L’Encyclopédie/1re édition/ATTAQUE
* ATTAQUE, en Médecine, se dit d’un accès ou d’un paroxysme.
Ainsi on dit ordinairement, attaque de goute, attaque d’apoplexie. Cette attaque a été violente. Voyez Accès, Paroxysme, &c.
Attaque, s. f. (Art Milit.) effort ou tentative qu’on fait contre une personne ou contre un ouvrage pour parvenir à s’en rendre maître. Voyez l’article Siege. (Q)
Attaque brusquée ou d’emblée, est une attaque que l’on fait sans observer toutes les précautions & les formalités qui s’observent ordinairement dans un siége réglé.
Pour prendre le parti de brusquer le siége d’une place, il faut être assûré de la foiblesse de la garnison, ou que la place ne soit défendue que par les habitans, & que les défenses soient en mauvais état.
L’objet des ces sortes d’attaques est de s’emparer d’abord des dehors de la place, de s’y bien établir, & de faire ensuite des tranchées ou des couverts pour mettre les troupes à l’abri du feu des remparts, & continuer ensuite le progrès des attaques, pour s’emparer du corps de la place.
Lorsque cette attaque réussit, elle donne le moyen d’abréger beaucoup le siége : mais pour y parvenir, il faut nécessairement surprendre la place, attaquer vigoureusement l’ennemi dans son chemin couvert & ses autres dehors, & ne pas lui donner le tems de se reconnoître. En un mot il faut brusquer les attaques, c’est-à-dire, s’y porter avec la plus grande vivacité.
Il y a plusieurs circonstances où cette sorte d’attaque peut se tenter, comme lorsque la saison ne permet pas de faire un siége dans les formes ; qu’on est informé que l’ennemi est à portée de venir en peu de tems au secours de la place, & qu’on n’est pas en état de lui résister ; enfin, lorsqu’il est essentiel de s’en rendre maître très-promptement, & que la nature des fortifications & des troupes qui les défendent ne permettent pas de penser qu’elles soient en état de résister à une attaque vive & soûtenue.
Attaque d’emblée. Voyez ci-dessus Attaque brusquée.
Attaques de bastions ; c’est dans la guerre des siéges, toutes les dispositions qu’on fait pour en chasser immédiatement l’ennemi & pénétrer dans la ville. Cette attaque est la principale du siége, & elle en est aussi ordinairement la derniere. On s’y prépare dans le même tems qu’on travaille à se rendre maître de la demi-lune. « Lorsqu’on est maître du chemin couvert, on établit des batteries sur ses branches pour battre en breche les faces des bastions du front de l’attaque, & celles de la demi-lune. Les breches se pratiquent vers le milieu des faces, pour pénétrer plus aisément dans le bastion. On fait une descente de fossé vis-à-vis chaque face des bastions attaqués ; ou bien, & c’est l’usage le plus commun, on en fait seulement vis-à-vis les faces du front de l’attaque. On y procede comme dans la descente du fossé de la demi-lune, & l’on se conduit aussi de la même maniere pour le passage du fossé, soit qu’il soit sec ou plein d’eau ; c’est-à-dire que s’il est sec, on conduit une sappe dans le fossé depuis l’ouverture de la descente jusqu’au pié de la breche, & qu’on l’épaule fortement du côté du flanc auquel elle est opposée. Si le fossé est plein d’eau, on le passe sur un pont de fascines, que l’on construit aussi comme pour le passage du fossé de la demi-lune.
« Les batteries établies sur le haut du glacis pour battre en breche les faces des bastions, tirent sur la partie des faces où doit être la breche, & elles tirent toutes ensemble & en sappe, comme on le pratique dans l’attaque de la demi-lune : & lorsqu’elles ont fait une breche suffisante pour qu’on puisse monter à l’assaut sur un grand front, on conserve une partie des pieces pour battre le haut de la breche, & on en recule quelques-unes sur le derriere de la platte-forme, qu’on dispose de maniere qu’elles puissent battre l’ennemi lorsqu’il se présente vers le haut de la breche. Tout cela se fait pendant le travail des descentes du fossé & de son passage. On se sert aussi des mines pour augmenter la breche, même quelquefois pour la faire, & pour cet effet on y attache le mineur.
« Pour attacher le mineur lorsque le fossé est sec, il faut qu’il y ait un logement d’établi proche l’ouverture de la descente, pour le soûtenir en cas que l’assiégé fasse quelque sortie sur le mineur. On lui fait une entrée dans le revêtement avec le canon, le plus près que l’on peut du fond du fossé, afin d’avoir le dessous du terrein que l’ennemi occupe, & des galeries qu’il peut avoir pratiquées dans l’intérieur des terres du bastion. On peut avec le canon faire un enfoncement de 5 ou 6 piés, pour que le mineur y soit bientôt à couvert. Il s’occupe d’abord à tirer les décombres du trou, pour pouvoir y placer un ou deux de ses camarades, qui doivent lui aider à déblayer les terres de la galerie.
« Lorsque le fossé est sec, & que le terrein le permet, le mineur le passe quelquefois par une galerie soûterraine qui le conduit au pié du revêtement ; lorsque le fossé est plein d’eau, on n’attend pas toûjours que le passage du fossé soit entierement achevé pour attacher le mineur à la face du bastion. On lui fait un enfoncement avec le canon, ainsi qu’on vient de le dire, mais un peu au-dessus de la superficie de l’eau du fossé, afin qu’il n’en soit pas incommodé dans sa galerie, & on le fait passer avec un petit bateau dans cet enfoncement. L’ennemi ne néglige rien pour l’étouffer dans sa galerie. Lorsque le fossé est sec, il jette une quantité de différentes compositions d’artifice vis-à-vis l’œil de la mine ; cet artifice est ordinairement accompagné d’une grêle de pierres, de bombes, de grenades, &c. qui empêche qu’on n’aille au secours du mineur. M. de Vauban dans son traité de la conduite des siéges, propose de se servir de pompes pour éteindre ce feu. On en a aujourd’hui de plus parfaites & de plus aisées à servir, que de son tems, pour jetter de l’eau dans l’endroit que l’on veut : mais il ne paroît pas que l’on puisse toûjours avoir assez d’eau dans les fossés secs pour faire joüer des pompes, & que d’ailleurs il soit aisé de s’en servir sans trop se découvrir à l’ennemi. Quoi qu’il en soit, lorsque le canon a fait au mineur tout l’enfoncement dont il est capable, il n’a guere à redouter les feux qu’on peut jetter à l’entrée de son ouverture, & il peut s’avancer dans les terres du rempart, & travailler diligemment à sa galerie. Outre le bon office que lui rend le canon pour lui donner d’abord une espece de couvert dans les terres du rempart, il peut encore, si l’ennemi y a construit des galeries proche le revêtement, les ébranler & même les crever ; ce qui produit encore plus de sûreté au mineur pour avancer son travail. Les mineurs se relayent de deux heures en deux heures, & ils travaillent avec la plus grande diligence pour parvenir à mettre la mine dans l’état de perfection qu’elle doit avoir, c’est-à-dire, pour la charger & la fermer. Pendant ce travail ils éprouvent souvent bien des chicanes de la part de l’ennemi.
« Le mineur ayant percé le revêtement, il fait derriere de part & d’autre deux petites galeries de 12 à 14 piés, au bout desquelles il pratique de part & d’autre deux fourneaux ; savoir, l’un dans l’épaisseur du revêtement, & l’autre enfoncé de 15 piés dans les terres du rempart. On donne un foyer commun à ces quatre fourneaux, lesquels prennent feu ensemble, & font une breche très-large & très spacieuse.
« Lorsqu’il y a des contre-mines pratiquées dans les terres du rempart, & le long de son revêtement, on fait ensorte de s’en emparer & d’en chasser les mineurs. M. Goulon propose pour cela de faire sauter deux fougaces dans les environs pour tâcher de la crever ; après quoi si l’on y est parvenu, il veut qu’on y entre avec dix ou douze grenadiers, & autant de soldats commandés par deux sergens ; qu’une partie de ces grenadiers ayent chacun 4 grenades, & que les autres soient chargés de 4 ou 5 bombes, dont il n’y en ait que 3 de chargées, les deux autres ayant néanmoins la fusée chargée comme les trois premieres. Les deux sergens se doivent jetter les premiers l’épée ou le pistolet à la main dans la contre-mine, & être suivis des grenadiers. Si les assiégés n’y paroissent pas pour défendre leur contre-mine, on y fait promptement un logement avec des sacs à terre. Ce logement ne consiste qu’en une bonne traverse qui bouche entierement la galerie de la contre-mine du côté que l’ennemi y peut venir. Si l’ennemi vient pour s’opposer à ce travail, les grenadiers doivent leur jetter leurs trois bombes chargées & se retirer promptement, de même que leurs camarades, pour n’être point incommodés de l’effet de ces bombes. La fumée qu’elles font en crevant, & leur éclat, ne peuvent manquer d’obliger l’ennemi d’abandonner la galerie pour quelque tems : mais dès qu’elles ont fait tout leur effet, les deux sergens & les grenadiers avec les soldats dont ils sont accompagnés, rentrent promptement dans la galerie, & ils travaillent avec diligence à leur traverse pour boucher la galerie. Si l’ennemi veut encore interrompre leur ouvrage, ils lui jettent les deux bombes non chargées, qui l’obligent de se retirer bien promptement ; & comme l’effet n’en est point à craindre, ce que l’ennemi ignore, on continue de travailler à perfectionner la traverse : on y pratique même des ouvertures ou creneaux pour tirer sur l’ennemi, en cas qu’il paroisse dans la partie de la galerie opposée à la traverse.
« Lorsqu’il n’y a point de galerie ou de contre-mine derriere le revêtement du rempart, ou lorsqu’il y en a une, & qu’on ne peut y parvenir aisément, le mineur ne doit rien négliger pour tâcher de la découvrir, & il doit en même tems veiller avec beaucoup d’attention, pour ne se point laisser surprendre par les mineurs ennemis, qui viennent au-devant de lui pour l’étouffer dans sa galerie, la boucher, & détruire entierement son travail. Il faut beaucoup d’intelligence, d’adresse & de subtilité dans les mineurs pour se parer des piéges qu’ils se tendent réciproquement. Le mineur, dit M. de Vauban dans ses mémoires ; doit écouter souvent s’il n’entend point travailler sous lui. Il doit sonder du côté qu’il entend du bruit, souvent on entend d’un côté pendant qu’on travaille de l’autre. Si le mineur ennemi s’approche de trop près, on le prévient par une fougace qui l’étouffe dans sa galerie ; pour cet effet on pratique un trou dans les terres de la galerie du côté que l’on entend l’ennemi, de cinq à six pouces de diametre, & de six à sept pouces de profondeur ; on y introduit une gargouche de même diametre qui contient environ dix à douze livres de poudre : on bouche exactement le trou ou son ouverture vers la galerie, par un fort tampon que l’on applique immédiatement à la gargouche, & que l’on soûtient par des étersillons, ou des pieces de bois posées horisontalement, en travers de la galerie, que l’on serre contre les deux côtés de la galerie, en faisant entrer des coins à force entre l’extrémité de ces pieces, & les côtés de la galerie : on met le feu à cette fougace par une fusée, qui passe par un trou fait dans le tampon, & qui communique avec la poudre de la gargouche. Si la galerie du mineur ennemi n’est qu’à quatre ou cinq piés de la tête de cette fougace, elle en sera indubitablement enfoncée, & le mineur qui se trouvera dedans, écrasé ou étouffé par la fumée. On peut aussi chasser le mineur ennemi, & rompre sa galerie, en faisant, comme nous l’avons déja dit, sauter successivement plusieurs petits fourneaux, qui ne peuvent manquer d’ébranler les terres, de les meurtrir, c’est-à-dire, de les crevasser, & de les remplir d’une odeur si puante, que personne ne puisse la supporter : ce qui met les mineurs ennemis absolument hors d’état de travailler dans ces terres. On en est moins incommodé du côté de l’assiégeant, parce que les galeries étant beaucoup plus petites, & moins enfoncées que celle des assiégés, l’air y circule plus aisément, & il dissipe plus promptement la mauvaise odeur.
« On peut aussi crever la galerie de l’ennemi, lorsque l’on n’en est pas fort éloigné, avec plusieurs bombes que l’on introduit dans les terres du mineur ennemi, & que l’on arrange de maniere qu’elles fassent leur effet vers son côté. Les mineurs en travaillant de part & d’autre pour aller à la découverte, & se prévenir réciproquement, ont de grandes sondes avec lesquelles ils sondent l’épaisseur des terres, pour juger de la distance à laquelle ils peuvent se trouver les uns des autres. Il faut être alerte là-dessus, & lorsque le bout de la sonde paroît, se disposer à remplir le trou qu’elle aura fait, aussi-tôt qu’elle sera retirée, par le bout d’un pistolet, qui étant introduit bien directement dans ce trou, & tiré par un homme assûré, dit M. de Vauban, ne peut guere manquer de tuer le mineur ennemi. On doit faire suivre le premier coup de pistolet de trois ou quatre autres ; & ensuite nettoyer le trou avec la sonde, pour empêcher que le mineur ennemi ne le bouche de son côté. Il est important de l’en empêcher, pour qu’il ne puisse pas continuer son travail dans cet endroit, & qu’il soit totalement obligé de l’abandonner.
« Toutes ces chicanes & plusieurs autres qu’on peut voir dans les mémoires de M. de Vauban, font connoître que l’emploi de mineur demande non seulement de l’adresse & de l’intelligence, mais aussi beaucoup de courage pour parer & remédier à tous les obstacles qu’il rencontre dans la conduite des travaux dont il est chargé : il s’en pare assez aisément quand il est maître du dessous : mais quand il ne l’est point, sa condition est des plus fâcheuses.
« Pour s’assurer si l’on travaille dans la galerie, le mineur se sert ordinairement d’un tambour sur lequel on met quelque chose ; l’ébranlement de la terre y cause un certain trémoussement qui avertir du travail qu’on fait dessous. Il prête aussi l’oreille attentivement sur la terre : mais le trémoussement du tambour est plus sûr. C’est un des avantages des plus considérables des assiégés de pouvoir être maîtres du dessous de leur terrein : ils peuvent arrêter par-là les mineurs des assiégeans à chaque pas, & leur faire payer cherement le terrein, qu’ils se trouvent à la fin obligés de leur abandonner : je dis de leur abandonner ; parce que les assiégeans qui ont beaucoup plus de monde que les assiégés, beaucoup plus de poudre, & qui sont en état de pouvoir réparer les pertes qu’ils font, soit en hommes soit en munitions, doivent à la fin forcer les assiégés, qui n’ont pas les mêmes avantages, de se rendre, faute de pouvoir, pour ainsi dire, se renouveller de la même maniere.
« Pendant que le mineur travaille à la construction de sa galerie, on agit pour ruiner entierement toutes les défenses de l’ennemi, & pour le mettre hors d’état de défendre sa breche & de la réparer : pour cela on fait un feu continuel sur les breches, qui empêche l’ennemi de s’y montrer, & de pouvoir s’avancer pour regarder les travaux qui peuvent se faire dans le fossé ou au pié des breches. S’il y a une tenaille, on place des batteries dans les places d’armes rentrantes du chemin couvert de la demi-lune, qui couvrent la courtine du front attaqué, qui puissent plonger dans la tenaille, & empêcher que l’ennemi ne s’en serve pour incommoder le passage du fossé. On peut aussi, pour lui imposer, établir une batterie de pierriers dans le logement le plus avancé de la gorge de la demi-lune : cette batterie étant bien servie, rend le séjour de la tenaille trop dangereux & trop incommode, pour que l’ennemi y reste tranquillement, & qu’il y donne toute l’attention nécessaire pour incommoder le passage du fossé.
« Quelquefois l’ennemi pratique des embrasures biaisées dans la courtine, d’où il peut aussi tirer du canon sur les logemens du chemin couvert, ce qui incommode & ces logemens, & le commencement de la descente du fossé. Les assiégés, au dernier siége de Philisbourg, en avoient pratiqué de semblables dans les deux courtines de l’attaque, ce qui auroit fait perdre bien du monde, s’il avoit fallu établir des batteries sur leur contrescarpe, & faire le passage du fossé de la place.
« Le moyen d’empêcher l’effet de ces batteries, est de tâcher de les ruiner avec les bombes, & de faire en sorte, lorsque le terrein le permet, d’enfiler la courtine par le ricochet. On peut aussi placer une batterie de quatre ou cinq pieces de canon sur le haut de l’angle flanqué de la demi-lune : dans cette position elle peut tirer directement sur la courtine, & plonger vers la tenaille, & la poterne de communication, par où l’ennemi communique dans le fosse lorsqu’il est sec. Enfin on se sert de tous les expédiens, & de tous les moyens que l’intelligence, l’expérience & le génie peuvent donner, pour se rendre supérieur à tout le feu de l’ennemi, pour le faire taire, ou du moins pour que l’ennemi ne puisse se montrer à aucunes de ses défenses, sans y être exposé au feu des batteries & des logemens.
« Nous n’avons point parlé jusqu’ici des flancs concaves & à orillons : on sait que l’avantage de ces flancs est principalement de conserver un canon proche le revers de l’orillon, qui ne pouvant être vû du chemin couvert opposé, ne peut être démonté par les batteries qui y sont placées. Si on pouvoit garantir ce canon des bombes, il est certain qu’il produiroit un très-grand avantage aux assiégés : mais il n’est pas possible de le présumer ; ainsi son avantage devient aujourd’hui moins considérable qu’il ne l’étoit lorsque M. de Vauban s’en est servi : alors on ne faisoit pas dans les siéges une aussi grande consommation de bombes qu’on en fait à présent. Le flanc concave à orillon ne changeroit rien aujourd’hui dans la disposition de l’attaque ; on auroit seulement attention de faire tomber plusieurs bombes sur l’orillon, & sur la partie du flanc qui y joint immédiatement ; & ces bombes ruineroient indubitablement l’embrasure cachée & protégée de l’orillon. Un avantage dont il faut cependant convenir, qu’ont encore aujourd’hui les flancs concaves, c’est de ne pouvoir pas être enfilés par le ricochet. Les flancs droits le peuvent être des batteries placées dans les places d’armes rentrantes du chemin couvert, vis-à-vis les faces des bastions : mais les flancs concaves par leur disposition en sont à l’abri.
« Supposons présentement que les passages des fossés soient dans l’état de perfection nécessaire pour qu’on puisse passer dessus ; que le canon ou les mines ayent donné aux breches toute la largeur qu’elles doivent avoir, pour qu’on puisse y déboucher sur un grand front : que les rampes soient adoucies, & qu’on puisse y monter facilement pour parvenir au haut de la breche. On peut s’y établir en suivant l’un des deux moyens dont on parlera dans l’article de la demi-lune ; savoir, en y faisant monter quelques sappeurs, qui à la faveur du feu des batteries & des logemens du chemin couvert, commencent l’établissement du logement ; ou en y montant en corps de troupes, pour s’y établir de vive force ; ou ce qui est la même chose, en donnant l’assaut au bastion.
« Si l’ennemi n’a point pratiqué de retranchement dans l’intérieur du bastion, il ne prendra guere le parti de soûtenir un assaut qui l’exposeroit à être emporté de vive force, à être pris prisonnier de guerre, & qui exposeroit aussi la ville au pillage du soldat.
« Tout étant prêt pour lui donner l’assaut, il battra la chamade, c’est à-dire, qu’il demandera à se rendre à de certaines conditions : mais si les assiégeans présument qu’ils se rendront maîtres de la place par un assaut sans une grande perte, ils ne voudront accorder que des conditions assez dures. Plus les assiégés sont en état de se défendre, & plus ils obtiennent des conditions avantageuses, mais moins honorables pour eux. Le devoir des officiers renfermés dans une place, est de la défendre autant qu’il est possible, & de ne songer à se rendre que lorsqu’il est absolument démontré qu’il y a impossibilité de résister plus long-tems sans exposer la place & la garnison à la discrétion de l’assiégeant. Une défense vigoureuse se fait respecter d’un ennemi généreux, & elle l’engage souvent à accorder au gouverneur les honneurs de la guerre, dûs à sa bravoure & à son intelligence.
« Nous supposons ici que de bons retranchemens pratiqués long-tems avant le siége, ou du moins des son commencement, dans le centre ou à la gorge des bastions, mettent l’assiégé en état de soûtenir un assaut au corps de sa place, & qu’il se réserve de capituler derriere ses retranchemens. Il faut dans ce cas se résoudre d’emporter la breche de vive force, & d’y faire un logement sur le haut, après en avoir chassé l’ennemi.
« Lorsqu’on se propose de donner l’assaut aux bastions, on fait pendant le tems qu’on construit & qu’on charge les mines, un amas considérable de matériaux dans les logemens les plus prochains des breches, pour qu’on puisse de main en main les faire passer promptement pour la construction du logement, aussi-tôt qu’on aura chassé l’ennemi.
« Lorsqu’on est préparé pour mettre le feu aux mines, on commande tous les grenadiers de l’armée pour monter l’assaut : on les fait soûtenir de détachemens & de bataillons en assez grand nombre, pour que l’ennemi ne puisse pas résister à leur attaque. Ces troupes étant en état de donner, on fait joüer les mines ; & lorsque la poussiere est un peu tombée, les grenadiers commandés pour marcher, & pour monter les premiers, s’ébranlent pour gagner le pié de la breche, où étant parvenus, ils y montent la bayonnette au bout du fusil, suivis de toutes les troupes qui doivent les soûtenir. L’ennemi qui peut avoir conservé des fourneaux, ne manquera pas de les faire sauter. Il fera aussi tomber sur les assaillans tous les feux d’artifice qu’il pourra imaginer, & il leur fera payer le plus cher qu’il pourra, le terrein qu’il leur abandonnera sur le haut de la breche : mais enfin il faudra qu’il le leur abandonne ; la supériorité des assiégeans doit vaincre à la fin tous les obstacles des assiégés. S’ils sont assez heureux pour résister à un premier assaut, ils ne le seront pas pour résister à un second, ou à un troisieme : ainsi il faudra qu’ils prennent le parti de se retirer dans leurs retranchemens. Aussi-tôt qu’ils auront été repoussés, & qu’ils auront abandonné le haut de la breche, on fera travailler en diligence au logement. Il consistera d’abord en une espece d’arc de cercle, dont la convexité sera tournée vers l’ennemi, s’il y a une breche aux deux faces des deux bastions ; autrement on s’établira simplement au haut de la breche. On donne l’assaut à toutes les breches ensemble ; par-là on partage la résistance de l’ennemi, & on la rend moins considérable. Pendant toute la durée de cette action, les batteries & les logemens font le plus grand feu sur toutes les défenses de l’ennemi, & dans tous les lieux où il est placé, & sur lesquels on ne peut tirer sans incommoder les troupes qui donnent sur les breches.
« Le logement sur la breche étant bien établi, on poussera des sappes à droite & à gauche vers le centre du bastion. On fera monter du canon sur la breche, pour battre le retranchement intérieur ; on passera son fossé, & on s’établira sur sa breche, en pratiquant tout ce qu’on vient de dire pour les bastions. Si ce premier retranchement étoit suivi d’un second, l’ennemi après avoir été forcé de l’abandonner, se retireroit dans celui-ci pour capituler. On l’attaqueroit encore comme dans le premier, & enfin on le forceroit de se rendre. Il est assez rare de voir des défenses poussées aussi loin que nous avons supposé celle-ci : mais ce long détail étoit nécessaire, pour donner une idée de ce qu’il y auroit à faire, si l’ennemi vouloit pousser la résistance jusqu’à la derniere extrémité.
« Dans l’attaque des retranchemens intérieurs, outre le canon, il faut y employer les bombes & les pierriers. Les bombes y causent de grands ravages, parce que les assiégés sont obligés de se tenir en gros corps dans ces retranchemens, qui sont toûjours assez petits ; & par cette raison les pierriers y sont d’un usage excellent par la grêle de pierres qu’ils font tomber dans ces ouvrages, qui tuent & estropient beaucoup de monde. » Attaque des places, par M. le Blond.
Attaque d’une citadelle ; les attaques des citadelles n’ont rien de différent de celles des villes : on s’y conduit absolument de la même maniere. Lorsqu’on est obligé de commencer le siége d’une place où il y a une citadelle, par la place même, on est dans le cas de faire deux siéges au lieu d’un : mais il arrive souvent que cet inconvénient est moins grand que de s’exposer à l’attaque d’une citadelle qui peut tirer de la ville de quoi prolonger sa défense. Il est aisé d’en disputer le terrain pié à pié, & de faire encore un grand & fort retranchement sur l’esplanade, qui arrête l’ennemi. Si l’on avoit d’abord attaqué la ville de Turin au lieu de la citadelle, ce siége n’auroit pas eu le triste évenement que tout le monde sait ; c’est le sentiment de M. de Feuquieres. Voyez le IV. volume de ses Mémoires, page 253.
Attaque de flanc ; c’est dans l’Art militaire l’attaque d’une armée ou d’une troupe sur le flanc ou le côté : cette attaque est fort dangereuse ; c’est pourquoi on a soin de couvrir autant qu’on le peut, les flancs d’une armée ou d’une troupe, par des villages, des rivieres, ou fortifications naturelles, qui empêchent l’ennemi de pouvoir former ou diriger son attaque sur les flancs de la troupe qu’il veut combattre. Voyez Flanc & Aîle.
Attaque de front ; c’est dans l’Art militaire, l’attaque qui se fait sur le devant ou la tête d’une troupe.
Attaque des lignes de circonvallation, c’est l’effort que l’ennemi fait pour y pénétrer & en chasser ceux qui les défendent.
Le plus difficile & le plus dangereux de cette attaque, c’est le comblement du fossé. On se sert pour cet effet de fascines ; chaque soldat en porte une devant lui ; ce qui sauve bien des coups de fusil avant qu’on arrive, sur-tout quand elles sont bien faites & composées de menu bois. Lorsqu’on est arrivé sur le bord du fossé, les soldats se les donnent de main en main pendant qu’on les passe par les armes. Il faut avoüer que cette méthode est fort incommode & fort meurtriere. M. le chevalier de Folard, qui fait cette observation, propose, pour conserver les troupes dans cette action, de faire plusieurs chassis de 7 à 8 piés de large sur 10 à 12 de longueur, suivant la largeur du fossé. Ces chassis doivent être composés de 3 ou 4 soliveaux de brin de sapin de 4 pouces de largeur sur 5 d’épaisseur, pour avoir plus de force pour soûtenir le poids des soldats qui passeront dessus, avec des travers bien emmortoisés. On cloue dessus des planches de sapin. Pour mieux assûrer ces ponts, on peut pratiquer aux extrémités des grapins, qui s’enfoncent sur la berme ou sur le fascinage des lignes.
Lorsqu’on veut se servir de ces ponts, il faut les faire monter dans le camp & les voiturer sur des chariots derriere les colonnes, à une certaine distance des retranchemens : après quoi on les fait porter par des soldats commandés à cet effet, qui les jettent sur le fossé lorsque les troupes y sont arrivées, observant de les poser & placer à côté les uns des autres, de maniere qu’ils puissent se toucher. Vingt ponts construits de la sorte, suffisent pour le passage d’une colonne, & laisseront encore des espaces suffisans pour celui des grenadiers.
On peut encore se servir pour le comblement du fossé des lignes, d’un autre expédient qui exige moins de préparatifs. Il faut faire faire de grands sacs de grosse toile, de 8 piés de long, qu’on remplira des deux côtés, de paille, de feuilles d’arbres, ou de fumier, qui est encore meilleur à cause du feu. On roulera sur trois rangs paralleles, un nombre de ces balots à la tête & sur tout le front des colonnes, qu’on jettera dans le fossé, d’abord le premier rang, ensuite le second, & ainsi des autres, s’il en faut plusieurs. Deux ou trois de ces balots suffiront de reste pour combler le fossé, si on leur donne cinq piés de diametre : comme il peut rester quelques vuides entre ces balots, à cause de leur rondeur, on jettera quelques fascines dessus, que les soldats des premiers rangs des colonnes doivent porter. Cette méthode de combler un fossé, a cet avantage, que les soldats qui roulent ces ballots devant eux, arrivent à couvert jusqu’au bord du fossé. On peut se servir egalement de ballots de fascines. Folard, Comment. sur Polybe.
Attaques d’une place ; ce sont en général toutes les actions & tous les différens travaux qu’on fait pour s’en emparer. Voyez Tranchée, Sappe, Parallele ou Place d’armes, Logement, &c.
Regler les attaques d’une place, c’est déterminer le nombre qu’on en veut faire, & les côtés ou les fronts par lesquels on veut l’attaquer : c’est aussi fixer la forme & la figure des tranchées. Avoir les attaques d’une place, c’est avoir un plan sur lequel les tranchêes, les logemens, les batteries, &c. sont tracées.
Maximes ou principes qu’on doit observer dans l’attaque des places. I. Il faut s’approcher de la place sans en être découvert, directement, ou obliquement, ou par le flanc.
Si l’on faisoit les tranchées en allant directement à la place, par le plus court chemin, l’on y seroit en butte aux coups des ennemis postés sur les pieces de la fortification où la tranchée aboutiroit ; & si l’on y alloit obliquement, pour sortir de la direction du feu de l’endroit où l’on veut aller, & que la tranchée sût vûe dans toute sa longueur par quelqu’autre piece de la fortification de la place, les soldats placés sur cette piece de fortification verroient le flanc de ceux de la tranchée, laquelle se trouvant ainsi enfilée par l’ennemi, ne garantiroit nullement du feu de la place, les soldats qui seroient dedans.
Or, comme l’objet des tranchées est de les en garantir, il faut donc qu’elles soient dirigées de maniere qu’elles ne soient ni en vûe, ni enfilées par l’ennemi d’aucun endroit.
II Il faut éviter de faire plus d’ouvrage qu’il n’en est besoin pour s’approcher de la place sans être vû, c’est-à-dire, qu’il faut s’en approcher par le chemin le plus court qu’il est possible de tenir, en se couvrant ou détournant des coups de l’ennemi.
III. Que toutes les parties des tranchées se soûtiennent réciproquement, & que celles qui sont les plus avancées ne soient éloignées de celles qui doivent les défendre, que de 120 ou 130 toises, c’est-à-dire, de la portée du fusil.
IV. Que les paralleles ou places d’armes les plus éloignées de la place ayent plus d’étendue que celles qui en sont plus proches, afin de prendre l’assiégé par le flanc, s’il vouloit attaquer ces dernieres paralleles.
V. Que la tranchée soit ouverte ou commencée le plus près de la place qu’il est possible, sans trop s’exposer, afin d’accélérer & diminuer les travaux du siége.
VI. Observer de bien lier les attaques, c’est-à-dire, d’avoir soin qu’elles ayent des communications pour pouvoir se donner du secours réciproquement.
VII. Ne jamais avancer un ouvrage en avant, sans qu’il soit bien soûtenu ; & pour cette raison, dans l’intervalle de la seconde & de la troisieme place d’armes, faire de part & d’autre de la tranchée des retours de 40 ou 50 toises paralleles aux places d’armes, & construits de la même maniere, qui servent à placer des soldats pour protéger les travaux que l’on fait pour parvenir à la troisieme place d’armes. Ces sortes de retours, dont l’usage est le même que celui des places d’armes, se nomment demi-places d’armes.
VIII. Observer de placer les batteries de canon sur le prolongement des pieces attaquées, afin qu’elles en arrêtent le feu ; & que les travaux en étant protégés, avancent plus aisément & plus promptement.
IX. Embrasser par cette raison toûjours le front des attaques, afin d’avoir toute l’étendue nécessaire pour placer les batteries sur le prolongement des faces des pieces attaquées.
X. Eviter avec soin d’attaquer par des lieux serrés, comme aussi par des angles rentrans, qui donneroient lieu à l’ennemi de croiser ses feux sur les attaques.
On attaque ordinairement les places du côté le plus foible : mais il n’est pas toûjours aisé de le remarquer. On a beau reconnoître une place de jour & de nuit, on ne voit pas ce qu’elle renferme : il faut donc tâcher d’en être instruit par quelqu’un à qui elle soit parfaitement connue. Il ne faut rien négliger pour prendre à cet égard tous les éclaircissemens possibles.
Il n’y a point de place qui n’ait son fort & son foible ; à moins qu’elle ne soit réguliere & située au milieu d’une plaine, qui n’avantage en rien une partie plus que l’autre ; telle qu’est le Neuf-Brisach. En ce cas il n’est plus question d’en résoudre les attaques que par rapport aux commodités ; c’est-à-dire, par le côté le plus à portée du quartier du roi, du parc d’artillerie, & des lieux les plus propres à tirer des fascines, des gabions, &c. Comme il se trouve peu de places fortifiées régulierement, la diversité de leur fortification & du terrein sur lequel elles sont situées demande autant de différentes observations particulieres pour leur attaque.
Si la fortification d’une place a quelque côté sur un rocher de 25, 30, 40, 50, ou 60 piés de haut, que ce rocher soit sain & bien escarpé, nous la dirons inaccessible par ce côté ; si ce rocher bat auprès d’une riviere d’eau courante ou dormante, ce sera encore pis : si quelque côté en plein terrein est bordé par une riviere qui ne soit pas guéable, & qui ne puisse être détournée ; que cette riviere soit bordée du côté de la place d’une bonne fortification capable d’en défendre le passage ; on pourra la dire inattaquable par ce côté : si son cours est accompagné de prairies basses & marécageuses en tout tems, elle le sera encore davantage.
Si la place est environnée en partie d’eau & de marais, qui ne se puissent dessécher, & en partie accessible par des terreins secs qui bordent ces marais ; que ces avenues soient bien fortifiées, & qu’il y ait des pieces dans le marais qui ne soient pas abordables, & qui puissent voir de revers les attaques du terrein ferme qui les joint ; ce ne doit pas être un lieu avantageux aux attaques, à cause de ces pieces inaccessibles, parce qu’il faut pouvoir embrasser ce que l’on attaque. Si la place est toute environnée de terres basses & de marais, comme il s’en trouve aux Pays-bas, & qu’elle ne soit abordable que par des chaussées ; il faut, 1°. considérer si on ne peut point dessécher les marais, s’il n’y a point de tems dans l’année où ils se dessechent d’eux-mêmes, & en quelle saison ; en un mot, si on ne peut pas les faire écouler & les mettre à sec.
2°. Si les chaussées sont droites ou tortues, enfilées en tout ou en partie de la place, & de quelle étendue est la partie qui ne l’est pas, & à quelle distance de la place ; quelle en est la largeur, & si l’on peut y tournoyer une tranchée en la défilant.
3°. Si on peut asseoir des batteries au-dessus ou à côté sur quelque terrein moins bas que les autres, qui puissent croiser sur les parties attaquées de la place.
4°. Voir si les chaussées sont si fort enfilées qu’il n’y ait point de transversales un peu considérables, qui fassent front à la place d’assez près ; & s’il n’y a point quelqu’endroit qui puisse faire un couvert considérable contre elle, en relevant une partie de leur épaisseur sur l’autre, & à quelle distance de la place elles se trouvent.
5°. Si des chaussées voisines l’une de l’autre aboutissent à la place, se joignent, & en quel endroit ; & si étant occupées par les attaques, elles se peuvent entre-secourir par des vûes de canon croisées, ou de revers sur les pieces attaquées.
6°. De quelle nature est le rempart de la place & de ses dehors : si elle a des chemins couverts, si les chaussées qui les abordent y sont jointes ; & s’il n’y a point quelqu’avant-fossé plein d’eau courante ou dormante qui les sépare. Où cela se rencontre, nous concluons qu’il ne faut jamais attaquer par-là, pour peu qu’il y ait d’apparence d’approcher de la place par ailleurs, parce qu’on est presque toujours enfilé & continuellement écharpé du canon, sans moyen de s’en pouvoir défendre, ni de s’en rendre maître, ni embrasser les parties attaquées de la place.
A l’égard de la plaine ; il faut 1°. examiner par où on peut embrasser les fronts de l’attaque ; parce que ceux-là sont toûjours à préférer aux autres.
2°. La quantité de pieces à prendre avant de pouvoir attirer au corps de la place, leur qualité, & celle du terrein sur lequel elles sont situées.
3°. Si la place est bastionnée & revêtue.
4°. Si la fortification est réguliere ou à peu près équivalente.
5°. Si elle est couverte par quantité de dehors, quels & combien ; parce qu’il faut s’attendre à autant d’affaires qu’il y aura de pieces à prendre.
6°. Si les chemins couverts sont bien faits, contreminés & pallissadés ; si les glacis en sont roides, & non commandés des pieces supérieures de la place.
7°. S’il y a des avant-fossés, & de quelle nature.
8°. Si les fossés sont revêtus & profonds, secs ou pleins d’eau, & de quelle profondeur : si elle est dormante ou courante, & s’il y a des écluses, & la pente qu’il y peut avoir de l’entrée de l’eau à leur sortie.
9°. S’ils sont secs & quelle en est la profondeur, & si les bords en sont bas & non revêtus ; au reste on doit compter que les plus mauvais de tous sont les fossés pleins d’eau quand elle est dormante.
Les fossés qui sont secs, profonds & revêtus sont bons : mais les meilleurs sont ceux qui étant secs, peuvent être inondés, quand on le veut d’une grosse eau courante ou dormante : par ce qu’on peut les défendre secs, & ensuite les inonder, & y exciter des torrens qui en rendent le trajet impossible. Tels sont les fossés de Valenciennes du côté du Quesnoy, qui sont secs, mais dans lesquels on peut mettre telle quantité d’eau dormante ou courante qu’on voudra, sans qu’on le puisse empêcher. Tels sont encore les fossés de Landau, place moderne, dont le mérite n’est pas encore bien connu.
Les places qui ont de tels fossés avec des réservoirs d’eau qu’on ne peut ôter, sont très-difficiles à forcer, quand ceux qui les défendent, savent en faire usage.
Les fossés revêtus, dès qu’ils ont 10, 12, 15, 20 & 25 piés de profondeur, sont aussi fort bons ; par ce que les bombes ni le canon ne peuvent rien contre ces revêtemens, & que l’on n’y peut entrer que par les descentes, c’est-à-dire, en défilant un à un, ou deux à deux au plus : ce qui est sujet à bien des inconvéniens ; car on vous chicane par différentes sorties sur votre passage & vos logemens de mineurs : ce qui cause beaucoup de retardement & de perte, outre que quand il s’agit d’une attaque, on ne la peut soûtenir que foiblement ; parce qu’il faut que tout passe par un trou ou deux, & toûjours en défilant avec beaucoup d’incommodité.
Il faut encore examiner si les fossés sont taillés dans le roc, si ce roc est continué & dur ; car s’il est dur & mal aisé à miner, vous serez obligé de combler ces fossés jusqu’au rez du chemin couvert pour faire votre passage ; ce qui est un long travail & difficile, sur-tout si le fossé est profond : car ces manœuvres demandent beaucoup d’ordre & de tems, pendant lequel l’ennemi qui songe à se défendre, vous fait beaucoup souffrir par ses chicanes. Il détourne les matériaux, arrache les fascines, y met le feu, vous inquiete par ses sorties, & par le feu de son canon, de ses bombes & de sa mousqueterie, contre lequel vous êtes obligé de prendre de grandes précautions ; par ce qu’un grand feu de près est fort dangereux : c’est pourquoi il faut de nécessité l’éteindre par un plus grand, & bien disposé.
Après s’être instruit de la qualité des fortifications de la place que l’on doit attaquer, il en faut examiner les accès, & voir si quelque rideau, chemin creux ou inégalité du terrein, peut favoriser vos approches & vous épargner quelque bout de tranchée ; s’il n’y a point de commandement qui puisse vous servir ; si le terrein par où se doivent conduire les attaques est doux & aisé à renverser ; s’il est dur & mêlé de pierres, cailloux & roquailles, ou de roches pelées, dans lequel on ne puisse que peu ou point s’enfoncer.
Toutes ces différences sont considérables ; car si c’est un terrein aisé à manier, il sera facile d’y faire de bonnes tranchées en peu de tems, & on y court bien moins de risque. S’il est mêlé de pierres & de cailloux, il sera beaucoup plus difficile, & les éclats de canon y seront dangereux.
Si c’est un roc dur & pelé, dans lequel on ne puisse s’enfoncer, il faut compter d’y apporter toutes les terres & matériaux dont on aura besoin ; de faire les trois quarts de la tranchée de fascines & de gabions, même de ballots de bourre & de laine, ce qui produit un long & mauvais travail, qui n’est jamais à l’épreuve du canon, & rarement du mousquet, & dont on ne vient à bout qu’avec du tems, du péril & beaucoup de dépense ; c’est pourquoi il faut éviter tant que l’on peut, d’attaquer par de telles avenues.
Choix d’un front de place en terrein égal le plus favorable pour l’attaque. Il faut examiner & compter le nombre des pieces à prendre ; car celui qui en aura le moins ou de plus mauvaises, doit être considéré comme le plus foible, si la qualité des fossés ne s’y oppose point.
Il y a beaucoup de places situées sur des rivieres qui n’en occupent que l’un des côtés, ou si elles occupent l’autre, ce n’est que par des petits forts, ou des dehors peu considérables, avec lesquels on communique par un pont, ou par des bateaux au défaut de pont. Tel étoit autrefois Stenay, & tels sont encore Sedan, Mézieres, Charlemont, & Namur, sur la Meuse ; Mets & Thionville, sur la Moselle ; Huningue, Strasbourg & Philisbourg, sur le Rhin, & plusieurs autres.
Où cela se rencontre, il est plus avantageux d’attaquer le long des rivieres, au-dessus ou au-dessous, appuyant la droite ou la gauche sur un de leurs bords, & poussant une autre tranchée vis-à-vis, le long de l’autre bord, tendant à se rendre maître de ce dehors ; ou bien on peut occuper une situation propre à placer des batteries de revers, sur le côté opposé aux grandes attaques.
Comme les batteries de cette petite attaque peuvent aussi voir le pont servant de communication de la place à ce dehors, les grandes attaques de leur côté en pourroient faire autant ; moyennant quoi il seroit difficile que la place y pût communiquer long-tems ; d’où s’ensuivroit que pour peu que ce dehors fût pressé, l’ennemi l’abandonneroit, ou n’y feroit pas grande résistance, principalement s’il est petit, & peu contenant : mais ce ne seroit pas la même chose, si c’étoit une partie de la ville, ou quelque grand dehors, à peu près de la capacité de Wick, qui fait partie de la ville de Mastrick : tout cela mérite bien d’être démêlé, & qu’on y fasse de bonnes & sérieuses réflexions ; car il est certain qu’on en peut tirer de grands avantages.
Après cela il faut encore avoir égard aux rivieres & ruisseaux qui traversent la ville, & aux marais & prairies qui accompagnent leur cours ; car quand les terreins propres aux attaques aboutissent contre, ou les avoisinent de près, soit par la droite ou par la gauche, cela donne moyen, en prolongeant les places d’armes jusque sur les bords, de barrer les sorties de ce côté-là, & de mettre toute la cavalerie ensemble sur le côté des attaques qui n’est point favorisé de cet avantage ; ce qui est un avantage considérable, parce que la cavalerie se trouvant en état de se pouvoir porter tout ensemble à l’action, elle doit produire un plus grand effet que quand elle est séparée en deux parties l’une de l’autre.
Outre ce que l’on vient de dire, il est bon encore de commander journellement un piquet de cavalerie & de dragons, dans les quartiers plus voisins des attaques, pour les pousser de ce côté-là, s’il arrivoit quelque sortie extraordinaire qui bouleversât la tranchée.
Pour conclusion, on doit toûjours chercher le foible des places, & les attaquer par-là par préférence aux autres endroits, à moins que quelque considération extraordinaire n’oblige d’en user autrement. Quand on a bien reconnu la place, on doit faire un petit recueil de ces remarques avec un plan, & le proposer au général & à celui qui commande l’artillerie, avec qui on doit agir de concert, & convenir après cela du nombre des attaques qu’on peut faire : cela dépend de la force de l’armée & de l’abondance des munitions.
Je ne crois pas qu’il soit avantageux de faire de fausses attaques, parce que l’ennemi s’appercevant de la fausseté des le troisieme ou quatrieme tour de la tranchée, il n’en fait plus de cas, & les méprise ; ainsi c’est de la fatigue & de la dépense inutile.
L’on ne doit point faire non plus d’attaques séparées, à moins que la garnison ne soit très-foible, ou l’armée très-forte, parce qu’elles vous obligent à monter aussi fort à une seule qu’à toutes les deux, & que la séparation les rend plus foibles & plus difficiles à servir.
Mais les attaques les meilleures & les plus faciles, sont les attaques doubles qui sont liées, parce qu’elles peuvent s’entre-secourir : elles sont plus aisées à servir, se concertent mieux & plus facilement pour tout ce qu’elles entreprennent, & ne laissent pas de faire diversion des forces de la garnison.
Il n’y a donc que dans certains cas extraordinaires & nécessités, pour lesquels je pourrois être d’avis de n’en faire qu’une, qui sont quand les fronts attaqués sont si étroits qu’il n’y a pas assez d’espace pour pouvoir développer deux attaques.
Il faut encore faire entrer dans la reconnoissance des places, celle des couverts pour l’établissement du petit parc, d’un petit hôpital, & d’un champ de bataille pour l’assemblée des troupes qui doivent monter à la tranchée, & des endroits les plus propres à placer les gardes de cavalerie.
Le petit parc se place en quelque lieu couvert, à la queue des tranchées de chaque attaque : il doit être garni d’une certaine quantité de poudre, de balles, grenades, meches, pierres-à-fusil, serpes, haches, blindes, martelets, outils, &c. pour les cas survenans & pressans, afin qu’on n’ait pas la peine de les aller chercher au grand parc quand on en a besoin.
Près de lui se range le petit hôpital, c’est-à-dire, les Chirurgiens & Aumôniers, avec des tentes, paillasses, matelats, & des remedes pour les premiers appareils des blessures. Outre cela, chaque bataillon mene avec soi ses Aumôniers, Chirurgiens majors, les Fraters, qui ne doivent point quitter la queue de leurs troupes.
A l’égard du champ de bataille pour l’assemblée des gardes de tranchée qui doivent monter, comme il leur faut beaucoup de terrein, on les assemble pour l’ordinaire hors la portée du canon de la place, & les gardes de la cavalerie de même : celles-ci sont placées ensuite sur la droite & la gauche des attaques, le plus à couvert que l’on peut du canon ; & quand il ne s’y trouve point de couvert, on leur fait des épaulemens à quatre ou cinq cens toises de la place, pour les gardes avancées, pendant que le plus gros se tient plus reculé, & hors la portée du canon.
Quand il se trouve quelque ruisseau ou fontaine près de la queue des tranchées, ou sur le chemin, ce sont de grands secours pour les soldats de garde ; c’est pourquoi il faut les garder, pour empêcher qu’on ne les gâte ; & quand il seroit nécessaire d’en assûrer le chemin par un bout de tranchée fait exprès, on n’y doit pas hésiter.
On doit aussi examiner le chemin des troupes aux attaques, qu’il faut toûjours accommoder & régler par les endroits les plus secs & les plus couverts du canon.
Quand le quartier du Roi se trouve à portée des attaques, elles en sont plus commodes : mais cela ne doit point faire une sujétion considérable.
Il est bien plus important que le parc d’artillerie en soit le plus près qu’il est possible.
C’est encore une espece de nécessité de loger les ingénieurs, mineurs & sappeurs, le plus près des attaques que l’on peut, afin d’éviter les incommodités des éloignemens.
Les attaques étant donc résolues, on regle les gardes de la tranchée ; savoir, l’infanterie sur le pié d’être du moins aussi forte que les trois quarts de la garnison, & la cavalerie d’un tiers plus nombreuse que celle de la place ; de sorte que si la garnison étoit de quatre mille hommes d’infanterie, la garde de la tranchée doit être au moins de trois mille ; & si la cavalerie de la place étoit de 400 chevaux, il faudroit que celle de la tranchée fût de 600.
Autrefois nos auteurs croyoient que pour bien faire le siége d’une place, il falloit que l’armée assiégeante fût dix fois plus forte que la garnison ; c’est-à-dire, que si celle-ci étoit de 1000 hommes, l’armée devoit être de 10000 ; que si elle étoit de 2000, l’assiégeante devoit être de 20000 ; & si elle étoit de 3000, il falloit que l’armée, à peu de chose près, fût de 30000 hommes, selon leur estimation : en quoi ils n’avoient pas grand tort ; & si l’on examine bien toutes les manœuvres à quoi les troupes sont obligées pendant un siége, on n’en seroit pas surpris : car il faut tous les jours monter & descendre la tranchée ; fournir aux travailleurs de jour & de nuit, à la garde des lignes, à celle des camps particuliers & des généraux, à l’escorte des convois & des fourrages ; faire des fascines ; aller au commandement, au pain, à la guerre, &c. de sorte que les troupes sont toûjours en mouvement, quelque grosse que soit une armée : ce qui étoit bien plus fatiguant autrefois qu’à présent, parce que les sieges duroient le double & le triple de ce qu’ils durent aujourd’hui, & qu’on y faisoit de bien plus grandes pertes. On n’y regarde plus de si près ; & on n’hésite pas d’attaquer une place à six ou sept contre un ; parce que les attaques d’aujourd’hui sont bien plus savantes qu’elles n’étoient autrefois. Attaque des places par M. le maréchal de Vauban.
Comme les fortifications particulieres & les différens accès des places en font varier le fort & le foible de plusieurs manieres, il faudroit autant de regles qu’il y a de places, si on vouloit entrer dans le détail de toutes les attaques des places : on se contentera donc de parler des situations les plus générales ; telles sont les villes entourées de marais, sur les bords des rivieres, sur une hauteur, &c.
Attaque d’une place entourée de marais. Une place entourée de marais de tous côtés, & qui n’est accessible que par des chaussées pratiquées dans des marais, est dans un terrein très-peu favorable pour en former le siége.
Ce que l’on peut faire d’abord, est de travailler à dessécher le marais, si l’on peut y trouver quelqu’écoulement ; & de faire ensorte de détourner les eaux qui y entrent : c’est ce que l’on peut faire assez aisément dans un pays plat ou uni : s’il s’y trouve de l’impossibilité, il faut prendre le parti d’aborder la place par les chaussées, en les élargissant, autant qu’il est possible, & en pratiquant des espaces pour l’emplacement des batteries.
Si la situation d’un tel terrein ne permet pas d’y construire des paralleles ou places d’armes à l’ordinaire, ces ouvrages y sont aussi moins utiles que dans un terrein d’un accès facile & praticable, parce que l’ennemi ne peut sortir de sa place en force pour tomber sur les travailleurs.
Les chaussées qui abordent la place peuvent être fort peu élevées, & seulement au-dessus du niveau des eaux du marais, ou bien elles peuvent avoir une élévation de deux ou trois piés au-dessus : si elles sont de la premiere espece, elles ne donneront point la terre nécessaire à la construction de la tranchée ; & dans ce cas on est dans la nécessité de la faire de fascines, de sacs à laine, à terre, &c. si elles sont de la seconde espece, elles pourront fournir assez de terre pour la tranchée, en observant de la faire un peu plus large, afin d’avoir plus de terre pour en former le parapet, sans être obligé de creuser jusqu’au niveau de l’eau.
Il y a une chose qui mérite grande attention dans ces chaussées ; c’est d’observer si elles sont enfilées de la place, auquel cas il est très-difficile de s’établir dessus, & de faire aucun retour ou zig-zag, parce qu’ils se trouveroient tous enfilés. Il est bien difficile de remédier à un aussi grand inconvénient. Ajoûtons à cela, que s’il ne se rencontre dans ces chaussées aucun endroit où l’on puisse placer des batteries à ricochet, le siége sera très-difficile à former.
« S’il falloit cependant se faire un passage dans un terrein de cette espece, on pourroit faire un fondement de claies & de fascines dans les lieux les plus favorables du marais, ou le long des chaussées, & se couvrir de part & d’autre par de grands gabions, sacs à terre, &c. & même une tranchée directe en le traversant fort souvent, c’est-à-dire, formant successivement des traverses qui laissent des passages vers la droite, & ensuite vers la gauche. Cette sorte de tranchée fut employée au siége de Bois-le-duc en 1629 : mais alors la défense des places n’étoit point aussi savante qu’elle l’est aujourd’hui, où un pareil travail auroit bien de la peine à être soûtenu ; cependant il est des circonstances où l’impossibilité de faire mieux doit engager à se servir de toutes sortes de moyens pour parvenir à ses fins. C’est dans un terrein de cette nature qu’un ingénieur trouve dequoi exercer toute sa sagacité & sa capacité. Si les chaussées ont six ou sept toises de largeur, & si elles ont quatre ou cinq piés de haut au-dessus des eaux du marais ; si elles ne sont point enfilées de la place, & si on y remarque de distance en distance des endroits propres à établir des batteries à ricochet ; on pourra, quoiqu’un peu plus mal-aisément que dans un autre terrein, parvenir à se rendre maître de la place. Mais si toutes ces circonstances ne se trouvent point réunies ensemble, il y aura une espece d’impossibilité : dans ces sortes de situations, on doit employer le blocus pour se rendre maître des places. Il peut être fort long lorsque les villes sont bien munies : mais enfin c’est presque le seul moyen qu’on puisse employer utilement pour les réduire.
« Si les marais impraticables rendent, pour ainsi dire, les places qui en sont entourées hors des atteintes d’un siége, il faut convenir aussi que de telles places sont dans une fort mauvaise situation pour la santé de la garnison & celle dès habitans. Mais il y a très-peu de places qui soient totalement entourées de marais : il y a presque toûjours quelque côté qui offre un terrein plus favorable aux approches ; & alors quand on en forme le siége, on évite autant que l’on peut l’attaque du côté des marais. Quoique les autres fronts soient ordinairement plus forts, on ne laisse pas de prendre le parti d’attaquer la place de leur côté, parce que la facilité des approches dédommage amplement de l’augmentation des ouvrages qu’il faut prendre pour s’en rendre le maître. Lorsque les marais sont véritablement impraticables, la place n’a pas besoin d’être aussi exactement fortifiée de leur côté que des autres qui sont plus accessibles : mais il arrive quelquefois que des marais crûs impraticables, ne le sont pas véritablement ; & alors si on en étoit instruit bien exactement, on profiteroit de la sécurité de l’ennemi à leur égard, pour attaquer la place par leur côté, & s’en rendre maître avec bien moins de tems & de perte. C’est à ceux qui sont chargés de ces sortes d’entreprises, de bien faire reconnoître les lieux avant que de se déterminer sur le choix des attaques. Il y a d’ailleurs des marais qui sont impraticables dans un tems, & qui ne le sont pas dans un autre, sur-tout après une grande secheresse. Il peut se trouver des paysans des environs de la place qui en soient instruits ; on ne doit rien négliger pour être exactement informé du sol & de la nature de ces marais. On sent bien que le tems le plus propre & le plus favorable pour former des siéges en terrein marécageux, est au commencement de l’automne, lorsque les chaleurs de l’été l’ont en partie » desséché.
De l’attaque d’une place située le long d’une grande riviere. « Les places qui sont situées le long des grandes rivieres, sont d’une prise moins difficile que celles qui sont entourées de marais.
« On conduit leurs attaques à l’ordinaire du côté qui paroît le plus favorable, & on les dispose de maniere qu’on puisse placer des batteries de l’autre côté de la riviere, ou dans les îles qu’elle peut former vis-à-vis la place, qui protegent l’avancement des tranchées, & qui même quelquefois peuvent battre en breche le front auquel on dirige les attaques. C’est ainsi que M. le maréchal de Vauban en usa au siége du vieux Brisack en 1703. Une batterie qu’il établit dans une des îles que le Rhin fait vis-à-vis de cette ville nommée l’île des Cadets, d’où l’on découvroit un bastion qui étoit le long du Rhin, & que l’on pouvoit battre en breche par le pié, accéléra beaucoup la prise de cette place, qui se rendit le quatorzieme jour de l’ouverture de la tranchée.
« Au siége de Kell, en 1733, on plaça aussi des batteries dans les îles du Rhin, qui firent breche à l’ouvrage à corne de l’attaque, & à la face du bastion de ce fort placé derriere l’ouvrage à corne. Ces batteries battoient à ricochet la face & le chemin couvert de ce bastion, dont la branche de l’ouvrage à corne du côté du Rhin tiroit sa défense ; ce qui aida beaucoup à avancer la tranchée entre cette branche & le Rhin, & accéléra la capitulation de ce fort.
« Au siége de Philisbourg, en 1734, on s’empara d’abord de l’ouvrage qui étoit vis-à-vis de la ville, de l’autre côte du Rhin, & l’on y établit des batteries à ricochet, qui enfilant les défenses du front vers lequel on dirigeoit les attaques, ne permettoient pas à l’ennemi de faire sur les tranchées tout le feu qu’il auroit pû faire sans ces batteries, qui plongeoient le long de ses defenses.
« Lorsqu’il y a un pont sur la riviere vis-à-vis de la ville, il est ordinairement couvert, ou par un ouvrage à corne, ou par une demi-lune, &c. & comme il est important de s’emparer de cet ouvrage, on peut pour y parvenir aisément, placer des batteries vers le bord de la riviere, qui puissent ruiner le pont ou le couper, au moyen dequoi la communication de l’ouvrage dont il s’agit, ne pouvant plus se faire que difficilement avec la ville, l’ennemi se trouve dans la nécessité de l’abandonner.
« Une observation très-importante dans le siége des villes placées le long des rivieres, c’est de savoir à peu-près le tems où elles sont sujettes à se déborder, & quelle est l’étendue de l’inondation la plus grande, afin de mettre non-seulement les tranchées à l’abri de tout accident à cet égard, mais encore de placer le parc d’artillerie en lieu sûr, & où l’inondation ne puisse pas s’étendre, & gâter les munitions de guerre destinées pour le siége.
De l’attaque des places situées sur des hauteurs. « Une place située sur une hauteur dont le front se trouve fort élevé & opposé à un terrein serré, qui ne fournit aucun endroit propre à l’établissement des batteries à ricochet, est assez difficile à prendre.
« Dans des situations pareilles, on voit s’il n’y a pas quelque hauteur dans les environs dont on puisse se servir pour y établir des batteries à ricochet. S’il n’est pas possible d’en trouver, il faut battre les défenses par des batteries directes, & faire ensorte d’en chasser l’ennemi par les bombes qu’il faut jetter continuellement dans les ouvrages. A l’égard de la disposition des tranchées & des paralleles, elle doit suivre la figure du terrein, & l’on doit les arranger du mieux qu’il est possible, pour qu’elles produisent les effets auxquels elles sont destinées dans les terreins unis.
« Il faut observer ici que les lieux fort élevés, qui ne peuvent être battus que par des batteries construites dans des lieux bas, sont, pour ainsi dire, à l’abri du ricochet ; parce que le ricochet ne peut porter le boulet que jusqu’à une certaine hauteur, comme de 12 ou 15 toises. Dans de plus grandes élévations, il faut pointer le canon si haut que l’affut ne le peut soûtenir. Et si pour le moins fatiguer on diminue la charge, il en arrive que le boulet n’a pas assez de force pour aller jusqu’au lieu où il est destiné.
« Il faut encore observer que lorsque l’on a des tranchées à faire dans des terreins élevés, il faut autant qu’il est possible, gagner d’abord le haut du terrein pour y conduire la tranchée ; parce qu’autrement la supériorité du lieu donneroit non-seulement beaucoup d’avantage à l’ennemi pour faire des sorties sur les tranchées construites dans le bas du terrein, mais encore pour plonger dans ces tranchées ; ce qui en rendroit le séjour très-dangereux.
« Les places situées sur des hauteurs sont quelquefois entourées d’un terrein, sur la superficie duquel il n’y a presque point de terre. Les tranchées y sont extraordinairement difficiles, & il faut nécessairement les construire de sacs à laine, de sacs à terre, & autres choses qu’on apporte pour suppléer à la terre que le terrein ne fournit point. Il se trouve aussi que la plûpart de ces places sont construites sur le roc, & alors l’établissement du mineur y est bien long & bien difficile. On examine dans ce cas s’il n’y a pas de veines dans le roc par lesquelles il puisse être percé plus facilement.
« Il faut dans ces situations s’armer de patience, & vaincre par la continuité du travail tout ce que le terrein oppose de difficultés & d’obstacles. M. Goulon dans ses Mémoires, propose pour la descente du fossé pratiqué dans le roc, de s’enfoncer au bord le plus profondément qu’on peut. Il suppose un fossé creusé de 30 piés, & que les mineurs étant relevés souvent, puissent parvenir à s’enfoncer de 6 ou 7 piés en 7 ou 8 jours ; après quoi il fait faire un fourneau à droite & un à gauche de cette espece de puits, disposés de maniere que l’effet s’en fasse dans le fossé. Avant que d’y mettre le feu, on doit jetter dans le fossé un amas de sacs à terre, de fascines, &c. pour commencer à le combler. Les fourneaux sautant après cela, les décombres qu’ils enlevent couvrent ces fascines & sacs à terre, & ils comblent une partie du fossé ; en continuant ainsi d’en faire sauter, on parvient à faire une descente aisée dans le fossé.
« Pour faire breche dans un rempart taillé dans le roc, le même M. Goulon propose de mettre sur le bord du fossé 7 ou 8 pieces de canon en batterie, pour battre en breche depuis le haut du rocher, jusqu’au haut du revêtement qui peut être construit dessus, afin que les débris de ce revêtement, & de la terre qui est derriere, fassent une pente assez douce, pour que l’on puisse monter à l’assaut. Si l’on veut rendre la breche plus large & plus praticable, on peut faire entrer le mineur dans les débris faits par le canon, & le faire travailler à la construction de plusieurs fourneaux qui en sautant, augmenteront l’ouverture de la breche.
« De l’attaque des villes maritimes. Les villes maritimes qui ont un port, tombent assez dans le cas des autres villes, lorsque l’on peut bloquer leur port, & qu’on est maître de la mer, & en état d’empêcher que la place n’en soit secourue. Si la mer est libre, ou si l’on peut furtivement & à la dérobée faire entrer quelques vaisseaux dans le port, la place étant continuellement ravitaillée, sera en état de supporter un très-long siége. Ostende assiégée par les Espagnols, soûtint un siége de plus de trois ans ; les secours qu’elle recevoit continuellement du côté de la mer, lui procurerent les moyens de faire cette longue résistance.
« Ainsi on ne doit faire le siége de ces sortes de places, que lorsqu’on est en état d’empêcher que la mer n’apporte aucun secours à la ville.
« Ce n’est pas assez pour y réussir d’avoir une nombreuse flotte devant le port, parce que pendant la nuit l’ennemi peut trouver le moyen de faire passer entre les vaisseaux de la flotte, de petites barques pleines de munitions. Le moyen le plus efficace d’empêcher ces sortes de petits secours, seroit de faire, si la situation le permettoit, une digue ou estocade, comme le cardinal de Richelieu en fit faire une, pour boucher entierement le port de la Rochelle. Mais outre qu’il y a peu de situations qui permettent de faire un pareil ouvrage, l’exécution en est si longue & si difficile, qu’on ne peut pas proposer ce moyen, comme pouvant être pratiqué dans l’attaque de toutes les villes maritimes. Ce qu’on peut faire au lieu de ce grand & pénible ouvrage, c’est de veiller avec soin sur les vaisseaux, pour empêcher autant qu’il est possible, qu’il n’entre aucune barque ou vaisseau dans le port de la ville : ce qui étant bien observé, toutes les attaques se font sur terre comme à l’ordinaire ; le voisinage de la mer n’y fait aucun changement ; au contraire, on peut de dessus les vaisseaux, canoner différens ouvrages de la ville, & favoriser l’avancement & le progrès des attaques.
« On bombarde quelquefois les villes maritimes, sans avoir le dessein d’en faire le siége, qui pourroit souffrir trop de difficultés. On en use ainsi pour punir des villes dont on a lieu de se plaindre ; c’est ainsi que le feu Roi en usa à l’égard d’Alger, Tripoly, Genes, &c.
« Ces bombardemens se font avec des galiottes construites exprès pour placer les mortiers, & que pour cet effet on appelle galiottes à bombes. M. le chevalier Renau les imagina en 1680 pour bombarder Alger. Jusqu’à lui, dit M. de Fontenelle dans son éloge, il n’étoit tombé dans l’esprit de personne que des mortiers pussent n’être pas placés à terre, & se passer d’une assiette solide. Cependant M. Renau proposa les galiottes, & elles eurent tout le succès qu’il s’étoit proposé. Les bombes qu’on tira de dessus ces galiottes, firent de si grands ravages dans la ville, qu’elles obligerent les Algériens de demander la paix. Attaque des places par M. le Blond ».
Attaques des petites villes & châteaux. Ces sortes d’attaques se rencontrent assez souvent dans le cours de la guerre ; elles ne méritent pas ordinairement toutes les attentions du siége royal ; ce sont des postes dont on veut s’emparer, soit pour la sûreté des communications, ou pour éloigner les partis de l’ennemi.
« La plûpart de ces petites villes & châteaux ne sont enfermées que de simples murailles non terrassées ; il y a au plus quelques méchans fossés, assez faciles à passer, ou bien quelques petits ouvrages de terre fraisée & palissadée vis-à-vis les portes pour les couvrir, & les mettre à l’abri d’une premiere insulte.
« Quelque foibles que soient les murailles de ces endroits, ce seroit s’exposer à une perte évidente que d’aller en plein jour se présenter devant, & chercher à les franchir, pour pénétrer dans la ville ou dans le château.
« Si ceux qui sont dedans sont gens de résolution & de courage, ils sentiront bien toute la difficulté qu’il y a d’ouvrir leurs murailles, & de passer dessus, ou de rompre leurs portes, pour se procurer une entrée dans la place.
« Il faut donc pour attaquer ces petits endroits, être en état de faire breche aux murailles ; & pour cet effet, il faut faire mener avec soi quelques petites pieces de canon d’un transport facile, de même que deux mortiers de 7 ou 8 pouces de diametre, & s’arranger pour arriver à la fin du jour auprès des lieux qu’on veut attaquer, & y faire pendant la nuit une espece d’épaulement, pour couvrir les troupes, & faire servir le canon à couvert, & les mortiers ; en faire usage dès la pointe du jour sur l’ennemi, c’est le moyen de les reduire promptement, & sans grande perte.
« Mais si l’on n’est pas à portée d’avoir du canon, le parti qui paroît le plus sûr & le plus facile, supposant qu’on connoisse bien le lieu qu’on veut attaquer, c’est de s’en emparer par l’escalade. On peut faire semblant d’attaquer d’un côté pour y attirer l’attention des troupes, & appliquer des échelles de l’autre, pour franchir la muraille, & pénétrer dans la ville. Supposant que l’escalade ait réussi, ceux qui sont entrés dans la ville, doivent d’abord aller aux portes pour les ouvrir & faire entrer le reste des troupes ; après quoi, il faut aller charger par derriere les soldats de la ville qui se défendent contre la fausse attaque ; se rendre maître de tout ce qui peut assûrer la prise du lieu, & forcer ainsi ceux qui le défendent à se rendre.
« On peut dans ces sortes d’attaques se servir utilement de pétard : il est encore d’un usage excellent pour rompre les portes, & donner le moyen de pénétrer dans les lieux dont on veut s’emparer. Il faut autant qu’il est possible, user de surprise dans ces attaques, pour les faire heureusement & avec peu de perte. On trouve dans les mémoires de M. de Feuquieres différens exemples de postes semblables à ceux dont il s’agit ici, qu’il a forcés ; on peut se servir de la méthode qu’il a observée, pour en user de même dans les cas semblables. Nous ne les rapportons pas ici, parce qu’il est bon que les jeunes officiers lisent ces mémoires, qui partent d’un homme consommé dans toutes les parties de la guerre, & qui avoit bien mis à profit les leçons des excellens généraux sous lesquels il avoit servi.
« Il y a un moyen sûr de chasser l’ennemi des petits postes qu’il ne veut pas abandonner, & où il est difficile de le forcer ; c’est d’y mettre le feu. Ce moyen est un peu violent : mais la guerre le permet ; & on le doit employer lorsqu’on y trouve la conservation des troupes que l’on a sous ses ordres. Quelle que soit la nature des petits lieux que l’on attaque, si l’on ne peut pas s’en emparer par surprise, & que l’on soit obligé de les attaquer de vive force, il faut disposer des fusiliers pour tirer continuellement sur les lieux où l’ennemi est placé, & aux créneaux qu’il peut avoir pratiqués dans ses murailles ; faire rompre les portes par le petard, ou a coups de haches ; & pour la sûreté de ceux qui font cette dangereuse opération, faire le plus grand feu par tout ou l’ennemi peut se montrer. La porte étant rompue, s’il y a des barricades derriere, il faut les forcer, en les attaquant brusquement, & sans donner le tems à l’ennemi de se reconnoitre, & le prendre prisonnier de guerre, lorsqu’il s’est defendu jusqu’à la derniere extrémité, & qu’il ne lui est plus possible de prolonger sa défense. Attaque des places », par M. le Blond.
Attaque de la demi-lune ; c’est, dans l’Art militaire, l’action par laquelle on tâche de s’emparer de cet ouvrage.
« Pour cela, le passage du fossé étant fait de part & d’autre des faces de la demi-lune, & la breche ayant une étendue de 15 ou 16 toises vers le milieu des faces, on se prépare à monter à l’assaut. On fait à cet effet un grand amas de matériaux dans tous les logemens des environs : on travaille à rendre la breche pratiquable, en adoucissant son talud ; on y tire du canon pour faire tomber les parties du revêtement qui se soûtiennent encore. On peut aussi se servir utilement de bombes tirées de but-en-blanc ; elles s’enterrent aisement dans les terres de la breche, déjà labourées & ébranlées par le canon ; & en crevant dans ces terres. elles y font, pour ainsi-dire, l’effet de petits fourneaux ou fougaces : par ce moyen le soldat monte plus facilement à la breche.
« Pour donner encore plus de facilité à monter sur la breche & la rendre plus praticable, on y fait aller quelques mineurs, ou un sergent & quelques grenadiers, qui, avec des crocs, applanissent la breche. Le feu des logemens & des batteries, empêche l’ennemi de se montrer sur ses défenses pour tirer sur les travailleurs ; ou du moins si l’ennemi tire, il ne peut le faire qu’avec beaucoup de circonspection, ce qui rend son feu bien moins dangereux.
« Si l’ennemi a pratiqué des galeries le long de la face de la demi-lune, & vis-à-vis les breches, les mineurs peuvent aller à leur découverte pour les boucher, ou couper, ou en chasser l’ennemi ; s’ils ne les trouvent point, ils peuvent faire sauter différens petits fourneaux, qui étant répétés plusieurs fois, ne manqueront pas de causer du desordre dans les galeries de l’ennemi & dans ses fourneaux. Tout étant prêt pour travailler au logement de la demi-lune, c’est-à-dire, pour s’établir sur la breche, les matériaux à portée d’y être transportés aisement & promptement, les batteries & les logemens du chemin couvert en état de faire grand feu ; on convient d’un signal avec les commandans des batteries & ceux des logemens, pour les avertir de faire feu, & pour les avertir de le faire cesser quand il en est besoin. C’est ordinairement un drapeau qu’on éleve dans le premier cas, & qu’on abbaisse dans le second. Tout cela arrangé, & la breche rendue praticable, comme nous l’avons dit, on fait avancer deux ou trois sappeurs vers le commencement de la rupture d’une des faces du côté de la gorge de la demi-lune, & vers le haut de la breche. Il se trouve ordinairement des especes de petits couverts ou enfoncemens dans ces endroits, où les sappeurs commencent à travailler, à se loger, & à préparer un logement pour quelques autres sappeurs. Lorsqu’il y a de la place pour les recevoir, on les y fait monter, & ils étendent insensiblement le logement sur tout le haut de la breche, où ils font vers la pointe un logement qu’on appelle assez ordinairement un nid de pie. Pendant qu’ils travaillent, le feu de la batterie & des logemens demeure tranquille : mais quand l’ennemi vient sur ces sappeurs pour détruire leurs logemens, ils se retirent avec promptitude ; & alors le drapeau étant élevé, on fait feu sur l’ennemi avec la plus grande vivacité, pour lui faire abandonner le haut de la breche. Lorsqu’il en est chassé, on baisse le drapeau, le feu cesse, & les sappeurs vont rétablir tout le desordre qui a été fait dans leur logement, & travaillent à le rendre plus solide & plus étendu. Si l’ennemi revient pour les chasser, ils se retirent, & l’on fait joüer les batteries & le feu des logemens, qui l’obligent à quitter la breche ; après quoi on le fait cesser, & les sappeurs retournent à leur travail.
« On continue la même manœuvre jusqu’à ce que le logement soit en état de défense, c’est-à-dire, de contenir des troupes en état d’en imposer à l’ennemi, & de résister aux attaques qu’il peut faire au logement. L’ennemi, avant que de quitter totalement la demi-lune, fait sauter les fourneaux qu’il y a preparés. Après qu’ils ont fait leur effet, on se loge dans leur excavation, ou du moins on y pratique de petits couverts pour y tenir quelques sappeurs, & l’on se sert de ces couverts pour avancer les logemens de l’intérieur de l’ouvrage.
« Le logement de la pointe se fait en espece de petit arc, dont la concavité est tournée du côté de la place. De chacune de ses extrémités part un logement qui regne le long des faces de la demi-lune sur le terre-plein de son rempart, au pié de son parapet. Ce logement est très-enfoncé dans les terres du rempart, afin que les soldats y soient plus à couvert du feu de la place ; on y fait aussi pour le garantir de l’enfilade, des traverses, comme dans le logement du haut du glacis. On fait encore dans l’interieur de la demi-lune, des logemens qui en traversent toute la largeur. Ils servent à découvrir la communication de la tenaille à la place, & par conséquent à la rendre plus difficile, & à contenir des troupes en nombre suffisant pour résister à l’ennemi, s’il avoit dessein de revenir dans la demi-lune, & de la reprendre.
« Si la demi-lune n’étoit point révêtue, & qu’elle fût simplement fraisée & palissadée, on en feroit l’attaque de la même maniere que si elle l’étoit ; c’est-à-dire, qu’on disposeroit des batteries comme on vient de l’enseigner ; & pour ce qui concerne la breche, il ne s’agiroit que de ruiner la fraise, les palissades & la haie vive de la berme, s’il y en a une vis-à-vis l’endroit par lequel on veut entrer dans la demi-lune ; s’y introduire ensuite, & faire les logemens tout comme dans les demi-lunes revêtues.
Tout ce que l’on vient de marquer pour la prise de la demi-lune, ne se fait que lorsqu’on veut s’en emparer par la sappe, & avec la pelle & la pioche : mais on s’y prend quelquefois d’une maniere plus vive & plus prompte ; & pour cela, dès que la bréche est préparée, & qu’on l’a mise en état de pouvoir la franchir pour entrer dans la demi-lune, on y monte à l’assaut brusquement, à peu-près comme dans les attaques de vive force du chemin couvert, & l’on tâche de joindre l’ennemi, & de le chasser entierement de l’ouvrage. Cette attaque est assez périlleuse, & elle peut coûter bien du monde, lorsqu’on a affaire à une garnison courageuse, & qui ne cede pas aisément son terrein. Mais il y a souvent des cas où l’on croit devoir prendre ce parti, pour accélérer de quelques jours la prise de la demi-lune.
« Si-tôt que l’on est maître du haut de la breche, on y fait un logement fort à la hâte, avec des gabions & des fascines ; & pendant qu’on le fait, & même pendant qu’on charge l’ennemi, & qu’on l’oblige d’abandonner le haut de la breche, on détache quelques soldats pour tâcher de découvrir les mines que l’ennemi doit avoir faites dans l’intérieur du rempart de la demi-lune, & en arracher ou couper le saucisson. Si l’on ne peut pas réussir à les trouver, il ne faut s’avancer qu’avec circonspection, & ne pas se tenir tous ensemble, pour que la mine fasse un effet moins considérable. Souvent l’ennemi laisse travailler au logement sans trop s’y opposer, parce qu’il ne se fait qu’avec une très grande perte de monde, les travailleurs & les troupes étant pendant le tems de sa construction absolument en butte à tout le feu de la place, qui est bien servi, & que la proximité rend très-dangereux : mais lorsque le logement commence à prendre forme, l’ennemi fait sauter ses mines, & il revient ensuite dans la demi-lune, pour essayer de la reprendre à la faveur du desordre que les mines ne peuvent manquer d’avoir causé parmi les troupes qui y étoient établies. Alors il faut revenir sur lui avec des troupes qui doivent être à portée de donner du secours à celles de la demi-lune, & s’établir dans les excavations des mines ; & enfin rendre le logement solide, le garnir d’un assez grand nombre de soldats, pour être en état de résister à tous les nouveaux efforts de l’ennemi.
« Cet ouvrage ne peut guere être ainsi disputé que lorsque la demi-lune a un réduit, parce que le réduit donne une retraite aux soldats de la place qui défendent la demi-lune, & qu’il met à portée de tomber aisément dans la demi-lune : car s’il n’y en a point & que l’ennemi soit chassé de la demi-lune, il ne peut plus guere tenter d’y revenir, sur-tout si la communication de la place avec la demi-lune est vûe des batteries & des logemens du chemin couvert : car si le fossé est plein d’eau, cette communication ne pourra se faire qu’avec des bateaux, qu’on peut voir aisément du chemin couvert, & qu’on peut renverser avec le canon des batteries ; & si le fossé est sec, & qu’il y ait une caponiere, la communication, quoique plus sûre, n’est pourtant pas sans danger, à cause du feu qu’on y peut plonger des logemens du chemin couvert, ensorte qu’il est assez difficile que l’ennemi y puisse faire passer assez brusquement un corps de troupes suffisant pour rentrer dans la demi-lune & s’en emparer ; il lui manque d’ailleurs de la place pour s’assembler & tomber tout d’un coup avec un gros corps sur les logemens de la demi-lune.
« Il y auroit seulement un cas où il pourroit le faire ; savoir, lorsqu’on a pratiqué dans l’angle de la gorge de la demi-lune un espace à peu-près de la grandeur des places d’armes du chemin couvert ; cet espace ne peut être vû du chemin couvert, ni de ses logemens, & il y a ordinairement des degrés pour monter du fond du fossé dans la demilune, l’ennemi pourroit en profiter pour essayer d’y venir : mais si l’on se tient bien sur ses gardes, & qu’on ne se laisse point surprendre, il sera toûjours aisé de le repousser même avec perte de sa part ; parce qu’alors on a contre lui l’avantage de la situation, & qu’il est obligé d’attaquer à découvert, pendant que l’on se défend favorisé du logement.
« Le tems le plus favorable pour l’attaque de la demi-lune, de vive force, est la nuit ; le feu de l’ennemi en est bien moins sûr qu’il ne le seroit le jour ». Attaque des places par M. le Blond.
Attaque du chemin couvert ; c’est, dans l’Art militaire, les moyens qu’on employe pour en chasser l’ennemi, & pour s’y établir ensuite. Cette attaque se fait de deux manieres, ou par la sappe, ou de vive force. On va donner une idée de chacune de ces attaques.
Lorsque la troisieme parallele, ou place d’armes, est solidement établie au pié du glacis, & qu’on veut s’emparer du chemin couvert par la sappe, on s’avance en zig-zag par une sappe sur les arrêtes des angles saillans du chemin couvert attaqué ; & comme il est alors fort difficile de se parer de l’enfilade, on s’enfonce le plus profondément qu’on peut, ou bien l’on fait de fréquentes traverses. On arrive aussi quelquefois à l’angle saillant du glacis par une tranchée directe qui se construit ainsi.
Deux sappeurs poussent devant eux, le long de l’arrête du glacis, un gabion farci ou un mantelet. Ils font une sappe de chaque côté de cette arrête. Ils en font le fossé beaucoup plus profond qu’à l’ordinaire, pour s’y couvrir plus sûrement du feu de la place. Cette sappe qui chemine ainsi des deux côtés en même tems, se nomme double sappe. Elle a un parapet de chaque côté, & des traverses dans le milieu, de distance en distance. Voyez Tranchée directe. Lorsqu’elle est parvenue à la moitié, ou aux deux tiers du glacis, on construit des cavaliers de tranchée pour commander & enfiler les branches du chemin couvert. Voyez Cavalier de tranchée.
Ces cavaliers bien établis, il est aisé de pousser la tranchée directe jusqu’à l’angle saillant du chemin couvert, & d’établir à la pointe de cet angle & sur le haut du glacis, un petit logement en arc de cercle, dont le feu peut obliger l’ennemi d’abandonner la place d’armes qui est en cet endroit. On étend ensuite ce logement de part & d’autre des branches du chemin couvert, en s’enfonçant dans la partie supérieure ou la crête du glacis, à la distance de trois toises du côté intérieur du chemin couvert, afin que cette épaisseur lui serve de parapet à l’épreuve du canon.
L’opération que l’on vient de décrire pour parvenir de la troisieme parallele à l’angle saillant du chemin couvert, se fait en même tems sur tous les angles saillans du front attaqué. Ainsi l’ennemi se trouve obligé de les abandonner à peu-près dans le même tems. Le logement se continue ensuite de part & d’autre de ces angles vers les places d’armes rentrantes du chemin couvert.
On oblige l’ennemi d’abandonner ces places d’armes par des batteries de pierriers qu’on construit vis-à-vis, & qui joignent les logemens des deux branches du chemin couvert, qui forment les angles rentrans. Ces batteries étant construites, elles font pleuvoir une grêle de cailloux dans les places d’armes, qui ne permettent pas à l’ennemi de s’y soûtenir. On avance toûjours pendant ce tems-là le logement des branches vers la place d’armes ; & lorsque l’ennemi l’a abandonné, on continue le logement du glacis tout autour des faces de la place d’armes. On fait un autre logement dans la place d’armes qui communique avec celui de ses faces. Il s’étend à peu-près circulairement le long des demi-gorges des places d’armes.
Ce logement bien établi & dans son état de perfection, empêche l’ennemi de revenir dans le chemin couvert pour essayer de le reprendre.
Tous ces logemens se font avec des gabions & des fascines. On remplit les gabions de terre ; on met des fascines dessus, & l’on recouvre le tout de terre.
« Dans tout ce détail nous n’avons point fait usage de mines, afin de simplifier autant qu’il est possible la description des travaux que l’on fait depuis la troisieme parallele, pour se rendre maître du chemin couvert : nous allons suppléer actuellement à cette omission, en parlant des principales difficultés que donnent les mines, pour parvenir à chasser l’ennemi du chemin couvert.
« Sans les mines il seroit bien difficile à l’ennemi de retarder les travaux dont nous venons de donner le détail ; parce que les ricochets le désolent entierement, & qu’ils labourent toutes ses défenses, ensorte qu’il n’a aucun lieu où il puisse s’en mettre à l’abri : mais il peut s’en dédommager dans les travaux soûterreins, où ses mineurs peuvent aller, pour ainsi dire, en sûreté, tandis que ceux de l’assiégeant, qui n’ont pas la même connoissance du terrein, ne peuvent aller qu’à tâtons, & que c’est une espece de hasard, s’ils peuvent parvenir à trouver les galeries de l’ennemi, & les ruiner. Si l’on est instruit que le glacis de la place soit contreminé, on ne doit pas douter que l’ennemi ne profite de ces contremines, pour pousser des rameaux en avant dans la campagne ; & alors pour éviter autant que faire se peut, le mal qu’il peut faire avec ses fourneaux, on creuse des puits dans la troisieme parallele, auxquels on donne, si le terrein le permet, 18 ou 20 piés de profondeur, afin de gagner le dessous des galeries de l’assiégé ; & du fond de ces puits on mene des galeries, que l’on dirige vers le chemin couvert pour chercher celles de l’ennemi. On sonde les terres avec une longue aiguille de fer, pour tâcher de trouver ces galeries. Si l’on se trouve dessus, on y fera une ouverture, par laquelle on jettera quelques bombes dedans qui en feront deserter l’ennemi, & qui ruineront sa galerie. Si au contraire on se trouve dessous, on la fera sauter avec un petit fourneau : mais si on ne peut parvenir à découvrir aucunes galeries de l’ennemi, en ce cas il faut prendre le parti de faire de petits rameaux à droite & à gauche, au bout desquels on fera de petits fourneaux qui ébranleront les terres des environs, & qui ne pourront guere manquer de ruiner les galeries & les fourneaux de l’assiégé.
« Quelque attention que l’on puisse avoir en pareil cas, on ne peut présumer d’empêcher totalement l’ennemi de se servir des fourneaux qu’il a placés sous le glacis : mais à mesure qu’il les fait sauter, on fait passer des travailleurs, qui font promptement un logement dans l’entonnoir de la mine, & qui s’y établissent solidement. On peut dans de certaines situations de terrein, gâter les mines des assiégés, en faisant couler quelque ruisseau dans ses galeries ; il ne s’agit pour cela que de creuser des puits dans les environs, & y faire couler le ruisseau. On se servit de cet expédient au siége de Turin, en 1706, & on rendit inutile par là un grand nombre de mines des assiégés.
« L’ennemi doit avoir disposé des fourneaux pour empêcher le logement du haut du glacis ; ils doivent être placés à quatre ou cinq toises de la palissade du chemin couvert, afin qu’en sautant, ils ne causent point de dommage à cette palissade, & qu’ils se trouvent à peu-près sous le logement que l’assiégeant fait sur le haut du glacis. Lorsqu’il y a mis le feu, on s’établit dans leur entonnoir ; l’assiégeant fait aussi sauter des fourneaux de son côté, pour enlever & détruire la palissade. Enfin on ne néglige rien de part & d’autre pour se détruire réciproquement. L’assiégé fait ensorte de n’abandonner aucune partie de son terrein, sans l’avoir bien disputé ; & l’assiégeant employe de son côté toute son industrie, pour obliger l’ennemi de le lui céder au meilleur compte, c’est-à-dire avec peu de perte de tems & de monde.
« On ne peut donner que des principes généraux sur ces sortes de chicanes. Elles dépendent du terrein plus ou moins favorable, & ensuite de la capacité & de l’intelligence de ceux qui attaquent, & de ceux qui défendent la place.
« Nous avons supposé avant que de parler des mines, en traitant du logement sur le haut du glacis, que le feu des cavaliers de tranchée, celui des batteries de canon & de bombes à ricochet, avoit obligé l’ennemi de quitter le chemin couvert : mais si malgré tous ces feux il s’obstine à demeurer dans les places d’armes, & derriere les traverses, voici comment on pourra parvenir à l’en chasser totalement, & à faire sur le haut du glacis le logement dont nous avons déjà parlé.
« Soit que l’ennemi ait fait sauter un fourneau vers l’angle saillant de son chemin couvert, ou que l’assiégé ait fait sauter vers ces endroits une partie des palissades ; si-tôt que le fourneau aura joüé, on fera passer des travailleurs dans son entonnoir, qui s’y couvriront promptement, & qui ensuite étendront le logement dans le chemin couvert de part & d’autre des côtés de son angle saillant.
« On communiquera la tranchée double, ou la double sappe de l’arrête du glacis avec ce logement, pour être plus en état de le soûtenir, s’il en est besoin, & pour pouvoir communiquer plus sûrement avec lui. Une des grandes attentions qu’il faut avoir dans ce logement, c’est d’en bien couvrir les extrémités, c’est-à dire, de s’y bien traverser pour se couvrir des feux des autres parties du chemin couvert, où l’ennemi se tient encore.
« Lorsque ce logement sera parvenu auprès des premieres traverses du chemin couvert, si l’ennemi est encore derriere, comme il ne peut y être qu’en très-petit nombre, eu égard à l’espace qu’il y a, on l’en fera chasser par une compagnie de grenadiers, qui tomberont brusquement sur lui ; après quoi on fera chercher dans la partie qu’ils auront abandonnée, l’ouverture ou le saucisson de la mine ; & si on la trouve, comme il y a apparence, on l’arrachera, & on rendra par là la mine inutile. On pourra aussi faire passer quelques travailleurs dans le passage de la traverse : ils y feront un logement qui sera un des plus sûrs de ceux que l’on peut faire dans cette proximité de l’ennemi. On percera ensuite une entrée dans le chemin couvert vis-à-vis ces traverses ; on la prolongera jusque vers le bord du fossé, en se couvrant de la traverse ; après quoi on fera partir une sappe de chacune des extrémités de ce passage, c’est-à-dire, environ du bord de la contrescarpe, lesquels suivront à peu-près l’arrondissement de cette contrescarpe, vers le milieu de laquelle elles se rencontreront. On enfoncera beaucoup ce logement, afin qu’il ne cause point d’obstacle à celui du haut du glacis ; & l’on fera ensorte de laisser devant lui jusqu’au bord du fossé, une épaisseur de terre suffisante pour résister au canon des flancs & de la courtine. On blinde ce logement pour y être à couvert des grenades. Il est d’une grande utilité pour donner des découvertes dans le fossé.
« On continuera pendant le tems qu’on travaillera à ce logement dans l’intérieur du chemin couvert, le logement du haut du glacis, jusqu’aux places d’armes rentrantes, d’où l’on pourra chasser l’ennemi de vive force, par une attaque de quelque compagnie de grenadiers, supposé qu’il se soit obstiné à y demeurer malgré le feu des ricochets, des bombes, & des pierriers. L’ennemi les ayant totalement abandonnées, on y fera un logement on portion de cercle dans l’intérieur, ainsi qu’on l’a déjà dit précédemment ».
De l’attaque de vive force du chemin couvert. « Il y a une autre maniere de chasser l’ennemi du chemin couvert plus prompte, mais aussi beaucoup plus meurtriere, plus incertaine, & infiniment moins savante. Elle consiste à faire une attaque subite de tout le chemin couvert du front de l’attaque, à en chasser l’ennemi à force ouverte, & à s’y établir immédiatement après par un bon logement.
« Il se trouve des circonstances qui obligent de prendre quelquefois le parti d’attaquer aussi le chemin couvert : comme lorsque l’on ne peut pas établir des batteries à ricochets pour battre ses branches, de même que les faces des pieces de fortification du front de l’attaque ; ou qu’on présume que l’ennemi n’est pas en état de résister à une attaque de la sorte ; ou enfin qu’on croit ne devoir rien négliger pour s’emparer quelques jours plûtôt du chemin couvert : en ce cas on prend le parti de faire cette attaque. Voici en peu de mots comment on s’y conduit.
« Lorsqu’on a pris le parti d’attaquer le chemin couvert de vive force, on fait ensorte que la troisieme parallele avance ou empiete sur le glacis : plus elle sera avancée, & plus l’attaque se fera avantageusement. On fait des banquettes tout le long de cette parallele en forme de degrés jusqu’au haut de son parapet, afin que le soldat puisse passer aisément par-dessus, pour aller à l’attaque du chemin couvert.
« On fait un amas considérable de matériaux sur le revers de cette ligne, & dans la ligne même, comme d’outils, de gabions, de fascines, de sacs à terre, &c. afin que rien ne manque pour faire promptement le logement, après avoir chassé l’ennemi du chemin couvert. On commande un plus grand nombre de compagnies de grenadiers qu’à l’ordinaire, on les place le long de la troisieme parallele, sur quatre ou six de hauteur ; & les travailleurs sont derriere eux, sur les revers de cette parallele, munis de leurs outils, de gabions, fascines, &c. On a soin que tous les autres postes de la tranchée soient plus garnis de troupes qu’à l’ordinaire, afin de fournir du secours à la tête, s’il en est besoin, & qu’ils fassent feu sur les défenses de l’ennemi, qu’ils peuvent découvrir : les grenadiers sont aussi armés de haches pour rompre les palissades du chemin couvert.
« On donne ordre aux batteries de canon, de mortiers, & de pierriers, de se tenir en état de seconder l’attaque de tout leur feu ; on convient d’un signal pour que toutes les troupes qui doivent commencer l’attaque, s’ébranlent en même tems, & tombent toutes ensemble sur l’ennemi.
« Ce signal consiste en une certaine quantité de coups de canon, ou un certain nombre de bombes qu’on doit tirer de suite ; & l’on doit se mettre en mouvement au dernier coup, ou à la derniere bombe.
« Le signal étant donné, toutes les troupes de la troisieme parallele s’ébranlent en même tems, & elles passent brusquement par-dessus son parapet : elles vont à grands pas au chemin couvert, & elles entrent dedans ; soit par ses barrieres, soit par les ouvertures que les grenadiers y font en rompant les palissades à coups de hache. Lorsquelles y ont pénétré, elles chargent l’ennemi avec beaucoup de vivacité ; dès qu’elles sont parvenues à lui en faire abandonner quelques-uns des angles, les ingénieurs y conduisent promptement les travailleurs, & y tracent un logement sur la partie supérieure du glacis, vis-à-vis de la partie du chemin couvert abandonné, & à trois toises de son côté intérieur. Ce logement, comme on l’a déjà dit, se fait, avec des gabions que les travailleurs posent sur le glacis, à côté les uns des autres. Les joints en sont couverts par des sacs à terre, ou par des fagots de sappe. On remplit aussi ces gabions de terre, on les couvre de fascines, & on jette sur le tout, la terre que l’on tire du glacis, en creusant & en élargissant le logement ; on s’en fait un parapet pour se mettre à couvert du feu direct de la place, le plus promptement qu’il est possible, & on se garantit de l’enfilade par des traverses.
« Pendant cette opération, toutes les batteries de la tranchée ne cessent de tirer aux défenses de la place, pour y tenir l’ennemi en inquiétude, & diminuer autant que l’on peut l’activité de son feu sur les travailleurs & sur le logement.
« Lorsque les troupes qui ont fait l’attaque, sont parvenues à chasser l’ennemi de son chemin couvert, ou de quelqu’une de ses places d’armes (car souvent on ne peut dans une premiere attaque y établir qu’un ou deux logemens aux angles saillans) elles se retirent derriere le logement, où elles restent le genou en terre, jusqu’à ce qu’il soit en état de les couvrir. Quelquefois l’ennemi que l’on croyoit avoir chassé du chemin couvert, revient à la charge, & il oblige de recommencer l’attaque & le logement qu’il culbute, en tombant inopinément dessus. Cette attaque se peut recommencer plusieurs fois, & être fort disputée, lorsque l’on a affaire à une forte garnison ; en ce cas il faut payer de bravoure, & se roidir contre les difficultés de l’ennemi.
« Lorsqu’il est prêt d’abandonner la partie, il faut mettre le feu à ses mines ; on s’établit aussi-tôt qu’elles ont joüé, dans les entonnoirs, comme nous l’avons déjà dit, en parlant de cette attaque par la sappé : enfin on s’oppose à toutes ses chicanes, autant que l’on peut, & si l’on est repoussé dans une premiere attaque, on s’arrange pour la recommencer le lendemain ou le sur-lendemain, & l’on tâche de prendre encore plus de précautions que la premiere fois pour réussir dans l’entreprise.
« Avant de commencer cette attaque, on canonne pendant plusieurs heures avec vivacité le chemin couvert, pour tâcher d’en rompre les palissades, & labourer la partie supérieure de son glacis, afin d’avoir plus de facilité à y pénétrer & à faire le logement. On laisse après cela, le tems nécessaire aux pieces pour qu’elles refroidissent, c’est-à-dire environ une heure, & l’on commence l’attaque comme nous l’avons dit, pendant laquelle l’artillerie agit continuellement.
Il faut convenir que cette sorte d’attaque est extrèmement meurtriere. Les assiégeans sont obligés d’aller pendant presque toute la largeur du glacis à découvert, exposés à tout le feu de la place. Ils sont obligés d’attaquer des gens cachés derriere des palissades, qu’il faut rompre à coups de hâches pour parvenir jusqu’à eux. Il faut combattre long-tems avec un desavantage évident ; & lorsqu’à force de valeur on a chassé l’ennemi, on se trouve exposé à tout le feu des remparts, qui est servi alors avec la plus grande vivacité. On est aussi exposé aux mines que l’ennemi fait sauter pour déranger le logement, mettre du desordre & de la confusion parmi les troupes ; ce qui leur donne la facilité de revenir sur elles, & de les harceler encore de nouveau. Il s’en faut beaucoup que la premiere méthode dont nous avons parlé, soit aussi incertaine & aussi meurtriere que celle-ci. Suivant M. le maréchal de Vauban, on doit toûjours la préférer lorsqu’on en est le maître, & ne se servir seulement de cette derniere, que lorsqu’on y est obligé par quelques raisons essentielles.
« Le tems le plus favorable pour cette attaque, est la nuit ; on est moins vû de la place, & par conséquent son feu est moins dangereux : cependant il y a des généraux qui la font faire de jour. Il n’y a rien de réglé là-dessus ; ils sont les maîtres de prendre le parti qu’ils croyent le meilleur, suivant les circonstances des tems & des lieux. Attaque des places » par M. le Blond. (Q)
Attaque, en Escrime, est un ou plusieurs mouvemens que l’on fait pour ébranler l’ennemi, afin de le frapper pendant son desordre.