L’Encyclopédie/1re édition/LARME
LARME, s. m. (Anat.) lymphe claire, limpide salée, qui, par le mouvement des paupieres, se répand sur tout le globe de l’œil, humecte la cornée, & l’entretient nette & transparente.
En effet, la glace qui fait l’entrée du globe de l’œil, n’est pas un crystal solide ; c’est, je l’avoue, une membrane dure & polie, mais c’est toujours une membrane, elle doit tout son poli, toute sa transparence, non seulement à l’humeur aqueuse qu’elle contient, mais encore à une autre humeur limpide, qui l’abreuve sans cesse par dehors & en remplit exactement les pores ; sans cette eau, la cornée transparente exposée à l’air, se sécheroit, se rideroit, se terniroit, & cesseroit de laisser passer les rayons ; or cette eau si essentielle à la transparence de la cornée à la vue, ce sont les larmes.
On leur donne pour source une glande plate, nommée glande lacrymale, située au côté extérieur & supérieur de l’œil. Voyez Lacrymale, Glande.
Les larmes sont versées de cette glande sur le devant de l’œil par des conduits très-fins ; & le mouvement fréquent des paupieres les répand, & en arrose toute la surface polie de l’œil ; ensuite elles sont chariées vers l’angle qui regarde le nez, qu’on appelle le grand angle, par les rebords saillans des paupieres, qui font séparément l’office de gouttiere, & qui, jointes ensemble, font l’office de canal, & en même tems de siphon.
Sur chaque paupiere, vers ce grand angle où sont chariées les larmes, on trouve une espece de petit puits perdu, dont on appelle l’ouverture le point lacrymal ; chacun de ces petits canaux se réunit au grand angle à un réservoir commun, appellé sac lacrymal ; ce sac est suivi d’un canal, qu’on nomme conduit lacrymal ; ce conduit descend, logé dans les os, jusques dans le nez, où il disperse les larmes qui concourent à humecter cet organe, quand elles ne sont pas trop abondantes ; mais lorsqu’on pleure, on est obligé de moucher souvent, pour débarrasser le nez des larmes qui s’y jettent alors en trop grande quantité.
Les larmes qui coulent quelquefois dans la bouche, passent par les trous incisifs, qui sont situés au milieu de la mâchoire supérieure, & qui vont se rendre dans les cavités du nez. Ces trous se trouvant toujours ouverts, laissent passer dans la bouche le résidu des larmes, ainsi que la portion la plus subtile des mucosités du nez.
Il suit de ce détail que quand les points lacrymaux sont obstrués, il en arrive nécessairement un épanchement de larmes ; & que quand le conduit nazal est bouché, il en résulte différentes especes de fistules lacrimales. Quelquefois aussi, par l’abondance ou l’acrymonie de la lymphe, le sac lacrymal vient à être dilaté ou rongé, ce qui produit des fistules lacrymales d’une espece différente des autres. Leur cure consiste à donner aux sérosités de l’œil une issue artificielle, au défaut de la naturelle qui est détruite.
Il y a des larmes de douleur & de tristesse ; & combien de causes qui les font couler ! Mais il est aussi des larmes de joie : ce furent ces dernieres qui inonderent le visage de Zilia, quand elle apprit que son cher Aza venoit d’arriver en Espagne : « Je cachai, dit elle, à Déterville mes transports de plaisirs, il ne vit que mes larmes ».
Il y a des larmes d’admiration ; telles étoient celles que le grand Condé, à l’âge de vingt ans, étant à la premiere représentation de Cinna, répandit à ces paroles d’Auguste : Je suis maître de moi, comme de l’univers, &c. Le grand Corneille faisant pleurer le grand Condé d’admiration, est une époque célebre dans l’histoire de l’esprit humain, dit M. de Voltaire. (D. J.)
Larme de Job, lacrima Job, (Hist. nat. Bot.) genre de plante à fleur sans pétales, composée de plusieurs étamines qui sortent d’un calice, disposée en forme d’épi & stérile : les embryons naissent séparément des fleurs, & deviennent des semences enveloppées d’une membrane, & renfermées dans une coque. Tournef. Inst. rei herb. Voyez Plante.
Elle ressemble au roseau, ses fleurs sont à pétales, ornées d’un calice ; elles sont mâles, & en épi du côté de la plante ; son ovaire est situé de l’autre côté ; il est garni d’un long tube, & de deux cornes ; il dégénere en une coque pierreuse qui contient une semence. Voilà les caracteres de cette plante, il faut maintenant sa description.
Elle a plusieurs racines partagées en beaucoup de fibres, longues d’une ou de deux coudées, noueuses. Ses feuilles sont semblables à celles du blé de Turquie, quelquefois longues d’une coudée & plus, larges de deux pouces ; mais les feuilles qui naissent sur les rameaux, sont moins grandes ; il sort des aisselles de ses feuilles de petits pédicules, qui soutiennent chacun un grain ou un nœud, rarement deux, contenant l’embryon du fruit : il part de ces nœuds des épis de fleurs à étamines, renfermées dans un calice à deux bules, sans barbe. Ces fleurs sont stériles, car les embryons naissent dans les nœuds, & deviennent chacun une graine unie, polie, luisante, cendrée avant la maturité, rougeâtre quand elle est mûre, dure comme de la pierre, de la grosseur d’un pois chiche, pointue à sa partie supérieure, & composée d’une coque dure & ligneuse ; cette coque renferme une amande farineuse, enveloppée d’une fine membrane.
Cette plante qui est une sorte de blé, vient originairement de Candie, de Rhodes, & autres îles de l’Archipel ; elle y croît d’elle-même, ainsi qu’en Syrie & dans d’autres contrées orientales. On la cultive quelquefois en Portugal & en Italie. On dit que le petit peuple dans des années de disette y fait du pain passable des semences qu’elle porte : ce qui est plus certain, c’est que les religieuses font de petites chaînes & des chapelets avec cette graine, qu’elles amollissent dans de l’eau bouillante, & la passent ensuite dans un fil. Comme cette graine n’a point de vertu en Médecine, nous n’en cultivons la plante que par pure curiosité, & même rarement. Ses semences ne mûrissent guere bien dans nos climats tempérés. (D. J.)
Larme de Job, (Mat. méd.) voyez Grémil.
Larmes pierre de, (Hist. nat.) en allemand thrœnenstein. Quelques Auteurs ont donné ce nom à une pierre de forme ovale, d’un blanc salé, & remplie de taches semblables à des gouttes d’eau ou à des larmes que la hasard y a formées. On dit qu’il s’en trouve en Hongrie, & qu’on les tire du lit de la riviere de Moldave. Voyez Bruckmanni, Epistol. itinerariâ.
Larmes de Verre, (Phys.) sont de petits morceaux de verre ordinaire qu’on tire du vase où le verre est en fusion avec l’extrémité d’un tuyau de fer. On en laisse tomber les gouttes, qui sont extrémement chaudes, dans un vase où il y a de l’eau froide, & on les y laisse refroidir. Là elles prennent une forme assez semblable à celle d’une larme, & c’est pour cette raison qu’on les appelle larmes de verre ; elles sont composées d’un corps assez gros & rond, qui se termine par un petit filet ou tuyau fermé. On fait avec ces larmes une expérience fort surprenante ; c’est qu’aussi-tôt qu’on en casse l’extrémité, toute la larme se brise en pieces avec un grand bruit, & quelques morceaux sont même réduits en poussiere. Le Dr. Hook, dans sa Micrographie, a donné une dissertation particuliere sur ce sujet. La cause de cet effet n’est pas encore trop bien connue ; voici une des explications qu’on en a imaginées. Quand la lame se refroidit & devient dure, il reste au centre de cette larme un peu d’air extrêmement raréfié par la chaleur ; & on voit en effet les bulles de cet air renfermées au-dedans de la larme de verre, de sorte que l’intérieur de cette larme, depuis le bout jusqu’au fond, est creux, & rempli d’air beaucoup moins condense que l’air extérieur. Or, quand on vient à rompre le bout du tuyau ou filet qui termine la larme, on ouvre un passage à l’air extérieur qui ne trouvant point de résistance dans le creux de la larme, s’y jette avec impétuosité, & par cet effort la brise. Cette explication souffre de grandes difficultés, & doit être au moins regardée comme insuffisante ; car les larmes de verre se brisent dans le vuide.
Ces larmes de verre s’appellent aussi larmes bataviques ; parce que c’est en Hollande qu’on a commencé à en faire. On peut voir en différens auteurs de physique les explications qu’ils ont tenté de donner de ce phénomene, & que nous ne rapporterons point ici, comme étant toutes hypothétiques & conjecturales. (O)
Larmes, terme d’Architecture. Voyez Gouttes.
Larmes, (Verrerie.) ce sont des gouttes qui tombent des parois & des voûtes des fourneaux vitrifiés par la violence du feu. Si ces gouttes se mêlent à la matiere contenue dans les pots, comme elles sont très-dures & qu’elles ne s’y mêlent pas, elles gâtent les ouvrages. Le moyen, sinon de prévenir entierement leur formation, du-moins de les rendre rares, c’est de bien choisir les pierres & les terres dont on fait les fourneaux. Voyez l’art. Verrerie.
Larmes, (Chasse.) on appelle larmes de cerf l’eau qui coule des yeux du cerf dans ses larmieres, où elle s’épaissit en forme d’onguent, qui est de couleur jaunâtre, & souverain pour les femmes qui ont le mal-de-mere, en délayant cet onguent & en le prenant dans du vin blanc, ou dans de l’eau de chardon beni.
Larmes de plomb, c’est une espece de petit plomb dont on se sert pour tirer aux oiseaux ; ce terme est fort usité parmi les chasseurs.