L’Encyclopédie/1re édition/ENCLOUEURE

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ENCLOUEURE, (Manége & Maréchall.) blessure faite au pié du cheval par le maréchal qui le ferre.

Brocher de façon que le clou, au lieu de traverser simplement l’ongle, entre & pénetre dans le vif, c’est encloüer. Brocher de maniere que la lame presse seulement la partie vive, c’est serrer. La premiere faute donne toûjours lieu à une plaie plus ou moins dangereuse selon la profondeur de la blessure, & selon le genre des parties blessées ; & la seconde occasionne une contusion plus ou moins forte.

Dans les unes & les autres de ces circonstances, le cheval feint ou boite, plus ou moins bas, aussitôt après la ferrure, & c’est à cette marque que l’on reconnoît un cheval encloüé, ou dont le pié a été serré.

Le moyen de discerner le clou qui le pique ou qui le serre, est de frapper avec un brochoir sur la tête des uns & des autres des cloux. Celui d’où résultera l’encloüeure étant frappé, la douleur que ressentira l’animal se manifestera par un mouvement de contraction dans les muscles du bras, mouvement qui annonce la sensibilité de la partie frappée. Ceux qui s’arrêtent, pour en juger, à celui du pié de l’animal ensuite du coup de brochoir, sont souvent trompés & recourent à un indice très-faux & très-équivoque ; car la plûpart des chevaux font à chaque coup que le maréchal donne, un leger effort pour retirer le pié, le tout à raison de la surprise & de la crainte, & non à raison d’une douleur réelle. Pour s’assûrer encore plus positivement de son véritable siége, il est bon de déferrer l’animal, de presser ensuite avec des triquoises tout le tour du pié, en appuyant un des côtés de ces triquoises vers les rivets, & l’autre vers l’entrée des clous, & dès-lors il sera facile de reconnoître précisément le lieu affecté. Ce lieu reconnu, on découvrira le mal, soit avec le boutoir, soit avec une petite gouge, en creusant & en suivant jusqu’à ce que l’on n’apperçoive plus les vestiges ou les traces qu’aura laissé la lame.

On ne doit jamais craindre de pratiquer une ouverture trop large & trop profonde, parce qu’il faut nécessairement se convaincre de l’état de l’encloüeure, & que d’ailleurs s’il y a épanchement de sang, ou s’il y a de la matiere suppurée, on ne sauroit se dispenser de frayer une issue dans la partie déclive ; autrement ce fluide ou cette matiere séjournant dans le pié, corromproit bien-tôt toutes les parties intérieures, se feroit jour en refluant à la couronne, & dessouderoit inévitablement le sabot. Voy. Reflux & Pied.

A mesure cependant que l’on pénetre dans l’ongle, on doit prendre garde d’offenser ces mêmes parties.

Si le pié n’a été que serré, & que la contusion n’ait occasionné aucune dilacération ; si en un mot on ne rencontre point de matiere, on se contentera d’appliquer sur la partie une remolade (voyez Remolade), ou de faire sur toute la sole une fondue d’onguent de pié (voyez Encastelure) ; on garnira ensuite d’étoupes le dessous du pié, & on maintiendra cette étoupe avec des éclisses (voy. Eclisses). On ne fixera pas le fer, on l’arrêtera simplement en brochant deux clous de chaque côté, après quoi on oindra de ce même onguent la paroi extérieure, à l’endroit où la lame a serré. Cet onguent, fondu sur la sole & mis sur cette paroi, détendant & donnant plus de souplesse à l’ongle, calmera & dissipera enfin la douleur.

Mais dès que, l’ouverture étant pratiquée, on sera convaincu par l’inspection de la matiere de la certitude de l’encloüeure, on nettoyera exactement la plaie, & l’on aura recours aux remedes capables de s’opposer aux progrès du mal. Ces remedes sont les liqueurs spiritueuses, telles que l’esprit-de-vin, l’essence de terebenthine, la teinture de myrrhe & d’aloès, &c. & non des remedes graisseux, qui ne sauroient convenir dans les plaies des parties tendineuses & aponévrotiques. On vuidera sur la partie suppurante une quantité proportionnée des unes ou des autres de ces liqueurs ; on les couvrira d’un plumaceau que l’on en baignera aussi, & l’on garnira le dessous du pié avec les étoupes & avec les éclisses, comme dans le premier cas. Il est plusieurs attentions à faire dans ces pansemens, qui doivent avoir lieu tous les jours.

1°. On tiendra la plaie toûjours nette ; 2°. on la garantira des impressions de l’air ; 3°. on comprimera soigneusement le plumaceau à l’effet de prévenir une regénération trop abondante, c’est-à-dire, pour me servir des expressions des Maréchaux, afin d’éviter des cerises, & d’empêcher que la chair ne surmonte ; cette compression ne sera pas néanmoins telle qu’elle puisse attirer une nouvelle inflammation & de nouvelles douleurs ; elle sera conséquemment moderée, & ne donnera pas lieu à tous ces inconvéniens qui obligent d’employer les consomptifs, & qui étonnent & allarment l’ouvrier qui les a occasionnés par son ignorance.

Le cheval peut encore être piqué & serré en conséquence d’une retraite (voyez Retraite, voyez Ferrer) : on ne peut en espérer la guérison, que l’on n’ait fait l’extraction de ce corps étranger ; extraction quelquefois difficile, & souvent funeste, si elle est tentée par un ouvrier qui n’ait aucune lumiere sur le tissu & sur le genre des parties, qu’il ne peut s’empêcher de détruire en opérant. Lorsque cette retraite a été chassée dans le vif, il y a plaie compliquée. Souvent aussi la matiere suppurée entraîne ce corps dans son cours ; c’est ainsi que la nature trouve en elle-même des ressources & des moyens par lesquels elle supplée à notre impuissance. (e)

Clou de rue, c’est une espece d’encloüeure, qui fait tantôt une piquûre simple, tantôt une plaie compliquée, ou souvent une plaie contuse, selon la nature & la configuration du corps qui a fait cette lésion. Quoique ce ne soit point le lieu de parler du clou de rue, néanmoins comme cette blessure & l’encloüeure ont beaucoup d’analogie, & qu’il n’est rien de plus fréquent que cet accident, ni rien de plus rare que la guérison parfaite, lorsqu’il est grave, le peu qu’on en a dit en son article nous engage à en donner succinctement la description, ainsi que les moyens que nous employons pour parvenir plus sûrement & plus promptement à une cure radicale ; moyens d’autant plus avantageux, qu’ils nous font éviter la dessolure, opération douloureuse, abusive, & le plus souvent pernicieuse pour le traitement du clou de rue, comme l’expérience journaliere ne le prouve que trop bien.

Pour nous, quelque grave que soit la plaie du clou de rue, nous ne dessolons jamais ; nous retirons de cette pratique des avantages qui concourent promptement & efficacement à la guérison de cet accident. 1°. En ne dessolant point, la sole nous sert de point d’appui pour contenir les chairs & l’appareil. 2°. Nous avons la liberté de panser la plaie aussi-tôt & si souvent que le cas l’exige, sans craindre ni hémorrhagie, ni que la sole surmonte, ni qu’il s’y forme des inégalités. 3°. Nous épargnons de grandes souffrances à l’animal, tant du côté des nouvelles irritations que la dessolure causeroit à la partie affectée, que du côté des secousses violentes que le cheval se donne dans le travail ; espece de torture qui lui cause ordinairement la fievre, & qui par conséquent met obstacle à la formation des liqueurs balsamiques, propres à une loüable suppuration. Quoique notre opinion soit fondée sur les succès constans & multipliés d’une pratique de plus de vingt ans, que nous avons suivie, tant à l’armée qu’ailleurs, sans qu’aucune de ces expériences que nous avons faites ait trompé notre attente, nous ne doutons pas que cette méthode n’éprouve des contradictions, puisqu’elle a le préjugé le plus général à combattre, & la plus longue habitude à vaincre. On peut nous objecter que beaucoup de chevaux guérissent par le moyen de la dessolure : nous répondons 1°. que s’il en guérit beaucoup, beaucoup en sont estropiés, & qu’en ne dessolant pas, la méthode que nous pratiquons les sauve tous : 2°. que ceux qu’on guérit avec la dessolure, ne sont le plus souvent que legerement piqués, & qu’il en échappe très-peu de ceux qui sont blessés dans les parties susceptibles d’irritation, au lieu que les uns & les autres sont conservés par notre méthode : 3°. que ceux qui sont traités par la dessolure, sont quelquefois six mois, quelquefois des années entieres abandonnés dans un pré, ou envoyés au labourage, d’où ils reviennent comme ils y ont été, boiteux & hors d’état de servir ; au lieu que les plaies les plus dangereuses & les cures les plus lentes dans ce genre, ne nous ont jamais coûté plus de six semaines : 4°. que les accidens qui suivent la dessolure, demandent souvent que l’on repete la même opération ; au lieu que les chevaux traités selon notre méthode, sont guéris sans aucun retour.

Si l’on est surpris de la différence que nous mettons entre ces deux pratiques ; si l’on révoque en doute notre expérience, notre témoignage, & la notoriété publique, qui en est garant, on se rendra du moins à la force de l’évidence, & nous croyons pouvoir nommer ainsi la preuve qui résulte de la seule comparaison des deux traitemens.

Nous supposons, pour abreger, que l’on connoît la composition anatomique du pié du cheval, & nous renvoyons pour cela à l’excellent traité d’hippiatrique de M. Bourgelat : nous rappellerons seulement que le pié du cheval est composé de chair, de vaisseaux sanguins, lymphatiques, & nerveux, de tendons, de ligamens, de cartilages, & d’os, de l’aponévrose, du périoste, & de la corne qui renferme toutes ces parties, la plûpart susceptibles d’irritation, de corruption, & de douleur à la moindre atteinte qu’elles reçoivent de quelque corps étranger ; combien à plus forte raison doivent-elles être affectées par le clou de rue, quand le cas est grave, & combien plus par la dessolure ? c’est bien alors qu’on peut dire que le remede est pire que le mal.

Voici le contraste qui résulte de la dessolure appliquée au clou de rue, & la démonstration que nous avons promise du danger de cette méthode : après la dessolure, les regles de l’art nous prescrivent six jours au moins avant de lever l’appareil, pour donner le tems à la nature de faire la regénération de la sole unie & bien conformée ; les mêmes regles de l’art nous prescrivent de lever tous les jours l’appareil du clou de rue, pour procurer l’évacuation du pus, & prévenir la corruption des parties saines & affectées. Si l’on suit les regles de l’art à l’égard de la dessolure, la plaie du clou de rue est négligée, la matiere par son séjour ne manque point de s’enflammer, & de produire des engorgemens, & quelquefois des abcès qui corrodent, tantôt les tendons, tantôt l’aponévrose, tantôt le périoste, quelquefois l’os & la capsule qui laisse échapper la synovie, quelquefois même enfin elle se fraye des routes vers la couronne, d’où suit un délabrement dans le pié, un desséchement, une difformité dans le sabot, qui rendent le plus souvent, comme nous l’avons dit, l’animal inutile.

Si au contraire on suit les regles de l’art à l’égard du clou de rue, on panse la plaie toutes les 24 heures ; mais en ôtant l’appareil, il arrive dans la partie déchirée par la dessolure une hémorrhagie qui dérobe au Maréchal l’état de la plaie, & l’empêche d’en observer les accidens & les progrès ; l’inflammation redouble par les nouvelles secousses & compressions que reçoivent les parties affectées, la sole surmonte par l’inégalité des compressions, la plaie s’irrite, la fievre survient, les liqueurs s’aigrissent, enfin à chaque pansement l’on aggrave la maladie au lieu de la modérer. Il s’ensuit qu’on ne peut traiter la plaie du clou de rue comme elle doit l’être, sans manquer à ce qu’exige le traitement de la dessolure, ou qu’on ne peut traiter la dessolure comme elle doit l’être, sans manquer à ce qu’exige le traitement du clou de rue, ce qui démontre le danger d’une méthode qui complique deux maladies dont les pansemens sont incompatibles.

Cure du clou de rue simple. Le clou de rue est plus ou moins difficile à guérir, selon la partie que cette blessure a affectée : il y en a de superficielles qui n’intéressent que la substance des chairs, soit à la fourchette, soit à la sole ; quoiqu’elles fournissent beaucoup de sang, elles se guérissent facilement en y procurant une prompte réunion par le secours de quelques huiles, baumes, onguens, vulnéraires, tels que nous les avons indiqués dans le traitement des encloüeures simples, & même en y fondant du suif, de la cire à cacheter, ou de l’huile boüillante, ou quelque liqueur spiritueuse, & le plus souvent elles se guérissent d’elles-mêmes sans aucun médicament : c’est de cette facilité de guérison, que beaucoup de gens se croyent en possession d’un remede spécifique à cet accident ; dans tous les cas ils le croyent merveilleux, & le soûtiennent tel avec d’autan. plus de confiance qu’ils l’ont vû éprouver ou qu’ils l’ont éprouvé eux-mêmes avec succès ; ils ne sont pas obligés de savoir que l’accident que ce remede a guéri, se seroit guéri sans remede.

Cure pour le clou de rue grave & compliqué. 1°. Le jour qu’on a fait l’extraction du corps étranger, on doit déferrer le pié boiteux, le bien parer, amincir la sole, fondre dans le trou de la piquûre (sans y faire aucune incision) quelques médicamens propres à prévenir ou calmer les accidens qui doivent suivre le genre de blessure, & mettre une emmiellure dans le pié, après avoir rattaché le fer. 2°. Deux ou trois jours après que l’accident est arrivé, tems auquel la suppuration est établie, on doit faire une ouverture à l’endroit du clou de rue, & enlever simplement de la corne (sans faire venir du sang) une partie proportionnée à la gravité du mal ; cette ouverture doit être faite & conduite avec beaucoup d’adresse & d’intelligence pour éviter les accidens qu’un instrument mal conduit, ou des remedes mal appliqués, peuvent causer dans une partie aussi délicate & aussi composée, & c’est de quoi mille exemples nous ont appris à ne pas nous rendre garants. Les remedes que l’on peut employer avec le plus de fruit au traitement du clou de rue compliqué, sont l’huile rouge de terebenthine dulcifiée, que l’on doit faire un peu chauffer, le baume du Pérou ou de Copahu, l’un ou l’autre de ces médicamens mêlé avec de l’huile, des jaunes d’œufs ; on trempe dans l’un de ces remedes des plumaceaux mollement faits, que l’on introduit dans l’ouverture ; on met une éclisse par-dessus pour contenir l’appareil, un défensif autour du sabot, comme nous l’avons indiqué dans le traitement des encloüeures ; l’on doit tenir la plaie ouverte tant qu’elle ne présente point d’indication à la réunion ; répéter ce pansement chaque jour, & changer de médicamens selon le cas : par exemple, s’il y a quelque partie à exfolier, on doit se servir des exfoliatifs, les uns propres à exfolier les os, & les autres le tendon (voyez Exfoliatif). On ne doit pas négliger la saignée, plus ou moins répétée, suivant les circonstances ; enfin lorsque la plaie est en voie de guérison, que les grands accidens sont calmés, on doit éloigner le pansement, pour éviter les impressions de l’air.

Telle est cette méthode, aussi simple qu’elle est peu dangereuse ; nous observons en finissant, que nous n’employons point au clou de rue compliqué, non plus qu’à l’encloüeure grave, les digestifs, les suppuratifs, ni la teinture de myrrhe, ni celle d’aloès, ni tous ces baumes & onguens vulnéraires, que tant de praticiens appliquent à cette blessure avec si peu de fruit & avec un danger certain. Toutes les fois que le clou de rue a piqué ou contus le tendon, l’aponévrose, le périoste, ou enfin quelque cordon de nerf, ces sortes de médicamens qui contiennent des sels âcres, ne manquent pas d’augmenter la douleur, l’inflammation, & les autres accidens qui accompagnent ces lésions, & font souvent une maladie incurable, d’un accident qu’un traitement doux & simple auroit guéri en peu de jours. Cet article nous a été fourni par M. Genson.