L’Aviation militaire/Note n°4

Berger-Levrault (p. 28-31).

NOTE No 4


L’ARTILLERIE VERTICALE


Sur terre, avec des avions torpilleurs planant dans l’air, toutes les positions actuelles de campagne ou fortifiées deviendront intenables. La création d’une artillerie spéciale s’impose ainsi que de profondes modifications dans les ouvrages de fortifications.


Canon de campagne

Le canon de campagne, d’horizontal deviendra vertical, oscillant dans le voisinage de son centre de gravité sur deux colliers à billes ou à galets très robustes ; toutes les obliquités devront lui être faciles, surtout les plus usuelles, celles qui se rapprochent de la verticale. L’affût, à quatre roues dont deux à avant-train avec flèche, devra avoir au milieu une grande glissière circulaire montée aussi sur galets et portant les deux colliers ci-dessus ; au centre, on y mettra le canon mobile, dont les obliquités devront être obtenues par des leviers et des tringlages à vis.

La visée du pointage se fera à l’aide d’un guide parallélogrammatique, posé sur la partie supérieure oscillante du canon ; qu’on se figure l’âme de la pièce étant l’un des côtés du parallélogramme et le guide son côté opposé, la glissière circulaire sera le côté du bas, et en haut une tringle allant du canon au guide formera le quatrième côté, tous articulés entre eux. Le guide devra être distant de 2 mètres, même davantage, pour la commodité du pointeur. Cependant, la trajectoire du projectile variera à chaque inclinaison, et, pour cette raison, on fera évaluer automatiquement la rectification du pointage par le parallélogramme lui-même, en mettant deux de ses côtés inégaux : sorte de hausse réglée par l’inclinaison même de la pièce ; la déformation du parallélogramme sera calculée pour que le départ de la trajectoire se rapporte toujours à la ligne de visée, quel que soit le degré d’inclinaison.

Au bas du guide, à l’endroit de son articulation, sera fixé un miroir horizontal réfléchissant le guide et le but, qui dans la circonstance sera un avion en plein vol, et lorsque ces deux derniers se trouveront dans le prolongement l’un de l’autre, l’artilleur tirera. On parera aux effets du recul par une grande solidité dans les organes du pivotage et en amortissant le choc avec les moyens déjà en usage.


Canon de forteresse

Les canons verticaux de forteresse et de la marine tiendront du même principe que celui de campagne, sauf les roues qui devront être supprimées et remplacées par des affûts à demeure. On en construira de très puissants, à longue et haute portée, pour tâcher d’atteindre les avions ennemis dans toutes les directions et à toutes les hauteurs. Les mouvements tournants et oscillatoires de ces grosses pièces exigeront des mécanismes importants pour arriver à viser juste et promptement, résultat qu’on obtiendra bien plus difficilement qu’avec les canons de campagne.

Les projectiles devront être pleins ou creux. Les premiers pourront être très allongés, même faits en plomb avec enveloppe en acier, affectant les formes des balles de fusils ; le canon, dans ce cas, sera long, de petit calibre, avec une culasse très résistante pour brûler des poudres très énergiques ; leur portée deviendra considérable, mais les effets resteront simplement perforateurs. Les seconds ressembleront au type obus, disposés pour éclater, par un réglage chronométrique, à fusée ou autrement, et à des hauteurs évaluées d’avance. Leur portée ne sera jamais aussi considérable que celle des projectiles pleins ; par contre, leurs effets s’étendront dans un rayon plus grand, chaque éclat devenant une chance de plus pour toucher l’objet visé.

Nous devons ajouter que, malgré la perfection de ces armes, le but sera rarement atteint ; comment pointer, prestement et juste, la lourde masse qu’est un canon vers un mobile se déplaçant continuellement ? Néanmoins, l’utilité de cette artillerie spéciale apparaît incontestable, pour tenir les torpilleurs de l’ennemi à une certaine distance.


Nuages artificiels

Cette nouvelle artillerie se trouvera elle-même difficile à défendre contre les avions ; blinder par-dessus les canons de campagne, il ne faut pas y songer, c’est à peine si cela pourra être pratiqué pour les pièces de forteresse. Alors, on pourra utiliser, dans certains cas de temps calme, les nuages artificiels, si faciles à former sur de grandes étendues, ainsi que le démontrent les vignerons lorsqu’ils veulent préserver leurs récoltes des gelées printanières. Oui, ce moyen de source si modeste gênerait bien les avions, qui, ne voyant plus la terre, n’auraient qu’à se retirer. Seulement, au moindre vent, ces nuages risqueraient de se disperser et la quiétude de l’adversaire d’en bas disparaîtrait avec eux.

Les fortifications existantes construites pour résister à des tirs rasants, désormais se trouveront à la merci des torpilles aériennes et il faudra protéger leurs superstructures avec des blindages plats en acier très épais. À l’égard des nouvelles à créer, une autre forme, la vraie, est à chercher ; nous ne l’avons pas trouvée, et on ne la découvrira pas de sitôt. Les événements, les désastres, apprendront aux générations futures ce secret important.