L’Encyclopédie/1re édition/PÉRIPHRASE

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PÉRIPHRASE, s. f. (Rhétorique.) c’est-à-dire circonlocution, détour de mots, figure dont Quintilien a si bien traité, liv. VIII. c. vj. Quod uni aut paucioribus dici potest, explicatur, periphrasim vocant, circuitum loquendi, qui non numquam necessitatem habet, quoties dictu deformia operit… Interim ornatum petit, solum qui est apud Poëtas frequentissimus, & apud Oratores non tarus, semper tamen adstrictior. Il est de la décence de recourir aux périphrases, pour faire entendre les choses qu’il ne convient pas de nommer. Ces tours d’expression sont souvent nécessaires aux Orateurs. La périphrase en étendant le discours le releve ; mais il la faut employer avec choix & avec mesure, pour qu’elle soit orationis dilucidior circuitio & pour y produire une belle harmonie.

Platon dans une oraison funebre parle ainsi : « Enfin, messieurs, nous leur avons rendu les derniers devoirs, & maintenant ils achevent ce fatal voyage ». Il appelle la mort ce fatal voyage ; ensuite il parle des derniers devoirs comme d’une pompe publique que leur pays leur avoit préparée exprès, pour les conduire hors de cette vie. De même Xénophon ne dit point, vous travaillez beaucoup ; mais, « vous regardez le travail comme le seul guide qui peut vous conduire à une vie heureuse ».

La périphrase suivante d’Hérodote, est encore plus délicate. La déesse Vénus pour châtier l’insolence des Scythes, qui avoient osé piller son temple, leur envoya une maladie qui les rendoit femmes. Il y a dans le grec θήλειαν νοῦσον ; c’est vraissemblablement le vice de ceux dont S. Grégoire de Naziance dit qu’ils sont.

Ἀσωτίας αἴνιγμα, καὶ γρῖφος παθῶν
Ἄνδρες γυναιξὶ καὶ γυναῖκες ἀνδράσιν.

Un passage du Scholiaste de Thucydide est décisif. Il parle de Philoctete qu’on sait avoir été puni par Vénus de la même maniere qu’Hérodote dit qu’elle punit les Scythes.

Cicéron dans son plaidoyer pour Milon, use d’une périphrase encore plus belle que celle de l’historien grec. Au lieu de dire que les esclaves de Milon tuerent Clodius, il dit : fecerunt servi Milonis, neque imperante, neque sciente, neque præsente domino, id quod suos quisque servos in tali re facere voluisset. Cet exemple, aussi-bien que celui d’Hérodote, entre dans le trope que l’on nomme euphémisme, par lequel on déguise des idées desagréables, odieuses, ou tristes, sous des noms qui ne sont point les noms propres de ces idées : ils leur servent comme de voiles ; & ils en expriment en apparence de plus agréables, de moins choquantes, ou de plus honnêtes, selon le besoin.

L’usage de la périphrase peut s’étendre fort loin, & la Poésie en tire souvent beaucoup d’éclat ; mais il faut alors qu’elle fasse une belle image. On a eu raison de blâmer cette périphrase de Racine, dans le récit de Théramene.

Cependant sur le dos de la plaine liquide
S’éleve à gros bouillons une montagne humide.

Une montagne humide qui s’éleve à gros bouillons sur la plaine liquide, est proprement de l’enflûre. Le dos de la plaine liquide, est une métaphore qui ne peut se transporter du latin en françois ; enfin, la périphrase n’est pas exacte, & sort du langage de la tragédie.

Mais les deux vers suivans.

Indomptable taureau, dragon impétueux,
Sa croupe se recourbe en replis tortueux.


Ces deux vers, dis-je, sont bien éloignés d’être une périphrase gigantesque ; c’est de la grande poésie, où se trouve la précision du dessein, & le hardiesse du coloris. Oublions seulement que c’est Théramene qui parle. (D. J.)