L’Encyclopédie/1re édition/HARPEGEMENT

Briasson, David l’aîné, Le Breton, Durand (Tome 8p. 58).
◄  HARPEAU
HARPIES  ►

HARPEGEMENT, s. m. (Musique.) ce mot vient de l’italien, & signifie une maniere particuliere de toucher successivement les différens tons dont un accord est composé, au lieu de les frapper à la-fois & en plein. Communément on monte de la tonique à la tierce, quinte, octave, ou septieme, &c. d’où l’on redescend ensuite par les mêmes intervalles : cela fait l’harpegement complet d’un accord.

L’harpegement est soumis au doigter de l’instrument, sur les instrumens qui ont un grand nombre de cordes, comme le clavecin, la harpe, le luth, &c. on ne change guere la marche d’un accord ; l’on monte & descend uniformément de la tierce à la quinte, de la quinte à l’octave, &c. mais sur les instrumens de peu de cordes, comme le violon, le violoncelle, &c. le doigter oblige souvent, pour rendre un accord complet, de chercher une tierce ou une quinte dans l’octave au-dessus ou au-dessous.

On ne peut harpeger long-tems sur des instrumens de peu de cordes ; le doigter s’y oppose : mais on se sert de cette maniere fréquemment sur le clavecin, la harpe, le luth, & sur d’autres instrumens qu’on pince.

On fait usage de l’harpegement dans les préludes & dans les morceaux de fantaisie, où un musicien s’abandonne aux idées que son génie lui inspire sur le champ : c’est-là où il peut montrer une science profonde dans l’art des modulations, des liaisons, des passages d’un ton à un autre, &c. L’harpegement devient alors nécessaire sur les instrumens qu’on touche ou qu’on pince. Les accords frappés en plein l’un après l’autre, offenseroient l’oreille à la longue. L’harpegement en ôte la sécheresse & la dureté.

On n’harpege presque jamais dans les accompagnemens : le goût & la sagesse proscrivent tout ce qui pourroit distraire du chant & de son expression ; & le secret de ne point couvrir la voix consiste moins dans l’art de joüer doux, que dans celui de supprimer cette note de l’accord, qui en se faisant entendre, nuiroit aux accens & à l’effet du chant. Aussi trouve-t-on dans les partitions d’un homme de goût les accords rarement remplis & le plus communément la quinte ne joue plus que la basse dès que la voix commence à chanter. Cette sagesse qui défend de remplir les accords dans les accompagnemens, s’opppose à plus forte raison à l’harpegement.

Pour accompagner le récitatif, le compositeur n’écrit que la note de la basse ; mais celui qui accompagne du clavecin frappe l’accord en plein & à sec aussi souvent que cette note change ; & celui qui accompagne du violoncelle, donne le même accord par harpegement, pour aider & soûtenir le chanteur dans le ton. Alors le compositeur doit chiffrer sa basse, du-moins dans les endroits difficiles. Voyez Accompagnement, Accord, Doigter, Luth, Clavecin, &c.