L’Enclos du Rêve/07/Chanson de Printemps

Alphonse Lemerre (p. 102-104).

CHANSON DE PRINTEMPS

Je sais un beau jardin où fleurit le Bonheur :
C’est un jardin lointain dont la porte est fermée ;
Mais lorsque vos désirs le voudront, bien-aimée,
Nous irons tous les deux, comme des moissonneurs,
Pour y cueillir le Rêve et glaner du Bonheur.

Ce sera dans le soir bleui la promenade
Sur le sable nacré des merveilleux chemins
Qu’encadrent des buissons étoilés de jasmins.
Mon doux cœur, vous mettrez la robe de parade,
Ce sera dans le soir bleui la promenade.


Vous mettrez le manteau d’hermine et de satin
Et les souliers d’argent brodés de perles fines ;
Sur vos cheveux épars le voile de malines ;
Sur vos bras somptueux et sur votre col fin
Vous mettrez le manteau d’hermine et de satin.

Les oiseaux dormiront, blottis sous les feuillées,
Et comme des enfants craintifs et pris de peur,
Nous irons enlacés au jardin du Bonheur.
Dans le mystère des heures ensommeillées,
Les oiseaux dormiront, blottis sous les feuillées.

Parfois nous pencherons nos fronts furtivement,
Comme si des rôdeurs passaient parmi les arbres,
Mais nous ne verrons rien que le geste des marbres,
Dressant vers nous leur rêve éternel et charmant.
Parfois nous pencherons nos fronts furtivement,

Et nous craindrons le vent qui passe et qui soupire,
Et sur leurs thyrses verts les calices penchés
Nous sembleront des yeux juges de nos péchés,
Et, frissonnant tous deux sans oser rien en dire,
Nous craindrons jusqu’au vent qui passe et qui soupire,


Et nous craindrons le gardien silencieux
Qui, d’un doigt menaçant et d’allée en allée,
Nous ramènerait vers la porte descellée
D’où nous aurions forcé le passage des cieux.
Et nous craindrons le gardien silencieux ;

Mais nul ne troublera notre suave idylle,
Car le vent vespéral de l’Éden enchanté
Et les thyrses penchants des fleurs de volupté,
Complices des amants, sont rois dans cet asile ;
Et nul ne troublera notre suave idylle.

L’impatience aux doigts, l’espoir battant au cœur,
Lorsque votre désir le voudra, bien-aimée,
De ce jardin lointain, dont la porte est fermée,
J’enfoncerai les battants lourds d’un bras vainqueur,
L’impatience aux doigts, l’espoir battant au cœur !