L’Encyclopédie/1re édition/RÉSURRECTION
RÉSURRECTION, s. f. (Théolog.) c’est l’acte de retourner après la mort à une seconde ou nouvelle vie. Voyez Vie & Mort.
La résurrection peut être ou pour un tems ou perpétuelle. La résurrection pour un tems est celle où un homme mort ressuscite pour mourir de nouveau. Telles sont les résurrections miraculeuses dont il est fait mention dans l’Ecriture, comme celle de Lazare. La résurrection perpétuelle est celle où l’on passe de la mort à l’immortalité, telle qu’a été la résurrection de Jesus-Christ, & telle que la foi nous fait espérer que sera la nôtre à la fin des siecles. C’est dans le dernier sens que nous allons prendre le mot de résurrection dans tout cet article.
Le dogme de la résurrection des morts est une créance commune aux Juifs & aux Chrétiens. On le trouve clairement marqué dans l’ancien & le nouveau Testament. Comme, Psalm. xv. 10. Job xix. 25. Ezéch. xxxvij. 1, 2, 3. Macch. viij. 9, 14, 23, 29, lorsque Jesus-Christ parut dans la Judée, la résurrection des morts étoit reçue comme un des principaux articles de foi de la religion des Juifs par tout le corps de la nation, à l’exception des seuls Sadducéens qui la nioient & qui toutefois étoient tolérés, mais Jesus-Christ a enseigné expressément ce point de notre foi & est lui-même ressuscité.
L’argument qu’on tire de sa résurrection en faveur de la vérité de la religion chrétienne est un de ceux qui pressent avec plus de force & de conviction. Les circonstances en sont telles qu’elles portent ce point jusqu’à la démonstration, suivant la méthode des géometres, comme Ditton l’a exécuté avec succès.
Quoique les Juifs admettent la résurrection, ils varient beaucoup sur la maniere dont elle se fera. Les uns la croient générale, d’autres avancent que tous les hommes ne ressusciteront pas, mais seulement les Israélites, encore exceptent-ils du nombre de ceux-ci les plus grands scélérats. Les uns n’admettent qu’une résurrection à tems, les autres une résurrection perpétuelle, mais seulement pour les ames. Léon de Modene, cérémon. des Juifs, part. IV. c. ij. dit qu’il y en a qui croient, comme Pythagore, que les ames passent d’un corps dans un autre, ce qu’ils appellent gilgul ou roulement. D’autres expliquent ce roulement du transport qui se fera à la fin du monde par la puissance de Dieu de tous les corps des Juifs morts hors de la Judée, pour venir dans ce dernier pays se réunir à leurs ames. Voyez Gilgul.
Ceux d’entre les Juifs qui admettent la métempsycose sont fort embarrassés sur la maniere dont se fera la résurrection ; car comment l’ame pourra-t-elle animer tous les corps dans lesquels elle aura passé ? Si elle n’en anime qu’un, que deviendront tous les autres ? & seroit-il à son choix de prendre celui qu’elle jugera le plus à propos ? Les uns croient qu’elle reprendra son premier corps, d’autres qu’elle se réunira au dernier ; & que les autres corps qu’elle a autrefois animés, demeureront dans la poussiere confondus avec le reste de la matiere.
Les anciens Philosophes qui ont enseigné la métempsycose, ne paroissent pas avoir connu d’autre résurrection, & il est fort probable que par la résurrection plusieurs Juifs n’entendoient non plus que la transmigration successive des ames.
On demande quelle sera la nature des corps ressuscités, quelle sera leur taille, leur âge, leur sexe ? Jesus-Christ, dans l’Evangile de S. Matth. chap. xxij. vers. 30, nous apprend que les hommes, après la résurrection, seront comme les anges de Dieu, c’est-à-dire, selon les peres, qu’ils seront immortels, incorruptibles, transparens, légers, lumineux, & en quelque sorte spirituels, sans toutefois quitter les qualités corporelles, comme nous voyons que le corps de Jesus-Christ ressuscité étoit sensible, & avoit de la chair & des os. Luc xxiv. 9.
Quelques anciens docteurs hébreux, cités dans la Gemarre, soutenoient que les hommes ressusciteroient avec la même taille, avec les mêmes qualités & les mêmes défauts corporels qu’ils avoient eu dans cette vie ; opinion embrassée par quelques Chrétiens qui se fondoient sur ce que Jesus-Christ avoit conservé les stigmates de ses plaies après sa résurrection. Mais, comme le remarque S. Augustin, Jesus-Christ n’en usa de la sorte que pour convaincre l’incrédulité de ses disciples, & les autres hommes n’auront pas de pareilles raisons pour ressusciter avec des défauts corporels ou des difformités. Sermon. 242. n°. 3 & 4.
La résurrection des enfans renferme aussi des difficultés. S’ils ressuscitent petits, foibles & dans la forme qu’ils ont eue dans le monde, de quoi leur servira la résurrection ? Et s’ils ressuscitent grands, bien faits & comme dans un âge avancé, ils seront ce qu’ils n’ont jamais été, & ce ne sera pas proprement une résurrection. S. Augustin penche pour cette derniere opinion, & dit que la résurrection leur donnera toute la perfection qu’ils auroient eue, s’ils avoient eu le tems de grandir, & qu’elle les garantira de tous les défauts qu’ils auroient pû contracter en grandissant. Plusieurs, tant anciens que modernes, ont cru que tous les hommes ressusciteront à l’âge où Jesus-Christ est mort, c’est-à-dire vers 33 ou 35 ans. Pour accomplir cette parole de S. Paul, afin que nous arrivions tous à l’état d’un homme parfait à la mesure de l’âge complet de Jesus-Christ. Ce que les meilleurs interpretes entendent dans un sens spirituel des progrès que doivent faire les Chrétiens dans la foi & dans la vertu. Aug. epist. 167. de civit. Dei, l. XXII. c. xiij. & xv. Hieron. epitaph. Paul. D. Thom. & Est. in epher. iv. 13.
Enfin plusieurs anciens ont douté que les femmes dussent ressusciter dans leur propre sexe, se fondant sur ces paroles de Jesus-Christ, dans la résurrection ils ne se marieront pas & n’épouseront point de femmes. A quoi l’on ajoute que, selon Moïse, la femme n’a été tirée de l’homme que comme un accident ou un accessoire, & par conséquent qu’elle ressuscitera sans distinction du sexe. Mais on répond que si la distinction des sexes n’est pas nécessaire après la résurrection, elle ne l’est pas plus pour l’homme que pour la femme : que la femme n’est pas moins parfaite en son genre que l’homme, & qu’enfin le sexe de la femme n’est rien moins qu’un défaut ou une imperfection de la nature. Non onim est vitium sexus fæmineus sed natura. Aug. de civit. Dei, lib. XXII. c. xvij. Origen. in Matth. xxiij. 30. Hilar. & Hieron. in eund. loc. Athanas. Basil. & alii apud August. lib. XXII. de civil. Dei, c. xvij. Dictionn. de la Bible de Calmet, tome III. lettre R, au mot résurrection, p. 371. & suiv.
Les Chrétiens croient en général la résurrection du même corps identique, de la même chair & des mêmes os qu’on aura eu pendant la vie au jour du jugement. Voici deux objections que les Philosophes opposent à cette opinion avec les solutions qu’on y donne.
1°. On objecte que la même masse de matiere & de substance pourroit faire au tems de la résurrection partie de deux ou de plusieurs corps. Ainsi quand un poisson se nourrit du corps d’un homme, & qu’un autre homme ensuite se nourrit du poisson, partie du corps de ce premier homme devient d’abord incorporé avec le poisson, & ensuite dans le dernier homme qui se nourrit de ce poisson. D’ailleurs on a vu des exemples d’hommes qui en mangeoient d’autres, comme les Cannibales & les autres sauvages des Indes occidentales le pratiquent encore à l’égard de leurs prisonniers. Or quand la substance de l’un est ainsi convertie en celle de l’autre, chacun ne peut pas ressusciter avec son corps entier ; à qui donc, demande-t-on, échoira la partie qui est commune à ces deux hommes ?
Quelques-uns répondent à cette difficulté que comme toute matiere n’est pas propre & disposée à être égalée au corps & à s’incorporer avec lui, la chair humaine peut être probablement de cette espece, & par conséquent que la partie du corps d’un homme qui est ainsi mangée par un autre homme, peut sortir & être chassée par les secrétions, & que, quoique confondue en apparence avec le reste de la matiere, elle s’en séparera par la toute-puissance divine au jour de la résurrection générale, pour le rejoindre au corps dont elle aura fait partie pendant la vie présente.
Mais la réponse de M. Leibnitz paroît être plus solide. Tout ce qui est essentiel au corps, dit-il, est le stamen originel qui existoit dans la semence du pere, bien plus, suivant la théorie moderne de la génération, qui existoit même dans la semence du premier homme. Nous pouvons concevoir ce stamen comme la plus petite tache ou point imaginable, qui par conséquent ne peut être séparé ou déchiré pour s’unir au stamen d’aucun autre homme. Toute cette masse que nous voyons dans le corps n’est qu’un accroissement au stamen originel, une addition de matiere étrangere, de nouveaux sucs qui se sont joints au stamen solide & primitif : il n’y a donc point de réciprocation de la matiere propre du corps humain, par conséquent point d’incorporation, & la difficulté proposée tombe d’elle-même, parce qu’elle n’est appuyée que sur une fausse hypothèse. Voyez Stamen, Solide, Génération.
2°. On objecte que, selon les dernieres découvertes qu’on a faites sur l’économie animale, le corps humain change perpétuellement. Le corps d’un homme, dit-on, n’est pas entierement le même aujourd’hui qu’il étoit hier. On prétend qu’en sept ans de tems le corps éprouve un changement total, de sorte qu’il n’en reste pas la moindre particule. Quel est, demande-t-on, celui de tous ces corps qu’un homme a eu pendant le cours de sa vie qui ressuscitera ? Toute la matiere qui lui a appartenu ressuscitera-t-elle ? Ou si ce n’en sera qu’un système particulier, c’est-à-dire la portion qui aura composé son corps pendant tel ou tel espace de tems, sera-ce le corps qu’il aura eu à vingt ans, ou à trente ou à soixante ans ? S’il n’y a que tel ou tel de ces corps qui ressuscite, comment est-ce qu’il pourra être récompensé ou puni pour ce qui aura été fait par un autre corps ? Quelle justice y a-t-il de faire souffrir une personne pour une autre ?
On peut répondre à cela sur les principes de M. Locke, que l’identité personnelle d’un être raisonnable consiste dans le sentiment intérieur, dans la puissance de se considérer soi-même comme la même chose en différens tems & lieux. Par-là chacun est à soi, ce qu’il appelle soi-même, sans considérer si ce même est continué dans la même substance ou dans des substances différentes. L’identité de cette personne va même jusques-là ; elle est à présent le même soi-même qu’elle étoit alors, & c’est par le même soi-même qui réfléchit maintenant sur l’action que l’action a été faite.
Or c’est cette identité personnelle qui est l’objet des récompenses & des punitions, & que nous avons observé pouvoir exister dans les différentes successions de matiere ; de sorte que pour rendre les récompenses ou les punitions justes & raisonnables, il ne faut rien autre chose sinon que nous ressuscitions avec un corps rel que nous puissions avec lui retenir le temoignage de nos actions. Au reste on peut voir dans Nieuvenrit une excellente dissertation sur la résurrection. Cet auteur prouve très-bien l’identité que l’on conteste & répond solidement aux objections.