L’Encyclopédie/1re édition/HARPIES

Briasson, David l’aîné, Le Breton, Durand (Tome 8p. 58-59).
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HARPIES, s. f. (Mytholog.) monstres fameux dans la fable, & que les Poëtes représentent avec un visage de fille, des oreilles d’ours, un corps de vautour, des aîles aux côtés des piés, & des mains armées de griffes longues & crochues. Virgile ne nomme que Celeno ; mais Hésiode en compte trois, Iris, Ocypeté & Aëllo. On disoit qu’elles causoient la famine par-tout où elles passoient, enlevant les viandes jusque sur les tables, infectant tout par leur mauvaise odeur : c’est ainsi qu’elles persécuterent Phinée, roi de Thrace, qui n’en fut délivré que par la valeur de Zethus & de Calaïs, deux des Argonautes, qui étant fils de Borée & ayant des aîles comme leur pere, donnerent la chasse à ces monstres jusqu’aux îles Strophades, où les harpies firent ensuite leur demeure ; c’est-là, selon Virgile, qu’elles vinrent fondre sur les tables des compagnons d’Enée. Les auteurs qui ont voulu ramener ces fictions à un sens historique, conjecturent que ce qu’on nomma harpies étoient des corsaires dont les incursions troubloient le commerce & la navigation des états voisins, & y causoient quelquefois la famine. D’autres prétendent que ces harpies n’étoient autre chose que des sauterelles qui ravageoient des contrées entieres ; que le mot grec Ἁρπηία est dérivé de l’hébreu arbeh, locusta, sauterelle ; que Celeno, nom de la principale des harpies, signifie en syriaque sauterelle ; & qu’Acholoë, nom d’une autre d’où Hésiode a fait Aëllo, vient d’achal, manger, parce que les sauterelles dévorent toute la verdure ; qu’elles furent chassées par les fils de Borée, c’est-à-dire par les vents septentrionaux qui balayent en effet ces nuées de sauterelles ; & enfin que ces insectes causent la famine, la peste, & inquietent par-là les souverains mêmes jusque dans leurs palais ; caracteres qui conviennent aux harpies qui desoloient le roi de Thrace. L’auteur de l’histoire du ciel, sans s’éloigner absolument de cette derniere opinion, y prête une nouvelle face. « Les trois lunes d’Avril, de Mai, & de Juin, dit-il, surtout les deux dernieres, étant sujettes à des vents orageux qui renversoient quelquefois les plants d’oliviers, & à amener du fond de l’Afrique & des bords de la mer Rouge des sauterelles & des hannetons qui ravageoient & salissoient tout, les anciens Egyptiens donnerent aux trois Isis qui annonçoient ces trois lunes, un visage féminin avec un corps & des serres d’oiseaux carnaciers ; les oiseaux étant la clé ordinaire de la signification des vents, & le nom de harpies qu’ils donnoient à ces vents signifioit les sauterelles, ou les insectes rongeurs que ces vents faisoient éclore ». Il n’a fallu aux Poëtes que de l’imagination, pour transformer des sauterelles en monstres ; mais il faut bien de la sagacité pour réduire des monstres en sauterelles. (G)