L’Encyclopédie/1re édition/LAPIS

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LAPIS, (Littér.) surnom que les Latins donnerent à Jupiter, & sous lequel il étoit ordinairement confondu avec le dieu Terme. Voyez Jupiter-lapis. (D. J.)

Lapis fabalis, (Hist. nat.) pierre ainsi nommée par les anciens, à cause qu’elle ressembloit à une feve ; elle se trouvoit, dit-on, dans le Nil, & étoit noire. Les modernes connoissent aussi des pierres qui ont la même figure, & on les appelle pierres de feves ; il y a une mine de fer en globules allongés ou en ovoïdes, que l’on nomme mine de feves ; ce sont des petites étites ou pierres d’aigles. Voy. Pois martiaux.

Lapis-lazuli, (Hist. nat.) c’est un jaspe ou une pierre dure & opaque, d’un bleu plus ou moins pur, qui est quelquefois parsemé de points ou de taches brillantes & métalliques, & quelquefois de taches blanches qui viennent des parties de la pierre qui n’ont point été colorées en bleu : cette pierre prend un beau poli.

Les petits points brillans & les petites veines métalliques & jaunes qu’on remarque dans le lapis-lazuli, ont été pris pour de l’or par beaucoup de gens qui croient voir ce métal par-tout, mais le plus souvent ce ne sont que des particules de pyrites jaunes ou cuivreuses qui ont pu elles-mêmes produire la couleur bleue de cette pierre. Cependant plusieurs auteurs assurent qu’on a trouvé de l’or dans le lapis, ce qui n’est pas surprenant, vû que le quartz qui fait la base du lapis est la matrice ordinaire de l’or.

On ne peut douter que ce ne soit à une dissolution du cuivre que le lapis est redevable de sa couleur bleue, & l’on doit le regarder comme une vraie mine de cuivre qui en contient une portion tantôt plus, tantôt moins forte.

Les Lapidaires distinguent le lapis-lazuli en oriental & en occidental ; cette distinction suivant eux est fondée sur la dureté & la beauté de cette pierre. En effet, ils prétendent que le lapis oriental est plus dur, plus compact, d’une couleur plus vive & moins sujette à s’altérer que le lapis d’occident, que l’on croit sujet à verdir, & dont la couleur est moins uniforme. Le lapis oriental se trouve en Asie & en Afrique ; celui d’occident se trouve en Espagne, en Italie, en Bohême, en Sibérie, &c.

Quelques naturalistes ont mis le lapis-lazuli au rang des marbres, & par conséquent au rang des pierres calcaires, parce qu’ils ont trouvé qu’il faisoit effervescence avec les acides ; on ne peut point nier, qu’il n’y ait du marbre qui puisse avoir la couleur du lapis, vû que toute pierre peut être colorée par une dissolution de cuivre, mais ces sortes de pierres n’ont ni la consistance ni la dureté du vrai lapis, qui est un jaspe & qui prend un très-beau poli beaucoup plus beau que celui du marbre.

Quelques auteurs ont prétendu que le vrai lapis exposé au feu y conservoit sa couleur bleue ; mais il y a tout lieu de croire qu’ils n’ont employé qu’un feu très-foible pour leur expérience : en effet il est certain que cette pierre, mise sous une moufle, perd totalement sa couleur. Si on pulvérise du lapis, & qu’on verse dessus de l’acide vitriolique, on lui enlevera pareillement sa partie colorante, & il s’en dégagera une odeur semblable à celle du soufre.

C’est du lapis pulvérisé que l’on tire la précieuse couleur du bleu d’outremer, payée si chérement par les Peintres, & à laquelle il seroit bien à souhaiter que la Chimie pût substituer quelque préparation qui eût la même solidité & la même beauté, sans être d’un prix si excessif. On peut voir la maniere dont cette couleur se tire du lapis, à l’article Bleu d’outremer.

On a voulu attribuer des vertus medicinales au lapis-lazuli, mais il est certain que le cuivre qui y abonde doit en rendre l’usage interne très-dangereux : à l’égard de la pierre qui lui sert de base ; comme elle est de la nature du quartz ou du caillou, elle ne peut produire aucun effet. Quant à l’usage extérieur, on dit que le lapis est styptique comme toute sa substance cuivreuse, & l’on peut employer en sa place des matieres moins cheres & plus efficaces.

Pline & les anciens designoient le lapis sous le nom de saphyrus ou sappirus, que les modernes donnent à une pierre precieuse bleue & transparente. Voyez Saphire. Les Arabes l’appelloient azul ou haget.

On peut contrefaire le lapis en faisant fondre du verre blanc, rendu opaque en y mêlant des os calcinés ; on joindra ensuite à ce mélange une quantité suffisante de bleu de saffre ou de smalte : lorsque le tout sera bien entré en fusion, on jettera dans le creuset de l’or en feuilles, & on remuera le mélange ; par ce moyen on aura un verre bleu opaque qui imitera assez bien le lapis, & qui sera même quelquefois plus beau que lui.

Le celebre M. Marggraf vient de publier, dans le recueil de ses œuvres chimiques, imprimé à Berlin en 1761, une analyse exacte qu’il a faite du lapis. Les expériences de ce savant chimiste prouvent que la plûpart de ceux qui ont parlé de cette pierre se sont trompés jusqu’ici. 1°. M. Marggraf a trouvé que ce n’étoit point au cuivre qu’étoit dûe la couleur bleue du lapis ; il le pulvérisa d’abord dans du papier plié en plusieurs doubles & ensuite dans un mortier de verre, afin d’éviter les soupçons qu’on auroit pû jetter sur son expérience s’il se fût servi d’un mortier de fer ou de cuivre. Il versa sur ce lapis en poudre de l’esprit de sel ammoniac qui, après y avoir été en digestion pendant vingt-quatre heures, ne se chargea en aucune façon de la couleur bleue. Il essaya ensuite de calciner la même poudre sous une moufle, & il assure qu’elle conserva sa couleur après la calcination. Il remit encore de l’alkali volatil sur cette poudre calcinée, & le dissolvant ne fut pas plus coloré que dans la premiere expérience : ce qui prouve d’une maniere incontestable que la couleur du lapis n’est point dûe au cuivre.

Ayant versé de l’acide vitriolique affoibli sur le lapis en poudre, il se fit une petite effervescence, & il en partit une odeur semblable à celle que produit le mélange de l’huile de vitriol étendue d’eau lorsqu’on en mêle avec de la limaille de fer. En versant de l’eau-forte ou de l’esprit de nitre non concentré sur une portion de la même poudre, l’effervescence fut plus forte qu’avec l’acide vitriolique, mais il n’en partit point d’odeur sulphureuse. Avec l’esprit de sel concentré il se fit aussi une effervescence, & il s’éleva une odeur très-sensible d’hepar sulphuris : ces dissolutions mises en digestion ne prirent aucune couleur, quoique le lapis eût perdu la sienne.

Quelques gouttes de la dissolution du lapis, faite dans l’acide vitriolique, mises sur du fer, ne lui firent point prendre la couleur du cuivre. L’alkali volatil versé dans cette même dissolution, ne la fit point devenir bleue, non plus que celles qui avoient été faites par l’acide nitreux & l’acide de sel marin ; cet alkali volatil précipita simplement une poudre blanche. M. Marggraf versa ensuite dans chacune de ces dissolutions de la dissolution d’alkali & de sang de bœuf, comme pour le bleu de Prusse, la dissolution du lapis dans l’acide nitreux donna un précipité d’un plus beau bleu que les autres, ce qui prouvoit la présence du fer. Ce qui arrive encore plus lorsqu’on a employé dans la dissolution des morceaux de lapis qui ont beaucoup de ces taches brillantes comme de l’or, que M. Marggraf regarde comme des pyrites sulfureuses.

En versant un peu d’acide vitriolique dans les dissolutions du lapis faites avec l’acide nitreux & l’acide du sel marin, il se précipite une espece de sélénite, ce qui prouve, suivant M. Marggraf, que le lapis contient une portion de terre calcaire qui, combinée avec l’acide vitriolique, forme de la sélénite.

Il fit ces mêmes expériences avec le lapis calciné, elles réussirent à-peu-près de même, excepté qu’il n’y eut plus d’effervescence. La dissolution dans l’acide du sel marin devint très-jaune ; & le mélange de la dissolution d’alkali & de sang de bœuf produisit un précipité d’un bleu très-vif. Une autre différence, c’est que les dissolutions du lapis calciné dans ces trois acides devinrent comme de la gelée, au lieu que celles qui avoient été faites avec le lapis non calciné demeurerent fluides : de plus, l’acide nitreux étoit celui qui avoit agi le plus fortement sur le lapis brut, au lieu que c’étoit l’acide du sel marin qui avoit extrait le plus de parties ferrugineuses du lapis calciné.

Quoique le lapis donne des étincelles lorsqu’on le frappe avec un briquet, ce qui annonce qu’il est de la nature du jaspe ou du caillou, M. Marggraf conjecture qu’il contient aussi une terre gypseuse ou sélénitique formée par la combinaison de l’acide vitriolique avec une terre calcaire ou avec du spath fusible, vu qu’un morceau de lapis tenu dans un creuset à une chaleur modérée, répandoit une lumiere phosphorique, & étoit accompagné de l’odeur du phosphore ; en poussant le feu jusqu’à faire rougir le lapis, la lumiere phosphorique disparut. On éteignit cette pierre à six ou sept reprises dans de l’eau distillée, qui fut filtrée ensuite, vû que ces extinctions réitérées l’avoient rendue trouble. On versa une dissolution de sel de tartre dans cette eau, & sur-le-champ il se précipita une poudre blanche qui, après avoir été édulcorée, se trouva être une vraie terre calcaire ; la dissolution qui surnageoit donna, par l’évaporation, du tartre vitriolé.

M. Marggraf ayant exposé au feu un morceau de lapis d’un beau bleu pendant une bonne demi-heure dans un creuset couvert, trouva qu’il n’avoit rien perdu de sa couleur. Un autre morceau tenu pendant une heure dans un creuset ferme & luté, se convertit en une masse poreuse d’un jaune foncé, sur laquelle étoient répandues quelques taches bleuâtres. Un autre morceau de lapis d’un beau bleu exposé à une chaleur plus forte excitée par le vent du soufflet, se changea entierement en une masse vitreuse blanche, sur laquelle on voyoit encore quelques marques bleues. M. Marggraf prouve par là la solidité de la couleur bleue de cette pierre ; & sa vitrification prouve encore selon lui, que le lapis est une pierre mélangée, vû que ni la pierre à chaux, ni le caillou, ni même le spath fusible, n’entrent point seuls en fusion.

En mêlant par la trituration un demi-gros de sel ammoniac, avec un gros de lapis en poudre & calciné, il en partit une odeur urineuse. Ce mélange ayant été exposé dans une retorte à un feu violent, il se sublima un sel ammoniac jaune, semblable à ce qu’on appelle fleurs de sel ammoniac martiales. Le résidut de cette sublimation pesoit exactement un gros, & étoit d’un beau bleu violet. Ce résidu fut lavé dans de l’eau distillée que l’on filtra ensuite, alors en y versant goutte à goutte une dissolution alkaline, il se précipita une assez grande quantité d’une poudre blanche qui étoit de la terre calcaire. Ce qui s’étoit sublimé ayant été dissous dans de l’eau déposa au bout de quelques tems une très-petite quantité de poudre d’un jaune orangé, semblable à de l’ochre martiale.

Ce lapis calciné & pulvérisé, mêlé avec des fleurs de soufre, & mis en sublimation, ne souffrit aucun changement, le résidu demeura toujours d’un beau bleu. La même chose arriva en le mêlant avec parties égales de mercure sublimé, qui ne fut point révivifié non plus que le cinnabre que l’on y avoit joint pour une autre expérience, & le résidu demeura toujours bleu.

Un mélange d’une partie de sel de tartre avec deux parties de lapis calciné & pulvérisé, exposé au grand feu pendant une heure dans un creuset bien luté, se convertit en une masse poreuse d’un verd jaunâtre ; mais en mettant parties égales de lapis & de sel de tartre, & en faisant l’expérience de la même maniere, on obtint une masse blanchâtre poreuse, couverte par-dessus d’une matiere jaunâtre.

Une partie de lapis mêlée avec trois parties de nitre pur entre peu-à-peu en fusion : en augmentant le feu, le lapis conserve sa couleur bleue ; en le poussant encore davantage, le mélange s’épaissit & se change enfin en une masse grise, qui jettée toute chaude dans de l’eau distillée lui donne une couleur d’un verd bleuâtre, qui disparoît en peu de tems & laisse l’eau limpide, mais lui donne un goût alkalin, & alors elle fait une forte effervescence avec les acides : quant au lapis il a perdu entierement sa couleur.

En mêlant un gros de caillou pulvérisé avec un demi-gros de sel de tartre & dix grains de lapis en poudre, M. Marggraf ayant mis le tout dans un creuset couvert, ce mélange donna un verre transparent d’un jaune de citron. Un gros de borax calciné, mêlé avec dix grains de lapis étant fondu, a donné un verre de la couleur de la chrysolite, d’où M. Marggraf conclud que le lapis ne contient pas la moindre portion de cuivre, mais que sa couleur vient d’une petite quantité de fer.

On voit par ce qui précede que les expériences de M. Marggraf détruisent presque tout ce qui avoit été dit jusqu’ici sur le lapis lazuli. (—)

Lapis Lebetum, (Hist. nat.) c’est le nom que quelques naturalistes donnent à la pierre que l’on nomme plus communément pierre ollaire, ou pierre à pots. Voyez ces article.

Lapis lucis, ou Lapis luminis, (Hist. nat.) nom donné par les medecins arabes à une pyrite ou marcassite, que l’on calcinoit & que l’on employoit pour les maladies des yeux, ce qui semble lui avoir fait donner son nom ; ou peut être lui est-il venu de ce que ces sortes de pyrites donnent beaucoup d’étincelles lorsqu’on les frappe avec l’acier. Voyez Pyrite.