L’Encyclopédie/1re édition/ETONNEMENT

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* ETONNEMENT, s. m. (Morale.) c’est la plus forte impression que puisse exciter dans l’ame un évenement imprévû. Selon la nature de l’évenement, l’étonnement dégénere en surprise, ou est accompagné de joie, de crainte, d’admiration, de desespoir.

Il se dit aussi au physique de quelque commotion intestine, ainsi que dans cet exemple : j’eus la tête étonnée de ce coup ; & dans celui-ci : cette piece est étonnée, où il signifie une action du feu assez forte pour déterminer un corps à perdre la couleur qu’il a, & à commencer de prendre celle qu’on se proposoit de lui donner.

Etonnement de Sabot, (Manége, Maréchall.) secousse, commotion que souffre le pié en heurtant contre quelques corps très-durs ; ce qui peut principalement arriver lorsque, par exemple, le cheval, en éparant vigoureusement, atteint de ses deux piés de derriere, ensemble ou séparément, un mur qui se trouve à sa portée & derriere lui.

Cet évenement n’est très-souvent d’aucune conséquence ; il en résulte néanmoins quelquefois des maladies très-graves. La violence du heurt peut en effet occasionner la rupture des fibres & des petits vaisseaux de communication du sabot & des tégumens, ainsi que des expansions aponévrotiques du pié. Alors les humeurs s’extravasent, & détruisent toujours de plus en plus, par leur affluence, toutes les connexions. Ces mêmes humeurs croupies, perverties, & changées en pus, corrodent encore par leur acrimonie toutes les parties ; elles forment des vuides, elles donnent lieu à des fusées, & se frayent enfin un jour à la portion supérieure du sabot, c’est-à-dire à la couronne : c’est ce que nous appellons proprement souffler au poil.

Si nous avions été témoins du heurt dont il s’agit, la cause maladive ne seroit point du nombre de celles que nous ne saisissons que difficilement, & nous attribuerions sur le champ la claudication de l’animal à l’ébranlement que le coup a suscité ; mais nous ne sommes pas toujours certains de trouver des éclaircissemens dans la sincérité de ceux qui ont provoqué le mal, & qui sont plus ou moins ingénus, selon l’intérêt qu’ils ont de déguiser leur faute & leur imprudence : ainsi nous devons, au défaut de leur aveu, rechercher. des signes qui nous le décelent.

Il n’en est point de véritablement univoques, car la claudication, l’augmentation de la douleur, la difficulté de se reposer sur la partie, sa chaleur, l’engorgement du tégument à la couronne, la fievre, l’éruption de la matiere, capable de dessouder l’ongle, si l’on n’y remédie, sont autant de symptomes non moins caractéristiques dans une foule d’autres cas, que dans celui dont il est question. On peut cependant, en remontant à ce qui a précédé, & en examinant si une enclouûre, ou des scymes saignantes, ou l’encastelure, ou des chicots, ou des maladies qui peuvent être suivies de dépôts, ou une infinité d’autres maux qui peuvent affecter le pié de la même maniere, n’ont point eu lieu ; décider avec une sorte de précision, & être assûré de la commotion & de l’étonnement.

Dès le moment du heurt, où il n’est que quelques fibres lésées, & qu’une legere quantité d’humeur extravasée, on y pare aisément en employant les remedes confortatifs & résolutifs, tels que ceux qui composent l’emmiellure suivante.

« Prenez poudre de plantes aromatiques, deux livres ; farines résolutives, qui sont celles de feve, d’orobe, de lupin & d’orge, demi-livre : faites bouillir le tout dans du gros vin, & ajoûtez-y miel commun, six onces, pour l’emmiellure, que vous fixerez sur la solle ».

Ce cataplasme cependant ne sauroit remplir toutes nos vûes. Il est absolument important de prévenir les efforts de la matiere, qui pourroit souffler au poil dans l’instant même où nous ne nous y attendrions pas ; & pour nous précautionner contre cet accident, nous appliquerons sur la couronne l’emmiellure répercussive que je vais décrire.

« Prenez feuilles de laitue, de morelle & de plantain, une poignée ; de joubarbe, demi-poignée : faites bouillir le tout dans une égale quantité d’eau & de vinaigre : ajoûtez-y de l’une des quatre farines résolutives, trois onces, & autant de miel ».

Mais les humeurs peuvent être extravasées de maniere à former une collection & à suppurer : alors il faut promptement sonder avec les triquoises toute la circonférence & la partie inférieure de l’ongle, & observer non-seulement le lieu où il y a le plus de chaleur, mais celui qui nous paroît le plus sensible, afin d’y faire promptement une ouverture avec le boutoir ou avec la gouge, ouverture qui offrira une issue à la matiere, & qui nous fournira le moyen de conduire nos médicamens jusqu’au mal même. Supposons de plus que cette matiere se soit déjà ouvert une voie par la corrosion du tissu de la peau vers la couronne ; nous n’en ouvrirons pas moins la solle, & cette contre-ouverture facilitera la détersion du vuide & des parties ulcerées, puisque nous ne pourrons qu’y faire parvenir plus aisément les injections vulneraites que nous y adresserons. On évitera, ainsi que je l’ai dit, relativement aux plaies suscitées par les chicots, les encloüures, &c. (voyez Enclouure), les remedes gras, qui hâteroient la ruine des portions aponévrotiques, qui s’exfolient souvent ensuite de la suppuration (voyez Filandre) ; & l’on n’employera dans les pansemens que l’essence de terebenthine, les spiritueux, la teinture de myrrhe & d’aloës, &c. Si l’on apperçoit des chairs molles, on les consumera en pénétrant aussi profondément dans le pié qu’il sera possible, avec de l’alun en poudre, ou quelqu’autre cathérétique convenable ; & en suivant cette route on pourra espérer de voir bientôt une cicatrice, soit à la couronne, soit à la solle, qui n’aura pas moins de solidité que n’en avoient les parties détruites.

La saignée précédant ces traitemens, s’opposera à l’augmentation du mal, favorisera la résolution de l’humeur stagnante, & calmera l’inflammation.

Enfin il est des cas où les progrès font tels, que la chûte de l’ongle est inévitable. Je ne dirai point, avec M. de Soleysel, qu’alors le cheval est totalement perdu ; mais je laisserai agir la nature, sur laquelle je me reposerai du soin de cette chûte & de la régénération d’un nouveau pié. Deux expériences m’ont appris qu’elle ne demande qu’à être aidée dans cette opération ; ainsi j’userai des médicamens doux ; je tempérerai la terebenthine dont je garnirai tout le pié, en y ajoûtant des jaunes d’œufs & de l’huile rosat : mes pansemens en un mot seront tels, que les chairs qui sont à découvert, & qui sont d’abord très vives, n’en seront point offensées ; & ensuite de la guérison on distinguera avec peine le pié neuf de celui qui n’aura été en proie à aucun accident.

Il seroit assez difficile, au surplus, de prescrire ici & à cet égard une méthode constante ; je ne pourrois détailler que des regles générales, dont la variété des circonstances multiplie les exceptions. Quand on connoît l’immense étendue des difficultés de l’art, on avoue aisément qu’on ne peut rien ; on se dépouille de ces vaines idées que nous suggere un amour-propre mal entendu, pour s’en rapporter à des praticiens habiles, que le savoir & l’expérience placent toujours en quelque façon au-dessus de tous ses évenemens nouveaux & inattendus qui surviennent. (e)