L’Encyclopédie/1re édition/RHAPSODES

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RHAPSODES, s. m. pl. (Belles-Lettres.) nom que donnoient les anciens à ceux dont l’occupation ordinaire étoit de chanter en public des morceaux des poëmes d’Homere, ou simplement de les réciter.

M. Cuper nous apprend que les rhapsodes étoient habillés de rouge quand ils chantoient l’Iliade, & de bleu quand ils chantoient l’Odyssée. Ils chantoient sur des théâtres, & disputoient quelquefois pour des prix.

Lorsque deux antagonistes avoient fini leurs parties, les deux pieces ou papiers sur lesquels elles étoient écrites, étoient joints & réunis ensemble, d’où est venu le nom de rhapsodes, formé du grec ραπτω, je cous, & ᾠδή, ode ou chant.

Mais il y a eu d’autres rhapsodes plus anciens que ceux-ci ; c’étoient des gens qui composoient des chants héroïques ou des poëmes en l’honneur des hommes illustres, & qui alloient chanter leurs ouvrages de ville en ville pour gagner leur vie. C’étoit-là, dit-on, le métier qu’Homere faisoit lui-même.

C’est apparemment pour cette raison que quelques critiques ont fait venir le mot rhapsodes, non de ραπτω & ᾠδή, mais de ραϐδω & ᾄδειν, chanter avec une branche de laurier à la main, parce qu’il paroît en effet que les premiers rhapsodes portoient cette marque distinctive.

Philocorus fait aussi venir le nom de rhapsodes de ραππειν τας ᾠδάς, composer des chants ou poëmes, supposant que les poëmes étoient chantés par leurs auteurs mêmes. Suivant cette opinion dont Scaliger ne s’éloigne pas, les rhapsodes auroient été réduits à ceux de la seconde espece dont nous venons de parler.

Cependant il est plus vraissemblable que tous les rhapsodes étoient de la même classe, quelque différence que les auteurs aient imaginée entre eux, & que leur occupation étoit de chanter ou de réciter des poëmes, soit de leur composition, soit de celle des autres, selon qu’ils y trouvoient mieux leur compte & plus de gain à faire. Aussi ne pouvons-nous mieux les comparer qu’à nos anciens trouveurs & jongleurs, ou encore à nos chanteurs de chansons, parmi lesquels quelques-uns sont auteurs des pieces avec lesquelles ils amusent la populace dans les carrefours.

Depuis Homere il n’est pas surprenant que les rhapsodes de l’antiquité se soient bornés à chanter les vers de ce poëte, pour qui le peuple avoit la plus grande vénération, ni qu’ils aient élevé des théâtres dans les foires, & les places publiques, pour disputer à qui réciteroit mieux ces vers, beaucoup plus parfaits & plus intéressans pour les Grecs, que tout ce qui avoit paru jusqu’alors.

On prétend, dit madame Dacier, dans la vie d’Homere, que ces rhapsodes étoient ainsi appellés pour les raisons qu’on a vues ci-dessus, & encore parce qu’après avoir chanté, par exemple, la partie appellée la colere d’Achille, dont on a fait le premier livre de l’Iliade, ils chantoient celle qu’on appelloit le combat de Paris & de Ménélas, dont on a fait le troisieme livre, ou tel autre qu’on leur demandoit, ραψωδοι, ραπτοντες τας ᾠδάς. Cette derniere opinion est la plus vraissemblable, ou plutôt la seule vraie. C’est ainsi que Sophocle, dans son Œdipe, appelle le sphinx, ραψωδον, parce qu’il rendoit différens oracles, selon qu’on l’interrogeoit. Au reste, il y avoit deux sortes de rhapsodes ; les uns récitoient sans chanter, & les autres récitoient en chantant. Vie d’Homere, pag. 24 & 25. dans une note.