L’Encyclopédie/1re édition/PURGATION

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PURGATION, (Jurisprud.) on entend par ce terme, les différentes formes dont on usoit anciennement pour se justifier de quelque fait dont on étoit prévenu.

Il y avoit deux sortes de purgation, celle qu’on appelloit purgation vulgaire & la purgation canonique.

La purgation vulgaire consistoit en des épreuves superstitieuses, par l’eau froide, par l’eau bouillante, par le feu, par le fer ardent, par le combat en champ clos, par la croix, l’eucharistie, & par le pain d’orge & le fromage de brebis ; l’ignorance & la crédulité des peuples fit introduire ces preuves, & les juges peu éclairés eux-mêmes les adopterent ; elles acquirent tant d’autorité, qu’on les appella jugemens de Dieu. Voyez ci-devant Combat en champ clos, Duel & Epreuve.

La purgation canonique fut ainsi appellée, parce qu’elle étoit autorisée par les canons. Voyez l’article suivant.

Purgation canonique, (Hist. mod.) cérémonie très-usitée depuis le huitieme jusqu’au douzieme siecle, pour se justifier, par serment, de quelqu’accusation en présence d’un nombre de personnes dignes de foi, qui affirmoient de leur côté, qu’ils croyoient le serment véritable.

On l’appelloit purgation canonique, parce qu’elle se faisoit suivant le droit canonique, & pour la distinguer de la purgation qui se faisoit par le combat, ou par les épreuves de l’eau & du feu. Voyez Combat & Epreuve.

« Le serment, dit M. Duclos, dans une dissertation sur ce sujet, se faisoit de plusieurs manieres. L’accusé, qu’on appelloit jurator ou sacramentalis, prenant une poignée d’épis, les jettoit en l’air, en attestant le ciel de son innocence. Quelquefois, une lance à la main, il déclaroit qu’il étoit prêt à soutenir, par le fer, ce qu’il affirmoit par serment ; mais l’usage le plus ordinaire, & celui qui seul subsista dans la suite, étoit celui de jurer sur un tombeau, sur des reliques, sur l’autel ou sur les évangiles.

« Quand il s’agissoit d’une accusation grave, formée par plusieurs témoins, mais dont le nombre étoit moindre que celui que la loi exigeoit, ils ne pouvoient former qu’une présomption plus ou moins grande, suivant le nombre des accusateurs. Ce cas étoit d’autant plus fréquent, que la loi, pour convaincre un accusé, exigeoit beaucoup de témoins. Il en falloit 72 contre un évêque, 40 contre un prêtre, plus ou moins contre un laïque, suivant la qualité de l’accusé, ou la gravité de l’accusation. Lorsque ce nombre n’étoit pas complet, l’accusé ne pouvoit être condamné, mais il étoit obligé de présenter plusieurs personnes, où le juge les nommoit d’office, & en fixoit le nombre suivant celui des accusateurs, mais ordinairement à 12. Cum duodecim juret, dit une loi des anciens Bourguignons, chap. viij. ces témoins attestoient l’innocence de l’accusé, ou, ce qu’il est plus raisonnable de penser, certifioient qu’ils le croyoient incapable du crime dont on l’accusoit, & par-là formoient en sa faveur une présomption d’innocence, capable de détruire ou de balancer l’accusation intentée contre lui. On trouve dans l’histoire un exemple bien singulier d’un pareil serment.

« Gontran, roi de Bourgogne, faisant difficulté de reconnoître Clotaire II. pour fils de Chilperic, son frere, Frédégonde, mere de Clotaire, non-seulement jura que son fils étoit légitime, mais fit jurer la même chose par trois évêques, & trois cens autres témoins : Gontran n’hésita plus à reconnoître Clotaire pour son neveu.

« Quelques loix exigeoient que dans une accusation d’adultere, l’accusée fît jurer avec elle des témoins de son sexe. On trouve aussi plusieurs occasions où l’accusateur pouvoit présenter une partie des témoins qui devoient jurer avec l’accusé ; de façon cependant que celui-ci pût en recuser deux de trois. Il paroît d’abord contradictoire, qu’un accusé puisse fournir à son accusateur les témoins de son innocence. Pour résoudre cette difficulté, il suffit d’observer que les témoins qui s’unissoient au serment de l’accusé, juroient simplement qu’ils le croyoient innocent, & fortifioient leur affirmation de motifs plus ou moins forts, suivant la confiance qu’ils avoient en sa probité. Ainsi l’accusateur exigeoit que tels & tels qui étoient à portée de connoître les mœurs & le caractere de l’accusé fussent interrogés ; ou bien l’accusé étant sûr de son innocence & de sa réputation, & dans des cas où son accusateur n’avoit point de témoins, il le défioit d’en trouver, en se réservant toujours le droit de récusation.

« Il est certain que la religion du serment étoit alors en grande vénération : on avoit peine à supposer qu’on osât être parjure ; mais en louant ce sentiment, on ne sauroit assez admirer, par quelles ridicules & basses pratiques on croyoit pouvoir en éluder l’effet.

Le roi Robert voulant exiger un serment de ses sujets, & craignant aussi de les exposer au châtiment du parjure, les fit jurer sur une châsse sans reliques ; comme si le témoignage de la conscience n’étoit pas le véritable serment dont le reste n’est que l’appareil.

Quelquefois, malgré le serment, l’accusateur persistoit dans son accusation : alors l’accusateur, pour preuve de la vérité, & l’accusé, pour preuve de son innocence, ou tous deux ensemble, demandoient le combat. Voyez Combat.

« Lorsque dans les affaires douteuses, ajoute le même auteur, on déféroit le serment à l’accusé, il n’y avoit rien que de raisonnable & d’humain. Dans le risque de condamner un innocent, il étoit juste d’avoir recours à son affirmation, & de laisser à Dieu la vengeance du parjure. Cet usage subsiste encore parmi nous. Il est vrai que nous l’avons borné à des cas de peu d’importance, parce que notre propre dépravation nous ayant éclairé sur celle des autres, nous a fait connoître que la probité des hommes tient rarement contre de grands intérêts ». Mém. de l’Acad. tom. xv.

On n’appelle plus cette sorte de preuve en justice, purgation canonique, mais simplement preuve par le serment, ou affirmation ; & toute personne en est crue sur son affirmation, s’il n’y a point de titres ou de preuve testimoniale au contraire.