L’Encyclopédie/1re édition/PÉTRIFICATION
PETRIFICATION, s. f. (Hist. nat. Minéralogie.) c’est une opération de la nature, par laquelle un corps du regne végétal, ou du regne animal, est converti en pierre, en conservant toujours la forme qu’il avoit auparavant.
Toutes les pierres ne sont formées que par la réunion de molécules terreuses qui ont été on dissoutes, ou détrempées dans de l’eau, voyez l’article Pierres. C’est donc aux eaux seules que l’on doit attribuer la pétrification ; ainsi il s’agit d’examiner de quelle maniere cette opération se fait. Nous prendrons pour exemple le bois, & nous allons considérer comment cette substance, dont le tissu est lâche en comparaison de celui des pierres, peut devenir un corps dur, pesant & compacte, sans rien perdre de sa forme.
Le bois, suivant les analyses, est composé ; 1°. d’une terre qui lui sert de base, ainsi qu’à tous les corps de la nature ; 2°. d’une portion d’eau qui entre dans sa combinaison ; 3°. d’une substance que l’on nomme extractive, qui est ou une gomme, ou une résine, ou qui est l’une & l’autre à la fois ; 4°. d’une substance saline, qui est tantôt de la nature du vitriol, tantôt de celle du nitre, tantôt de celle du sel marin. Le bois est formé par l’assemblage d’un amas de filets ou de fibres, qui sont autant de tuyaux qui donnent passage à la seve ; & il est rempli de pores qui vont du centre à la circonférence. Lorsqu’un morceau de bois est enfoui en terre, il ne tarde point à être pénétré par l’eau ; ce fluide en s’insinuant par ses pores & ses fibres, dissout peu-à-peu les substances dont il est le dissolvant, telles que les parties salines, les parties gommeuses, &c. & s’unit avec l’eau qui étoit déjà contenue dans le bois, & qui faisoit partie de sa combinaison ; par ce moyen il se fait une décomposition du bois, ses parties se détachent les unes des autres ; les pores & les tuyaux se dilatent & s’agrandissent, l’eau y entre comme dans une éponge. Quoique privé de plusieurs de ses principes, le bois conserve son tissu & sa forme, il lui reste encore la terre qui lui sert de base. En effet lorsqu’on brûle une plante avec précaution, c’est-à-dire en la garantissant du vent, il reste une cendre qui est pour ainsi dire le squelette de la plante ; & cette cendre n’est autre chose que la terre & la partie saline de cette même plante. L’eau en circulant sans cesse dans ces fibres ou tuyaux vuidés, y dépose peu-à-peu les molécules terreuses dont elle-même est chargée ; ces molécules se combinent avec celles qui entroient dans la combinaison du bois, elles s’y moulent, elles remplissent, & à l’aide de l’évaporation, ces molécules accumulées se lient les unes avec les autres, & le bois changé en pierre conserve la même forme qu’il avoit auparavant. Alors le bois devient une masse de pierre qui est ou calcaire, ou argilleuse, ou de la nature du caillou & de l’agate, suivant la nature des molécules terreuses que les eaux ont ou dissoutes, ou détrempées, & qu’elles ont charriées & déposées dans les fibres du bois.
Pour que cette opération se fasse, il est aisé de concevoir qu’il faut que la terre dans laquelle est renfermé le corps qui doit se pétrifier, ne soit ni trop seche, ni trop humide. Trop d’eau pourriroit le bois trop promptement, & le réduiroit en terre, avant que les molécules eussent eu le tems de se disposer peu-à-peu, & de se lier les unes aux autres. D’un autre côté, un terrein trop sec ne fourniroit point l’eau qui, comme on a vu, est absolument nécessaire à la pétrification. L’eau ne doit point être en mouvement, parce qu’elle ne pourroit point déposer les molécules dont elle est chargée. Enfin il faut que le corps qui doit se pétrifier, soit garanti du contact de l’air extérieur, dont le mouvement trop violent nuiroit au travail de la nature.
Quelques personnes n’admettent point de pétrification véritable ; elles paroissent fonder leur sentiment sur une dispute de mots. Il est bien certain que toutes les parties du bois ne sont point converties en pierre, il n’y a que celles qui sont terreuses qui soient propres à entrer dans la nouvelle combinaison qui se produit. Quant aux autres principes après avoir été chassés, ils sont remplacés par les molécules que les eaux déposent : c’est ce remplacement que l’on appelle pétrification. Dans ce sens, il y auroit de l’absurdité à nier l’existence des pétrifications. En effet, on a trouvé en plusieurs endroits de la terre, des arbres entiers pétrifiés, avec leurs branches & leurs racines. On appercevoit en les coupant, les cercles annuels de leur croissance ; on en a des morceaux sur lesquels on voit distinctement qu’ils ont été rongés par les vers ; d’autres portent des marques visibles de la coignée & de la scie. Enfin ce qui doit fermer la bouche à l’incrédulité, on a trouvé, quoique rarement, des morceaux de bois dont une portion étoit encore dans l’état d’un bois véritable & propre à brûler, tandis qu’une autre portion étoit changée en agate, ou en une pierre d’une autre espece.
Ce qui vient d’être dit du bois peut s’appliquer aux parties des animaux qui se pétrifient. Les animaux ont ainsi que les végétaux, une terre qui leur sert de base ; c’est cette terre qui forme leurs os, les coquilles ; ils contiennent encore des parties salines & aqueuses ; ils sont remplis de fibres & de pores qui peuvent admettre les eaux de la terre ; ces eaux peuvent déposer dans les pores & interstices de ces substances animales, les molécules terreuses dont elles sont chargées & qui s’y durcissent peu-à-peu. Les substances animales qu’on trouve le plus ordinairement pétrifiées, sont les coquilles, les madrépores, les ossemens de poissons ; cela est assez naturel, vu que ces substances ont déjà par elles-mêmes beaucoup d’analogie avec les pierres, étant composées pour la plus grande partie, de molécules terreuses & calcaires. A l’égard des parties grasses & charnues des animaux, elles sont d’un tissu trop lâche, & trop sujettes à la pourriture, pour pouvoir donner le tems aux eaux de déposer la matiere lapidifique dans leurs fibres.
Quant aux pétrifications des quadrupedes, elles doivent être très-rares, si tant est qu’il en existe ; on trouve assez souvent leurs ossemens enfouis en terre, mais ils ne sont point pétrifiés pour cela ; on doit sur-tout regarder comme très-incertain ce qui a été rapporté par quelques auteurs, d’un cadavre humain pétrifié que l’on dit avoir été trouvé en 1583 aux environs de la ville d’Aix en Provence : on peut en dire autant des hommes pétrifiés que l’on prétend avoir été trouvés dans une montagne de la Suisse ; ces hommes, dit-on, faisoient partie de l’équipage d’un vaisseau qui fut trouvé avec ses agrêts au même endroit. Ces faits sont aussi fabuleux que la prétendue ville de Bidoblo en Afrique, dont on nous conte que tous les habitans ont été pétrifiés. Le merveilleux de cette histoire disparoîtra si l’on fait attention que souvent les voyageurs qui passent dans les endroits sablonneux de l’Arabie & de la Lybie, sont tout d’un coup ensevelis sous des montagnes de sable que le vent éleve, quelques siecles après on retrouve leurs cadavres durcis & desséchés, évenement qui a pu arriver aux habitans de la ville de Bidoblo.
Un grand nombre d’auteurs nous parlent d’ossemens de quadrupedes pétrifiés ; cependant en regardant la chose de près, on trouvera que rien n’est moins decidé que leur existance, & l’on verra que les ossemens des quadrupedes que l’on rencontre en terre, sont ou dans leur état naturel, ou simplement rongés & calcinés. Voyez les articles Ossemens fossiles, Ivoire fossile, &c. Cependant il peut se faire que ces os, par leur séjour dans la terre, aient acquis une dureté beaucoup plus grande qu’ils n’avoient auparavant, mais cela n’autorise point à les mettre au rang des pétrifications.
On a aussi raison de se défier des prétendus oiseaux pétrifiés avec leurs œufs, que l’on assure se trouver au pays de Hesse, dans le Westerwald, dans une montagne appellée Vogelsberg. On doit porter le même jugement des crapaux, des lézards, & même des serpens pétrifiés qui se sont quelquefois trouvés en terre ; quant aux serpens il y a lieu de soupçonner que des gens peu instruits auront pû être trompés par des cornes d’ammon, qui ressemblent assez à un serpent entortillé.
La chose est beaucoup plus certaine pour les animaux marins, & l’on est assuré qu’il s’en trouve de pétrifiés ; près des villages de Mary & de Lisy, dans le voisinage de Meaux, on trouve une grande quantité de crabes pétrifiés ; on rencontre en plusieurs autres endroits des dents & des palais de poissons pétrifiés, &c. au point de donner des étincelles lorsqu’on les frappe avec un briquet. Telles sont les pierres que l’on nomme crapaudines, giossopetres, &c. Voyez ces articles. Les belemnites, les cornes d’ammon, les oursins ou échinites, & un grand nombre de coquilles & de litophytes sont souvent véritablement pétrifiés ; on en voit qui sont entierement changés en cailloux ou en agathe ; d’autres ont servi de moule à la matiere lapidifique qui a été reçue dans l’intérieur de ces corps ; mais ce seroit se tromper que de mettre tous les corps marins qui se trouvent dans le sein de la terre au rang des pétrifications ; quelques-uns de ces corps n’ont éprouvé aucune altération, d’autres ont été simplement rongés, ont perdu leur liaison, ce qui ne peut passer pour un changement en pierre ; d’où l’on voit que l’on ne doit pas donner indistinctement le nom de pétrification à toutes les coquilles ou corps marins qui se trouvent enfouis dans les couches de la terre. Voyez l’article Fossile. Lorsqu’on veut parler avec exactitude, il seroit à propos de distinguer même les pierres qui sont venues se mouler dans l’intérieur des coquilles ou des corps marins, des vraies pétrifications. En effet, on voit souvent des pierres ainsi formées ou moulées, qui sont encore enveloppées de la coquille qui a servi de moule à la matiere lapidifique, la coquille elle-même n’a point été changée, elle est souvent dans son état naturel. Il ne faut point croire non plus que l’animal qui logeoit dans ces coquilles ait été converti en pierre, tout ce qu’on peut dire, c’est que le suc pierreux est venu occuper la place de l’animal.
Ce seroit encore se tromper que de prendre pour une vraie pétrification les incrustations ou croûtes pierreuses qui se forment à l’entour de quelques substances qui ont séjourné quelque tems au fond de certaines eaux ; les molécules terreuses contenues dans ces eaux se sont déposées sur les feuilles ou les plantes, & les ont couvertes d’un enduit qui s’est durci & changé en pierre, en conservant la forme du corps sur lequel ces molécules se sont déposées, tandis que le corps lui-même s’est pourri & a disparu. Voyez Incrustation.
On ne doit pas non plus confondre avec les pétrifications, les empreintes des végétaux ou des poissons qui se trouvent sur quelques pierres ; la pierre qui porte ces empreintes, étant dans un état de mollesse, a pris la figure du corps qu’elle enveloppoit, elle s’est durcie peu-à-peu, & le corps qui a fait l’empreinte a souvent entierement disparu. Voyez Phytolites & Typolites.
Enfin on ne peut donner le nom de pétrifications aux pierres à qui des circonstances fortuites ont fait prendre dans le sein de la terre des formes bisarres, qui peuvent quelquefois avoir de la ressemblance avec des corps étrangers au regne minéral. Voyez l’article Jeux de la nature.
Les vraies pétrifications sont donc les substances, soit animales, soit végétales, qui ont été pénétrées & imbibées du suc pierreux, qui est venu remplacer les principes dont ces corps étoient originairement composés, sans changer leur structure & leur tissu. Une infinité d’exemples nous prouvent que la terre renferme des pétrifications de cette espece, elles portent si distinctement la forme du corps animal ou végétal qu’elles étoient originairement, qu’il est impossible de s’y tromper ; c’est ainsi que nous avons un grand nombre de bois pétrifiés. En Franche-Comté, près de Salins, on à trouvé une assez grande quantité de noix & de noisettes entierement changées en pierre. On a trouvé aussi des châtaignes, des pommes de pin, & d’autres fruits semblables véritablement pétrifiés ; mais il faut convenir que l’on voit souvent dans les collections des curieux des pierres que l’on veut faire passer pour des pétrifications, & qui ne sont réellement redevables de leur figure qu’à des effets du hasard.
Quelques naturalistes ont été très-curieux de savoir combien la nature employoit de tems à la pétrification, ils ont cru que cela pourroit faire connoître l’antiquité de notre globe. L’empereur François I. actuellement regnant, dont le goût pour l’histoire naturelle est connu de tout le monde, fit tirer du Danube un pilotis qui avoit servi à un pont que Trajan a fait bâtir sur ce fleuve en Servie. Ce pilotis étoit pétrifié tout autour à-peu-près d’un travers de doigt d’épaisseur. Il paroit que cette voie seroit très-peu sure pour nous faire découvrir l’âge du monde, vû que certaines eaux sont plus chargées que d’autres de molécules lapidifiques, certains terreins peuvent être plus propres que d’autres à la pétrification, & quelques substances peuvent être plus disposées que d’autres à recevoir les sucs pétrifians ; nous en avons un exemple dans le lac d’Irlande, que l’on nomme Lough-neagh. Voyez cet article. (—)