L’Encyclopédie/1re édition/MARBREUR DE PAPIER

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* MARBREUR DE PAPIER, (Art méchanique.) C’est un ouvrier qui sait peindre le papier, ou plûtôt le tacher de différentes couleurs, tantôt symmétriquement, tantôt irrégulierement disposées, quelquefois imitant le marbre, & produisant un effet agréable à l’œil, lorsque l’ouvrier est habile, qu’il a un peu de goût, & qu’il emploie du beau papier & de belles couleurs.

On emploie le papier marbré à un assez grand nombre d’usages, mais on s’en sert principalement pour couvrir les livres brochés, & pour être placé entre la couverture, & la derniere & la premiere page des livres reliés. Ce sont les Relieurs qui en consomment le plus.

Il y a des papiers marbrés à fleurs, à la pâte, du grand, du petit, au grand peigne, au petit peigne, ou d’Allemagne, l’agate, le placard, le montfaucon, à fleurons, à tourniquets, &c. Toutes ces dénominations sont relatives ou au dessein ou à la fabrication.

Ce petit art a pris naissance en Allemagne. On a appellé la Suede, la Norvege, & les contrées septentrionales, officina gentium. On pourroit appeller l’Allemagne officina artium. Il n’est pas fort ancien : il y a toute apparence qu’on y aura été conduit par hasard. De la couleur sera tombée sur de l’eau ; un papier sera tombé sur la couleur, & l’aura enlevée. On aura remarqué que l’effet en étoit agréable, & l’on aura cherché à répéter d’industrie ce qui s’étoit fortuitement exécuté ; ou peut-être les Relieurs auront-ils tenté de marbrer le papier comme ils marbrent la couverture des livres, & ils seront arrivés d’essais en essais, à la pratique que nous allons expliquer.

Les Lebreton pere & fils qui travailloient sur la fin du dernier siecle, & dans le courant de celui-ci, ont fait en ce genre de petits chefs-d’œuvre : ils avoient le secret d’entremêler de fils déliés d’or & d’argent, les ondes & les veines colorées du papier. C’étoit vraiment quelque chose de singulier que le goût, la variété, & l’espece de richesse qu’ils avoient introduits dans un travail assez frivole. Mais c’est la célérité, & non la perfection qui enrichit dans ces bagatelles. Ce que nous allons dire de la maniere de marbrer le papier, nous l’avons appris de la veuve d’un de ces ouvriers, qui étoit dans l’extrème misere.

De l’attelier de marbreur de papier. Il faut qu’il soit pourvu d’un baquet quarré de bois de chêne, profond d’un demi-pié ou environ, & excédant d’un pouce en tous sens la grandeur de la feuille du papier qu’on appelle le quarré.

D’un autre baquet pareillement quarré, de bois de chêne comme le premier, de la même profondeur, mais excédant d’un pouce en tous sens la grandeur de la feuille du papier qu’on appelle le montfaucon.

D’un de ces grands pots à beurre où l’on garde l’eau dans les petits ménages, ou à son défaut d’une baratte avec sa batte.

D’un tamis de crin un peu lâche, & de la capacité d’un demi-sceau.

D’un pinceau grossier de soie de porc, emmanché d’un bâton.

De différens peignes.

D’un peigne pour le papier commun. Cet instrument est un assemblage de tringles de bois, paralleles les unes aux autres, de l’épaisseur de deux lignes & demie ou environ, d’un doigt de largeur, & de la longueur du baquet. On appelle ces tringles branches. Il y en a quatre ; elles sont garnies chacune de onze dents : ces dents sont des pointes de fer d’environ deux pouces de hauteur, & de la même forme & force que le clou d’épingle. La premiere dent d’une branche est fixée exactement à son extrémité, & la derniere à son autre extrémité ; il y a entre chaque branche la même distance qu’entre chaque dent.

D’un peigne pour le montfaucon, le lyon, & le grand-montfaucon : ce peigne n’a qu’une branche, & cette branche n’a que neuf dents.

D’un peigne pour le persillé sur le petit baquet ; ce peigne n’a qu’une branche, mais cette branche a 18 dents.

D’un peigne pour le persillé sur le grand baquet ; ce peigne n’a qu’une branche à 24 dents.

D’un peigne pour le papier d’Allemagne ; ce peigne n’a qu’une branche à cent quatre ou cinq pointes ou aiguilles aussi menues que celles qui servent au métier à bas. Ce papier se fait sur le petit baquet.

D’une grosse pointe de fer à manche de bois ; cette pointe ne differe en rien de celles à tracer, & l’on en fait le même usage dans la fabrication du papier marbré qu’on appelle placard.

De pots & de pinceaux pour les différentes couleurs.

De cordes tendues dans une chambre ouverte à l’air.

D’un étendoir tel que celui des Papetiers fabriquans ou des Imprimeurs.

D’un chassis quarré ; c’est un assemblage de quatre lattes comprenant entr’elles un espace plus grand que la feuille qu’on veut marbrer, & divisé en 36 petits quarrés par cinq ficelles attachées sur un des côtés du chassis, & traversées perpendiculairement par cinq autres ficelles fixées sur un des autres côtés. Il faut avoir un nombre de ces chassis.

D’une pierre & de sa mollette pour broyer les couleurs ; on fait que les pierres employées à cet usage doivent être bien dures & bien polies.

D’une amassette ou ramassoire pour rassembler la couleur étendue sur la pierre ; c’est un morceau de cuir fort, d’environ quatre à cinq pouces de long sur trois de large, dont un des côtés est à tranchant ou en biseau ; il faut aussi un couteau.

D’une ramassoire pour nettoyer les eaux ; c’est une tringle de bois fort mince, large de trois doigts ou environ, de la longueur du baquet, & taillée aussi en biseau sur un de ses grands côtés.

D’établis pour poser les baquets, les pots, les peignes & les autres outils ; d’une pierre à lisser le papier, celle qui sert à broyer les couleurs, bien lavée pour être employée à cet autre usage.

D’un caillou qui ne soit ni grais, ni pierre à fusil ; pierre à fusil, il seroit trop dur & ne mordroit pas assez ; grais, il seroit trop tendre & il égratigneroit ; il faut le choisir d’un grain fin, égal & serré, le préparer sur le grais avec du sable, lui former un côté en taillant arrondi & mousse ; monté sur un morceau de bois à deux manches ou poignées ; il servira à lisser, à moins qu’on n’ait une lissoire telle que celle des Papetiers fabriquans ou des Cartiers, que nous avons décrite à l’article Carte. Voyez cet article.

De la préparation des eaux. On prend de la gomme adragant en sorte, on sait ce que c’est qu’être en sorte, on la met dans un pot où on la laisse tremper trois jours ; si elle est d’une bonne qualité, une demi-livre suffira pour une rame de papier commun : l’eau où elle s’humectera sera de riviere & froide : après avoir trempé trois jours, on la transvasera dans le pot-à-beurre ; on aura l’attention pendant qu’elle trempoit de la remuer au-moins une fois par jour ; quand elle sera dans le pot-à-beurre, on la battra un demi-quart d’heure, le pot-à-beurre sera à moitié plein d’eau, on achevera ensuite de le remplir ; on posera un tamis sur un des baquets, & l’on passera l’eau ; on aide l’eau à passer en la remuant, & pressant contre le tamis avec le gros pinceau dont on a parlé. On remplit le baquet d’eau gommée ; ce qui reste sur le tamis de gomme non-dissoute, se remet dans le pot à-beurre à tremper jusqu’au lendemain. Fig. 1. a l’ouvrier qui passe l’eau gommée au tamis avec le pinceau ; b, c, le tamis ; d, le baquet ; e, le pot-à beurre où la gomme étoit en dissolution à côté.

Lorsque les eaux sont passées, on les remue avec un bâton, & l’on examine si elles sont fortes ou foibles. Cet examen se fait par la vitesse plus ou moins grande que prend l’écume qui s’est formée à leur surface, quand on les a agitées en rond. Si, par la plus grande vitesse qu’on puisse leur imprimer de cette maniere, l’ecume fait plus d’une cinquantaine de tours pendant toute la durée du mouvement, les eaux sont foibles : si elle en fait moins, elles sont fortes ; on les affoiblit avec de l’eau pure, ou on les fortifie avec de la gomme qui reste dans le pot-à-beurre.

Mais cet essai des eaux est peu sûr. On n’en connoîtra bien la qualité qu’à l’usage du peigne à faire les frisons : si les frisons brouillés se confondent & ne se tracent pas nets & distincts, les eaux prenant alors trop de vîtesse, ou ne conservant pas les couleurs assez séparées, elles sont trop foibles : s’ils ont de la peine à se former, ou si les couleurs ne s’arrangent pas facilement dans l’ordre qu’on le veut, mais tendent, déplacées par les dents, à se restituer dans leur lieu, les eaux sont trop fortes : elles auront aussi le même défaut, lorsque les couleurs refuseront de s’étendre, c’est à-dire lorsque les placards qu’on jettera dessus ne se termineront pas exactement aux bords, lorsqu’elles seront trop hérissées de pointes qu’on appelle écailles, lorsqu’elles seront foireuses ; dans tous ces cas, on les temperera avec de l’eau pure.

De la préparation des couleurs. Pour avoir un bleu, prenez de l’indigo, broyez-le bien exactement à l’eau sur la pierre & à la mollette ; enlevez la couleur, mettez-la dans un petit pot. Quant à ce qui en restera à la pierre & à la mollette, ayez de l’eau dans votre bouche, soufflez-la sur la mollette & sur la pierre ; lavez-les ainsi, mettez cette lavure dans un autre pot, & fortifiez-la quand vous voudrez vous en servir : il ne faut pas négliger ces petites économies à toutes les choses qui se répetent souvent ; elles font communément la différence de la perte au gain.

Pour avoir un rouge, prenez de la laque plate, broyez-la sur la pierre avec la mollette, non à l’eau, mais avec une liqueur préparée de la maniere suivante.

Ayez du bois de Brésil, faites-le bouillir dans de l’eau avec une petite poignée de chaux-vive, que vous jetterez dans l’eau sur la fin, lorsque le bois aura suffisamment bouilli. Mettez un seau & demi d’eau, sur deux livres de bois de Brésil. Si le bois de Brésil est pilé, vous le ferez bouillir environ deux heures ; plus long-tems, s’il est entier. Vous réduirez le tout à un seau par l’ébullition. C’est après la réduction que vous ajouterez la poignée de chaux-vive. Vous passerez à-travers un linge, & c’est avec la liqueur qui vous viendra que vous préparez la laque.

Vous commencerez par réduire la laque en poudre à sec avec la mollette ; quand vous l’aurez bien pulvérisée, vous pratiquerez au milieu un creux, dans lequel vous verserez peu-à-peu de la liqueur préparée, en continuant de broyer. Vous ne rendrez pas cette couleur trop fluide, si vous ne voulez pas en rendre la trituration incommode. Vous arroserez & broyerez jusqu’à ce qu’en la maniant entre vos doigts vous n’y sentiez aucune aspérité, alors vous prendrez gros comme une bonne noisette de gomme adragant trempée, vous choisirez la plus blanche & la plus ferme qu’il y aura dans le pot-à-beurre, où elle aura séjournée trois jours ; vous en mettrez cette quantité, ou même un peu plus, sur un quarteron de laque, avec trois cueillerées de fiel de bœuf, que vous aurez laissé reposer pendant huit jours, & dont vous n’employerez que la partie la plus fluide, séparant l’épais. Quand le fiel de bœuf n’a pas reposé, il est trop gras ; vous broyerez le rouge, la gomme & le fiel de bœuf, jusqu’à ce que le tout soit sans grumeaux, éclaircissant toujours avec la liqueur préparée. Cela fait, vous releverez le mélange avec la ramassoire de cuivre, & vous le mettrez dans un pot, où vous ajouterez sur un quarteron de couleur environ une chopine de liqueur préparée.

Pour avoir un jaune, ayez de l’ochre, faites-la tremper pendant quelques jours dans de l’eau de riviere ; ayez une spatule de bois, délayez l’ochre trempée avec la spatule ; transvasez de cette ochre délayée dans un autre vaisseau ; sur une chopine de cette eau d’ochre qui est très-fluide, mettez trois cueillerées de fiel de bœuf, & mêlez le tout avec un pinceau.

Pour avoir du blanc, il ne faut que de l’eau & du fiel de bœuf ; mettez sur une pinte d’eau quatre cueillerées de fiel de bœuf, battez bien le tout ensemble ; ce sera proprement le fond du papier qui sera le blanc.

Pour avoir un verd, ayez de l’indigo broyé avec de l’ochre détrempée, faites-en comme une bouillie claire. Pour faire cette bouillie, mettez sur une pinte d’eau deux cuillerées d’indigo détrempé avec l’ochre & trois cueillerées de fiel de bœuf, mêlant bien le tout.

Pour avoir un noir, prenez de l’indigo & du noir de fumée, mettez pour un sol de noir de fumée sur la grosseur d’une noix d’indigo, ou pour plus d’exactitude, prenez un poisson de noir de fumée, & gros comme une noisette de gomme, & ajoutez une cueillerée de fiel de bœuf.

Pour avoir un violet, ayez le rouge préparé pour le papier commun, ainsi que nous l’avons dit plus haut, ajoutez quatre à cinq larmes de noir de fumée broyé avec l’indigo.

Le marbreur de papier n’emploie guere que ces couleurs ; mais on peut s’en procurer autant d’autres qu’on voudra d’après celles que nous venons d’indiquer. On voit (fig. 2.) a l’ouvrier qui broye les couleurs, b son établi, c sa pierre, d sa mollette, e sa ramassoire, f ses pots.

Fabrication du papier marbré. Pour marbrer le papier commun, lorsque les eaux seront nettoyées, on jettera sur ces eaux avec le pinceau & d’une secousse legere premierement du bleu, tel que nous l’avons préparé ; à cela près que, quand on sera sur le point de l’employer, on aura du blanc d’Espagne qu’on aura mis tremper dans de l’eau pendant quelques jours, qu’on prendra de ce blanc la valeur de deux cueillerées, trois cueillerées de fiel de bœuf, & une pinte d’eau, qu’on mêlera le tout, qu’on ajoutera au mélange la lavure d’indigo dont nous avons parlé, & qu’on ajoutera une cueillerée de l’indigo préparé, comme nous l’avons dit. C’est de ce mélange qu’on chargera le pinceau ; sa charge doit suffire pour faire sur la surface du baquet un tapis, c’est-à-dire pour couvrir également & légerement toute la surface de l’eau ; on n’appercevra dans ce tapis que des ramages ou veines, on jettera sur ce tapis secondement du rouge. On verra ce rouge repousser le bleu, prendre sa place & former des taches éparses. On jettera troisiemement du jaune qui se disposera aussi à sa maniere, quatriemement du blanc. S’il arrive que ce blanc jetté occupe trop d’espace, il faudra ramasser le tout dessus le baquet, ou hazarder une mauvaise feuille, & corriger ce blanc en l’éclaircissant avec de l’eau. S’il n’en occupe pas assez, on mettra de l’amer ou du fiel de bœuf. Au reste, cette attention n’est pas particuliere au blanc ; il faut l’étendre à toutes les autres couleurs qu’on corrigera s’il est nécessaire, soit par l’eau, soit par le fiel de bœuf, ou autrement, comme nous l’indiquerons. Ses taches du blanc doivent être dispersées sur toute la surface du baquet ou du tapis comme des lentilles.

Le bleu se corrige avec l’eau, le rouge avec la liqueur dont nous avons donné la préparation. S’il a trop de gomme ou de consistence, il se corrige avec la laque broyée sans gomme. Si la gomme n’y foisonne pas suffisamment, & qu’il n’ait pas de corps, il faut ajouter de la gomme broyée avec de la laque de pont ; le jaune se corrige avec du jaune & de l’eau.

Il faut sur-tout veiller dans l’emploi de ces couleurs qu’elles ne marchent pas trop, c’est-à-dire qu’elles ne se pressent pas trop : elles occupent plus ou moins de place, selon qu’elles ont plus ou moins de consistence, & selon les drogues dont elles sont composées. Voyez fig. 3. a un ouvrier qui jette les couleurs, b son pinceau chargé, c le baquet, d le trépié qui soutient le baquet.

Quand les couleurs sont jettées, on prend le peigne à quatre branches, on le tient par ses deux extrémités, on l’applique au haut du baquet, de maniere que l’extrémité de ses pointes touche la surface de l’eau, on le mene de maniere que chaque pointe trace un frison ; cela fait, on enleve le peigne, & on l’applique semblablement au-dessous des frisons faits. On en forme de nouveau par un mouvement de peigne égal à celui qui a formé les premiers ; on l’enleve pour la seconde fois, & on l’applique une troisieme ; & en quatre fois ou reprises, le peigne a descendu depuis le haut du tapis du baquet jusqu’au bas. Voyez fig. 4. un ouvrier a occupé de cette manœuvre, b le peigne, c le baquet, d le trépié.

Cela fait, on prend une feuille de papier, on la tient au milieu de son extrémité supérieure entre le pouce & l’index de la main gauche, & au milieu de son extrémité inférieure entre le pouce & l’index de la main droite, & on l’applique légerement & successivement sur la surface du baquet en commençant par un bout qu’on appelle le bas. La surface de la feuille prend & emporte toute la couleur qui couvre les eaux ; les couleurs s’y attachent, disposées selon les figures irrégulieres que le mouvement du peigne leur avoit données, & la surface des eaux reste nette. S’il en arrive autrement, c’est un indice qu’il y a quelque couleur qui peche, & à la quelle il faut remédier, comme nous l’avons dit ci dessus. Voyez fig. 3. un ouvrier a qui marbre, b sa feuille dont l’application est commencée à la surface du baquet.

La feuille chargée de couleurs s’étend sur un des chassis que nous avons décrit. Ce chassis se met sur un grand baquet de Montfaucon ; il y est soutenu par deux barres de bois posées en-travers sur ce baquet, & qui le tienne incliné. Quand on a fait cinquante feuilles & qu’il y a cinquante chassis l’un sur l’autre, c’est alors qu’on les incline, afin que l’eau de gomme que les feuilles ont prise puisse s’en écouler plus facilement.

On les tient inclinés comme on veut, ou par le moyen d’une barre de bois posée par en-bas, & qui empêche leur extrémité inférieure de glisser, & d’une corde qui tient leur extrémité supérieure élevée. La corde les embrasse par-dessous, & va saisir par en-haut la barre qui porte d’un bout au fond du cuvier & qui appuie sur le bord opposé du cuvier, ou par le moyen de deux barres, dont l’une est haute & l’autre basse.

On peut encore faire égoutter les feuilles colorées par le moyen de deux longs chassis assemblés à angle ; l’angle aboutit à une rigole qui reçoit l’eau gommée qui s’écoule, & la conduit dans un vaisseau.

Voyez fig. 6. les chassis égouttant sur le cuvier a ; la corde b ; la barre qui soutient les chassis, & à laquelle la corde se rend c ; d le cuvier.

Voyez aussi fig. 7. les deux longs chassis avec leur angle posé dans la rigole ; a un des chassis ; b l’autre ; c, d, la rigole ; e le vaisseau qui reçoit l’eau gommée ; d, d, d, d, le bâti qui supporte le tout, & qui incline la rigole vers le pot à recevoir les égouttures d’eau gommée.

Il ne faut qu’un quart d’heure aux feuilles colorées pour se décharger du trop de gomme, & s’imbiber des couleurs.

Le papier qui doit être marbré n’aura été qu’à demi collé à la papeterie : le trop de colle empêcheroit les couleurs de prendre ; l’épaisseur de la latte qui s’éleve au-dessus des réseaux des cordes empêche que les cordes d’un chassis ne touchent à la feuille étendue sur le chassis qui est dessous.

Lorsque l’eau de gommé qu’on se réservera sera toute égouttée, on enlevera les feuilles de dessus les chassis, & on les étendra sur les cordes tendues dans l’attelier ou dans un autre endroit. Voyez fig. 8. a, a, a, a, des feuilles étendues ; b, l’étendoir ; c, un ouvrier qui étend.

Quand elles sont seches, on les leve de dessus les cordes, & on les cire, soit avec de la cire blanche, soit avec de la cire jaune, mais non grasse ; cette opération se fait légerement sur une pierre ou sur un marbre bien uni. Voyez fig. 9. un ouvrier qui cire.

On lisse les feuilles cirées. Voyez fig. 10. la lissoire & sa manœuvre ; a, fût de la machine ; b, piece qui prend le caillou, & qui s’emboîte dans le fût a ; c, c, poignées qui servent à mouvoir la boîte du caillou ; d, caillou emboîté ; e, planche ou perche qui fait ressort ; f, marbre sur lequel on pose la feuille ; g, bâti qui soutient le marbre ; h, ouvrier qui lisse.

On peut se dispenser de cirer en faisant entrer d’avance la cire dans le broyer des couleurs mêmes. Pour cet effet, on commence par faire bouillir la cire avec une goutte d’eau ; puis on la laisse refroidir ; à mesure qu’elle se refroidit, on la remue. Quand elle est froide, on en met gros comme une noisette sur un quarteron de laque, & trois fois autant sur un quarteron d’indigo. Pour le jaune & le blanc, on n’y en donne point.

Quand les feuilles sont lissées, on les ploye, on les met par mains de vingt-cinq feuilles la main ; on ne rejette pas les feuilles déchirées ; on les racommode avec de la colle. Voilà tout ce qui concerne le papier commun. Voici la fabrication de celui qu’on appelle placard ; mais voyez auparavant fig. 10. a un ouvrier à l’établi qui plie ; b, les feuilles ; c, le plioir ; d, tas de feuilles étendues ; e, tas de feuilles pliées.

Fabrication du placard. Vous broyerez votre laque à l’ordinaire. Quant à l’indigo, vous en triplerez la dose, c’est-à-dire que vous mettrez trois cueillerées d’indigo sur une pinte d’eau, & quatre cueillerées du blanc d’Espagne, puis vous mêlerez bien le tout.

Vous employerez le verd, comme nous l’avons prescrit plus haut. Pour le jaune, vous prendrez de l’orpin jaune, vous le broyerez avec de l’ochre, vous mettrez sur quatre parties d’orpin seize parties d’ochre, ou quatre parties d’ochre sur une d’orpin, vous broyerez le tout avec gros comme une petite noisette de gomme adragant, & deux cueillerées de fiel de bœuf, vous en formerez comme une bouillie claire ; vous employerez le blanc comme nous l’avons dit.

Vous commencerez par faire vos eaux plus fortes que pour le papier commun ; vous jetterez le rouge en tapis, ensuite le bleu en mouches ; vous ferez cinq rangs de mouches, & six mouches sur chaque rang. Le premier rang occupera le milieu du baquet, & les deux autres rangs seront entre celui-ci & les bords du baquet : troisiemement, le verd en mouches & par rangs ; ces mouches de verd seront au nombre de six sur chaque rang, & chaque rang de verd entre les rangs du bleu : quatriemement, le jaune aussi en mouches, & entre le verd & le bleu ; chaque rang de jaune aura cinq ou six mouches : en dernier lieu, on semera le blanc par-tout en petites mouches comme des lentilles.

Cela fait, on prendra la pointe & l’on tracera des palmes, des frisons & autres figures.

Voyez fig. 11. a un ouvrier avec sa pointe b, son baquet c, qui fait cet ouvrage.

Travail du persillé. Le travail du persillé ne differe de celui du placard qu’en ce qu’au lieu de la pointe on prend le peigne à un seul rang de pointes ou dents, qu’on l’applique en haut, & qu’on le meut sans le retirer de gauche à droite, ni de droite à gauche, toujours en descendant, comme si l’on écrivoit du boustrephedon, lentement & serré, sans quoi le peigne entraîneroit la couleur de haut en-bas.

Travail du petit peigne. Il faut encore ici des eaux plus fortes. On couche les couleurs verticalement : premierement, le rouge en trois colonnes qu’on trace en passant légerement le pinceau à fleur d’eau de bas en-haut : secondement, le blanc qu’on prend avec la pointe ; on secoue la pointe, & l’on trace ensuite trois autres colonnes entre les trois colonnes de rouge : troisiemement, le bleu dont on formera trois colonnes entre le blanc & le rouge avec le pinceau : quatriemement, le verd dont on formera au pinceau trois colonnes entre le bleu & le rouge : cinquiemement, le jaune qu’on jettera en plaques entre le verd & le bleu seulement en deux colonnes. Il faut qu’il y ait cinq plaques de jaune sur chacune de ses colonnes, & l’on redoublera le jet sur chaque plaque pour les fortifier ; puis on prendra la pointe, & l’on tracera des zigzags de gauche à droite, ensorte que toute la hauteur du baquet soit divisée en sept parties égales. Après quoi, l’on se servira du peigne à cent quatre dents, on le placera à fleur d’eau au haut du baquet, & on le descendra parallelement à lui-même sans lui donner d’autre mouvement.

Si l’on veut pratiquer ici des petits frisons, on les exécutera avec un petit peigne à cinq pointes, & à cinq reprises sur toute la hauteur du baquet.

Les pinceaux dont on se sert pour coucher les couleurs, sont serrés & formés en plume.

Quand on ne veut qu’imiter un marbre, on jette, 1°. un jaune ; 2°. un rouge ; 3°. un bleu ; 4°. un noir ; 5°. un verd, & l’on couche la feuille.

De la marbrure de la tranche des livres. Quant aux livres qui doivent être dorés, & qu’il faut auparavant marbrer sur la tranche, on se sert des couleurs préparées pour le papier commun ; on observe seulement d’en charger davantage le baquet : mais comme à mesure qu’on enleve la couleur avec la tranche que l’on trempe, les couleurs s’étendent, on trempe son doigt dans le blanc, & l’on étend ce blanc à la place de la couleur enlevée, & qui resserre toutes les autres.

Les livres, au sortir des mains du marbreur, sont mis à sécher pour passer au doreur. Quand ils sont secs, il les égratigne avec un grattoir, puis il couche son or, & frotte son fer contre son visage, pour qu’il puisse enlever l’or. Voyez l’article Relier. Voyez aussi fig. 11. un ouvrier a qui marbre la tranche d’un livre b, son baquet c, &c.

Du papier marbré dit à la pate. C’étoit sur le papier une espece d’imitation des toiles peintes en deux ou trois couleurs. Voici comme on y procédoit ; car depuis que les découpures, les indiennes, les papiers en tapisserie, les papiers de la Chine sont devenus à la mode, les papiers marbrés à la pate en sont passés

L’on faisoit une colle d’amydon, dont on encolloit d’abord les feuilles avec une brosse à vergette. Encollées, on les laissoit sécher. On broyoit ensuite des couleurs avec la même colle. On les mettoit dans autant de petits pots de fayance vernissés ; on en prenoit avec un pinceau, & l’on dessinoit ce qu’on vouloit. On avoit une aiguille à tête de verre, dont on se servoit pour faire les blancs, ou tous les petits contours. Cela fait, on plioit la feuille en deux ; on la faisoit sécher ; on la ciroit, & on la lissoit.

Observations sur la maniere de fabriquer le papier marbré. 1. Richelet & Trévoux se sont lourdement trompés aux articles papier marbré ; l’un, en disant que pour le faire, on se servoit d’une eau dans laquelle on avoit détrempé des couleurs avec de l’huile & du fiel de bœuf, & sur laquelle on appliquoit le papier. Ce n’est pas cela ; on ne détrempe point les couleurs dans l’eau. L’autre, que les couleurs doivent être broyées avec l’huile ou le fiel de bœuf. L’huile n’a jamais été employée dans la fabrication du papier marbré, & ne peut y être employée. Cela est aussi ridicule que de dire qu’un peintre à l’huile broye ses couleurs à l’huile ou à l’eau.

2. Il y en qui prétendent qu’il faut ajouter à l’eau de gomme adragant, l’alun, dans le broyement des couleurs.

3. Il faut avoir des pinceaux de différentes grosseurs. Celui qu’on voit dans nos planches est fait comme une petite brosse. Il est emmanché d’un jonc applati. Il y en a au-dessous de celui-ci, de cinq ou six sortes, plus petits, mais faits de la même maniere.

4. On emplit les baquets d’eau pure, alunée ou gommée, jusqu’à un pouce du bord. On fait encore entrer ici l’alun, & l’on en donne le choix, ou de la gomme.

5. Les baquets sont placés ou sur des trepiés, ou sur un établi, à hauteur convenable. Les couleurs sont arrangées dans des pots. Pour les jetter, l’ouvrier tient le pinceau de la droite, & frappe de son manche sur la main gauche, ce qui détache la couleur avec vîtesse.

6. Lorsqu’on marbre un livre à demeure, c’est-à-dire que la tranche n’en doit pas être dorée, on ajoute aux couleurs du papier commun, le noir & le verd. On jette les couleurs en cet ordre, bleu, rouge, noir, verd, jaune très-menu ; puis on trempe les livres.

7. Il y a un ordre à observer dans le jet des couleurs.

8. On ne les jette pas toutes, il y en a qu’on couche.

9. Il y a des ouvriers qui disent que pour faire prendre également la couleur au papier, & la lui faire prendre toute, il faut passer légerement dessus la feuille étendue sur le baquet, une regle de bois mince, qui rejettera en même tems ce qui s’est élevé des couleurs par-dessus ses bords. Si cela est, il seroit convenable que les bords du baquet fussent bien égalisés, que le baquet fût plus rigoureusement de niveau, & qu’afin que la regle appuyât également par-tout, & ne fît qu’effleurer la surface de la feuille, elle fût entaillée par les deux bouts, d’une certaine quantité, telle que ces entailles portant sur les bords du baquet, le côté inférieur de la regle ne descendît dans le baquet qu’autant qu’il faudroit pour attendre la feuille : alors on n’auroit qu’à la pousser hardiment ; les bords du baquet & les entailles la dirigeroient. Voyez dans nos Planches cette regle entaillée. Mais l’habitude & l’adresse de la main peuvent suppléer à ces précautions difficiles d’ailleurs à prendre, parce que la profondeur des eaux va toujours en diminuant à mesure qu’on travaille, de la quantité dont chaque feuille s’en charge, & que la profondeur des entailles seroit toujours la même. Ainsi quoique je trouve cette manœuvre prescrite dans un des mémoires que j’ai sur le papier marbré, je ne crois pas qu’elle soit d’usage.

10. On prescrit de lever la feuille de dessus le baquet, en la prenant par les angles.

11. Il y a trois sortes de lissoirs. Nous avons parlé de deux. La troisieme est un plateau de verre, avec son manche de verre, qu’on voit dans nos Planches. Elle est aussi à l’usage des lingeres.

12. On voit que selon que les dents sur les peignes seront également ou inégalement écartées, on aura des ondes ou frisons égaux ou inégaux ; plus les dents seront écartées, plus les frisons seront grands ; si elles sont inégalement écartées sur la longueur du peigne, on aura sur le papier une ligne de frisons inégaux.

13. On conçoit qu’on veine le papier marbré d’autant de couleurs différentes qu’on en peut préparer, & que les figures régulieres ou irrégulieres correspondant à la variété infinie des traits qu’on peut former sur le tapis de couleur avec la pointe, & des mouvemens qu’on peut faire avec le peigne, elles n’ont point de limite. Il y a autant d’especes de papiers marbrés, qu’il y a de manieres de combiner les couleurs & de les brouiller.

14. Cet art est très-ingénieux, & fondé sur des principes assez subtils. Ceux qui le pratiquent sont dans la misere : leur travail n’est pas payé en raison du goût & de l’adresse qu’il demande.

15. Si sur un tapis à bandes de différentes couleurs, on fait mouvoir deux peignes en sens contraire, partant toutes deux du même lieu ; mais l’un brouillant en montant, & l’autre brouillant de la même maniere en descendant, il est évident qu’on aura des frisons, des pennaches & autres figures adossées, & tournées en sens contraire. En s’y prenant autrement, on les auroit se regardant. Je ne doute point que cet art ne soit susceptible d’une perfection qu’il n’a point encore eue, & qu’un ouvrier habile ne parvînt à disposer de son tapis de couleurs d’une maniere très-surprenante.

16. Un marbreur avoit trouvé le moyen d’imiter la mosaïque, les fleurs & même le paysage. Pour cet effet il avoit gravé en bois des planches où le trait étoit bien évuidé, large, épais, & les fonds avoient un pouce ou environ de profondeur. On voit un de ces morceaux dans nos Planches. Il formoit sur les eaux du baquet un tapis de couleurs, & les laissoit dans leur ordre, ou les brouilloit soit avec la pointe, soit avec le peigne ; puis il appliquoit sa planche à la surface. Les traits saillans de la planche emportoient avec eux les couleurs qu’ils atteignoient, & laissoient les mêmes parties vuides sur le baquet : alors il prenoit une feuille qu’il étendoit sur le baquet ainsi disposé, & sa feuille se coloroit par-tout, excepté aux endroits d’où la planche en bois avoit précédemment enlevé la couleur ; il parvenoit donc à avoir sur sa feuille le dessein de sa planche.

17. Du mélange des couleurs que nous avons indiquées, on en pourra tirer une infinité d’autres.

Ainsi l’on aura la couleur de café, si l’on prend un quarteron de rouge d’Angleterre, qu’on le broye avec gros comme une noisette de gomme & deux ceuillerées de fiel de bœuf.

Un brun, si à un mélange de noir de fumée préparé avec l’indigo, & de rouge d’Angleterre, on ajoute de la gomme & du fiel de bœuf.

Un gris, si l’on broye ensemble du noir de fumée, du blanc d’Espagne & de l’indigo.

Un aurore, si on mêle l’orpin avec l’ochre, ajoutant aussi la gomme & le fiel de bœuf.

Un bleu turquin, en mettant dans la couleur précédente plus d’indigo & moins de blanc d’Espagne.

Un bleu céleste, en mettant au contraire dans la même couleur plus de blanc d’Espagne & moins d’indigo.

Un verd, en mettant de l’orpin jaune avec de l’ochre, broyant & délayant à l’ordinaire.

Un verd céleste, en ajoutant au verd précédent un peu de blanc d’Espagne.

Un verd foncé, par le moyen d’un noir de fumée broyé avec de l’indigo & de l’ochre.

Au reste, entre ces couleurs, il y en a quelques-unes dont la préparation varie, du moins quant aux doses relatives des drogues dont on les compose, selon l’espece de papier qu’on veut marbrer. Mais quelle qu’elle soit, & quelles que soient les couleurs qu’on y veut employer, il ne faut pas les employer sur le champ ; il faut qu’elles ayent reposé du soir au lendemain.

18. Voyez les outils du marbreur dans nos Planches, au bas des vignettes : aaa, les baquets ; b, le pot à beurre ou la baratte ; c, le tamis ; dddd, les pinceaux ; eeeee, les peignes ; f, la pointe ; gggg, des pots à couleur ; h, l’étendoir ; iii, les châssis ; k, pierre ; l, la molette ; m, ramassoire pour les couleurs ; n, ramassoire pour les eaux ; o, établi ; p, pierre à broyer & à lisser ; qqq, lissoir ; r, plioir.

19. Au reste, il ne faut pas imaginer qu’on fera bien du papier marbré tout en débutant ; qu’il ne s’agit que d’avoir les instrumens, les couleurs, les préparer, les étendre sur les baquets, & y appliquer des feuilles de papier ; il n’y aura que l’habitude, l’expérience & l’adresse qui apprendront à éviter un grand nombre de petits inconvéniens de détail, & à atteindre à des petites manœuvres qui perfectionnent. Plus il est facile de se passer des ouvrages, plus il faut y apporter des soins, & moins on en est récompensé. C’est-là ce qui a fait vraisemblablement tomber le papier marbré. On n’en fait presque plus de beau. C’est un métier qui ne laisse pas d’entraîner des dépenses, qui suppose de l’industrie, & qui rend peu.

Si l’on veut pratiquer sur le papier marbré des filets d’or, ou autres agrémens de cette nature, il faut avoir un patron découpé, le ployer sur la feuille marbrée, appliquer un mordant à tous les endroits qui paroissent à travers les découpures du patron, y appliquer l’or, le laisser prendre, ensuite ôter le patron, & frotter la feuille avec du coton. Le coton enlevera le superflu de l’or que le mordant n’avoit pas attaché, & ce qui restera formera les filets & autres figures qu’on voudra donner à la feuille marbrée.