L’Encyclopédie/1re édition/CHAMEAU

CHAMELY  ►

CHAMEAU, s. m. camelus, (Hist. nat. Zoolog.) animal quadrupede ruminant, dont il y a plusieurs especes. On les distingue par le nombre des bosses qu’ils ont sur le dos. Suivant Aristote & Pline, celui qui a deux bosses retient le nom de chameau : il se trouve plus ordinairement dans la partie orientale de l’Asie ; c’est pourquoi il est nommé camelus bactrianus. Il est le plus grand & le plus fort. Celui qui n’a qu’une bosse, est plus petit & plus léger ; c’est à cause de sa vîtesse qu’on l’appelle dromadaire. On le trouve plus communément dans la partie occidentale de l’Asie, savoir dans la Syrie & dans l’Arabie. Solin donne au contraire le nom de chameau à ceux de ces animaux qui n’ont qu’une bosse. On distingue trois especes de chameaux en Afrique : ceux de la premiere, sont les plus grands & les plus forts ; on les appelle hegins ; ils portent jusqu’à mille livres pesant. Ceux de la seconde espece sont nommés bechets ; ils viennent de l’Asie ; ils sont plus petits que les premiers ; ils ont deux bosses, & ils sont également propres à être montés & à être chargés. Les troisiemes portent le nom de raguahil ; ils sont petits & maigres, mais si bon coureurs, qu’ils peuvent faire plus de cent milles en un seul jour : on les appelle aussi maihari & dromadaires. On a décrit dans les Mém. de l’Acad. royale des Sciences, sous le nom de chameau, deux de ces animaux qui n’avoient qu’une bosse. Ils étoient de différente grandeur : le plus petit avoit cinq piés & demi depuis la haute courbure de l’épine du dos, qui est la bosse, jusqu’à terre ; quatre piés & demi depuis l’estomac jusqu’à la queue, dont la partie osseuse avoit quatorze pouces de longueur ; la longueur de la queue entiere y compris le crin, étoit de deux piés & demi ; le cou avoit la même longueur, & la tête vingt-un pouces depuis l’occiput jusqu’au museau. Le poil étoit doux au toucher, d’une couleur fauve, un peu cendrée ; il n’étoit guere plus long que celui d’un bœuf sous le ventre & sur la plus grande partie du corps : il étoit beaucoup plus long sur la tête, au-dessous de la gorge, & au haut de la poitrine où il avoit cinq ou six pouces : le plus long étoit sur le milieu du dos, il avoit près d’un pié ; & quoiqu’il soit fort doux & fort mou, il se tenoit élevé, de sorte qu’il faisoit la plus grande partie de la bosse du dos.

L’autre chameau qui étoit le plus grand, & qu’on voit Pl. II. fig. 1. de l’Hist. nat. avoit le poil frisé & bouchonné, plus long par tout le corps que celui du premier, mais plus court sur la bosse, qui étoit plus relevée à proportion que celle du petit chameau ; le grand n’avoit de poil long ni sur la tête, ni au bas du cou. On a observé à la ménagerie de Versailles, que le poil des chameaux tombe tous les ans, à l’exception de celui de la bosse. On le recueille avec soin à cause du grand commerce qu’on en fait. On le mêle avec d’autres poils, & il entre pour lors dans la fabrique des chapeaux, particulierement de ceux qu’on appelle caudebecs. Voyez l’article Chapeau. Le poil de la queue étoit gris, fort dur, & semblable au crin de la queue d’un cheval.

Ces chameaux avoient la tête petite à proportion du corps ; le museau fendu comme celui d’un lievre, & les oreilles très-courtes. Le grand avoit de chaque côté à la mâchoire supérieure, trois dents canines de grandeurs différentes, & deux aussi de chaque côté à l’inférieure ; il n’avoit point d’incisives en haut. Les dents du petit chameau étoient comme celles des autres animaux ruminans : chaque pié étoit garni par le bout de deux petits ongles, & le dessous étoit plat, large, fort charnu, & revêtu d’une peau molle épaisse & peu calleuse. Le pié étoit fendu par-dessus à quatre ou cinq doigts près de l’extrémité ; & au-dessous de cette fente qui étoit peu profonde ; il étoit solide. Il y avoit deux callosités à chacune des jambes de devant ; la plus haute étoit en arriere à la jointure du coude, & la seconde en-devant à la jointure qui représente le pli du poignet. Les jambes de derriere avoient aussi une callosité à la jointure du genou, qui étoit dure & presque aussi solide que la corne du pié des autres animaux. Enfin il y avoit au bas de la poitrine une septieme callosité beaucoup plus grosse que les autres, & attachée au sternum, qui étoit protubérant dans cet endroit : elle avoit huit pouces de longueur, six de largeur, & deux d’épaisseur. Toutes ces callosités viennent de ce que cet animal ne se couche pas sur son côté comme les autres animaux, mais qu’il s’accroupit ; toutes les parties qui portent sur la terre dans cette situation deviennent calleuses. Le prépuce étoit grand & lâche ; il se recourboit en arriere après avoir recouvert l’extrémité de la verge : c’est sans doute ce qui fait que le chameau jette son urine en arriere. Mém. de l’Acad. roy. des Sc. tom. III. part. I.

Les chameaux mangent très-peu ; ils broutent des joncs, des orties, des chardons, &c. & le feuillage des arbres : mais lorsqu’ils fatiguent beaucoup & pendant long-tems, on leur fait manger de l’orge, du maïs, ou de la farine d’orge & de froment. On fait ordinairement une pâte avec la farine d’orge, & on leur en donne à chacun un morceau de la grosseur des deux poings. En Perse, la quantité de cette pâte est d’environ trois livres chaque jour pour chacun de ces animaux : on y mêle quelquefois de la graine de coton. On leur donne aussi des dattes & du poisson sec. Si on réduisoit les chameaux à brouter l’herbe qu’ils rencontrent dans leurs voyages, ils maigriroient beaucoup ; & même quelques précautions que l’on prenne, il y en a qui sont fort maigres au retour, leurs bosses & leurs callosités diminuent de volume. Lorsqu’ils sont fort gras en partant, ils peuvent se passer d’orge pendant quarante ou cinquante jours. On dit qu’il y a des chameaux qui dans la disette passent huit ou dix jours sans manger : mais il est certain qu’ils peuvent être pendant trois, quatre ou cinq jours sans boire. A l’ordinaire, on ne leur donne de l’eau qu’une fois en trois jours lorsqu’ils vivent d’herbes fraîches. On dit qu’il y en a qui ne boivent qu’une fois en quinze jours.

Les pays chauds sont les plus propres aux chameaux ; le froid leur est funeste, même celui de nos climats : ainsi cet animal restera toûjours en Asie & en Afrique, où il est de la plus grande utilité. Il sert de monture, il porte de grands fardeaux, & il fournit du lait bon à manger. En Perse, on monte les chameaux à deux bosses, & on se place entre les deux bosses qui servent de selle. On dit qu’il y en a de petits en Afrique qui font jusqu’à quatre vingts lieues par jour, & vont ce train pendant huit ou dix jours de suite : leur allure est le trot. On fait porter les fardeaux aux gros chameaux, & le poids de leur charge est depuis six ou sept cents livres jusqu’à mille & douze cents. Il y en a en Perse qui portent jusqu’à 1500 livres ; mais ils ne font pas plus de deux ou trois lieues par jour sous un si grand poids. En Arabie, ils ne portent que sept cents livres ; mais ils font deux milles & demi par heure, & leur traite est de dix & quelquefois de quinze jours. On charge le chameau sur sa bosse, ou on y suspend des paniers assez grands, pour qu’une personne s’y puisse tenir assise les jambes croisées, à la mode des orientaux : c’est dans ces paniers qu’on voiture les femmes. On attele aussi les chameaux pour traîner des chars. Ces animaux sont fort dociles ; ils obéissent à la voix de leur maître lorsqu’il veut les faire accroupir pour les charger ou les décharger, & ils se relevent au moindre signe ; quelquefois cependant ils se levent d’eux-mêmes lorsqu’ils se sentent surcharger, ou ils donnent des coups de tête à ceux qui les chargent. Mais la plûpart ne jettent qu’un cri sans se remuer. Ces animaux ne donnent des marques de férocité, que lorsqu’ils sont en rut ; alors ils deviennent furieux, ils ne connoissent plus le camelier, ils mordent tous ceux qu’ils rencontrent,ils se battent à coups de piés & de dents contre les autres animaux, même contre les lions ; on est obligé de leur mettre des muselieres. Le tems du rut arrive au printems, & dure quarante jours, pendant lesquels ils maigrissent beaucoup ; aussi mangent-ils moins qu’à l’ordinaire. La femelle s’accroupit pour recevoir le mâle ; elle entre en chaleur au printems ; elle ne porte qu’un petit à la fois, qu’elle met bas au printems suivant ; & elle ne rentre en rut qu’un an ou deux après. On coupe les mâles pour les rendre plus forts, & on n’en laisse qu’un entier pour dix femelles. On prétend que les chameaux ne s’accroupiroient pas d’eux-mêmes pour recevoir leur charge, si on ne leur faisoit prendre cette habitude dans leur jeunesse. On ne les charge qu’à l’âge de trois ou quatre ans. On ne se sert pas d’étrille pour les panser ; on les frappe seulement avec une petite baguette, pour faire tomber la poussiere qui est sur leur corps. En Turquie, leur fumier séché au soleil, leur sert de litiere ; & on le brûle pour faire la cuisine, lorsqu’on se trouve au milieu des deserts. On ne met point de mors aux chameaux que l’on monte ; on passe dans la peau, au-dessus des naseaux, une boucle qui y reste, & on y attache des rênes. On ne frappe pas ces animaux pour les faire avancer, il suffit de chanter ou de siffler : lorsqu’ils sont en grand nombre, on bat des tymbales. On leur attache aussi des sonnettes aux genoux, & une cloche au cou pour les animer & pour avertir dans les défilés. Cet animal est courageux ; on le fait marcher aisément, excepté lorsqu’il se trouve de la terre grasse & glissante, sur laquelle ils ne peuvent pas se soûtenir, à cause de la pelote qu’ils ont sous les piés. Lorsqu’on rencontre de ces mauvais pas, on est obligé d’étendre des tapis pour faire passer les chameaux, ou d’attendre que le chemin soit sec. On ne sait pas précisément combien de tems vivent les chameaux ; on a dit que leur vie étoit de cinquante ans, & quelquefois de cent : on a même prétendu qu’elle s’étendoit jusqu’à cent soixante. Voyez Quadrupede ; voyez aussi l’article Chamoiseur. (I)

Chameau : (Mat. med.) les auteurs de matiere medicale ont donné à la graisse, au cerveau, au fiel, à l’urine, & à la fiente de cet animal, toutes les vertus medicinales qu’ils ont observées dans les mêmes matieres tirées des animaux, qui ont quelqu’analogie avec celui-ci : mais nous ne leur connoissons aucune vertu particuliere : aussi ne sont-elles d’aucun usage parmi nous.

Chameau moucheté ; voyez Giraffe.

Chameau, (Marine.) est un grand & gros bâtiment inventé à Amsterdam en 1688, par le moyen duquel on enleve un vaisseau jusqu’à la hauteur de cinq à six piés, pour le faire passer sur des endroits où il n’y a pas assez d’eau pour de gros vaisseaux. On a appellé cette espece de machine chameau, à cause de sa grandeur & de sa force.

Pour entendre sa construction & son usage, il faut avoir sous les yeux la fig. 2. Planc. V. de Mar. où le chameau est représenté enlevant un bâtiment. La description qu’on en va donner, est tirée d’un ouvrage publié à Amsterdam en 1719, sur la construction des vaisseaux.

La construction de ce bâtiment est à plates varangues ; il a cent vingt-sept piés de long, vingt-deux piés de large par un bout, & treize piés par l’autre bout ; un bout a onze piés de creux, & l’autre bout treize piés  : un des côtés de cette machine a les mêmes façons à l’avant & l’arriere qu’un autre vaisseau ; mais de l’autre côté, elle est presque droite & tombe un peu en-dehors. Le fond de cale est séparé d’un bout à l’autre par un fronteau bien étanché, & où l’eau ne peut passer. Chaque côté est aussi séparé en quatre parties, par fronteaux aussi étanchés, si bien qu’il y a huit espaces séparés l’un de l’autre, dans une partie desquels on peut laisser entrer l’eau, & on peut la pomper dans les autres, & par ce moyen tenir le chameau en équilibre. Outre cela, il y a en chaque espace ou retranchement, une dale bien étanchée, par laquelle on y fait entrer l’eau, & qu’on bouche avec un tampon. Il y a aussi deux pompes, pour pomper l’eau, qu’on y fait entrer. Il y a dans le bâtiment vingt tremues, qui passent du tillac au fond du vaisseau, par où l’on fait passer des cordes de neuf pouces de circonférence, lesquelles sortent par les trous qui sont au bord de ces tremues ; & embrassant la quille, vont passer dans un autre chameau, qui est au côté du premier. Ces cordes se virent par le moyen des guindeaux qui sont sur le pont, auprès près de chaque tremue, & qui servent à roidir les cordes. Le vaisseau qu’on veut enlever étant passé sur les cordes entre les deux chameaux, on pompe toute l’eau ; & par ce moyen les chameaux étant plus légers, s’élevent sur la surface de l’eau, & flottent plus haut qu’ils ne faisoient lorsqu’ils étoient plus pleins, & ils élevent avec eux le vaisseau qui est sur les cordes, qu’on fait roidir en même tems par les guindeaux ; de sorte que le vuide des chameaux qu’on pompe, & la manœuvre qu’on fait avec les guindeaux, concourent en même tems, & le vaisseau est comme emporté jusqu’au-delà des endroits qui ne sont pas assez profonds (Z)

* Chameau ou Porte-grille, (Art méchaniq.) partie du métier à faire des bas. Voyez l’article Bas au Métier.