L’Encyclopédie/1re édition/CHRÉTIEN

CHRÉTIEN, s. m. (Théologie.) en parlant des personnes, signifie celui qui étant baptisé fait profession de la doctrine de Jesus-Christ : & en parlant des choses, ce qui est conforme à la loi évangélique : ainsi l’on dit un discours chrétien, une vie chrétienne, des sentimens chrétiens, &c.

Ce fut à Antioche, vers l’an 41, que l’on commença à donner le nom de Chrétien à ceux qui professoient la foi de Jesus-Christ, & que l’on appelloit auparavant disciples. On les nommoit encore élûs, freres, saints, croyans, fideles, Nazaréens. On les appella aussi Jesséens, du nom de Jessé, pere de David ; & selon d’autres, de Jesus-Christ, auteur de leur religion. Philon les nomme Therapeutes ; mais c’est une question encore indécise, que de savoir si les Therapeutes étoient Chrétiens. Voyez Therapeutes. On leur donnoit le nom Grec d’ἰχθὺς, en Latin pisciculi, qu’on regarde vraissemblablement comme un nom technique, composé des premieres lettres de chacun de ces mots, Ιησοῦς Χριστὸς, Θεου Υιος, Σωτερ ; Jesus-Christus, Dei filius, salvator. On les appella encore Gnostiques, γνωστικοὺς, c’est-à-dire hommes doüés de science & d’intelligence ; & quelquefois Théophores & Christophores, c’est-à-dire temples de Dieu, temples du Christ. On trouve dans quelques peres, mais rarement, les Chrétiens désignés par le nom même de Christs, ou consacrés à Dieu par les onctions saintes du baptême & de la confirmation.

Les Payens, qui les regardoient comme des gens dévoüés à la mort, destinés au feu & aux gibets, leur donnoient des noms injurieux tirés de ces supplices, tels que biœothanati, sarmenticii, semaxii. On leur prodiguoit aussi les odieuses qualifications d’imposteurs, de magiciens, & on les confondoit avec les Juifs. Julien l’apostat ne les désignoit que par le titre méprisant de Galiléens, qu’il donnoit à Jesus-Christ lui-même. Le peuple leur donnoit le nom d’athées, parce qu’ils combattoient le culte des faux dieux ; les savans, celui de Grecs & d’imposteurs, ou de sophistes. On les nomma aussi sibyllistes, parce que dans leurs disputes avec les Payens, quelques-uns alleguerent l’autorité de ces livres des Sibylles, qui passent aujourd’hui généralement pour supposés ; parabolaires ou parabolains & désespérés, à cause du courage avec lequel ils bravoient la mort. Les hérétiques leur donnerent aussi divers noms ridicules ou méprisans, comme ceux d’allégoristes, de simples, d’anthropolatres, ou adorateurs d’hommes, &c. Bingham, orig. eccles. tom. I. lib. j. e. j. & ij.

Le Roi de France porte le titre de Roi très-Chrétien, prérogative dont on fait remonter l’origine jusqu’à Childebert, à qui S. Grégoire le Grand écrivoit que le royaume de France est autant élevé en dignité au-dessus des autres royaumes, que la royauté elle-même est au-dessus de la condition des hommes privés. Il est certain que Charles Martel & Pepin le Bref ont porté ce titre. Lambecius, dans le troisieme tome de son catalogue de la bibliotheque des empereurs, prétend que le nom de Roi très-Chrétien a été donné aux rois de la seconde race, non en qualité de rois de France, mais en qualité d’empereurs d’Allemagne ; prétention absurde & convaincue de faux par le témoignage uniforme & constant de tous les historiens.

Chrétienne (cour) ou cour de chrétienté, nom qu’on donnoit en Angleterre à un tribunal tout composé d’ecclésiastiques, par opposition à la cour laye, dont les membres étoient tous laïques.

Chrétienne, (Église) voyez Église.

Chrétienne, (Religion) voyez Christianisme & Religion.

Chrétiens de S. Jean, secte corrompue de Chrétiens, répandue à Bassora & aux environs, qu’on nomme aussi Sabéens & Mandaïtes. Voyez Sabéens & Mandaïtes.

Ces prétendus Chrétiens, qu’on croit d’abord avoir habité le long du Jourdain, où S. Jean baptisoit, & avoir pris de-là le nom de Chrétiens de S. Jean, & qui, après la conquête de la Palestine par les Mahométans, se retirerent dans la Mésopotamie & la Chaldée, ne sont, de l’aveu de tous les voyageurs, ni Juifs, ni Chrétiens, ni Musulmans. M. Chambers dit que tous les ans ils célebrent une fête de cinq jours, pendant lesquels ils vont recevoir de la main de leurs évêques le baptême de S. Jean, & que leur baptême ordinaire s’administre dans les fleuves ou rivieres, & seulement le Dimanche.

M. Fourmont l’aîné, dans un mémoire historique sur cette secte, dit entre autres choses, qu’elle se donne une origine très-ancienne, remontant au moins jusqu’à Abraham ; & que de tems immémorial elle a eu des simulachres, des arbres dévoués, des bois sacrés, des temples, des fêtes, une hiérarchie, l’adoration, la priere, & même une idée de la résurrection ; pratiques qui sont un mêlange du Judaïsme & du Paganisme, plûtôt qu’une preuve bien nette de Christianisme. Les Mathématiciens qui dominoient parmi eux forgeoient des dogmes, ou rejettoient ceux des autres, selon leurs calculs. Ainsi, les uns soûtenoient que la résurrection devoit se faire au bout de 9000 ans, parce qu’ils fixoient à ce tems la révolution entiere des orbes célestes ; d’autres ne l’attendoient qu’au bout de 36426 ans. Plusieurs d’entr’eux soûtenoient dans le monde, ou dans les mondes, une espece d’éternité, pendant laquelle tour-à-tour ces mondes étoient détruits & refaits. On a une homélie de S. Grégoire de Nazianze contre les Sabiens ou Sabéens. L’alcoran fait mention de cette secte. Ils font une mémoire honorable de S. Jean Baptiste, dont ils se disent les disciples ; & leurs liturgies & autres livres font mention du baptême, & de quelques autres sacremens qu’on ne rencontre que chez les Chrétiens. Mém. de l’acad. des inscript. & belles-lett. tom. XII. p. 16. & suiv. (G)

Chrétiens de S. Thomas, est un peuple des Indes orientales, qui, suivant la tradition du pays, reçut la foi de l’évangile par la prédication de l’apôtre S. Thomas.

A l’arrivée des Portugais à Calecut, & au premier voyage qu’ils firent aux Indes, ils y trouverent les anciens convertis qui, ayant appris qu’il étoit arrivé dans leur contrée un peuple nouveau qui avoit une vénération particuliere pour la croix, leur proposerent une alliance par des ambassadeurs, & implorerent leur secours contre des princes payens dont ils étoient opprimés.

Il est certain que les Chrétiens de S. Thomas sont des peuples naturels ou originaires de l’Inde. On les appelle autrement Nazaréens ; mais comme la coûrume du pays a attaché à ce nom une idée de mépris, ils prennent celui de Mappuley, & au plurier, Mappuleymar.

Ils forment une tribu considérable, mais toûjours divisée par des factions & des inimitiés invétérées. Elle est dispersée depuis Calecut jusqu’à Travencor, occupant en certains endroits une ville entiere, en d’autres n’en occupant qu’un quartier.

Ils se regardent comme étrangers dans leur pays. Leur tradition est que leurs peres sont venus d’une contrée voisine de la ville de Meilapur, où ils étoient persécutés. Quant au tems de leur transmigration, ils l’ignorent, n’ayant ni monumens ni archives.

Ils attribuent leur conversion, discipline, & doctrine, à S. Thomas ; & il est dit dans leur breviaire que cet apôtre passa de leur pays à la Chine.

Nous n’entrerons point ici dans la question, si le S. Thomas fameux dans cette contrée est saint Thomas l’apôtre, ou quelqu’autre saint du même nom, ou un marchand Nestorien appellé Thomas ; nous observerons seulement que les savans, en particulier M. Huet, pensent que ce n’est point l’apôtre.

La suite de l’histoire de cette église n’est pas moins difficile à développer que son origine : nous lisons dans nos auteurs que le patriarche d’Alexandrie envoya des évêques aux Indiens, & en particulier S. Pantænus, S. Fromentius, &c. mais on ne sait si ce fut précisément à ces peuples. Baronius est pour l’affirmative ; le Portugais, auteur de l’histoire d’Ethiopie, donne au contraire ces missionnaires aux Ethiopiens. Le seul fait certain, c’est que depuis plusieurs siecles les Chrétiens de S. Thomas ont reçu des évêques du côté de Babylone ou de Syrie. Il y a encore aujourd’hui à Babylone une espece de patriarche qui continue cette mission.

On demande si leur apôtre leur ordonna quelques évêques dont l’ordre se seroit éteint dans la suite des tems, faute de sujets capables des fonctions épiscopales, ou si l’apôtre ne leur laissa point d’évêques ordonnés par ses mains : mais qui peut répondre à cette question ?

L’église de ces Chrétiens, à la premiere arrivée des Portugais, étoit entierement gouvernée par ces évêques étrangers.

Ils faisoient leur office en Chaldéen, selon les uns ; en Syriaque, selon d’autres : hors de-là ils parloient la langue de leurs voisins.

Ce furent vraissemblablement ces évêques qui introduisirent parmi eux la langue Chaldéenne & les erreurs répandues dans l’Orient dans les tems du Nestorianisme, de l’Eutychianisme, & d’autres hérésies.

Ce mêlange d’opinions, & l’interruption totale de l’ordre des évêques pendant plusieurs années consécutives, avoient mis leur religion dans une espece de chaos ; leur maniere de célebrer l’eucharistie, lorsque les Portugais arriverent chez eux, suffira pour en donner quelque idée.

On avoit pratiqué au-dessus de l’autel une espece de tribune ou galerie ; pendant que le prêtre commençoit en-bas l’office à voix basse, on fricassoit au-dessus un gateau de fleur de ris dans de l’huile & du beurre ; lorsque ce gateau étoit assez cuit, on le descendoit dans un panier sur l’autel, où le prêtre le consacroit. A l’égard des autres especes, au lieu de vin, ils usoient d’une eau-de-vie faite à la maniere du pays. Leurs ordinations n’étoient guere plus régulieres ; l’archidiacre, qui étoit quelquefois plus respecté que l’évêque même, ordonnoit les prêtres.

Ils étoient dans une infinité d’autres abus : les Portugais travaillerent à les réformer ; pour cet effet, ils eurent recours aux puissances séculiere & ecclésiastique : ils citerent les évêques de cette secte à des conciles assemblés à Goa ; ils les instruisirent, & même les envoyerent en Portugal & à Rome, pour y apprendre la doctrine & les rits de l’église Romaine : mais ces évêques, à leur retour, retombant dans leurs premieres erreurs, les Portugais, convaincus de l’inutilité de leurs précautions, les exclurent de leurs dioceses, & les remplacerent par un évêque Européen ; conduite qui les rendit très-odieux.

Dom Frey Aleixo de Menesès, archevêque de Goa, gouvernant les Portugais-Indiens par interim, & au défaut d’un viceroi, profita de cette occasion pour convoquer un concile dans le village de Diamper, où l’on fit un grand nombre de canons & d’ordonnances, & où l’on réunit les Chrétiens de S. Thomas à l’église Romaine. Il fut secondé dans ses opérations par les Jésuites ; mais après sa mort, la plûpart de ces nouveaux convertis devinrent relaps, & continuerent d’être moitié catholiques, & moitié hérétiques.

On a une histoire Portugaise de leurs erreurs, composée par Antoine Govea, de l’ordre de S. Augustin ; depuis traduite en Espagnol & en François, & imprimée à Bruxelles en 1609, sous le titre d’histoire orientale des grands progrès de l’église catholique, en la réduction des anciens Chrétiens, dits de S. Thomas.

Suivant cette histoire, les Chrétiens de S. Thomas, 1° soûtiennent avec opiniatreté les sentimens de Nestorius, & ne reçoivent aucune image, à l’exception de celle de la croix, qu’ils n’honorent pas même fort religieusement. 2°. Ils assûrent que les ames des saints ne verront Dieu qu’après le jour du jugement. 3°. Ils n’admettent que trois sacremens ; savoir le baptême, les ordres, & l’eucharistie, mêlant de si grands abus dans l’administration du baptême, qu’en une même église il y a différentes formes de baptiser, ce qui rend le baptême nul. Aussi l’archevêque Menesès rebaptisa-t-il en secret la plûpart de ces peuples. 4°. Ils ne se servent point des saintes huiles dans l’administration du baptême, & ils oignent seulement les enfans d’un onguent composé d’huile de noix d’Inde, sans aucune bénédiction. 5°. Ils ne connoissent pas même les noms de confirmation & d’extrème-onction. 6°. Ils ont horreur de la confession auriculaire, excepté un petit nombre d’entr’eux qui sont voisins des Portugais. 7°. Leurs livres d’offices fourmillent d’erreurs. 8°. Ils se servent pour la consécration, de petits gateaux faits à l’huile & au sel, & pétris avec du vin, ou plûtôt d’eau où l’on a seulement détrempé des raisins secs. 9°. Ils disent la messe rarement. 10°. Ils ne gardent point l’âge requis pour les ordres ; car ils font des prêtres à dix sept, dix-huit, ou vingt ans ; & ceux-ci se marient, même avec des veuves, & jusqu’à deux & trois fois. 11°. Leurs prêtres n’ont point l’usage de réciter le breviaire en particulier ; ils se contentent de le dire à haute voix dans l’église. 12°. Ils commettent la simonie dans l’administration du baptême & de l’eucharistie, pour lesquels ils exigent certaines sommes. 13°. Ils ont un respect extraordinaire pour leur patriarche de Babylone, qui est schismatique, & chef de la secte des Nestoriens ; ils ne peuvent souffrir au contraire qu’on nomme le pape en leurs églises, où ils n’ont le plus souvent ni curé ni vicaire ; c’est le plus ancien laïque qui préside alors à leurs assemblées. On a remarqué que, quand on leur parloit de se soûmettre à S. Pierre, ou à l’église de Rome, ils répondoient qu’à la vérité S. Pierre étoit le chef de celle-ci, mais que S. Thomas étoit le chef de leur église, & que ces deux églises étoient indépendantes l’une de l’autre. Aussi leur soûmission & leur réunion au saint siége n’ont-elles jamais été ni sinceres ni durables. 14°. Ils assistent à la vérité tous les Dimanche à la messe, mais ils ne se croyent pas obligés en conscience d’y aller, ni sous peine de péché mortel. 15°. Ils mangent de la chair le jour du samedi. On trouve encore dans la même histoire divers autres erreurs ou abus, à la réformation desquels Menesès & les autres missionnaires travaillerent avec plus de zele que de fruit. M. Simon, dans son histoire des nations du Levant, & dans ses remarques sur Gabriel de Philadelphie, ne convient pas de toutes ces erreurs, & croit que la réunion des Chrétiens de S. Thomas, avec l’église Romaine, n’est pas si difficile qu’on le pense. Histoire orientale des progrès de l’église catholique, &c. (G)