L’Encyclopédie/1re édition/SERF

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SERF, s. m. (Gram. & Jurisprud.) du latin servus, est une personne assujettie à certains droits & devoirs serviles envers son seigneur. L’état des serfs est mitoyen entre celui de la liberté & l’esclavage.

Chez les Romains il y avoit des esclaves qui étoient dans une dépendance absolue de leur maître.

Il y en avoit aussi de semblables en France sous la premiere & la seconde race de nos rois.

Mais ces servitudes personnelles furent abolies peu-à-peu sous la seconde race de nos rois, ou du moins elles furent mitigées ; & comme il y avoit chez les Romains certains esclaves qui étoient attachés à la culture d’un fond particulier, & que l’on appelloit adscriptitios seu addictos glebæ, lesquels cultivoient le fond à leur volonté, moyennant qu’ils rendoient à leur maître, tous les ans, une certaine quantité de blé & autres fruits ; de même aussi en France la plûpart des habitans de la campagne étoient serfs, c’est-à-dire attachés à certains fonds dont ils ne pouvoient être séparés.

Les bâtards & les aubains étoient serfs du roi.

Vers le commencement de la troisieme race nos rois affranchirent plusieurs communautés d’habitans, auxquelles ils donnerent des chartes de commune ou permission de s’assembler. Louis hutin & Philippe le bel affranchirent tous les serfs de leur domaine, moyennant finance.

Le roi donnoit quelquefois à certains serfs en particulier, des lettres par lesquelles ils étoient réputés bourgeois du roi, & cessoient d’être serfs.

Les seigneurs donnoient aussi de semblables terres à leurs serfs, au moyen desquelles ils étoient réputés bourgeois de ces seigneurs.

Cependant plusieurs seigneurs ne consentirent point à l’affranchissement de leurs serfs ; de sorte qu’il est resté des vestiges de cette espece de servitude dans les provinces régies par le droit écrit & dans quelques-unes de nos coutumes, telles que Bourgogne, Bourbonnois, Nivernois & quelques autres.

L’usage de ces différentes provinces & coutumes n’est pas uniforme par rapport aux serfs.

Dans quelques pays les hommes sont serfs de corps, c’est-à-dire, que leur personne même est serve, indépendamment de leurs biens ; ils ne peuvent se délivrer de la servitude, même en abandonnant tout à leur seigneur, lequel peut les révendiquer en tous lieux ; c’est pourquoi on les appelle serfs de corps & de poursuite.

En d’autres pays les serfs ne sont réputés tels qu’à cause des héritages qu’ils tiennent du seigneur à cette condition : ces sortes de serfs sont ceux que l’on appelle mainmortables ou mortaillables.

Les serfs deviennent tels en plusieurs manieres, savoir 1°. par la naissance, l’enfant né dans un lieu mainmortable suit la condition du pere ; 2°. par convention, lorsqu’un homme franc va demeurer en lieu de mainmorte, & y prend un mein ou tenement ; 3°. par le domicile annal en un lieu mainmortable, & le payement qu’une personne franche fait au seigneur des droits dûs au seigneur par ses mainmortables ; 4°. par le mariage à l’égard des femmes ; car lorsqu’une femme franche se marie à un homme serf & de mainmorte, pendant la vie de son mari elle est réputée de même condition que lui.

Les droits que les seigneurs ont sur leurs serfs, sont différens, selon les pays ; ils dépendent de la coutume ou usage du lieu, & des titres des seigneurs ; c’est pourquoi l’on ne parlera ici que de ceux qui sont les plus ordinaires ; encore ne se trouvent-ils pas toujours réunis en faveur du seigneur.

Un des premiers effets de cette espece de servitude est que le serf ne peut entrer dans l’état de cléricature sans le consentement de son seigneur.

Par rapport aux femmes, le seigneur a le droit de for-mariage qui consiste en ce que le seigneur prend les héritages que la femme, serve de corps, a dans le lieu de la mainmorte, lorsqu’elle va se marier ailleurs.

Les héritages assis en un lieu de mainmorte sont réputés de même condition que les autres, s’il n’y a titre ou usance au contraire.

Les serfs ne peuvent vendre & aliéner leurs héritages mainmortables qu’aux gens de la seigneurie & de même condition, & non à des personnes franches ni d’une autre seigneurie, si ce n’est du consentement du seigneur, ou qu’il y ait usance ou parcours.

Ils ne peuvent pareillement disposer de leurs biens meubles & héritages par testament ni ordonnance de derniere volonté, sans le consentement de leur seigneur. Vivunt liberi, moriuntur ut servi.

Quant aux successions, les serfs mainmortables ne se succedent les uns aux autres qu’au cas qu’ils demeurent ensemble, & soient en communauté de biens, & à défaut de parens communs, le seigneur succede à son mainmortable.

La communion ou communauté une fois rompue entre les serfs mainmortables, ils ne peuvent plus se réunir sans le consentement de leur seigneur.

Si le serf s’absente, le seigneur peut pourvoir à la culture de ses héritages, afin que les droits soient payés ; mais le mainmortable peut réclamer l’héritage, pourvu qu’il vienne dans les dix ans.

Quelque favorable que soit la liberté, le serf ne peut prescrire la franchise & la liberté contre son seigneur par quelque laps de tems que ce soit.

Le témoignage des serfs mainmortables n’est pas reçu pour leurs seigneurs. Voyez les coutumes d’Auvergne, Bourgogne, Bourbonnois, Nivernois, Berry, Vitri, la Marche, & les commentateurs, le gloss. de du Cange au mot servus, celui de Lauriere au mot serf, & les mots Corvée, Esclave, Mainmorte, Mainmortable, Mortaille, Mortaillable, Servitude. (A)

Serf abonné, est celui qui a composé de la taille avec son seigneur, & n’est pas taillable à volonté ; il est parlé de ces sortes de serfs dans les coutumes locales d’Azay le Feron, de Buzançois, de Bauche, de Saint-Genou & de Mézieres en Touraine, & de Saint-Cyran en Brenne.

Sere bénéficial ou Bénéficier, étoit un serf attaché à la glebe dans une terre qui avoit été donnée à titre de bénéfice ou fief : ces sortes de serfs passoient au nouveau bénéficier ou feudataire avec l’héritage. Voyez Bénéfice, Fief, & le glossaire de du Cange au mot servi beneficiarii.

Serf casé, servus casatus, étoit celui qui étoit attaché à une case ou héritage. Voyez le gloss. de du Cange, au mot casatus & servi casati.

Serf de corps et de poursuite, est celui qui est personnellement serf & en sa personne, indépendamment d’aucun héritage, & que le seigneur peut réclamer & poursuivre en quelque endroit qu’il aille. Voyez l’article 116 des anciennes coutumes du duché de Bourgogne.

Serf coutumier, ou réputé tel, dans la coutume de la Marche, quiconque doit à son seigneur par chacun an, à cause d’aucun héritage, argent à trois tailles payable à trois termes, avoine & geline. Voyez la dissertation de M. de Lauriere sur le tenement, ch. iv. & son glossaire au mot serf.

Serf de dévotion, étoit un seigneur ou autre qui, quoiqu’il ne fût pas serf d’une église, cependant par un motif d’humilité & de dévotion se déclaroit serf d’une telle église, & donnoit tout son bien à Dieu & aux saints & saintes que l’on y révéroit. Voyez le mercure d’Août 1750, p. 92.

Serf de douze deniers, de six deniers, de quatre deniers, étoient des gens de condition servile qui payoient à leur seigneur une espece de taille annuelle ou capitation de douze deniers, six deniers, plus ou moins. Voyez la coutume de Bourbonnois, art. 189 & 204. le glossaire de du Cange, au mot capital & au mot servus.

Serf ecclésiastique, n’étoit pas un ecclésiastique qui fût serf, mais un laïc qui étoit attaché à une manse ecclésiastique : ce qui est de singulier, c’est que ces sortes de serfs étoient fort improprement nommés ; car ils n’étoient pas de même condition que les autres ; tous nos monumens prouvent au contraire que cet état donnoit la liberté à celui qui étoit de condition servile ; & quelques-uns pensent que c’est de-là que les vrais serfs étoient obligés d’avoir le consentement de leur seigneur pour entrer dans la cléricature. Voyez le glossaire de du Cange au mot servi ecclésiastiques, & le traité de M. Bouquet, avocat, tom. I. p. 45.

Serf fiscal ou Serf fiscalin ou Fiscalin simplement, fiscalinus, étoit autrefois en France un serf attaché à l’exploitation du fisc ou domaine du roi. Il en est parlé dans plusieurs endroits de la loi des Lombards, dans Aymoin, Marculphe, Grégoire de Tours.

Serf foncier, est celui qui ne peut changer de demeure au préjudice de son seigneur, dont il est homme de corps & de suite ; il en est parlé dans un titre de Thibaut, comte palatin de Champagne & de Brie, roi de Navarre, du mois de Mai de l’an 1329. Voyez le traité de la noblesse par de la Roque, chap. xiij.

Serf de formariage, est celui qui ne peut se marier à une personne franche, ni même à une personne mainmortable d’autre lieu que celui de son domicile, sans la permission de son seigneur. Voyez Formariage, Mainmortable & Mainmorte.

Serf franc a la mort, est celui qui est taillé haut & bas par son seigneur, sans être néanmoins mainmortable, de maniere qu’après sa mort ses héritiers lui succedent. Voyez l’article 125 des anciennes coutumes du duché de Bourgogne.

Serfs germaniques ; on a nommé de ce nom ceux dont la coutume étoit venue des peuples de la Germanie, & dont l’état étoit reglé de même : quelques-uns tiennent que nos serfs de France ont été établis à l’instar des serfs germaniques ; d’autres croyent qu’ils viennent des Romains, ce qui est plus vraissemblable. Voyez les notes de Bannelier sur Davot, t. I. p. 103.

Serf de glebe, étoit celui qui étoit attaché à la glebe, c’est-à-dire à un fonds pour le cultiver.

Ils étoient de deux sortes ; les uns appellés adscripti glebæ, les autres addicti glebæ.

Les premiers étoient des especes de fermiers qui cultivoient la terre pour leur compte, moyennant une rétribution qu’ils en rendoient au propriétaire pendant leur bail.

Les seconds, addicti glebæ, étoient de vrais serfs, qui cultivoient la terre pour le seigneur ou propriétaire, & demeuroient attachés pour toujours à cette glebe. Voyez le gloss. de Ducange au mot ascriptitii, & au mot servi.

Serf de main-morte ou Main-mortable, est celui qui est sujet aux lois de la main-morte envers son seigneur. Voyez Main-mortable, Main-morte & Servitude.

Serf a la mort, est celui qui étant originairement main-mortable, & ayant quitté le lieu de la main-morte sans le congé du seigneur, pour aller demeurer en un lieu franc & non mortaillable, vit comme franc, & est serf à sa mort, parce qu’après son décès, son seigneur originaire vient réclamer sa succession. Voyez l’article 124 des anciennes coutumes du duché de Bourgogne.

Serf pissené, quasi pejornatus ; on appelle ainsi en Nivernois les bâtards des serfs ; c’est ainsi que M. de Lauriere explique ce terme en son glossaire.

Serf de poursuite, est celui que le seigneur peut suivre & réclamer en quelque lieu qu’il aille ; c’est la même chose que serf de corps. Voyez l’article 116 des anciennes coutumes du duché de Bourgogne.

Serf de quatre deniers, voyez ci-devant Serf de douze deniers, &c.

Serf-servage ou Servagier, est celui qui est serf de son chef & de sa tête, & doit chacun an quatre deniers au seigneur pour rançon de son chef. Le seigneur peut, quand il lui plaît, prendre tous les biens de ce serf, mettre sa personne en ôtage, le vendre & aliéner : quand ce serf n’a point de quoi manger, le seigneur est tenu de lui en donner. Voyez l’article 119 des anciennes coutumes du duché de Bourgogne, & l’article Serf de quatre deniers.

Serf testamental, étoit celui que l’on avoit loué par un pacte particulier, le mot testament signifiant dans cette occasion écrit. Voyez le glossaire latin de Ducange au mot servus.

Serf a la vie, est celui qui vit comme serf, & qui meurt franc, lequel étant taillé haut & bas par son seigneur, n’est pas main-mortable, & après son décès ses héritiers lui succedent. Voyez l’article 125 des anciennes coutumes du duché de Bourgogne, & ci-devant l’article Serf franc a la mort, & ci-après Serf a la vie et a la mort.

Serf a la vie et a la mort ou a vie et a mort, est celui qui étant originairement main-mortable & taillable, vit & meurt comme serf. Voyez l’article 123 des anciennes coutumes du duché de Bourgogne. (A)