L’Encyclopédie/1re édition/PÉRIPLE

PERIPLOCA  ►

PÉRIPLE, s. m. (Géog. anc.) ce mot veut dire journal de navigation autour d’une mer, ou de quelque côte ; nous connoissons en ce genre le périple de Scyllax, le périple d’Hannon, le périple de Pythéas, & le périple d’Arrien, qui décrivit toutes les côtes de la mer Noire, après les avoir reconnues en qualité de général de l’empereur Adrien, à qui il en dédia la description sous le nom du périple du Pont-Euxin.

Scylax, célebre géographe, né dans la Carie, florissoit quelque tems après Hannon, c’est-à-dire environ 330 ans avant J. C. Nous avons sous son nom un périple intéressant, qui est peut-être un court abrégé de son ouvrage. Il y est parlé de quelques villes phéniciennes bâties sur la côte d’Afrique, entre autres de la ville de Thymiaterium, que bâtit Hannon.

Le périple d’Hannon paroît donc le plus ancien, & le seul morceau de ce genre que nous ayons en original. Il est antérieur au commencement du regne d’Alexandre, c’est-à-dire, à l’an 336 avant J. C. puisqu’il y parle de Tyr, comme d’une ville florissante, qui a un roi particulier, & qui est située dans une île séparée du continent par un détroit de trois stades. On voit par-là, que le voyage d’Hannon est plus ancien que l’an 300 avant J. C. Pline dit qu’il fut fait dans le tems de la puissance des Carthaginois, Carthaginis potentiâ florente ; mais cette puissance a commencé de si bonne heure, qu’on ne peut en fixer la date précise.

Strabon, l. I. p. 47. traite de fabuleuse la relation du célebre amiral de Carthage. Dodwel regarde aussi le voyage d’Hannon comme un roman de quelques grecs déguisés sous un nom punique ; mais malgré toute l’érudition qu’il prodigue à l’appui de ses raisonnemens, il n’a pas convaincu l’auteur de l’esprit des Lois. M. de Montesquieu met le périple d’Hannon au nombre des plus précieux monumens de l’antiquité ; & M. de Bougainville adoptant le même sentiment, a donné dans le recueil de l’académie des Inscriptions, tome XXVI. un mémoire curieux sur ce voyage, outre la traduction du périple même d’Hannon, accompagnée des éclaircissemens nécessaires. En voici le précis.

Hannon partit du port de Carthage à la tête de soixante vaisseaux, qui portoient une grande multitude de passagers hommes & femmes, destinés à peupler les colonies qu’il alloit établir. Cette flotte nombreuse étoit chargée de vivres & de munitions de toute espece, soit pour le voyage, soit pour les nouveaux établissemens. Les anciennes colonies carthaginoises étoient semées depuis Carthage jusqu’au détroit : ainsi les opérations ne devoient commencer qu’au-delà de ce terme.

Hannon ayant passé le détroit, ne s’arrêta qu’après deux journées de navigation, près du promontoire Hermeum, aujourd’hui le cap Cautin ; & ce fut au midi de ce cap, qu’il établit sa premiere peuplade. La flotte continua sa route jusqu’à un cap ombragé d’arbres, qu’Hannon nomme Solaé, & que le périple de Scylax, met à trois journées plus loin que le précédent ; c’est vraissemblablement le cap Bojador, ainsi nommé par les Portugais, à cause du courant très-dangereux que forment à cet endroit les vagues qui s’y brisent avec impétuosité.

Les Carthaginois doublerent le cap ; une demi-journée les conduisit à la vue d’un grand lac voisin de la mer, rempli de roseaux, & dont les bords étoient peuplés d’éléphans & d’animaux sauvages. Trois journées & demie de navigation séparent ce lac d’une riviere nommée Lixus, par l’amiral carthaginois. Il jetta l’ancre à l’embouchure de cette riviere, & séjourna quelque tems pour lier commerce avec les Nomades Lixites, répandus le long des bords du Liceus. Ce fleuve ne peut être que le Riodo-Ouro, espece de bras de mer, ou d’étang d’eau salée, qu’Hannon aura pris pour une grande riviere à son embouchure.

Ensuite la flotte mouilla près d’une île qu’Hannon appelle Cerné ; & il laissa dans cette île des habitans pour y former une colonie. Cerné n’est autre que notre île d’Arquin, nommée Ghir par les Maures : elle est à cinquante milles du cap Blanc, dans une grande baie formée par ce cap, & par un banc de sable de plus de cinquante milles d’étendue du nord au sud, & un peu moins d’une lieue de large de l’est à l’ouest. Sa distance du continent de l’Afrique, n’est guere que d’une lieue.

Hannon s’étant remis en mer, s’avança jusqu’au bord d’un grand fleuve qu’il nomme Chrès, à l’extrémité duquel il vit de hautes montagnes habitées par des sauvages vétus de peaux de bêtes féroces. Ces sauvages s’opposerent à la descente des Carthaginois, & les repousserent à coups de pierres : selon toute apparence, ce fleuve Chrès, est la riviere de S. Jean, qui coule au sud d’Arquin, à l’extrémité méridionale du grand banc. Elle reçoit les eaux de plusieurs lacs considérables, & forme quelques îles dans son canal, outre celles qu’on voit au nord de son embouchure. Ses environs en sont habités par les Nomades de la même espece que ceux du Lixus ; & ce sont-là probablement les sauvages que vit Hannon.

Ayant continué sa navigation le long de la côte vers le midi, elle le conduisit à un autre fleuve très large & très-profond, rempli de crocodiles & d’hyppopotames. La grandeur de ce fleuve, & les animaux féroces qu’il nourrit, désignent certainement le Sénégal. Il borna sa navigation particuliere à ce grand fleuve, & rebroussant chemin, il alla chercher le reste de sa flotte dans la rade de Cerné.

Après douze jours de navigation le long d’une côte unie, les Carthaginois découvrirent un pays élevé, & des montagnes ombragées de forêts ; ces montagnes boisées d’Hannon, doivent être celles de Serra-Liona, qui commencent au-delà de Rio-Grande, & continuent jusqu’au cap Sainte-Anne.

Hannon mit vingt-six jours, nettement exprimés dans son périple, à venir de l’île de Cerne, jusqu’au golfe, qu’il nomme la corne du midi ; c’est le golfe de la côte de Guinée, qui s’étend jusqu’aux côtes de Benin, & qui commençant vers l’ouest du cap des trois pointes, finit à l’est par le cap Formoso.

Hannon découvrit dans ce golfe une île particuliere, remplie de sauvages, parmi lesquels il crut voir beaucoup plus de femmes que d’hommes. Elles avoient le corps tout velu, & les interpretes d’Hannon les nommoient Gorilles. Les Carthaginois poursuivirent ces sauvages, qui leur échapperent par la légereté de leur course. Ils saisirent trois des femmes ; mais on ne put les garder en vie, tant elles étoient féroces ; il fallut les tuer, & leurs peaux furent portées à Carthage, où jusqu’au tems de la ruine de cette ville, on les conserva dans le temple de Junon. L’île des Gorilles, est quelqu’une de celles qu’on trouve en assez grand nombre dans ce lac. Les pays voisins sont remplis d’animaux pareils à ceux qu’Hannon prit pour des hommes sauvages. C’étoient, suivant la conjecture de Ramusio, commentateur d’Hannon, des singes de la grande espece, dont les forêts de l’Afrique intérieure sont peuplées.

Le cap des Trois-pointes fut le terme des découvertes d’Hannon ; la disette des vivres l’obligea de ramener sa flotte à Carthage, il y rentra plein de gloire, après avoir pénétré jusqu’au cinquieme degré de latitude, prit possession d’une côte de près de six cens lieues, par l’établissement de plusieurs colonies, depuis le détroit jusqu’à Cerné, & fondé dans cette île, un entrepôt sûr & commode pour le commerce de ses compatriotes, qui s’accrut considérablement depuis cette expédition.

On n’a pas de preuves que les Carthaginois aient dans la suite conservé toutes les connoissances qu’ils devoient au voyage d’Hannon. Il est même à présumer que leurs marchands n’allerent pas d’abord au-delà du Sénégal, & que peu-à-peu ils resterent beaucoup en-deçà de ce fleuve.

Au tems de Scylax, l’île de Cerné étoit devenue le terme de la navigation pour les gros bâtimens. La colonie d’Hannon s’y maintint ; & Cerné fut toujours l’entrepôt du commerce des Carthaginois au Sud de l’Afrique. Leurs gros navires restoient à la rade de l’île ; la côte ultérieure n’étant pas aisément navigable, à cause des écueils & des bas fonds couverts d’herbes qu’on y rencontre fréquemment. Ils s’embarquerent à Cerné sur des bâtimens légers, à bord desquels ils alloient faire la traite le long des côtes, & même dans les rivieres, qu’ils remontoient assez avant.

Scylax fait mention d’une ville d’Ethiopiens ou de negres, où ils alloient commercer, & nous donne un détail des marchandises qui faisoient de part & d’autre la matiere de ce commerce. Les Carthaginois y portoient des vases de terre, des tuiles, des parfums d’Egypte, & quelques bijoux de peu de conséquence pour les femmes. En échange, ils en recevoient des peaux de cerfs, de lions, & de pantheres, des cuirs, & des dents d’éléphans. Ces cuirs étoient d’un grand usage pour les cuirasses & les bouchers.

Scylax garde le silence sur la poudre d’or qu’ils tiroient aussi de ces contrées ; c’est un secret de leur commerce, qu’il ignoroit sans doute, n’ayant consulté que les routiers des pilotes, ou l’on n’avoit garde de faire mention de cet article important. Mais Hérodote, instruit par l’indiscrétion de quelque Carthaginois, nous l’a révélé dans son histoire, liv. IV. ch. cxcvj.

On voit encore dans l’île d’Arquin, un monument du long séjour des Carthaginois ; ce sont deux citernes couvertes, creusées dans le roc avec un travail immense, pour rassembler les eaux de diverses sources, & les défendre contre la chaleur immodérée du climat. Ces citernes marquées dans quelques plans du fort appartenant dans cette île à la compagnie des Indes françoises, contiennent assez d’eau pour en fournir plusieurs gros bâtimens. Ce n’est point un ouvrage des Maures ; ces peuples maîtres de l’intérieur du pays & des côtes, n’avoient nul besoin de l’entreprendre ; d’ailleurs, ils ne sont pas navigateurs, ainsi nous sommes obligés de l’attribuer aux Carthaginois, anciens possesseurs de l’île, depuis la découverte d’Hannon.

Ce grand homme de retour à Carthage, déposa dans le temple une espece de journal ou de sommaire de la navigation ; c’est le périple qui porte son nom, & dont l’original, perdu depuis long-tems, a eu le sort de tous les écrits composés par ses compatriotes. Le peu de familiarité des anciens avec la langue & les caracteres puniques, l’indifférence des Grecs, & la haine des Romains, ont fait périr les ouvrages des Carthaginois, sans qu’un seul ait pû se soustraire à la proscription générale ; perte réelle pour la postérité, que les monumens de littérature & d’histoire Carthaginoise auroient instruite de l’état de l’Afrique intérieure, de celui de l’ancienne Espagne, & d’une infinité de faits inconnus aux Grecs, concentrés en eux-mêmes ; & qui trop superficiels pour rien approfondir, étoient trop énorgueillis de la supériorité qu’ils avoient dans les arts, & de celle qu’ils prétendoient dans les sciences, pour ne pas nier tout ce qu’ils ignoroient.

Le périple d’Hannon avoit été traduit en grec, vraissemblablement par quelque Sicilien, devenu sujet de Carthage, depuis qu’elle eût soumis une partie de la Sicile à la domination. Le traducteur a défiguré quelques termes de l’original, & peut-être même ne nous en a-t-il conservé qu’un extrait. Du-moins, c’est ce qu’on présume au premier coup d’œil, en comparant la briéveté du périple avec la longueur de l’expédition. Peut-être aussi ce périple d’Hannon traduit par un Grec, étoit-il l’abrégé fait par Hannon lui-même, d’un journal complet & circonstancié, que les principes exclusifs de la politique carthaginoise, ne lui permettoient pas de rendre public.

En effet, on ne trouve dans ce qui nous reste nul détail sur les différens objets du nouveau commerce dont cette entreprise ouvroit la route aux Carthaginois, & particulierement sur cet or, qu’ils alloient acheter pour des marchandises de peu de valeur ; articles sur lesquels le gouvernement ne pouvoit avoir trop de lumieres, & qu’Hannon n’avoit pas sans doute oubliés dans son récit. Mais on sait avec quelle jalousie ces républicains cachoient aux étrangers les sources de leur opulence ; ce fut toujours pour eux un des secrets de l’état, & les anciens nous ont transmis plus d’un exemple des précautions qu’ils prenoient, pour rendre impénétrable à leurs rivaux le voile dont ils cherchoient à se couvrir.

Pythéas, né à Marseille, vers le milieu ou la fin du quatrieme siecle, avant J. C. est célebre par ses connoissances astronomiques, & par ses voyages. Il partit du port de sa patrie, & voguant de cap en cap, il côtoya toute la partie orientale de l’Espagne, pour entrer dans le bras de la Méditerranée, qui baignant le midi de ce royaume, & le nord de l’Afrique, se joint à l’Océan par le détroit de Gibraltar.

Au sortir du détroit, il remonta vers le nord ; le long des côtes de la Lusitanie, & continuant de faire le tour de l’Espagne, il gagna les côtes de l’Aquitaine & de l’Armorique, qu’il doubla pour entrer dans le canal qu’on nomme aujourd’hui la Manche. Au-delà du canal, il suivit les côtes orientales de l’île Britannique ; & lorsqu’il fut à sa partie la plus septentrionale, poussant toujours vers le nord ; il s’avança en six journées de navigation, jusqu’à un pays que les Barbares nommoient Thulé, & où la durée du jour solsticial étoit de vingt-quatre heures ; ce qui suppose 66′ 30″ de latitude septentrionale. Ce pays est l’Islande, située entre les 65 & 67′ de latitude ; c’est Strabon qui nous fournit ce détail.

Le voyage au nord de l’île Britannique, n’est pas le seul qu’ait fait Pithéas ; il en entreprit un second vers le nord-est de l’Europe ; & suivant dans celui-ci, comme il avoit fait dans le premier, toute la côte occidentale de l’Océan, il entra par le canal de la Manche dans la mer du nord, & de celle-ci par le détroit du Sond dans la mer Baltique, dans laquelle il vogua jusqu’à l’embouchure d’un fleuve, auquel il donna le nom de Tanaïs, & qui fut le terme de ses courses.

Le fleuve Tanaïs de ce voyageur, étoit une des rivieres qui se jettent dans la mer Baltique ; peut-être la Vistule ou le Redaune, qui tombent dans ce fleuve auprès de Dantzig. La quantité de succin que l’on trouve sur leurs bords, rend cette conjecture assez vraissemblable. Le mot Tana ou Thènes entroit, suivant l’observation de Leibnitz, dans la composition des noms de la plûpart des grands fleuves du nord.

Pythéas composa en grec deux ouvrages, dans lesquels il exposoit ce qu’il avoit vû de remarquable. Le premier sous le titre de description de l’Océan, contenoit une relation de son voyage par mer depuis Gadés jusqu’à Thulé ; le second étoit la description de celui qu’il avoit fait le long des côtes de l’Océan, jusques dans la mer Baltique.

Ce second ouvrage est appellé période par un ancien scholiaste d’Apollonius de Rhodes, & périple dans l’abrégé d’Artémidore d’Ephèse ; ce qui pourroit faire croire que le voyage, dont il exposoit l’histoire, avoit été en partie par terre, en partie par mer. Nous n’avons plus que quelques citations de ces écrits de Pythéas ; encore faut-il les prendre le plus souvent chez des auteurs prévenus contre lui.

Dans le tems que Pythéas alloit vers le septentrion pour reconnoître les îles qui fournissoient l’étain, & les contrées d’où l’on pouvoit tirer l’ambre jaune ; un autre Marseillois fut envoyé par ses compatriotes vers le midi, pour découvrir sur les côtes d’Afrique les pays d’où on tiroit la poudre d’or ; ce Marseillois nommé Euthymene, fit un voyage dans l’Océan du côté du Sud, dans lequel tomboit un fleuve considérable qui couloit vers l’occident, & dont les bords étoient peuplés de crocodiles.

Strabon a eu tort de te déchaîner en toutes occasions contre les observations de Pythéas dans ses voyages ; s’il avoit fait plus d’usage de son esprit & de son savoir, il auroit rendu plus de justice à ce célebre marseillois ; non que ses relations soient exemptes de fautes, comme on le reconnoît par le peu de fragmens qui nous en restent. Etranger dans les pays qu’il a décrits, il n’avoit eu ni le tems, ni la facilité de vérifier ce que lui disoient les habitans ; il vivoit dans un siecle rempli de préjugés sur les matieres physiques. Enfin, il étoit grec & voyageur ; que de sources de méprises, & peut-être de fictions !

Mais ces méprises que produit une ignorance qu’on ne peut pas même blâmer, ces fictions de détail que seme dans une relation l’amour du merveilleux, autorisent-elles à rejetter une foule de vérités, qui fait l’essentiel de l’ouvrage ? En remarquant ces fautes de quelque genre qu’elles fussent, en condamnant même avec sévérité celles qui méritoient de l’être, il falloit louer l’exactitude des observations de Pythéas, & faire sentir le mérite de ses voyages & de ses découvertes. Il falloit en un mot, le représenter comme un homme auquel on ne peut refuser l’honneur d’avoir établi le premier la distinction des climats, par la différente longueur des jours & des nuits, & frayé la route vers des contrées que l’on croyoit inhabitables. Toutes ces judicieuses réfléxions sont de M. de Bougainville ; il nous reste à parler d’Arrien & de son périple.

Cet historien & philosophe célebre, étoit de Nicomédie en Bithynie. Il fleurissoit du tems d’Adrien, & des deux Antonius ; son savoir & son éloquence lui firent donner le titre de nouveau Xenophon, & l’éleverent dans Rome à toutes les dignités, jusqu’au consulat. Il étoit gouverneur de Cappadoce l’an 134 de J. C. & nous avons de lui la relation d’un voyage qu’il fit autour du Pont-Euxin, & qu’il adressa à l’empereur Adrien.

Cet ouvrage connu sous le nom de periplus Ponti-Euxini, a paru en grec à Genève en 1577 ; M. Fabricius ne parle d’aucune édition de Genève ; il en cite une de 1577 de Lyon, in-fol. en grec & en latin, de la version d’Adrien Turnebe, procurée par Jean-Guillaume Auckius de Zurich, qui fit imprimer dans ce même volume le periplus maris Erythrai, avec le commentaire & les cartes d’Abraham Ortelius. La premiere édition en grec est de Bâle, chez Froben en 1533, in-4°. Sigismond Gelenius donna dans un volume, le periplus Ponti Euxini, le periplus maris Erythrœi, le voyage de Hannon, le traité de Plutarque, des Fleuves & des Montagnes, & l’abrégé de Strabon. Il y a d’autres éditions plus nouvelles, & entr’autres celle de M. Hudson en 1698, à Oxford, qui a donné les deux voyages, dans le premier tome de son recueil des anciens géographes Grecs, nommés les Petits, avec de savantes dissertations chronologiques de Dodwell, mais qui ne sont pas exemptes de préjugés.

Le periplus Ponti Euxini, ou navigation du Pont-Euxin, n’est que comme une lettre ou une relation adressée à l’empereur Adrien, par Arrien. Il commandoit alors à Trébizonde & aux environs, soit que ces pays fussent du gouvernement de la Cappadoce, soit qu’il ait eu une commission particuliere pour les visiter, soit qu’il ait été aussi gouverneur de cette partie du Pont.

Il commence sa relation par son arrivée à Trébizonde, où Adrien faisoit alors bâtir un temple de Mercure. Il s’embarqua à Trébizonde, pour aller faire le tour du Pont-Euxin du côté de l’Orient. Il passa la riviere du Phase, dont il remarque que l’eau nage long-tems sur celle de la mer, parce qu’elle est extrèmement légere, & qu’elle se garde plus de dix ans sans se corrompre. Il y avoit-là un château gardé par quatre cens soldats romains, & un bourg habité par des vétérans & par quelques gens de mer ; Adrien ordonna d’y faire un nouveau fossé pour la sureté du bourg. Il termina sa navigation à Sébastople, où étoit la derniere garnison romaine. Il fut attaqué dans ce voyage d’une grande tempête ; dont un de ses vaisseaux fut brisé.

Entre les peuples barbares dont il cotoya le pays, les plus voisins de Trebizonde, & aussi les plus belliqueux, étoient les Sannes nommés Drilles par Xénophon ; ils n’avoient point de rois. Ils avoient autrefois payé tribut aux Romains, & Arrien promet à Adrien de les y réduire de nouveau, ou de les exterminer. Il ne fit pas le dernier, car plusieurs siecles après on parloit encore des Tranes, qui sont sans doute les mêmes que les Sannes. Il paroît que ces Sannes habitoient une partie de la Colchide, que l’on distinguoit alors du pays des Lazes.

A la relation de son voyage, il joint une description de la côte de l’Asie, depuis Bysance jusqu’a Trébizonde, & une autre du pays qui est depuis Sébastople jusqu’au Bosphore Cimmérien, & depuis le Bosphore jusqu’à Bysance, afin qu’Adrien pût prendre sur cela ses mesures, s’il vouloit entrer dans les affaires du Bosphore, dont il lui mande que le roi Cotys étoit mort depuis peu de tems.

Nous avons aussi sous le nom d’Arrien, une description des côtes de la mer Rouge, c’est-à-dire des côtes orientales de l’Afrique, & de celles de l’Asie jusqu’aux Indes : l’inscription latine est à l’empereur Adrien ; quoi qu’il ne soit point parlé de lui dans la description même. Saumaise croit qu’elle a été écrite du tems de Pline le naturaliste, ou même un peu avant lui, & qu’ainsi elle ne peut être d’Arrien de Nicomédie, ni même adressée à l’empereur Adrien ; c’est ce qu’il conclud de ce qu’il y est fait mention de plusieurs princes qui vivoient du tems de Pline. A ces preuves, M. de Tillemont ajoute un passage de la description, où il est dit qu’on alloit du bourg de Lencé à Pétra vers Malican, roi des nabathéens ; or la ville de Pétra & toute l’Arabie Pétrée, avoit été soumise aux Romains dès l’an 105 de J. C. & réduite ensuite en province, & l’on ne trouve point qu’Adrien l’ait abandonnée ; au contraire, on a des médailles de la ville de Pétra sous cet empereur, avec le titre de métropole.

Il faut donc que cette description soit antécédente à l’année 105 : & par conséquent elle n’est point d’Arrien, qui vivoit encore sous Marc-Aurele, c’est-à-dire après l’an 160. Enfin l’auteur parle de l’Egypte comme de son pays, & fait quelquefois usage des mois Egyptiens. M. de Tillemont croit donc que cet ouvrage pourroit être de celui à qui Pline le jeune écrit plusieurs lettres, comme à une personne habile & éloquente, & qui passoit pour un imitateur de Démosthene : il paroît que dès le tems de Nerva, ou dans les premieres années de Trajan, cet Arrien s’étoit retiré pour vivre tranquillement, ce qui n’étoit permis aux sénateurs, que dans un âge fort avancé ; ainsi cela ne convient point au disciple d’Epictete.

Si maintenant l’on veut joindre à ces détails de l’antiquité, les descriptions de nos navigateurs modernes, dont on a parlé en leur heu, on aura l’histoire complete de la navigation, & cette histoire est fort intéressante. (Le Chevalier de Jaucourt.)