L’Edda de Sæmund-le-Sage/Second Poème sur Sigurd, le vainqueur de Fafner

anonyme
Traduction par Mlle  Rosalie du Puget.
Les EddasLibrairie de l’Association pour la propagation et la publication des bons livres (p. 335-341).

VIII

LE SECOND POÈME SUR SIGURD

LE VAINQUEUR DE FAFNER




Sigur alla dans l’écurie de Hjalprek et y choisit un cheval que l’on appela Granne. Alors se trouvait chez Hjalprek, Reginn, fils de Hrejdmar ; c’était un nain, et personne n’avait autant d’adresse manuelle. Il était savant, colérique et très-versé dans la magie. Reginn donna à Sigur de l’éducation, de la science, et l’aima beaucoup ; en lui parlant de sa famille, il lui raconta ce qui suit : Odin, Hœner et Loke arrivèrent un jour près de la chute d’eau d’Andvare ; il s’y trouvait beaucoup de poissons. Un nain, appelé Andvare, résidait fort souvent dans cette chute d’eau sous la forme d’un brochet, et y trouvait sa nourriture. « Notre frère, chanta Reginn, se nommait Ottar ; il se rendait souvent dans cette chute d’eau sous la forme d’une loutre. Ayant pris un saumon, il le mangeait, assis sur le bord de la rivière et les yeux fermés, lorsque Loke le tua d’un coup de pierre. Cette mort fut regardée comme un bonheur par les Ases, et ils s’emparèrent de la peau de la loutre. Le même soir ils demandèrent l’hospitalité à Hrejdmar, et montrèrent leur capture. Alors nous nous emparâmes d’eux et nous leur imposâmes, pour leur rendre la liberté, l’obligation de remplir cette peau de loutre avec de l’or, de la couvrir extérieurement avec de l’or rouge. On envoya Loke à la recherche de ce métal ; il arriva chez Ran, qui lui prêta son filet, puis il se rendit à la chute d’eau d’Andvare. Il jeta le filet pour prendre un brochet, ce qui ayant eu lieu, Loke chanta.

1. Quel est ce poisson qui se promène dans le fleuve sans redouter le danger ? Rachète ta tête et fournis-moi de l’or.

le brochet.

2. Je suis Andvarre, et mon père se nommait Oinn ; j’ai traversé plus d’une chute d’eau. Une mauvaise Norne nous força, depuis l’origine du temps, à vivre dans l’eau.

loke.

3. Dis-moi, Andvare, si tu tiens à conserver la vie, comment les fils des hommes s’indemnisent-ils des injures verbales ?

andvare.

4. Les fils des hommes qui traversent à gué le Vadgelmer sont soumis à des châtiments fort rudes. La punition appliquée aux paroles mensongères sur le compte des autres dure longtemps.

(Loke vit tout l’or qu’Andvare possédait ; mais, après l’avoir ramassé, il prit aussi la bague qui lui restait. Le nain entra dans la pierre et chanta.)

5. Cet or, autrefois la propriété de Guster, deviendra une cause de mort pour deux frères, et d’inimitié entre huit princes. Que personne ne jouisse de mon bien !

(Les Ases étendirent cet or devant Hrejdmar, en remplirent la peau de loutre et la dressèrent sur ses pieds. Les Ases devaient ensuite la couvrir d’or, et lorsque ce fut fait, Hrejdmar s’avança et découvrit un poil qui n’en avait point. Odin y déposa la bague d’Andvare.)

loke chanta.

6. Tu as maintenant de l’or, et je t’ai donné une forte rançon pour ma tête. Le bonheur ne sera point le partage de ton fils. Ce métal causera votre mort à tous deux.

hrejdmar.

7. Ce présent, apporté par toi, n’est point un don du cœur ; tu ne l’as pas offert avec loyauté. Si j’avais pu prévoir cette circonstance, je t’aurais fait mourir.

8. Mais je découvre dans l’avenir des événements plus fâcheux encore ; des princes combattront pour une jeune fille. Ceux pour lesquels cet or deviendra un sujet de haine ne sont pas nés encore.

9. Je posséderai, je pense, cet or rouge tant que je vivrai ; je crains peu tes menaces. Hâtez-vous de sortir d’ici.

(Fafner et Reginn demandèrent alors une indemnité à Hrejdmar pour la mort d’Otter, il la refusa ; mais Fafner traversa son père avec son épée tandis qu’il dormait. Hrejdmar appelle ses filles.)

10. Lynghejd et Lofnhejd ! c’en est fait de ma vie ; on ne peut résister aux arrêts du sort.

lynghejd.

Peu de femmes, en perdant leur père, ont à venger sa mort sur un frère.

hrejdmar.

11. Si, au lieu d’un fils, tu engendres une fille, femme chérie des loups, fais en sorte de lui chercher un mari, car son fils sera le vengeur de votre affliction.

(Ensuite Hrejdmar mourut et Fafner s’empara de tout l’or. Reginn demanda sa part de l'héritage paternel, Fafner la refusa. Reginn consulte sa sœur Lynghejd sur la manière dont il devait s’y prendre pour avoir sa part d’héritage.)

lynghejd chanta.

12. Réclame de ton frère avec douceur et justice ta portion d’héritage. Il serait peu convenable d’exiger de Fafner, avec le glaive, l’or qui te revient.

(Reginn raconta la chose à Sigurd, un jour que ce dernier vint chez lui.)

reginn.

13. Le descendant de Sigmund, le prince aux déterminations promptes, est venu dans nos salles ; il a plus de courage que les vieillards, il m’aidera à prendre le loup féroce.

14. J’ai élevé ce roi hardi pour les combats. Le descendant d’Yngvé est venu vers nous ; il deviendra le plus riche souverain de la terre, et dans tous les pays on parlera de sa brillante destinée.

(Sigurd était toujours chez Reginn. Ce dernier lui dit que Fafner se tenait dans la Bruyère de Gnita, sous forme d’aigle, avec le casque de la terreur, devant lequel tout être vivant tremblait. Reginn fabriqua pour Sigurd un glaive qu’on appela Gram ; il était si tranchant que Sigurd fendit d’un seul coup l'établi de forgeron de Reginn. Celui-ci l’excita ensuite à tuer Fafner.)

sigurd.

15. Les fils de Hunding, qui ont arrêté le cours de la vie d’Eylime, riraient bien si je me mettais en recherche de l’or rouge, au lieu de venger mon père.

(Le roi Hjalprek donna des marins à Sigurd pour venger son père, lis furent assaillis par une violente tempête, et s’arrêtèrent devant une pointe de montagne. Un homme qui se trouvait sur la montagne chanta.)

16. Quels sont ces individus montés sur les chevaux de Ræfil, ces hautes vagues de l’Océan retentissant ? Les voiles sont couvertes d’écume, les navires ne résisteront pas à la tempête.

reginn.

17. Les vaisseaux portent Sigurd et nous ; il fait un ouragan qui conduit vers la mort elle-même ; les vagues, plus élevées que nos antennes, tombent à pic. Les planches se sépareront : qui s’informera d’elles ?

l'homme-sur-la-montagne.

18. On me nommait Hnikar à l’époque où je réjouissais le corbeau, ce fils de Vœls, et lorsque je remportais des victoires. Maintenant tu peux m’appeler l’Homme-sur-la-Montagne, Feng ou Fjœlner. Recevez-moi à bord. —

(Les navires s’approchèrent du rivage, l’homme de la montagne monta à bord et la tempête cessa.)

19. Dis-moi, Hnikar, toi qui nous connais tous deux, qui est le bonheur des hommes et des dieux ! quels signes peuvent être considérés comme des présages heureux quand on lance le glaive pour combattre ?

hnikar chanta.

20. Il en est beaucoup de bons quand on les connaît. C’est, je crois, un signe heureux pour l’homme revêtu d’une armure, lorsque le sombre corbeau le suit.

21. Le second signe favorable, c’est de voir sur le chemin, quand tu sors armé, deux hommes ambitieux qui se battent.

22. En voici un troisième : c’est d’entendre hurler le loup sous les branches du frêne. Tu peux être assuré de la victoire sur le guerrier porteur d’un casque, quand les loups marchent devant toi.

23. Pas un héros ne doit combattre au coucher du soleil. Ils remportent la victoire ceux qui voient distinctement les braves jouer avec le glaive, et qui rangent l’armée avec la promptitude de l’éclair.

24. Si ton cheval bronche en allant au combat, c’est l’annonce d’un grand danger. Les filles de la Ruse sont à tes côtés et voudraient te voir blessé.

25. Que tout homme soit peigné, lavé et rassasié dès le matin, car il ignore où sera son gîte le soir. Si tu tombes, c’est un signe fatal pour toi.

(Sigurd eut une grande bataille avec Lyngvé, le fils de Hunding, et ses frères. Lyngvé y fut tué, ainsi que trois de ses frères. Reginn chanta après la bataille.)

reginn.

26. Maintenant le dos de l’aigle sanglant a été ciselé en expiation du meurtre de Sigmund. Tu es le plus grand des fils de rois qui ont arrosé la terre de sang et rassasié les corbeaux.