L’Encyclopédie/1re édition/ENTENDEMENT

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ENTENDEMENT, s. m. (Logique.) n’est autre chose que notre ame même, en tant qu’elle conçoit ou reçoit des idées.

Quand je dis affirmation, négation, desir, contentement, ennui, approuver, &c. je ne prononce point des mots destitués de sens : cependant je ne me représente point ce dont je parle sous aucune forme corporelle. La puissance que nous avons de penser ainsi, s’appelle l’entendement, ou la faculté intellectuelle. A la vérité, dans le tems même que l’entendement pur s’exerce & s’applique sur ses idées, l’imagination présente aussi ses images & ses phantômes : mais bien loin de nous aider par ses soins, elle ne fait que nous retarder & nous troubler. Il faut donc mettre une grande différence entre les idées de l’entendement, & les phantômes de l’imagination. L’entendement conçoit avec netteté ; mais dans ce que l’imagination présente, il n’y a le plus souvent que confusion. Je comprends fort bien ce que c’est qu’une figure formée de 120 ou de 124 côtés égaux ; j’en démontrerai la génération & les propriétés : mais la peinture que l’imagination s’en fait, n’est point distincte. L’entendement détermine tous ces côtés, & les compte nettement ; l’imagination n’oseroit l’entreprendre, elle n’en sauroit venir à bout. L’entendement & l’imagination ont l’un & l’autre des idées fort claires d’un triangle ; mais celle de l’imagination est plus vive & plus frappante, parce qu’elle est accompagnée de sensations. Quant à une figure de 120 côtés, celle que l’imagination présente est confuse. Lorsque dans une histoire l’on me parle de 50 bataillons & de 53 escadrons, ces deux nombres sont très-précisément conçûs par mon entendement ; mais l’imagination s’embrouille, & ce qu’elle conçoit, elle se le représenteroit de même, si ce détail avoit été composé d’autres nombres.

Non-seulement l’entendement se forme des idées précises de ce que l’imagination ne présente que très confusément, il en rectifie de plus les contradictions. L’imagination ne se représentera jamais les Antipodes que renversés ; mais l’entendement se convainct qu’un homme n’a point cette situation, dès que ses piés sont plus près que sa tête du centre de la terre. Voyez Antipodes.

L’esprit a d’autant plus d’étendue, qu’il peut penser à un plus grand nombre de choses à la fois, passer plus rapidement d’une pensée à une autre, & en parcourir un grand nombre comme d’un seul coup-d’œil ; de même qu’un bras est plus robuste, lorsqu’il agit avec plus de promptitude & qu’il soûtient une plus grande quantité de poids en même tems. Or il en est de la force de l’entendement, comme de celle du corps ; elles croissent l’une & l’autre par l’exercice, mais par un exercice modéré, reglé, & dont les efforts s’augmentent insensiblement. Un esprit qui restera dans l’inaction, demeurera toûjours étroit ; & celui qui entreprendra tout-à-la-fois un trop grand nombre de choses, & se portera d’abord aux plus difficiles, loin de redoubler ses forces, les affoiblira & courra risque de les perdre entierement. Il faut donc aller par ordre, c’est-à-dire commencer par le plus aisé, & des connoissances les plus simples ne passer jamais tout d’un coup aux plus difficiles, mais s’avancer par degrés des simples à celles qui ne sont que tant-soit-peu composées, & de-là s’élever à d’autres un peu plus difficiles à démêler, &c. Il n’en faut jamais quitter aucune sans l’avoir distinctement comprise, & se l’être rendue familiere. Quand on étudie les Mathématiques avec cette précaution, les démonstrations les plus compliquées ne sont guere plus de peine que les plus simples n’en faisoient au commencement. Un enfant n’attend pas six ans pour compter jusqu’à trois ; qu’on lui apprenne à dire 3 & 1 c’est 4, 4 & 1 c’est 5 ; qu’un quart-d’heure après on le lui fasse répéter, il n’a plus besoin d’effort pour compter jusqu’à cinq. Qu’on mette toûjours des intervalles entre les progrès qu’on lui fera faire ; la seconde dixaine le fatiguera encore un peu : dès qu’il sera venu à 20, on lui rendra familiers peu-à-peu les noms des dixaines jusqu’à 100 ; & dès qu’il saura remplir l’intervalle de 20 à 30, il saura remplir les autres jusqu’à cent. Voy. les articles Evidence, Sensations, où l’on expose & l’on déduit par une méthode philosophique l’origine & le progrès de nos idées, c’est-à-dire des opérations de notre entendement. Cet article est tiré des papiers de M. Formey.