L’Encyclopédie/1re édition/ARIANISME

Texte établi par D’Alembert, Diderot (Tome 1p. 649-650).
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ARIANISME, s. m. (Théol. Hist. ecclés.) hérésie d’Arius & de ses sectateurs. L’arianisme est une hérésie ancienne dans l’Eglise. Arius, prêtre de l’église d’Alexandrie, en fut l’auteur au commencement du iv. siecle. Il nioit la consubstantialité, c’est-à-dire, l’égalité de substance du Fils avec le Pere dans la sainte Trinité, & prétendoit que le Fils étoit une créature tirée du néant & produite dans le tems. Voyez Anti-Trinitaires & Consubstantiel.

Les Ariens convenoient que le Fils étoit le Verbe : mais ils soûtenoient que le Verbe n’étoit point éternel. Ils lui accordoient seulement une priorité d’existence sur les autres êtres créés. Ils avançoient encore que le Christ n’avoit rien de l’homme en lui que le corps, dans lequel le Verbe s’étoit renfermé, y opérant tout ce que l’ame fait en nous. Arius après avoir soûtenu de vive voix ces erreurs à Alexandrie, les répandit dans tout l’Orient par ses écrits, & sur-tout par celui qu’il intitula Thalie. Voyez Apollinaires, Trinité, Fils, Pere, &c.

Cette hérésie fut anathématisée dans le premier concile de Nicée, tenu en 325. On dit même qu’il y eut un ordre de Constantin qui condamnoit à mort quiconque ne brûleroit pas tous les ouvrages d’Arius qui lui tomberoient entre les mains. Mais les foudres lancées alors contre elle, ne l’anéantirent pas ; elle prit au contraire de nouvelles forces, & fit en Orient des progrès aussi étendus que rapides : ses ravages ne furent pas si terribles en Occident. Un grand nombre d’évêques d’Orient étoit déjà tombé dans cette erreur ; ceux d’Occident étoient inclinés par l’autorité de l’empereur Constance, & séduits par les propositions artificieuses des deux évêques Ariens, Valens & Ursace, qui leur firent entendre que pour rendre la paix à l’Eglise, il n’étoit question que de sacrifier les termes amphibologiques, inventés par les Peres du concile de Nicée, οὐσια, ὁμοούσιος, ὑπόστασις, termes nouveaux, ajoûtoient ils, qu’on ne trouvoit point dans l’Ecriture, & qui scandalisoient & jettoient en perplexité les esprits foibles ; quelques Occidentaux eurent donc la foiblesse de souscrire à une formule Arienne, tandis que les Ariens assemblés à Seleucie, & dans un conciliabule qu’ils tinrent à Nicée, firent la même chose. Par cette supercherie, le monde, dit S. Jérome, fut étonné de se trouver tout-à-coup Arien. Une paix fondée sur un mal-entendu ne pouvoit être durable. La plûpart de ceux qui avoient signé la formule de Rimini, reconnurent leur faute & la réparerent. L’Eglise ne manqua de défenseurs ni en Orient, ni en Occident ; & les Ariens malgré leur nombre & leurs intrigues, virent la plus grande & la plus saine partie des évêques soûtenir généreusement la foi de Nicée. Les termes οὐσια & ὁμοούσιος furent rétablis dans leurs premiers droits, & les expressions ambiguës sous lesquelles l’erreur se cachoit, proscrites. On disputa un peu plus long-tems sur le mot ὑπόστασις : mais dans un concile tenu à Alexandrie en 362, S. Athanase accorda le différend qui étoit à cet égard entre les Catholiques.

Il paroît que du tems de S. Grégoire de Nazianze, les Ariens dominoient à la cour & dans la capitale, où ils reprochoient aux Orthodoxes leur petit nombre ; & c’est ce qui donna lieu apparemment à ce pere de commencer son vingt-cinquieme discours contre les Ariens par ces mots : Où sont ceux qui nous reprochent notre pauvreté ; qui prétendent que la multitude du peuple fait l’Eglise ; qui méprisent le petit troupeau ? &c. exagération visible de la part des Ariens, puisque tous les monumens de ce tems-là font foi qu’ils avoient très-peu de partisans en Occident, & que les Catholiques les égaloient au moins en nombre dans l’Orient.

L’arianisme y fut enfin abattu sous le grand Théodose ; ensorte qu’à la fin du IV. siecle, les Ariens se trouverent réduits par les lois des empereurs à n’avoir plus ni églises, ni évêques dans toute l’étendue de l’empire Romain. Les Vandales porterent cette hérésie en Afrique, & les Visigots en Espagne : c’est où elle a subsisté le plus long-tems sous la protection des rois qui l’avoient embrassée ; mais ceux-ci l’ayant enfin abjurée, elle s’y éteignit aussi vers l’an de Jesus-Christ 660.

Il y avoit près de 900 ans qu’elle étoit ensevelie sous ses ruines, lorsqu’au commencement du XVI. siecle Erasme, dans son commentaire sur le nouveau Testament, parut avoir dessein de l’en tirer. Ses ennemis ne manquerent pas de l’accuser d’avoir semé dans cet ouvrage des interprétations & des gloses Ariennes, avec d’autres principes favorables à la même hérésie. La seule réponse qu’il fit à ces imputations, c’est qu’il n’y avoit point d’hérésie si parfaitement détruite que l’arianisme, nulla hæresis magis extincta quam Arianorum : ce n’étoit point assûrer qu’elle ne renaîtroit pas, ni qu’on n’eût nulle envie de la ressusciter. En effet, en 1531 Michel Servet, Espagnol, publia un petit traité contre le mystere de la Trinité. Après avoir dogmatisé en Allemagne & en Pologne, il vint à Geneve, où Calvin le fit brûler. Servet se montra plûtôt Photinien qu’Arien. La seule chose qu’il avoit de commun avec les Ariens, c’est qu’il se servoit des mêmes armes qu’eux pour combattre la divinité de Jesus-Christ ; je veux dire des mêmes passages de l’Ecriture & des mêmes raisonnemens : mais le but & le fonds de son système étoient différens. Voyez Servetistes.

On ne peut pas dire proprement que Servet eût des sectateurs : mais il est vrai qu’après sa mort on vit paroître à Geneve un nouveau système d’arianisme, élevé sur ses principes, mais avec plus d’art & de finesse que le sien. Ces nouveaux Ariens donnerent beaucoup d’occupations à Calvin, parce qu’il leur avoit lui-même enseigné la voie de prendre son esprit particulier pour interprete & juge du véritable sens des Ecritures. Cette secte passa de Geneve en Pologne, où elle fit des progrès considérables : à la longue elle dégénéra en socinianisme. Voyez Sociniens.

On accuse le savant Grotius d’avoir favorisé l’arianisme dans ses notes sur le nouveau Testament. Il est certain qu’il y éleve tellement le Pere au-dessus du Fils, qu’on seroit tenté de croire qu’il le regardoit comme le seul Dieu tout-puissant, & qu’en cette qualité il lui accordoit une grande supériorité sur le Verbe. Cela supposé, il auroit plus penché vers l’hérésie des Semi-ariens que vers celle des Ariens. Voyez Ariens & Semi-ariens.

L’arianisme moderne étant une secte anti-chrétienne, n’est toléré ni à Geneve, ni dans les cantons Suisses, ni dans le Nord, ni en Angleterre, à plus forte raison dans les pays Catholiques. On le professe ouvertement en Turquie, parce que les Mahométans ne croyent pas la divinité de Jesus-Christ. Au reste si nulle hérésie ne s’enveloppe & ne se défend avec plus de subtilité, on peut dire qu’aucune n’a été ni mieux démêlée, ni combattue avec plus d’avantage par les Théologiens, tant protestans que catholiques. (G)