L’Aviation militaire/Note n°2

Berger-Levrault (p. 17-21).

NOTE No 2


LES AIRES


Le nom d’aire se passe de définition : ce sera, on peut dire, le port aérien des avions. Les emplacements, tout indiqués, des aires seront les polygones et même les champs de manœuvre. Il y en aura de trois sortes : 1o les aires permanentes fortifiées ; 2o les aires de campement ; 3o les aires mobiles.

Aires fortifiées

Les aires permanentes fortifiées prendront une grande importance stratégique ; on les établira dans le voisinage des places fortes, surtout si celles-ci se trouvent groupées en quadrilatère ; dans ce cas, c’est au centre, en un endroit bien découvert, qu’on en choisira l’emplacement. Mais, en l’absence d’une position semblable, on se contentera d’une seule place forte pour appuyer l’aire ; même d’aucune, si le point stratégique s’impose lui-même ; alors on fortifiera le périmètre de l’aire et ses alentours en ouvrages très rasants pour les mettre à l’abri d’un coup de main terrestre, sans gêner les atterrissages et les envolements des avions.

Le sol de ces aires demandera à être, au moins, macadamisé, asphalté peut-être, ou pavé en bois ; tenu rigoureusement propre et son assainissement assuré par l’écoulement facile des eaux pluviales. En prévision des manœuvres de nuit, faites par les avions, aussi fréquentes, peut-être, que celles de jour, les limites roulantes de l’aire seront marquées par des brûlots de couleur spéciale, placés dans de petites fosses espacées suffisamment et recouvertes d’une grille au ras du sol. D’autres brûlots, arrangés convenablement et d’une autre couleur, donneront la direction du vent. Mais tout cela pourra être remplacé avantageusement par des réflecteurs électriques qui éclaireront toute la surface de l’aire, ou la laisseront dans l’obscurité, selon les besoins de la tactique. Enfin, pour l’orientation générale on établira, hors de l’aire, des phares aux quatre points cardinaux, visibles de très loin par les avions. Pendant le jour, ces indicateurs seront plus simples : une fumée blanche emportée par le vent en donnera la direction.

Les signaux faits sur les aires, évidemment, seront les mêmes que ceux employés par les avions. Aires et avions seront en communication constante. En cas d’hostilités, les éclaireurs porteront les ordres et les informations d’une aire à l’autre. On pourra, plus tard, se servir de la télégraphie sans fil, lorsque cette science naissante se sera suffisamment développée et que ses moyens d’application seront devenus pratiques ; on pourra y utiliser notre phonosignal[1].

Le personnel sera logé dans des casernes suffisamment éloignées pour ne pas gêner les manœuvres des avions. Cependant, en cas d’alerte, si l’aire se trouve attaquée et torpillée par des avions ennemis, il devra pouvoir se réfugier dans des casemates solidement blindées de plaques d’acier, sur le haut. Il en sera de même en ce qui concerne le matériel et l’outillage ; les abris des avions, ateliers de réparations, magasins, etc., devront être à toitures blindées, pour ne pas les exposer à être détruits.

La perte de ce matériel serait très sensible et bien regrettable ; à la rigueur, la position resterait tenable pour sauver la place, si un autre danger ne venait menacer de bouleverser l’aire entière ; on a compris qu’il s’agit du magasin des munitions où, nécessairement, seront accumulées de grandes quantités de torpilles, d’essence et d’alcool, puisque ce ne sera que là que les avions pourront aller s’approvisionner. L’ennemi ne manquerait pas de viser ce point si terriblement dangereux ; aussi, pour déjouer ses attaques, on dissimulera ces poudrières dans des sous-sols, accessibles seulement par des couloirs également souterrains, détournés en tous sens, sans orientation connue des servants, afin qu’à la surface du sol personne ne connaisse le véritable emplacement des poudrières. Par-dessus les voûtes on posera plusieurs couches d’épais blindages. Enfin, aucune précaution ne sera de trop pour prévenir une aussi grande catastrophe.


Aires de campement

Les aires de campement seront de bien moindre importance que les précédentes ; elles devront cependant se composer des mêmes éléments, mais de structure temporaire. Les sols de lancement et d’atterrissage des avions pourront n’être que nivelés, ensablés à bonne épaisseur et fortement cylindres. Les installations concernant les feux indicateurs et les signaux seront semblables à celles des aires précédentes. Cependant, les abris pour avions, les magasins, les casernes, etc., ne seront que des baraquements. Les munitions ne s’y trouveront qu’en petites quantités, logées dans des réduits simplement bâtis en terre ; les approvisionnements en matières explosibles et inflammables ne devront se faire qu’au fur et à mesure, par une place forte ou depuis une aire fortifiée. Autant que possible, on reliera ces aires aux lignes ferrées les plus voisines. Faute de ce moyen de transport, le train des équipages, ou un service particulier aux aires, avec ses avions et ses automobiles, fera le nécessaire. La défense contre les attaques terrestres consistera en de simples retranchements autour de l’aire, gardés par de la troupe de ligne ou du génie.

La situation de ces aires de campement, en temps de paix, dépendra des préoccupations stratégiques. Mais, en temps de guerre, les besoins de la tactique viendront modifier leur utilité. Et à cause de cela on ne pourra leur donner qu’une importance relative et temporaire. En cas d’attaque par l’infanterie ou l’artillerie ennemie, pour éviter une capitulation, dès que le danger paraîtra certain, les avions s’envoleront, les baraquements et les munitions seront détruits, la troupe et les servants abandonneront la position, battant en retraite, pour rallier leur régiment ou la première colonne rencontrée.


Aires mobiles

Les aires mobiles suivront les mouvements des corps d’armée. Leur caractère essentiel consistera dans un montage et un démontage rapides. L’endroit de l’atterrissage et du lancement des avions sera recouvert d’un plancher, fait de panneaux en bois s’ajustant les uns au bout des autres, sans pouvoir se disjoindre sous le roulement des avions ; ils auront les plus grandes dimensions possibles, tout en restant facilement maniables et transportables ; on considérera aussi la largeur des plates-formes de chemins de fer, afin de pouvoir les y charger en travers ; des prolonges spéciales ou des auto-camions viendront, faute de voie ferrée, se charger du transport de ces panneaux.

Les abris d’es avions seront également démontables et transportés en même temps que les panneaux des aires. Quant aux officiers et aux hommes, ils coucheront sous la tente.

En cas d’avarie survenue aux avions, de grands fourgons spéciaux les transporteront, leurs ailes repliées, soit sur route ou sur voie ferrée. D’autres fourgons encore suivront les aires pour les approvisionner de munitions et de vivres.

Évidemment, tous les accessoires, tels que lumière, signaux, etc., indispensables aux aires de campement, se trouveront aussi sur celles-ci.

Il serait trop long d’entourer le périmètre de retranchements, on se contentera d’une clôture en simples branchages qu’on trouvera dans les réquisitions des alentours.

Le sol simplement battu de l’aire ne suffirait pas, surtout en temps de pluie ; mais, si le planchéiage vient donner satisfaction aux manœuvres d’atterrissage, il entraîne avec lui l’inconvénient d’un grand charroi de bois ; aussi établira-t-on l’aire petite, le plus possible ; peut-être pourra-t-on se contenter d’une piste boisée, circulaire, d’une largeur convenable, avec le sol battu au centre. Et, en effet, nous démontrerons, plus tard, que l’atterrissage en rond, avec petit rayon, deviendra possible.

Dès que tout sera prêt, l’ordre sera envoyé télégraphiquement aux avions se trouvant en relâche sur une aire d’arrière-garde de venir atterrir à la nouvelle.

Une aire mobile devra pouvoir s’organiser dans une matinée et se démonter dans l’après-midi, si telle se trouve l’urgence de son déplacement. Tout changement de position des aires mobiles sera rigoureusement signalé dans toutes les aires participant à la campagne. Les commandants des aires et les officiers aviateurs les consigneront dans leur ordre du jour, afin que les avions ne s’exposent pas à prendre de fausses directions et aux conséquences qui pourraient en résulter. Nous avons supposé que, pratiquement, les aires mobiles et leurs avions, venant au service d’un corps d’armée, devront se trouver espacés de 25 à 50 kilomètres les uns des autres.

  1. À cette époque, vers 1895, on parlait à peine de la télégraphie sans fil, et ce n’était que dans les revues scientifiques ; en ne devait prendre que plus tard l’importance qu’elle a aujourd’hui.