L’Encyclopédie/1re édition/NEGRE
NEGRE, s. m. (Hist. nat.) homme qui habite différentes parties de la terre. Depuis le tropique du cancer jusqu’à celui du capricorne l’Afrique n’a que des habitans noirs. Non-seulement leur couleur les distingue, mais ils different des autres hommes par tous les traits de leur visage, des nez larges & plats, de grosses levres, & de la laine au lieu de cheveux, paroissent constituer une nouvelle espece d’hommes.
Si l’on s’éloigne de l’équateur vers le pole antartique, le noir s’eclaircit, mais la laideur demeure : on trouve ce vilain peuple qui habite la pointe méridionale d’Afrique.
Qu’on remonte vers l’orient, on verra des peuples dont les traits se radoucissent & deviennent plus réguliers, mais dont la couleur est aussi noire que celle qu’on trouve en Afrique.
Après ceux-là un grand peuple basané est distingué des autres peuples par des yeux longs, étroits & placés obliquement.
Si l’on passe dans cette vaste partie du monde qui paroît séparée de l’Europe, de l’Afrique & de l’Asie, on trouve, comme on peut croire, bien de nouvelles variétés. Il n’y a point d’hommes blancs : cette terre peuplée de nations rougeâtres & basanées de mille nuances, se termine vers le pole antartique par un cap & des îles habitées, dit-on, par des géans. Si l’on en croit des relations de plusieurs voyageurs, on trouve à cette extrémité de l’Amérique une race d’hommes dont la hauteur est presque double de la nôtre.
Avant que de sortir de notre continent, nous aurions pû parler d’une autre espece d’hommes bien différens de ceux-ci. Les habitans de l’extrémité septentrionale de l’Europe sont les plus petits de tous ceux qui nous sont connus. Les Lapons du côté du nord, les Patagons du côté du midi paroissent les termes extrèmes de la race des hommes.
Je ne finirois point si je parlois des habitans des îles que l’on rencontre dans la mer des Indes, & de celles qui sont dans ce vaste Océan, qui remplit l’intervalle entre l’Asie & l’Amérique. Chaque peuple, chaque nation a sa forme comme sa langue ; & la forme n’est elle pas une espece de langue elle-même, & celle de toutes qui se fait le mieux entendre ?
Si l’on parcouroit toutes ces îles, on trouveroit peut-être dans quelques-unes des habitans bien plus embarrassans pour nous que les noirs, auxquels nous aurions bien de la peine à refuser ou à donner le nom d’hommes. Les habitans des forêts de Bornéo dont parlent quelques voyageurs, si ressemblans d’ailleurs aux hommes, en pensent-ils moins pour avoir des queues de singes ? Et ce qu’on n’a fait dépendre ni du blanc ni du noir dépendra-t-il du nombre des vertebres ?
Dans cet isthme qui sépare la mer du Nord avec la mer Pacifique, on dit qu’on trouve des hommes plus blancs que tous ceux que nous connoissons : leurs cheveux seroient pris pour de la laine la plus blanche ; leurs yeux trop foibles pour la lumiere du jour, ne s’ouvrent que dans l’obscurité de la nuit : ils sont dans le genre des hommes ce que sont parmi les oiseaux les chauve-souris & les hibous.
Le phénomene le plus remarquable & la loi la plus constante sur la couleur des habitans de la terre, c’est que toute cette large bande qui ceint le globe d’orient en occident, qu’on appelle la zone torride, n’est habitée que par des peuples noirs, ou fort basanés : malgré les interruptions que la mer y cause, qu’on la suive à-travers l’Afrique, l’Asie & l’Amérique ; soit dans les îles, soit dans les continens, on n’y trouve que des nations noires ; car ces hommes nocturnes dont nous venons de parler, & quelques blancs qui naissent quelquefois, ne méritent pas qu’on fasse ici d’exception.
En s’éloignant de l’équateur, la couleur des peuples s’éclaircit par nuances ; elle est encore fort brune au-delà du Tropique, & l’on ne la trouve tout-à-fait blanche que lorsque l’on avance dans la zone tempérée. C’est aux extrémités de cette zone qu’on trouve les peuples les plus blancs. La danoise aux cheveux blonds éblouit par sa blancheur le voyageur étonné : il ne sauroit croire que l’objet qu’il voit & l’Afriquaine qu’il vient de voir soient deux femmes.
Plus loin encore vers le nord & jusque dans la zone glacée, dans ce pays que le soleil ne daigne pas éclairer en hiver, où la terre plus dure que le soc ne porte aucune des productions des autres pays ; dans ces affreux climats, on trouve des teints de lis & de roses. Riches contrées du midi, terres du Pérou & du Potosi, formez l’or dans vos mines, je n’irai point l’en tirer ; Golconde, filtrez le suc précieux qui forme les diamans & les rubis, ils n’embelliront point vos femmes, & sont inutiles aux nôtres. Qu’ils ne servent qu’à marquer tous les ans le poids & la valeur d’un monarque imbecille, qui, pendant qu’il est dans cette ridicule balance, perd ses états & sa liberté.
Mais dans ces contrées extrèmes où tout est blanc & où tout est noir, n’y a-t-il pas trop d’uniformité, & le mélange ne produiroit-il pas des beautés nouvelles ? C’est sur les bords de la Seine qu’on trouve cette heureuse variété dans les jardins du Louvre ; un beau jour de l’été, vous verrez tout ce que la terre peut produire de merveilles.
Tous ces peuples que nous venons de parcourir, tant d’hommes divers sont-ils sortis d’une même mere ? Il ne nous est pas permis d’en douter.
Ce qui nous reste à examiner, c’est comment d’un seul individu il a pu naître tant d’especes si différentes ? Je vais hasarder sur cela quelques conjectures.
Si les hommes ont été d’abord tous formés d’œuf en œuf, il y auroit eu dans la premiere mere des œufs de différentes couleurs qui contenoient des suites innombrables d’œufs de la même espece, mais qui ne devoient éclore que dans leur ordre de développement après un certain nombre de générations, & dans les tems que la providence avoit marqué pour l’origine des peuples qui y étoient contenus ; il ne seroit pas impossible qu’un jour la suite des œufs blancs qui peuplent nos régions venant à manquer, toutes les nations européennes changeassent de couleur ; comme il ne seroit pas impossible aussi que la source des œufs noirs étant épuisée, l’Ethiopie n’eût plus que des habitans blancs. C’est ainsi que dans une carriere profonde, lorsque la veine de marbre blanc est épuisée, l’on ne trouve plus que des pierres de différentes couleurs qui se succedent les unes aux autres. C’est ainsi que des races nouvelles d’hommes peuvent paroître sur la terre, & que les anciennes peuvent s’éteindre.
Si l’on admettoit le système des vers, si tous les hommes avoient d’abord été contenus dans ces animaux qui nageoient dans la semence du premier homme, on diroit des vers ce que nous venons de dire des œufs : le ver, pere des negres, contenoit de vers en vers tous les habitans d’Ethiopie ; le ver Darien, le ver Hottentot & le ver Patagon avec tous leurs descendans étoient déja tous formés, & devoient peupler un jour les parties de la terre où l’on trouve ces peuples. Venus Physique.
D’autres physiciens ont recherché avec beaucoup de soin la cause de la noirceur des negres ; les principales conjectures qu’ils ont formées sur ce sujet se réduisent à deux, dont l’une attribue la cause de la noirceur à la bile, & l’autre à l’humeur renfermée dans les vaisseaux dont le corps muqueux est rempli. Voyez Corps muqueux.
Malpighi, Ruisch, Litre, Sanctorini, Heister & Albinus ont fait des recherches curieuses sur la peau des negres.
Le premier sentiment sur la noirceur des negres est appuyé de toutes ces preuves dans un ouvrage intitulé, Dissertation sur la cause physique de la couleur des negres, &c. par M. Barrere. Paris 1741, in-12. Voici comment il déduit son hypothese.
Si après une longue macération de la peau d’un negre dans l’eau, on en détache l’épiderme ou surpeau, & que l’on l’examine attentivement, on le trouve noir, très-mince, & il paroît transparent quand on le regarde à-travers le jour. C’est ainsi que je l’ai vû en Amérique, & que l’a remarqué aussi un des plus savans anatomistes de nos jours, M. Winslou… On trouve par la dissection du cuir, proprement dit, ou la peau avec tout l’appareil, comme les mamelons cutanés & le corps réticulaire d’un rouge noirâtre. Il est donc évidemment démontré que la couleur des negres n’est pas, pour ainsi dire, une couleur d’emprunt, & par conséquent la couleur apparente de l’épiderme n’est pas en eux celles du corps muqueux, selon le langage de quelques-uns, ou du corps réticulaire, ainsi qu’on l’avoit cru jusqu’ici, c’est donc de son propre tissu que l’épiderme ou la surpeau dans les negres tient immédiatement de la couleur noire. Disons de plus que l’épiderme dans les negres étant naturellement d’un noir transparent, sa couleur doit devenir encore plus foncée par la peau qui est placée au-dessous, qui est d’un rouge brun approchant du noir. Mais l’épiderme des mores, comme celui des blancs, étant un tissu de vaisseaux, ils doivent nécessairement renfermer un suc, dont l’examen appartient à la question présente. On peut dire avec quelque fondement que ce suc est analogue à la bile, & l’observation paroît appuyer ce sentiment ; 1° j’ai remarqué dans les cadavres des negres que j’ai eu occasion de disséquer à Cayenne, la bile toujours noire comme de l’encre ; 2° qu’elle étoit le plus ou moins noire à proportion de la couleur des negres ; 3° que leur sang étoit d’un rouge noirâtre, selon le plus ou moins de noirceur du teint des negres ; 4° il est certain que la bile rentre avec le chyle dans le sang, qu’elle roule avec lui dans toutes les parties du corps, qu’elle se filtre dans le foie, & que plusieurs de ses parties s’échappent à-travers les reins, & les autres parties du corps. Pourquoi donc ne se peut-il pas faire aussi que cette même bile dans les negres se sépare dans le tissu de l’épiderme ? Or l’expérience prouve que la bile se sépare en effet dans l’épiderme des negres dans les petits tuyaux particuliers, puisque si l’on applique le bout du doigt sur la surface de la peau d’un negre, il s’y attache une humeur grasse, onctueuse & comme savonneuse, d’une odeur désagréable, qui donne sans doute ce luisant & cette douceur que l’on remarque à la peau ; que si l’on frotte cette même surpeau avec un linge blanc, elle le salit d’une couleur brune ; toutes qualités affectées à la bile des negres..... On juge que la bile est naturellement abondante dans le sang des negres par la force & la célérité du pouls, par l’extrème subtilité & les autres passions fougueuses, & sur-tout par la chaleur considérable de la peau qu’on remarque en eux. L’expérience montre d’ailleurs que la chaleur du sang est propre à former beaucoup de bile, puisqu’on voit jaunir le lait parmi les blanches quand une nourrice a la fievre. Enfin ne pourroit-on pas regarder en quelque façon la couleur des negres comme un ictere noir naturel.
1°. Par ce que nous venons de dire, on voit que l’humeur qui forme la couleur des negres, semble être la même que la bile : peut-être que celle qui se filtre dans le foie ne differe que du plus ou du moins ; 2°. qu’il est plus que probable que la bile se sépare non-seulement dans le foie des negres, mais encore dans des vaisseaux presque imperceptibles de l’épiderme, où dégagée des parties rouges du sang, elle doit reprendre sans doute sa premiere forme, & se montrer par conséquent dans sa noirceur naturelle ; 3°. que les parties grossieres de cette bile, par leur séjour dans le tissu de l’épiderme, doivent leur donner une couleur noire ; tandis que les parties les plus tenues, pour une décharge particuliere du sang, s’exhalent en-dehors par les pores de la peau comme une espece de vapeur nullement noire, & sans presque pas d’amertume, s’amassent insensiblement sur l’épiderme, s’y épaississent, & y répandent une odeur désagréable. Il arrive quelque chose tout-à-fait semblable, lorsqu’après avoir fait un peu chauffer la bile d’un negre, dans un petit vaisseau couvert de parchemin percé de plusieurs petits trous, on remarque les parois du vaisseau teintes en noir, dans le tems que l’on voit sortir à-travers les petits trous du couvercle, une espece de fumée qui se condense en des gouttes sensibles (lorsqu’on adapte un couvercle au gobelet en maniere de cône, qui n’ont aucunement ni la couleur ni le goût de la bile.
Tells sont les principales preuves sur lesquelles M. Barrere se fonde pour placer dans la bile le principe de la couleur des negres. On sera peut-être bien-aise de trouver ici les difficultés auxquelles ce sentiment est exposé. Elles sont prises des observations suivantes : 1°. Les corps des negres qui ont péri dans l’eau prennent, dit-on, une couleur blanche ; on ne peut les distinguer des blancs que par les cheveux. 2°. La petite vérole est blanche dans les negres, & cette blancheur a souvent trompé les Médecins. 3°. Les negres vomissent de la bile qui est jaune, c’est un fait constant. 4°. Les negres sont sujets à l’ictere, & la conjonctive devient jaune de même que les parties internes. 3°. La bile noirâtre qu’on trouve dans la vésicule des hommes blancs, paroît presque toujours jaune dès qu’elle est étendue. 6°. Quand on distille la bile des hommes blancs, elle passe par diverses couleurs, & enfin elle laisse un fond noir qui donne aux vaisseaux qui le contiennent une couleur noirâtre. La bile des negres peut donc paroître noirâtre, quand elle est amassée, & elle peut être jaune quand elle est étendue ; ou bien la noirceur de cette bile, dans les cadavres des negres, peut avoir pris cette couleur dans les maladies & par divers accidens. 7°. Les entrailles des negres & leur peau ont la même couleur que dans les hommes qui sont blancs. 8°. Enfin, il y a des maladies qui noircissent la bile, sans qu’il en paroisse aucune trace sur le corps. Dans les hommes qui sont morts de la rage, on trouve la bile entierement noire, tandis que la surface de la peau est parfaitement blanche. De tous ces faits on conclut que la couleur des negres ne sauroit être attribuée à la bile. Cette liqueur est jaune dans les negres ; elle ne donne aucune teinture aux parties externes dans l’état naturel ; elle jaunit les yeux dès qu’elle se répand par le corps ; elle teindroit en noire les parties internes si elle étoit véritablement noire, & si elle étoit portée dans ces parties. Ajoutez que les urines prendroient la même teinture dont les vaisseaux du corps muqueux sont remplis.
Les vaisseaux du corps muqueux, suivant les observations de Malpighy, la peau & la cuticule des negres sont blancs, la noirceur ne vient que du corps muqueux ou du corps réticulaire qui est entre l’épiderme & la peau. Les injections de Ruisch ont confirmé en partie cette découverte, & l’ont mise dans un plus grand jour. La surpeau n’est pas blanche dans les negres, selon cet anatomiste, elle n’a que la blancheur de la corne, qui a toujours un mélange noir. Ruisch envoya à Heister une portion de la peau d’un negre. Elle étoit parfaitement blanche ; mais la surface externe de l’épiderme étoit noirâtre, & la face interne étoit couverte d’une teinture noire & foncée. Sanctorini, dans ses Remarques anatomiques, nous a donné des observations qui établissent la cause de la couleur des negres dans le corps muqueux. Ces recherches prouvent que, lorsqu’on enleve l’épiderme, il reste une portion du corps muqueux sur la peau ou le tissu vasculeux, d’une couleur extrémement noire ; qu’il communique sa teinture aux doigts auxquels il s’attache souvent lorsqu’on enleve l’épiderme ; que par conséquent il y a un réservoir particulier de cette teinture entre l’épiderme & la peau. Le corps muqueux, tissu presqu’inconnu, paroît fort inégal en diverses parties du corps. Il est étroitement attaché à l’épiderme ; on ne sauroit l’en séparer entierement ; c’est pour cela que la couleur noirâtre ne peut s’effacer dans la surpeau, & qu’elle est plus foncée dans la surface interne de ce tégument. Les vaisseaux du corps réticulaire sont pleins d’une liqueur noirâtre. On demande où elle se forme. Sanctorini n’a pas cru qu’on pût décider sur la source de cette matiere qui teint le corps réticulaire des negres ; mais il a soupçonné que le foie pouvoit fournir la teinture de la peau dans cette espece d’hommes. La couleur rouge du foie d’un poisson, diverses sortes d’icteres auxquels les hommes sont sujets, & la noirceur qu’on trouve quelquefois dans la bile de la vésicule du fiel, l’avoient conduit à cette conjecture. D’ailleurs on trouve des sources d’une liqueur noire dans quelques parties du corps. Entre les bronches il y a des glandes qui versent une liqueur noire dans le fœtus ; sur les yeux des animaux l’on a remarqué des glandes noires d’où découle sans doute le suc qui noircit la coroïde. Il peut donc se filtrer des sucs noirs dans diverses parties du corps : il y a même des fluides qui, en perdant leur couleur naturelle, passent par diverses gradations. La bile devient noirâtre dans la vésicule du fiel ; l’urine elle-même prend cette couleur dans diverses maladies. Il me paroît résulter des deux opinions que j’ai exposées dans cette note & dans la précédente, que le problême physique est encore fort indécis.
Pourquoi les negres ont les cheveux crêpés ? Écoutons encore M. Barrere sur ces questions. Il est déja avoué dans le monde savant, & c’est l’opinion généralement reçue, que dans le germe du corps des animaux se trouvent comme concentrées toutes les parties qui les composent avec leur couleur & leur figure déterminée ; que ces parties se développent, s’étendent & s’épanouissent dès qu’elles sont mises en jeu & pénétrées par un fluide très fin & spiritueux, c’est-à-dire par la semence du mâle ; que cette liqueur séminale imprime son caractere à ce point de matiere qui concentre toutes ces parties dans leur germe. Suivant ces principes, qui paroissent très-véritables, l’on conçoit : 1°. que, puisque le germe des corps des animaux dans la formation tient du mâle & de la femelle, il faut qu’il reçoive des traits de l’un & de l’autre ; 2°. qu’il y a beaucoup d’apparence que le germe renfermé dans le sein de la femelle contient naturellement tous les traits de ressemblance, & qu’il ne reçoit la ressemblance du mâle que par l’intrusion de la liqueur séminale qui détermine les parties du germe à recevoir un mouvement ; 3°. que le mouvement qui arrive aux parties du germe dans les animaux de la même espece, doit être presque toujours uniforme, & comme au même degré ; cependant moins grand, en comparaison de celui qui survient dans l’accouplement des animaux de diverses especes ; il faut même que dans ces derniers le mouvement soit violent & comme forcé, ensorte que les fluides doivent sortir de la ligne de leur direction naturelle, & se fourvoyer, pour ainsi parler : on le juge ainsi par le dérangement considérable qui arrive dans les parties originaires du germe ; 4°. que la production des monstres est une preuve des plus convainquantes de ce dérangement si surprenant. 5°. Il suit aussi, qu’une negresse qui aura commercé, par exemple, avec un blanc ou européen, doit faire un mulâtre, qui par la nouvelle modification que cet enfant aura reçue dans le sein de sa mere dans la couleur originaire de sa peau & de ses cheveux, doit paroître différent d’un negre ; 6°. que cette nouvelle modification dans le mulâtre suppose nécessairement l’humeur qui se filtre à travers l’épiderme moins noire, une dilatation dans les vaisseaux insensibles des cheveux moins tortueux : aussi voit-on tous les jours en Amérique non-seulement dans les mulâtres, mais encore dans les différens mélanges du sang la couleur de la peau devenir plus ou moins foncée, & les cheveux plus droits & plus longs selon la gradation ou le différent éloignement du teint naturel des negres ; 7°. qu’enfin l’on doit conclure que la cause de la dégénération de la couleur des negres & de la qualité de leurs cheveux doit être vraissemblablement rapportée à l’action & au plus ou moins de disconvenance du fluide séminal avec le germe qui pénetre dans les premiers momens de l’évolution des parties. Article de M. Formey.
Negres blancs. (Hist. nat.) Les Voyageurs qui ont été en Afrique, parlent d’une espece de negres, qui, quoique nés de parens noirs, ne laissent pas d’être blancs comme les Européens, & de conserver cette couleur toute leur vie. Il est vrai que tous les negres sont blancs en venant au monde, mais peu de jours après leur naissance ils deviennent noirs, au-lieu que ceux dont nous parlons conservent toujours leur blancheur. On dit que ces negres blancs sont d’un blanc livide comme les corps morts ; leurs yeux sont gris, très peu vifs, & paroissent immobiles ; ils ne voient, dit-on, qu’au clair de la lune, comme les hibous ; leurs cheveux sont ou blonds, ou roux, ou blancs & crêpus. On trouve un assez grand nombre de ces negres blancs dans le royaume de Loango ; les habitans du pays les nomment dondos, & les Portugais albinos ; les noirs de Loango les détestent, & sont perpétuellement en guerre avec eux ; ils ont soin de prendre leurs avantages avec eux & de les combattre en plein jour. Mais ceux-ci prennent leur revanche pendant la nuit. Les negres ordinaires du pays appellent les negres blancs mokissos ou diables des bois. Cependant on nous dit que les rois de Loango ont toujours un grand nombre de ces negres blancs à leur cour ; ils y occupent les premieres places de l’état, & remplissent les fonctions de prêtres ou de sorciers, auxquelles on les éleve dès la plus tendre enfance. Ils reconnoissent, dit-on, un Dieu ; mais ils ne lui rendent aucun culte, & ne paroissent avoir aucune idée de ses attributs. Ils n’adressent leurs vœux & leurs prieres qu’à des démons, de qui ils croient que dépendent tous les événemens heureux ou malheureux ; ils les invoquent & les consultent sur toutes les entreprises, & les représentent sous des formes humaines, de bois, de terre, de différentes grandeurs, & très-grossierement travaillées.
Les savans ont été très-embarrassés de savoir d’où provenoit la couleur des negres blancs. L’expérience a fait connoître que ce ne pouvoit être du commerce des blancs avec les negresses, puisqu’il ne produit que des mulâtres. Quelques-uns ont cru que cette bisarrerie de la nature étoit dûe à l’imagination frappée des femmes grosses. D’autres se sont imaginé que la couleur de ces negres venoit d’une espece de lepre dont eux & leurs parens étoient infectés ; mais cela n’est point probable, vu que l’on nous dépeint les negres blancs comme des hommes très-robustes, ce qui ne conviendroit point à des gens affligés d’une maladie telle que la lepre. Les Portugais ont essayé d’en faire passer quelques-uns dans leurs colonies d’Amérique pour les y faire travailler aux mines, mais ils ont mieux aimé mourir de faim que de se soumettre à ces travaux.
Quelques-uns ont cru que les negres blancs venoient du commerce monstrueux des gros singes du pays avec des negresses ; mais ce sentiment ne paroît pas probable, vû qu’on assure que ces negres blancs sont capables de se propager.
Quoi qu’il en soit, il paroît que l’on ne connoît pas toutes les variétés & les bisarreries de la nature ; peut-être que l’intérieur de l’Afrique, si peu connu des Européens, renferme des peuples nombreux d’une espece entierement ignorée de nous.
On prétend que l’on a trouvé pareillement des negres blancs dans différentes parties des Indes orientales, dans l’île de Borneo, & dans la nouvelle Guinée. Il y a quelques années que l’on montroit à Paris un negre blanc, qui vraissemblablement, étoit de l’espece dont on vient de parler. Voyez the modern part. of an universal History vol. XVI pag. 293 de l’édition in-8o. Un homme digne de foi a vu en 1740 à Carthagène en Amérique, un negre & une negresse dont tous les enfans étoient blancs, comme ceux qui viennent d’être décrits, à l’exception d’un seul qui étoit blanc & noir ou pie : les jésuites qui en étoient propriétaires, le destinoient à la reine d’Espagne.
Negres, (Commerce.) Les Européens font depuis quelques siecles commerce de ces negres, qu’ils tirent de Guinée & des autres côtes de l’Afrique, pour soutenir les colonies qu’ils ont établies dans plusieurs endroits de l’Amérique & dans les Isles Antilles. On tâche de justifier ce que ce commerce a d’odieux & de contraire au droit naturel, en disant que ces esclaves trouvent ordinairement le salut de leur ame dans la perte de leur liberté ; que l’instruction chrétienne qu’on leur donne, jointe au besoin indispensable qu’on a d’eux pour la culture des sucres, des tabacs, des indigos, &c. adoucissent ce qui paroît d’inhumain dans un commerce où des hommes en achetent & en vendent d’autres, comme on feroit des bestiaux pour la culture des terres.
Le commerce des negres est fait par toutes les nations qui ont des établissemens dans les indes occidentales, & particulierement par les François, les Anglois, les Portugais, les Hollandois, les Suédois & les Danois. Les Espagnols, quoique possesseurs de la plus grande partie des continens de l’Amérique, n’ont guere les negres de la premiere main ; mais les tirent des autres nations, qui ont fait des traités avec eux pour leur en fournir, comme ont fait long-tems la compagnie des grilles, établie à Gènes, celle de l’assiente en France, & maintenant la compagnie du sud en Angleterre, depuis le traité d’Utrecht en 1713. Voyez Assiente & l’article Compagnie.
Ce n’est qu’assez long-tems après l’établissement des colonies françoises dans les isles Antilles qu’on a vu des vaisseaux françois sur les côtes de Guinée, pour y faire le trafic des negres, qui commença à devenir un peu commun, lorsque la compagnie des Indes occidentales eut été établie en 1664, & que les côtes d’Afrique, depuis le cap Verd jusqu’au cap de Bonne-Espérance, eurent été comprises dans cette concession.
La compagnie du Sénégal lui succéda pour ce commerce. Quelques années après la concession de cette derniere, comme trop étendue, fut partagée ; & ce qu’on lui ôta, fut donné à la compagnie de Guinée, qui prit ensuite le nom de compagnie de l’assiente.
De ces deux compagnies françoises, celle du Sénégal subsiste toujours, mais celle de l’assiente a fini après le traité d’Utrecht, & la liberté du commerce dans tous les lieux qui lui avoient été cédés, soit pour les negres, soit pour les autres marchandises, a été rétablie dans la premiere année du regne de Louis XV.
Les meilleurs negres se tirent du cap Verd, d’Angole, du Sénégal, du royaume des Jaloffes, de celui de Galland, de Damel, de la riviere de Gambie, de Majugard, de Bar, &c.
Un negre piece d’Inde (comme on les nomme), depuis 17 à 18 ans jusqu’à 30 ans, ne revenoit autrefois qu’à trente ou trente-deux livres en marchandises propres au pays, qui sont des eaux-de-vie, du fer, de la toile, du papier, des masses ou rassades de toutes couleurs, des chaudieres & bassins de cuivre & autres semblables, que ces peuples estiment beaucoup ; mais depuis que les Européens ont, pour ainsi dire, enchéri les uns sur les autres, ces barbares ont su profiter de leur jalousie, & il est rare qu’on traite encore de beaux negres pour 60 livres la compagnie de l’assiente en ayant acheté jusqu’à 100 liv. la piece.
Ces esclaves se font de plusieurs manieres ; les uns, pour éviter la famine & la misere, se vendent eux-mêmes, leurs enfans & leurs femmes aux rois & aux plus puissans d’entr’eux, qui ont de quoi les nourrir : car quoiqu’en général les negres soient très-sobres, la stérilité est quelquefois si extraordinaire dans certains endroits de l’Afrique, surtout quand il y a passé quelque nuage de sauterelles, qui est un accident assez commun, qu’on n’y peut faire aucune récolte de mil, ni de ris, ni d’autres légumes dont ils ont coutume de subsister. Les autres sont des prisonniers faits en guerre & dans les incursions que ces roitelets font sur les terres de leurs voisins, souvent sans autre raison que de faire des esclaves qu’ils emmenent, jeunes, vieux, femmes, filles, jusqu’aux enfans à la mamelle.
Il y a des negres qui se surprennent les uns les autres, tandis que les vaisseaux européens sont à l’ancre, y amenant ceux qu’ils ont pris pour les y vendre & les y embarquer malgré eux ; ensorte qu’on y voit des fils vendre leurs peres, & des peres leurs enfans, & plus souvent encore ceux qui ne sont liés d’aucune parenté, mettre la liberté les uns des autres, à prix de quelques bouteilles d’eau-de-vie, ou de quelques barres de fer.
Ceux qui font ce commerce, outre les victuailles pour l’équipage du vaisseau, portent du gruau, des pois gris & blancs, des feves, du vinaigre, de l’eau-de-vie, pour la nourriture des negres qu’ils esperent avoir de leur traite.
Aussi-tôt que la traite est finie, il faut mettre à la voile sans perdre de tems, l’expérience ayant fait connoître que tant que ces malheureux sont encore à la vue de leur patrie, la tristesse les accable, ou le désespoir les saisit. L’une leur cause des maladies qui en font périr un grand nombre pendant la traversée ; l’autre les porte à s’ôter eux-mêmes la vie, soit en se refusant la nourriture, soit en se bouchant la respiration, par une maniere dont ils savent se plier & se contourner la langue, qui, à coup sûr, les étouffe ; soit en se brisant la tête contre le vaisseau, ou en se précipitant dans la mer, s’ils en trouvent l’occasion.
Cet amour si vif pour la patrie semble diminuer à mesure qu’ils s’en éloignent : la gaieté succede à leur tristesse ; & c’est un moyen presqu’immanquable pour la leur ôter, & pour les conserver jusqu’au lieu de leur destination, que de leur faire entendre quelque instrument de musique, ne fût-ce qu’une vielle ou une musette.
A leur arrivée aux isles, chaque tête de negre se vend depuis trois jusqu’à cinq cens livres, suivant leur jeunesse, leur vigueur & leur santé. On ne les paie pas pour l’ordinaire en argent, mais en marchandises du pays.
Les negres sont la principale richesse des habitans des îles. Quiconque en a une douzaine, peut être estimé riche. Comme ils multiplient beaucoup dans les pays chauds, leur maître, pour peu qu’ils les traitent avec douceur, voient croître insensiblement cette famille, chez laquelle l’esclavage est héréditaire.
Leur naturel dur exige qu’on n’ait pas trop d’indulgence pour eux, ni aussi trop de sévérité ; car si un châtiment modéré les rend souples & les anime au travail, une rigueur excessive les rebute & les porte à se jetter parmi les negres marons ou sauvages qui habitent des endroits inaccessibles dans ces îles, où ils préferent la vie la plus misérable à l’esclavage.
Nous avons un édit donné à Versailles au mois de Mars 1724, appellé communément le code noir, & qui sert de réglement pour l’administration de la justice, police, discipline, & le commerce des esclaves negres dans la province de la Louisiane. Dictionn. de Commerce.
Negres, considérés comme esclaves dans les colonies de l’Amérique. L’excessive chaleur de la zone torride, le changement de nourriture, & la foiblesse de tempérament des hommes blancs ne leur permettant pas de résister dans ce climat à des travaux pénibles, les terres de l’Amérique, occupées par les Européens, seroient encore incultes, sans le secours des negres que l’on y a fait passer de presque toutes les parties de la Guinée. Ces hommes noirs, nés vigoureux & accoutumés à une nourriture grossiere, trouvent en Amérique des douceurs qui leur rendent la vie animale beaucoup meilleure que dans leur pays. Ce changement en bien les met en état de résister au travail, & de multiplier abondamment. Leurs enfans sont appellés negres créols, pour les distinguer des negres dandas, bossals ou étrangers.
La majeure partie des negres qui enrichissent les colonies françoises se tire directement de la côte d’Afrique par la voie de la compagnie des Indes (qui s’est réservé exclusivement à tous les autres la traite du Sénégal), ou par les navires de différens armateurs françois, à qui l’on permet de commercer chez les autres nations de la côte de Guinée. Ces vaisseaux transportent dans les colonies les negres qu’ils ont trafiqués, soit que ces negres ayent été pris en guerre ou enlevés par des brigants, ou livrés à prix d’argent par des parens dénaturés, ou bien vendus par ordre de leur roi, en punition de quelque crime commis.
De tous ces différens esclaves, ceux du cap Verd ou Sénégalais sont regardés comme les plus beaux de toute l’Afrique. Ils sont grands, bien constitués, ayant la peau unie sans aucune marque artificielle : ils ont le nez bien fait, les yeux grands, les dents blanches, & la levre inférieure plus noire que le reste du visage ; ce qu’ils font par art, en piquant cette partie avec des épines, & introduisant dans les piquures de la poussiere de charbon pilé.
Ces negres sont idolâtres ; leur langue est difficile à prononcer, la plûpart des sons sortant de la gorge avec effort. Plusieurs d’entr’eux parlent arabe, & paroissent suivre la religion de Mahomet ; mais tous les Senégalais sont circoncis. On les emploie dans les habitations au soin des chevaux & des bestiaux, au jardinage & au service des maisons.
Les Aradas, les Fonds, les Fouéda, & tous les negres de la côte de Juda sont idolâtres, & pratiquent la circoncision par un motif de propreté. Ces negres, quoique sous différentes dominations, parlent tous à peu-près la même langue. Leur peau est d’un noir-rougeâtre. Ils ont le nez écrasé, les dents très blanches, & le tour du visage assez beau. Ils se font des incisions sur la peau qui laissent des marques ineffaçables, au moyen desquelles ils se distinguent entr’eux. Les Aradas se les placent sur le gros des joues, au-dessous des yeux ; elles ressemblent à des verues de la grosseur d’un pois. Les negres Fond se scarifient les tempes, & les Fouéda (principalement les femmes) se font cizeler le visage, & même tout le corps, formant des desseins de fleur, des mosaïques & des compartimens très réguliers. Il semble à les voir qu’on leur ait appliqué sur la peau une étoffe brune, travaillée en piquure de Marseille. Ces negres sont estimés les meilleurs pour le travail des habitations : plusieurs connoissent parfaitement les propriétés bonnes ou mauvaises de plusieurs plantes inconnues en Europe. Les Aradas principalement en composent avec le venin de certains insectes, un poison auquel on n’a point encore trouvé de remede certain. Les effets en sont si singuliers, que ceux qui l’emploient passent constamment pour sorciers parmi les habitans du pays.
Les negres Mines sont vigoureux & fort adroits pour apprendre des métiers. Quelques-uns d’entr’eux travaillent l’or & l’argent, fabriquant grossierement des especes de pendans d’oreille, des bagues & autres petits ornemens. Ils se font deux ou trois balaffres en long sur les joues. Ils sont courageux ; mais leur orgueil les porte à se détruire eux-mêmes pour peu qu’on leur donne du chagrin.
La côte d’Angol, les royaume de Loangue & de Congo fournissent abondamment de très-beaux negres, passablement noirs, sans aucune marque sur la peau. Les Congos en général sont grands railleurs, bruyans, pantomimes, contrefaisant plaisamment leurs camarades, & imitant très-bien les allures & le cri de différens animaux. Un seul Congo suffit pour mettre en bonne humeur tous les negres d’une habitation. Leur inclinations pour les plaisirs les rend peu propres aux occupations laborieuses, étant d’ailleurs paresseux, poltrons, & fort adonnés à la gourmandise ; qualité qui leur donne beaucoup de disposition pour apprendre facilement les détails de la cuisine. On les emploie au service des maisons, étant pour l’ordinaire d’une figure revenante.
Les Portugais qui ont introduit une idée du christianisme dans le royaume de Congo, y ont aboli la circoncision, fort en usage parmi les autres peuples de l’Afrique.
Les moins estimés de tous les negres sont les Bambaras ; leur mal propreté, ainsi que plusieurs grandes balaffres qu’ils se font transversalement sur les joues depuis le nez jusqu’aux oreilles, les rendent hideux. Ils sont paresseux, ivrognes, gourmands & grands voleurs.
On fait assez peu de cas des negres Mandingues, Congres & Mondongues. Ceux-ci ont les dents limées en pointe, & passent pour antropophages chez les autres peuples.
Il n’est pas possible, dans cet article, de détailler les nations des Calbaris, des Caplahons, des Anans, des Tiambas, des Poulards & nombre d’autres, dont plusieurs habitent assez avant dans les terres, ce qui en rend la traite difficile & peu abondante.
Traitement des negres lorsqu’ils arrivent dans les colonies. L’humanité & l’intérêt des particuliers ne leur permettent pas de faire conduire leurs esclaves au travail aussi-tôt qu’ils sont sortis du vaisseau. Ces malheureux ont ordinairement souffert pendant leur voyage, ils ont besoin de repos & de rafraîchissemens ; huit à dix jours de bains pris matin & soir dans l’eau de la mer leur font beaucoup de bien ; une ou deux saignées, quelques purgations, & sur-tout une bonne nourriture, les mettent bientôt en état de servir leur maître.
Leurs anciens compatriotes les adoptent par inclination : ils les retirent dans leurs cazes, les soignent comme leurs enfans, en les instruisant de ce qu’ils ont à faire, & leur faisant entendre qu’ils ont été achetés pour travailler, & non pas pour être mangés, ainsi que quelques-uns se l’imaginent, lorsqu’ils se voient bien nourris. Leurs patrons les conduisent ensuite au travail : ils les châtient quand ils manquent ; & ces hommes faits se soumettent à leurs semblables avec une grande résignation.
Les maîtres qui ont acquis de nouveaux esclaves, sont obligés de les faire instruire dans la religion catholique. Ce fut le motif qui détermina Louis XIII à permettre ce commerce de chair humaine.
Travaux des negres sur les habitations. Les terres produisant les cannes à sucre, celles où l’on cultive le cassé, le cacao, le manioc, le coton, l’indigo & le rocou, ont besoin d’un nombre d’esclaves proportionné à leur étendue pour la culture des plantations. Plusieurs de ces esclaves sont instruits dans le genre de travail propre à mettre ces productions en valeur : tous sont sous la discipline d’un commandeur en chef, blanc ou noir, lequel dans les grands établissemens est subordonné à un œconome.
Les negres destinés aux principales opérations qui se font dans les sucreries s’appellent raffineurs. Ce n’est pas sans peine qu’ils acquierent une connoissance exacte de leur art, qui exige beaucoup d’application dans un apprentissage de plusieurs années. Leur travail est d’autant plus fatigant, qu’ils sont continuellement exposés à la chaleur des chaudieres où l’on fabrique le sucre. Les charpentiers & scieurs de long ont soin de réparer le moulin, & d’entretenir conjointement avec les maçons, les différens bâtimens de la sucrerie. Les charrons sont fort nécessaires : on ne peut guere se passer de tonneliers ; & dans les grands établissemens un forgeron ne manque pas d’occupation. Tous les autres esclaves, excepté les domestiques de la maison, sont employés journellement à la culture des terres, à l’entretien des plantations, à sarcler les savannes ou pâturages, & à couper les cannes à sucre, que les cabrouettiers & les muletiers transportent au moulin, où d’ordinaire il y a des négresses, dont l’office est de faire passer ces cannes entre les rouleaux ou gros cylindre de métal, qui en expriment le suc dont on fait le sucre. Les negres les moins bien conformés & peu propres aux travaux difficiles, sont partagés pour l’entretien du feu dans les fourneaux de la sucrerie & de l’etuve, pour soigner les malades dans les infirmeries, & pour garder les bestiaux dans les savannes. On occupe aussi les négrillons & les négrites à des détails proportionnés à leurs forces, tellement que sur quelque habitation que ce puisse être, les maîtres & les œconomes ne peuvent trop s’appliquer à bien étudier le caractere, les forces, les dispositions, les talens des esclaves pour les employer utilement.
Caractere des negres en général. Si par hasard on rencontre d’honnêtes gens parmi les negres de la Guinée, (le plus grand nombre est toujours vicieux.) ils sont pour la plûpart enclins au libertinage, à la vengeance, au vol & au mensonge. Leur opiniatreté est telle qu’ils n’avouent jamais leurs fautes, quelque châtiment qu’on leur fasse subir ; la crainte même de la mort ne les émeut point. Malgré cette espece de fermeté, leur bravoure naturelle ne les garantit pas de la peur des sorciers & des esprits, qu’ils appellent zambys.
Quant aux negres créols, les préjugés de l’éducation les rendent un peu meilleurs ; cependant ils participent toujours un peu de leur origine, ils sont vains, méprisans, orgueilleux, aimant la parure, le jeu, & sur toutes choses les femmes ; celles-ci ne le cedent en rien aux hommes, suivant sans reserve l’ardeur de leur tempéramment ; elles sont d’ailleurs susceptibles de passions vives, de tendresse & d’attachement. Les défauts des negres ne sont pas si universellement répandus qu’il ne se rencontre de très-bons sujets ; plusieurs habitans possédent des familles entieres composées de fort honnêtes gens, très-attachés à leurs maîtres, & dont la conduite feroit honte à beaucoup de blancs.
Tous en général sont communément braves, courageux, compatissans, charitables, soumis à leurs parens, surtout à leurs parains & maraines, & très-respectueux à l’égard des vieillards.
Logemens des negres, leur nourriture & leurs usages. Les cazes ou maisons des negres sont quelquefois construites de maçonnerie, mais plus ordinairement de bois couvert d’un torchis, de terre franche préparée avec de la bouze de vache, un cours de chevrons élevés sur ces especes de murailles & brandis le long de la piece qui forme le faite, compose le toît, lequel est couvert avec des feuilles de cannes, de roseaux ou de palmiers ; ces cazes n’ont qu’un rez-de-chaussée, long d’environ 20 à 25 piés sur 14 à 15 de largeur, partagé par des cloisons de roseaux, en deux ou trois petites chambres fort obscures, ne recevant de jour que par la porte, & quelquefois par une petite fenêtre ouverte dans l’un des pignons.
Les meubles dont se servent les negres correspondent parfaitement à la simplicité de leurs maisons, deux ou trois planches élevées sur quatre petits pieux, enfoncés en terre & couvertes d’une natte forment leur lit ; un tonneau défoncé par l’un des bouts servant à renfermer des bananes & des racines, quelques grands pots à mettre de l’eau, un banc ou deux ; une mauvaise table, un coffre, plusieurs couis & grosses calebasses dans lesquelles ils serrent leurs provisions, composent tout l’attirail du ménage.
Les commandeurs, les ouvriers & ceux qui sont anciens dans le pays se procurent beaucoup de petites commodités, au moyen des jardins qu’on leur permet de cultiver pour leur compte particulier dans les lieux écartés de l’habitation ; ils élevent aussi des volailles & des cochons, dont le produit les met en état de se vêtir très-proprement & de bien entretenir leur famille. Outre ces douceurs, ils sont nourris & habillés par leur maître, ainsi qu’il est ordonné par le code noir, édit dont on parlera ci-après.
Leur principale nourriture consiste en farine de manioc, Voyez l’art. Manioc, &c. racines de plusieurs especes, mahis, bananes & bœuf salé ; le poisson, les crabes, les grenouilles, les gros lésards, les agoutis, rats de cannes & tatous servent à varier leurs mets dans les endroits où ces animaux abondent ; ils composent différentes boissons avec des fruits, des racines, des citrons, du gros syrop de sucre & de l’eau, & l’eau-de-vie de canne ne leur manque pas ; ils se régalent de tems en tems les jours de fêtes ; leurs grands festins, principalement ceux de nôces, sont nombreux, tous ceux qui veulent en être étant admis, pourvû qu’ils apportent de quoi payer leur écot : ces repas tumultueux où les commandeurs veillent pour prévenir le désordre, sont toujours suivis de danses, que les negres aiment passionnément ; ceux de chaque nation se rassemblent & dansent à la mode de leur pays, au bruit cadencé d’un espece de tambour, accompagné de chants bruyants, de frappemens de main mesurés, & souvent d’une sorte de guitare à 4 cordes, qu’ils appellent banza.
La danse que les créols aiment le mieux, & qui par cette raison est fort en usage, même parmi les Nations naturalisées, c’est le calenda dont on a parlé à la lettre C.
Les negres & negresses d’une même habitation peuvent, du consentement de leur maître, se marier, suivant nos usages ; on ne doit pas exiger de cette espece d’hommes plus de vertus, qu’il n’en existe parmi les blancs ; cependant on voit chez eux des ménages fort unis, vivant bien, aimant leurs enfans, & les maintenant dans un grand respect.
Châtimens des negres, police & réglement à cet effet. Lorsqu’un negre commet une faute legere, le commandeur peut de son chef le châtier de quelques coups de fouet ; mais si le cas est grave, le maître après avoir fait mettre le malfaiteur aux fers, ordonne le nombre de coups dont il doit être châtié ; si les hommes étoient également justes, ces punitions nécessaires auroient des bornes, mais il arrive souvent que certains maîtres abusent de leur prétendue autorité, en infligeant des peines trop rigoureuses aux malheureux, qu’ils ont peut être mis eux-mêmes dans le cas de leur manquer. Pour arrêter les cruautés de ces hommes barbares, qui par avarice, laisseroient manquer leurs esclaves des choses les plus nécessaires à la vie, en exigeant d’eux un travail forcé, les officiers de Sa Majesté, établis dans les colonies, sont chargés de tenir la main à l’exécution de l’édit du roi, nommé code noir, servant de reglement pour le gouvernement & l’administration de la justice & de la police, & pour la discipline & le commerce des esclaves dans les îles françoises de l’Amérique.
La longueur de cet édit ne permettant pas de le rapporter dans son entier, on ne fera mention que des principaux articles qui ont rapport à la police des negres, & aux obligations des maîtres à leur égard.
Par le second article, du code noir, il est ordonné aux maîtres de faire instruire leurs esclaves dans la religion Catholique, &c. à peine d’amende arbitraire.
Le sixieme défend aux maîtres, de les faire travailler les jours de repos ordonnés par l’église.
Le neuvieme impose une amende de deux mille livres de sucre aux maîtres, qui par concubinage auront des enfans de leur esclave ; en outre, ladite esclave & ses enfans confisqués au profit de l’hôpital, sans jamais pouvoir être affranchis. Cet article n’a point lieu, si le maitre veut épouser dans les formes observées par l’église, son esclave, qui par ce moyen est affranchie, & ses enfans rendus libres & légitimes.
Par le dixieme article, la célébration du mariage des negres & negresses peut s’exécuter, sans qu’il soit besoin du consentement des parens, celui du maître étant suffisant, pourvû toutefois qu’il n’emploie aucune contrainte pour les marier contre leur gré.
Le douzieme article porte que les enfans qui naîtront de mariages entre esclaves, seront esclaves, & lesdits enfans appartiendront aux maitres des femmes esclaves, si le mari & la femme ont des maîtres différens. Ces alliances ne sont pas ordinaires, les negres & negresses d’une même habitation se marient entre eux, & les maîtres ne peuvent vendre ni acheter le mari & la femme séparément.
Par le treizieme article, un homme esclave épousant une femme libre, les enfans suivent la condition de leur mere, & le pere étant libre & la mere esclave, les enfans sont esclaves.
Le quinzieme article défend aux esclaves de porter pour leur usage particulier des armes, même de gros bâtons, sous peine du fouet & de confiscation desdites aimes.
Le seizieme défend aux negres, de s’attrouper de jour & de nuit, sous peine de punition corporelle, qui ne pourra être moindre que du fouet & de la fleur-de-lis, même de mort, en cas de fréquentes récidives ou autres circonstances agravantes.
Les articles 22, 23, 24 & 25, portent en substance, que les maîtres seront tenus de fournir par chacune semaine à leurs esclaves, âgés de dix ans & au-dessus, pour leur nourriture, deux pots & demi de farine de manioc, ou trois cassaves pesant deux livres & demie chacune, ou choses équivalentes (le pot contient deux pintes mesure de Paris), avec deux livres de bœuf salé, ou trois de poisson ou autre chose à proportion ; & aux enfans depuis qu’ils sont sevrés jusqu’à l’âge de dix ans, la moitié des vivres ci-dessus. Les maîtres ne peuvent donner à leurs esclaves de l’eau de-vie de canne, nommée guildive, pour leur tenir lieu des subsistances mentionnées ci-dessus.
Il est aussi expressément défendu aux maîtres, de se décharger de la nourriture de leurs esclaves, en leur permettant de travailler certains jours de la semaine pour leur compte particulier.
Sont tenus les maîtres de fournir à chacun de leurs esclaves par chacun an, deux habits de taille ou quatre aunes de toile.
Par le vingt-sixieme article, il est permis aux negres qui ne seront pas entretenus, selon ce qui est ordonné, d’en donner avis au procureur du roi, afin que les maîtres soient poursuivis à sa requête & sans frais.
Le vingt-septieme, est au sujet des negres infirmes par vieillesse ou autrement, que les maîtres doivent nourrir & entretenir ; & en cas d’abandon de leur part, lesdits esclaves sont adjugés à l’hôpital, & les maîtres obligés de payer six sols par jour pour l’entretien de chaque esclave.
Le roi déclare, par le vingt-huitieme article, que les negres esclaves ne peuvent rien posséder qui ne soit à leur maître, leurs enfans & parens, soit libres ou esclaves, ne pouvant rien prétendre par succession, disposition, &c. Il est rare que les maîtres abusent de leur privilege : ceux qui se piquent de penser, font distribuer les effets & même l’argent des esclaves défunts à leurs parens ; & s’ils n’en ont point, les autres negres de l’habitation en profitent.
Les negres sont exclus par l’article trente, de la possession des offices & commissions ayant fonctions publiques.
Ils ne peuvent par l’article trente-un, être partie, ni en jugement, ni en matiere civile, tant en demandant qu’en défendant, ni être partie civile en matiere criminelle, &c.
Suivant l’article trente-deux, les esclaves peuvent être poursuivis criminellement avec les formalités ordinaires, sans qu’il soit besoin de rendre leur maître partie, sinon en cas de complicité.
Par les articles 33 & 34, l’esclave qui aura frappé son maître, sa maîtresse ou leurs enfans avec effusion de sang, ou au visage, sera puni de mort ; & quant aux excès & voies de fait, commis par les esclaves, contre les personnes libres ; Sa Majesté entend qu’ils soient severement punis, même de mort, si le cas y échet.
Le 35 & 36 inflige des peines afflictives proportionnées, suivant la nature des vols commis par les esclaves, comme de bêtes cavalines, de bœufs ou moutons, chevres, cochons, ou de plantes, légumes, &c.
Le trente-sept porte, que les maîtres seront tenus, en cas de vol ou autrement, des dommages causés par leurs esclaves, outre la peine corporelle desdits esclaves, de réparer les lots en leur nom, s’ils n’aiment mieux abandonner l’esclave à celui auquel le tort a été fait.
Par les articles 38 & 39, l’esclave fugitif qui se sera absenté pendant un mois, à compter du jour que son maître l’aura dénoncé en justice, aura les oreilles coupées, & sera marqué d’un fer chaud sur une épaule ; s’il récidive pendant un autre mois, il aura le jaret coupé & sera marqué sur une autre épaule, & la troisieme fois, il sera puni de mort.
Les affranchis qui auront retiré lesdits esclaves fugitifs, payeront une amende de trois cens livres de sucre par chaque jour de rétention.
L’article quarante porte, que l’esclave puni de mort, sur la dénonciation de son maître, non complice, sera estimé avant l’exécution par deux principaux habitans du pays, nommés d’office par le premier juge, & le prix de l’estimation sera payé au maître ; pourquoi satisfaire, il sera imposé par l’intendant sur chacune tête de negre, payant droits, la somme portée par l’estimation laquelle sera payée par tous les habitans, & perçue par les fermiers du domaine royal d’occident pour éviter à frais.
Par l’article 42 & 43, quoiqu’il soit permis aux maîtres de faire enchaîner & battre de verge les esclaves qui seront en faute ; il est expressément défendu auxdits maîtres, de leur donner la torture, ni de leur faire aucune mutilation, à peine de confiscation des esclaves & d’être procedé contre les maîtres extraordinairement ; & il est enjoint aux officiers de justice, de poursuivre criminellement les maîtres & commandeurs qui auront tué un esclave, sous leur puissance ou sous leur direction.
L’article 44, déclare les esclaves être meubles, & comme tels entrer en la communauté, pouvant être partagés également entre les cohéritiers, &c.
Par l’article quarante-sept, le mari & la femme esclaves, & leurs enfans impuberes, ne peuvent être saisis, ni vendus séparément, &c.
L’article cinquante huit, regarde les negres affranchis, auxquels il est octroyé par l’article cinquante-neuf, les privileges & immunités, dont jouissent les personnes nées libres, &c.
L’article soixante, traite des amendes & termine cet édit. Donné à Versailles au mois de Mars 1685. M. le Romain.
Negres, Maigres ou Maigrots, (Péche.) espece de poisson que les pêcheurs de Saint-Palaci, dans le ressort de l’amirauté de Marennes, sur la côte du Ponant, prennent d’une maniere particuliere ; ils se servent des mêmes chaloupes qui chargent les passagers ; ils ont un filet qu’on peut regarder comme une espece de folle. Il en a le calibre ; il est de trente-cinq à quarante brasses de long, sur trois brasses de chûte ou environ. Les pêcheurs qui font cette pêche se succédent & font la garde, ou courent des bordées, soit à la voile, soit à la nage, suivant les tems ; ils les continuent jusqu’à ce qu’ils entendent le chant, le bruit, le bourdonnement que les maigres font. Les pêcheurs ne s’y trompent point ; le poisson fût-il à vingt brasses de profondeur sous l’eau, pourvû que la chaloupe soit au-dessus de l’endroit que les maigres parcourent. Quand ils l’ont entendu ; ils jettent leurs rêts à l’aventure, de maniere cependant, qu’ils croisent la riviere en coupant la marée : le bout qui est soutenu d’une bouée, amarée sur un cordage de plusieurs brasses, va à la derive ; l’autre bout reste amaré au bateau par une autre corde que les pêcheurs nomment mouvant. Si la pêche est bonne, le negre ou maigre s’engage dans les mailles, qui sont assez larges & y reste pris : le bas du filet qu’il faut regarder comme un ret dérivant, est chargé de plomb qui le cale bas ; les pêcheurs le relevent aussi-tôt qu’il a coulé à fond.
Cette pêche est très-fortuite & très-ingrate, quand on dit que les maigres chantent ou grondent, c’est pour se servir de l’expression des pêcheurs. Ils ont observé que ce poisson pris faisoit encore le même bruit, hors de l’eau & dans la chaloupe, & ils affirment que sans ce son extraordinaire qui les détermine dans le jet du filet, ils ne prendroient jamais de maigres ou negres.
Les rets ou filets à negres ont les mailles de cinq pouces en quarré ; ils sont faits de grosses cordes formées de plusieurs fils.
Négres-cartes, s. f. plur. (Jouaillerie.) c’est ce qu’on appelle autrement émeraudes brutes de la premiere couleur ; elles sont fort estimées, & passent pour les plus belles de ces sortes de pierres. (D. J.)
Négrepelisse, (Géog.) petite ville de France dans la Querci, à 4 lieues N. E. de Montauban, sur Vetveirou. Les calvinistes l’avoient fortifiée, mais Louis XIII. l’ayant prise d’assaut en 1622, la livra au feu & au pillage ; de sorte qu’il n’y reste plus que des masures.