L’Encyclopédie/1re édition/ECORCE

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* ECORCE, s. f. (Jard. & Physiq.) on donne le nom d’écorce à cette partie du bois qui enveloppe l’arbre extérieurement, qui l’habille depuis l’extrémité de sa racine, jusqu’à celle de ses branches, & qui s’en peut détacher dans le tems de la seve. Elle est composée de plusieurs couches. La plus extérieure est quelquefois un épiderme mince ; les autres sont formées par des fibres ligneuses, qui s’étendent suivant la longueur du tronc, & qui l’enveloppent comme d’un réseau : car ces fibres sont divisées par faisceaux, qui en se joignant & en se séparant à diverses reprises, forment des mailles qui sont remplies par le parenchyme, qui se prolonge aussi entre les couches. Ceci est commun à toutes les lames d’écorce : mais celles qui sont les plus intérieures, approchent plus de la nature du bois que les extérieures, qui sont d’autant plus succulentes & herbacées, qu’elles sont plus voisines de l’épiderme.

Ce n’est pas une des moindres parties de l’arbre (voyez Arbre) ; elle sert à porter une portion du suc nourricier : le reste se répand dans le bois & la moelle de la tige ; ce qui est confirmé par l’expérience d’une grosse branche pelée tout autour de la largeur de quatre doigts près du tronc, & qui n’est point morte pendant tout un été. C’est entre l’écorce & ce bois qu’est l’aubier. Voyez Aubier.

On fait dans plusieurs arts usage de l’écorce des arbres ; la Medecine tire aussi de cette partie un grand nombre de remedes. Voyez l’article suivant.

Ecorce, (Pharm.) Les écorces usitées en Pharmacie se conservent toûjours en nature ou en poudre ; elles sont presque toutes exotiques, & on nous les apporte seches, & en état d’être gardées long-tems, sur-tout lorsqu’elles sont huileuses & aromatiques. Voyez les articles particuliers.

L’écorce de frêne, qui est la seule écorce de notre pays réputée médicinale, & qu’on gardoit autrefois dans quelques boutiques, ne se trouve plus dans aucune, & la Medecine y perd peu assûrément.

Dans les formules, tant officinales que magistrales, on doit prescrire les écorces après les bois & les racines ligneuses, & avant les semences, les feuilles, les fleurs, &c. soit qu’il s’agisse d’un aposème, d’un bouillon ou d’une poudre composée. V. Formule.

On employe très-peu d’écorces en Medecine ; le quinquina, la canelle, l’écorce de Winter, le cassia lignea, l’écorce de gayac, celle de simarrouba, la cascarille, sont presque les seules.

La dose des écorces se détermine toûjours par le poids. Voyez Ecorce du Pérou au mot Quinquina. (b)

Ecorce de Winter, (Bot. exotiq.) c’est une grosse écorce roulée en tuyaux, de couleur de cendres, molle, fongueuse, inégale, & ayant plusieurs petites crevasses à son extérieur ; intérieurement elle est solide, dense, roussâtre, d’un goût âcre, aromatique, piquant, brûlant, & d’une odeur très-pénétrante.

Le capitaine Winter qui s’embarqua avec François Drake en 1578, & qui fit le tour du monde avec ce grand homme de mer, dont l’Angleterre n’oubliera jamais les belles expéditions, rapporta du détroit de Magellan l’an 1580, une écorce aromatique qui avoit été fort utile à tous ceux qui étoient sur son vaisseau ; elle leur avoit servi d’épices pour leurs mets, & d’excellent remede contre le scorbut. Clusius ayant reçu de cette écorce, lui donna le nom du capitaine qui l’avoit fait connoître en Europe ; il l’appella cortex Winteranus, & dénomma l’arbre Magellanica aromatica arbor. Voy. Clusii exoticor. pag. 75. Gaspard Bauhin l’a nommée laurifolia Magellanica, cortice acri. Ensuite Sebald de Weert s’étant trouvé sur un des vaisseaux hollandois, qui firent voile pour le détroit de Magellan en 1599, a appellé cet arbre lauro similis arbor, licet procerior, cortice piperis modo, acri & mordenti.

Enfin M. Georges Handyside, qui est revenu de ce pays-là dans notre siecle, a non-seulement décrit cet arbre très-exactement, mais il a même apporté de sa graine en Angleterre, avec un échantillon de ses feuilles & de ses fleurs sur une petite branche, à l’inspection desquelles le chevalier Hans-Sloane range le cannelier de Winter sous la classe des pereclymenum, & l’appelle pereclymenum rectum, foliis laurienis, cortice acri, aromatico.

Suivant M. Handyside, c’est un arbre d’une grandeur médiocre, approchant en quelque maniere du pommier, plus touffu qu’il n’est haut, & jettant des racines qui s’étendent beaucoup. Son écorce est grosse, cendrée en-dehors, de couleur de rouille de fer en-dedans. Ses feuilles sont longues d’un pouce & demi, larges d’un pouce dans le milieu, pointues des deux côtés, obtuses à l’extrémité qui est comme partagée en deux ; elles sont en-dessus d’un verd clair, & soûtenues sur une queue d’un demi pouce de longueur. Il s’éleve des aîles des feuilles, deux, trois, quatre fleurs, & même davantage, attachées à un pédicule commun d’un pouce de long : elles sont très-blanches, à cinq pétales, semblables en quelque façon aux fleurs du pereclymenum, & d’une odeur agréable de jasmin. Lorsque les fleurs sont tombées, il leur succede un fruit oval composé de deux, trois, ou plusieurs pepins attachés à un pédicule commun, & ramassés ensemble ; d’un verd pâle, marquetés de noir. Ce fruit contient des graines noires, aromatiques, inégales, & un peu semblables aux pepins de raisin. Cet arbre croît dans les contrées situées vers le milieu du détroit de Magellan. Voyez phil. Trans. n°. 204.

M. Handyside a rapporté au chevalier Hans-Sloane, qu’on se servoit avec succès des feuilles de cet arbre jointes à d’autres herbes en fomentations, dans différentes maladies ; mais rien ne le frappa davantage que l’énergie de son écorce, prise avec quelques semences carminatives, pour le scorbut. Il ordonna le même remede à plusieurs personnes qui avoient mangé imprudemment d’un veau marin véneneux, & cependant fort commun dans le détroit, où on l’appelle le lion marin. Quoique ce mets les eût rendu malades au point que la plûpart perdoient la peau qui se levoit peu-à-peu de dessus leur corps par lambeaux, cependant elles se trouverent fort bien de son remede.

L’écorce de Winter se prescrit en poudre jusqu’à deux dragmes ; en infusion ou en décoction, jusqu’à une once ; elle donne dans la distillation une huile essentielle, pesante, comme les autres substances végétales exotiques : c’est de-là que dépendent ses bons effets dans le scorbut acide & muriatique, & dans les cas où il s’agit de fortifier la débilité de l’estomac. On peut donc lui attribuer avec raison une vertu stimulante, subastringente, corroborative, & résolutive.

Mais on trouve très-rarement dans les boutiques cette écorce, & l’on fournit toûjours sous son nom la canelle blanche. Quoique leurs arbres, les lieux où ils croissent, & leur forme extérieure, n’ayent presque rien de commun ; cependant comme les deux écorces s’accordent à avoir à-peu-près la même odeur & le même goût, l’usage reçu & pour ainsi dire convenu entre le medecin & l’apothicaire, est la substitution de la canelle blanche qui est commune, à l’écorce de Winter qui est très-rare. Voilà un petit secret que je ne me fais point scrupule de révéler. Art. de M. le Chevalier de Jaucourt.