toujours fort passager & n’a point de suite dangereuse. (b)