L’Encyclopédie/1re édition/ELLÉBORE

ELLÉBORE, (Botaniq.) veratrum, plante médicinale, émétique & cathartique, dont les Botanistes ont établi deux genres sous le nom d’ellébore blanc, & d’ellébore noir. Nous allons parler de ces deux genres & de leurs especes. Commençons par l’ellébore blanc, dont voici les caracteres.

L’ellébore blanc est d’un genre de plante à fleur en rose, composée de plusieurs pétales disposés en rond, du milieu desquels il sort un pistil qui devient dans la suite un fruit, dans lequel il y a ordinairement trois gaînes membraneuses rassemblées en bouquet, dans lesquelles il y a des semences oblongues qui ressemblent à des graines de froment, & qui sont bordées & pour ainsi dire entourées par une petite feuille. Tournef. inst. rei herb. Voyez Plante.

On distingue en Botanique les deux especes suivantes d’ellébore blanc.

1°. Veratrum flore subviridi, J. R. H. Helleborus albus flore subviridi, C. B. P. &c.

2°. Veratrum flore atro rubente, J. R. H. Helleborus albus flore atro rubente, C. B. P. &c.

La premiere espece pousse une tige haute de plus d’une coudée, cylindrique, droite, ferme, de laquelle naissent des feuilles placées alternativement de la figure de celles du plantain ou de la gentiane, de la longueur de deux palmes, presque aussi larges, toutes striées & comme plissées, un peu velues, d’un verd clair, un peu roides & entourant la tige par leur base, qui est en maniere de tuyau. Depuis environ le milieu de la tige jusqu’à son extrémité, sortent des grappes de belles fleurs, composées de six pétales disposées en rose, d’un verd blanchâtre : au milieu sont six étamines environnant le pistil, qui se change ensuite en un fruit, dans lequel sont ramassées en maniere de tête trois graines applaties, membraneuses, de la longueur d’un demi-pouce, contenant des semences oblongues, blanchâtres, semblables à des grains de blé, bordées d’une aîle ou feuillet membraneux.

La racine qui est d’usage en matiere médicale. est oblongue, tubéreuse, quelquefois plus grosse que le pouce, brune en-dehors, blanche en-dedans, accompagnée d’un grand nombre de fibres blanches, d’un goût âcre, un peu amer, un peu astringent, desagréable, & qui cause des nausées.

La seconde espece differe de la premiere en ce que ses fleurs sont d’un rouge noir ; ses feuilles plus longues, plus minces, & plus penchées ; sa tige plus élevée, & garnie d’un petit nombre de feuilles : elle paroît aussi plûtôt au printems, & fleurit un mois avant l’autre. On la trouve dans toutes les montagnes de la France, & sur-tout dans les Alpes & dans les Pyrénées.

La premiere espece est beaucoup plus forte & plus âcre que l’autre ; car quand on les place dans le même voisinage, les limaçons dévorent entierement les feuilles de la seconde, tandis qu’ils touchent à peine à celles de la premiere.

Toutes les deux font un bel ornement, quand on les plante au milieu des bordures ouvertes d’un jardin. Si on les met près de haies ou de murailles, où les limaçons se tiennent ordinairement, ils en déparent singulierement les feuilles, sur-tout celles de la seconde espece, en les criblant de trous ; & comme la plus grande beauté de ces plantes consiste dans leurs feuilles déployées, dès qu’elles sont mangées & percées, le plaisir qu’elles donnent à l’œil est entierement perdu.

On peut multiplier les deux ellébores blancs dont on vient de parler, ou en semant les graines, ou en plantant leurs racines dans un terrein riche, nouveau, & leger. La premiere méthode n’est guere d’usage, parce que ces plantes fleurissent rarement en moins de quatre ans ; mais la seconde méthode réussit à merveille, & fournit promptement de très belles grappes de fleurs.

Parlons à présent de l’ellébore noir, & caractérisons-le distinctement.

L’ellébore noir est pareillement un genre de plante à fleur en rose, composée de plusieurs pétales disposés en rond, du milieu desquels il sort un pistil dont la base est environnée de plusieurs petits cornets, posés entre les étamines & les pétales. Il devient dans la suite un fruit, dans lequel il y a des gaînes membraneuses qui sont rassemblées pour l’ordinaire en bouquets qui s’ouvrent d’un bout à l’autre, & qui renferment des semences ordinairement arrondies, ou ovoïdes. Tournefort, inst. rei herbar. Voyez Plante. (I)

Les Botanistes distinguent six especes principales d’ellébore noir ; savoir.

1°. Helleborus niger, angustioribus foliis, J. R. H. Helleborus niger fœtidus flore roseo, C. B. P.

De sa racine naissent des feuilles, dont la queue qui a un empan de longueur, est cylindrique, épaisse, succulente, pointillée de taches de pourpre comme la tige de la grande serpentaire. Ses feuilles sont divisées jusqu’à leur queue, le plus souvent en neuf portions, en maniere de digitations, formant comme autant de petites feuilles roides, lisses, d’un verd foncé, & dentelées, surtout depuis le milieu jusqu’à l’extrémité.

On peut fort bien comparer chaque partie des feuilles de l’ellébore noir prises séparément, aux feuilles de laurier ; elle n’a point de tige, les fleurs sont uniques, ou il y en a deux soûtenues sur un pédicule de la longueur de quatre, cinq, ou six pouces : ces fleurs sont composées le plus souvent de cinq feuilles disposées en rose, arrondies, d’abord blanchâtres, ensuite purpurines, enfin verdâtres, sans aucun calice. Leur centre est rempli d’un grand nombre d’étamines, entre lesquels & ces feuilles se trouve une couronne de cinq, dix, ou quinze petits cornets jaunâtres, longs d’une ligne & demie, dont la bouche est coupée obliquement.

Au milieu des étamines est un pistil composé de cinq ou six gaînes, qui deviennent autant de gousses membraneuses, de figure de corne, ramassées en maniere de tête, renflées, roussâtres, dont le dos est saillant & comme bordé d’un feuillet, & terminé par une pointe recourbée : elles sont garnies de fibres demi circulaires & transversales, qui en se contractant, s’ouvrent en deux panneaux du côté de la face interne ; par chaque gousse est véritablement un muscle digastrique, concave, dont le tendon fixe est placé extérieurement sur le dos de la gousse ; & celui qui est mobile est en-dedans, & à l’ouverture des panneaux. Les graines sont ovoïdes, longues de deux lignes, luisantes, noirâtres, & rangées sur deux lignes dans la cavité de la silique.

La racine est tubéreuse, noüeuse, du sommet de laquelle sortent un grand nombre de fibres, serrées, noires en-dehors, blanches en-dedans, d’un goût âcre mêlé de quelque amertume & excitant des nausées, d’une odeur forte lorsqu’elle est récente.

Cette plante naît dans les Alpes & dans les Pyrénées ; on la cultive communément dans les jardins, à cause de la beauté de ses fleurs.

2°. Helleborus niger orientalis amplissimo folio, caule præalto, flore purpurascente, Cor. J. R. H. Helleborus niger orientalis. Bellon.

Ses racines sont semblables à celles de l’ellébore noir que nous venons de décrire, excepté qu’elles sont plus grosses, plus longues, sans odeur ni âcreté, & fort ameres. Les feuilles ont la même forme : mais elles sont plus amples, & presque de la longueur d’un pié. La tige a plus d’un pié : elle est branchue ; les fleurs en sont entierement semblables à celles de la premiere espece, aussi bien que les graines & les capsules.

C’est là l’ellébore que M. Tournefort croit être le vrai ellébore noir d’Hippocrate & des anciens, parce qu’il est très-commun dans les îles d’Anticyre qui sont vis-à-vis le mont Œta, dans le golfe de Zéiton près de Négrepont ; mais encore plus sur les bords du Pont-Euxin, & sur-tout au pié du mont Olympe en Asie, proche la fameuse ville de Pruse. Les Turcs l’appellent Zoplème.

3°. Helleborus niger, hortensis, flore viridi, C. B. P.

Ses feuilles ressemblent à celles de celui de la premiere espece ; mais elles sont plus étroites, d’un verd plus foncé, & dentelées tout autour. Sa tige a environ un pié de hauteur, dont le sommet se partage en plusieurs petits rameaux, desquels pendent des fleurs plus petites, de couleur pâle. Les racines sont fibreuses, un peu plus grêles, & moins noires.

4°. Helleborus niger, flore albo, etiam interdum valde rubente.

5°. Helleborus niger, trifolicatus, Hort. Farn.

6°. Helleborus niger, flore roseo, minor Belgicus, H. R. Blæs.

Ces trois dernieres ne demandent point de description particuliere.

On cultive toutes les especes d’ellébore noir dans les jardins, où elles réussissent parfaitement à l’abri du Soleil ; & comme elles produisent leurs fleurs au milieu de l’hyver & avant la plûpart des autres plantes, on peut leur donner place dans les avenues, & dans les bordures qui sont à l’ombre. C’est-là qu’elles prosperent davantage.

On les multiplie, ou en en semant les graines, ou en plantant de leurs racines dans un terrein leger, humide, & sans fumier. Si on choisit de les multiplier par le secours des graines, la plante fleurira déjà au bout de la premiere année : mais il faut la préserver des mauvaises herbes, qui détruisent aisément ses racines. Voyez Miller sur leur culture. Article de M. le Chevalier de Jaucourt.

Ellébore, (Pharm. & Mat. méd.) L’ellébore étoit fort usité chez les anciens qui en distinguoient de deux especes, le blanc & le noir. Hippocrate s’est servi de l’un & de l’autre ; & Galien remarque que toutes les fois que ce pere de la Medecine se sert du mot ellébore sans y ajoûter d’épithete, il entend l’ellébore blanc : au lieu qu’il ne parle jamais du noir sans le spécifier. C’est la racine de ces plantes qui étoient seules en usage.

Le blanc étoit employé pour faire vomir & purger fortement, mais toûjours avec beaucoup de circonspection. Pline nous apprend qu’on ne le donnoit point aux vieillards, ni aux enfans, ni à ceux qui avoient le tempérament foible, non plus qu’à ceux qui étoient maigres & délicats, plus rarement aux femmes qu’aux hommes ; enfin qu’on ne le faisoit jamais prendre à ceux qui crachoient le sang, ni aux valétudinaires.

On préparoit diversement l’ellébore, pour tâcher de tempérer sa trop grande activité. Hippocrate veut qu’on le corrige avec le daucus, le séseli, le cumin, l’anis, ou quelqu’autres plantes odoriférantes. Voy. Correctif. On le faisoit infuser dans la même vûe dans du moût, ou dans de l’hydromel.

Les maladies principales dans lesquelles les anciens faisoient prendre l’ellébore, étoient l’épilepsie, le vertige, la mélancholie, la lepre, la goutte, l’hydropisie : mais c’étoit sur-tout pour purger les fous qu’il étoit recommandé ; on disoit même en proverbe, navigare Anticyras, aller à Anticyre, pour dire aller chercher un remede contre la folie, parce que c’étoit de cette île que venoit le meilleur ellébore.

L’action de l’ellébore pris intérieurement, est des plus violentes ; il excite souvent les symptomes les plus fâcheux. Mesué dit que de son tems les hommes ne pouvoient supporter le blanc, & très-difficilement le noir qui étoit plus foible, & qu’on ne regardoit que comme purgatif, le blanc étant reconnu pour un émétique violent. Aussi depuis que la Chimie nous a fourni des vomitifs sûrs & moins dangereux, en avons-nous absolument abandonné l’usage ; & nous n’avons aujourd’hui qu’une seule composition officinale où il entre ; savoir les pilules de Mathæus ou de Starkei, qui sont décrites dans la pharmacopée de Paris : encore ne le donne-t-on dans cette composition qu’en assez petite dose, eu égard à la petite quantité que l’on fait prendre de ces pilules, où l’ellébore peut même être regardé comme puissamment corrigé par le savon, qui fait un des ingrédiens & l’excipient de cette préparation. V. Pilules de Starkei.

Nous employons aussi quelquefois l’ellébore blanc comme sternutatoire, & souvent on s’en est servi avec succès pour guérir la gale des animaux, comme chevaux, bœufs, &c. mêlé avec quelque graisse ou huile.

L’usage de l’ellébore noir est un peu plus fréquent parmi nous. On tire de sa racine, par le moyen de l’eau, un extrait qui entre dans les pilules balsamiques de Stahl. On trouve dans la pharmacopée de Paris un sirop d’ellébore, composé sous le nom de sirop de pomme elléborisé.

L’ellébore noir entre dans l’extrait panchimagogue de Crollius, dans les pilules de Starkei, dans les pilules tartareuses de Quercetan, dans la teinture de Mars elléborisée de Wedelius, &c. mais on ne prescrit presque plus ni l’une ni l’autre de ces racines dans les préparations magistrales.

Au reste elles sont l’une & l’autre du genre des remedes dont l’activité est dûe à une partie volatile : aussi leur extrait préparé à la façon ordinaire ne participe-t-il que foiblement de cette vertu, ensorte qu’on peut ajoûter foi à ce que rapporte Oribasius dans son huitieme livre des collections médicinales ; savoir, que l’usage d’une forte décoction d’ellébore n’étoit jamais suivie des accidens funestes qui accompagnent l’action des purgatifs excessivement violens : quoique le même auteur observe dans le même livre, que ces accidens n’étoient qu’un effet trop commun de l’ellébore donné à la façon ordinaire, c’est-à-dire apparemment en substance, les précautions qu’on avoit coûtume de prendre d’avance contre ces dangers, sont présentées dans cet endroit sous un appareil si effrayant, qu’on ne conçoit guere comment il s’est pû trouver des malades assez hardis pour s’exposer à l’action de ce remede, ou, pour mieux dire, de ce poison.

La vertu purgative de l’ellébore est attestée dans les plus anciens fastes de la Medecine ; on trouve parmi les faits placés dans ces tems reculés que notre chronologie n’atteint point, dans les siecles des héros, que Melampe berger, poëte, devin, & fils de roi, guérit les filles de Pratus devenues folles par la colere de Bacchus, ou par celle de Junon, en leur faisant prendre du lait de ses chevres, auxquelles il avoit fait manger de l’ellébore peu auparavant ; & qu’il s’avisa de cette ressource, parce qu’il avoit observé que ces chevres étoient purgées après avoir brouté cette plante. M. Leclerc remarque, dans son histoire de la Medecine, que c’est-là le plus ancien exemple que nous ayons de la purgation, & qu’on pourroit croire que c’est ce qui fit donner à Melampe le surnom de Καθαρτὴς, celui qui purge ou purifie, qui semble marquer qu’il est le premier qui ait donné des purgatifs ; c’est de-là aussi que l’ellébore fut appellé melampodium. Voyez Dioscoride, liv. IV. c. clxxxj. Galien parle de cette cure de Melampe dans son livre de atrabile, c. vij ; & Pline, l. XXV. c. v.

Aulugelle nous a transmis une anecdote bien plus singuliere sur l’usage de l’ellébore. Il rapporte (c. xv. l. XVII.) que Carnéade l’académicien se disposant à écrire contre Zénon, se fit vomir vigoureusement avec de l’ellébore, de peur que les humeurs corrompues dans son estomac, ne laissassent échapper quelque chose qui parvînt jusqu’au siége de son ame, & en altérât les fonctions. (b)

Valere Maxime raconte cette histoire d’une maniere encore plus merveilleuse qu’Aulugelle. Il dit que Carnéade prenoit de l’ellébore toutes les fois qu’il devoit disputer avec Chrysippe, & il ajoûte que le succès de Carnéade fit rechercher ce purgatif par tous ceux qui aimoient les loüanges solides. Pline rapporte que Drusus, le plus renommé d’entre les tribuns du peuple, fut guéri de l’épilepsie dans l’île d’Anticyre, où l’on avoit coûtume d’aller pour le prendre avec plus de succès & de sûreté.

Encore est-il bon d’indiquer ici entre trois ou quatre Anticyres, ce que c’est aujourd’hui que l’Anticyre si fameuse, où tant de poëtes assignent aux fous un logement. Il faut donc distinguer Anticyre & Anticyrrhe. La premiere est une île du golfe de Zeiton, entre la Janna & la Livadie, d’où l’on tiroit le plus excellent ellébore. La seconde étoit une ville de la Livadie méridionale, sur le golfe de Lépante. On portoit à cette ville l’ellébore de l’île, & les Romains alloient l’y prendre. C’étoit là qu’on préparoit & qu’on corrigeoit ce remede de différentes manieres, nous connoissons même quelques-unes de ces corrections & de ces préparations. Actuarius rapporte celle-ci : on faisoit un peu macérer dans l’eau la partie fibreuse de la racine d’ellébore, en rejettant la tête ; ensuite on séchoit à l’ombre l’écorce que l’on avoit séparée de la petite moëlle qu’elle renferme : on donnoit cette préparation avec des raisins secs ou de l’oximel, mêlé quelquefois avec des graines odoriférantes, afin que ce remede fût plus agréable.

Pline dit aussi, qu’on mêloit à Anticyre l’ellébore avec une certaine graine qui croissoit aux environs de la ville ; que l’on mettoit dans du vin doux une pincée de la graine avec une obole & demie d’ellébore blanc, & que ce remede purgeoit toute sorte de bile.

Les anciens employoient l’ellébore, non-seulement pour la bile, c’est-à-dire la mélancholie noire & pour la folie, mais encore, comme on l’a remarqué ci-dessus, pour l’hystérisme, la goutte, l’apoplexie, l’épilepsie, la ladrerie, la leucoflegmatie, l’hydropisie, en un mot pour toutes les maladies graves de l’ame & du corps.

Ce remede fut en usage dès la naissance de la Medecine : quelquefois Hippocrate le faisoit prendre à jeun ; mais il l’ordonnoit plus ordinairement après le souper, parce que, suivant M. le Clerc, l’ellébore mêlé avec les alimens dans l’estomac, y perdoit une partie de sa force stimulante : dans plusieurs cas Hippocrate donnoit le μαλθακὸς ἑλλέϐορος ; ce qui, selon le même savant, étoit une sorte de préparation d’ellébore, qui affoiblissoit son activité violente.

Herophile, Actuarius, Arétée, Celse, étoient fort prévenus en faveur de ce remede ; Dioscoride, qui en parle fort au long ; nous instruit particulierement des cérémonies superstitieuses qu’observoient ceux qui le cueilloient en le tirant de terre.

On appliquoit extérieurement l’ellébore noir dans les maladies cutanées opiniâtres ; & Galien prétend que quand on en mettoit dans une fistule calleuse, il emportoit la callosité en deux ou trois jours.

Cependant malgré l’usage que les anciens faisoient de l’ellébore, les plus sages medecins n’avoient coûtume de l’employer qu’avec une très-grande précaution. Avant que de le donner aux adultes mêmes, qui étoient en état de le supporter, ils examinoient principalement deux choses ; l’une, si la maladie étoit invétérée ; l’autre, si les forces du malade se soûtenoient. Lorsque l’ellébore leur paroissoit convenir, ils ne l’administroient encore qu’après avoir préparé soigneusement le malade & le remede.

Ils préparoient le malade pendant sept jours, soit par la diette, soit par des remedes minoratifs ; Pline nous en instruit fort au long. De son tems, la préparation du remede, à Rome, consistoit à introduire les racines d’ellébore noir dans des morceaux de raifort, & de les faire cuire ensemble pour dissiper la trop grande force de l’ellébore. Alors les uns donnoient ces racines adoucies par l’ébullition, les autres faisoient manger les raiforts, & rejettoient les racines ; d’autres enfin faisoient boire au malade cette décoction qui purgeoit suffisamment.

Quoique les anciens ayent fait grand usage de leur ellébore, pour les maladies du corps & de l’ame, & que les plus sages l’ayent donné très-prudemment, ils l’ont décrit si obscurément, que nous ne reconnoissons plus celui qu’ils employoient. La description de Théophraste est en particulier trop tronquée & trop défectueuse, pour nous servir à découvrir l’ellébore dont il parle. Nous ne retrouvons point dans aucune de nos especes d’ellébore noir, celui de Dioscoride. Enfin l’oriental noir actuel d’Anticyre, ne quadre avec aucune des descriptions anciennes : c’étoit cependant le leur selon toute apparence, du moins a-t-il la même violence dans son action. Tournefort, qui en a fait l’épreuve, avoue que tous ceux à qui il en a donné l’extrait, étoient tourmentés de nausées, de pesanteur d’estomac avec acrimonie, jointe au soupçon de phlogose, qui menaçoit la gorge & les intestins : il ajoûte encore qu’ils avoient des douleurs de tête pendant plusieurs jours, avec des élancemens, & le tremblement de tous les membres, de sorte qu’il se vit obligé de s’abstenir de ce remede. La force de celui de notre pays, est bien moindre que dans l’Orient.

Mais quelle qu’elle soit, puisque nous possédons des purgatifs & des émétiques également efficaces, & beaucoup plus sûrs, tels que sont les préparations purgatives & vomitives de l’antimoine, il vaut mieux nous abstenir de l’usage de tout ellébore, outre que les corps des hommes qui vivent dans nos climats, ont de la peine à en supporter les effets. Qu’on ne dise point qu’on peut l’adoucir, le corriger avec des aromates, ou bien avec la creme de tartre, le sel de prunelle, les tamarins, l’oxymel, le suc de coing, & autres semblables ; il est bien plus simple de ne pas songer aux correctifs, dès qu’il est aisé de se passer de la plante même.

Concluons de ce principe, qu’il faut également proscrire toutes les préparations d’ellébore qui se trouvent dans les pharmacopées, sans dire ici que toutes les préparations galéniques & arabesques sont misérables en elles-mêmes.

Comme tout le monde sait que l’ellébore blanc est le plus fort, il est encore plus digne de la proscription que le noir. Cette plante a un suc caustique & brûlant, qui, respiré par les narines, excite un éternuement forcé, & c’est un des plus puissans sternutatoires dans les maladies soporeuses. Si l’on met de cette poudre à la source d’une fontaine, l’eau qui en découle purge violemment. Les feuilles, les tiges, les fleurs, & les racines de l’ellébore blanc appliquées sur la peau d’une personne vivante, excorient la partie, & y produisent une exulcération.

La seule saveur nauséabonde de l’ellébore, est un signe de sa vertu émétique ou purgative : celle de l’ellébore blanc, qui est fort âcre & fort amere, indique un purgatif très-actif ; aussi l’on place avec raison l’un & l’autre genre parmi les mochliques. Voy. Mochlique.

Vous trouverez dans les mém. de l’acad. des Scienc. année 1701, quelques expériences chimiques de M. Boulduc, sur la racine de l’ellébore noir. L’extrait de cette racine fait avec de l’eau, donne tout ce qu’on peut en tirer, & le résidu ne donne plus rien par l’esprit-de-vin.

Enfin, les curieux peuvent consulter, s’ils le jugent à propos, Holzemii (Petr.) essentia hellebori rediviva ; Coloniæ, 1616. 8. Manelphi (Joan.) disceptatio de helleboro ; Romæ, 1622. 8. Scobingeri (Joh. Casp.) dissert. de helleboro nigro ; Basil. 1721. in-4o. Castellus (Petrus) de elleboro apud Hippocratem & alios autores ; Romae, 1628. in-4°. Ce dernier ouvrage est rare, curieux, & savant. Article de M. le Chevalier de Jaucourt.