L’Encyclopédie/1re édition/ETRIER

ETRIERE  ►

ETRIER, s. m. (Manége.) espece de grand anneau de fer ou d’autre métal, forge & figuré par l’éperonnier, pour être suspendu par paire à chaque selle au moyen de deux étrivières (voyez Etrivieres) ; & pour servir, l’un à présenter un appui au pié gauche du cavalier lorsqu’il monte en selle & qu’il met pié à terre, & tous les deux ensemble à soûtenir ses piés ; ce qui non-seulement l’affermit, mais le soulage d’une partie du poids de ses jambes quand il est à cheval.

On ne voit des vestiges d’aucune sorte d’appui pour les piés du cavalier, ni dans les colonnes, ni dans les arcs, ni dans les autres monumens de l’antiquité, sur lesquels sont représentés nombre de chevaux, dont toutes les parties des harnois sont néanmoins parfaitement distinctes. Nous ne trouvons encore ni dans les auteurs grecs & latins, ni dans les auteurs anciens des dictionnaires & des vocabulaires, aucun terme qui désigne l’instrument dont nous nous servons à cet égard, & qui fait parmi nous une portion de l’équipage du cheval : or le silence de ces mêmes auteurs, ainsi que celui des marbres & des bronzes, nous a porté à conclure que les étriers étoient totalement inconnus dans les siecles reculés, & que les mots stapes, stapia, stapeda, bistapia, n’ont été imaginés que depuis que l’on en a fait usage.

Xenophon dans les leçons qu’il donne pour monter à cheval, nous en offre une preuve. Il conseille au cavalier de prendre de la main droite la criniere & les rênes, de peur qu’en sautant il ne les tire avec rudesse ; & telle est la méthode de nos piqueurs lorsqu’ils sautent sur le cheval. Quand le cavalier, dit-il, est appesanti par l’âge, son écuyer doit le mettre à cheval à la mode des Perses. Enfin il nous fait entendre dans le même passage, qu’il y avoit de son tems des écuyers qui dressoient les chevaux, de maniere qu’ils se baissoient devant leurs maîtres pour leur faciliter l’action de les monter. Cette marque de leur habileté, qu’il vante beaucoup, trouveroit de nos jours plus d’admirateurs dans nos foires que dans nos manéges.

Raphael Volateran, dans son épître à Xenophon in re equestri, nous développe la maniere des écuyers des Perses, & les secours qu’ils donnoient à leurs maîtres ; ils en soûtenoient, dit-il, les piés avec leurs dos.

Pollux & Vegece confirment encore notre idée. Si quelqu’un, selon le premier, veut monter à cheval, il faut qu’il y monte, ou plûtôt qu’il y descende, de dessus un lieu élevé, afin qu’il ne se blesse point lui-même en montant ; & il doit faire attention de ne point étonner & gendarmer le cheval par l’effort de son poids & par sa chûte : sur quoi Camérarius a prétendu que le cheval nud ou harnaché, devoit être accoûtumé à s’approcher du montoir, soit qu’il fût de pierre, de bois, ou de quelqu’autre matiere solide. Quant à Vegece (liv. I. de re militari) il nous fait une description de l’usage que les anciens faisoient des chevaux de bois qu’ils plaçoient en été dans les champs, & en hyver dans les maisons. Ces chevaux servoient à exercer les jeunes gens à monter à cheval ; ils y sautoient d’abord sans armes, tantôt à droit, tantôt à gauche, & ils s’accoûtumoient ensuite insensiblement à y sauter étant armés.

Les Romains imiterent les Grecs dans l’un & l’autre de ces points. De semblables chevaux de bois étoient proposés à la jeunesse qui s’exerçoit par les mêmes moyens, & qui parvenoit enfin à sauter avec autant d’adresse que de legereté sur toutes sortes de chevaux. A l’égard des montoirs, il y en avoit à quantité de portes. Porchachi dans son livre intitulé funerali antichi, rapporte une inscription dans laquelle le montoir est appellé suppedaneum, & qu’il trouva gravée sur un monument très-endommagé en allant de Rome à Tivoli. La voici :

Dis. ped. sacrum.
Ciuria dorsiferæ & cluniferæ
Ut insultare & desultare
Commodetur. Pub. Crassus mulæ
Suæ Crassæ bene merenti
Suppelaneum hoc, cum risie pos.

La précaution de construire des montoirs aux différentes portes & même, si l’on veut, d’espaces en espaces sur les chemins, n’obvioit pas cependant à l’inconvénient qui résultoit de l’obligation de descendre & de remonter souvent à cheval en voyage ou à l’armée ; sans doute que cette action étoit moins difficile pour les Romains qui étoient en état d’avoir des écuyers : mais comment ceux qui n’en avoient point & que l’âge ou des infirmités empêchoient d’y sauter, pouvoient-ils sans aucune aide parvenir jusque sur leurs chevaux ?

Ménage en s’étayant de l’autorité de Vossius, a soûtenu que S. Jérôme est le premier auteur qui ait parlé des étriers. il fait dire à ce saint, que lorsqu’il reçut quelques letires, il alloit monter à cheval & qu’il avoit déjà le pié dans l’étrier, in bistapia : mais ce passage ne se trouve dans aucune de ses épitres. Le P. de Montfaucon en conteste la réalité, ainsi que celle de l’épitaphe d’un romain, dont le pié s’étant engagé dans l’étrier, fut traîné si long-tems par son cheval qu’il en mourut. Sans doute que cette inscription que tout au moins il regarde comme moderne, ainsi que beaucoup de savans, est la même que celle qui suit :

D. M.
Quisquis lecturus accedis,
Cave si amas, at sinon
Amas, pensicula miser qui
Sine amore vivit dulce exit
Nihil ; ast ego tam dulce
Anhelans me incaute perdidi,

Et amor fuit
Equo dum aspectus formosiss.
Durmioniæ puellæ Virgunculæ
Summa polvoria placere cuperem
Casu desiliens pes hæsit stapiæ

Tractus inferri.
In rem tuam maturè propera.
Vale.

Le même P. de Montfaucon, après avoir témoigné sa surprise de ce que des siecles si renommés & si vantés ont été privés d’un secours aussi utile, aussi nécessaire, & aussi facile à imaginer, se flate d’en avoir découvert la raison. « La selle n’étoit alors, dit-il, qu’une piece d’étoffe qui pendoit quelquefois des deux côtés presque jusqu’à terre. Elle étoit doublée & souvent bourrée. Il étoit difficile d’y attacher des étriers qui tinssent bien, soit pour monter à cheval. soit pour s’y tenir ferme & commodément. On n’avoit pas encore l’art de faire entrer du bois dans la construction des selles : cela paroît dans toutes celles que nous voyons dans les monumens. Ce n’est que du tems de Théodose que l’on remarque que les selles ont un pommeau, & que selon toutes les apparences, le fond en étoit une petite machine de bois. C’est depuis ce tems-là qu’on a inventé les étriers, quoiqu’on ne sache pas précisément le tems de leur origine ».

Il est certain que l’époque ne nous en est pas connue ; mais j’observerai que leur forme varia sans doute, selon le goût des siecles & des pays où ils furent fabriqués. L’avidité de nos ayeux pour les ornemens, leur fit bien-tôt perdre de vûe la véritable destination de ces parties du harnois de monture. Une rose en filigramme, qu’on pouvoit à peine discerner de deux pas, & que la moindre éclaboussure enfoüissoit ; des nervures d’une grosseur disproportionnée pour porter sur un étrier la décoration d’un édifice gothique que l’on admiroit ; une multitude d’angles aigus, de tranchans, d’enroulemens entassés, formoient à leurs yeux une composition élégante qui leur déroboit les défectuosités les plus sensibles.

La moins considérable étoit un poids superflu ; elle frappa nos prédécesseurs : mais en élaguant pour y remédier, ils conserverent quelques ornemens, & ils supprimerent des parties d’où dépendoit la sûreté du cavalier. Nous les avons rétablies : on découvre néanmoins encore dans nos ouvrages de ce genre des restes & des traces de ce mauvais goût. Nous employons, par exemple, beaucoup de tems à former des moulures qui disparoissent aux yeux, ou que nous n’appercevons qu’à l’aide de la boue qui en remplit & qui en garnit les creux ; nous creusons les angles rentrans quelquefois même aux dépens de la solidité ; nous pratiquons enfin des arrêtes vives, aussi déplacées que nuisibles à la propreté.

Quoi qu’il en soit, on doit distinguer dans l’étrier, l’œil, le corps, la planche, & la grille.

L’œil n’est autre chose que l’ouverture dans laquelle la courroie ou l’étriviere qui suspend l’étrier est passée.

Le corps comprend toutes les parties de l’anneau qui le forme, à l’exception de celles sur lesquelles le pié se trouve assis.

Celles-ci composent la planche, c’est-à-dire cette espece de quadre rond, ou oval, ou quarré long, ou d’autre forme quelconque, dont le vuide est rempli par la grille ; & la grille est cet entrelas de verges de même métal que l’étrier, destinée à servir d’appui aux piés du cavalier, & à empêcher qu’ils ne s’engagent dans le quadre résultant de la planche avec laquelle elles sont fortement soudées.

Il n’y a pas long-tems que nos étriers étoient sans grille. Des accidens pareils à celui qu’éprouva l’amant infortuné dont j’ai rapporté l’épitaphe prétendue, nous persuaderent de leur nécessité : quelques éperonniers cependant se contenterent de ramener contre le centre les parties de la planche, qui forment l’avant & l’arriere de l’étrier ; mais ce moyen endommagea d’un autre côté le soulier de la botte, & rendit la tenue des étriers beaucoup plus difficile.

On en caractérise assez souvent les différentes sortes, eu égard aux différentes figures qui naissent de divers enlacemens des grilles. Nous disons des étriers à cœur, à quarreaux, à trefles, à armoiries, lorsque les grilles en sont formées par des verges contournées en cœur, en trefles, en quarreaux, ou lorsqu’elles représentent les armoiries de ceux à qui les étriers appartiennent.

L’œil doit être situé au-haut du corps, & tiré de la même piece de métal par la forge. On le perce d’abord avec le poinçon, pour faciliter l’entrée des bouts ronds’& quarrés de la bigorne par le secours de laquelle on l’aggrandit. Sa partie supérieure faite pour reposer sur l’étriviere, doit être droite, cylindrique, & polie au moins dans toute la portion de sa surface, qui doit porter & appuyer sur le cuir : elle doit être droite ; parce que la courroie naturellement plate ne sauroit être pliée en deux sens sous la traverse qu’elle soûtient, sans que les bords n’en soient plus tendus que le milieu, ou le milieu plus que les bords. Il faut qu’elle soit cylindrique, parce que cette forme est la moins disposée à couper ou à écorcher ; & c’est par cette même raison qu’elle doit être polie : il est de plus très-important que les angles intérieurs soient vuidés à l’équerre pour loger ceux du cuir, & que les faces intérieures soient arrondies & lissées, puisque ce même cuir y touche & frote fortement contre elles. Du reste la traverse ne peut avoir moins de deux lignes de diametre ; autrement elle seroit exposée à manquer de force ; & moins d’un pouce & quelques lignes de longueur dans œuvre, l’étriviere que l’œil doit recevoir ayant communément un pouce au moins de largeur.

Il est encore des étriers dont l’œil est une partie séparée & non forgée avec le corps ; il lui est simplement assemblé par tourillon. Cette méthode eut sans doute lieu en faveur de ceux qui chaussent leurs étriers sans attention ; peut-être espéroit-on que l’étriviere tordue ou tournée à contre-sens se détordroit elle-même, ou reviendroit dans son sens naturel dans les instans où le pié ne chargeroit pas l’étrier : mais alors le trou qui traverse le corps dans le point le plus fatigué, l’affoiblit nécessairement ; en second lieu, le tourillon foible par sa nature est exposé à un frotement qui en hâte bien-tôt la destruction ; enfin le cavalier a le desagrément pour peu qu’il n’appuie que legerement sur la planche, de voir l’étrier tourner sans cesse à son pié, l’œil présenter sa carne à la jambe, & y porter souvent des atteintes douloureuses.

Le corps nous offre une espece d’anse dont les bouts seroient allongés, & dont l’œil est le sommet ainsi que le point de suspension. Il faut que de l’un & de l’autre côté de cet œil les bras de l’anse soient égaux par leur forme, leur longueur, leur largeur, & leur épaisseur, & qu’ils soient pliés également. Nos éperonniers les arrondissent en jonc de trois lignes de diametre pour les selles de chasse, & de quatre lignes pour les chaises de poste. L’anse est en plein cintre, les côtés sont droits & paralleles, le tout dans le même plan que l’œil

Communément & au bout des deux bras au-dessus des boutons, de même diametre, qui les terminent, on soude la planche & la grille.

La planche est alors faite de deux demi-cerceaux de verge de fer équarrie, sur trois ou quatre lignes de hauteur & deux & demi de largeur. Ils composent ensemble un cercle ou un oval peu différent du cercle, dont le grand diametre ne remplit pas l’entre-deux des bras par lui-même ; mais il se trouve pour cet effet prolongé de cinq ou six lignes par les bouts de ces cerceaux repliés, pour former un collet avec la principale piece de la grille soudée avec eux & entre eux deux. Il est essentiel dans cette construction que les parties qui forment la grille soient soudées d’une même chaude pour chaque côté. Si l’éperonnier use de rivets pour assembler les portions de la grille, il ne doit pas se dispenser de les souder de même : il peut néanmoins en assembler quelques pointes avec la planche par mortaise, pourvû que ce ne soit pas près du corps.

Le fer de la grille est ordinairement tiré sur l’osange, & posé sur les angles aigus. L’angle d’où naît la surface où le pié doit prendre son appui, sera néanmoins ravalé, pour ne pas nuire à la semelle de la botte. Il est bon que le milieu de la grille soit médiocrement bombé en contre-haut, la tenue de l’étrier en devient plus aisée. Quant à la planche, elle sera horisontale, les bras du corps s’éleveront perpendiculairement, leur plan la divisera également par moitié, l’œil enfin se trouvera dans ce même plan & dans la direction du centre de gravité du tout ; sans ces conditions l’étrier se présenteroit toûjours défectueusement au cavalier, & il tendroit plûtôt à le fatiguer qu’à le soulager & à l’affermir.

L’étrier que nous appellons étrier quarré, ne tire pas sa dénomination de la forme quarrée de sa planche ; car elle pourroit être ronde ou ovale, & nous ne lui conserverions pas moins ce nom. Il ne differe des autres étriers dont nous avons parlé, que parce que sa planche est tirée du corps même, & non soudée à ce corps. Pour cet effet les bras se biffurquent à un pouce ou deux au-dessus de la planche, chacun dans un plan croisé, à celui du corps ; & les quatre verges qui résultent de ces deux biffurcations, équarries comme celles des planches ordinaires, sont repliées en-dedans pour imiter le collet de la planche soudée : à six lignes de-là elles sont encore repliées d’équerre en-dehors : à quinze ou seize lignes de ce second angle, elles sont encore repliées d’équerre pour être abouties par soudure. Tous ces plis sont dans le même plan. La traverse principale de la grille est aussi refendue en fourche par les deux bouts. Ses fourchons sont soudés aux faces intérieures des parties qui représentent les collets, c’est-à-dire qui sont comprises entre le premier & le second retour d’équerre depuis la biffurcation du corps. Les autres pieces de la grille sont assemblées par soudure avec la traverse & par mortaise dans la planche.

La largeur de l’étrier mesurée sur la grille entre les deux bras du corps, doit surpasser de quelques lignes seulement la plus grande largeur de la semelle de la botte. A l’égard de la hauteur entre le cintre & le milieu de la grille, il faut qu’elle soit telle qu’elle ne soit ni trop ni trop peu considérable. Dans le premier cas le pié pourroit passer tout entier au-travers, & le talon feroit alors l’office d’un crochet, qu’un cavalier desarçonné dans cette conjoncture ne pourroit désaisir sans secours ; & dans le second, le pié plus épais à la boucle du soulier qu’ailleurs, pourroit aussi s’engager. Cette mesure ne peut donc être déterminée avec justesse ; mais chacun peut aisément reconnoître si les étriers qu’on lui propose lui conviennent. Il ne s’agit que de les présenter à son pié chaussé de sa botte dans tous les sens possibles ; & si l’on se sent pris & engagé, on doit les rejetter comme des instrumens capables de causer les accidens les plus funestes.

L’étrier ébauché de près à la forge, doit être fini à la lime douce ; & ensuite s’il est de fer, étamé, argenté, ou doré, & enfin bruni. S’il est de quelque beau métal, il n’est question que de le mettre en couleur & de le brunir ; car après cette derniere opération, il donnera moins de prise à la boue, & sera plus facilement maintenu dans l’état de netteté qui doit en faire le principal ornement.

Dans quelques pays, comme en Italie & principalement en Espagne, quelques personnes se servent d’étriers figurés en espece de sabot, & formés par l’assemblage de six bouts de planche de quelque bois fort & leger. Les deux latérales sont profilées pour en recevoir une troisieme, qui compose la traverse par laquelle le tout est suspendu. Une quatrieme recouvre le dessus du pié. La cinquieme termine le sabot en-avant ; & le pié tout entier trouve sur l’inférieure ou sur la sixieme, une assiette commode. On peut doubler de fourrure ces sortes d’étriers, qui peuvent avoir leur utilité malgré le peu d’élégance de leur forme.

Les Selliers appellent étriers garnis, ceux dont la planche est rembourrée. Cette précaution a sans doute été suggérée par l’envie de flater la délicatesse des personnes du sexe.

Dans nos manéges nous comprenons sous le nom seul de chapelet, les étrivieres & les étriers. Voyez Etrivieres.

Ajuster les étriers, ou les mettre à son point, c’est donner à l’étriviere une longueur telle que l’étrier soit à une hauteur mesurée, & que le pié du cavalier puisse porter & s’appuyer horisontalement sur la grille. Voyez Ibid.

Retrousser les étriers, c’est les suspendre en-arriere & les élever de maniere qu’il soit impossible à l’animal inquiet & tourmenté par les mouches, d’y engager un de ses piés lorsqu’il cherche à se débarrasser des insectes qui le piquent & qui le fatiguent. Voyez Etrieres.

Tenir l’étrier. Cette expression a deux sens : nous l’employons pour désigner l’action de tenir l’étrier, à l’effet d’aider à quelqu’un à monter en selle, & pour désigner l’adresse & la fermeté du cavalier qui ne laisse échapper ni l’un ni l’autre dans les mouvemens les plus rudes & les plus violens de l’animal. On tient dans le premier cas l’étriviere droite avec la main gauche, la main droite étant occupée à tenir le cheval par le montant de la têtiere de la bride. On doit faire attention de ne tirer & de ne peser sur l’étriviere, que lorsque le cavalier a mis le pié à l’étrier opposé. A mesure qu’il s’éleve sur ce même étrier gauche, on augmente insensiblement l’appui sur l’étriviere, de façon que les forces résultantes d’une part du poids du cavalier, & de l’autre de la puissance avec laquelle l’aide s’employe, soient tellement proportionnées que la selle ne tourne point. Nombre de palefreniers mal-adroits & incapables de connoitre les raisons de cet accord & de cette proportion nécessaires, devancent l’action du cavalier ; ils déplacent la selle au moyen de leur premier effort, & l’attirent à eux ; le cavalier par son poids la ramene ensuite à lui ; & de ce frotement sur le dos de l’animal, d’où résulte pour lui un sentiment souvent desagréable, naissent fréquemment les desordres d’un cheval devenu par cette seule raison difficile au montoir. Il arrive de plus que très souvent ces mêmes palefreniers, dans la main gauche desquels réside la grande force dont ils sont doüés, sont en quelque sorte contraints de roidir en même tems la main droite, tirent de leur côté ou en-arriere la tête de l’animal, & l’obligent naturellement eux-mêmes à tourner & à se défendre. Voyez Montoir. Lorsque le cavalier est en selle ; l’aide doit présenter l’étrier à son pié droit dans un sens où l’étriviere ne soit pas tordue.

L’adresse de tenir l’étrier ou les étriers, dans le second sens, dépend de la fermeté du cavalier, ses étriers étant parfaitement ajustés à son point ; & cette fermeté ne consiste point, ainsi que plusieurs ignorans l’imaginent, dans la force de l’appui sur ces mêmes étriers, & dans celle des cuisses & des jarrets, mais dans l’aisance avec laquelle le cavalier les laisse, pour ainsi parler, badiner à son pié sans un déplacement notable, & dans ce grand équilibre & cette justesse qui caractérisent toûjours l’homme de cheval.

Perdre les étriers, est une expression qui présente une idée directement contraire à celle que nous offre celle-ci. Lorsque les étriers ont échappé aux piés du cavalier, nous disons qu’il ne les a pas tenus, ou qu’il les a perdus ; ce qui signifie une seule & même chose. Le trop de longueur des étriers occasionne souvent cette perte, & plus souvent encore l’incertitude ; l’ébranlement du corps du cavalier, & son peu de tenue.

Faire perdre les étriers. Les sauts, les contre-tems d’un cheval peuvent faire perdre les étriers. Faire perdre les étriers à son adversaire : cette périphrase étoit usitée en parlant de ceux qui combattoient autrefois. Rien n’étoit plus glorieux dans un tournoi, lorsque d’un coup de lance on ébranloit si fort son ennemi, qu’il étoit forcé de perdre les étriers.

Peser sur les étriers : cet appui est la plus douce des aides confiées aux jambes du cavalier ; mais elle n’a d’efficacité qu’autant qu’elle est employée sur un cheval sensible : elle produit alors l’effet qui suit l’approche des gras de jambes sur un cheval moins fin : celle-ci se donne de la part du cavalier, en pliant insensiblement & par degré les genoux, jusqu’à ce que les gras de jambe soient plus ou moins près du corps de l’animal, ou le touchent entierement selon le besoin. L’autre s’administre au contraire en étendant la jambe, & en effaçant ou en diminuant le pli leger que l’on observe dans le genou de tout homme bien placé à cheval, lorsqu’il n’agit point des jambes. Toutes les deux operent sur le derriere de l’animal, & le chassent en-avant également. Le cavalier ne peut s’étendre & peser sur les étriers, qu’il n’en résulte une legere pression de ses jambes contre le corps du cheval ; & c’est cette pression bien moindre que la premiere, qui détermine le derriere en-avant, quand elle est effectuée sur les deux étriers à raisons égales, & de côté quand elle n’a lieu que sur un d’eux. On conçoit sans doute que cette aide ne demande que l’extension de la cuisse & de la jambe, & non que le cavalier panche son corps de côté, & soit par conséquent totalement de travers. Quelque générale que soit cette maniere dans les éleves des maîtres les plus renommés, & dans ces maîtres eux-mêmes, il est constant que c’est un défaut qui prive non-seulement l’action du cavalier de la grace qu’accompagnent toûjours l’aisance & la facilité, mais qui s’oppose encore à la liberté des mouvemens auxquels on sollicite l’animal, & que l’on desire de lui imprimer.

Chausser les étriers. Pour les chausser parfaitement, on y doit mettre le pié, ensorte qu’il dépasse simplement d’environ un pouce l’avant de la planche : de plus, le pié doit nécessairement porter horisontalement sur le milieu de la grille, sans appuyer plus fortement sur le dedans que sur le dehors, ou sur le dehors que sur le dedans. Le vice le plus commun est d’enfoncer tellement le pié, que le talon touche & répond à l’arriere de la planche ; outre le spectacle desagréable qu’offre une pareille position, il est à craindre que le pié ne s’engage enfin si fort, que le cavalier ne puisse l’en tirer. Une seconde habitude non moins repréhensible & aussi fréquente, est celle de peser infiniment plus sur un côté de l’étrier, que sur l’autre : la jambe alors paroît estropiée ; en pesant en effet sur le dehors, la cheville du pié se trouve faussée en-dehors, nous en avons un exemple dans presque tous nos académistes ; & en pesant sur le dedans, la cheville est faussée en-dedans. Si l’on faisoit plus d’attention à la situation des éleves qui commencent, & si, conformément à des principes puisés dans leur propre conformation, on leur enseignoit les moyens de soûtenir, de relever sans force la pointe des piés, & de les maintenir toûjours horisontalement ; nous n’aurions pas ce reproche à leur faire. Quelques écuyers, ou plûtôt quelques personnes, qui ne doivent ce titre qu’à l’ignorance de ceux qui leur font la grace de le leur accorder, tombent dans le défaut opposé au premier. La pointe de leur pié n’outre-passe pas la planche ; elle est au contraire fixée sur la grille, & elle est beaucoup plus basse & plus près de terre que le talon : 1°. par cette position qui blesse les yeux des spectateurs, ils attirent l’étrier en-arriere de la ligne perpendiculaire sur laquelle il doit être : en second lieu, l’étrier porté en-arriere, leurs jambes en sont plus rapprochées du corps de l’animal qu’ils endurcissent, & que leurs talons relevés & armés du fer effrayent ; ainsi elles sont sans cesse en action sans que le cavalier s’en apperçoive, & insensiblement le cheval acquiert un degré d’insensibilité si considérable, qu’il méconnoît les aides, & n’obéit plus qu’aux châtimens.

Mettre le pié à l’étrier. Rien ne paroît plus simple que de mettre le pié à l’étrier ; on diroit à cet effet qu’il suffit d’élever la cuisse & la jambe, & d’enfiler cet anneau : mais cette action demande beaucoup de précaution. Je débuterai par les réflexions que me suggere la méthode de la plus grande partie des maîtres : ils doivent excuser ma sincérité en faveur de l’utilité dont elle peut être au public ; & si j’ai la témérité de les condamner sur des points que le créat le plus novice ne doit pas ignorer, je me plais à croire que ces points ne leur ont échappé que vû la contention de leur esprit captivé par les seules grandes difficultés que nous avons à vaincre dans notre art. Pour procurer à l’écolier la facilité de mettre le pié à l’étrier, ils commencent par lui imposer une loi, qui ne doit être prescrite qu’aux postillons, ou à ceux qui montent à cheval en bottes fortes ; ils lui ordonnent en effet de saisir l’étriviere au-dessus de l’œil de l’étrier avec la main droite : l’éleve est donc obligé de se baisser pour suivre le précepte ; dans ce même instant sa main gauche armée des rênes, de la gaule, & des crins, se trouve élevée au-dessus de sa tête ; son corps incliné forme une sorte de demi-cercle, & c’est dans cette situation qu’on exige qu’il porte le pié à l’étrier, c’est-à-dire presque à la hauteur de sa main. On comprendra sans peine qu’une pareille épreuve n’offre tout au moins rien de gracieux à la vûe, sans parler de l’effort que le commençant fait dans l’idée de se conformer à un principe nécessaire pour favoriser l’entrée d’un soulier large & quarré dans l’anneau que la main sert alors à fixer, mais qui dans les autres circonstances ne doit point être adopté. Le pié une fois dans l’étrier, ils lui commandent de s’élever de terre sans aucune autre considération. Supposons à-présent que le cavalier près du cheval & vis-à-vis de son épaule ait les rênes, la gaule dans la main, & se soit muni d’une suffisante quantité de crins ; j’imagine qu’en lui conseillant de porter le pié droit en-arriere, de fixer tout son poids sur ce pié, & de lever le pié gauche, celui-ci parviendra très-aisément à la hauteur de l’étrier, qu’il enfilera sans obstacle & sans contrainte, le corps demeurant dans une position droite, la tête étant élevée, & le cavalier conservant cet état de force & de liberté dont il ne doit jamais sortir. J’irai plus loin, j’examinerai comment cet écolier a chaussé ce même étrier ; si son pié est engagé trop avant, je l’instruirai des inconvéniens qui en résultent. Le premier est de blesser, d’étonner, ou de gendarmer le cheval, en appliquant la pointe contre son ventre ; ce qui est encore une des principales raisons de la crainte & de l’aversion que les chevaux, & principalement les poulains, témoignent lorsqu’on veut les monter. Le second est de chasser l’étrier & l’étriviere contre le corps de l’animal : dès-lors le cavalier ne peut rencontrer une assiette pour assûrer le poids de son corps, qu’il ne peut élever qu’autant que l’étrier est sur une ligne perpendiculaire ; & son pié reposant d’ailleurs sur sa partie concave, & par conséquent sur sa partie la plus foible, il ne peut perdre & quitter terre sans risquer de tomber en-arriere & de se renverser. Le pié doit donc porter à plat sur l’étrier par sa portion la plus large qui est marquée par le commencement des phalanges. Voyez Monter à cheval. Je conviens qu’un tel écuyer qui permet à ses académistes de profiter d’un montoir de pierre pour monter en selle, ou tel autre qui souffre qu’un palefrenier prete la main à ses éleves, & y soûtienne leur jambe gauche pour qu’ils puissent sauter & s’y jetter à la maniere des piqueurs & des maquignons, dédaignent de semblables soins ; mais ces soins sont-ils utiles & nécessaires ? c’est ce dont déposeront leurs propres disciples, par la grace avec laquelle ils profiteront du secours des étriers lorsqu’ils en feront usage en montant à cheval, & ce que nous laissons d’ailleurs à décider à tous ceux qui sans partialité tenteront la solution de cette demande. (e)

Etrier, (Ostéolog.) un des quatre osselets de la caisse du tambour, ainsi nommé à cause de sa ressemblance avec un étrier. Voyez-en la figure dans Vesale & du Verney.

On le divise en tête, en jambes ou branches, & en base. Sa base qui, à la maniere des anciens étriers, n’est point percée, bouche la fenêtre ovale dans laquelle elle est comme enchâssée. Sa tête est jointe à l’os orbiculaire. Les deux branches de cet osselet ne sont point parfaitement égales ; la postérieure est ordinairement un peu plus longue, plus courbe & plus grosse ; elles sont creusées toutes les deux par une rainure qui se continue sous la tête de l’étrier. Sa situation est presque horisontale ; sa tête est tournée du côté de la membrane du tambour, & sa base est attachée au fond de la caisse.

L’espace enfermé entre sa base & ses branches, est tapissé d’un périoste très-délié, & parsemé de vaisseaux, selon les observations de Ruysch.

L’étrier est couché, par rapport à la situation de l’homme considéré comme étant debout. Sa tête est en-dehors, auprès de l’extrémité de la jambe de l’enclume. Sa base est en-dedans, & enchâssée dans la fenêtre ovale. La jambe longue est couchée en-arriere, & la courte en-devant, toutes les deux dans un même plan. Par-là on connoîtra facilement si un étrier est du côté droit ou du côté gauche.

Ingrassias & Colombus s’attribuent tous deux la découverte de cet osselet ; mais malgré leurs prétentions, cette découverte paroît plûtôt devoir être attribuée à Eustachi, & la maniere dont il s’exprime est trop précise pour qu’on le soupçonne d’en imposer. « Je peux me rendre ce témoignage, dit-il, qu’avant que qui que ce fût eût parlé de l’étrier, ni que qui que ce fût l’eût décrit, je le connoissois très-bien ; je l’avois fait voir à plusieurs personnes à Rome, & même je l’avois fait graver en cuivre ».

L’étrier n’a qu’un muscle, décrit premierement par Varole, mais d’une maniere très-défectueuse, puisqu’il ne décrit que ce seul muscle dans l’oreille interne. Casserius le trouva en 1601 dans le cheval & dans le chien, le représenta d’après ces animaux, & le prit avec assez de raison pour un ligament. En effet, dans l’homme c’est un muscle tendineux, petit, court, passablement gros, & cache dans la petite pyramide osseuse du fond de la caisse. La cavité qu’il occupe, touche de fort près le conduit osseux de la portion dure du nerf auditif. Il se termine par un tendon grêle, qui sort de la moitié osseuse par le petit trou dont la pointe de la pyramide est percée. Ce tendon, en sortant du trou, se tourne en-devant, & s’attache au cou de l’étrier, du côté de la jambe la plus grande & la plus courbe de cet osselet. Nous ignorons l’usage de l’étrier, & vraissemblablement nous l’ignorerons toûjours. Article de M. le Chevalier de Jaucourt.

Etrier, terme de Chirurgie, bandage dont on se sert pour la saignée du pié. Il se fait avec une bande longue d’une aulne & demie ou environ, large de deux travers de doigt, roulée à un chef. Le chirurgien qui est assis, ou qui a un genou en terre, après avoir réuni la plaie, & avoir posé la compresse, qu’il soûtient avec le pouce de la main gauche, si c’est au pié droit, prend le globe de la bande, dont il laisse pendre l’extrémité de la longueur d’un pié : il pose ce bout sur son genou, & l’assujettit par le talon du malade : il conduit alors le globe sur la compresse, pour faire un circulaire de devant en-arriere autour de la partie inférieure de la jambe. On vient croiser sur la compresse ; on passe sous la plante du pié, & on revient sous la malléole interne : on conduit le globe de bande postérieurement, pour croiser le tendon d’Achille ; & quand on est parvenu sur la malléole externe, on dégage le bout qui étoit sous le talon. On le releve sur la compresse, & on le conduit sur la malléole externe, pour le noüer avec l’autre extrémité de la bande. Ce bandage représente un étrier, d’où lui vient son nom. Si la bande se trouve trop longue, on employe le superflu à faire quelques circonvolutions qui croisent les premieres. Il faut noüer les deux bouts de la bande antérieurement sur le coup de pié, afin que le malade ne soit point incommodé du nœud en se couchant sur le côté, comme il arriveroit, si le nœud étoit fait sur la malléole externe, comme quelques personnes le pratiquent. Il ne faut pas négliger les plus petites choses, lorsqu’elles peuvent procurer de l’aisance aux malades. Voyez le pié gauché de la figure 1, Planche XXX. de Chirurgie. (Y)

Etrier, en Architecture, espece de lien de fer coudé quarrement en deux endroits, qui sert à retenir par chaque bout une chevetre de charpente assemblée à tenon dans la solive d’enchevétrure, & sur laquelle l’étrier est attaché. Il sert aussi à armer une poutre qui est éclatée.

Etrier, (Marine.) C’est un des chaînons des cadenes de haubans, qu’on cheville sur une seconde précinte, afin de renforcer ces cadenes. (Z)

Etriers, (Marine.) Ce sont de petites cordes dont les bouts sont joints ensemble par des épissures. On s’en sert pour faire couler une vergue ou quelqu’autre chose au haut des mâts, le long d’une corde. On s’en sert aussi dans les chaloupes, pour tenir l’aviron au tolet. (Z)