L’Encyclopédie/1re édition/PARAPHRÉNESIE

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PARAPHRÉNESIE, s. f. (Médec. prat.) espece de délire phrénétique, qui a quelque symptomes particuliers, & dont on croit que la cause est aux environs du diaphragme, παρα φρενας, d’où lui est venu son nom. Voyez Phrénésie. L’affection du diaphragme qui passe pour occasionner le plus ordinairement la paraphrénésie, est l’inflammation de ce viscere ; aussi compte-t-on parmi les symptomes qui caractérisent cette phrénésie sympathique, une chaleur vive & une douleur aiguë, rapportées au-bas de la poitrine : à ces signes, on joint, outre un délire violent & continuel, une respiration très-difficile, laborieuse, petite & fréquente, un rire inconsidéré, tumultueux, convulsif, une toux opiniâtre, un hoquet presque continuel, une palpitation très-sensible aux hypocondres, qui sont en même tems rentrés, & comme repliés en-dedans ; la douleur de tête est moins forte, les yeux moins étincelans, moins hagards, moins furieux, & le visage moins rouge que dans la phrénésie idiopatique, dont le siege est dans la partie même, où se sont appercevoir les principaux symptomes.

Quoique l’inflammation du diaphragme soit regardée comme la cause la plus ordinaire de la paraphrénésie, il y a des observations qui démontrent que le diaphragme a pu être enflammé sans produire la paraphrénésie, & que cette maladie a existé sans aucune lésion du diaphragme. Willis dit avoir trouvé dans le cadavre d’une jeune fille morte subitement un abscès considérable au diaphragme ; & cependant il n’y avoit jamais eu la moindre marque de paraphrénésie ; le même auteur raconte aussi avoir vu le diaphragme corrodé & même percé par du pus extrémement âcre, qui s’étoit répandu d’un abscès formé entre la plevre & les muscles intercostaux, le malade n’éprouva jamais la plus légere aliénation d’esprit. Cet observateur prétend que l’inflammation avoit dû nécessairement précéder dans le premier cas la formation de l’abscès, & accompagner dans le second la corrosion & l’ouverture du diaphragme, d’où il conclud que cette inflammation n’ayant excité aucun délire, cette phrénésie sympathique est un être de raison, qui n’est appuyé & fondé que sur l’autorité & l’erreur de Galien. Les fauteurs du sentiment contraire pourroient répondre qu’il faut pour produire la paraphrénésie une forte inflammation du diaphragme, & même qu’il faut qu’elle ait son siege dans une partie déterminée ; par exemple, dans la partie tendineuse, qui est la plus sensible & la plus irritable, quoi qu’en dise M. de Haller fondé sur des expériences fautives ; ils pourroient ajouter que cet effet suit plus sûrement une maladie inflammatoire, qu’une simple inflammation produite par des agens extérieurs. Voyez Inflammation & Maladies inflammatoires. Ils pourroient aussi soutenir que parce qu’on ne voit aucune trace d’inflammation dans une partie, on conclueroit très-inconsidérément qu’elle n’a pas été le siege d’une maladie inflammatoire ; ils ne risqueroient rien à assûrer que sur ces maladies on n’a que des connoissances très-imparfaites & bien peu certaines. On ouvre tous les jours de pleurétiques qui ont succombé à la violence d’un point de côté, ou de la fievre aiguë, &c. & l’on ne trouve dans la plevre, dans les muscles intercostaux, dans les poumons aucun vestige d’inflammation. Ne seroit-on pas bien fondé à croire que les observations cadavériques qu’on a fait sonner si haut, n’apportent pas de grandes lumieres ? Hippocrate, qui en étoit totalement privé, a-t-il moins été le premier & le plus grand des Médecins ? Voyez Observations cadavériques. Mais en nous en rapportant uniquement à l’observation exacte & réfléchie des symptomes qu’on observe dans beaucoup de phrénésies, nous pouvons nous convaincre que souvent le délire est la suite d’une affection du diaphragme, inflammatoire ou non, que les dérangemens de ce viscere, qui est comme le pivot de la machine, jettent beaucoup de trouble dans l’économie animale, voyez ce mot ; que souvent des phrénésies qu’on croit idiopathiques, dépendent d’un vice de l’action des estomacs & des intestins : une observation répétée m’a appris qu’il y avoit peu de phrénésies dépendantes d’un vice essentiel & primaire du cerveau : & quoique notre Médecine, assez éclairée pour connoître & dédaigner des explications vagues, mal fondées & ridicules, soit cependant trop peu avancée pour pouvoir donner l’étiologie des délires en général, & sur-tout des délires sympathiques (voyez Délire, Manie, Mélancolie & Phrénésie) ; on peut assûrer en général qu’il y a entre le cerveau & les visceres abdominaux une influence réciproque, un rapport mutuel, très-considérable, dont les effets, à peine soupçonnés par le vulgaire médecin, frappent l’observateur attentif ; que le fameux duumvirat du sublime Vanhelmont, si peu compris & si hardiment rejetté, n’est pas sans fondement ; & enfin que les liaisons, les communications, les sympathies des nerfs pourront servir à des explications plausibles des phénomenes qu’elles produisent quand elles seront mieux observées, plus approfondies & justement évaluées.

Outre les signes que nous avons rapporté & qui peuvent nous faire distinguer la paraphrénésie de la phrénésie, je suis persuadé, d’après bien des observations, qu’on pourroit tirer beaucoup de lumiere des différentes modifications du pouls ; ses caracteres sont très-différens dans les maladies qui attaquent les parties supérieures & dans celles qui se portent vers les parties inférieures : ce que M. de Bordeu a le premier remarqué, & dont il s’est servi pour établir les deux caracteres généraux primitifs du pouls, savoir le supérieur & l’inférieur. Voyez les recherches sur le pouls de cet auteur illustre, & dans ce dictionnaire l’article Pouls. Lorsque dans une phrénésie on trouve le pouls grand, fort élevé, en un mot supérieur, quoique non-critique, la phrénésie peut être regardée comme idiopathique : lorsqu’au contraire le pouls est inférieur, petit, serré, inégal, convulsif, on peut assûrer que c’est une espece de paraphrénésie, c’est-à-dire une phrénésie sympathique, dont le siege est dans le diaphragme, ou dans l’estomac & les intestins ; cette distinction est très-importante, & le signe très-assûré ; j’ai eu très-souvent occasion d’en éprouver les avantages.

On ne peut rien dire en général sur le prognostic de la paraphrénésie, parce que le danger varie suivant tant de circonstances, qu’il faudroit toutes les détailler pour pouvoir avancer quelque chose de positif, le danger est pressant si le diaphragme est réellement enflammé, ce qui est très-rare ; si c’est une simple affection nerveuse, alors l’intensité des symptomes, le nombre, la violence & la variété des accidens décident la grandeur du péril.

La paraphrénésie étant une maladie aiguë, il est évident qu’elle est du ressort de la nature, & qu’elle ne guérira jamais plus sûrément & plutôt que par ses efforts modérés, soutenus & favorisés suivant l’occurrence des cas ; quelques saignées dans le commencement pourront appaiser les symptomes, calmer la vivacité de la douleur ; l’émétique ne paroît du tout point convenable, il irriteroit le mal au moins lorsque l’inflammation est forte ; des légers purgatifs, des boissons acidules, nitrées, un peu incisives, des calmans, des anti-phlogistiques peuvent pendant tout le tems d’irritation être placés avec succès, non pas comme curatifs, mais comme soulageant, comme adminicules propres à amuser, à tempérer & préparer le malade. Lorsque la maladie commence à se terminer, qu’on apperçoit quelques mouvemens critiques, il faut suspendre tout secours & attendre que le couloir par où se doit faire la crise, soit déterminé, alors on y pousse les humeurs par les endroits les plus convenables, suivant le fameux précepte d’Hippocrate, quo natura vergit, &c. la paraphrénésie se termine ordinairement par l’expectoration, ou par les selles ; dans le premier cas, on fait usage des décoctions pectorales des sucs bechiques, & par-dessus tout lorsque la crise est lente du kermès minéral, l’expectorant par excellence ; si la maladie paroît vouloir se terminer par les selles, ce qu’on connoît par différens signes, voyez Crise, & sur-tout par le pouls, voyez Pouls ; on a recours aux purgatifs plus ou moins efficaces, suivant que la nature est plus ou moins engourdie. (m)