L’Aviation militaire/Note n°3

Berger-Levrault (p. 22-27).

NOTE N°3


LES AVIONS MARINS


Le navire

Mais l’air est partout ! Sur terre nous savons comment doivent atterrir les avions. Et sur mer ? La puissance toujours croissante de la marine, l’éventualité d’avoir à lutter contre un cuirassé, nous rendent le problème d’apparence insoluble. Cependant, si nous n’espérons pas arriver à réduire d’emblée un cuirassé, nous pensons qu’il sera possible de lui faire beaucoup de mal au premier coup et même de le couler si on l’attaque avec un nombre suffisant d’avions. Nous entrevoyons, ainsi que nous l’avons expliqué à propos de l’armement des torpilleurs, l’emploi de la grosse torpille de 100 à 200 kilos ; reste à trouver les moyens pour parvenir à s’en servir contre les navires de guerre. Si on avait à attaquer, dans les eaux françaises ou alliées en vue de la terre, une escadre ennemie, les opérations deviendraient faciles, puisque les avions pourraient aller atterrir et s’approvisionner de torpilles sur les aires voisines de la côte. Il n’en serait pas de même en pleine mer. Donc, un bateau porte-avion devient indispensable.

Ces navires seront construits sur des plans bien différents de ceux usités actuellement. D’abord, le pont sera dégagé de tout obstacle : plat, le plus large possible, sans nuire aux lignes nautiques de la carène, il présentera l’aspect d’une aire d’atterrissage. Le mot atterrissage n’est peut-être pas le terme à employer, puisqu’on se trouvera sur mer ; nous lui substituerons celui d’abordage.

Les avions marins se distingueront des autres par quelques particularités : les roues de devant seront droites, de petit diamètre, très robustes, se bloquant automatiquement à l’abordage, au premier contact avec le pont ; la troisième roue, arrière, gouvernera. Le dos de l’avion sera ouvert, à volonté, pour permettre à l’aviateur de se sauver en cas de chute à la mer. Éventuellement, chaque aviateur marin devra porter une ceinture et une veste pneumatiques, afin qu’il puisse remonter et se maintenir sur l’eau.

La vitesse de ces bateaux devra atteindre, au moins, celle des croiseurs et même la dépasser pour échapper à leur poursuite. Pour y arriver, on aura recours aux machines à triple expansion les plus perfectionnées. Les chaudières, essentiellement composées d’éléments tubulaires, pourront s’établir sous un poids très léger ; nous ne craindrions même pas de leur appliquer les principes des générateurs de vapeur des avions. La houille, exclue de leurs foyers, sera remplacée par le coke ou l’anthracite, pour supprimer toute fumée. Les cheminées, à sections se télescopant les unes dans les autres, élèveront leurs colonnes sur le pont pendant la navigation ordinaire, pour rentrer en dessous, afin de laisser libre le pont pendant les manœuvres des avions. Les gaz de la combustion trouveront alors une autre issue dans une cheminée auxiliaire qui se divisera en deux conduits vers des sabords, ouverts exprès à bâbord et à tribord, et situés juste à la hauteur du dessous du pont, le plus possible à l’arrière, pour éloigner l’odeur désagréable et malsaine des gaz qui s’en dégageront.

L’ouverture par laquelle la cheminée devra s’élever et disparaître se refermera sur le pont, par une trappe, pour en rétablir la surface unie. En cas de panne causée par les machines, survenue dans l’isolement des mers, loin des navires amis, des mâts de fortune deviendront bien utiles ; on pourra les hisser ou les dévaler par des ouvertures sur le pont s’ouvrant et se refermant, comme nous venons de le voir au sujet des cheminées.

Le remisage des avions devra être aménagé nécessairement sous le pont ; ils y seront solidement maintenus, amarrés par leur base, chacun à leur place, pour les préserver des effets du roulis et du tangage. On aura accès dans cet entrepont par un monte-charge assez long et large pour recevoir un avion les ailes pliées. Une grande trappe à coulisse refermera l’ouverture sur le pont, avec des joints étanches ne laissant filtrer ni l’eau de pluie, ni celle des vagues, perdant la grosse mer. À côté devra être l’atelier des avionneurs chargés de réparer les avaries et d’entretenir les avions toujours prêts à s’envoler. Non loin de là seront les soutes aux munitions et aux vivres.

Ainsi que nous l’avons dit plus haut, l’aire-pont devra être dégagée de tout obstacle ; nous ajouterons que les bastingages devront s’élever à une bonne hauteur, pour la double raison qu’il faudra empêcher les vagues de venir déferler sur le pont et les avions de tomber à la mer en cas de fausse manœuvre. Le bastingage de bâbord et celui de tribord seront fixes ; ceux d’avant et d’arrière mobiles ; au lancement de l’avion, l’avant devra être complètement libre ; à son abordage, c’est l’arrière qui le sera et l’avant au contraire bien barré.


L’envolement et l’abordage

Au moment des hostilités, même avant le branle-bas général de l’escadre, un avion sera tenu dans l’entrepont, toujours prêt à partir. Pendant le combat, le pont étant libre, l’avant ouvert, le navire sera manœuvré rigoureusement à vent debout. L’avion prendra position à l’arrière ; deux chaloupes, une de chaque côté, équipées, seront prêtes à être mises à l’eau. Les aviateurs, officiers et mécaniciens, munis de leurs vêtements pneumatiques, seront à leur poste, et, pleins de détermination et de calme, sachant que de la précision de leur manœuvre dépendent la vie des autres et la leur, attendront le commandement : Partez ! envoyé par le porte-voix, la sirène ou un pavillon-signal… Ces envolées majestueuses seront toujours des moments de suprême émotion ressentie par tous, aviateurs et assistants.

Les opérations aériennes terminées, l’avion reviendra à son navire d’abordage ; dès qu’ils seront réciproquement en vue, des signaux seront échangés pour apprendre aux aviateurs que tout est paré sur le pont pour les recevoir et l’avion commencera alors ses manœuvres d’abordage. Il retrouvera le navire exactement vent debout ; l’arrière ouvert pour son passage, l’avant bastingué et matelassé mollement, en cas de dépassement de la ligne d’arrêt ; rien ne sera sur le pont, que les servants effacés à bâbord et à tribord ; les chaloupes à la mer, l’une à l’avant, l’autre à l’arrière, seront prêtes pour sauver les aviateurs s’ils venaient à manquer le pont. Enfin, d’une volée rasante, tout à fait contre le vent, l’avion se présentera sur l’arrière, entre 1 et 2 mètres de hauteur ; à cet instant, stoppant tout, ses roues d’avant bloquées, il touchera aussitôt le pont ; après le court patinage qui en résultera, le commandant du bord recevra les aviateurs, non sans leur témoigner son admiration.

Quitter le pont et y revenir semble aujourd’hui une témérité, la conception n’y est pas encore faite ; mais avec un peu de pratique, le raisonnement aidant, cette manœuvre deviendra sûrement facile ; effectuée en calme plat, on se la représente très bien à l’idée, tandis qu’avec les vents elle apparaît plus périlleuse. Ce sera l’inverse : par un vent même fort, l’avion se laissera choir doucement sur le pont sans patiner, ou peu. Par temps calme, l’abordage demandera presque toute la longueur du pont. Il restera bien la ressource de mettre le navire en mouvement pour lui créer un vent debout, mais rarement sa position dans l’escadre le lui permettra.

Les opérations que devra exécuter l’avion marin consisteront en informations, envoyées par signaux, sur les évolutions de la flotte ennemie ; mais, principalement, il devra observer les unités les plus menaçantes pour les attaquer avec ses torpilles, seul ou accompagné des avions qui seront venus le rejoindre.


Les torpilles

Les torpilles devront être semblables à celles décrites précédemment, plus un dispositif qui permettra de les faire exploser sous l’eau à des profondeurs variables ; sans rien changer à leur déclanchement progressif, ni au détonateur placé à la pointe du cône inférieur, la torpille portera sur le cône supérieur une collerette plate sur laquelle seront fixés, diamétralement opposés, deux séries de tubes s’emboîtant les uns dans les autres et logés dans deux autres tubes faisant corps avec la torpille ; de sorte que cet anneau ou disque-collerette pourra se détacher et remonter au-dessus du cône, d’autant plus que les tubes à coulisse seront plus nombreux : telle une lunette longue-vue qu’on allonge. Si on imagine que le dernier tube, en sortant, déterminera l’explosion, on voit qu’en tombant dans l’eau, la collerette restera à la surface par l’effet de la résistance du liquide et que la torpille y pénétrera et explosera à la profondeur réglée d’avance par la longueur du déboîtement des tubes.

Outre ces torpilles, on en fabriquera de biseautées à leur partie inférieure, de manière que ce biseau soit d’un seul côté ; en tombant convenablement dans l’eau, près de la cuirasse, le biais conduira la torpille sous le navire et les tubes à coulisse détermineront la hauteur et le moment de l’explosion comme pour les torpilles ci-dessus. Cependant, on comprendra qu’à celle-ci il faudra supprimer le mouvement de rotation, afin qu’elle ne varie pas de position dans sa chute et qu’elle présente toujours son biseau du côté du navire.

L’officier aviateur marin aura à sa disposition de puissants engins ; il ne lui restera qu’à bien diriger leur trajectoire pour les laisser tomber le plus près possible des flancs du navire visé, afin de l’atteindre, sous l’eau, dans ses œuvres vives vulnérables. Sur le pont, les mêmes genres de torpilles, en explosant par leur pointe inférieure, produiront de gros effets destructeurs.