L’Encyclopédie/1re édition/HARPOCRATE

Briasson, David l’aîné, Le Breton, Durand (Tome 8p. 59).
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HARPOCRATE, s. m. (Mythologie.) fils d’Isis & d’Osiris, suivant la plûpart des Mythologistes.

C’est une divinité égyptienne dont le symbole particulier qui la distingue de tous les autres dieux d’Egypte, est qu’il tient le second doigt sur la bouche, pour marquer qu’il est le dieu du silence.

On voyoit des statues de ce dieu dans quantité de temples & de places publiques ; il nous en reste encore des empreintes par des gravures & des médailles sur lesquelles il est représenté diversement, selon les divers attributs que les peuples lui donnoient.

On offroit à cette divinité les lentilles & les prémices des légumes ; mais le lotus & le pêcher lui étoient particulierement consacrés.

Sa statue se trouvoit à l’entrée de la plûpart des temples ; ce qui vouloit dire, au sentiment de Plutarque, qu’il falloit honorer les dieux par le silence ; ou, ce qui revient au même, que les hommes en ayant une connoissance imparfaite, ils n’en devoient parler qu’avec respect.

On représentoit le plus ordinairement Harpocrate sous la figure d’un jeune homme nud, couronné d’une mitre à l’égyptienne, tenant d’une main une corne d’abondance, de l’autre une fleur de lotus, & portant quelquefois la trousse ou le carquois.

Comme on le prenoit pour le Soleil, & peut-être n’est-il pas autre chose, cette corne d’abondance marquoit que c’est le soleil qui produit tous les fruits de la terre, & qui vivifie toute la nature ; le carquois dénotoit ses rayons, qui sont comme des fleches qu’il décoche de toutes parts. La fleur de lotus est dédiée à cet astre lumineux, parce qu’elle passoit pour s’ouvrir à son lever & se fermer à son coucher : le pavot l’accompagne quelquefois, comme un symbole de la fécondité. Mais que signifie la choüette qu’on voit tantôt aux piés d’Harpocrate, & tantôt placée derriere le dieu ? Cet oiseau étant le type de la nuit, c’est, dit M. Cuper, le soleil qui tourne le dos à la nuit.

Quelques statues représentent Harpocrate vêtu d’une longue robe tombant jusque sur les talons, ayant sur sa tête rayonnante une branche de pêcher garnie de feuilles & de fruits. Comme les feuilles de cet arbre ont la forme d’une langue, & son fruit celle d’un cœur ; les Egyptiens, dit Plutarque, ont voulu signifier par cet emblème le parfait accord qui doit être entre la langue & le cœur. Cette statue mériteroit donc une place distinguée dans les palais des rois & des grands.

Les gravures & les médailles d’Harpocrate nous le représentent communément avec les mêmes attributs qu’on lui donne dans les statues antiques, le doigt sur la bouche, la corne d’abondance, le lotus, le pêcher, le panier sur la tête. Quelques-unes de ces médailles portent sur le revers l’empreinte du soleil ou de la lune ; & d’autres ont plusieurs caracteres fantastiques des Basilidiens, qui mêlant les mysteres de la religion chrétienne avec les superstitions du Paganisme, regardoient ces sortes de médailles comme des especes de talismans. Voyez à ce sujet les recherches de M. Spon.

Mais on fit sur-tout chez les anciens quantité de gravures d’Harpocrate, pour des bagues & des cachets. Nos Romains, dit Pline, commencent à porter dans leurs bagues Harpocrate, & autres dieux égyptiens. Leurs cachets avoient l’empreinte d’un Harpocrate avec le doigt sur la bouche, pour apprendre qu’il faut garder fidelement le secret des lettres ; & l’on ne pouvoit trouver d’emblème plus convenable de ce devoir essentiel de la société.

Varron parle succintement d’Harpocrate, de crainte, ajoûte-t-il, de violer le silence qu’il recommande : mais M. Cuper n’a pas cru qu’il devoit avoir les mêmes scrupules que le plus docte des Romains ; il a au contraire publié le fruit de toutes ses recherches sur cette divinité payenne, & n’a rien laissé à glaner après lui, en mettant au jour son ouvrage intitulé Harpocrates. J’y renvoye les curieux, qui y trouveront une savante mythologie de cette divinité d’Egypte. La premiere édition est d’Amsterdam en 1676, in-8°. & la seconde augmentée de nouvelles découvertes, parut à Utrecht en 1687, in-8°. (D. J.)