L’Encyclopédie/1re édition/TREMBLEMENS de Terre
TREMBLEMENS de Terre, (Hist. nat. Minér. & Physiq.) terræ motus ; ce sont des secousses violentes par lesquelles des parties considérables de notre globe sont ébranlées d’une façon plus ou moins sensible.
De tous les phénomenes de la nature il n’en est point dont les effets soient plus terribles & plus étendus que ceux des tremblemens de terre ; c’est de leur part que la face de notre globe éprouve les changemens les plus marqués & les révolutions les plus funestes ; c’est par eux qu’en une infinité d’endroits il ne présente aux yeux du physicien qu’un effrayant amas de ruines & de débris ; la mer soulevée du fond de son lit immense ; des villes renversées, des montagnes fendues, transportées, écroulées ; des provinces entieres englouties ; des contrées immenses arrachées du contient ; de vastes pays abîmés sous les eaux, d’autres découverts & mis à sec ; des îles sorties tout-à-coup du fond des mers ; des rivieres qui changent de cours, &c. tels sont les spectacles affreux que nous présentent les tremblemens de terre. Des évenemens si funestes auxquels la terre a été de tout tems exposée, & dont elle se ressent dans toutes ses parties, après avoir effrayé les hommes, ont aussi excité leur curiosité, & leur ont fait chercher quelles pouvoient en être les causes. On ne tarda point à reconnoître le feu pour l’auteur de ces terribles phénomènes ; & comme la terre parut ébranlée jusque dans son centre même, on supposa que notre globe renfermoit dans son sein un amas immense de feu toujours en action : c’est-là ce que quelques physiciens ont désigné sous le nom de feu central. Ce sentiment fut regardé comme le plus propre à rendre raison des effets incroyables des tremblemens de terre. Il n’est point douteux que le feu n’ait la plus grande part à ces phénomenes ; mais il n’est point nécessaire, pour en trouver la cause, de recourir à des hypothèses chimériques, ni de supposer un amas de feu dans le centre de la terre, où jamais l’œil humain ne pourra pénétrer. Pour peu qu’on ait observé la nature & la structure de notre globe, on s’appercevra que sans descendre à des profondeurs impénétrables aux hommes, on rencontre en plusieurs endroits des amas de matieres assez agissantes pour produire tous les effets que nous avons indiqués. Ces matieres sont le feu, l’air & l’eau, c’est-à-dire les agens les plus puissans de la nature, & dont personne ne peut nier l’existence.
La terre en une infinité d’endroits est remplie de matieres combustibles ; on sera convaincu de cette vérité, pour peu que l’on fasse attention aux couches immenses de charbons de terre, aux amas de bitumes, de tourbes, de soufre, d’alun, de pyrites, &c. qui se trouvent enfouis dans l’intérieur de notre globe. Toutes ces matieres sont propres à exciter des embrasemens, & à leur servir d’aliment, lorsqu’ils ont été une fois excités. En effet, l’expérience nous apprend que les substances bitumineuses & alumineuses, telles que sont certaines pierres feuilletées qui accompagnent les mines d’alun & de charbon de terre, après avoir été entassées & exposées pendant quelque tems au soleil & à la pluie, prennent feu d’elles-mêmes, & répandent une véritable flamme. Ces phénomenes sont les mêmes que ceux que la chimie nous présente dans les inflammations des huiles par les acides, & dans les pyrophores. D’ailleurs nous savons que les souterreins des mines, & sur-tout de celles de charbons de terre, sont souvent remplis de vapeurs qui prennent très-aisément feu, & qui produisent alors des effets aussi violens que ceux du tonnerre. Voyez Charbon minéral. Quelques-unes de ces vapeurs pour s’enflammer d’elles-mêmes, n’ont besoin que d’en rencontrer d’autres, ou même de se mêler avec l’air pur qu’elles mettent en expansion, & de cette maniere elles peuvent produire une espece de tonnerre souterrein. Ces vapeurs sont produites sur-tout par les pyrites qui se décomposent ; on sait que ces substances minérales se trouvent abondamment répandues dans toutes les parties de la terre ; les vapeurs qui en partent sont sulfureuses ou de l’acide vitriolique ; en rencontrant des émanations bitumineuses & grasses, elles peuvent aisément s’enflammer. Pour s’assûrer de cette vérité, on n’aura qu’à faire un mélange d’une partie de charbon de terre, & de deux parties de la pyrite qui donne du vitriol, on aura une masse qui mise en un tas s’allumera au bout d’un certain tems, & se consumera entierement. On a vu des terres d’ombre s’allumer d’elles-mêmes après avoir été broyées avec de l’huile de lin. Voyez Ombre (terre d).
Plusieurs physiciens ont voulu expliquer la formation des embrasemens souterreins, par une expérience fameuse qui est dûe à M. Lemery ; elle consiste à mêler ensemble du soufre & de la limaille de fer ; on humecte ce mélange, & en l’enterrant il produit en petit au bout d’un certain tems les phénomenes des tremblemens de terre & des volcans. Quelque ingénieuse que soit cette explication, M. Rouelle lui oppose une difficulté très-forte. Ce savant chimiste observe que dans son expérience M. Lemery a employé du fer véritable & non du fer dépouillé de son phlogistique, ou du fer minéralisé. D’où l’on voit que pour expliquer de cette maniere les embrasemens souterreins, il faudroit qu’il y eût dans le sein de la terre une grande quantité de fer pur ; ce qui est contraire aux observations, puisque le fer se trouve presque toujours ou minéralisé, ou sous la forme d’ochre, c’est-à-dire privé de son phlogistique dans le sein de la terre. Quant au fer pur ou fer natif qui se trouve par grandes masses, comme au Sénégal, on a lieu de soupçonner qu’il a été lui-même purifié & fondu par les feux de la terre.
De quelque façon que les embrasemens se produisent dans le sein de la terre, ils ont un besoin indispensable de l’air ; le feu ne peut point s’exciter sans le contact de l’air : or on ne peut point nier que la terre ne renferme une quantité d’air très-considérable ; ce fluide y pénetre par les fentes dont elle est traversée ; il est contenu dans les grottes & les cavités dont elle est remplie ; les ouvriers des mines, en frappant & en perçant les roches avec leurs outils, l’entendent quelquefois sortir avec un violent sifflement, & il éteint souvent les lampes qui les éclairent. On ne peut donc douter que la terre ne contienne une quantité d’air assez grande pour que les matieres susceptibles de s’enflammer puissent prendre feu ; ce même air qui est entré peu-à-peu, est mis en expansion ; les écroulemens de terre qui se sont faits au commencement de l’inflammation qui a du miner & excaver peu-à-peu les rochers, empêchent que l’air ne trouve d’issue ; alors aidé de l’action du feu qu’il a allumé, il fait effort en tout sens pour s’ouvrir un passage ; & ses efforts sont proportionnés à la quantité des matieres embrasées, au volume de l’air qui a été mis en expansion, & à la résistance que lui opposent les roches qui l’environnent. Personne n’ignore les effets prodigieux que l’air peut produire lorsqu’il est dans cet état ; il n’est pas besoin d’un grand effort pour concevoir que ces effets doivent s’opérer nécessairement dans l’intérieur de la terre.
A l’égard de l’eau, toutes les observations prouvent que la terre en contient une quantité prodigieuse ; plus on s’enfonce dans les souterreins des mines, plus on en rencontre ; & souvent on est forcé pour cette raison, d’abandonner des travaux qui promettoient les plus grands avantages ; les ouvriers des mines en perçant des rochers, en sont quelquefois noyés ou accablés. Voyez l’article Mines. L’eau contenue dans les profondeurs de la terre, peut contribuer de plusieurs manieres aux tremblemens de terre : 1°. l’action du feu réduit l’eau en vapeurs, & pour peu que l’on ait de connoissance en physique, on saura que rien n’approche de la force irrésistible de ces vapeurs mises en expansion, lorsqu’elles n’ont point d’issue ; les expériences faites avec la machine de Papin, celles de l’éolipyle, &c. nous en fournissent des preuves convaincantes : on peut donc concevoir que l’eau réduite en vapeurs par la chaleur, dans les cavités de la terre, fait effort pour sortir ; comme elle ne trouve aucun passage pour s’échapper, elle souleve les rochers qui l’environnent, & par-là elle produit des ébranlemens violens & qui se font sentir à des distances incroyables : 2°. l’eau produira encore des effets prodigieux, lorsqu’elle viendra à tomber tout d’un-coup dans les amas de matieres embrasées ; c’est alors qu’il se fera des explosions terribles ; pour se convaincre de cette vérité, l’on n’a qu’à faire attention à ce qui arrive lorsqu’on laisse imprudemment tomber une goutte d’eau sur un métal qui est entré parfaitement en fusion ; on verra que cela est capable de faire entierement sauter les atteliers, & de mettre la vie des ouvriers dans le plus grand danger. Ainsi les eaux concourent aux tremblemens de terre, augmentent la vivacité du feu souterrain, & contribuent à le répandre ; une expérience commune & journaliere peut encore nous donner une idée de la maniere dont ces phénomènes peuvent s’opérer : si dans une cuisine le feu prend à la graisse qu’on fait fondre dans un poélon, & qu’alors on y verse de l’eau pour l’éteindre, le feu se répand en tout sens, la flamme s’augmente, & l’on court risque de mettre le feu à la maison : 3°. les eaux peuvent encore contribuer à animer les feux souterreins, en ce que par leur chute, elles agitent l’air & font la fonction des soufflets des forges ; de cette maniere, l’eau peut encore étendre les embrasemens : 4°. enfin l’eau peut encore concourir aux ébranlemens de la terre, par les excavations qu’elle fait dans son intérieur, par les couches qu’elle entraîne après les avoir détrempées, & par les chutes & les écroulemens que par là elle occasionne.
On voit par tout ce qui précede, que les tremblemens de terre & les volcans, ou montagnes qui jettent du feu, sont dus aux mêmes causes ; en effet les volcans ne peuvent être regardés que comme les soupiraux ou les cheminées des foyers qui produisent les tremblemens de terre. Voyez l’article Volcan.
Après avoir exposé les causes les plus probables des tremblemens de terre, nous allons maintenant décrire les phénomènes qui les précédent & qui les accompagnent le plus ordinairement ; car en cela, comme dans toutes les opérations de la nature, les circonstances produisent des variétés infinies. On a souvent remarqué que les tremblemens de terre venoient à la suite des années fort pluvieuses : on peut conjecturer de-là que les eaux de la pluie, en détrempant les terres, bouchent les fentes & les ouvertures par lesquelles l’air & le feu qui sont sous terre, peuvent circuler & trouver des issues. Des feux follets, des vapeurs d’une odeur sulphureuse, un air rouge & enflammé, des nuages noirs & épais, un tems lourd & accablant, sont ordinairement les avant-coureurs de ces funestes catastrophes ; cependant on les a vu quelquefois précédées d’un calme très-grand, & d’une sérénité parfaite. Les animaux paroissent remplis d’une terreur qu’ils expriment par leurs mugissemens & leurs hurlemens ; les oiseaux voltigent çà & là, avec cette inquiétude qu’ils marquent à l’approche des grands orages : on entend souvent des bruits semblables à ceux d’un tonnerre souterrein, ou d’une forte décharge d’artillerie ; ou l’on entend des déchiremens & des sifflemens violens ; en plusieurs endroits les sources & les rivieres suspendent le cours de leurs eaux, au bout de quelques tems elles recommencent à couler, mais elles sont troubles & mêlées de parties terreuses, de sable, & de matieres étrangeres qui changent leur couleur & leur qualité. Les tremblemens de terre sont presque toujours accompagnés d’agitations violentes dans les eaux de la mer, elle est portée avec impétuosité sur ses bords, les vaisseaux s’entrechoquent dans les ports, & ceux qui sont en plaine mer ont souvent éprouvé des mouvemens extraordinaires, causés par le soulevement du fond du lit de la mer ; ces effets sont dus aux efforts que l’air dilaté par le feu, fait pour s’ouvrir un passage & se mettre en liberté ; les secousses que causent ces tremblemens se succedent, tantôt à de grandes distances les unes des autres, tantôt elles se suivent très-promptement ; le mouvement qu’elles impriment à la terre est tantôt une espece d’ondulation semblable à celle des vagues, tantôt on éprouve un balancement semblable à celui d’un vaisseau battu par les flots de la mer ; de-là viennent ces nausées & ces maux de cœurs que quelques personnes éprouvent dans quelques tremblemens de terre, sur-tout lorsque les secousses sont lentes & foibles : ces secousses suivent ordinairement une direction marquée ; de-là vient que quelquefois un tremblement de terre renversera des édifices & des murailles qui ne seront point bâtis suivant la direction qu’il observe, & détruira totalement ceux qui se trouveront dans une direction opposée ; les secousses sont plus ou moins fréquentes & fortes, suivant que les matieres qui les excitent sont plus ou moins abondantes, & suivant que leurs explosions seront plus ou moins vives : on a vu en Amérique des tremblemens de terre durer pendant plus d’une année entiere, & faire sentir chaque jour plusieurs secousses très-violentes. En un mot rien de plus terrible & de plus varié que les effets que produisent les tremblemens de terre ; tantôt la mer se retirera de plusieurs lieues & laissera les vaisseaux à sec, pour revenir ensuite submerger les terres avec violence ; quelquefois des terreins très-considérables changeront de place, couleront comme de l’eau, & iront remplir des lacs ; d’autres fois des montagnes s’affaisseront, & des lacs viendront prendre leur place ; souvent on a vu la terre s’entrouvrir & vomir de son sein des flammes, du sable calciné, des pierres, des eaux sulphureuses & d’une odeur insupportable ; ces ouvertures qui se sont faites à la terre, se referment quelquefois sur le champ, d’autres fois elles restent au même état.
Un des phénomènes les plus étranges des tremblemens de terre, c’est leur propagation, c’est-à-dire la maniere dont ils se communiquent à des distances souvent prodigieuses, en une espace de tems très court ; la façon la plus naturelle d’expliquer cette propagation, c’est de dire que les embrasemens souterreins se communiquent par les cavités immenses dont l’intérieur de la terre est rempli ; ces cavités étant pleines des mêmes matieres reçoivent le feu qui leur est apporté de celles qui ont été les premieres allumées ; de cette maniere l’embrasement se transmet quelquefois d’un des côtés du globe à l’autre. L’on peut encore supposer que la terre renferme plusieurs foyers qui s’allument, soit successivement, soit en même tems, & qui produisent une suite d’explosions & d’ébranlemens dans les différentes parties de la terre qu’ils occupent : on a remarqué que c’est communément en suivant la direction des grandes chaines de montagnes, que la propagation des tremblemens de terre se fait sentir ; ce qui donne lieu de présumer que ces montagnes ont à leur base des cavités par lesquelles elles communiquent les unes aux autres.
L’on a souvent confondu avec des tremblemens de terre, certains mouvemens extraordinaires qui se font sentir quelquefois dans l’air, & qui souvent sont assez forts pour renverser des maisons, & faire des ravages considérables, sans qu’on s’apperçût que la terre fût aucunement ébranlée ; ces phénomènes ont été observés sur-tout en Sicile & dans le royaume de Naples ; ils paroissent dus à un dégagement subit de l’air renfermé dans le sein de la terre, qui est mis en liberté par les feux souterreins, & qui excite dans l’air extérieur une commotion semblable à celle d’un coup de canon, qui casse souvent les vitres des maisons.
Telles sont les circonstances principales qui accompagnent les tremblemens de terre ; il n’est guere de parties sur notre globe qui n’aient éprouvé plus ou moins vivement, & en différens tems, leurs effets funestes ; & les histoires sont remplies de descriptions effrayantes, & des révolutions tragiques qu’ils ont produits. Pline nous apprend que sous le consulat de L. Marcius, & de Sextus Julius, un tremblement de terre fit que deux montagnes du territoire de Modène se heurterent vivement l’une l’autre, & écraserent dans leur conflit les édifices & les fermes qui se trouverent entre elles ; spectacle dont un grand nombre de chevaliers romains & de voyageurs furent témoins. Voici ses propres paroles : factum est semel, dit-il, quod equidem in Hetruscæ disciplinæ voluminibus inveni, ingens terrarum portentum. L. Marcio & Sexto Julio coss. in agro mutinensi montes duo inter se concurrerunt, crepitu maximo assultantes, recedentesque, inter eos flamma fumoque in coelum exeunte interdiu, spectante e viâ Emiliâ magnâ equitum romanorum familiariumque & viatorum multitudine : eo concursu villæ omnes Elisoe, animalia permulta, quæ intra fuerant, exanimata sunt, &c.
Sous l’empire de Tibere, treize ville considérables de l’Asie furent totalement renversées, & un peuple innombrable fut enseveli sous leurs ruines. La célebre ville d’Antioche éprouva le même sort en l’an 115, le consul Pedon y périt, & l’empereur Trajan qui s’y trouvoit alors, ne se sauva qu’à peine du désastre de cette ville fameuse.
En 742, il y eut un tremblement de terre universel en Egypte & dans tout l’Orient ; en une même nuit près de six cent villes furent renversées, & une quantité prodigieuse d’hommes périt dans cette occasion.
Mais qu’est-il besoin de parler des tremblemens de terre anciens ? une expérience récente ne nous prouve que trop que les matieres qui produisent ces événemens terribles, ne sont point encore épuisées : l’Europe est à peine revenue de la frayeur que lui a causée l’affreuse catastrophe de la capitale du Portugal. Le premier de Novembre de l’année 1755, la ville de Lisbonne fut presque totalement renversée par un tremblement de terre, qui se fit sentir le même jour jusqu’aux extrémités de l’Europe. Ce désastre affreux fut accompagné d’un soulevement prodigieux des eaux de la mer, qui furent portées avec violence sur toutes les côtes occidentales de notre continent. Les eaux du Tage s’éleverent à plusieurs reprises pour inonder les édifices que les secousses avoient renversés. Au même instant auquel cette scène effroyable se passoit dans le Portugal, l’Afrique étoit pareillement ébranlée, les villes de Fez & de Mequinez, au royaume de Maroc, éprouverent un renversement presque total. Plusieurs vaisseaux, en revenant des Indes occidentales, ressentirent en plaine mer des secousses violentes & extraordinaires. Les îles Açores furent en même tems vivement agitées. Au mois de Décembre de la même année, presque toute l’Europe fut encore ébranlée de nouveau par un tremblement de terre, qui s’est fait sentir très-vivement dans quelques-unes de ses parties. L’Amérique ne fut point exempte de ces tristes ravages, ce fut vers ce même tems que la ville de Quito fut entierement renversée.
Tous les tremblemens de terre ne se font point sentir avec la même violence ; il y en a qui ne produisent que des secousses légeres, & quelquefois insensibles ; d’autres portent la destruction dans les endroits où ils exercent leur fureur. On a remarqué que quelques pays sont plus sujets à ces convulsions de la terre que d’autres ; les pays chauds y paroissent surtout les plus exposés, ce qui vient, soit de ce que la chaleur du climat est en état de faire sortir du sein de la terre un plus grand nombre de vapeurs propres à s’enflammer & à faire des explosions, soit de ce que ces pays contiennent un plus grand nombre de matieres combustibles, & propres à alimenter & à propager les feux souterreins. L’Amérique & sur-tout le Pérou paroissent être sujets à des agitations très fréquentes. Suivant le chevalier Hansloane, on s’attend à essuyer tous les ans un tremblement de terre à la Jamaïque. L’Asie & l’Afrique ne sont point exemptes de ces terribles accidens. En Europe, la Sicile, le royaume de Naples, & presque toute la Méditerranée sont trés-fréquemment les théatres de ces fatals événemens. Nous voyons aussi que les pays du nord, quoique moins souvent que les pays chauds, ont éprouvé en différens tems des secousses de la part des tremblemens de terre ; l’Angleterre, l’Islande, la Norwege nous en fournissent des preuves convaincantes ; M. Gmelin nous apprend en avoir ressenti dans la Sibérie, on lui a même assûré qu’une partie de cette contrée si septentrionale éprouvoit un tremblement de terre annuel & périodique. Les provinces méridionales de la France, qui sont bornées par les monts Pyrénées, ont aussi ressenti quelquefois des secousses très-violentes : en 1660, tout le pays compris entre Bordeaux & Narbonne fut désolé par un tremblement de terre ; entr’autres ravages, il fit disparoître une montagne du Bigore, & mit un lac en sa place ; par cet événement, un grand nombre de sources d’eau chaudes furent refroidies, & perdirent leurs qualités salutaires. Dans les derniers tremblemens de l’année 1755, c’est aussi cette partie de la France qui a éprouvé le plus fortement des secousses qui ne se sont fait sentir que très-foiblement à Paris, & dans les provinces plus septentrionales.
A la vue des effets prodigieux des tremblemens de terre, on sent qu’il est naturel de les regarder comme la principale cause des changemens continuels qui arrivent à notre globe. L’histoire nous a transmis quelques-unes des révolutions que la terre a éprouvées de la part des feux souterreins, mais le plus grand nombre & les plus considérables d’entre elles sont ensevelies dans la nuit de l’antiquité la plus reculée ; nous ne pouvons donc en parler que par des conjectures qui paroissent pourtant assez bien fondées. C’est ainsi qu’il y a tout lieu de présumer que la grande Bretagne a été arrachée du continent de l’Europe, la Sicile a été pareillement séparée du reste de l’Italie. Seroit-ce un sentiment si hasardé que de regarder la mer Méditerranée comme un vaste bassin creusé par les feux souterreins, qui y exercent encore si souvent leurs ravages ? Platon & quelques autres anciens nous ont transmis le nom d’une île immense, qu’ils appelloient Atlantide, que la tradition de leur tems plaçoit entre l’Afrique & l’Amérique ; cette vaste contrée a entierement disparu : ne peut-on pas conjecturer qu’elle a été abîmée sous les eaux de l’Océan, à qui elle a donné son nom ; & que les iles du Cap-verd, les Canaries, les Açores ne sont que des vestiges infortunés de la terrible révolution qui a fait disparoître cette contrée de dessus la face de la terre ? Peut-être la mer Noire, la mer Caspienne, la mer Baltique, &c. ne sont-elles dûes qu’à des révolutions pareilles, arrivées dans des tems dont aucun monument historique ne nous a pu conserver le souvenir.
Depuis le Pérou jusqu’au Japon, depuis l’Islande jusqu’aux Moluques, nous voyons que les entrailles de la terre sont perpétuellement déchirées par des embrasemens qui agissent sans cesse avec plus ou moins de violence ; des causes si puissantes ne peuvent manquer de produire des effets qui influent sur la masse totale de notre globe ; ils doivent à la longue changer son centre de gravité, mettre à sec quelques-unes de ses parties pour en submerger d’autres, enfin contribuer à faire parcourir à la nature le cercle de ses révolutions. Est-il surprenant après cela que le voyageur étonné ne retrouve plus des mers, des lacs, des rivieres, des villes fameuses décrites dans les anciens géographes, & dont aujourd’hui il ne reste plus aucune trace ? Comment la fureur des élémens eût-elle respecté les ouvrages toujours foibles de la main des hommes, tandis qu’elle ébranle & détruit la base solide qui leur sert d’appui ? (—)