L’Encyclopédie/1re édition/RHAPSODIE
RHAPSODIE, s. f. (Belles-Lettres.) nom qu’on donnoit dans l’antiquité aux ouvrages en vers qui étoient chantés ou récités par les rhapsodes. Voyez Rhapsodes.
Quelques auteurs pensent que rhapsodie signifioit proprement un recueil de vers, principalement de ceux d’Homere, qui ayant été long tems dispersés en différens morceaux, furent enfin mis en ordre, & réunis en un seul corps par Pisistrate, ou par son fils Hipparque, & divisés en livres, qu’on appella rhapsodies, terme dérivé des mots grecs ραπτω, coudre, & ᾠδή, chant, poëme, &c.
Le mot rhapsodie est devenu odieux, comme le remarque M. Despréaux dans sa troisieme réflexion critique sur Longin, & l’on ne s’en sert plus que pour signifier une collection de passages, de pensées, d’autorités rassemblées de divers auteurs, & unies en un seul corps. Ainsi le traité de Politique de Juste-Lipse est une rhapsodie, dans laquelle il n’y a rien qui appartienne à l’auteur, que les particules & les conjonctions. C’est pour avoir pris ce mot dans ce dernier sens, & à dessein de faire passer les poëmes d’Homere pour une collection ainsi faite des ouvrages de différens auteurs, que M. Perrault a fait une bevue en disant, dans ses paralleles : « Le nom de rhapsodies, qui signifie un amas de plusieurs chansons cousues ensemble, n’a pu être raisonnablement donné à l’Iliade & à l’Odyssée, que sur ce fondement que c’étoit une collection de plusieurs petits poëmes de divers auteurs, sur différens événemens de la guerre de Troie. Jamais poëte, ajoute-t-il, ne s’est avisé, malgré l’exemple & l’autorité d’Homere, de donner le nom de rhapsodie à un seul de ses ouvrages ».
A cela M. Despréaux répond, après avoir rapporté les diverses étymologies dont nous avons parlé au mot Rhapsodes, « que la plus commune opinion est que ce mot vient de ραπτειν ωδας, & que rhapsodie veut dire un amas de vers d’Homere qu’on chantoit, y ayant des gens qui gagnoient leur vie à les chanter, & non pas à les composer, comme M. Perrault se le veut bisarrement persuader. Il n’est donc pas surprenant qu’aucun autre poëte qu’Homere n’ait intitulé ses vers rhapsodies, parce qu’il n’y a jamais eu proprement que les vers d’Homere qu’on ait chantés de la sorte. Il paroît néanmoins que ceux qui dans la suite ont fait de ces parodies, qu’on appelloit centons d’Homere, ont aussi nommé ces centons rhapsodies ; & c’est peut-être ce qui a rendu le mot de rhapsodie odieux en françois, où il veut dire un amas de méchantes pieces recousues ».