L’Encyclopédie/1re édition/PRÉCEPTEUR

PRÉCEPTEUR, (Econom. domestiq.) On appelle précepteur celui qui est chargé d’instruire & d’élever un enfant avec lequel il est logé dans la maison paternelle.

Montagne disoit, l. I. ch. xxv. « Je voudrois qu’on fût soigneux de choisir à un enfant de maison un conducteur qui eût plutôt la tête bien faite que pleine, & qu’on y requît tous les deux ; mais plus les mœurs & l’entendement que la science. Je voudrois que de belle arrivée, selon la portée de l’ame qu’il a en main, il commençât à la mettre sur la montre, lui faisant goûter les choses, les choisir & discerner d’elles-mêmes ; quelquefois lui ouvrant le chemin, quelquefois le lui laissant ouvrir. Je ne veux pas qu’il invente & parle seul ; je veux qu’il écoute son disciple parler à son tour… Il est bon qu’il le fasse trotter devant lui, pour juger jusqu’à quel point il se doit ravaler pour s’accommoder à sa force… Ceux qui, comme notre usage porte, entreprennent d’une même leçon & pareille mesure de conduite, régenter plusieurs esprits de si diverses mesures & formes, ce n’est pas merveille si en tout un peuple d’enfans ils en rencontrent à peine deux ou trois qui rapportent quelque fruit de leur discipline. Qu’il ne lui demande pas seulement compte des mots de sa leçon, mais du sens & de la substance ; & qu’il juge du profit qu’il aura fait, non par le témoignage de sa mémoire, mais de sa vie… Qu’il lui fasse tout passer par l’estamine, & ne loge rien en sa tête par simple autorité & à crédit ; que les principes d’Aristote ne lui soient principes, non plus que ceux des stoïciens & épicuriens. Qu’on lui propose cette diversité de jugemens, il choisira, s’il peut : sinon il demeurera en doute

Che non men che saver dubiar m’aggrada.

» …. Au demeurant, cette institution se doit conduire par une severe douceur, non comme il se fait. Au lieu de convier les enfans aux lettres, on ne leur présente à la vérité qu’horreur & cruauté : ostez-moi la violence & la force ; il n’est rien, à mon advis, qui abatardisse & étourdisse si fort une nature bien née. Si vous avez envie qu’il craigne la honte & le châtiment, ne l’y endurcissez pas : endurcissez-le à la sueur & au froid, au vent, au soleil & aux hasards, qu’il lui faut mespriser. Ostez-lui toute mollesse & délicatesse au vestir & coucher, au manger & au boire : accoutumez-le à tout. Que ce ne soit pas un beau garçon & dameret, mais un garçon vert & vigoureux. La police de la plûpart de nos colléges m’a toujours déplu ; combien leurs classes seroient plus décemment jonchées de fleurs & de feuillées, que de tronçons d’osier sanglans ! J’y ferois pourtraire la joie, l’allégresse, & Flora & les graces : où est leur profit, que là fût aussi leur esbat ; on doit ensucrer les viandes salubres à l’enfant, & enfieller celles qui lui sont nuisibles ».

Les Romains choisissoient ordinairement entre leurs esclaves celui qui étoit le plus capable d’instruire un jeune enfant. Long-tems l’éducation a été chez eux très-soignée ; mais la mauvaise éducation suivit de près le luxe. Les études furent négligées & altérées, parce qu’elles ne conduisoient plus aux premiers postes de l’état. On vouloit qu’un précepteur coûtât moins qu’un esclave. On sait à ce sujet le beau mot d’un philosophe ; comme il demandoit mille drachmes pour instruire un jeune homme : c’est trop, répondit le pere, il n’en coûte pas plus pour acheter un esclave. Hé bien, à ce prix vous en aurez deux, reprit le philosophe, votre fils & l’esclave que vous acheterez.

On raconte que Diogene étant exposé en vente dans l’île de Crete, pria celui qui le publioit de déclarer qu’il étoit esclave, & qu’il savoit fort bien enseigner les jeunes gens. Ce fut cette publication qui engagea Céniades de l’acheter. On appelloit les précepteurs gardiens, custodes. Horace dit dans sa poétique,

Imberbis juvenis tandem custode remoto.

On est trop heureux de trouver un précepteur ami des muses & de la vertu, qui veuille se charger de l’éducation d’un enfant, & prendre les sentimens d’un pere tendre : rien n’est plus rare qu’un maître de cette sorte. Il y a sans doute encore dans le monde des hommes qui seroient d’excellens précepteurs ; mais comme ils sont sensés, & qu’ils connoissent tout le prix de leur liberté, ils ne peuvent se résoudre à la sacrifier qu’on ne leur donne des dédommagemens capables de les tenter ; c’est-à-dire un peu de fortune & beaucoup de considération. Souvent ils ne trouvent ni l’un ni l’autre : on attache un assez grand mépris à leur profession ; ce mépris est-il bien fondé ? Quoi ! parce que l’enfance est un état de foiblesse, le soin de la perfectionner sera-t-il un emploi bas & honteux ? Que la scene couvre leur maintien de ridicule, il n’est pas moins certain que la plûpart des républiques n’auroient pas eu besoin de faire tant de lois pour réformer les hommes, si elles avoient pris la précaution de former les mœurs des enfans. (D. J.)