L’Aryen, son rôle social/Texte entier
1878. Brochure in-8. 1.50
PRÉFACE
Ce volume reproduit la sténographie de mon cours de 1889-90. J’ai passé près de deux ans à le transcrire et le documenter, remplaçant d’une manière constante les références du manuscrit par les plus récentes. Si grande que soit la masse des matériaux nouveaux, je n’ai eu presque rien à changer au fond ni à la forme. J’ai seulement adouci l’emphase oratoire de certains passages. Ce qui impressionne le plus au cours gagne quelquefois à être écrit autrement.
Les obstacles apportés à la diffusion de mes idées n’auront servi qu’à les faire venir au jour avec des preuves plus complètes à l’appui. De ces idées, beaucoup ont paru, quand je les émettais en chaire, des boutades d’un esprit paradoxal. Il a fallu peu d’années pour que la plupart se trouvassent vérifiées par la marche des événements, qui se précipitent avec une rapidité foudroyante, substituant un monde nouveau à celui de notre jeunesse. Plus d’une page paraîtra écrite sous la pression de faits récents, qui fut simplement arrachée à un mémoire antérieur, lue et commentée au cours. L’avenir, et plus prochain qu’on ne pense, se chargera de vérifier d’autres thèses hardies et de réaliser d’autres prévisions, trop contraires à l’état de choses, actuel mais croulant, pour étre acceptées autrement que comme des paradoxes par des gens nourris du passé.
Si j’ai le temps de le faire, je publierai encore le cours de 1890-91, Le Sémite, son rôle social. Je me demande cependant si, au bout de dix ans, il n’est pas meilleur de récrire que de rajuster un livre. Cela, en tout cas, est plus court. J’ai d’ailleurs autre chose à publier d’abord : le progrès de l’âge et des infirmités me presse. Je voudrais pouvoir faire pour l’éthique sélectionniste ce que j’ai fait pour la politique. Un premier volume, Contre la morale, attend déja depuis cinq ans. Il comprend l’étude historique et critique des prescrits et des prohibitions des diverses morales ; il paraîtra bientôt. Le second, La plus grande conscience, contiendra l’exposé des prescriptions de la morale sélectionniste.
Comme celui des Sélections, l’esprit du présent livre est moniste et sélectionniste. Le lecteur pourra retenir les faits sans retenir la doctrine, c’est à lui d’en juger comme il lui conviendra. Je dois d’ailleurs faire remarquer combien les idées sélectionnistes ont fait de progrès, même en France, depuis la publication des Sélections. En Amérique, on est passé déja aux applications. Chez nous, on va moins vite, mais on commence à s’émouvoir. Ceux qui parlent d’Homo Alpinus et de sélections sociales ne comprennent pas tous ni toujours ce qu’ils disent, mais ils sentent que de ce côté peut se trouver la solution des inquiétants problèmes de l’heure présente.
Le trouble des idées est profond. La faillite de la Révolution est éclatante. La ploutocratie laisse tomber son masque démocratique, et l’on se demande si la démocratie est possible. Sous le nom de République, l’Empire continue, et l’on se demande si les formes politiques valent contre le tempérament des peuples. Le conflit des races commence ouvertement, dans les nations et entre les nations, et l’on se demande si les idées de fraternité, d’égalité des hommes n’allaient point contre des lois de nature. On commence à se douter que les sentiments ont juste une valeur sentimentale, que l’évolution des peuples est régie par des lois inflexibles.
Un grand changement s’annonce et ce n’est pas le cours de Rhétorique sociale du Collège de France qui rendra leur force aux idées du Contrat social et de l’Encyclopédie. Demain, il y aura deux camps en présence : celui des écoles métaphysiques, religieuses ou anticléricales, et celui des écoles scientifiques, dont le sélectionnisme est pour le moment l’expression bien imparfaite encore, mais la plus adéquate.
La science sociale s’intégre. Elle naît par morceaux, comme toute science. Elle est loin d’être au point où l’on pourra en faire la philosophie. Qui oserait faire la philosophie de la chimie, science déja plus parfaite et centenaire ? On ose pourtant faire de la sociologie, c’est-à-dire de la philosophie de la science sociale, mais on commence à avoir honte de l’oser, comme on aurait honte de parler aujourd’hui d’alchimie. Il est trop tôt, et surtout trop tard. La phase métaphysique est finie, les fantaisies ne sont plus de mise. L’économique avance, l’histoire comparée des institutions progresse, L’anthropologie appliquée commence à jeter un peu de lumière sur les causes naturelles des échecs politiques des deux derniers siècles.
C’est de ce côté que doivent porter les efforts. Après l’économique, l’anthropologie est venue resserrer le cercle qui étreint la prétendue liberté humaine : nous sommes loin du temps de Rousseau ! Par ces sciences nous apprenons au moins ce qui est impossible. Cela nous force à limiter nos ambitions et nous donnera sans doute plus tard le moyen de réaliser le possible. Il est inutile de se heurter avec obstination aux lois naturelles. Vouloir les supprimer est une pensée d’enfant, mais les connaître est apprendre à les réaliser. L’art politique viendra de la science.
En vain l’on pourra multiplier les chaires et les sophistes pour la défense des préjugés de l’autre siècle. Le passé est passé, ce qui est mort est mort. La politique sentimentale idéaliste du christianisme a vécu. Aux fictions de Justice, d’Égalité, de Fraternité, la politique scientifique préfére la réalité des Forces, des Lois, des Races, de l’Évolution. Malheur aux peuples qui s’attarderont dans les rêves !
En vain l’on essaie d’entraver les recherches qui tendent à découvrir les lois scientifiques de l’évolution sociale. Les ouvriers sont à l’œuvre, sur tout le globe, et nul, qu’il soit homme ou coterie, n’a la main si longue qu’elle puisse s’abattre sur tous. On peut détruire ou laisser détruire des documents scientifiques, fermer un cours, empêcher la publication d’un livre, supprimer au besoin un savant, on ne supprime pas la science.
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Studer et Bannwarth. — Crania helvetica antiqua. Barth, Leipzig, 1894.
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Tappeiner. — Der europäische Mensch und die Tiroler. Meran, Potzelberger, 1896.
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Testut. — Recherches anthropologiques sur le squelette quaternaire de Chancelade (Bull. Soc. d’Anthr. de Lyon, [1889, VIII et tirage à part).
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Trutat. — Les Pyrénées. Paris, Bailliere, 1896.
Turner (W.). — Early man in Scotland (Nature, 6, 13 jan. 1898).
Ujfalvy. — Les Aryens au nord et au sud de l’Hindoukouch. Paris, Masson, 1896. — Les Huns blancs (Anthr., 1893, IX, 259-277).
Verneau. — Nouvelle découverte de squelettes préhistoriques aux Baoussé-Roussé (Anthr., 1892, III, 513-540). — Un nouveau crâne humain d’une cité lacustre (Anthr., 1894, V, 54-66).
Weinberg. — Die Gehirnwendungen bei den Esten. Dorpat, Mattiesen, 1894. — Das Gehirn der Letten. Gassel, Fischer, 1896.
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Weisbach. — Altbosnische Schädel (Mitt. der anthr. Ges. in Wien, 1897, XXVII, 80-85).
Wilser. — Stammbaum der arischen Völker (Naturwiss. Wochenschrift, 1898, XIII, 361-364).
Winiarski. — Essai sur la mécanique sociale (Rev. phil., 1898, 351-386). — L’Anthropo-Sociologie (Devenir social, 1898, IV, 193-232).
Wirchow. — Ein im Bette der Löchnitz gefundener Schadel (Verh. der Berl. Ges. für Anthr., 1895, XXVI, 424-425). — Slavische Schädel (Verh., 1895, XXVII, 335). — Photographie eines aus Mammuthsstosszähnen geschnitzen Idols von Brünn (Verh., 1895, XXVII, 705). — Eröffnung prähistoricher und römischer Gräber in Worms (Verh., 1897, XXIX, 464-470). — Eröffnung prähistoricher Gräber in Worms (Zeitschrift für Ethnologie, 1897, XXIX, 464 sq).
Zampa. — Anthropologie illyrienne (Rev. d’Anthr., 1886, S. III, I, 625-647).
Voyez pages 106-108 la bibliographie spéciale du pléistocène. Voyez aussi la bibliographie placée en tête des Sélections sociales. A peu d’exceptions près, j’ai évité de mentionner de nouveau les ouvrages qui figuraient déjà dans cette bibliographie, à laquelle il conviendra de se reporter.
CHAPITRE PREMIER
Homo Europæus. — Ce livre est la monographie de l’Homo Europæus, c’est-à-dire de la variété à laquelle on a donné les noms divers de race dolichocéphale blonde, kymrique, galatique, germanique et aryenne. Je la désignerai d’ordinaire par son nom scientifique, celui que lui a donné Linné. J’estime, en effet, que dans un ouvrage scientifique consacré à une forme de Homo, il convient de ne pas plus s’écarter de la nomenclature zoologique que s’il s’agissait de Felis, Corvus ou Ammonites. C’est le moyen le plus sûr de rappeler incessamment au lecteur que l’être dont il question n’est pas un animal à part, mais qu’il rentre dans le système général de la nature et subit l’application des lois communes de la biologie. Trop souvent on parle de l’homme, même dans les ouvrages sérieux, comme d’une créature particulière, à côté, peut-être au-dessus des lois. C’est un travers contre lequel il convient de réagir. L’arbitraire dans les choses humaines n’existe que pour l’imagination des mystiques, et la science politique darwinienne, l’anthroposociologie, s’efforce précisément de substituer des notions concrétes aux conceptions métaphysiques ou mystiques de la sociologie des philosophes.
Si j’ai écrit-en tête de l’ouvrage le nom d’Aryen, c’est parce que le public instruit, dont l’éducation est surtout littéraire, ne sait point trop ce que veut dire le terme H. Europæus. Depuis que j’ai remis en vigueur cette dénomination linnéenne, de nombreux écrivains, Ammon, Wilser, Muffang, Fouillée, Closson, Ujfalvy, Ripley, beaucoup d’autres encore l’ont vulgarisée en Europe et en Amérique, mais elle n’est pas encore assez connue bien que les journaux quotidiens commencent à l’employer. J’ai donc été obligé de choisir entre les divers noms les plus connus : Kymri, Germain, Aryen. Le premier qui veut dire compatriotes[1] ne date que du Moyen-Age et n’a aucun rapport avec le nom des Cimmériens ou des Cimbres. Il n’a jamais désigné que des tribus galloises. Le second n’a jamais été accepté pour dénomination de la race entière. Je me suis arrêté au dernier, parce que depuis vingt ans il paraît l’emporter dans la pratique, et parce que les philologues lui ont donné une étendue générale aujourd’hui connue de tous.
Je ne crois pas cependant qu’il soit bien meilleur. Il suffit pour s’en rendre compte de faire l’historique de ce mot.
Dans les livres sacrés de l’Inde et de la Perse, le mot Arya désigne le peuple indivis duquel sont descendus les Iraniens et les Hindous. D’Arya, les philologues ont dérivé aryen, pour qualifier le groupe linguistique et la civilisation particulière des peuples de ce rameau ethnique. On est ensuite arrivé à regarder toutes les langues indo-européennes comme dérivées d’un aryen plus primitif, parlé dans la région bactrienne, et tous les peuples indo-européens comme dérivés d’un même peuple aryen, dont les essaims auraient peuplé toute l’Europe et une partie de l’Asie.
Dans cette conception qui a régné jusqu’à la fin de ce siècle, il y a beaucoup plus d’erreurs que de vérités. Le groupe indo-iranien n’est pas le plus ancien et le plus rapproché de la souche des langues indo-européennes, les peuples indo-européens ne sont pas sortis de l’Asie centrale, et les éléments qui les composent sont d’origine très diverse, sans autres liens que des communautés de langues et d’institutions.
Dans ces conditions choisir pour désigner l’ensemble des langues et des institutions primitives des peuples indo-européens le nom du rameau aryen n’était pas précisément une idée heureuse. C’est à peu près comme si dans un avenir très lointain, où le souvenir de notre histoire serait perdu, des philologues et des ethnographes voulaient appeler Tasmaniens les Anglo-Saxons, dont ils auraient trouvé d’abord en Tasmanie des traces d’institutions ou de littérature.
Sur cette généralisation malencontreuse s’est greffée une spécialisation plus fâcheuse encore. La plupart des savants et des érudits qui placent en Europe l’origine des peuples aryens pensent que l’évolution de la langue et des idées générales de la culture primitive aryenne s’est faite chez un peuple dolicho-blond, ou tout au moins dont la partie dirigeante était dolicho-blonde. De là une détermination nouvelle du nom d’Aryen, qui étendu d’abord des Iraniens védiques à tous les Indo-Européens cesse d’être un nom ethnique commun pour devenir un nom de race dans le sens zoologique.
Je crois bien que la classe dominante chez les Aryens védiques était dolicho-blonde, peut-être le peuple aryen tout entier était-il dolicho-blond. Je n’en suis pas assez sûr pour ne pas trouver que l’équivalence Aryen = H. Europeæus est bien près de la limite des licences permises quand on prend la partie pour le tout. Le mot, à force de changer de sens, est cependant devenu si vague qu’il est encore préférable aux noms de galatique, germanique ou kymrique, ceux-ci étant propres à des peuples bien connus, incontestablement dolicho-blonds, mais dont chacun était seulement une petite partie nettement limitée de la race.
Voilà donc pourquoi j’ai adopté pour titre le nom connu du public et pourquoi je m’abstiendrai de m’en servir désormais, autant que le permettront les nécessités du langage.
Sous le bénéfice de ces observations je pourrais entrer en matière, et commencer la monographie de H. Europeæus. Pour ne point paraîre esquiver la controverse aryenne, qui a fait noircir des monceaux de papier, ct qu’on s’étonnerait peut-être de ne pas voir en tête d’un ouvrage consacré aux Aryens, je vais cependant lui consacrer quelques pages. L’intérêt de cette controverse n’est plus qu’historique, le seul point discutable et discuté restant la part de la race blonde dans l’évolution de la civilisation protaryenne. Le lecteur qui désirerait être éclairé davantage trouvera ce qu’il cherche dans les travaux de Penka, le livre de Taylor et la monographie de la controverse par Salomon Reinach[2]. Cette monographie très érudite est presque complète, il n’y manque guère qu’un peu plus de développements sur les travaux de Penka et les miens, et une plus équitable appréciation de nos idées, auxquelles l’auteur s’est rallié l’année suivante.
La controverse aryenne. — Dans son livre célébre et plein de brillantes erreurs, Leçons sur la science du langage, Max Muller assure qu’il fut un temps où les premiers ancêtres des Hindous, des Perses, des Grecs, de Romains, des Slaves, des Celtes et des Germains vivaient ensemble sous le même toit. Cette idée de la famille patriarcale d’Aryas, souche de peuples, premier foyer de la langue et des institutions, fit rapidement fortune. En 1861, elle résumait les souvenirs bibliques et les résultats de la philologie. Que les choses ont marché depuis !
La conception était simpliste, trop simpliste pour être vraie, car la simplicité n’existe guère dans les faits et les choses de la science. A mesure que la petite peuplade des Aryas se développait, que le langage évoluait, se détachaient des essaims qui poussés les uns par les autres emportaient jusqu’au bout du monde la langue et les institutions de l’époque de leur séparation. Les Indiens, les Iraniens sont les ainés de la famille, les conservateurs les plus fidèles du langage et des institutions de l’époque primitive. Les Celtes, les Latins, les Grecs, les Germains, les Slaves, représentent des colonies sans cesse croissantes, s’éloignant de plus en plus pour peupler l’Europe encore déserte. A ces fils de Japhet l’immensité avait été donnée pour demeure.
En ces temps pourtant bien proches, on oubliait aisément l’existence des races qui ne rentraient point dans le cadre biblique, et l’affirmation de l’homme préhistorique était encore traitée de rêve par l’érudition officielle, de blasphème par celle de l’Église.
Mais on s’apercut bientôt que les grandes divisions linguistiques avaient entre elles des affinités complexes, tout autres que ne le comportait l’idée généalogique ; chacune d’elles était apparentée d’une manière particulière à plusieurs autres, et, chose inquiétante, ces parentés existaient entre peuples aujourd’hui voisins, corrélatives à la position géographique et non à l’ordre d’émigration des colonies supposées. Il fallut donc admettre que le déplacement des Aryens s’était seulement produit après la différenciation des grandes tribus, Celtes, Germains, Slaves, Indiens, etc., et que la position respective de ces tribus dans l’Arye primitive était la même que celle des peuples historiques. C’est ainsi que l’on fut amené à regarder l’Europe centrale comme le lieu de formation des tribus aryennes, qui auraient simplement divergé, gagnant du terrain chacune au droit de soi, à l’exception des Phrygiens, des Arméniens, des Iraniens et des Indiens qui auraient seuls accompli des migrations véritables. Il était plus logique en effet de regarder comme centre le pays où se trouvaient tant de nations aryennes, encore dans leur ordre d’affinité, plutôt que la lointaine Bactriane.
En même temps on faisait de bien autres découvertes. On s’apercevait que les races zoologiques de l’homme aujourd’hui répandues en Europe se trouvaient déja en place des milliers d’années avant le temps des Aryas. La notion de formation des peuples aryens par démembrement d’un peuple primitif était calquée sur celle de la formation des peuples en général formulée dans la Genèse. Ce qui était une cause de crédit devenait une cause de doute, depuis que l’ethnogénie biblique se trouvait mise en défaut par la découverte de l’antiquité de l’homme et par l’archéologie préhistorique. On s’apercevait aussi que le lithuanien et d’autres langues d’Europe avaient gardé des formes plus primitives que le sanscrit ou le zend, et tout récemment la critique, dépassant peut-être la vérité par un excès contraire, s’est efforcée de ramener à des temps très historiques l’antiquité fabuleuse des livres sacrés de la Perse et de l’Inde, jusqu’à faire l’Avesta plus récent que la littérature des peuples classiques. M. Darmesteter (Le Zendavesta, Paris, Leroux, 1893), conclut ainsi sur la date de ce livre réputé le plus ancien du monde : « Il a été rédigé tout entier apres la conquête d’Alexandre, entre le ie siècle avant notre ère, et le ive siècle après notre ère ». La rédaction zende, soit, mais les rédacteurs pouvaient avoir à leur disposition des documents vieux de quelques siècles, écrits en caractères araméens ou cunéiformes achéménides.
Le systéme de Muller n’a plus qu’un seul partisan, lui-même. Il est encore enseigné dans les établissements d’éducation, conservatoires de toutes les doctrines hors d’usage ; les philologues en sont arrivés peu à peu aux conceptions suivantes. Point de famille patriarcale ni même de peuplade aryenne primitive, mais un ensemble de peuplades nomades, répandues sur un vaste territoire, parlant des langues très apparentées, subissant une évolution linguistique collective vers les formes aryennes, chaque dialecte réagissant sur ses voisins. Dans cette masse touffue et complexe de dialectes indéfinis, une sélection qui faisait disparaître les plus faibles, donnant une aire d’extension considérable aux plus forts. Ainsi par la suppression des intermédiaires se formaient les grands groupes linguistiques, comme se sont formés plus récemment le français, l’espagnol, l’italien, langues issues d’idiomes locaux imposés à de vastes régions par des accidents historiques, et qui achèvent d’étouffer les innombrables idiomes sortis avec eux du fonds commun latin.
A cette théorie, résultante de l’ancienne doctrine des ondes de Schmidt et de plusieurs autres, s’est jointe une explication complémentaire de la simplification croissante des idiomes. La destruction des formes est due à la formation de sortes de sabirs dans les pays où la conquête superposait des peuples parlant des idiomes trop éloignés pour permettre de s’entendre, et dans les familles où le père et la mère ne parlaient pas la même langue.
C’est ainsi que les philologues sont arrivés à abandonner la théorie de l’origine unique et bactrienne des peuples aryens, des langues et des institutions aryennes.
Pays d’origine. — J’ai dit plus haut que les philologues étaient aujourd’hui d’accord pour regarder l’Europe centrale comme la région où s’est produite l’évolution des langues et des institutions aryennes. Il existe plusieurs autres opinions, dont les unes sont abandonnées et les autres n’ont pas pris faveur. De ces opinions les deux plus sérieuses sont celles qui placent l’origine de la culture aryenne dans les steppes de la Russie méridionale et en Scandinavie. La première a pour elle un fait généralement admis, c’est que les premiers Aryens menaient la vie de pasteurs nomades. Le steppe convient à merveille à ce genre de vie. A cet argument il est facile de répondre que la grande forêt Hercynienne, très développée au commencement de notre ère, avait succédé à des steppes, et que cinq ou six mille ans avant notre ère les fourrés impénétrables ou se débattaient Galates et Germains à l’époque historique pouvaient fort bien ne pas exister. L’hypothèse scandinave pèche par confusion entre deux choses : l’origine de la civilisation aryenne, et celle de la race dolicho-blonde considérée comme aryenne par excellence. Nous verrons que cette dernière s’est développée dans la région scandinave, dans les terres basses de la Mer du Nord et de la Baltique, mais à l’époque où s’est formée la civilisation aryenne, H. Europæus déversait l’excédent de ses essaims dans l’Europe centrale.
Si nous traçons sur une carte les lignes de migrations connues des peuples aryens, les prolongements des flêches se recoupent dans l’Europe centrale. Les migrations vers l’Inde et l’Iran venaient du N. O., celles des Arméniens et des Phrygiens de l’ouest ; les Grecs, les Latins ont marché du N. au S., les Gaulois, les Germains, du N. E. au S. O., les Scandinaves du S. au N., les Slaves du S. O. au N. E. Le réservoir duquel s’échappaient les migrations à l’époque historique se trouvait donc limité vers le sud par le massif alpin, les Balkans et la Mer Noire. Cette région est très vaste, mais il ne faut pas chercher à la circonscrire davantage. Les données du problème ont changé, il ne s’agit plus de retrouver l’emplacement de la hutte où vécurent en communauté les premiers Aryens ; ceux-ci constituaient déja un complexe de tribus nomades entre lesquelles il n’a jamais existé d’identité absolue de race, de langage et d’institutions.
Et si l’on nous demande ce qu’il y avait avant, nous répondrons qu’avant ce taillis humain il y en avait un autre, différant un peu de langues, d’institutions et de race, mais que jamais peut-être, si haut que l’on veuille remonter, on ne trouverait à toutes ces tribus une famille ancestrale unique, parlant une seule langue et vivant sous le régime de coutumes uniques. Nous retrouvons le conflit de la notion darwinienne des origines, et de la notion biblique, d’un monogénisme exclusif.
La région que nous venons de circonscrire renferme toutes les choses dont le nom se retrouve dans toutes les langues aryennes. Les philologues ont attaché une grande importance aux arguments de ce genre, et l’existence dans toutes ces langues d’un nom applicable d’abord au hêtre, qui vit seulement à l’ouest d’une ligne passant par Koenigsberg et Odessa, les a convaincus de l’origine occidentale de la civilisation aryenne. Je n’insisterai pas sur ce point. Les aires botaniques et zoologiques sont tellement variables qu’il serait très difficile de dire où se trouvait il y a sept ou huit mille ans la limite extrême du hêtre ou de l’anguille. Je me bornerai donc à renvoyer aux travaux de Penka et de ses devanciers.
Civilisation primitive des Aryens. — La méme méthode philologique a permis de faire des hypothèses d’une certaine vraisemblance sur l’état de civilisation des peuples aryens avant leur différenciation. Il n’existe point de noms d’origine commune pour les métaux et le travail du métal. On peut en conclure que la différenciation était déja complète avant que ces peuples connussent les principaux métaux. L’agriculture était rudimentaire et le blé inconnu. L’orge cependant paraît avoir été cultivé. Les hommes de l’époque magdalénienne connaissaient d’ailleurs déja cette graminée, dont ils nous ont laissé des dessins. Les animaux domestiques étaient surtout le chien, le mouton et le bœuf, celui-ci élevé en grands troupeaux qui faisaient la seule richesse de ce temps. Ce genre de vie ne comportait pas l’existence de populations denses, mais seulement de tribus demi-sédentaires, que les circonstances pouvaient parfois porter très loin. Le sol, plus herbeux que celui de la Tartarie, de l’Arabie ou du pays des Cafres, n’exigeait pas de continuels déplacements et d’aussi vastes parcours que ceux des tribus mongoles, arabes ou zouloues, mais il ne retenait pas non plus, comme le fait une terre appropriée, les populations que des motifs sérieux poussaient à chercher des demeures nouvelles au delà des terres du voisin.
Max Muller et Pictet ont donné une description de la vie des anciens Aryas qui ne manque point d’exactitude, si on laisse de côté le roman des mythes et si l’on restreint le sujet aux Aryas proprement dits de l’Airianem vaego et de la Médie, les ancêtres des Perses, des Mèdes et des Hindous. Ce rameau de la famille aryenne, venu par la Thrace ou par les steppes russes, la Crimée et le Caucase, avait longtemps vécu dans des conditions plus favorables à la vie pastorale. L’archéologie préhistorique nous montre dans l’Europe centrale une plus grande tendance à la vie agricole. La civilisation aryenne primitive n’était donc pas entièrement uniforme et comprenait tous les stades de passage entre le régime de la chasse et celui de l’agriculture sédentaire.
Race dominante chez les peuples aryens primitifs. — J’aborde une matière d’un intérêt plus direct, et qui ne me paraît pas avoir encore été traitée d’une manière satisfaisante. Il convient donc de serrer de plus près le sujet, et d’entrer dans plus de détails, car il n’existe pas de travaux auxquels je puisse renvoyer le lecteur.
Il convient d’abord de poser nettement la question. Quand on regardait les peuples aryens comme dérivés d’une seule famille, il était permis de se demander à quel type anthropologique appartenait celle-ci. Cette manière d’envisager les choses ne me paraît plus permise maintenant que tout le monde est d’accord pour regarder les peuples aryens comme provenant de l’évolution de peuples antérieurs. L’unité de type, possible au sein d’une famille, ne l’est déja plus dans une peuplade. Je ne crois pas que l’on puisse trouver dans le monde une peuplade entièrement homogène, et il paraît en avoir été toujours ainsi, pour lointain que soit le passé dans lequel nous remontions avec l’anthropologie préhistorique.
Pour que la question puisse étre résolue, telle qu’on la posait autrefois : quel est le type de l’Aryen primitif ? il faudrait que l’anthropologie préhistorique nous montrât une population homogène dans la région et à l’époque de la formation de la première civilisation aryenne. Il s’en faut qu’il en soit ainsi. La région étant celle au nord de la Seine, du massif alpin, des Balkans et de la partie occidentale de la Mer Noire, et l’époque celle du milieu et de la fin de la pierre polie, l’énumération des types humains parmi lesquels il faut choisir est fort longue. La question doit donc aujourd’hui se poser ainsi : parmi les races en présence chez les peuples aryens primitifs, quelle est celle dont la prépondérance sociale était telle que la civilisation pouvait être regardée comme la sienne ?
Il s’agit donc d’exclure les races représentées seulement par l’élément servile, par les peuplades sauvages existant à l’état d’inclusions au milieu des peuplades aryennes, par les étrangers, qui pouvaient être des esclaves venus de loin, des conquérants de passage, des aventuriers de toute espèce. Dans tout peuple, en effet, et à plus forte raison chez les peuples analogues à ces premiers Aryens et aux Indo-Chinois d’aujourd’hui, la distinction est nécessaire entre l’élément qui compte et celui qui ne compte pas, celui qui a une influence et celui qui vit inclus dans la société sans y jouer un rôle actif. Cette position moins simpliste du problème est plus conforme à la réalité, mais il faut bien dire que la solution n’en devient pas plus facile.
Cinq ou six mille ans avant notre ère, à l’époque la plus ancienne possible des commencements des peuples aryens, l’Europe centrale et la région britanno-scandinave nous montrent déja un mélange confus de types. Je les étudierai plus loin en détail, et me contente ici de les énumérer.
1° H. Europæus. Il existe partout, depuis les Îles Britanniques et le nord de la France jusqu’à Moscou et au lac Ladoga.
2° H. spelæus. La race dite de Cro-Magnon, qui parait venue du S. O. de Europe, et qui commence dès cette époque à ne plus être commune à l’état de pureté, ne se trouve que comme élément adventice dans la région qui nous occupe, mais les sépultures néolithiques fournissent des sujets qui s’y rattachent de plus ou moins près. On peut la mentionner seulement pour mémoire, mais il ne faut pas la passer sous silence.
3° H. meridionalis. La race méditerranéenne représentée par des sujets soit purs, soit mélangés avec les deux races précédentes, abonde dans les Long-Barrows de la Grande-Bretagne. Elle parait avoir joué un moindre rôle dans l’Europe centrale, mais on la trouve un peu partout.
4° H. contractus. Cette race, que j’ai d’abord distinguée dans les ossuaires cévenols de l’époque du cuivre, s’est retrouvée comme élément important dans plusieurs parties de la France. Elle parait y être venue du N. E., et il est probable qu’une étude plus approfondie la fera reconnaitre dans les séries néolithiques de l’Europe centrale.
5° Races pygmées. Les fouilles du Schweizersbild ont fourni des exemplaires d’un pygmée dolichocéphale leptoprosope, très différent de H. contractus, et dont l’existence comme race distincte peut étre admise.
6° H. hyperboreus. La race si caractérisée des Lapons a été retrouvée dans des dolmens et autres sépultures néolithiques en Danemark, en Suède, dans le nord de la Russie. Sa présence en Belgique semble établie par plusieurs pièces, notamment par un des crânes de Sclaigneaux.
7° Race de Borreby. Une autre race brachycéphale, mais à visage large et haut, et de taille fort grande, a été trouvée en plusieurs endroits, et notamment en Danemark, dans les Îles Britanniques, etc. Cette race n’apparaît que tout à la fin de l’époque néolithique. Elle résulte probablement du croisement de H. Europæus avec une race brachycéphale de haute taille, analogue à H. Dinaricus. Quelques pièces de l’Europe centrale peuvent appartenir à ce dernier. Ces grands brachycéphales ont été sans raison rapprochés des races mongoliques. Ils n’ont de commun avec elles que des caractères résultant de la présence de l’Acrogonus parmi les ancêtres communs de ces races métisses.
8° Race de Furfooz. Cette race, également métisse, a joué un rôle d’une certaine importance daus l’ouest de l’Europe centrale à la fin de l’époque de la pierre polie. Elle a été rapprochée sans plus de raison des Finnois, qui paraissent constituer des races métisses de formation récente, car les différents types actuels n’apparaissent pas dans les sépultures avant le Moyen-Age. On n’en trouve point trace dans les tombes néolithiques et protohistoriques de la Russie.
9° H. Alpinus. Je cite cette forme de métis d’Acrogonus pour mémoire, car je ne suis pas sûr qu’on puisse lui rattacher les divers crânes néolithiques regardés jusqu’ici comme celto-slaves.
10° Acrogonus. Je cite également pour mémoire ce type dont l’existence ancienne nous est surtout prouvée par celle de métis nécessairement formés sur place, car ils tiennent une partie de leurs caractéres des races locales de chaque région, depuis la Galice jusqu’au Tibet.
Je ne crois pas qu’il faille comprendre dans l’énumération H. Asiaticus, le type chinois, qui, originaire de la Kaschgarie, paraît avoir constamment marché vers l’est, ni son métis avec Acrogonus, le Mongol proprement dit, si malheureusement baptisé par Bory H. Scythicus[3].
De toutes ces races une seule se trouve partout dans les sépultures néolithiques, c’est le dolichocéphale blond, H. Europæus. Dans certaines régions on le trouve seul, avec des formes variables, mais souvent identiques à celles actuellement vivantes dans le même pays. Dans d’autres il est représenté par des exemplaires de race pratiquement pure et par des métis divers bien reconnaissables. Dans la plupart des pays on le trouve associé à des races différentes, représentées par une proportion d’exemplaires qui peut aller jusqu’à la moitié de l’ensemble. Parmi ces éléments, les brachycéphales deviennent de plus en plus nombreux vers la fin de la pierre polie et représentent des types fort divers dont la plupart ne correspondent à aucune race fixée aujourd’hui existante.
Les données que nous fournissent les sépultures de la pierre polie ne représentent probablement pas d’une manière exacte la proportion des races. L’étude attentive des sépultures permet de conclure que les crânes et les autres ossements appartiennent presque tous à des chefs ou à des familles au-dessus du commun et se rattachant d’une manière à peu près uniforme à H. Europæus, sauf les accidents de métissage résultant du croisement avec des races différentes occupant une situation sociale inférieure. Il est très rare en effet que ces sépultures nous donnent des individus bien typiques de races autres que la dolichocéphale blonde. Les sujets qui ne se rattachent pas à cette race sont ou paraissent être d’ordinaire des femmes empruntées aux classes inférieures ou aux races sauvages vivant juxtaposées à la civilisation aryenne, des métis résultant de ces croisements imprudents, et quelquefois de simples esclaves égorgés pour accompagner leurs maîtres dans l’autre monde. Les représentants, probablement plus nombreux qu’on ne pense, de ces esclaves de race étrangére et de ces sauvages vivant en marge de la civilisation relative des Aryens, paraissent n’avoir pas pratiqué de modes de sépulture susceptibles de transmettre leurs ossements jusqu’à nous.
Je citerai comme exemple typique H. contractus, dont les seuls exemplaires rigoureusement purs sont tous féminins.
Nous arrivons à cette conclusion que la classe dominante chez les Aryens primitifs était dolicho-blonde. Que cette prédominance ait été à la fois sociale et numérique, ou sociale seulement, cela importe peu. Chez un peuple la civilisation et la langue sont regardées comme propres aux maîtres, bien que partagées par les esclaves, les serfs et les étrangers. La question se trouve ainsi résolue par l’identification, dans le sens et dans la mesure indiqués plus haut, de H. Europæus et de l’Aryen.
Cette thèse diffère à la fois de celle de Penka, qui regarde le dolichocéphale blond comme ayant seul constitué les peuples aryens, et de celle de Mortillet ou de Topinard, qui font des brachycéphales les seuls et véritables Aryens de race, de culture et de langue.
Je regarde la thèse de Penka comme fautive en ce sens qu’elle suppose une absence peu vraisemblable de rapports sociaux entre les dolicho-blonds de l’époque protaryenne et les brachycéphales qui vivaient avec eux. Penka et Wilser cherchent en vain à se soustraire à cette objection en plaçant dans la Suéde méridionale leur berceau des Aryens. Cette localisation ne paraît exacte que pour les Germains primitifs. La contrée aurait été trop étroite pour les divers peuples aryens, qui ont été différenciés dès l’origine à un degré qui suppose un certain éloignement géographique. D’autre part on a trouvé en Scanie méme des brachycéphales dans les sépultures néolithiques. Enfin il est bien certain que, dès une période reculée de l’époque néolithique, H. Europæus avait déjà une aire d’extension très vaste autour de la Mer du Nord et de la Baltique méridionale.
L’hypothèse brachycéphale. — La thèse de Mortillet et de Topinard est encore moins soutenable. Elle est une des formes du mirage oriental. Les brachycéphales, dans la conception de ces deux auteurs, seraient venus d’Asie, apportant la hache polie, amenant les animaux domestiques. Ils auraient introduit le blé, les plantes et les arbres utiles. Or dans les Kiökkenmödding portugais, dans les grottes de la région des Corbières, ailleurs encore, le brachycéphale paraît antérieur à l’époque néolithique. Il n’est donc pas venu avec la pierre polie. En sens inverse, les dépôts asyliens des Pyrénées nous montrent le blé cultivé dès le cinquième interglaciaire, bien avant l’époque de la pierre polie. Ces mêmes dépôts nous fournissent des fruits du noyer, du prunier, du cerisier et d’autres arbres d’origine réputée asiatique, déja modifiés par la culture. Les animaux domestiques de l’époque néolithique appartiennent en majorité à des races africaines, le bœuf notamment. La hache polie n’est pas davantage d’importation asiatique. Elle est rare en Asie, ou elle a été introduite tardivement. Son origine est africaine. L’évolution se suit dans les dépôts paléolithiques africains depuis la forme acheuléenne jusqu’à la forme la plus parfaite de l’époque néolithique. Ces diverses importations ont été faites plutôt par les méditerranéens.
Enfin, partout où nous trouvons le brachycéphale dans les stations néolithiques, il y paraît comme élément accessoire. On ne peut plus douter par exemple que les crânes brachycéphales des palaffites de Suisse proviennent de trophées de guerre, j’allais dire de chasse, car les sépultures de la population des palaffites, comme on le verra plus loin, prouvent qu’elle a été constamment dolichocéphale.
En Asie, d’autre part, nous ne trouvons aucune trace, soit en Asie-Mineure soit dans la Bactriane, d’une ancienne civilisation brachycéphale aryenne. Il y avait bien une civilisation, mais non aryenne, il y avait bien des brachycéphales, mais non aryens.
Les partisans de l’identification des Aryens avec les brachycéphales néolithiques sont cependant encore assez nombreux. Outre Mortillet, Topinard, il faut citer Sergi, Ripley, et dans un camp différent Taylor. Enfin la campagne antisémite de Drumont comporte une revendication du titre d’Aryens pour les brachycéphales. La noble bête de proie blonde de Nietzsche n’est pas beaucoup plus sympathique aux antisémites que le Juif lui-même. M. Drumont n’aime pas les Anglo-Saxons, et peut-être n’a-t-il pas absolument tort, car peu importe au brachycéphale le profil nasal de son maître. Je n’étonnerai que les esprits frivoles en disant que de nos jours Drumont est le seul tenant de l’idée profonde de la Révolution. Celle-ci a été avant tout la substitution du brachycéphale au dolicho-blond dans la possession du pouvoir, et la campagne antisémite a pour but la défense du brachycéphale contre le Juif au dedans, contre le dolicho-blond au dehors. En raison de l’importance du mouvement antisémite, et de la notoriété que le nom des Aryens a acquise dans le public par sa propagande, il n’était pas inutile d’indiquer dans quel sens il doit être entendu quand il apparaît dans une polémique de quotidiens.
Ainsi donc, quand dans un livre il est question de civilisation aryenne, de langues aryennes, de religions aryennes, on s’entend à peu près ; il n’y a d’inexactitude que dans le fait de prendre la partie pour le tout, procédé onomastique facile et courant, mais sujet à critique. S’il s’agit d’hommes au contraire, l’image évoquée par le nom d’Aryen doit différer avec l’auteur. Si vous lisez Mortillet, Topinard ou Drumont, l’Aryen devra vous apparaître avec les traits du marchand de marrons du coin ; il est Piémontais, Auvergnat, Savoyard, un brachycéphale avéré. Si l’auteur est Ammon, Penka, le pur Aryen, c’est John Bull débarquant sa valise à la main. Pour Virchow et pour moi, le globe trotter et le marchand de marrons sont tous deux Aryens, mais le plus Aryen, c’est le trotter, l’autre est Aryen comme un domestique est de la maison.
De tout ce qui précéde il faut conclure à la nécessité de faire disparaître de la terminologie anthropologique tous les termes qui ne sont point linnéens, conformes aux règles zoologiques de nomenclature. Chaque fois qu’il s’agit d’une race zoologique, le nom en -us s’impose, rituellement donné d’après les canons du baptême taxinomique. Chaque fois qu’il s’agit d’un peuple, d’une race ethnographique, s’abstenir du nom en -us, car il n’y a point de peuple dont le métal vil ou précieux soit sans alliage, le nom qui s’impose doit être emprunté à l’histoire. C’est pourquoi le terme d’Aryen peut être à sa place dans un ouvrage d’ethnographie, mais ne peut être employé que par licence, et pour être compris des lecteurs, dans un ouvrage d’anthropologie pure ou appliquée. Je l’emploierai donc seulement dans les titres, pour que le lecteur non initié ne soit pas dépaysé ; dans le texte si j’en fais parfois usage ce sera avec le sens ethnographique, qui est légitime, rarement avec le sens illégitime et pour éviter la répétition multiple et rapprochée du très inharmonieux vocable Homo Europæus.
CHAPITRE DEUXIÈME
Caractères généraux. — « Albus, sanguineus, torosus, pilis flavescentibus prolixis, oculis cœruleis ; levis, argutus, inventor ; tegitur vestimentis arctis ; regitur ritibus. » (Linné, Syst. nat.) — Taille moyenne masculine adulte voisine de 1 m. 70, moindre dans l’antiquité, plus grande en Scandinavie et dans quelques États de l’Union américaine ; indice céphalique moyen du vivant 72 à 76, du crâne sec 70 à 74, en voie d’élévation par élargissement de la partie antérieure du crâne ; amplitude de variation cinq unités environ au dessus et au dessous de la moyenne de chaque sous-race ; face grande, leptorhinienne, leptoprosope ; conformation générale longiligne.
La diagnose lapidaire de Linné met en œuvre pour déterminer Europæus ses caractéres physiques, psychologiques et sociaux. Le grand naturaliste a saisi la nécessité de définir les races humaines par les caractéres spéciaux à l’homme en même temps que par ceux de sa structure animale. Linné fait à la fois de la zoologie et de l’anthroposociologie.
A cette diagnose la science moderne n’a pas eu grand’chose à ajouter. Les caractères déterminés depuis Linné, taille, indices, ne sont pas spéciaux à Europæus. Les caractères vraiment propres, que ne possède à l’état pur aucune autre race, sont les cheveux blonds et les yeux bleus.
Europæus a la face grande, haute, doublement convexe, c’est-à-dire que de profil le nez et la mâchoire supérieure sont en avance, le front, le menton en retrait, que de face, la partie moyenne est en saillie, et le second plan reculé. Le nez, haut, étroit, saillant, est droit ou convexe, nettement busqué ou aquilin chez les adultes robustes. La longueur du dos augmente avec l’âge, et le bout se trouve ainsi prolongé ou recourbé. L’oreille est assez grande, lobée, ourlée, appliquée. Le menton est saillant ainsi que l’arcade sourcilière. L’ensemble de la physionomie est énergique, et cette énergie calme se retrouve dans l’expression du regard.
Le cou est long, surplombé en arrière par la saillie de l’occiput, les épaules un peu inclinées, la poitrine un peu déprimée en haut. Le torse est long, la taille fine, longue, cambrée. De dos le dolicho-blond se distingue sans difficulté des autres races par les formes élégantes du cou, du tronc et surtout de la taille.
Les membres sont longs, surtout les postérieurs, les attaches sont fines, les doigts longs, garnis d’ongles longs et le plus souvent tuilés.
Le visage est vermeil, la peau du corps et des membres blanche, plus ou moins rosée ; les muqueuses, l’aréole du sein sont roses, le pigment périnéal clair, les villosités peu abondantes, de couleur très claire. Les poils de l’aisselle et du pubis, développés, sont blond roux ou gris de lin.
Anatomie. — Le squelette d’Europæus et de ses diverses variantes a fait l’objet de nombreuses recherches. Les unes ont pour objet l’Europæus défini d’une maniére zoologique, les autres portent sur des populations qui contiennent une telle majorité d’Europæus que les résultats sont applicables à celui-ci d’une manière indirecte. Ainsi presque tous les travaux sur les Anglais, les Suédois. Pour les organes mous, la première catégorie de travaux fait à peu près défaut. Ceux qui ont étudié le cerveau, l’appareil digestif, l’appareil génital ne se sont pas préoccupés beaucoup de la race de leurs sujets. Il serait très utile d’avoir la monograpbie du cerveau, par exemple, dans les différentes races, mais nous devons nous contenter des descriptions du cerveau anglais par les anatomistes anglais, et ainsi de suite.
Le crâne d’Europæus est allongé, ovoïde, convexe sur les côtés et en dessus. Il se différencie ainsi des crânes méditerranéens dont les courbes supérieure et latérale sont surbaissées, ou plus exactement appartiennent à de plus grands cercles. L’inion est saillant, bien marqué, la région sous-iniaque ne tend pas à former de l’inion à l’opisthion une courbe de court rayon, une bosse post-opisthiaque dirigée en bas, comme chez contractus. Les bosses pariétales sont modérées. Le front, assez haut, un peu incliné chez l’homme, plus droit dans certaines variantes, s’appuie sur une glabelle et des arcades sourcilières d’autant plus marquées que le sujet est plus vigoureux. L’apophyse orbitaire externe est recourbée, à la différence de spelæus chez qui elle est droite et horizontale.
La face est haute, assez large d’une manière absolue, mais étroite en raison de la grande hauteur. Les malaires sont bien marqués, un peu en crochet vers le bas. Les maxillaires sont forts. L’orbite est grande, méso ou mégasème suivant la race, l’âge et le sexe, les angles arrondis, l’intervalle interorbitaire médiocre. Les races diffèrent au point de vue du prognathisme ; en général et chez les anciens Germains en particulier, on trouve du prognathisme total, et surtout un prognathisme alvéolaire marqué ; chez d’autres races, en Danemark, en Angleterre, en Suède, le prognathisme est faible ou nul. Topinard donne pour 34 Gaulois ou Gallo-Romains le chiffre de 80.3, pour 11 Scandinaves modernes 80.1, pour 42 Francs 76.5, ces derniers sont bien plus prognathes.
Le nez est haut, étroit. Topinard donne pour indice nasal des Gaulois 45.8, des Anglais actuels (crânes) 46, des Frisons, 46.3. Hamy a trouvé sur des Mérovingiens 46.4 et 47.4 pour les sujets de Hardenthun et du Boulonnais (Crânes mérovingiens et carolingiens, Anthropologie, 1893, IV, 543-534). Ces moyennes sont encore celles des peuples dolicho-blonds d’aujourd’hui.
Les os longs du squelette n’ont pas encore été étudiés d’une manière suffisante. Les caractères qui attirent l’attention chez les néolithiques, perforation de l’humérus, colonne du fémur, platycnémie du tibia, sont absents chez Europæus. Je crois cependant que le premier et le dernier ne devaient pas être rares chez Europæus néolithique, mais comme on ne sait en général à quel crâne rapporter les ossements qui figurent dans les collections, il est difficile d’affirmer que les os présentant ces caractéres n’appartenaient pas à des métis ou à des individus de race différente. Je puis cependant déclarer, d’aprés mes observations personnelles, que le tibia des individus de race Europæus était souvent comprimé. Cette compression, que Manouvrier distingue avec soin de la platycnémie véritable, est bien évidente sur des sujets dont je possède les squelettes entiers, et dont le crâne est d’Europæus.
Les os courts et plats ont encore moins attiré l’attention. C’est une lacune regrettable dans nos connaissances.
L’anatomie de race étant peu avancée, on doit s’attendre à ce que les parties molles soient encore moins connues. De fait nous ne savons à peu près rien de l’angiologie, de la myologie d’Europæus. Pour la splanchnologie les données sont moins rares, mais ne portent que sur le cerveau et l’appareil génital. Les planches des anatomistes anglais nous renseignent plutét sur le cerveau d’Europæus que sur le cerveau en général, mais le travail n’a pas été fait dans un esprit de comparaison. Il est pourtant évident, si l’on met à nu le cerveau d’un Europæus et celui d’un Alpinus, que si toutes les parties sont les mêmes, les détails des plis varient, et que leur position respective est modifiée d’une manière appréciable, le premier cerveau étant bien plus long et moins large[4]. Le seul travail sérieux que je connaisse est la monographie du cerveau des Lettes, peuple lithuanien, par Weinberg (Das Gehirn der Letten, Cassel, Fischer, 1896), illustrée de photogravures. La thèse de doctorat de Weinberg (Die Gehirnwendungen bei den Esten, Dorpat, Mattiesen, 1894) est sans planches et porte sur un nombre trop restreint de sujets. Puissent les anatomistes abandonner l’anatomie cérébrale classique pour l’anatomie systématique par races ; le jour où leurs travaux auront fourni des matériaux suffisants, l’anthroposociologie pourra se fonder sur des bases plus précises que la crâniométrie.
Les travaux de Weinberg ne comportent de comparaison possible qu’au point de vue du poids du cerveau. Boyd a trouvé, pour 306 cerveaux masculins de 21 à 50 ans, vraisemblablement presque tous britanniques, un poids moyen de 1.359 grammes. Meyer et Heiberg, sur 90 cerveaux masculins du méme âge, d’un Hôpital de Copenhague, et probablement en grande majorité danois, ont trouvé 1.363. Dix Lettes ont donné à Weinberg un poids plus fort, 1403 grammes. Méme différence pour les femmes, 1223, 1226, 1250.
L’appareil génital, du moins celui de la femme, est d’une importance anthropologique très considérable. Les gynécologistes observateurs prétendent reconnaitre la race d’une femme à la seule inspection des organes génitaux. De fait, chez les femmes d’Alpinus et d’Europæus, la conformation de toutes les parties de l’appareil est aussi différente que celle du squelette crânien et les formes générales. Les grandes lèvres très développées accusent chez Europæus ♀ une évolution très avancée. Cette race s’écarte le plus de la forme simienne, sans grandes lèvres distinctes. Les petites lèvres sont grandes, moins cependant que chez certaines races africaines, et sans pigmentation[5]. Les organes externes sont volumineux, placés plus en bas et en arrière que chez la femme Alpinus. C’est un caractére d’infériorité, que nous trouvons chez les singes : la vulve de la femelle est presque toujours chez ceux-ci plus ou moins visible en arrière. Par ce caractère la femme Europæus se rapproche des races dolichocéphales noires, et surtout des mélanésiennes, qui pratiquent naturellement le coït more pecudum. Le vagin est ample et long, l’utérus plus allongé que chez la femme Alpinus, terminé par un col très allongé. Cette conformation différente de l’utérus des deux races principales de nos populations aboutit chez les métisses à une fréquente déviation, cause d’infécondité. L’utérus conformé sur un modèle différent à droite et à gauche ne présente plus son orifice dans l’axe du vagin, et la fécondation devient une affaire de hasard.
Les différentes conformations de l’hymen se trouvent chez la jeune fille, mais le type du diaphragme à ouverture centrale m’a paru prédominer d’une maniére plus marquée.
L’appareil génital masculin ne présente de remarquable que son volume, en rapport avec la cavité des organes féminins, et la tendance au développement du prépuce. Le premier caractère rapprocherait Europæus d’Afer, si la verge longue et volumineuse de celui-ci n’était en même temps flasque et incomplètement érectile. Le second caractère, déjà observé par les Grecs et très indiqué par leurs statuaires, prédispose au phimosis et marquerait la race comme destinée à la circoncision.
L’histologie d’Europæus est tout entière à faire. Nous avons seulement des notions approximatives sur la cellule cérébrale et sur les cheveux, ces derniers de coupe elliptique, comme chez la généralité des races dolichocéphales. Le pigment, d’une maniére générale, est rare, les chromoblastes sont dans un état de dégénérescence qui sera étudié au chapitre suivant.
Physiologie. — La physiologie de race est encore a faire, celle de notre race comme les autres. Elle est dominée par deux faits fondamentaux, le tempérament lymphatique, et la puissance des échanges quand l’individu est mis en mesure de réagir contre son tempérament. Europæus est grand mangeur, grand buveur, ce qui le place dans une condition économique fâcheuse pour la concurrence avec les races plus sobres. L’exigence de ses besoins est peut-étre un des éléments principaux qui déterminent les sélections sociales par déplacement. Le travail qu’il fournit est d’ailleurs plus élevé, en raison de la consommation qu’il fait. Les excreta sont abondants, surtout les sueurs qui deviennent intenses sous l’influence du travail et de la chaleur, même modérés.
La physiologie pathologique d’Europæus est peu connue, mais l’aptitude plus grande à certaines affections est marquée. La myopie, la hernie sont plus fréquentes que chez les autres races. Le lymphatisme entraîne une prédisposition à toutes sortes de maladies. La scrofule, la blennorhagie sont particulièrement répandues et graves. La tuberculose pulmonaire cause une mortalité proportionnelle bien plus forte chez Europæus que chez Alpinus. Les hôpitaux n’ont pas encore l’habitude de relever les caractéres anthropologiques de leurs clients et d’établir une statistique des maladies par races, mais le travail a été fait individuellement dans plusieurs pays. Landouzy en France, Beddoe en Angleterre ont constaté l’aptitude majeure des dolicho-blonds à la phtisie. En Amérique Knapp a trouvé 477 dolichocéphales sur 484 cas de tuberculose. Pour diverses maladies à terminaison rapide, la suette miliaire par exemple, la race exerce une influence marquée. Dans l’Ouest, les épidémies de suette ont enlevé parfois la totalité des blonds d’un village, respectant les bruns. Comme les dolicho-blonds sont rares au dessus de l’altitude de 100 mètres, très rares aux altitudes élevées, il en résulte que les maladies auxquelles cette race est prédisposée sont plus rares dans les montagnes et sur les hauts plateaux. C’est ce qui paraît probable pour la tuberculose, et à peu près certain pour le trachome, d’après les recherches de Chibret (Étude de géographie ophtalmologique sur le trachome, Paris, Steinheil, 1896).
Le tempérament d’Europæus comporte une exacte adaptation à un climat particulier. Sous ce climat, la race est remarquablement vivace et féconde. J’ai montré dans Sélections sociales (p. 182-183) la longévité plus grande des peuples dolicho-blonds. Il semble au contraire que sous des climats différents la résistance d’Europæus soit très diminuée, même inférieure à celle des autres races au milieu desquelles il vit. Ce phénomène n’est pas propre aux régions chaudes. On l’observe même dans le midi de la France et dans toute l’Europe méridionale. En Algérie les dolicho-blonds ne parviennent pas à s’acclimater. La disparition des colonies alsaciennes et prussiennes d’Algérie a été très remarquée. Je dois ajouter que cette élimination a été fortement aidée par les habitudes d’intempérance. On ne peut toutefois expliquer seulement par cette intempérance des parents l’excessive mortalité infantile qui a été la cause principale de la disparition de la colonie prussienne sous l’Empire et de celles des Alsaciens après la guerre. Les colonies allemandes de l’Amérique du Sud ne résistent pas davantage. On peut objecter l’exemple des Boers, qui sont de purs Europæus, et celui des anciens Libyens, mais les Boers résisteront-ils au Transwaal, c’est ce que nous ne pouvons affirmer. Ils résistent au Cap, mais le climat est moins chaud, bien plus humide. Quant aux Libyens, ils ont existé en Afrique à une époque où le climat était tout autre, et depuis deux mille ans ces peuples qui vivaient alors à la façon des Boers, promenant leurs troupeaux et leurs chariots dans les pâturages et les forêts, se sont graduellement éteints laissant la place à des races mieux faites pour le climat nouveau.
Ce phénomène de moindre résistance des Europæus hors de leur climat naturel est accompagné d’un phénomène menaçant et significatif. La supériorité physique et psychique d’Europæus, taille, force, virilité de caractére, paraît ainsi que la longévité dépendre d’une plus longue durée de la croissance, ou plus exactement d’un prolongement de l’enfance et de l’adolescence. La puberté est très tardive chez Europæus dans son pays natal, et ce n’est pas un fait contesté que la puberté soit le signal d’un arrêt du développement physique et psychique chez toutes les races. Or ce caractère si important est perdu d’emblée par Europæus dans les pays chauds, et même tempérés chauds. En Italie, dans le midi de la France, en Espagne, la puberté des dolicho-blonds est de deux ou trois ans plus précoce. Chose remarquable, elle est même plus précoce en général que celle des autres populations. Aux Antilles, les créoles blondes sont réglées presque aussitôt que les négresses. Cette avance de la puberté paraît en rapport direct avec le moindre développement physique et la moindre virilité morale des créoles Europæus, comparés à leurs congénères d’Écosse, de Suède ou de Poméranie.
Races. — Europæus présente une grande uniformité de caractères, et les variantes individuelles dépassent en général les limites des diverses sous-races que l’on chercherait à établir. Il est certain cependant que l’évolution d’Europæus a dû comporter une série de nuances intermédiaires à partir de la race dont il est dérivé, certain aussi que les milieux un peu différents dans lesquels se sont faites les évolutions spéciales des divers peuples de race Europæus ont dû imprimer à ces peuples des caractéristiques un peu différentes. Par suite du mélange ou d’autres raisons, on voit aujourd’hui, partout où vit le blond, ses diverses formes coexister en proportions variables.
Les sous-races réellement discernables sont au nombre de trois.
La première est surtout néolithique. Au point de vue ostéologique elle se distingue par une taille moindre, un indice céphalique moyen plus faible, oscillant autour de 72. Les courbes du crâne sont moins convexes, Jes tibias souvent affectés de platycnémie fausse. Je crois que cette race, qui représente un développement encore incomplet d’Europæus, devait être blond foncé ou châtain clair, avec une propension individuelle à l’érythrisme. Nous connaissons l’ostéologie de cette race par les sépultures néolithiques, surtout par celles d’Angleterre et de France. Je n’insiste pas, j’aurai à en parler dans le chapitre iv, au sujet des néolithiques d’Angleterre et de France. L’aspect extérieur nous est connu par des centaines de portraits peints sur les murs des tombes égyptiennes, depuis la quatrième dynastie jusqu’à la fin de l’époque des Pharaons. Nulle part nous ne trouvons le blond cendré, caractéristique de la forme la plus parfaite d’Europæus.
Comme éléments vivants on peut rattacher à cette race la plupart des dolicho-blonds de l’Afrique du Nord, une grande partie de ceux de l’Espagne, du S. O. et du midi de la France, et peut-être beaucoup d’habitants des Îles Britanniques et de la France. On trouve d’ailleurs un peu partout des exemplaires de cette variété, mais en dehors de ces régions on ne peut soupconner si l’on a affaire à un cas d’hérédité ou à une variation individuelle. Il tombe sous le sens que dans les autres fractions de la population Europæus il peut naître des individus un peu moins robustes, un peu moins blonds, à crâne un peu moins convexe.
Cette première sous-race présente des analogies avec le méditerranéen brun, H. meridionalis. S’agit-il d’une variation ostéologique parallèle, faut-il y voir la trace d’une origine méditerranéenne partielle de la race ou d’un croisement ancien, faut-il regarder au contraire le méditerranéen brun comme le descendant plus ou moins croisé de noirs, plus ou moins guéri de son demi-vitiligo, plus ou moins dégénéré de la première sous-race ? Je ne crois pas qu’il soit possible de résoudre ces problèmes. Il est possible d’ailleurs que ces diverses propositions, qui ne sont point incompatibles au fond, soient toutes exactes dans des catégories de cas.
Dans sa Fauna suecica, Linné a établi deux autres sous-races.
4° Les hommes qui habitent la Suède sont :
α. Les Goths, de haute taille, aux cheveux presque blancs et droits, à l’iris d’un bleu cendré ;
β. Les Finnois, bien musclés, aux cheveux longs et jaunâtres, à l’iris foncé.
Ces deux sous-races paraissent représenter deux stades d’évolution d’Europæus, le type Finnois représentant une fraction attardée dans son évolution, le type Goth le résultat jusqu’ici le plus parfait de l’évolution plus longuement continuée.
Les anthropologistes actuels distinguent ces deux types d’une manière plus complète, sous les noms de type blond et type roux. Je commencerai par le dernier, qui représente l’état le moins avancée.
La caractéristique fondamentale du type roux est la persistance d’une plus grande quantité de pigment, une moindre altération de sa nature, et surtout un mode de répartition particulier de ce pigment. J’aurai à étudier plus loin la théorie de la pigmentation et celle de la dépigmentation. Je serai donc très bref ici, où la question se présente d’une manière incidente, mais inévitable.
Chez les roux le pigment n’est pas seulement dégénéré, tournant au brun plus ou moins rougeâtre, mais il est réparti d’une manière inégale, par petits amas. Entre les groupes de cellules pigmentées se trouvent de vastes lacunes sans pigment, ou pour parler d’une manière exacte, le pigment semble s’être retiré, concentré dans des groupes plus ou moins vastes, plus ou moins éloignés de cellules. Sur la peau le fait est visible sans procédés techniques, il suffit de regarder avec soin la peau des roux pour constater qu’elle est semée de taches roussâtres sur un fonds dépigmenté. L’étude histologique de l’iris montre également le pigment rassemblé par places, quelquefois en traînées. Suivant le mode de répartition du pigment raréfié, l’œil paraît vert, gris ou jaunâtre à bordure extérieure plus foncée. Dans les poils, les groupes sont plus petits, plus nombreux, et le cheveu d’autant plus rouge que la répartition est plus irrégulière. Si toutefois le pigment devient très rare et très faible, le roux devient jaunâtre, teinte qui se différencie très bien du blond.
L’érythrisme peut étre pathologique. Quand il est naturel, il se trouve ou chez des métis de dolicho-blond et de dolicho-brun, ou comme caractére ethnique. Je ne parlerai pas du premier cas, toujours individuel et véritablement rare. Naturel et chez les métis précités, l’érythrisme n’est pas rare, mais il ne peut, d’une manière nécessaire, se rencontrer que d’une manière exceptionnelle, et dans certains pays seulement où le dolicho-brun se trouve en nombre. En Espagne, les mineurs anglais amenés par les compagnies pour l’exploitation de certaines mines ont produit avec les femmes du pays de magnifiques sujets à chevelure d’un fauve ardent qui ont fait l’objet de plusieurs études. Le cas se produit encore, mais d’une manière moins normale, chez les mulâtresses filles d’Europæus. Toute cette catégorie de roux ne comprend qu’un nombre limité d’individus et n’a pas d’importance majeure.
Il n’en est pas de même de l’érythrisme ethnique. Le type roux et sa variété jaunâtre sont très répandus chez les peuples finnois, chez les Russes, à cause peut-être de l’origine finnoise de la majorité de la nation, chez les Allemands et en Écosse. Les rutilæ comæ des Calédoniens se retrouvent encore aujourd’hui. Dans tous ces cas, l’érythrisme paraît hérité, il constitue un caractère de race. Il semble que chez une partie des peuples qui ont formé la variété Europæus la dépigmentation se soit faite d’une manière irréguliére. La répartition du pigment ressemble beaucoup à celle des sels d’argent dans un cliché ou dans une photocopie en voie de fixation dans l’hyposulfite. L’atténuation de la couche chimique est générale, mais irréguliére ; l’hyposulfite dégage d’abord des petites taches irrégulières, qui se réunissent, laissant entre elles des îlots sombres plus ou moins grands, plus ou moins rapprochés. C’est exactement ce que nous montre à l’œil nu la peau du roux, et au microscope la préparation histologique de son iris ou de ses cheveux.
Qu’il en ait été ainsi, nous n’en savons rien, mais il est évident que la dépigmentation n’a pas dû se faire d’une manière lente et progressive chez tous les individus, qu’elle a subi chez certains autres, peut-être plus foncièrement pigmentés, des vicissitudes particulières. Ce qui est certain c’est que nous trouvons dans plusieurs régions une proportion de roux qui dépasse les limites possibles de la variation individuelle et suppose l’hérédité du caractère depuis des temps reculés. Les auteurs classiques, la Bible et les Védas nous montrent d’ailleurs des roux dès une époque éloignée de nous de deux mille à deux mille cinq cents ans, les peintures égyptiennes de l’Ancien-Empire nous permettent même de remonter de six mille ans dans le passé.
Le roux peut être franc, chatoyant ou jaune. Le roux chatoyant possède de merveilleux reflets de feu dus surtout à des phénomènes d’interférence. Vus à la lumière diffuse et l’observateur le dos tourné à la source lumineuse, les cheveux de cette catégorie paraissent presque noirs, dans les conditions inverses ils deviennent une auréole de métal flamboyant. Ce roux est le plus fréquent chez les métis. Le roux jaune est au contraire ethnique, on le trouve surtout chez les peuplades ougriennes d’Asie, et les Chinois ont décrit il y a deux mille ans les Ouïgours à cheveux jaunes.
Le type blond est caractérisé par l’insuffisance et la distribution régulière du pigment. Au reste, par l’ostéologie et les caractères généraux, il ne différe en rien de l’autre type. Si la taille des Ostiaks jaunes est plus petite que la moyenne d’Europæus, celle des roux Écossais est parmi les plus grandes. L’indice céphalique des blonds et des roux oscille en moyenne autour de 74 ou 76 suivant les peuples, et l’étude du crâne ne donne aucun caractère différentiel d’une fixité suffisante. Prenez des lots de crânes germains, yankees, scythes ou suédois, pourvu que vous en ayez des nombres suffisants pour noyer les cas individuels, les séries se ressembleront toutes. La coloration du type blond varie du blond foncé au gris de lin ; les cheveux des jeunes enfants sont parfois d’un blanc argenté. Toute teinte de jaune, de châtain, rattache le sujet à l’autre race.
L’étude des populations urbaines et de celle des États-Unis a montré que ces catégories sélectionnées associaient avec une remarquable fréquence l’indice faible d’Europæus avec une pigmentation plutôt forte. En d’autres termes, les indices sont plus dolichoïdes que chez les populations qui servent de comparaison, et cependant la nigrescence est égale ou supérieure dans la plupart des cas. Elle devrait toujours être moindre. Pourquoi n’en est-il pas ainsi ? Beddoc, Ammon et beaucoup d’autres ont cherché l’explication de ce phénomène dans des causes très compliquées. De fait, l’intervention des dolicho-bruns et des Juifs augmente dans certains cas la nigrescence, tout en abaissant l’indice, mais ces éléments ne se rencontrent pas partout en quantité suffisante, et le Juif lui-même n’est pas régulièrement brun, ni dolichocéphale. J’ai été amené à me demander si le flavisme et l’érythrisme, caractéristiques d’Europæus, ne pouvaient pas disparaître d’une manière naturelle sans que les autres caractères physiques ou psychiques fussent altérés.
En somme, si la dépigmentation est, comme nous le verrons bientôt, un phénomène semi-pathologique, un caractère nouveau acquis dans des conditions particulières, on comprend très bien qu’elle puisse en quelque sorte guérir, ou subir l’influence soit de l’atavisme, soit d’une variation nouvelle dans le sens de la coloration normale. Je me suis demandé par suite, si nombre d’individus de coloration plus ou moins foncée, mais Europæus par tous les autres caractères, n’étaient pas des Europæus guéris, ou une variété nigrescente en voie de formation. Cette hypothèse n’est qu’une hypothèse, mais elle expliquerait aisément certains faits d’une étiologie fort obscure, et certainement elle est logique.
Que l’individu se défende en faisant de la pigmentation, c’est un phénomène bien connu de tous les biologistes. Il y a plus, nous voyons un phénomène analogue s’accomplir sous nos yeux. Chez toutes les populations qui ont tant soit peu de sang Europæus, les enfants ne naissent généralement pas très bruns. Ils naissent plus ou moins blonds puis ils foncent. Les statistiques scolaires sont très affirmatives, la proportion des blonds diminue dans toute l’Europe, et même dans les pays les plus blonds, des écoliers de 7 à 8 ans à ceux de 12 ou 14, de ceux-ci aux conscrits, puis à l’âge adulte. Cette nigrescence tardive s’observe facilement sur l’individu. Les cheveux de la première coupe, religieusement conservés par les bonnes mères, sont souvent un objet d’étonnement pour l’adulte. Chez les filles, la pointe de la natte est toujours d’une teinte plus claire. Quand les anthropologistes mettent des enfants en observation, leur premier acte est de couper une mèche des cheveux, et ils échantillonnent de nouveau chaque fois qu’ils répètent leurs mesures, ou tout au moins chaque année. C’est ainsi qu’ils se constituent la « gamme unique », c’est-à-dire une échelle de nuances provenant d’un même individu, exempte des défauts que présente la gamme ordinaire, faite avec des cheveux de provenance différente prélevés chez les marchands en gros spécialistes.
D’ordinaire on explique cette nigrescence tardive par l’influence des ancêtres bruns. Mais pourquoi l’inverse est-il si rare, pourquoi les ancêtres blonds ne viennent-ils pas blondir aussi souvent les enfants nés bruns ? C’est évidemment qu’une adaptation au milieu s’accomplit, que la cause ayant cessé d’agir, le milieu étant devenu différent, l’organisme tend à réagir, et retourne à l’état normal, mieux adapté aux conditions nouvelles.
Depuis quelques années l’élevage des chenilles dans des conditions extrêmes, par exemple de froid et de chaud, donne aux lépidoptéristes des variétés expérimentales fort curieuses, dont les unes existent dans la nature, les autres sont entièrement nouvelles, et ces variétés présentent un caractère marqué d’atavisme. Il en est de même dans les expériences de zoologie expérimentale pratiquées sur d’autres groupes d’animaux, et de même pour les plantes. Naudin signalait récemment à la Société d’Acclimatation le fait plus curieux de la reconstitution par croisement de deux primulacées d’une forme qui n’est plus une primulacée, mais appartient à une autre famille, plus régulière et ancestrale !
L’influence de la vie absolument anormale des urbains et surtout des intellectuels ne produirait-elle pas des effets de même ordre, non seulement sur l’embryon en voie d’évolution, mais sur l’individu jeune, voire adulte ? S’il en était ainsi, Durand de Gros aurait encore passé bien près d’une importante vérité scientifique. Je ne crois pas à l’influence dolichocéphalisante de l’urbanisme, du moins sur l’individu sorti du sein maternel, mais je croirais volontiers à une influence sur la nigrescence. Les urbains, d’après des statistiques encore ambigües, paraîtraient foncer plus rapidement et en plus grand nombre, toutes autres conditions égales.
Métis. — Europæus s’est croisé avec toutes les races de la terre, et le nombre des formes métisses est théoriquement infini. Cependant nous ne distinguons en pratique pas plus d’une dizaine de combinaisons qui réussissent. L’influence des caractères forts de chaque race limite impérieusement le nombre des combinaisons.
Les métis d’Europæus avec les races dolichocéphales sont harmoniques, dolichocéphales, leptoprosopes, lepto ou mésorhiniens. Les métis produits avec H. afer, asiaticus[6] sont peu connus. Les premiers seraient cependant faciles à étudier aux États-Unis, aux Antilles, dans l’Afrique anglaise. Les métis Europæus meridionalis se trouvent en Espagne, dans l’Amérique du Sud, les Antilles, dans une partie des États-Unis et même en Irlande et dans l’ouest de la Grande-Bretagne. Leurs caractères somatiques sont intermédiaires entre ceux des deux races parentes. La taille est moyenne, quelquefois grande, les formes crâniennes se rapprochent davantage du meridionalis, la couleur est moyenne, les cheveux d’ordinaire brun-clair dans les mélanges assis, parfois rutilants dans les unions de premier degré, les yeux variables. La psychologie des métis est d’ordinaire plutôt celle de la race inférieure. Les métis des meridionalis qui ne sont pas rares en Espagne n’empêchent pas ce pays d’étre très inférieur à tous les autres états européens.
Les métis d’Europæus et de brachycéphales constituent la partie la plus nombreuse de la population de l’Europe. Ils en font au moins les deux tiers et présentent par suite une importance considérable.
Le croisement avec Alpinus donne des métis incohérents, de taille plutét moyenne, de coloration intermédiaire, brun-clair, châtain quand il y a du sang de la race rousse. Les yeux sont gris, verts, châtains, rarement bruns. L’influence d’Alpinus sur la couleur porte plutôt sur la peau et les cheveux, Europæus est prépondérant sur les yeux, la barbe. Le squelette est beaucoup plus voisin d’Alpinus, le crâne en particulier. L’indice est en moyenne de 82 ou 83, très rapproché par suite de celui d’Alpinus. L’influence d’Europæus s’exerce plus volontiers sur le visage et la partie antérieure du crâne. Les leptoprosopes dysharmoniques ne sont pas rares, mais cependant le visage tend plutôt à être court et large. Il en est de même pour le nez, qui prend souvent la forme concave, en pied de marmite. Les métis de cette catégorie constituent le fonds de la population francaise, ils se retrouvent dans les pays voisins, et s’étendent assez loin en Allemagne.
Les métis de Dinaricus possédent les qualités communes aux deux races parentes, ils sont grands, leptoprosopes, leptorhiniens. La couleur est celle du groupe précédent, mais le crâne est d’ordinaire plus brachycéphale, tendant un peu plus vers la forme Acrogonus. Cette race a la face massive, les orbites en saillie. Elle constitue le fonds de la population de l’Empire Austro-Hongrois, de l’Allemagne du Sud. Elle déborde largement sur la péninsule des Balkans et les provinces polonaises. On la retrouve dans tout l’est de la France, le nord de l’Italie. Elle existe sur certains points de la Tunisie.
Ces métis, mélangés d’une plus forte proportion de sang Europæus, sont moins brachycéphales, de coloration plus claire, de taille plus grande et d’un naturel plus rude encore. On les trouve en nombre dans le nord-ouest de l’Allemagne, en Danemark, dans l’ouest des Îles Britanniques, où ils paraissent représenter la race préhistorique dite de Borreby. Le célèbre prince de Bismarck était un représentant remarquable de cette race.
On trouve abondamment en Russie une race de taille au-dessous de la moyenne (1.63-1.64). modérément brachycéphale (82-83 sur le vivant), à face courte et nez droit ou concave. Cette race est blonde et elle a les yeux clairs. Comme elle se retrouve à l’état sporadique dans l’Europe centrale et occidentale, on s’est demande si elle ne représentait pas la descendance d’une race brachycéphale devenue blonde. Je ne révoque pas en doute la possibilité que des brachycéphales soumis au régime qui a fait Europæus puissent aussi devenir blonds. Il est certain d’autre part que nous trouvons dans les tombeaux néolithiques du Danemark, outre Europæus et la race de Borreby, des brachycéphales très voisins des Lapons. Il serait done possible, en effet, que cette race descendit, soit de Lapons devenus blonds, soit de contractus, dont elle possède à peu près l’indice et les caractéres faciaux. Un peu de sang Europæus aurait fait le reste. Je ne crois cependant pas à cette origine, et je verrais plutôt dans cette race le résultat d’un croisement entre celle des Lapons, H. Hyperboreus, et l’Europæus. L’objection est qu’Europæus exerce plutôt son influence sur la taille, et que justement la race en question est plutôt petite, et qu’elle a la coloration d’Europæus. On oublie que Hyperboreus est une race très petite, 1m.50 seulement, et que par suite la taille de 1m.63 est encore plus près d’Europæus, mais surtout que ce croisement est intervenu dans des conditions différentes de celles que nous voyons en France. Les caractéres forts d’Alpinus, couleur des cheveux et forme du crâne, ne sont peut-être pas aussi puissants chez Hyperboreus. Ceci est de la simple hypothèse, mais ce qui ne l’est pas, c’est que les métis ont été soumis dès l’origine à l’influence même qui a créé Europæus, et que par suite la tendance à la dépigmentation, héritée d’un des auteurs, accusée par le climat, régularisée par la sélection, peut expliquer l’anomalie de la coloration.
Ces trois formes de métis, recroisées avec les autres races principales et entre elles, ont donné une infinité de variantes individuelles, mais qui toutes oscillent autour des trois formes principales. Elles ont toutes en commun ce caractère que les enfants naissent presque toujours blonds ou châtain clair, rappelant ainsi l’ancêtre Europæus pendant une période plus ou moins longue, quand ils ne conservent pas toute leur vie ce caractère révélateur[7].
CHAPITRE TROISIÈME
Méthode de recherche. — Toute la morphologie de l’Homo Europæus, constitution lymphatique, diminution générale du pigment, nous montre en lui le produit d’une évolution demi-pathologique, laquelle a dérivé d’un type normal cet albinos relatif. Cette évolution suppose un séjour prolongé des ancêtres de la race dans un pays humide, sans grands écarts de température, sous un ciel chargé dont les nuées arrêtaient les rayons chimiques.
Je m’appliquerai d’abord à démontrer ces deux propositions. Je chercherai ensuite à déterminer le pays dans lequel cette évolution a dû se produire, et les conditions de milieu qu’il devait alors présenter. Je serai ainsi amené à chercher parmi les races éteintes ou vivantes de la région les prédécesseurs phylogéniques de l’H. Europæus, et à établir ses rapports de généalogie avec les races qui lui sont apparentées.
Lymphatisme de l’Aryen. — Le lymphatisme n’est pas un caractère special à l’H. Europæus. Il se retrouve dans toutes les races du globe, chez des individus isolés, ou des groupes de population soumis au paludisme ou à d’autres conditions contraires à l’hygiène, mais dans tous ces cas il est accidentel et à l’état d’exception. Dans la race que nous étudions, le caractère est au contraire ethnique, il fait partie du tableau normal des qualités physiques, et quand il s’atténue ou disparaît, c’est alors que nous sommes dans l’exception. Ces tissus gorgés d’humeurs sont la cause immédiate des formes et des couleurs du corps. Les membres sont volumineux et arrondis, les muscles gonflés mais en quelque sorte ouatés de tissus mous qui atténuent les formes ; la peau fine, souple, à peine protégée par l’épiderme, laisse voir la coloration que lui donne une circulation abondante. Ces formes à la fois volumineuses et adoucies, cette peau blanche et rosée donnent quelque chose de féminin à la race masculine entre toutes, et le contraste sur ce point est frappant au conseil de révision dans les régions où le type Europæus n’est pas rare. A distance, et avant que la couleur des yeux et des cheveux, la forme du crâne puissent être perçus, l’anthropologiste reconnaît ainsi avec une certaine probabilité le type du conscrit qui s’avance. Chez les femmes, les caractères de la race sont plus accusés que chez l’homme, mais l’intervalle morphologique est moins grand entre elles et celles des autres races européennes. Il est d’ailleurs plus difficile d’avoir une impression en bloc, aucune circonstance n’existant où l’on puisse voir, comme pour les conscrits, défiler en deux ou trois heures plusieurs centaines de sujets d’un même âge[8].
La quantité d’eau plus grande dont les tissus de l’H. Europæus sont imprégnés comme une éponge leur donne une moindre pesanteur spécifique. On a essayé divers moyens d’évaluer la pesanteur spécifique de diverses catégories humaines. Le plus simple consiste à faire immerger le sujet dans une tonne cylindrique munie d’une échelle. Le volume est donné par la différence de niveau au moment de l’immersion totale, le sujet plongeant sa tête sous l’eau, et après l’émersion. Le procédé n’est pas compliqué, mais il est difficile de l’appliquer à des séries sérieuses, sauf dans les corps de troupes. On a trouvé que la densité de la femme était moindre que celle de l’homme, celle du soldat anglais que celle du cipaye. Il serait bon de reprendre méthodiquement ces recherches[9].
La même insuffisance de documents existe quant à l’analyse chimique des tissus. Il a été fait des analyses donnant des teneurs en eau sensiblement différentes pour l’homme et la femme, et les individus de divers pays, mais sans tenir assez compte de la race.
Le lymphatisme de l’H. Europæus retentit sur sa physiologie normale et pathologique. Transporté dans les pays secs, ou simplement dans un milieu chaud, il transpire abondamment et boit d’une manière exagérée. Sa façon de se comporter dans des conditions pareilles est toute différente de celle de l’Espagnol ou de l’Arabe, et l’Anglais ou le Hollandais transportés dans les pays chauds réagissent déja tout différemment du Francais moyen. C’est là une des raisons qui rendent difficile l’acclimatement même individuel dans les régions tropicales, où la femme de race Europæus ne résiste pas longtemps, et l’homme succombe avant l’âge normal s’il ne peut retourner en Europe pour refaire sa constitution. De là aussi l’impossibilité pratique d’élever des enfants de cette race aux colonies, où l’Espagnol élève parfaitement les siens.
Dépigmentation. — L’Homo Europæus est la seule race d’hommes qui ait naturellement, sans mélanges et à titre ethnique, les cheveux et les yeux clairs. La généralité des primates a les yeux plutôt foncés, et le pelage de couleur très diverse, mais rarement tout à fait noir. L’homme a aussi les yeux foncés, mais ses poils sont toujours noirs, à part la race qui nous occupe, ses métis et quelques exceptions individuelles d’ordre pathologique. Cette situation particulière de l’homme parmi les primates et du dolicho-blond parmi les hommes exige une étude spéciale, mais avant d’aborder la question de la pigmentation renforcée de l’un, diminuée de l’autre, il convient de se faire une idée de la pigmentation en soi, de sa nature histologique et des conditions qui la modifient.
Physiologie de la pigmentation. — La pigmentation chez l’homme et la plupart des animaux supérieurs est due à une matière colorante, nommée mélanine, qui se présente rarement à l’état diffus et presque toujours sous la forme de fines granulations. Ces granulations ne sont pas la matière chimique pure, mais des grains de protoplasme imbibés de mélanine, ce qui rend assez difficile la détermination chimique de celle-ci. Les granulations sont animées d’un mouvement très vif dans la cellule vivante et dans les solutions liquides, par exemple celles obtenues par le traitement des tissus de tumeurs mélaniques du cheval. Ce mouvement est purement brownien. Si le chloroforme le paralyse, comme celui des êtres animés, les expériences du Dr Paul Carnot (Recherches sur le mécanisme de la pigmentation, Thèse de sciences, Paris, 1896), montrent qu’il résiste à un quart d’heure d’ébullition dans une autoclave à 120, et à plusieurs mois de conservation.
Cette substance, encore mal connue, paraît provenir dans certains cas de la substance colorante du sang. Si l’on sacrifie à plusieurs jours d’intervalle des sangsues, bien gorgées après un long jeûne, on trouve dans le sang absorbe une proportion croissante de mélanine. En sens inverse, dans d’autres cas, il paraît bien certain qu’il se produit de la mélanine en dehors de toute oxydation d’hémoglobine.
Dans la peau, la mélanine a pour siège les cellules dermiques et épidermiques, et quelquefois une seule de ces catégories la renferme. Son abondance est d’ailleurs très inégale aux divers niveaux. Les corpuscules se groupent en plus grande abondance autour du noyau, mais dans quelques cas, par exemple dans les cellules dermiques supérieures du scrotum du nègre, ils remplissent entièrement la cellule[10]. Dans la karyokinése, la mélanine opère diverses évolutions qui ne paraissent pas avoir d’intérêt au point de vue de la question que nous traitons ici.
Les cellules de l’iris contiennent aussi de la mélanine, mais associée à d’autres pigments du groupe des lipochromes, et l’étude de la pigmentation de l’iris a besoin d’être refaite.
Dans le poil nous ne rencontrons chez homme que la mélanine, à état granuleux ou diffus. La pigmentation du poil est un phénomène indépendant de celle du derme et de l’épiderme. Chez une infinité de mammifères la peau est blanche, l’étude histologique montre fort peu de pigment dans les cellules dermiques, même sous-jacentes à l’épiderme, et cependant les phanères, poils, cornes, sabots ou griffes sont diversement colorés, parfois en noir pur. On observe le phénomène inverse : chez le cheval arabe, la poule nègre, certains singes, la peau est noire, et les phanères peuvent être plus clairs ou même blancs. Il est rare que les phanères et la peau soient noirs, cependant on en trouve des exemples, presque tous chez les primates : Anthropopithecus calvus, A. Gorilla, Homo afer. Quelquefois aussi les phanères et la peau sont également dépigmentés, mais il y a si peu de véritables espèces blanches chez les mammifères que l’on peut regarder le cas comme une anomalie pathologique (albinos), ou comme une variation d’origine climatérique, souvent spéciale à une saison (formes polaires).
La mélanine n’est pas entièrement localisée dans la peau et les phanères. On en trouve un peu partout chez le nègre, jusque dans le cerveau et le sperme. Les expériences de Carnot sur l’injection de grandes quantités de mélanine dans le sang (op. cit., p. 32 et suiv.) montrent que le foie, le poumon, et à un moindre degré les autres organes peuvent devenir complètement noirs, Il s’agit d’ailleurs de cas expérimentaux, et même en physiologie pathologique on n’a pas observé de cas de mélanisme splanchnique si caractérisé.
L’intensité de la pigmentation n’est pas fixe. Le renforcement est très appréciable sur l’homme exposé au soleil et au hâle, et d’autant plus sensible que sa coloration normale est plus claire. Nous fonçons tous au printemps, et surtout les femmes, et, chose singulière, nous revenons l’été à la couleur de l’hiver, ou peu s’en faut. L’influence du renforcement par la lumière est encore plus manifeste quand on photographie les individus au lieu de les examiner directement. Il est très curieux de voir sur l’épreuve les mains et les têtes très foncées, souvent semées d’éphélides que l’œil ne percoit pas, mais qui modifient profondément la qualité photogénique de la peau. Le corps est très clair, et souvent le passage se fait sans transition à la place du haut du col et du bord des manches. Il arrive parfois que l’inégalité photogénique devient un embarras pour le photographe. Je ne parle pas de l’amateur ou de l’artiste, la situation étant sans remède il en est quitte pour s’abstenir de la photographie du nu sur de tels sujets, mais l’anthropologiste n’a pas la ressource de l’abstention. Quand son sujet est documentaire, il faut qu’il le prenne, et se contente du résultat quel qu’il soit. Il faut le dire, ce résultat n’est pas toujours suffisant, esthétique mise à part. Dans les cas d’inégalité actinique extrême, le cliché est tel qu’au tirage la tête et les mains viennent trop vite, et si l’on donne l’exposition nécessaire pour le corps, le reste est perdu. Si l’on raccourcit l’exposition, les détails de la tête et des mains sont parfaits, mais le corps ne vient pas. Il faut alors faire des clichés complémentaires, à longue et à courte pose. Avec une petite fille à peau d’une remarquable blancheur, mais très hâlée sur les mains et à la tête, j’ai obtenu ainsi deux clichés très curieux. Le tirage de l’un ne donne qu’un corps parfaitement détaillé, la tête, les mains et les pieds sont totalement absents. C’est la fille-tronc. Elle ne manque jamais d’étonner les curieux. L’autre cliché fournit seulement les extrémités, le reste n’est exprimé que par une nébulosité sur le papier. C’est la fille sans corps. Les deux épreuves se complétent pour étude, fort heureusement car le sujet est important comme type spécial, mais elles sont aussi des documents très curieux pour l’étude de la pigmentation.
Chez certains animaux, la pigmentation varie avec beaucoup plus de rapidité. Certains poissons et divers céphalopodes changent de couleur suivant le milieu qu’ils traversent. D’autres se contentent de devenir sombres la nuit. Le caméléon doit sa célébrité à des propriétés du même genre. Notre modeste grenouille verte jouit, à un degré moindre, de la même faculté. Les mammifères et l’homme ne sont pas susceptibles de pareils changements, mais l’étude de la grenouille n’en présente pas moins un intérêt direct, parce que nous saisissons sur le fait la physiologie des variations de pigmentation. Les variations lentes que nous offre la coloration de la peau humaine sont moins rapides, mais la physiologie en est la même, sauf ce qui sera ajouté plus loin.
Certains agents éclaircissent la couleur de la grenouille : lumière (la lumière rouge est la moins active, ce qui prouve qu’il s’agit plutôt des rayons chimiques) ; chaleur ; divers réactifs, comme le chlorhydrate d’aniline, la nicotine, l’ergotine, l’iodure de potassium, la santonine.
D’autres agents foncent la couleur : nitrite d’amyle, carbonates divers. Ces réactifs s’emploient injectés en solution dans le sac dorsal.
Si l’on fixe sur la platine du microscope la membrane interdigitale d’une grenouille soumise à ces agents, on constate que sous l’influence des premiers agents les granulations de pigment émigrent vers le noyau de la cellule. Le pigment exécute au contraire un mouvement centrifuge sous l’action des agents qui foncent la couleur. C’est pourquoi les premiers sont appelés chromoconstricteurs et les seconds chromodilatateurs. L’éclaircissement ou le renforcement de la teinte est donc dû, non a une variation quantitative du pigment, mais à un changement dans l’étendue respective des places noires et des surfaces claires.
Il est à remarquer que les agents ne produisent pas les mêmes effets sur le protoplasme pigmenté (chromoblastes) des divers animaux. La réaction du têtard est précisément inverse de celle de la grenouille, en présence de la plupart des agents.
Des diverses expériences instituées pour déterminer le mode de production des rétractions et des dilatations chromoblastiques, il résulte que ces effets sont causés, partie par une action chimique directe sur la matière cellulaire, partie et principalement par une action nerveuse d’origine centrale ou réflexe, s’exercant par des nerfs spéciaux chromoconstricteurs et chromodilatateurs.
Sous influence de divers agents, une autre cause, plus lente mais plus stable, d’obscurcissement ou d’éclaircissement peut intervenir. La quantité de pigment contenue dans les cellules peut être augmentée ou diminuée. La chaleur, chromoconstrictive chez la grenouille et probablement d’une manière assez générale, produit l’augmentation lente de la quantité de pigment. Cette augmentation a pour résultat de balancer, et au-delà, l’effet chromoconstricteur. De même l’action de la lumière solaire, de la lumière électrique, des rayons X, provoque une augmentation lente mais considérable du pigment. Quand je parle de lumière, il faut bien entendu regarder comme principale l’action des rayons chimiques. C’est ce que démontrent les photographies dont j’ai parlé plus haut, celle de la fille-tronc notamment et aussi d’un jeune homme des environs de Paris, dont la tête et les mains paraissent d’un nègre sur les photocopies. L’inégalité entre les réflexions photogéniques du tronc et des extrémités est bien des fois plus grande que celle des teintes perçues par l’œil. L’absorption ou la réflexion de la lumière sont en effet surtout sous la dépendance de la surface de la peau, tandis que les rayons chimiques traversent assez bien la couche superficielle et sont arrêtés ou réfléchis par la couche sous jacente et invisible.
L’augmentation quantitative du pigment paraît avoir ainsi pour but de rendre le corps moins pénétrable, et d’empêcher la radiation chimique, quand elle devient trop puissante, d’agir dans la profondeur des tissus. L’organisme se défend en faisant de la pigmentation contre des réactions fâcheuses qui pourraient s’accomplir dans les organes. Entre les rayons X qui traversent la plupart des tissus et la lumière qui ne doit guère dépasser la peau, il y a une infinité de radiations connues et inconnues. Le pigment a pour effet d’arrêter leur action perturbatrice, et les effets chromoconstricteurs nous donnent un exemple de cette action[11]
On peut donc estimer que si la constriction des chromoblastes est l’effet direct des rayons thermo et photo-chimiques, ou plus exactement de certains rayons, la multiplication des corpuscules, au point de remplir la cellule comme chez le nègre, est l’œuvre de la cellule même, qui réagit contre la chromoconstriction.
La multiplication des globules s’observe dans d’autres cas dont l’explication n’est pas aussi facile, par exemple sous l’influence de l’acide picrique, si employé dans le traitement des brûlures, de la cantharidine (vésicatoires), de la teinture d’iode. Elle s’observe encore dans les régions exposées au frottement : plante des pieds, empreinte du corset, des bandages et dans les régions soumises à la macération par la sueur : aisselles, aine, périnée. Elle s’observe enfin sous l’influence d’irritations répétées, piqûres de moustiques, de poux et surtout de morpions, qui produisent le mélanisme local dit des vagabonds.
Toute cellule n’est pas également apte à fabriquer ou emmagasiner du pigment. Il faut qu’elle soit vigoureuse et saine. En règle, la cellule faible ne fait pas de pigmentation, même défensive. C’est pour cette raison que le nègre pâlit quand il est atteint d’une maladie chronique, ou dans la vieillesse, que les poils et les plumes des animaux âgés deviennent plus clairs et même blancs. Le cheveu blanc est un poil qui ne fabrique plus de pigment, soit par vieillesse, soit par maladie du bulbe pileux. Si on lui fournit de la couleur par une teinture, il devient jaune, puis roux, chatain et brun foncé.
La corrélation de la vigueur cellulaire et de la production du pigment est établie par les expériences du Dr Carnot. Celui-ci emprunte à des cobayes bigarrés des parcelles de peau noire qu’il greffe sur des régions blanches. La greffe prend, et peu à peu la tache noire augmente ses dimensions jusqu’à décupler son étendue. Les cellules noires, c’est-à-dire richement pigmentées, détruisent et remplacent par prolifération les cellules blanches environnantes. La tache est encore en voie d’accroissement au bout d’un an. Les poils poussent d’abord blancs sur la greffe, puis des poils noirs apparaissent au centre, croissant plus fort et plus vite que les poils blancs.
L’expérience inverse n’a jamais réussi. L’épiderme blanc greffé sur peau noire est détruit par phagocytose quand par hasard la greffe consent à prendre. Cette destruction par phagocytose est l’écueil contre lequel avaient échoué tous les expérimentateurs antérieurs, qui avaient mal combiné leurs expériences, en greffant de l’épiderme de blanc sur des nègres.
Si la greffe noire est faite sur un sujet albinos, elle ne prend pas davantage. Le terrain est mauvais pour elle, et si elle prend, elle est promptement détruite par phagocytose. C’est ce qui explique l’échec des greffes faites du nègre au blanc, et à l’Aryen en particulier.
Ces résultats nous amènent à conclure que la cellule du nègre est plus vigoureuse que celle du blanc, et celui-ci plus ou moins comparable à l’albinos au point de vue de la pigmentation dermique, épidermique et pileuse.
Coloration des primates. — Le pelage des mammifères, à la différence du plumage des oiseaux, est à peu près dépourvu de pigments autres que la mélanine. Il ne varie guère en couleur, les diverses combinaisons formées par le noir, le blanc et le roux font tous les frais de sa parure. Il n’existe à cette règle que de rares exceptions, dont les plus remarquables sont celles de la taupe verte et de certains primates. Les primates paraissent avoir une tendance à s’écarter de la coloration normale des mammifères. Ceux qui ne présentent rien d’anormal dans les couleurs se distinguent déjà par leur disposition. Plusieurs espèces de primates ont du blanc sur le dos, sur la tête : le cas est rare chez les mammifères, on ne le rencontre guère que chez certains ruminants et subursins. La bigarrure est extrême, au moins aussi grande que celle du chat domestique : cela encore est anormal chez des mammifères sauvages. Les singes ne se contentent point de cette variété dans l’emploi des couleurs normales, ils se parent de deux couleurs inconnues du reste des mammifères, le vermillon le plus éclatant et le bleu vif, sans s’abstenir du vert.
Le jaune et le roux ne sont d’ordinaire que des nuances dues à un état particulier de la mélanine. Il en est peut-être aussi de même du bleu et du vert, mais il est probable que dans ces derniers cas un autre pigment intervient. Le vermillon éclatant des Brachyurus calvus et rubicundus suppose probablement quelque pigment du groupe des lipochromes, analogue à celui des plumes des perroquets, ou à la lutéine. Cet éclat varie toutefois avec la circulation cutanée et dépend par suite en partie de l’action des vasomoteurs, comme la rougeur chez l’homme.
J’étudierai d’abord les lémuriens et les singes ordinaires en bloc, réservant les anthropomorphes pour une étude plus détaillée.
La couleur de l’iris est d’ordinaire un brun plus ou moins foncé. Les espèces dont l’iris appartient à la catégorie chromatique intermédiaire sont rares, et ne constituent pas des groupes spéciaux : ainsi Brachyurus calvus Geo. a les yeux moyens, et les autres Brachyurus les ont foncés. Les yeux véritablement clairs sont plus rares encore et constituent surtout des variations individuelles quand il ne s’agit pas d’espèces nocturnes. Chez Lemur nigerrimus Scl. l’œil est bleu verdâtre, c’est-à-dire à peine pigmenté, ce qui est assez curieux chez une espèce toute noire de pelage, mais cette espèce est nocturne. J’ai vu des yeux franchement bleus chez des sujets albinos, notamment chez un jeune cercopithèque apporté du Gabon par le Dr Rul, et que celui-ci a bien voulu me donner.
La peau des primates est ordinairement blanche et mate sur le vivant, rarement tannée ou d’un jaunâtre sale. Sur les exemplaires empaillés, la dernière couleur l’emporte, et non seulement le blanc devient ainsi jaunâtre, mais encore les teintes foncées s’éclaircissent, de sorte que la couleur primitive est assez difficile à distinguer, d’autant que l’épiderme noirâtre disparaît aisément par la macération. La poussière et la crasse foncent artificiellement la peau chez les exemplaires de ménagerie, et ne disparaissent pas toujours à l’empaillage. Il ne faut pas confondre avec la coloration naturelle celle de ce revêtement qui souille la peau[12].
La couleur naturelle de la peau ne s’observe que sous le pelage. Toutes les parties nues subissent en général une modification de couleur. Chez la plupart des lémuriens et une forte minorité des singes, ces parties nues se réduisent à la paume des mains et à la sole des pieds, et au bout du museau encore chez les premiers. Chez les singes proprement dits, la dénudation des extrémités est d’ordinaire plus étendue, et les oreilles, souvent aussi la face sont à peu près glabres. Enfin chez les singes de l’ancien continent les fesses et les génitoires, chez ceux du nouveau la partie inférieure de la queue prenante sont également nues. Dans toutes ces parties qui ne sont pas abritées des rayons chimiques par des phanères, la peau présente une coloration différente, parfois défensive, parfois tout ornementale. En général, les parties nues ou à peu près nues de la tête et des membres, queue comprise, sont foncées. La coloration varie du chocolat clair au noirâtre, presque toujours avec une teinte plus ou moins violâtre ou bleuâtre. La teinte ardoisée, si rare chez les nègres bimanes, est fréquente chez les quadrumanes à face nègre. On trouve cette coloration foncée ou noire des parties nues dans tous les groupes : genres Lemur, Propithecus, et chez les singes Pithecia monachus Humboldt, Aluatia seniculus L., Lagothrix infumatus Spix, Ateles marginatus G., Theropithecus gelada Rupp., la plupart des Cercocebus, C. collaris Gray, petaurista Schr., Callitrichus Geo., la plupart des Colobus, C. verus Bened., rufomitratus Peters, ferrugineus Shaw, Satanas Walerh., la plupart des Semnopithecus, Cercopithecus patas Wat., etc.
Souvent on trouve cette coloration foncée des parties nues dans presque toutes les espèces d’un genre, et à côté des exceptions très nettes. Ainsi Cercopithecus fuliginosus Geo., est seulement tanné, de même S. Phayrei And. Cercopithecus mona Schreber, C. Grayi Fraser ont la face et les extrémités couleur chair. Chez le douc, C. nemæus L., le blanc devient un jaune franc. De même chez Macacus, Cebus, Ateles, etc., il y a des espèces leucoprosopes et d’autres mélanoprosopes. Bien plus, quelques espèces ont une forme à parties nues colorées, et une autre à face et extrémités blanches ou à peine tannées. Tarsius spectrum Geo., a les parties nues blanches, et sa variété fuscomanus Fisch. a les mains noires. Propithecus diadema est nègre de poil et de peau, sauf les parties couvertes, sa variété sericeus qui est à peu près albine a la plus grande partie de la face décolorée. Ateles paniscus L. et A. ater Cuv. ne forment qu’une même espèce, la seconde variété ne diffère de la première que par la coloration noirâtre des parties nues. De même la variété claire de Cebus fatuellus L. a la peau des parties nues blanche et rosée, le poil blond, tandis que le type est foncé.
Certaines espèces mélangent davantage le noir et le blanc, d’autres sont franchement polychromes, et outre le blanc et le noir ont diverses parties de la peau bleues, vertes, vermillon, etc. La plus prodigieuse variété règne parfois dans les couleurs de la peau.
Certaines espèces à face noire ont la peau du tour des yeux et des lèvres de couleur chair : Ateles Geoffroyi Kuhl, Semnopithecus obscurus Reid, frontatus Müll., holotephreus An ders., et beaucoup de Papions, qui sont d’ailleurs polychromes. D’autres à face et pattes relativement claires ont les oreilles noires : Cheiromys, Chirogale melanotis Fors. D’autres sont de plus en plus pie : Cebus hypoleucus Humb., monachus F., ont la face chair, la peau des extrémités et du dos violacée. Ateles cucullatus Gray a la face en partie chair, les joues, le menton, le front, les pattes noirs, les parties couvertes et l’extrémité nue de la queue sont blancs. Ateles Belzebuth Gev. a la face claire, sauf une barre noire a l’œil, et le reste des parties nues est noir.
La peau de la face est rouge ou vermillon chez plusieurs espèces américaines : Hapale argentata L., Brachyurus rubicundus Geo., calvus Geo. Pithecia albinasa Geo., a la région nasale rouge sur une face noire, il est vrai que par compensation son parent P. monachus Humb., a le nez noir sur un fonds pourpré. Chez les espéces de l’ancien continent, le vermillon est surtout réservé pour l’extrémité postérieure. Cependant Macacus fuscatus Blyth a ses deux faces rouge vif, ainsi que son parent M. speciosus Cuv.
Il est impossible de classer les espéces polychromes. Papio leucophæus Cuv., a la face noire, les mains, les pieds, le derriére rouges. P. sphinx Geo., a les parties nues noires, sauf le tour des yeux blanc et les génitoires rouges. De méme P. Anubis Cuv., qui a de plus les pattes blanches. P. Thoth Ogilby a toute la peau, couverte ou nue, blanche, sauf la sole, la paume et les oreilles noires, les callosités pourpre. Nasalis larvatus Wurmb., a la face rougeâtre, les génitoires violacées, et les extrémités noires. Cynopithecus niger Desm., a seulement les fesses roses, tout le reste des parties nues est noir. Cercopithecus cephus L. a la face violette, les lèvres noires, avec une tache blanche en guise de moustaches. C. cynosurus Sc., a la face chair, les oreilles et les extrémités noires, les callosités écarlate, le scrotum bieu vif. Ce dernier est d’ailleurs vert chez Cercopithecus sabæus L., C. callitrichus Geo. Enfin Rhinopithecus Roxellanæ Edwards a la face verte et les callosités jaunes. Le Papio maimon L. est célèbre par l’éclat de ses couleurs : face noire, avec des rides bleues et pourpre sur les côtés du museau, le nez rouge, écarlate au bout, les mains et les pieds noirs, le derrière violet et les génitoires écarlate. Les papions et les cercopithèques sont presque seuls à arborer le bleu, cependant le Lemur rubriventer Geoff., tout au bas de l’échelle des primates, a déjà du bleu vif autour des yeux.
Un certain nombre d’espèces a la peau toute blanche, sur les parties nues comme sur celles qui se trouvent protégées : genre Hapale, Brachyteles Arachnoïdes Geo., et sur l’ancien continent, avec réserves pour le postérieur d’ordinaire brillamment vernissé : Papio cynocephalus Geo., Hamadryas L., Inuus ecaudatus Geo., Macacus speciosus Cuv., du Tibet, M. Rhesus Aud., lasiotis Gray., S. Johannis Swinh., cyclopis Swinhoe, ces deux espèces de Chine, pileatus Shaw, sinicus L., Cercopithecus ruber, Semnopithecus entelles.
Il est inutile d’entrer dans les mêmes détails en ce qui concerne les poils, l’homme, notre autre terme de comparaison, étant à peu près glabre en dehors de la tête, des aisselles et des organes génitaux. On trouve chez les primates toutes les nuances existant chez les mammifères, et d’autres à peu près spéciales à ce groupe. Il importe seulement de retenir certaines lois générales qui président à cette bigarrure. 1° Il est très rare que l’animal soit entièrement concolore, le blanc plus ou moins pur s’associe presque toujours au brun, au roux ou au noir ; 2° chez un très grand nombre d’espèces, les poils ne sont pas d’une même couleur dans toute leur longueur et présentent des zones successives souvent très tranchées. Par ces deux points les singes s’opposent nettement à l’homme, dont le revêtement pileux est concolore, en dehors des croisements de H. Europæus, et le poil d’une méme couleur, sinon d’une même nuance dans toute sa longueur.
Ce polychroïsme des poils produit des effets ornementaux très importants. Le vert du Cerc. callitrichus Geo., du Papio leucophæus Cuv., etc., est obtenu par l’alternance sur les poils de zones noires et jaunes, et la nuance est plus ou moins claire ou foncée suivant que le bout du poil est noir ou jaune. Quelquefois (Semnopithecus maurus très adulte), le poil est noir et l’extrémité blanche, l’animal paraît comme poudré. Ce cas est le seul qui ait quelque chose d’analogue chez l’homme. Un même poil, chez certains macaques, peut affecter dans sa longueur trois ou quatre couleurs différentes, répétées le plus souvent.
Les espèces noires de poil sont rares, et ce noir n’est jamais ou presque jamais général et absolu. Citons Aluatta caraya Humb., male, A. villosa Gray, les deux sexes, Ateles ater Cuv., Cynopithecus niger Desm., sauf les fesses, Colobus satanas Waterh., etc.
Les formes blanches, sauf les cas d’albinisme, sont encore plus rares, et il n’y en a pas d’entièrement blanches. Propithecus sericeus ne paraît qu’une variété de P. diadema, et de méme Cercopithecus atys ? est probablement un albinos. J’en ai eu un exemplaire qui a fini par foncer.
Le blond tel qu’il existe chez l’homme est également rare. Il y a un certain nombre d’espèces qui poussent le rouge à l’excès : Cerc. patas Schreb., mais le blond proprement dit, à part des formes subalbines comme C. fatuellus L. v. blonde, est rare comme coloration générale. Le plus bel exemple à en donner est Midas Rosalia L. En général les femelles des espèces rousses sont plutôt blondes, mais aussi quelquefois celles d’espèces dout le mâle est noir, ainsi la femelle d’Aluatta caraya Humb.
Certaines espèces présentent un dimorphisme sexuel de coloration très marqué. L, macaco L. mâle est entièrement noir, parties nues et pelage ; sa femelle n’a de noires que les parties nues, le pelage du dessus est roux vif, plus clair sur le cou et les membres, le dessous est d’un beau blanc, ainsi que les favoris et la queue. Bartlett en avait fait une espèce sous le nom de L. leucomystax. Aluatta Caraya Humb. mâle est noir, et la femelle blonde, jaune paille dessous, aussi Geoffroy en avait-il fait son Stentor stramineus. Stentor, comme nom de genre, est synonyme de Aluatta, mais ce dernier nom, créé par Lacépède en 1801, a la priorité. Les petits sont d’abord jaune paille, puis, quand ils quittent leurs dents de lait, le poil devient plus foncé à la base, d’abord sur le dos. La pigmentation se renforce de plus en plus, jusqu’au noir opaque chez le jeune mâle, et la teinte gagne jusqu’à la pointe. Ce procès est exactement conforme à ce qui se passe chez les individus de notre espèce qui évoluent du cendré au blond foncé et au noir. Sur les longues nattes des petites filles, on observe très bien le passage, et les échantillons prélevés à la pointe et à la base sont fortement contrastés.
Un très grand nombre d’espèces présente une amplitude individuelle de variation très remarquable. Chez la plupart des makis, chaque individu constitue une variété particulière, et il serait difficile de trouver deux exemplaires identiques du Lemur varius. La classification des Cebus et des Ateles, celle des Cercopithecus, ne sont pas beaucoup plus faciles, en raison de l’extrême variabilité de la plupart des espèces. Par ce caractère les primates en général se différencient profondément de l’homme.
Nous arrivons aux anthropoïdes. Ici tout est changé. Plus de couleurs voyantes, à peu près exclusivement le noir, le blanc et leurs combinaisons. L’orang-outang seul fait exception par sa couleur d’un roux vif. La coloration est à peu près uniforme dans les deux sexes, sur le corps entier, et dans toute la longueur du poil, sauf les cas de canitie commençante.
La peau des Hylobates est presque blanche sur le corps, mais plus ou moins noire sur les parties nues. Cependant H. lar et même B. agilis ont souvent la face et les extrémités blanches. Simia satyrus L. est également variable. Le Prof. Selenka, qui a tué et étudié sur place à peu près 300 orangs, distingue plusieurs variétés locales, toutes confinées dans le N. O. de Bornéo, l’espèce ne se trouvant nulle part ailleurs dans l’île. S. satyrus tuakensis a la peau peu pigmentée, les autres variétés sont plus ou très pigmentées (Selenka, Die Rassen und der Zahnwechsel des Orang-Utan, Sitzungsberichte der Akademie der Wissenschaften zu Berlin, 1896, I, 333). La coloration peut être très faible chez les individus élevés en Europe. J’ai eu un orang étiolé par six ans de domesticité, dont la peau était presque aussi blanche que celle d’un Européen, sauf sur le visage et sur les autres parties découvertes. Ces parties, sur l’orang normal, sont plus ou moins noirâtres ou ardoisées suivant la variété. Les lèvres et le tour des yeux sont toujours plus clairs.
Troglodytes gorilla Wyman est franchement nègre. Il a la coloration moyenne du nègre respectivement dans toutes les parties du corps. Il y a d’ailleurs des variations individuelles, comme chez Homo afer.
Troglodytes calvus du Chaillu est également nègre, mais le Troglodytes niger est seulement couleur de mulâtre, plus tanné sur la face. L’exemplaire décrit par Gratiolet sous le nom de Troglodytes Aubryi présentait une pigmentation très marquée, singulièrement répartie : une bande scapulaire allant d’une aisselle à l’autre, et se prolongeant sur la face dorsale des bras, réunie par-dessous à une autre bande qui allait rejoindre les cuisses, et enfin une autre sur la jambe. J’ai vu un dessin à peu près analogue sur un chimpanzé empaillé du laboratoire de zoologie de l’Université de Rennes. J’ai eu un jeune chimpanzé qui avait seulement deux taches sombres sur les pectoraux, tout le reste de la peau étant très clair, et le visage rosé. D’autres chimpanzés sont à peu près entièrement clairs comme les blancs.
L’iris est de coloration foncée, rarement moyenne. Mon orang avait les yeux châtain clair, tachetés de fines pétéchies brunes. J’ai vu des yeux presque clairs chez un H. lar, mais demi-albinos.
La fourrure des Hylobates est épaisse, assez longue, et foncièrement noire. Chez presque toutes les espèces, et spécialement chez l’agilis, le syndactylus et le lar, il y a des individus atteints de canitie partielle ou presque totale. Chez syndactylus, cette canitie est plus fréquente, plus désordonnée, et il serait difficile de trouver deux exemplaires entièrement semblables. La canitie existe, chez cette espèce et chez H. lar, sur des individus même très jeunes, mais son caractère demi-pathologique est accusé par l’irrégularité des taches blanches, et la présence de nombreux poils dont le bout seul est blanc.
L’orang est également pourvu d’une puissante fourrure, sèche et rude, qui le protège contre les pluies tropicales. Chez mon orang, les poils du bras atteignaient 0 m 16, et ceux des épaules 0 m 33. Les cheveux et les poils du ventre n’avaient que neuf centimètres. Ces longueurs, très rares chez les exemplaires de musée qui proviennent des ménageries, sont normalement dépassées chez les orangs sauvages. Le poil de l’orang varie du roux blond sous le ventre au roux brun sur le dos. Chez la plupart des variétés ce roux brun est très foncé, très brûlé, mais il reste toujours un reflet rutilant.
Les anthropoïdes africains sont au contraire pourvus d’une fourrure courte, rare, et parfaitement noire. Le gorille, en particulier, n’a guère sur la poitrine que des poils clairsemés. Les exemplaires clairs de chimpanzé paraissent les plus velus, et la coloration de la peau est en général d’autant plus foncée que la partie est moins protégée.
Nous arrivons donc pour les anthropoïdes à cette conclusion, applicable à tous les singes et aux lémuriens, sauf quelques exceptions individuelles : les régions qui se défendent en faisant de la pigmentation sont celles et seulement celles qui ne sont pas autrement protégées contre les rayons chimiques[13].
Coloration chez l’homme. — L’homme ne varie guère, à l’exception de H. Europæus, que par la peau. L’œil est, en effet, trèg pigmenté chez presque toutes les populations noires et jaunes. Il ne s’éclaircit qu’en Europe, et dans les pays colonisés autrefois ou récemment par des émigrés venus d’Europe. C’est dans ces conditions seulement que nous trouvons des iris dépigmentés, et paraissant bleus. Entre l’œil foncé, à iris brun de teinte uniforme, et le bleu il y a toute une série d’intermédiaires. Le pigment peut être raréfié, ou disposé par traînées divergentes, par rayons, ou par cercles concentriques, le pourtour étant plus pigmenté que la zone voisine de la pupille. De là l’infinie variété des yeux marrons, verts, gris, qui caractérisent les métis de H. Europæus et forment la grande majorité en Europe, sauf dans l’extrême sud et dans le N.-O. Pour se rendre compte de cette variété, il faut se reporter aux planches coloriées de l’album de Bertillon (Identification anthropométrique, Nouv. éd., Melun, 1893), et ne pas oublier que les exemples fournis sont une très petite partie des cas qui peuvent se présenter. Il en est de même pour les cheveux. Entre le N.-O. de l’Europe, où le blond est la règle, et le reste de l’Ancien Continent, s’étend une large zone où toutes les nuances intermédiaires se combinent, parfois chez le même individu, car la barbe est souvent plus claire que les cheveux. Sur tout le reste du globe, le noir est la règle[14].
Pour la peau, il en est autrement. Il y a beaucoup de races peu ou médiocrement pigmentées et la couleur primitive de l’homme est, je pense, aussi éloignée du teint du nègre que de celui de l’Écossais. L’homme des tropiques a subi plus que nul singe, même le gorille, l’influence mélanisante des climats tropicaux parce qu’il était nu. Dans les régions moins chaudes, où l’homme était obligé de se garantir par des vêtements le jour comme la nuit, la peau n’a pas subi une pareille adaptation, ou plus exactement la sélection basée sur la résistance aux radiations ne s’est pas exercée avec la même intensité. La même raison explique pourquoi les populations de race plus claire qui ont dépossédé les anciens noirs de l’Inde n’ont pas encore pris la livrée du climat. La formation de variétés très pigmentées a été rendue moins utile par l’usage des vêtements, et l’influence du climat s’est trouvée moindre que sur les anciens indigènes à peu près ou entièrement nus. La question de la pigmentation et celle de la perte du pelage sont ainsi en corrélation directe avec celle du vêtement.
Aussitôt que l’homme a pu faire varier le milieu, comme le remarque très justement Vaccaro, la nécessité de varier a diminué pour lui-même. L’usage des abris, du feu et des vêtements a rendu inutiles la pigmentation intense dans les pays chauds et la conservation de la fourrure dans tous les pays, ceux où la nuit seule est fraîche, et ceux où le froid peut régner même le jour. Il n’est resté de fourrure que sur la tête, pour assurer mieux contre les rayons chimiques, la chaleur et le froid le cerveau déjà garanti par sa boîte osseuse, au visage chez l’homme à titre d’ornement soumis sans doute à la sélection sexuelle, aux aisselles et aux aines pour éviter l’érosion de la peau toujours humide et soumise à de fréquents frottements. Les sculptures de l’époque du mammouth nous montrent déjà le vêtement en usage chez une race encore pourvue d’un pelage assez fourré pour que l’artiste ait éprouvé le besoin de l’indiquer (Piette, La station de Brassempouy, Anthropol., 1895, p. 129 s. ; Cp. 1897, p. 168).
L’extrême pigmentation comme la dépigmentation sont donc deux exceptions. La teinte dominante varie du blanc mat et plus ou moins ambré au vieux cuir et à l’olivâtre. En somme la coloration de la peau suit d’une manière grossière les zônes géographiques. La région des peaux bistrées et jaunes coïncide assez exactement avec la zone sèche qui commence au Sahara et se termine au désert de Gobi. La région des peaux noirâtres correspond à la zône de l’humidité chaude. Il fait plus chaud en Arabie et dans le Sahara qu’au Congo. Dans les régions humides et moins chaudes, la couleur tourne à l’olivâtre. Dans les régions froides et assez humides de l’extrême nord, le teint est plus foncé que dans la zone sèche et ses régions bordières à climat continental. C’est ce que montrent bien les cartes météorologiques, celles de l’Atlas Brockhaus par exemple, comparées avec les cartes anthropologiques publiées par le professeur Ripley de Boston dans sa Racial Geography, spécialement la carte de la page 757 (Color of Skin.)
La pigmentation est en relation plus directe avec le climat et le genre de vie qu’avec la race anthropologique. Il existe sur le Haut-Nil et dans la région du Niger des peuples aussi foncés que les nègres et qui se rattachent cependant au groupe dolichocéphale d’Europe. La pigmentation est surtout une livrée de climat, lentement acquise par sélection. J’ai étudié longuement cette question du climat dans un précédent volume de ce cours (Sélections sociales, chap. V, p. 127 et s.) et je me borne à renvoyer le lecteur à ce que j’ai dit des climats qui font blanc, jaune ou noir. V. aussi plus loin, p. 76, et note.
J’insiste seulement sur un point qui paraît avoir attiré l’attention d’une manière insuffisante. Beaucoup de populations n’occupent les régions où nous les trouvons que depuis un nombre limité de siècles. Ainsi les populations jaunes ont débordé sur les noires dans l’Inde, l’Indo-Chine, l’Indonésie, mais le type noir est plus ancien, antérieur à la géographie actuelle. Ainsi les Indonésiens se retrouvent à Madagascar, et il y a de fortes raisons de croire qu’ils n’y sont pas venus directement par mer, mais en suivant des terres disparues dont Teffondrement peut d’ailleurs ne pas appartenir aux âges géologiques. La fixation de la couleur paraît remonter, au contraire, au delà des temps historiques, à l’époque antérieure aux civilisations. Les nègres, au témoignage des Égyptiens, n’ont pas varié depuis six mille ans, c’est-à-dire depuis notre époque de la pierre polie. Sous le bénéfice de cette observation, on consultera avec fruit le chap. III du travail du Prof. Ripley.
Coloration chez l’Aryen. — À mesure que nous avancions dans l’étude minutieuse de la coloration des primates et de l’homme, il devenait plus évident que celle de H. Europæus est un phénomène unique, anormal et pour ainsi dire pathologique. Cette peau rosée, ce visage vermeil, ces yeux dépigmentés, ces poils clairs, presque déteints, nous n’avons rien vu d’équivalent. Si parfois ces caractères se rencontrent, c’est chez des espèces ou plutôt des variétés vivant dans des conditions anormales, et frappées d’une sorte de dégénérescence. Les singes à face vermeille habitent les forêts obscures et inondées de l’Amazonie, à l’abri d’impénétrables frondaisons et dans une atmosphère saturée d’humidité. Le mico, Hapale argentata, dont la face est vermeille et le poil fin et presque blanc, vit dans ces conditions depuis le Tucuman jusqu’à l’isthme de Panama, pays où l’homme lui-même est souvent frappé d’albinisme, et les exemplaires qui ne sont point pris dans les forêts inondées, ou qui ont longtemps vécu captifs, ne sont ni si clairs de pelage, ni si vermeils sur la face. Midas Rosalia, tantôt vermeil et tantôt foncé sur les parties nues, est d’un blond plus roux, mais devient dans certaines variétés d’un blond brun ou brun clair. De même chez les Brachyurus le caractère anormal, demi-pathologique, de la coloration est évident si l’on considère la coloration tout à fait ordinaire d’individus, tellement voisins des premiers à tous autres regards que les naturalistes hésitent à les regarder comme appartenant à des espèces distinctes.
Ces races claires sont donc des races demi-albines appartenant à des espèces primitivement normales, et cet albinisme est lié à l’habitat dans un milieu très humide et obscur. Leur coloration est un phénomène d’étiolement, et l’adaptation au milieu est si parfaite que ces races, d’ailleurs très pauvrement représentées en individus, s’éteignent à mesure que la forêt vierge disparaît. On peut dire d’autre part que cette coloration claire est due à la conservation par l’adulte de caractères du jeune âge. Chez la plupart des singes la femelle est plus claire que le mâle, et le petit très clair, souvent blond, ou presque blond, car, je le répète, la couleur à laquelle on donne ce nom est presque l’apanage exclusif de l’homme et ne se réalise que par à peu près chez le singe. Le Cyn. maurus, qui est tout noir, est tout à fait jaune paille dans son enfance et j’ai donné plus haut un autre exemple semblable. J’ai cité également, en parlant du dîmorphisme sexuel, l’exemple d’un platyrhinien dont le mâle est foncé et la femelle blonde. La couleur claire est ainsi nettement caractéristique de l’âge ou du sexe le plus débile.
H. Europæus vit, lui aussi, dans une région qui, si elle est moins chaude, n’est guère moins humide que l’Amazonie, et qui par l’obliquité des rayons solaires et l’épaisseur des brumes se trouve dans des conditions d’inactinisme particulières. Son habitat était autrefois plus étendu, mais il est aujourd’hui confiné autour de la Mer du Nord et du bassin inférieur de la Baltique. Il semble, comme le mico et le marikina, n’avoir pu résister à la destruction des grandes forêts. Cette race spéciale et unique est ainsi cantonnée dans un climat unique et spécial, maritime et terne, sans hivers rigoureux mais sans étés véritables, brumeux quand il n’est pas pluvieux, et dépourvu de soleil. Il est à remarquer que nulle région du globe ne présente ces conditions particulières, résultantes d’une infinité de causes, l’exposition à l’ouest, sous le vent de mer, le Gulf-Stream, le peu d’élévation des terres, l’abondance des marécages et des lieux humides, et l’enchevêtrement des terres avec la mer. La côte américaine située en face est relativement sèche et ensoleillée, ces conditions étant absentes. Sur le Pacifique la Colombie anglaise ne présente qu’une étroite bande de littoral, derrière laquelle les hautes montagnes condensent aussitôt les nuages apportés par le vent d’ouest et le Kuro-Sivo. Les conditions seraient plus favorables sur la côte sibérienne, mais l’orientation est à l’est, il n’y a pas de courants chauds s’épanouissant sur la côte, et le vent dominant vient de terre. Dans toutes ces régions froides et médiocrement humides la peau est jaune et assez foncée.
On peut donc dire que H. Europæus est par sa morphologie l’homme du Gulf-Stream. Quand on le sort de ce milieu, il dépérit, comme je l’ai montré dans les Sélections sociales en parlant de l’acclimatement. Nous sommes donc amenés à conclure que ses caractères spéciaux, lymphatisme et dépigmentation, nouveaux dans le groupe des primates et surtout chez les bimanes, ont été acquis par l’innuence d’un milieu humide et obscur, analogue à celui où la race prospère aujourd’hui, mais présentant sans doute un maximum de ces conditions. Nous sommes ainsi conduits à chercher la région dans laquelle ces conditions maxima ont pu se trouver remplies[15]
Recherche du milieu producteur du type dépigmenté. — Dans cette recherche nous devons nous inspirer d’abord d’un principe à tort bien négligé par la plupart des anthropologistes. La géographie que nous connaissons, celle d’aujourd’hui, n’est pas la géographie des temps où s’est formée la race Europæus L’Europe et ses environs n’ont pas subi de modifications considérables depuis deux mille ans. Sauf au N. de la Caspienne et sur les bords continentaux de la Mer du Nord, il ne paraît pas y avoir eu de variation des limites de la terre et de la mer, et ces variations ont, en somme, été restreintes. Dans les périodes antérieures il n’en a pas été ainsi, et de grandes fluctuations dans les contours du N. O. et de l’E. de l’Europe se sont produites dans les temps que nous appelons néolithiques en Europe, mais qui répondent déjà aux débuts de la civilisation en Égypte et en Chaldée. Des effondrements étendus, dans les regions égéenne et pontique, ne paraissent même pas remonter plus haut. Quant au quaternaire proprement dit, le pleistocène des auteurs actuels, il a été marqué par une succession d’effondrements à l’orient de l’Europe et dans la région de l’Atlantique, combinés avec des soulèvements et affaissements alternatifs de toute la region N. O. de l’Europe.
Apres avoir longtemps cru que les modifications géologiques s’étaient produites par de brusques cataclysmes, puisque ces modifications étaient l’œuvre lente et insensible des causes actuelles, les géologues ont fini par constater que, si dans la généralité des cas les mouvements du sol sont plutôt lents et graduels, il se produit aussi parfois des relèvements soudains et des effondrements subits, dus à la rupture et à la chute de voussoirs parfois très étendus de la voûte terrestre, et à des mouvements de bascule des régions mises ainsi en porte-à-faux. La fin du pliocène et le pléistocène tout entier ont vu se produire avec une fréquence exceptionnelle ces ruptures de voûte accompagnées de dislocations et de relèvements partiels, C’est ainsi que la formation de la Méditerranée actuelle et de l’Atlantique sont des faits récents, contemporains de l’homme paléolithique et pliocène.
Tous ces faits relatifs à la géologie et à la palégéographie du pléistocène sont connus d’un très petit nombre de personnes, du moins en France, où la plupart des géologues ne lisent même pas les travaux relatifs aux époques géologiques récentes. Les préhistoriens sont encore plus mal renseignés, l’ouvrage de M. de Mortillet qui leur sert de guide datant d’une période où les notions sur le pléistocène étaient à peu près nulles. Depuis dix ans les géologues suédois, russes, allemands, anglais, se sont passionnés pour la géologie et la climatologie quaternaires, et un nombre infini de monographies excellentes a paru. La lumière est déjà suffisante, et il est possible de se faire une idée des vicissitudes extraordinaires qui ont bouleversé l’Europe et ses environs pendant ces temps si rapprochés et que l’on croyait naguère avoir été géologiquement si calmes.
C’est dans ces vicissitudes qu’il faut aller chercher l’origine de l’H. Europæus. C’est pourquoi, je vais résumer l’histoire de la période pléistocène, qui ne se trouve nulle part, et qu’il est indispensable cependant de connaître avant d’aller plus loin.
Définition du pléistocène. — Si l’on prend pour caractéristique du pléistocène l’alternance de périodes chaudes et de périodes froides, il faut lui rattacher le sicilien, qui correspond à la première période froide connue de ce système climatologique, et qui a été placé jusqu’ici dans le pliocène supérieur. Il n’y a pas lieu d’autre part de distinguer du pléistocène la période actuelle, qui ne diffère en rien par la faune du pléistocène supérieur, à l’exception de quelques espèces détruites récemment par l’homme. Tout le pléistocène enfin doit être compris dans le tertiaire, aucune différence considérable de faune ne permet de faire pour lui une division équivalente à celle du secondaire et du tertiaire. Sans les phénomènes spéciaux de glaciation, et le changement de l’orientation des grandes masses océaniques, autrefois parallèles et devenues perpendiculaires à l’équateur, il n’y aurait même pas à séparer le pléistocène du pliocène, dont les espèces se continuent presque toutes par des variations légères jusque dans la faune actuelle.
Les glaciaires. — Le pléistocène ainsi déterminé présente une dizaine de périodes, alternativement chaudes et froides, avec des alternances correspondantes de faunes tempérées et arctiques. Si l’on en juge par l’importance des traces, les périodes les plus anciennes ont été les plus longues ; elles paraissent avoir été aussi les plus contrastées. Le froid paraît avoir été en croissant de la première à la seconde période froide, et en décroissant dans les autres. Chaque période chaude paraît au contraire avoir été moins chaude que la précédente. On trouve sur tout le globe des traces de pareilles alternances, sans qu’on ait pu établir encore si le refroidissement ou le réchauffement affectaient la terre entière, ou si une période de chaleur dans un hémisphère correspondait à un refroidissement dans l’autre. On paraît, en tout cas, avoir établi le synchronisme des périodes pour rhémisphère boréal dans les deux continents.
Ce qui donne aux prennières périodes froides leur caractère particulier, c’est l’intensité des phénomènes glaciaires. Il y a eu probablement toujours des régions élevées et froides sur la terre. C’est dans de pareilles conditions que s’est faite la spécialisation des formes animales et végétales que nous appelons alpines et arctiques, dont la vaste diffusion caractérise les époques froides du pléistocène. Il y a même eu des glaciers dès l’époque primaire, et l’on a signalé sur plusieurs points, en France, en Australie, des conglomérats et des cailloux striés d’origine glaciaire[16]. Ces glaciations locales ont pu prendre des proportions énormes sur les flancs de chaînes de montagnes aujourd’hui usées et réduites par l’action des intempéries à des proportions relativement modestes, comme le Caucase et les Pyrénées. De vastes dépôts miocènes subpyrénéens ont été attribués, à tort ou à raison, à de semblables causes. Le refroidissement des régions polaires n’était pas non plus un fait nouveau. Graduellement pendant le tertiaire la température s’était abaissée dans la zone arctique, et les couches les plus élevées, au Spitzberg et au Groenland, n’accusent plus une flore chaude, mais tout au plus celle de la France. Mais en somme, entre ces phénomènes et ceux des époques glaciaires pléistocènes, il y a une telle différence qu’elle doit être regardée comme qualitative et non simplement quantitative. Au moment de la plus grande glaciation, pendant le second ou grand glaciaire, la région nord de notre hémisphère était écrasée sous le poids d’une énorme calotte de glace d’une épaisseur moyenne de plusieurs centaines de mètres, et qui atteignait en Scandinavie une épaisseur assez grande pour recouvrir les basses montagnes. La limite méridionale des dépôts laissés en Europe par ce glacier formidable passe à peu près par Bristol, Douvres, Anvers, Magdebourg, Leipzig, Breslau, Lamberg et Kiev. En Asie elle remonte plus au nord, pour redescendre un peu vers le sud dans la Sibérie orientale. Les traces sont plus difficiles à suivre, une partie de ces régions ayant été couverte par la mer pendant le pléistocène moyen, la moraine frontale a été dispersée par les flots, et son existence n’a été constatée que depuis peu d’années. En Amérique la calotte glaciaire paraît avoir été plus épaisse qu’en Europe, et ses traces descendent davantage vers le sud à mesure qu’on approche de l’Atlantique, dont l’influence sur la production des glaces paraît indiscutable. Sur cette coupole de glace, uniforme et dont la continuité est établie par le transport jusqu’en Belgique des roches scandinaves, s’élevaient comme des îles rocheuses les sommets les plus élevés des montagnes de la Scandinavie et de l’Écosse. La base du glacier rabotait le fond de la mer, relevant jusqu’à la hauteur de son front, le long des montagnes britanniques, les coquilles marines dont la présence a fait exagérer longtemps l’amplitude de la submersion de l’Angleterre.
On est stupéfait de la prodigieuse masse des eaux solidifiées ainsi et devenues pendant longtemps comme une formation géologique. On se demande quelle influence la soustraction d’une pareille couche a pu exercer sur le régime de l’Océan, et on se trouve plus stupéfait encore de constater que presque partout le niveau de celui-ci était plutôt supérieur au niveau actuel, par suite de causes diverses, et d’un affaissement marqué du sol. Cet affaissement lui-même serait facile à comprendre, par le double effet de la contraction due au refroidissement, et de la compression due au poids du glacier, dont la pression moyenne dépassait cinq millions de kilogrammes par mètre carré, mais il doit avoir eu des causes plus générales, car le maximum d’affaissement a toujours accompagné le début et non le plein des périodes glaciaires[17].
La température sur cette coupole de glace n’était pas toujours et partout très basse, mais elle devait rarement se relever au-dessus de zéro[18]. En dehors de ses limites, et dans une zone très étendue, devait régner un régime humide et froid, humide, car la production de la glace suppose une abondance de neiges, et l’évaporation reproduit à son tour de la vapeur d’eau, froid, car une pareille masse de glace devait emprunter au loin le calorique nécessaire à sa fusion. Certains géologues ont soutenu que la température pouvait être douce au voisinage du glacier polaire. Il en est ainsi en Nouvelle-Zélande tout près de glaciers qui descendent jusqu’à 200 mètres du niveau de la mer, le Waïhau par exemple, mais il n’y a guère plus de comparaison à établir entre un modeste glacier et la coupole polaire qu’entre un feu de tisons et un volcan. En pareille matière, c’est la quantité qui est tout. Il n’y a pas davantage à tenir compte de la plupart des preuves directes, tirées de la superposition immédiate de couches fossilifères et de dépôts glaciaires. Les fossiles datent d’une époque où le glacier n’avait pas atteint son développement maximum ou se trouvait déjà en régression, dans les deux cas assez éloigné pour que le régime glaciaire virtuel ne fût pas actuel au point éludié. Cependant » par suite de circonstances particulières, régime du vent d’ouest, humidité plus tiède, certains dépôts britanniques montrent des alternances de flores presque tempérées avec des lits nettement glaciaires. Sur ce point, la zone neutre entre la mort et la vie doit avoir été plus étroite.
Partout ailleurs, de la calotte glaciaire jusque bien loin dans le sud, le sol devait être constamment balayé par un vent furieux et glacé, une sorte de mistral perpétuel causé par le retour vers l’Équateur de l’air ramené à zéro sur cet énorme appareil réfrigérant. Les faunes de toundra et de steppe, si bien étudiées par Nehring en Allemagne, correspondent à ces époques où le vent ne permettait pas aux arbres de vivre, même à plusieurs centaines de lieues du bord extrême de la coupole.
Il paraît y avoir eu quatre périodes comportant un grand développement de la calotte polaire. La première glaciation et les deux dernières n’ont que peu dépassé les bassins de la Baltique et de la Mer du Nord, mais le développement des phénomènes glaciaires a été cependant très grandiose dans les régions montagneuses. Les chicots de montagnes du centre de la France montrent les traces de glaciers formidables, contemporains du premier glaciaire, et que l’usure des cimes a empêché de se reproduire plus tard. Dans les Alpes, les glaciers du grand glaciaire ont au contraire entièrement raboté les moraines du premier.
Dans les intervalles des périodes froides, la température était d’abord supérieure à celle d’aujourd’hui. La faune à Elephas meridionalis et celle à Elephas antiquus comportent des espèces dont le genre de vie exigeait un climat doux, par exemple le magot, et des amphibies exigeant des eaux constamment libres de glace, comme l’Hippopotamus major et son descendant amoindri l’hippopotame ordinaire. A partir du troisième interglaciaire les espèces adaptées au froid, rhinocéros laineux, mammouth et renne, dont la présence ne se constatait que par exception dans la couche inférieure, ne quittent plus le pays jusqu’à leur entière destruction. Les périodes froides ne le sont plus assez pour leur interdire la vie dans les lieux abrités, et pendant les périodes chaudes, l’excès de la température n’est pas tel qu’ils ne puissent subsister dans les montagnes ou dans les forêts exposées au nord. De là de singulières coïncidences dans divers dépôts du pléistocène moyen et supérieur, et des mélanges déconcertants qui s’expliquent par les incursions estivales des espèces méridionales dans le nord, et les migrations hivernales des espèces du nord vers le midi, sous un régime climatérique à saisons très contrastées comme celui de nos pays à la fin du pléistocène.
Causalité des glaciations. — On ne sait rien de bien précis sur les causes des phénomènes glaciaires. Elles paraissent avoir été fort multiples, les unes générales et les autres locales. Les maxima de froid ont été dus pour chaque région à des conjonctures spéciales de causes, ce qui explique l’inégalité du phénomène dans les divers pays.
Pendant le miocène, la flore du Groenland et du Spitzberg avait de grandes analogies avec les flores actuelles des Canaries, de la Galice et de l’Irlande, elle suppose un climat très doux, plutôt chaud, et une grande humidité. Même en admettant un léger déplacement du pôle, que penser d’une pareille flore dans des régions où le soleil monte aujourd’hui si peu sur l’horizon l’été, où l’hiver est marqué par une nuit de plusieurs mois ? Il faut supposer qu’alors le soleil, plus grand, probablement moins chaud, éclairait à la fois les deux pôles du globe. Depuis, sa condensation s’est accusée, les pôles sont privés de ses rayons, et l’équateur les reçoit plus chauds. Le pléistocène paraît répondre à cette période de transition. Que le phénomène ait été dû à des causes internes, ou que le soleil lui-même ait subi une action réfrigérante extérieure, il paraît certain que la crise a coïncidé avec la période météorologique tourmentée qui nous occupe. Le soleil n’était certainement pas durant le tertiaire tel qu’il est aujourd’hui (Blandet, Lapparent, Faye).
Il est évident que la réduction de volume du soleil, et le changement dans l’incidence de ses rayons ont déterminé une condensation considérable de vapeurs atmosphériques. Il s’est produit en petit pour la vapeur d’eau ce qui s’était fait en grand quand le globe entier était passé de l’état gazeux à l’état liquide. De là, et pendant une longue période coupée d’alternatives, un régime de brumes épaisses, de pluies interminables et de neiges abondantes, et la cessation du rôle protecteur contre le refroidissement que jouait l’épaisse couche de nuages permanents du monde ancien.
Ce phénomène, sur lequel mon attention a été attirée par M. de Rouville, me paraît avoir eu sur le pléistocène une influence principale. D’autres causes générales ont exercé aussi une influence probable. Le général Drayson pense que le pôle décrit un cercle autour d’un point situé à 6° du pôle de l’écliptique, et à 29° 25’ 47’’ du pôle. Vers 13700 avant J.-C, le cercle polaire pouvait ainsi coïncider avec le centre de l’Angleterre. Il est possible aussi que la théorie de Croll explique une partie des phénomènes, mais elle a le tort grave de n’expliquer facilement qu’un glaciaire, commençant il y a 240.000 ans, durant 160.000 ans et prennent fin il y a 80.000 ans à peu près. Pour quiconque a étudié les dépôts pléistocènes, alluvions de fleuves ou dépôts marins, il est bien difficile d’admettre une pareille durée du glaciaire, et une pareille ancienneté de sa fin. Ces dépôts, terrestres ou marins, partout où la glace n’est pas intervenue, ne représentent que bien peu de chose auprès des couches vraiment géologiques[19]. Il ne s’agit plus, d’autre part, d’un seul mais de plusieurs glaciaires, de sorte que l’hypothèse de Croll s’appliquerait seulement au second. Il est possible enfin que des phénomènes géologiques internes aient produit un déplacement appréciable de l’axe de gravité, et par suite des pôles, à diverses reprises, mais cette cause est à peu près négligeable. Il faudrait un prodigieux changement d’équilibre, un soulèvement en masse de la moitié des terres du globe à deux ou trois mille mètres, pour faire varier d’un ou deux degrés la position du pôle. La cause dominante reste donc celle-ci : avant le pléistocène il n’y avait pour ainsi dire ni zônes ni saisons, la paléontologie nous le prouve, et les périodes de lutte entre le chaud et le froid ont été la crise inaugurale du régime actuel.
Des modifications importantes dans la répartition des eaux et la direction des courants se sont produites pendant le pléistocène. En Europe, les choses se sont passées comme si dans les périodes froides le Gulf-Stream fut arrêté très au large, à des centaines de lieues, par une barrière de terres basses, ne laissant accéder les nuages que refroidis et prêts à se résoudre en neige. Les effondrements considérables dans la région atlantique ont agi aussi comme causes directes de production de vapeur, et ont dégagé certainement au fond de la mer des quantités considérables de calorique, en partie dues à l’action mécanique et en partie à d’immenses épanchements basaltiques. Ces effondrements ont agi encore d’une manière plus directe, en soulevant d’immenses raz-de-marée qui balayaient les continents jusqu’à une grande hauteur. Les phénomènes diluviens, en effet, sont à peu près les seuls qui puissent expliquer la présence d’alluvions de plateaux dans diverses régions. Il suffit de se reporter aux récits du raz-de-marée qui accompagna l’explosion du Krakatoa pour comprendre l’élévation prodigieuse des lames que devaient produire des effondrements étendus, mille ou un million de fois plus vastes, et plus profonds.
Il n’y a pas à tenir grand compte des dénivellements lents. Ils ont agi simplement en modifiant la répartition des terres et des eaux, dans le N. O. surtout, mais ils n’ont élevé aucune région étendue à de grandes hauteurs. Des mouvements de bascule ont porté en Sicile, en Calabre, en Turquie, de petits lambeaux de terrain sicilien ou saharien à quelques centaines de mètres d’élévation, mais, d’une manière générale, c’est plutôt par une tendance à l’affaissement des terres que se caractérise le pléistocène. Ces périodes d’affaissement comportent des phases, de compensation partielle qui sont les périodes chaudes, mais les époques froides paraissent avoir été toutes des périodes d’affaissement général. Il faut d’ailleurs retenir que le maximum de dépression ne coïncide pas dans l’espace et le temps avec celui de la coupole glaciaire et de l’extension des froids, de sorte que les dépôts nous renseignent surtout sur la faune marine du commencement et parfois de la fin de l’époque glaciaire correspondante. Il est bien certain que cet affaissement n’a pas été dû seulement à la compression par la calotte de glace, ou à l’attraction exercée par celle-ci sur les eaux, déterminant un bourrelet de la surface marine, ni à la contraction des matériaux de l’écorce terrestre par l’effet du refroidissement[20]
A titre d’exemple, la côte scandinave était, avant le pléistocène, de 1.000 m. environ au dessus de son niveau actuel dans la region des fiords, qui, naturellement, n’ont pas été creusés sous l’eau. Pendant le quatrième glaciaire, la Scandinavie méridionale était de 300 m. environ au dessous du niveau actuel. Les dénivellations ont été généralement moins considérables dans le reste du N. O. de l’Europe, a peu près 40 m. seulement pour l’Écosse et moins pour l’Angleterre. Evidemment des causes géologiques locales sont intervenues comme élément principal dans ces dénivellations.
Formation de l’Atlantique. — L’événement géologique du pléistocène est la formation de l’Atlantique. Jusqu’alors et depuis le crétacé supérieur la grande masse des eaux dans l’Occident de l’hémisphère nord affectait la forme d’une bande irréguliere, s’étendant depuis le N. de la Perse jusqu’au fond du Golfe du Mexique, et dont l’étendue longitudinale et les contours ont varié suivant les époques dans des proportions considérables. Les régions couvertes aujourd’hui par l’Atlantique Nord etaient un continent fort ancien, dont les débris nous montrent encore en Irlande, aux Foeroer, en Islande, au Groenland, dans le N. E. de l’Amérique, des traces de lits charbonneux à flore et à faune terrestres. Plus au N. il y avait probablement de vastes étendues d’eau, mais d’eau tiede, car les couches du Spitzberg nous montrent une flore tempérée chaude, et oq a trouvé au N. du Groenland, à Discovery-Harbour, par 81°.48, le Taxodium distichum qui vit actuellement au Mexique.
On peut voir dans l’ouvrage célèbre de Suess, et surtout dans l’édition française publiée par M. de Margerie sous le nom de Face de la terre, (t. I, part. 2, ch. iv), le résumé des vicissitudes de cette mer parallèle à l’Équateur et dont la faune avait une grande uniformité à chacune de ses époques. Les formations à polypiers de Saint-Barthélemy, leurs équivalents de Cuba, de la Jamaïque, représentent les bancs à polypiers de Castel-Gomberto et de Crosara en Europe : Trochosmilia subcurvata, arguta, Stephanocœnia elegans, Astrocœina multigranosa, Ulophylla macrogyra, Porites ramosa. Cidaris melitensis existe dans plusieurs des Antilles, en compagnie d’espèces proches parentes de celles du calcaire supérieur de Malte ; comme Schizaster Loveni, Brissopsis Antillarum. La différenciation s’accuse dans les étages supérieurs ; une cause, sur la nature de laquelle on n’est pas fixé, mais qui ne comporte pas l’existence d’une séparation complète, empêche la diffusion des faunes.
Le pléistocène débute par l’effondrement de vastes parties de ces régions, permettant à la faune du plus extrême Nord de pénétrer jusque dans la Méditerranée pendant les divers glaciaires. Pendant tout le pléistocène se sont succédé ces effondrements, dont les derniers ont donné lieu à la légende de l’Atlantide et à d’autres analogues. Ces cataclysmes, le mot est purement exact dans ce cas, ont été très rapides. Presque tout le travail de formation de l’Atlantique Nord s’est fait ainsi dans la période si courte du pléistocène, quelques dizaines de mille ans au plus. Ces phénomènes soudains, dus à des ruptures de voûtes, ont été accompagnés de mouvements de bascule lents et plusieurs fois répétés au N. O. de l’Europe. Le résultat définitif a été la formation de ce vaste bassin qui s’étend depuis le pôle jusqu’à l’Équateur, où il se joint au grand maritime austral.
La direction nouvelle des eaux, suivant les méridiens, fait croix avec la mer tertiaire dont il reste seulement les deux extrémités, le Golfe du Mexique et la Méditerranée. L’aspect des américaines a donc profondément changé depuis le pliocène et ce phénomène a été général sur tout le globe. Au régime des mers peu profondes et enchevêtrées dans un système d’archipels et de terres découpées a succédé un régime de continents compacts et de vastes et profonds océans.
Les faunes. — Les vicissitudes du climat ont entraîné d’une manière nécessaire une grande vicissitude de faunes. Les espèces de la fin du pléistocène sont en grande partie nouvelles, et les plus caractéristiques du commencement de cette époque ont disparu. Ces dernières sont cependant moins nombreuses qu’il ne paraît d’abord. Il faut distinguer les espèces vraiment disparues sans descendance, comme l’Elasmotherium ou le Megaceros, de celles qui ont survécu dans des formes mieux adaptées, comme l’Elephas meridionalis N. dans l’E. antiquus F., celui-ci dans E. primigenius Bl. et l’E. Africanus L., ce dernier encore vivant. Pour les rhinocéros, les éléphants, les chevaux, les bœufs, etc., la transition des espèces est insensible, et il existe, par exemple, dans la collection Sirodot, tous les intermédiaires entre les formes éteintes et vivantes d’éléphant. Tous ceux qui ont eu à classer des mammifères pléistocènes, et qui se sont maintes fois butés à l’impossibilité de rapporter un exemplaire à une espèce plutôt qu’à une autre, savent à quoi s’en tenir sur l’extinction des espèces. En réalité, à part Machœrodus latidens, Elasmotherium, Trogontherium et quelques hippopotames et éléphants minuscules de Crète, de Sicile et de Malte, les espèces pléistocènes d’Europe et de Sibérie survivent toutes. La faune pléistocène de l’Amérique a été, au contraire, prodigieusement réduite en grandes espèces[21]. Il en est de même pour les petits animaux et les plantes, il n’y a pas plus d’une dizaine des uns et des autres qui aient disparu sans descendance. Quant aux espèces disparues de chez nous mais qui survivent ailleurs, comme les cerfs, les hyènes et les félins pléistocènes, Machœrodus excepté, c’est à tort qu’elles sont parfois appelées éteintes.
Cette dernière catégorie est généralement qualifiée : animaux émigrés. Cela ne veut dire aucunement que le climat ayant cessé de leur convenir, ils aient été chercher fortune ailleurs. En réalité, à mesure que le climat variait, chaque espèce s’éteignait sur une partie de son aire, et envahissait au contraire de nouveaux territoires devenus appropriés à sa constitution. Cette remarque a son intérêt. Elle nous permet de comprendre que le renne de France pouvait avoir un tempérament moins spécial que le renne actuel de Laponie, son collatéral mais non son descendant. Il est probable que le tigre de la Mandchourie et de la Sibérie orientale, transporté brusquement à Ceylan, mourrait aussi vite que le renne de Laponie amené à Paris. L’Esquimau adapté au climat polaire meurt en peu de mois dans nos climats, en vertu même de la spécialité de son adaptation.
Je ne crois pas que la transformation des espèces qui apparaissent durant le pléistocène ait toujours été accomplie au temps géologique où nous les voyons se multiplier. Les espèces de montagne et de l’extrême nord de l’Europe à la fin du pliocène nous sont inconnues, ce sont elles probablement qui ont envahi les plaines plus tard, au moment où nous apparaissent les faunes froides. Cette remarque encore est utile, elle nous permet de comprendre la rapide succession des espèces d'éléphants, par exemple, dans un temps assez court en somme. Le climat nouveau a contribué à parfaire et à répandre les types de faune froide, mais il existait depuis l’origine de la vie des formes adaptées aux températures peu élevées, espèces monticoles sur la terre, abyssales dans la mer.
C’est très probablement à une certaine profondeur, dans le bassin subpolaire, que se sontainsi formées les espèces de faune froide qui apparaissent brusquement pendant le premier glaciaire dans le crag de Norwick, dans les sables de Palerme à Ficarazzi et Monte Pellegrino. Il est probable que pendant le pliocène la température douce de la mer devait être superficielle, entretenue par un courant analogue au Gulf-Stream. Nous ignorons parfaitement comment ce courant, qui n’était pas, et pour cause, le Gulf Stream alors tournant en rond dans l’Atlantique central, a pu parvenir dans la mer polaire, mais la formation même d’une faune froide dans ces eaux prouve à peu près son existence.
Nous possédons jusqu’ici très peu de documents pour la zoologie du premier glaciaire. Les dépôts terrestres du nord de l’Europe ont été ravinés par les glaciaires suivants, et l’action du froid paraît n’avoir pas été si marquée dans l’Europe moyenne et méridionale que la faune terrestre en ait subi de très profonds changements, ou tout au moins que de nouvelles espèces aient été créées. Les coquilles d’eau douce de la couche inférieure de Magdebourg et de quelques autres stations sont à peu près tout ce que nous connaissons de la première faune froide, en dehors des dépôts marins. De mammifères nouveaux, point de traces. En revanche une grande partie de la faune arnusienne ne se retrouve plus dans les couches du niveau de Saint-Prest ; les âges de ces deux assises étant séparés par le premier glaciaire, on peut en conclure que le changement du climat détruisit un grand nombre d’espèces du pliocène.
Dans le crag supérieur de Norwich et les couches de Chillesford, la faune spéciale comprend Fusus striatus, Turritula communis, Cardium edule, Cyprina islandica, espèces qui vivent encore dans la Mer du Nord, mais qui n’y existaient pas pendant le pliocène, ou s’introduisaient à peine. Elle comprend en outre Scalaria groenlandica, Panopœa norwegica, Astarte borealis, formes nettement polaires. Dans les sables supérieurs d’Anvers la Chrysodomus despecta a la même signification.
La présence de ces coquilles dans la Mer du Nord, avec le voisinage de la Scandinavie couverte d’un glacier comme celui du Groenland actuel, et de l’Écosse également couverte de glaces, n’est pas faite pour surprendre. Celle des coquilles boréales dans la Méditerranée est plus étonnante, malgré la présence de puissants glaciers dans les Alpes et sur le Plateau central. La faune de Ficarazzi et Monte Pellegrino, Buccinum groenlandicum, Trichotropis borealis, Mya truncata, Cyprina islandica, Saxicava arctica, est démonstrative d’un abaissement de plusieurs degrés dans la température marine. Il est probable que, par suite de la configuratiou des côtes à cette époque, un courant polaire devait venir s’engouffrer par le détroit bétique, peut-être par celui de Gibraltar s’il existait déjà, dans la Méditerranée occidentale. Les formes arctiques deviennent moins abondantes dans les dépôts plus orientaux.
La faune de l’interglaciaire qui suivit est la continuation de celle du pliocène supérieur, la faune arnusienne diminuée d’un grand numbre d’espèces[22]. Dans l’Europe moyenne les formes animales du premier glaciaire et du premier interglaciaire sont identiques. La faune des alluvions de la Bresse, par exemple, qui paraissent dues à une première glaciation alpine comme les deckenschotter suisses, est exactement celle de S. Prest et des couches supérieures du Val d’Arno. C’est la faune à Elephas meridionalis N. dominant, E. antiquus, Rhinoceros Merkii Kaup., Hippopotamus major, Trogontherium Cuvierii, Machærodus latidens, Megaceros Carnutum, Cervus Sedgwicki, capreolus, dama. Les petites espèces de mammifères sont moins connues, à cause de la nature des dépôts. Les dépôts d’eau douce sont caractérisés par Belgrandia, Paludina diluviana, Cyrena fluminalis, formes aujourd’hui éteintes ou cantonnées dans la région méditerranéenne. Paludina diluviana, qui forme à Magdebourg et à Berlin de véritables bancs, ne reparaît plus dans le chelléen d’Allemagne et suffit à dater un gisement. Dans le Forest-bed de Cromer on trouve des plantes qui prouvent l’existence d’un climat constant et plutôt doux que chaud : Abies pectinata, Picea excelsa, Pinus silvestris, P. montana, Taxas baccata, Nymphœa alba[23]. Dans le midi de la France, la flore à lauriers et figuiers de Castelnau paraît de cette époque ou de l’interglaciaire suivant et prouve l’existence d’hivers moins rigoureux qu’aujourd’hui. L’existence des hippopotames montre que, même en Angleterre, les rivières n’étaient jamais prises. Toutes ces espèces ne supposent d’ailleurs pas des étés plus chauds qu’aujourd’hui, leur ardeur pouvait même être moindre. Il suffisait que l’hiver fût peu rigoureux, car la faune et la flore sont réglées plutôt par la température hivernale que par celle des mois les plus chauds.
Le second ou grand glaciaire a laissé peu de traces dans la faune marine de la Méditerranée. Il n’y a pas du moins de lits à faune froide actuellement connus qui se rapportent à cette époque. Comme le précédent, ce glaciaire a laissé des traces plus importantes en Angleterre, par exemple les lits à Leda myalis au-dessus du Forest-bed de Cromer. L’E. primigenius se trouve, dans le Forest-bed de Cromer, représenté par des précurseurs. Son arrivée date probablement du commencement du second glaciaire, quand la grande coupole de glace commençait seulement à s’avancer. Plus tard le glacier est descendu de Scandinavie, rabotant la mer du Nord et couvrant les îles Britanniques. Il a supprimé pour un temps la vie dans la région. La faune du Boulder-Clay inférieur, qui correspond au second ou grand glaciaire, est donc à proprement parler celle du commencement ou de la fin de l’époque. Dans tous les dépôts marins du Boulder-Clay inférieur continental, nous trouvons de nouveau Cyprina islandica, Astarte borealis, Saxicava arctica, Leda myalis, Yoldia arctica, Natica groenlandica. En Angleterre, même faune marine. Comme mammifères les couches contemporaines donnent le morse, le narval, le phoque de la mer polaire, Pagophilus groenlandicus, le renne, Rangifer groenlandicus, le chien, C. familiaris v. groenlandica, Ovibos moschatus, le castor, le glouton, Gulo borealis, le mammouth, E. primigenius, le rhinocéros laineux, Rh. tichorhinus, le cheval, E. caballus fossilis, le bœuf, Taurus primigenius B., le bison, Bison priscus, des cerfs et des ours que nous retrouverons tous plus tard. Absence du daim et du chevreuil, espèces délicates. Tout le nord de l’Europe tempérée a pendant le progrès et le regrès du glacier porté une flore à Salix polaris, herbacea, Dryas octopetala, Betula nana, etc.
L’interglaciaire suivant est connu par de nombreux dépôts d’alluvions, dont le plus célèbre en France est celui de Chelles, d’où le nom d’époque chelléenne donné au second interglaciaire. La faune est à très peu près celle du S. Prestien, mais l’Elephas antiquus y remplace l’E. meridionalis devenu très rare, du moins dans la région correspondant au N. de la France. Le gisement de Tilloux et certains gisements de la région méditerranéenne en France et en Italie nous montrent en effet la survivance de cet éléphant jusqu’à l’époque où le mammouth domine à son tour. Il ne faut pas perdre de vue que la faune dont on parle d’ordinaire est celle de l’Angleterre méridionale, du nord et du centre de la France, de l’Allemagne, et qu’à toutes les époques certaines de ses espèces ont manqué dans le nord de l’Europe, tandis que le midi en possédait une série d’autres dont l’occurrence est fort rare dans la région moyenne. Ainsi le renne n’est à aucune époque descendu en Espagne et en Italie, sauf des incursions individuelles, et sous la même réserve le Nord n’a jamais vu l’Elephas meridionalis ni l’E. antiquus. Les éléphants nains, E. mnaidriensis et melitensis B., et le petit Hippopotamus Pentlandi n’ont pas vécu sur le continent. Hyaena brunnea, crocuta, n’ont vécu que dans la région méditerranéenne, et en petit nombre. De même le magot ne paraît avoir été trouvé que dans l’Hérault et les Pyrénées. Toutes ces formes sont du chelléen. Le rhinocéros dominant du chelléen est le Merckii, le tichorhinus reparaissant seulement comme précurseur du glaciaire suivant. Les espèces datant du pliocène se raréfient : Machærodus, Trogontherium, Equus Slenonis.
L’homme fait dans le second interglaciaire sa première apparition certaine. Il a semé ses lourdes haches de type chelléen et acheuléen sur le globe presque entier, mais nous n’avons de débris humains authentiques que deux dents trouvées à Taubach près de Weimar. Il est probable que nous avons affaire au sous-genre Pithecanthropus, représenté par P. erectus Dub. dans les couches de Trinil à Java, dont la date est à peu près celle du S. Prestien français, Norfolkien de Geikie, et par P. Neanderthalensis King dans le troisième interglaciaire.
Le troisième glaciaire nous fournit de nouveau comme faune marine Cyprina islandica, Psammobia ferœnsis, Mya truncata, Buccinum undatum et autres espèces déjà citées. Le renne, le rhinocéros laineux, le mammouth, E. primigenius, sont les espèces caractéristiques de l’époque. E. antiquus disparait à peu près entièrement de France et d’Allemagne, et d’une manière définitive. On ne le retrouve plus qu’au delà des Pyrénées, où il s’est maintenu jusqu’à une époque très récente, et d’où il a fait quelques incursions dans le S. O. de la France pendant l’interglaciaire suivant.
Après le troisième glaciaire nous voyons très nettement, grâce aux fouilles minutieuses faites en Allemagne et en Suisse, et à la richesse des dépôts des cavernes, la succession des faunes s’opérer. Il faut distinguer entre les régions de l’Angleterre et de l’Allemagne, où les documents ne commencent guère avant le quatrième interglaciaire, et le midi de la France, où le quatrième glaciaire ayant faiblement agi la faune n’a pas subi de fortes vicissitudes. Cette dernière est caractérisée par des félins et des ours qui existaient déjà pendant le chelléen, mais n’y avaient pas la même valeur caractéristique : Hyœna spelaea G., Léo spelœus G., Ursus spelæus Bl., par le mammouth et le rhinocéros laineux. La plupart de ces espèces du pléistocène moyen s’éteignent peu à peu chez nous ; dans les couches supérieures on ne les retrouve plus, mais les deux dernières ont seules réellement disparu.
Le quatrième glaciaire apporte peu de changement à la faune dans nos régions, mais réintroduit la faune arctique dans l’Europe septentrionale et centrale. C’est du quatrième glaciaire que datent les restes innombrables et bien conservés de la faune à lemmings du lœss et des cavernes. Aucun bouleversement n’étant venu depuis lors remanier les alluvions et vider les cavernes, les archives se sont empilées dans un ordre parfait. Leur destruction par les phosphatiers est un des faits les plus regrettables de notre époque, où la recherche inintelligente du lucre causé d’incalculables ravages. Par ces dépôts nous apprenons comment se sont passées en détail les périodes de transition du froid au chaud, dont nous n’avons qu’une notion sommaire pour les temps antérieurs.
Aussitôt après que le sol est redevenu habitable apparaît une faune de toundras, le climat correspondant à celui de la Sibérie dans le voisinage de la mer glaciale. C’est la couche à lemming, Myodes torquatus, qui offre les espèbes suivantes : Lepus glacialis, Vulpes lagopus, Gulo borealis. A la même époque appartient Ovibos moschatus. Chose singulière, l’ours blanc n’en fait pas partie, et cette espèce ne se trouve pas à l’état fossile. Vient ensuite une faune de steppe, avec Lagopus pusillus, Spermophilus rufescens K., citillus, Lepus variabilis, Canis corsac, Equus hemionus P., Saïga prisca, Cervus canadensis, maral, Rangifer tarandus L., Elephas primigenius, Rhinoceros tichorhinus, Alactaga jaculus P., Arctomys bobac Sch., Cinvetus frumentarius, vulgaris D., phœeus, Ovis argalioïdes, etc. A cette faune se superposent les grands carnassiers énumérés plus haut[24].
La faune à saïga, hamster et spermophile s’est étendue jusque dans Tout l’ouest de la France (Périgord, Mayenne), mais celle à lemming n’y est guère représentée que par le glouton et l’ovibos. Le renne est abondant jusqu’aux Pyrénées. La reconstitution du sol arable et des forêts fit disparaître peu à peu les espèces de steppe, excepté dans les régions où le steppe dure encore, en Russie et Sibérie. Peu à peu les grands carnassiers diminuent, et les espèces actuelles, d’abord pauvrement représentées, se multiplient et les remplacent. De même les bovidés et les cervidés supplantent les éléphants et le rhinocéros, et enfin le renne même. Le cheval, qui paraît avoir été d’une extraordinaire abondance après le troisième et le quatrième glaciaire, diminue aussi de fréquence. La fin du pléistocène est marquée par un développement considérable des forêts et par l’abondance des cervidés, représentés par les espèces actuelles, le cerf de Virginie, le maral, tous deux éteints en Europe, l’élan, relégué aujourd’hui dans l’extrême nord avec le renne, et le prodigieux Megaceros hibernicus, dont l’existence s’est prolongée jusqu’à notre ère et même au-delà.
À la faune des grands carnassiers, du mammouth et du renne, qui se divise elle-même assez bien en trois sections chronologiques d’après la prédominance de ces espèces, succède donc celle des cervidés, puis la faune actuelle, résultat de l’extinction progressive des espèces par l’homme.
Le cinquième et le sixième glaciaire n’ont pas sensiblement agi sur la faune et la flore, en dehors des régions de montagne et de l’extrême nord de l’Europe.
Homme. — J’aurai plus loin à étudier en détail l’anthropologie pléistocène pour chercher l’ancêtre de l’H. Europæus. Je n’en dirai donc ici qu’un mot. L’homme est déjà représenté pendant le pléistocène par des formes très variées. Laissant de côté les formes exotiques, et en particulier la plus ancienne et la plus primitive, P. erectus Dub. de Java, nous avons dans le pléistocène supérieur d’Europe Pithecanthropus Neanderthalensis, King, la plus ancienne forme connue dans toutes ses parties, et une série de formes appartenant au g. Homo dans le sens strict. De celles-ci, les unes sont connues par leurs restes, comme celles de Chancelade et de Menton, les autres ne sont que supposées d’après des dessins ou des statuettes, comme la race stéatopyge de Piette. Il est problable aussi que les races de pygmées, découvertes exclusivement jusqu’ici dans les couches néolithiques, existaient déjà en Europe durant le pléistocène. Enfin le crâne de l’Olmo et celui de la Truchère représentent d’autres variétés.
Chronologie. — Nous possédons très peu de travaux synthétiques sur le pléistocène. Le meilleur est assurément le Great Ice Age de Geikie, mais il est fait à un point de vue spécial. Les monographies locales sont innombrables, et leur dépouillement m’a fourni un nombre considérable de coupes de terrains, dont la plupart sont difficiles à raccorder ensemble[25]. La terminologie présente une première difficulté. Chaque monographe, et je ne saurais trop le louer de le faire, appelle première glaciation celle qui a laissé les plus anciennes traces observées dans sa région. Il en résulte que la première glaciation d’Écosse correspond seulement à la seconde de Suède. De même la quatrième glaciation d’Écosse, de la Forêt-Noire et de Suisse ne paraît pas avoir de correspondante chez nous. D’autre part, il y a de visibles oscillations dans le grand glaciaire d’Écosse, des lits de végétaux intercalés prouvant que dans cette région protégée par le Gulf Stream, la vie était aux aguets et gagnait du terrain à chaque recul temporaire de la coupole de glace.
Les glaciations, d’autre part, n’ont ni le même centre ni la même aire. Il en résulte une superposition des gisements très irrégulière. Sur certains points, ils accusent une ou deux phases de simple refroidissement sans glaciers, sur d’autres la présence quatre ou cinq fois répétée d’un épais manteau de glace. La géologie pléistocène ne se comporte d’ailleurs pas autrement en cela que celle des temps antérieurs. Toutes les époques nous montrent des dépôts marins absents ici, parce que la région était alors exondée, ou parce que les couches ont été abrasée, très puissants ailleurs, avec faciès abyssal dans un pays, littoral ou d’estuaire dans un autre, et enfin dans d’autres régions encore, les couches contemporaines sont lacustres, fluviales ou purement terrestres. Le travail de coordination, l’établissement des synchronismes se fera donc de la même manière. On se guidera tout à la fois par la stratigraphie, la paléontologie, même la lithologie micrographique, car les argiles et les graviers pléistocènes accusent une composition minéralogique différente suivant les époques, à cause de la différence des roches dans les régions desquelles émanaient chaque fois les courants de glace[26].
Les débris de l’industrie humaine sont un élément de détermination nouveau et précieux dans la géologie du pléistocène. Il ne faut d’ailleurs pas essayer de se guider uniquement d’après l’archéologie préhistorique. Certaines formes d’instruments ont survécu plus longtemps dans certaines régions. Ainsi le coup-de-poing chelléen, qui chez nous caractérise le second interglaciaire, a été trouvé lors des fouilles de la British Association à Hoxne dans les couches A et B, au-dessus d’une couche C à flore de toundra, qui correspond au 4e glaciaire. On n’en a pas trouvé dans les couches D et E du troisième interglaciaire, superposées directement au Boulder-Clay supérieur à blocaux calcaires du 3e glaciaire.
Sous le bénéfice de ces explications, je vais résumer la chronologie du pléistocène, en prenant pour base les divisions de Geikie dans un plus récent travail (« Classification of european glacial deposits », Journal of Geology, Chicago, 1895).
Premier glaciaire. — Scanien = sicilien inférieur. — Géologie. Sicilien de Calabre, de Sicile, du Péloponèse. Couches de Chillesford (Norfolk). Graviers sous paludiniens de Magdebourg. Glaciaire scanien de Suède. Graviers glaciaires de Moen, Möckern. Plus anciens dépôts morainiques dans la région à l’est de la Baltique. Formation fluvio-glaciaire du Hanovre. Deckenschotter supérieur de Suisse. Plus anciennes moraines du Cantal. Cailloutis de la Dombes et de la Bresse. — Paléontologie. Extermination des espèces caractéristiques du pliocène. Faune boréale dans la mer du Nord, dans l’Europe moyenne. Buccimun groenlandicum, Cyprina islandica, Trichotropis borealis, etc. dans la Méditerranée. — Géographie. Effondrement partiel du continent euro-américain. Contours du N. O. et de l’O. de l’Europe plus avancés vers l’ouest qu’aujourd’hui. Le Rhône affluent du Rhin, le Rhin de la Saône. Massif du Cantal, Alpes, Pyrénées, de mille mètres au moins plus élevés qu’aujourd’hui au-dessus de la plaine. Méditerranée occidentale très irrégulière et petite, communiquant avec l’Océan par le détroit de Gibraltar récemment formé, et par périodes avec un bassin maritime au sud de la Grèce. Pas d’Adriatique ni de mer Égée, lacs d’eau douce et lagunes dans la région de la mer Égée. Fleuves de Syrie affluents du Nil, dont l’embouchure devait se trouver au S. E. et à peu de distance de la Crête. Dans la région de la mer Noire orientale, un lac saumâtre communiquant au nord avec la Caspienne très étendue qui reçoit le Danube. Ce fleuve séparé du lac par une chaîne unissant le Balkan aux montagnes de Crimée. Grande glaciation. Au maximum l’Inlandsis couvre la Baltique, l’Allemagne du Nord et l’Écosse. Grands glaciers dans toutes les chaînes, spécialement sur le plateau central de la France, où la glaciation a été plus forte que celle du grand glaciaire. — Climatologie. Période de refroidissement, neiges et pluies abondantes.
Premier interglaciaire. — Norfolkien. — Géologie. Forest-bed du Norfolk. Saint-Prestien de France. Couches de Durfort. Couches supérieures du Val d’Arno. Couches à Paludina diluviana de Magdebourg. Argiles et marnes à Paludines de Berlin. Formation d’eau douce de Fleming. — Paléontologie. Faune des survivants du pliocène, sans éléments nouveaux. Éléphant dominant : meridionalis. Rhinocéros dominant : Merckii. — Géographie. Période d’émersion dans le N. O. Le Rhin continue à recevoir le Rhône par la vallée de l’Aar, mais coule vers le N. et va se déverser au N.E. de l’Écosse. — Climatologie. Époque plus chaude, au moins l’hiver, que de nos jours, pluvieuse et humide.
Deuxième ou grand glaciaire. — Saxonien. — Géologie. Erratique ancien de l’Europe du Nord. Boulder-Clay inférieur d’Angleterre et d’Allemagne. Moséen de Belgique. Sables alluvio-glaciaires de l’Europe moyenne. Deckenschotter récent de Suisse. Moraine inférieure de la Forêt-Noire, des Carpathes, du Caucase et des Pyrénées. Probablement conglomérat nordique de Klinge. Kansan formation de l’Amérique du Nord. — Paléontologie. Coquilles boréales en Angleterre. Faune à Elephas primigenius trogontherii. — Géographie. Contours atlantiques de plus en plus voisins de ceux d’aujourd’hui. Submersion partielle, jusqu’à l’altitude actuelle de 200 mètres, de la partie nord de la Grande-Bretagne. Affaissement de la Scandinavie. Persistance de l’isthme du Pas-de-Calais. Creusement des lacs alpins, du lac de Genève, et rattachement du Rhône à la Saône. Peu de modifications dans l’Europe méditerranéenne et orientale. Centre de glaciation en Scandinavie.
Calotte glaciaire dont la limite passe par Bristol, Douvres,
Anvers, Magdebourg, Leipzig, Breslau, Lamberg, très au sud de Perm, de Kiev, et remonte obliquement jusqu’aux sources de la Petchora pour reprendre en Sibérie et suivre le 53e parallèle. Lobes glaciaires de Bretagne, du Cotentin. Glaciers couvrant la Suisse. Glaciers des Carpathes, du Caucase, des Vosges, du Plateau-Central, des Pyrénées, de la Sierra-Nevada, etc. — Climatologie. Période très froide, à précipitations abondantes ; climat arctique entraînant la destruction des espèces préexistantes sur une aire immense.
Deuxième interglaciaire. — Helvétien de Geikie, auquel il est préférable de conserver le nom de Chelléen. — Géologie. Graviers interglaciaires de Sunderland, de Rixdorf, calcaires interglaciaires de Scanie et de Magdebourg, graviers à faune chaude de Chelles et d’Abbeville, assise inférieure de M. Ladrière, travertins de Weimar, gisement de Taubach, lignites de Dürnten, etc., tourbe inférieure de Klinge et de Lauenburg. En Amérique, Aftonien, tourbes d’Afton, Iowa. — Paléontologie. Éléphant dominant : antiquus. Rhinoceros Merckii, Hippopotamus amphibius et dans la Méditerranée Pentlandi, Trogontherium Cuvierii, Equus, déjà Ursus spelæus, Leo spelæus, Hyena spelæa. Faune malacologique de type oriental dans l’Europe centrale et l’est de la France. Faune d’eau douce à Corbicula. Flore d’eau douce à Paradoxocarpus carinatus et Cratopleura halsatica. Flore terrestre à Laurus canariensis de la Celle. — Géographie. Extension des terres vers l’ouest. Pas de Manche. Jonction avec l’Amérique du Nord à une latitude assez élevée. Époque probable du passage de l’Elephas primigenius et autres espèces de faune froide, reléguées alors dans la région septentrionale : Tarandus rangifer, Alces, Cervus canadensis, Ursus ferox, Lupus, vison, castor, etc. — Climatologie. Hivers très doux, régime pluvieux, température moyenne plus élevée qu’aujourd’hui.
Troisième glaciaire. — Polandien. — Géologie. Erratique supérieur du N. de l’Allemagne et de la Pologne, Boulder-Clay supérieur d’Angleterre et d’Allemagne. Moraines terminales de la Baltique. Moraine de 850 mètres de la Forêt-Noire, hautes terrasses de Suisse, moraines intérieures des Pyrénées. Graviers à blocs erratiques d’Abbeville. Moustérien de Chelles. Graviers moyens de M. Ladrière. En Amérique, Iowan formation. — Paléontologie. Coquilles boréales en Angleterre. Elephas dominant : primigenius. Ours dominant : spelæus. — Géographie. Centre de glaciation plus à l’E. que pendant le second glaciaire. Charriage de matériaux de Finlande. Extension moindre de la coupole glaciaire, principalement vers l’E. où la nappe glaciaire ne dépasse pas la Volhynie et remonte directement vers la mer Blanche, laissant un intervalle étendu entre elle et la Caspienne qui recouvre encore une partie de la Russie méridionale. — Climatologie. Période aussi humide, mais à température moyenne basse, neiges abondantes. Influence destructive s’étendant moins loin que pendant le saxonien.
Troisième interglaciaire. — Neudeckien. — Géologie. Graviers sus-glaciaires de Neudeck. Lœss ancien. Tourbe supérieure de Klinge. Moustérien supérieur de Chelles. Limons panachés, fendillés de M. Ladrière. Hesbayen de Belgique et Flandrien. En Amérique, Toronto formation. — Paléontologie. Faune à Elephas primigenius, Rhinoceros tichorhimus, Ursus spelœus. Cheval déjà abondant, renne, mais toujours rare. Megaceros Ruffii, Hyæna spelæa, Leo spelæus. — Géographie. C’est peut-être à cette époque seulement que les communications avec l’Amérique du Nord s’étant rétablies les échanges de faune se sont produits. Dans ce cas la communication aurait pu avoir lieu à une moindre latitude que le passage par les Feroer. — Climatologie. Époque de froid sec, climat continental, sauf le long du rivage océanien de l’Europe et des terres euro-américaines. Durée probablement courte et faible réchauffement dans l’Europe du Nord. En réalité, période de dégel du troisième glaciaire, interrompue par l’arrivée du quatrième sans établissement d’un régime chaud, d’où continuité de la faune et des alluvions jusque dans le quatrième interglaciaire.
Quatrième glaciaire. — Mecklemburgien. — Géologie. Glaciaire baltique supérieur du Meckembourg. Quatrième couche glaciaire d’Écosse. Argile à Betula nana de Hoxne. Couches jaune à renne de Rabenstein. Graviers et couche inférieure à rongeurs du Schweizersbild, graviers supérieurs de M. Ladrière. Moraine de 90 mètres de la Forêt-Noire. Terrasse moyenne du Breisgau. Moraine sur la haute terrasse de Suisse et le Deckensehotter. Couche stérile de Brassempouy. En Amérique, Wisconsin formation. — Paléontologie. Complexe. Faune de toundra dans l’Europe centrale et une partie de la France : Myodes torquatus, Lepus glacialis, Arvicola nivalis, Vulpes lagopus, etc. Plus au sud, continuation de la faune précédente, quelques espèces boréales en plus. Lagopus vulgaris dans la région méditerranéenne, harfang dans les Pyrénées dans et dans les îles de la Méditerranée, Cyprina islandica, Chlamys islandica dans la Méditerranée et le Golfe de Gascogne. — Géographie. A peu varié. — Climatologie. Climat du 70° à Schaffhouse, boréal jusqu’à la Méditerranée, plus doux dans le Golfe de Gascogne.
Quatrième interglaciaire. — Lower Forestian de Geikie. Fin du Moustérien, Solutréen et Magdalénien de Mortillet, Papalien et Gourdanien de Piette. — Géologie. Couche jaune à renne du Scheizersbild. Couche à cheval du Mas d’Azil, rive droite, couches A E rive gauche. Brassempouy. Gourdan. Kiökkemölding inférieur d’Oban. Lœss des terrasses et moraines de Suisse. Loess supérieur d’Allemagne. Ergeron de France et de Belgique. Couches à Yoldia de la Baltique, à flore de toundra. — Paléontologie. En Allemagne et autres régions du même climat, faune de steppe à saïga, marmotte, hamster, etc., suivie du retour de la faune à mammouth, cheval et renne. Ursus spelæus et ferox, etc. Extinction graduelle de l’éléphant, du rhinocéros, des grands ours, finalement prédominance du cheval, puis du renne et des cerfs, mais conservation du renne jusqu’à la fin de la période et pendant les suivantes, jusqu’au Moyen Âge, ainsi que de l’Ursus arctos et du glouton. En France et dans l’Europe méridionale, continuation de la faune à Elephas primigenius. Ursus spelæus et ferox, rapidement diminuée par l’élimination de l’éléphant, du rhinocéros et des grands carnassiers. Ensuite prédominance du renne et du cheval, le renne moins abondant d’abord que le cheval, plus abondant ensuite, et laissant la place comme espèce d’une fréquence caractéristique au Cervus elaphus, tout à la fin de la période. Le lion ordinaire, la panthère, l’ours brun remplacent comme carnassiers les espèces autrefois dominantes. — Géographie. Affaissement de la partie méridionale de la région égéenne, dénivellations considérables dans la Méditerranée moyenne, isolement de la Corse, de la Sardaigne, de la Sicile, des Baléares. — Climatologie. Climat froid, presque boréal dès la vallée moyenne du Rhin. Période sèche, humide vers la fin.
Cinquième glaciaire. — Lower Turbarian de Geikie. — Géologie. Couche supérieure à rongeurs de steppe du Schweizersbild, couche à graviers marins d’Oban, limon E du Mas d’Azil. Basse terrasse de Suisse. Moraine de Cazeaux (Ariège). Moraine de 1.250 mètres dans la Forêt-Noire (Wanne, Seibenlechtenmoos, Schwarzenbach, Eschenmoos, Heitermoos, etc). Tourbières inférieures de la Grande-Bretagne. Couches à flore subarctique de Scandinavie. — Paléontologie. Faune de steppe en Allemagne. Faune froide en France, mais sans espèces nouvelles, les grands mammifères de l’ancienne faune froide étant éteints dans ce pays, et le renne devenu rare. — Géographie. Affaissement de la région Scandinave. Baltique en communication avec la mer Blanche par la dépression des lacs de Russie et avec l’Atlantique par celle des lacs de Scandinavie. Scanie encore soudée au Danemark. Glaciers dans les montagnes et dans le N. de l’Europe, mais pas de manteau glaciaire en dehors des régions boréales. Formation du Pas-de-Calais par invasion marine d’un ancien lit de rivière. — Climatologie. Période très humide, mais ne paraissant pas avoir été très froide le long de l’Océan. Les tourbières de l’époque des pins en Danemark paraissent dater de cette période. Durée très courte. D’après les observations de M. Piette au Mas d’Azil, les couches stratifiées de limon correspondant à cette époque n’accusent que quelques centaines de crues de l’Arise. On ne sait rien sur la périodicité de ces crues, mais le cinquième glaciaire, s’il est permis de l’appeler ainsi, n’a pas duré longtemps dans l’Ariège. Il est probable que sa durée a été plus longue dans le Nord, les périodes chaudes se continuant encore dans le Midi pendant toute la phase croissante, pour recommencer bientôt après le maximum des froids. — Archéologie. Mésolithique.
Cinquième interglaciaire. — Asylien de Piette. Upper-forestian de Geikie. — Géologie. Couches à galets coloriés et harpons plats de Saint-Martory, Montfort, Mas d’Azil, Kiökkenmödding supérieur d’Oban (Écosse), etc. Couches à flore boréale de Blyth. Couches baltiques à Ancylus, et Kiökkenmöddings. — Paléontologie. Faune caractérisée par l’abondance des cerfs. Cervus elaphus L., capreolus L., canadensis L., maral, etc. Alces palmatus, Megaceros hibernicus. — Géographie. Relèvement considérable du massif Scandinave. Émersion de la mer du Nord. La Baltique, lac d’eau douce fermé de toutes parts (Ancylus See). Époque probable de la formation de la mer Noire et de la rupture du Bosphore. Affaissement par fractions de la région de la mer Égée. Relèvement de couches récentes à plusieurs centaines de mètres en Sicile, en Calabre, dans le Péloponèse et aux Dardanelles. Le mouvement se continue pendant la période suivante. — Climatologie. Température un peu plus élevée qu’aujourd’hui, tout au moins hivers moins froids. —Archéologie. Mésolithique. Néolithique. Énéolithique.
Sixième glaciaire. — Upper Turbarian de Geikie. Coquillier de Piette. — Géologie. Tourbes supérieures d’Angleterre. Dernières moraines d’Écosse. Couches à littorines de Scandinavie. — Paléontologie. Prédominance du Megaceros. — Géographie. Affaissement graduel de la région anglo-scandinave. Formation du Sund et des Belts. Glaciers en Écosse ; en Scandinavie et en Suisse, dernière avance des glaciers. Forêt-Noire, glaciers à moraine de 1.250 mètres : Mantelhalde, Zastler Viehhütte, Baldenweger Viehhütte, Hirschsbaden, Kriegsbach. — Climatologie. Période tempérée, froide dans le Nord, pluvieuse et neigeuse. Courte durée. — Archéologie. Partie de l’énéolithique. Date probable 3000 avant J.-C.
Époque actuelle. — Géologie. Terrains contemporains : terres noires de Russie, sables sahariens. — Paléontologie. Espèces actuelles, plus celles éteintes récemment par l’homme. — Géographie. Derniers affaissements dans la mer Égée et l’Adriatique. Retrait graduel de la Caspienne. Nouvelles et faibles fluctuations du sol dans la région baltique (époque à limnées, suivie de la période actuelle à Mya). Formation graduelle des lignes de côtes de la mer du Nord[27].
Spécialisation des données. — Ces données générales sur le pléistocène nous permettront de comprendre les conditions spéciales présentées durant cette époque par les diverses régions où l’on a voulu placer le berceau des Aryens. Ces régions sont au nombre de trois, ou plutôt forment trois groupes : 1° le nord de l’Afrique ; 2° le sud de la Russie et la Bactriane ; 3° la région baltique et celle de la mer du Nord. Je commencerai par l’étude du nord de l’Afrique, où Brinton a voulu, très à tort ce me semble, chercher le milieu d’évolution du dolicho-blond. Nous ne perdrons point notre temps en examinant les conditions climatériques de cette région pendant le pléistocène. S’il est improbable au plus haut degré que H. Europæus ait accompli son évolution dans le N. de l’Afrique, il est probable au contraire que la race de laquelle il descend occupait ce pays pendant le pléistocène. Lui-même a fait de bonne heure son apparition en Afrique. Le plus ancien sujet dolicho-blond que nous connaissions autrement que par des pièces osseuses, c’est-à-dire par ses cheveux, a été trouvé dans la nécropole indigène d’El Amra, contemporaine à peu près de l’installation des Khemi en Égypte. Il date par conséquent d’environ cinq mille ans avant notre ère. Enfin ce que nous verrons du régime climatérique du N. de l’Afrique durant le pléistocène nous servira beaucoup dans l’étude des péripéties traversées par le N. O. de l’Europe.
Nord de l’Afrique. — Le pléistocène du N. de l’Afrique est bien moins connu que celui de l’Europe. Les chercheurs, peu nombreux, sont depuis trop peu de temps à l’œuvre. Leurs méthodes de recherches sont infiniment loin de la précision de celles des géologues allemands et suédois. Les couches pléistocènes sont loin d’être négligeables au Maroc et en Algérie, le manteau des alluvions clysmiques atteint au sud de l’Atlas des proportions formidables, mais les alternances de périodes froides et chaudes ont été peu accusées, les faunes froides sont absentes, et il est plus difficile de s’orienter dans la stratigraphie.
Il est encore très délicat de classer les dépôts correspondant aux débuts du pléistocène. Les vallées entre l’Atlas et la Méditerranée sont comblées par des atterrissements de transport violent formant dans leurs parties inférieures des bancs épais de cailloux roulés, recouverts par un limon gris jaunâtre. Ces couches se superposent nettement dans la Mitidja au pliocène supérieur. La faune de cette époque comprend Elephas meridionalis, Equus Stenonis, associés à des formes locales : Cynocephalus atlanticus, Antilope Tournoueri, Gaudryi, dorcas, Bos antiquus, à des rhinocéros et des hipparions, ces derniers qui ne dépassent pas le pliocène en Europe. Cette faune qui se trouve surtout dans les limons correspond-elle à l’époque de Saint-Prest ? Il serait difficile de le dire. Les lits de cailloux, qui indiquent un développement torrentiel formidable, correspondent-ils au premier ou au second glaciaire ? Probablement aux deux, car la stratification indique plusieurs époques clysmiques. Sur le versant méridional de l’Atlas, des dépôts semblables recouvrent tout le Sahara septentrional, et finissent par confluer avec des nappes de galets et de limon descendues du plateau central du Sahara. Cet ensemble de formations constitue le faciès continental de l’étage saharien, mais il est probable que l’on devra plus tard y distinguer une série de périodes et de lits différents. Il est visible, quand on longe les grands gours sahariens, que l’accumulation des débris n’est pas l’œuvre d’une seule période de pluies diluviennes. Partout ou observe plusieurs couches de galets, séparées par autant d’assises limoneuses. M. Ficheur distingue quatre séries répondant peut-être aux quatre premiers glaciaires. C’est pourquoi il vaut mieux, avec Pomel, employer le terme provisoire de terrain subatlantique.
Ces couches sont recouvertes en général par une carapace calcaire qui paraît due à l’évaporation des eaux telluriques, remontant par capillarité au travers des lits de sable et de cailloux, et cimentant la couche superficielle par le dépôt des sels calcaires tenus en dissolution. On peut considérer l’époque de la formation de cette carapace comme une période plus sèche. L’existence d’une flore forestière magnifique dans les travertins de la même époque prouve que si cette période était sèche, elle ne comportait cependant pas le faciès désertique de nos jours[28]. En d’autres termes, à la période diluvienne avait succédé une période de sécheresse, mais non d’aridité, contemporaine à peu près du chelléen.
Sur le littoral, on trouve au Maroc, en Algérie, en Tunisie, des lambeaux de dépôts marins aujourd’hui soulevés à une vingtaine de mètres d’altitude, qui se trouvent superposés aux conglomérats subatlantiques, et même parfois à la carapace calcaire des dépôts continentaux. Ces lambeaux ne se trouvent que sur quelques points, l’ancien littoral ayant disparu ailleurs, mais leur existence sur les deux rivages du détroit de Gibraltar prouve que celui-ci était dès lors ouvert. M. Pomel les regarde comme les témoins d’affaissements en corrélation avec les périodes glaciaires. Je croirais plutôt que ce cordon de 20 mètres, qui règne sur tous les points conservés de l’ancien rivage méditerranéen, est dû à ce que la mer plus richement alimentée, cinq fois plus petite et fournissant une évaporatïon beaucoup moindre, à surface égale, dans les périodes pluviaires, était simplement surélevée par l’abondance des eaux, qui s’écoulaient péniblement par le détroit de Gibraltar.
Toutes ces formations sont en général plutôt postérieures aux deux grands glaciaires, peut-être au troisième, et sur certains points au quatrième. La carapace continue encore à se former aujourd’hui dans quelques régions. La faune des dépôts marins est plutôt chaude et correspond aux dépôts sahariens de Sicile et de Calabre. Elle est caractérisée par Strombus mediterraneus, aujourd’hui éteint, Nassa gibbosula, etc. La faune terrestre est différente de celle de l’époque précédente. On y trouve un éléphant de médiocre taille, E. Iolensis P. qui lui est spécial, et un grand éléphant différent du meridionalis et frère de l’antiquus, E. Atlanticus P.
Ce dernier se rencontre plus communément dans les couches sableuses et limoneuses superposées à la carapace d’exsudation, et qui constituent un horizon géologique correspondant à l’époque du mammouth et à celle du renne. Dans la sablière de Ternifine on trouve avec E. Atlanticus P. un éléphant pygmée voisin de ceux de Malte, le Rhinoceros mauritanicus P., le Camelus Thomasii P., toutes espèces spéciales et en outre la Hyena spelœa. Cette station est datée par de nombreux silex paléolithiques de types acheuléen et moustérien, mélangés comme en Égypte de formes plus récentes. La présence de l’hippopotame dans une région aujourd’hui si dépourvue de cours d’eau est un indice du régime pluvial de l’époque. On le trouve en abondance, et représenté par plusieurs espèces, H. Hipponensis, Sirensis, Icosiensis P. La grande faune de l’époque comprenait, outre le Rhinoceros mauritanicus, deux ou trois autres espèces dont la mieux connue est l’Atelodus subinemis P. À ces grandes espèces, il faut ajouter deux ou trois formes éteintes de cheval et de zèbre, plusieurs antilopes et des phacochères.
Ces espèces disparaissent peu à peu dans les alluvions les plus récentes du quatrième interglaciaire. Elles s’éteignent à peu près en même temps que chez nous la faune du renne. Une nouvelle faune les remplace, caractérisée par E. Africanus, Bubalus antiquus P., Antilope bubalis, Bos primigenius Mauritanicus, par un chameau voisin du dromadaire, le cheval barbe et l’âne d’Afrique. Cette faune est à peu près celle d’aujourd’hui, sauf deux ou trois espèces éteintes, comme le Bubalus antiquus, ou localement exterminées, comme l’éléphant africain. Les gisements de cette faune fournissent des débris de l’industrie humaine correspondant à la fin du paléolithique et au commencement du néolithique.
Après cette époque seulement commence un régime désertique, celui dont nous voyons aujourd’hui le complet développement[29]. Sous l’influence de la sécheresse, les alluvions, triturées autrefois par les glaciers de l’Atlas et du Hoggar et répandues sur le Sahara par les inondations torrentielles, se résolvent en sable partout où elles ne sont pas protégées par la carapace d’exsudation, et forment d’immenses dunes que l’on a longtemps regardées comme les traces d’une mer intérieure. Ces dunes sont parfois assez anciennes pour que l’on trouve des objets néolithiques à leur surface, et datent ainsi de quatre à cinq mille ans au moins.
En somme, depuis quelques milliers d’années seulement, le Sahara septentrional a cessé d’être une vaste forêt vierge, arrosée par des pluies abondantes, semblable à celles de l’Afrique équatoriale, mais avec une température constante et modérée. Les manifestations clysmiques du commencement du pléistocène étaient dues probablement à un régime plus humide encore, mais surtout à une élévation plus grande de l’Atlas et des massifs du Sahara central, qui constituaient d’énormes condensateurs et nourrissaient de leurs neiges des glaciers immenses. Pendant les époques de l’E. Atlanticus et de l’E. Africanus, l’humidité moins extrême était cependant très grande, et la transition du régime humide au régime désertique semble s’être opérée d’un seul coup, par un brusque changement dans la direction des nuées.
Ces phénomènes d’apparence étrange sont faciles à expliquer. Ils sont sous la dépendance étroite de modifications de niveau dans la région de la Floride, des Grandes Antilles et des Bahamas. Supposez le détroit de la Floride fermé. Le Gulf Stream qui s’écoule par cette issue pour réchauffer l’Atlantique Nord serait obligé de prendre directement son cours vers l’Est, rasant la côte sud d’Haïti et de Porto-Rico, passant au travers des Petites Antilles au sud d’Anguilla et de Saint-Christophe, pour aller buter sur la côte du Maroc, entraînant et déplaçant le courant Nord-Équatorial. Dans un pareil état de choses, l’immense nappe de vapeurs tièdes, qui se déverse aujourd’hui en pluies sur l’Atlantique Nord et le N. O. de l’Europe, transformerait l’Espagne et le N. de l’Afrique en un pays à température constante, tiède et fortement humide, quelque chose d’analogue au bassin de l’Amazone, avec un peu moins de chaleur.
Or cet état de choses n’est pas une hypothèse, il est l’expression même de la réalité. Les petites îles de l’archipel des Bahama, les Grandes Antilles et les îles qui les continuent à l’E., Anguilla par exemple, fournissent les restes de faunes de grands mammifères éteints du pléistocène. Ces terres, aujourd’hui fragmentées à l’infini par des effondrements et des affaissements, faisaient un seul tout avec la Floride et continuaient le continent américain du Nord. Pendant cette période, le Gulf Stream a simplement repris son ancien chemin tertiaire, celui qu’il suivait à l’époque des divers étages méditerranéens où il tournait en rond autour d’un bassin fermé, envoyant sans doute un bras dans la Méditerranée occidentale.
On comprend parfaitement dans ces conditions les apparentes bizarreries climatériques du pléistocène. L’Angleterre, la France, l’Allemagne ne sont point actuellement dans l’état climatérique normal que comporte leur latitude. Ces régions sont sous les mêmes parallèles que la Sibérie, le Labrador, le Canada. Le Gulf Stream est la cause et la cause unique du climat demi marin, très humide et sans écarts extrêmes, du N. O. de l’Europe actuelle[30]
Le climat de ces régions à l’époque du renne était exactement ce qu’il devait être d’après la latitude. Le renne et toute la faune qui l’accompagne sont encore vivants au Canada, au Labrador et en Sibérie. L’Afrique du Nord, aujourd’hui brûlée par le soleil, était vivifiée à leur place par les vapeurs du Gulf Stream, couverte d’une végétation puissante et de fleuves, dont les uns, comme l’Igharghar, apportaient à la Méditerranée un volume d’eau plus considérable que le Rhône, et d’autres remplissait les vastes lits aujourd’hui à sec qui sillonnent le Sahara depuis l’Atlas jusqu’au Niger.
Pour faire renaître cet état de choses, il suffirait de construire une digue de Key-West à la Havane. Le cinquième glaciaire répond probablement à l’époque où la digue naturelle s’étant rompue, des masses énormes de vapeur furent brusquement introduites dans nos régions. La température étant basse, ces vapeurs produisirent de grandes quantités de neiges, d’où une recrudescence des glaciers qui prit fin bientôt par l’établissement d’un équilibre entre les vapeurs de l’atmosphère et la terre insensiblement réchauffée par la douceur des pluies.
Je ne m’occuperai pas en détail des modifications géographiques survenues pendant le pléistocène. Les couches diverses de cette époque ont subi en Algérie, en Tunisie et au Maroc, des soulèvements et des affaissements locaux très nombreux. Toute la région a travaillé, pour emprunter une comparaison exacte au langage des ouvriers du bois, et ce travail s’est produit d’une manière inégale dans tous les temps et à peu près partout. Il en résulte que certaines couches d’eau douce se trouvent à des niveaux différents de ceux où elles se sont formées, que la stratification des alluvions de date différente est souvent discordante, même en dehors de tout ravinement. Du côté de la mer les traces de plages soulevées indiquent un relèvement général des terres. Toutes ces modifications, qui ont changé sur quelques points l’aspect du terrain ou le cours des eaux, n’ont que peu d’importance générale.
Il en est autrement des phénomènes qui se sont accomplis dans les régions aujourd’hui submergées, dans la direction de l’Italie. Nous savons qu’en Sicile et en Calabre des couches marines pléistocènes, siciliennes et sahariennes, se trouvent aujourd’hui à plusieurs centaines de mètres d’altitude. Ces soulèvements sont des cas particuliers de mouvements de bascule liés à un système d’effondrements considérables. Pendant le pléistocène inférieur et moyen, toute la région, jusqu’à la Corse et à la Toscane, a été le théâtre de mouvements divers, les uns lents, les autres soudains. La Corse a été rattachée à la Toscane, et la profondeur est encore moindre de 300 mètres entre la Corse et l’île de Capraja, entre celle-ci et l’île d’Elbe. La séparation a été causée par l’effondrement tyrrhénien, dont un prolongement s’étend dans le canal de Corse. La Corse tenait aussi à la Sardaigne, et peut-être à l’Italie méridionale par celle-ci. La Sicile au contraire était largement réunie à l’Afrique. La présence de l’E. meridionalis et d’autres espèce en Europe et en Barbarie prouve que par moments les communications furent entièrement coupées entre les deux grands bassins méditerranéens. L’absence des éléphants pygmées sur le continent européen et dans les deux grandes îles de Corse et de Sardaigne prouve au contraire que ces espèces, dont on trouve les traces en Barbarie, à Pantellaria, à Malte et en Sicile, n’ont pu trouver un passage par le détroit de Messine. Ces communications diverses ont cessé probablement au commencement du quatrième interglaciaire, et les modifications géographiques paraissent, en l’état actuel des connaissances, n’avoir porté depuis que sur des régions peu étendues.
L’effondrement tyrrhénien a porté sur une étendue triple de celle de la Sicile, et déjà couverte en grande partie par les eaux, mais dont un bon tiers devait être exondé. Le fond de la fosse d’effondrement accuse 3.731 mètres au N. O. et 3.639 mètres au S. E. L’effondrement ionien, dont les bords rasent les côtes actuelles de la Sicile et de la Calabre, est encore plus profond et tellement abrupt qu’au large du cap Passera, l’on passe en moins de 40 kilomètres des profondeurs de 100 mètres à celles de 3.600 mètres, par une pente moyenne de 10 centimètres au mètre.
Telles sont les vicissitudes de toutes sortes subies pendant le pléistocène par le N. O. de l’Afrique. Les conditions de cette région, pendant la fin de cette époque et jusqu’à l’établissement du régime désertique, ne sont point celles qui conviendraient pour expliquer la transformation d’une race dolichocéphale brune en H. Europæus. Assurément l’humidité ne manquait pas, mais la lumière était intense. Si épais que l’on suppose le voile de brumes chaudes jeté sur la Barbarie, le soleil d’Afrique était derrière, ardent et haut, sur l’horizon. Le milieu n’était pas de nature à pousser à la nigrescence, une race blonde aurait pu s’y conserver, mais il n’est pas admissible qu’elle ait pu s’y former. J’aurai l’occasion de revenir sur la valeur de ce milieu en étudiant l’origine phylogénique des Aryens, et aussi en rapportant les conquêtes de la race blanche dans l’Afrique du Nord, pendant la haute antiquité.
Région russo-caspienne. — Toute cette région a présenté durant le pléistocène et presque jusqu’à nos jours un aspect bien différent de celui que nous lui connaissons, et une étroite dépendance unit la palégéographie ponto-caspienne à celle du territoire égéen disparu.
Pendant l’époque tertiaire tout entière, la région recouverte aujourd’hui par l’archipel faisait corps avec l’Asie-Mineure et la Turquie. C’est plus à l’ouest, dans la région actuelle des Alpes, que passaient les bras de mer par lesquels la Méditerranée communiquait avec ses vastes annexes de l’Austro-Hongrie et de la Russie. Pendant presque toute la durée du pléistocène, ce plateau égéen, probablement très élevé, continue à subsister. Les masses d’eau salée placées plus au N. ne communiquent plus avec la Méditerranée, jusqu’au moment tardif de l’ouverture des détroits actuels du Bosphore et des Dardanelles, après l’effondrement du plateau égéen.
On peut donc distinguer deux phases dans l’histoire pléistocène de la région russo-caspienne : celle qui précède l’effondrement égéen, et qui dure pendant presque tout le pléistocène, et la période qui suit. Je vais étudier dans cet ordre les trois questions : état ancien de la région, effondrement égéen, état récent.
Pendant toute la première période, la région de la mer Noire constitue un plateau élevé, depuis l’Asie-Mineure et le Caucase jusqu’aux montagnes de Crimée et aux environs de Varna en Bulgarie. Entre ces deux points s’étend une chaîne montagneuse, continuation du Veliki-Balkan. La région au N. O. forme une plaine basse ou plutôt un vaste estuaire, par lequel le Danube se déverse dans la mer d’Azow, au N. de la Crimée. Sur le plateau, un système de lacs saumâtres, dont quelques-uns ont laissé des débris de dépôts, appendus aux côtes actuelles de l’Asie. Les eaux s’écoulent dans la mer d’Azow. Celle-ci, beaucoup plus grande qu’aujourd’hui, s’étendait au N. jusqu’au plateau du Donetz, et au S. jusqu’entre le Caucase et le cours du Kouban. Un long et large détroit, qui a pris son nom de la ville de Stavropol, faisait communiquer la mer d’Azow avec la Caspienne. Celle-ci, tout autrement conformée qu’aujourd’hui, était plus restreinte dans sa partie méridionale, agrandie par un effondrement ultérieur, mais possédait en revanche une superficie triple dans toute sa région nord. Elle battait presque le pied du versant nord du Caucase, et son rivage passait par Naltchik et Vladikavkaz. À l’ouest, elle était limitée par les hauteurs d’Ergeni, et celles de la rive droite de la Volga. La Volga et la Kama débouchaient dans un golfe à la partie N. O. Un autre golfe s’avançait très près d’Orenbourg. À l’E., la Caspienne s’étendait jusqu’au plateau d’Oust-Ourt, et recevait les eaux du lac d’Aral, dont les dimensions étaient bien plus considérables qu’aujourd’hui, sans s’étendre comme on le croyait naguère jusqu’au lac Balkasch. Celui-ci a toujours été une nappe d’eau douce, dont les dimensions sont aujourd’hui fort diminuées.
Au N. de ces régions, la mer polaire a parfois empiété dans de vastes proportions, couvrant une partie du nord de la Russie et le N. O. de la Sibérie, golfes immenses entre lesquels le massif de l’Oural s’avançait comme un cap. Dans les périodes de relèvement au contraire, la côte se reportait très au N. et enclavait la Novaia-Zemlia.
Ajoutons pour compléter le tableau, que le Caucase et l’Ou
ral possédaient un relief plus puissant qu’aujourd’hui, ces
montagnes ayant fourni la presque totalite des matériaux qui couvrent la Russie méridionale et les régions à l’est.
C’est dans ce cadre que se déroulent les phénomènes locaux du pléistocène inférieur et moyen. Sur leurs différentes phases nous n’avons encore que peu de documents. On n’a pas encore trouvé de gisements à faunes chaudes correspondant à celles de Saint-Prest et de Chelles. Pendant le grand glaciaire, la coupole de glace s’est avancée au point de ne laisser entre elle et la mer d’Azow qu’une bande de 400 kil. de large. L’Oural a été le siège d’une puissante glaciation, ainsi que le Caucase. Ce dernier a poussé une moraine jusque sur la barre de calcaire tithonique entre l’Ardon et le Terek. Cette moraine, faite de roches cristallines du haut Caucase, est à plus de 3.000 m. d’altitude. Or la barre présente au S., face au Caucase, un escarpement très élevé au pied duquel se sont arrêtées les moraines des glaciations postérieures Celles du grand glaciaire ont eu la puissance de le franchir.
La faune de cette époque a été décrite par Tcherski. Elle comprend le mammouth et le rhinocéros laineux, le saïga, qui vit encore dans le pays, l’Ovibos moschatus, le cheval, mais non l’Ursus spelæus et le renne. Celui-ci, très abondant en Europe et dans la Sibérie orientale, paraît avoir été très rare dans la région intermédiaire, à toutes les époques et jusqu’à nos jours.
Une faune supérieure à Cervus canadensis, capreolus, elaphus, parait dater de la fin du pléistocène. Le cheval paraît ne s’être étendu d’ouest en est, sur la Sibérie, que durant la fin du pléistocène. Dans certaines cavernes, par exemple à Nishni-Udinski en Sibérie, on a trouvé, emballée dans le limon encore glacé, toute une faune du pléistocène supérieur en état de complète conservation.
En somme, durant le pléistocène moyen, la région ponto-aralo-caspienne paraît avoir été soumise à un régime moins diluvien que l’Europe occidentale et la Barbarie. Elle a été moins privée de soleil, plus froide sans doute en hiver que les pays à l’ouest, mais plus chaude en été, plus voisine de son régime extrême de l’époque actuelle. C’est pourquoi la faune actuelle est à très peu près la faune fossile, et pourquoi celle-ci se montre si pauvre.
La destruction du grand isthme eurasien du sud, par la péninsule des Balkans, la mer Égée, l’Asie Mineure, est l’œuvre d’une série d’effondrements séparés par des intervalles relativement courts. La faune du quatrième étage méditerranéen, contemporain du pliocène supérieur, se voit en divers points du Péloponèse, dans des couches aujourd’hui relevées jusqu’à 500 m. Elle se rencontre jusqu’à Rhodes, à Milo, et dans l’île de Cos. C’était la limite extrême des golfes méditerranéens dans cette direction au début du pléistocène. Au N. existaient de très nombreux lacs d’eau douce, depuis la Bosnie jusqu’à l’Asie Mineure, et sur les rivages de la mer Egée, sur ceux de ses îles, on voit, par places, la coupe très nette de leurs dépôts, à divers niveaux d’élévation. Ces coupes nettes nous montrent comment se sont faits les affaissements, par des ruptures de voussoirs. Les parties détachées se sont engouffrées à plusieurs milliers de mètres, et les bords allégés des cassures ont été souvent relevés au contraire au-dessus de leur premier niveau.
L’achèvement de ce travail est très récent, s’il est permis de le dire achevé. Dans les Dardanelles, à Gallipoli, près de Salonique, on trouve des dépôts marins à une dizaine de mètres au-dessus de la mer, et contenant la faune actuelle de la Méditerranée. Leur formation est donc postérieure aux derniers changements de faune. À Gallipoli ces couches ont fourni un couteau de silex dont la date est ainsi postérieure à l’ouverture des Dardanelles, mais antérieure à l’abaissement des eaux.
L’étude des dépôts du détroit de Stavropol nous fournit d’autres détails sur la date de l’ouverture du Bosphore et des Dardanelles. Ces dépôts sont limités au nord et au sud par les terres noires, Tchernoiziem, provenant de la décomposition des végétaux de la grande steppe pléistocène, et qui font la richesse agricole de la Russie méridionale. Le détroit est donc resté ouvert jusqu’après le dépôt presque complet de cette formation. Les couches marines du détroit contiennent, d’autre part, une grande quantité de blocs erratiques descendus du Caucase, emballés dans les glaces, pendant les diverses époques glaciaires. On n’en trouve aucun à la surface. De toute façon, le détroit subsistait donc après le quatrième glaciaire, le quatrième interglaciaire, et peut-être le cinquième.
Après l’ouverture du Bosphore et des Dardanelles, et l’achèvement de la mer Noire, la Caspienne dont le niveau était d’au moins trente mètres au-dessus de celui de la Méditerranée actuelle, fournit à celle-ci une grande quantité d’eau, et le gisement de Gallipoli date peut-être de cette période de relèvement artificiel de l’étiage. Le système mer d’Azow — Caspienne — mer d’Aral se trouva, pendant un temps très court, constituer un prolongement de la Méditerranée. Privée de son grand affluent le Danube, recevant moins d’eau qu’elle n’en perdait par l’évaporation, et par l’écoulement dont je viens de parler, la mer Caspienne ne tarda pas à se restreindre, et perdit tant qu’un jour le seuil du détroit de Stavropol se trouva découvert. Le niveau s’abaissant de plus en plus, la communication avec la mer d’Aral finit par cesser à son tour, de sorte que cette dernière devint indépendante, et la Caspienne prit peu à peu ses limites actuelles.
Ces dernières ne sont pas encore définitives. Le niveau continue à baisser lentement. Hérodote donne à la Caspienne une étendue de quinze jours de navigation à la rame dans le sens des paralèles, et de huit seulement dans celui des méridiens. Elle communiquait donc toujours, si les données d’Hérodote étaient exactes, avec la Mer d’Aral. Ptolémée lui donne aussi 23 degrés de longitude sur 9 de latitude. Cette dernière donnée demeure à peu près exacte de nos jours, la Caspienne n’ayant guère perdu de ce côté que vers l’embouchure de l’Oural.
De tous ces faits nous pouvons déduire les conditions de vie dans la Russie méridionale et le Turkestan pendant la fin du pléistocène. Durant le quatrième interglaciaire, le régime de steppe qui dure encore existait déjà, mais beaucoup plus égal, l’humidité causée par la présence de masses d’eau triples au moins devait atténuer la rigueur des hivers, l’ardeur et la sécheresse des étés. Le climat était plus tempéré, le désert turcoman beaucoup moins aride. Depuis lors, et à mesure que les eaux se retiraient, le régime actuel s’est établi, et il ira s’aggravant encore.
La région ne nous offre donc point dans le passé les conditions nécessaires pour expliquer la transformation d’un peuple de bruns en blonds lymphatiques. La Bactriane, le Pamir, dont on a parlé comme du berceau des Aryens, sont encore plus éloignés de nous offrir ces conditions nécessaires. La première ne recevait que l’excédent d’humidité du Turkestan, le second était aussi peu habitable que de nos jours.
Nord-Ouest de l’Europe. — L’étude de l’ensemble du pléistocène a été faite surtout d’après les données fournies par la France, l’Allemagne, les Îles Britanniques et la Scandinavie, c’est-à-dire par le N. O. de l’Europe et les parties voisines. L’étude spéciale que nous allons faire de la région de la Mer du Nord et de la Baltique se trouve donc largement préparée ; nous n’aurons à nous occuper en détail que de la fin du pléistocène, seule époque d’ailleurs qui soit pour nous d’un intérêt direct.
À la fin du pléistocène, il ne restait plus qu’un bassin maritime très restreint dans cette région. Il occupait la partie méridionale de la mer du Nord actuelle. C’était le reste de la mer qui avait déposé les couches jurassiques, crétacées et tertiaires du bassin de Paris et de celui de Londres. Il débordait un peu sur les contours actuels de l’Angleterre en Norfolk, et du continent en Belgique et en Hollande. Plus haut le bassin était plus restreint, n’atteignant ni l’Écosse, ni la Scandinavie. Il était fermé vers le N. Toute la région de l’Écosse, des Feroer, faisait partie des terres intercontinentales unissant l’Europe à l’Amérique, et déjà fortement éventrées par les effondrements. Une mer froide, venant du Pôle, descendait probablement jusqu’entre la Norvège et les Feroer. La première ébauche de la mer du Nord fut dessinée par la jonction de cette mer froide et du bassin dont je viens de parler. Cette jonction amena sur la côte du Norfolk la première faune marine froide, celle de Weybourn et de Chillesford. Ainsi débuta dans la région le premier glaciaire, mais déjà la Scandinavie possédait de puissants glaciers pendant le pliocène. Les formidables entailles qui constituent les fjords ont été creusées dans la roche pendant le pliocène, par l’action prolongée de puissants glaciers de montagne. La profondeur des fjords, dépassant parfois le niveau de 600 mètres au-dessous de la mer, prouve que le creusement est antérieur à l’état actuel des choses. Tout le massif entre l’Écosse et la Norvège a subi depuis ce creusement un affaissement vertical de 1000 à 1500 mètres, contemporain sans doute du premier glaciaire et de la première formation de la mer du Nord. Cet abaissement permit l’introduction des eaux marines dans la grande plaine aujourd’hui occupée par la Baltique. La forme de celle-ci est d’ailleurs toute différente de celle qu’elle avait d’abord, et l’orifice d’entrée se trouvait dans la région déprimée que jalonnent aujourd’hui le Skager-Rack et la chaîne des grands lacs suédois.
Pendant la période chaude qui suivit, époque de l’E. meridionalis, il est inutile de dire que ce dernier ne se montra guère que dans le midi de l’Angleterre et ne pénétra pas en Suède. Il est probable que la faune de cette période chaude en Scandinavie et en Écosse devait être intermédiaire entre les faunes froides et chaudes des régions de l’Europe centrale et occidentale. La Mer du Nord fut sensiblement amoindrie pendant cette époque.
Le second ou grand glaciaire fut précédé d’une période d’affaissement qui porta en général la mer du Nord au-delà de ses limites actuelles. En Écosse, les régions au-dessous du niveau actuel de 100 à 120 mètres furent submergées. Pendant l’interglaciaire chelléen, la mer du Nord se trouva de nouveau considérablement réduite, puis un nouvel affaissement, pendant le troisième glaciaire, couvrit les plaines et les vallées de l’Écosse. La terrasse témoin est aujourd’hui relevée de nouveau à 30 mètres au-dessus de la mer. Ces fluctuations se continuèrent en Écosse, l’invasion des eaux forma pendant le 4e glaciaire la terrasse de 25 mètres, et celle de 10 pendant le 5e. Dans l’intervalle le dessèchement atteignait la presque totalité de la mer du Nord à la même latitude, à mesure que son fonds était relevé par les détritus glaciaires. Dans le S. de l’Angleterre les fluctuations furent moins marquées, moins encore en Belgique, et il est probable que pendant les périodes où la région N. était à peu près émergée, il se conservait une nappe d’eau assez étendue au voisinage de la côte belge.
Du côté de la Scandinavie, les fluctuations furent probablement plus fortes qu’en Écosse, ce qui nous explique les variations extraordinaires de la région comprise entre ces deux pays. Submergée au commencement des périodes glaciaires, couverte de glaces pendant le fort des deuxième et troisième glaciaires, prise en partie pendant le premier et le quatrième, cette région présentait pendant les périodes d’assèchement un étrange système de vastes lagunes, de marais fangeux, de sables mouillés, de canaux tortueux, une sorte de Hollande immense, exposée à tous les coups de mer, et dont les lignes de rivage étaient en perpétuel changement. Le chaos de sables, de vasières et d’étiers de l’estuaire de l’Elbe et du Weser donne, sur la carte, une impression de ce que devait être cette vaste terre basse (V. Habenick, See-Atlas, n° 13, Gotha, Perthes.)
La ligne de profondeur de 100 mètres suit à peu près une ligne idéale allant d’Aberdeen en Écosse à Stavanger en Norwège. Elle enveloppe les Shetland, les Orkneys et le système entier des îles Britanniques et joint le S. E. de l’Irlande à la pointe de Bretagne. Dans la mer du Nord cette ligne était à peu près la limite des terres pendant les grandes émersions, si l’on fait abstraction des affaissements et soulèvements locaux. Plus à l’ouest, des effondrements ont complètement défiguré le relief des terres par lesquelles s’est fait entre l’Europe et l’Amérique l’échange des espaces du pléistocène moyen. Le plateau de Rockall, aujourd’hui submergé à 180 mètres de profondeur, offre encore un fonds de coquilles littorales récentes, qui confirme les légendes médiévales relatives à l’existence d’une terre dans cette région, à une époque toute moderne[31]. Entre l’Irlande et l’Angleterre il paraît y avoir eu toujours un canal étroit, parfois fermé tout au N. de l’Irlande. Cependant E. meridionalis a pu passer. On l’a trouvé en Irlande. Le canal s’est donc, par moments, trouvé asséché en quelque point.
Il est incertain dans quelle mesure les régions entre l’Espagne et l’Irlande ont été atteintes par les changements de niveau. J’ai des raisons de croire que leurs lignes de rivage étaient beaucoup plus rapprochées à une époque voisine du cinquième siècle avant notre ère, et que des effondrements considérables ont totalement modifié, durant le pléistocène et les temps récents, la topographie de la région. À Rennes, les alluvions à galets calcaires et à schistes rouges du sixième glaciaire prouvent qu’à cette époque la Vilaine venait du sud du département, suivait exactement à rebours son lit actuel, et allait se jeter dans la Manche. À ce moment les rivages actuels du sud de la Bretagne devaient donc être de 100 mètres au moins au-dessus de leur niveau actuel. Le mouvement de bascule a été produit par la formation de la fosse profonde au N. de l’Espagne.
Quant à la Baltique, elle a constitué pendant les périodes de relèvement, tantôt un bassin maritime ou saumâtre restreint, en communication avec la mer libre par la profonde fosse de Norvège, tantôt une plaine basse, couverte de marécages et de lacs saumâtres ou d’eau douce, tantôt un grand lac d’eau douce, l’Ancylus See.
Les travaux des géologues belges nous fournissent une histoire très détaillée du rivage méridional de la région de la mer du Nord. Les géologues suédois ont étudié avec non moins de détail l’histoire de la Baltique. Pour la région centrale et septentrionale de la mer du Nord, aujourd’hui couverte de 50 à 100 mètres d’eau, nous ne pouvons connaître son régime climatérique que par induction, à l’aide des données fournies par la Norvège et l’Écosse.
Les couches du commencement du pléistocène en Belgique sont peu importantes, surtout les terrestres. L’invasion marine qui a formé les dépôts poerdeliens paraît se rapporter au début du pléistocène. Celle qui a déposé les couches moséennes est probablement celle du second glaciaire. Après ce dépôt le sol se relève, une faune de bisons et de cerfs s’établit sur les estuaires desséchés, et l’homme fait son apparition. Les silex des alluvions mesviniennes paraissent contemporains des haches chelléennes, cependant l’hippopotame et l’éléphant n’apparaissent pas dans ces couches. Ni E. meridionalis, ni E. antiquus ne paraissent avoir vécu sur le sol de la Belgique, tandis qu’ils abondaient dans le Norfolk, de l’autre côté de la baie qui formait alors la partie méridionale de la mer du Nord. Ces alluvions mesviniennes ont d’ailleurs été encore plus maltraitées que celles du chelléen de France par les pluies torrentielles qui préparèrent le troisième glaciaire. Ces pluies ont dépouillé les montagnes, remanié les dépôts antérieurs et laissé jusqu’à de grandes hauteurs des cailloutis diluviens qui forment le campinien de Belgique, à Elephas primigenius, Rhinoceros tichorhinus et haches chelléennes, correspondant aux graviers sus-chelléens de France, et aux graviers de fond de M. Ladrière.
Le régime torrentiel diminuant avec le progrès du froid, les matières déposées devinrent plus ténues, du sable d’abord, puis de la glaise, enfin un limon tourbeux. Puis le régime des gelées intenses et des dégels successifs s’établit, faisant éclater les cailloux de la surface. Ces cailloux éclatés, graviers glaciaires, constituent la base de l’assise moyenne de M. Ladrière. Ils sont les restes d’une couche plus ou moins épaisse de matériaux, lavée par les pluies qui succédèrent au régime glaciaire et inaugurèrent le troisième interglaciaire. Les limons panachés, pointillés et fendillés représentent les alluvions de la fin de cette période pluvieuse, pendant laquelle les fleuves étendirent depuis les Flandres jusqu’en pleine mer les dépôts limoneux hesbayens. Puis la sécheresse vint, et de cette époque datent les limons à débris de mollusques et de plantes qui couronnent l’assise moyenne dans le N. de la France et forment le limon brun clair non stratifié, d’origine éolienne, de la Belgique et des parties voisines de la Hollande. La Belgique fut à peu près inhabitable non seulement pendant le fort des glaciaires, mais pendant la période hesbayenne, en raison de l’inondation générale.
Le quatrième glaciaire est précédé d’un affaissement, et d’une invasion marine durant laquelle se formèrent les dépôts flandriens. Ce quatrième glaciaire est indiqué dans la stratigraphie terrestre par un nouveau lit de cailloux éclatés par le gel et le dégel. Ils forment dans nos alluvions du N. de la France la base de l’assise supérieure. On y trouve en France la faune et l’industrie moustériennes. Il ne faut pas oublier que ce lit provenant du lavage de la partie supérieure des alluvions telles qu’elles existaient alors, ces débris datent de l’époque immédiatement antérieure au maximum du froid, pendant lequel le pays fut inhabitable, et peut-être inhabité.
Le quatrième interglaciaire est accompagné d’un relèvement du sol. On appelle ergeron, dans le N. de la France et en Belgique, le limon déposé pendant cet interglaciaire.
Jusqu’à cette époque le pays n’avait été habité que par intermittences depuis l’époque chelléenne. À la fin du quatrième interglaciaire, l’homme s’installe d’une manière définitive et les cavernes ont fourni de nombreux objets magdaléniens. Jusqu’au cinquième glaciaire, qui n’a pas laissé de traces comme en Belgique, mais fut accompagné d’un léger affaissement pendant lequel la mer parvint à franchir enfin le seuil du Pas-de-Calais, toute la région autour de la partie méridionale de la mer du Nord se trouva dans les mêmes condition, avec cette différence que pendant le grand glaciaire la coupole glaciaire s’étendit jusqu’à Londres, Anvers et Bruxelles, plaçant ainsi dans des conditions différentes deux zones qui tout le reste du temps se confondirent en une seule.
Le cinquième interglaciaire est marqué par un relèvement du sol. La mer recouvre aujourd’hui, jusqu’à 10 kilomètres au large de la côte actuelle, un dépôt de tourbe dont la formation remonte à cet interglaciaire. D’après les calculs de M. Rotol, la formation de cette tourbe aurait exigé 7.000 ans. La partie inférieure ne fournit pas d’objets préhistoriques, mais la partie moyenne est riche en objets de l’époque de la pierre polie, qui remonteraient ainsi à 4.000 ans avant notre ère. Cette couche de tourbe a été recouverte vers l’époque des invasions barbares par une nouvelle transgression marine dont l’histoire a conservé le souvenir.
Tandis que ces péripéties s’accomplissaient en Belgique, la région de l’Angleterre située en face parait avoir joui d’un climat plus heureux. Cette différence se marque dès le chelléen, où l’E. antiquuus habitait le Norfolk, tandis qu’il ne paraît pas avoir vécu d’une manière permanente en Belgique et dans le N. de la France. La fin du quatrième glaciaire est marquée en Angleterre par un développement des forêts, comme dans les Pyrénées et le cinquième glaciaire est bénin. Tandis qu’en Écosse il se traduit par un retour des glaciers, en Angleterre il se réduit à une substitution de la végétation des tourbières à celle des forêts, et celles-ci reprennent le dessus (upper buried forest) pendant le cinquième interglaciaire. Le climat était moins humide en Angleterre, en raison de la plus grande élévation du sol. Le sixième glaciaire de Geikie (tourbe recouvrant l’upper buried forest, terrasses inférieures, glaciers supérieurs de Corrie, ligne des neiges permanentes à 1.100 m) parait avoir été de peu de durée, comme le prouvent les observations de M. Piette au Mas d’Azil. Ces derniers glaciaires nous sont connus en détail parce que leurs dépôts n’ont pas été enlevés par un glaciaire véritable, mais si celui-ci doit se produire un jour, avec l’intensité du second ou du troisième, il est probable qu’il prendra le numéro cinq, peut-être quatre, en faisant disparaître les faibles traces de ses devanciers. Des glaciaires frustes ont pu exister ainsi avant le troisième et le quatrième, sans laisser de traces suffisantes pour que nous puissions les distinguer aujourd’hui.
De tout ce qui précède, nous pouvons déduire ce qui suit. Dans la région méridionale de la mer du Nord, et plus encore dans les îles Britanniques, en excluant l’Écosse et en ajoutant les régions exondées par périodes dans le sud et dans l’ouest, le climat n’a pas cessé d’être humide depuis la dernière partie du quatrième interglaciaire. Il n’a pas été assez froid pendant le cinquième glaciaire pour être intolérable. L’archéologie nous prouve d’ailleurs que l’homme a vécu en permanence dans toutes les parties de cette région accessibles aujourd’hui à l’observation directe. Pour les parties couvertes par les flots, on sait seulement que les dragages du Dogger-Bank ont fourni des grattoirs, et sur un autre point une dent de mammouth couverte de serpules.
Pour la région Scoto-scandinave et celle de la Baltique, les documents sont encore plus riches et mieux étudiés. Toutes les couches, depuis la fin du quatrième glaciaire, ont été l’objet d’études minutieuses, les anciens rivages et leurs niveaux portés sur des cartes, la matière de la tourbe et du limon examinée au microscope pour déterminer les graines et les débris ligneux, les diatomées et les écailles de poissons. Ces travaux méticuleux, comparables aux recherches de Nüesch au Schweizersbild, font ressortir la légèreté avec laquelle procèdent les explorateurs français, dont un seul, M. Piette, a su tirer de ses gisements des indications précises. Aussi peut-on dire que le passé récent de la région Scandinave est connu millène par millène, tandis que le pléistocène de France est connu seulement en gros. La période que nous allons décrire ne comprend pas plus d’une dizaine de mille ans.
Jusqu’à la fin du quatrième interglaciaire, la région Scandinave était restée à peu près inhabitable. La Baltique constituait une mer glaciale, dont les dépôts sont caractérisés par Yoldia arctica. Cette mer communiquait avec la mer du Nord par la ligne des lacs suédois, les détroits danois n’existaient pas encore. Elle communiquait aussi largement par la Finlande avec la mer Blanche, dont elle n’était qu’un golfe. Les dépôts terrestres de l’époque n’ont donné qu’une flore de toundra. Betula odorata, Populus tremula, Pinus silvestris apparaissent vers la fin de cette période, et le sol se soulève de plusieurs dizaines de mètres suivant les régions. C’est alors que se produit le cinquième glaciaire, marqué par une recrudescence des glaciers et le retour passager à une flore sub-arctique. Dans les derniers temps du quatrième interglaciaire et pendant le cinquième glaciaire l’homme s’était déjà installé en Danemark et en Suède (Kiökkenmöddings).
Le cinquième interglaciaire, qui comprend à peu près l’époque de la pierre polie, est marqué par une nouvelle phase de soulèvement du sol et par une amélioration marquée du climat. C’est la deuxième période boréale de Blytt, dont la flore est caractérisée par le frêne et le coudrier. Les forêts succèdent aux tourbières du cinquième glaciaire dans la région baltique, et, au Danemark, le frêne remplace le pin comme essence dominante. Cet état de choses s’étend jusqu’à la Finlande, où il correspond à la période de climat méridional de Hult. Ce climat méridional ne serait point tel pour nous. La flore finlandaise signalée par Hult, Andersson et Nathorst comprend encore Pinus silvestris, Betula intermedia, odorata, Populus tremula, Arctostaphilos uva-ursi, Empetrum nigrum, Alnus glutinosa, Scirpus silvaticus. Cette période est aussi appelée dans la région baltique Ancylus-Zeit. Par suite de l’élévation du sol, l’eau marine s’étant écoulée entièrement, la Baltique devint un lac d’eau douce, dont le niveau était très supérieur à celui de la mer actuelle. Ce lac, comparable aux grands lacs nord-américains avec son système d’eaux secondaires en Finlande, ne communiquait probablement que par un fleuve avec la mer du Nord, ou plus exactement avec le Cattégat, car la mer du Nord, pour la dernière fois, devait être alors à peu près entièrement exondée entre la Scandinavie et l’Écosse. Le relèvement du sol en Danemark, en Scandinavie et en Écosse était supérieur à la profondeur actuelle de la mer du Nord dans sa partie moyenne.
J’attache une importance particulière à ce fait. On verra plus loin que cette importance est capitale. La date exacte de l’Ancylus-Zeit nous est fournie par un instrument en os, fait d’un radius de Cervus Alces. Munthe a décrit cet objet dans un mémoire spécial (Om fyndet af ett Benredskap i Ancylus lera nära Norsholm i Ostergötland, Ofvers. K. Vetensk. Akad. Förh., 1895, 151-177). Il n’existe aucun doute sur la date du gisement, l’absence de remaniement, et l’instrument est nettement néolithique.
Un affaissement lent de la région danoise ouvrit au lac Ancylus une issue inférieure au niveau des lacs suédois, et bientôt le lac d’eau douce fut remplacé par une Baltique dont les contours étaient voisins de ceux d’aujourd’hui. Cette phase de l’évolution de la Baltique porte le nom de Littorina-Tide, et la mer elle-même celui de Littorina-Meer. La période correspond probablement au sixième glaciaire, mais on ne voit point de traces d’un grand développement des glaces en Scandinavie. La faune marine est riche en Ostrea, mollusque de tempérament délicat. La flore forestière demeure très développée, c’est l’époque du chêne, Quercus sessilifera. Le climat est plutôt pluvieux que froid, c’est pourquoi Blytt a donné à cette période le nom de subatlantique et d’atlantique. Cependant les glaciers des montagnes, alimentés par des neiges abondantes, poussèrent leurs moraines jusque dans les vallées. Nous trouvons donc bien la succession ordinaire des phénomènes : affaissement du sol, régime diluvien, marche en avant des glaciers. Heureusement ce glaciaire est demeuré fruste. S’il eût pris un grand développement il eût apporté un grand trouble dans l’évolution de la civilisation, car il correspond comme date au premier âge du bronze scandinave, et aux grands empires d’Égypte et de Chaldée.
À la fin de l’époque du bronze, la région danoise est de nouveau soulevée. L’eau de mer pénètre moins facilement, dans la Baltique, et celle-ci redevient un lac d’eau douce. C’est l’époque à lymnées, Lymnœa-Tide. C’est le dernier moment où nous trouvons des terres émergées dans les limites actuelles de la mer du Nord, et il est probable qu’il s’agit seulement d’une bande de quelques dizaines de kilomètres le long de la côte. Au commencement de l’époque du fer, l’eau de la mer s’introduit de nouveau dans la Baltique. C’est l’époque à Mya, Mya-Tide, qui se prolonge encore aujourd’hui et correspond à l’état actuel des choses. Cette dernière période d’affaissement s’est étendue, comme nous l’avons vu, jusqu’à la Belgique, mais avec un retard de quelques siècles. Cet exemple nous prouve que les mouvements lents ne commencent et ne finissent pas en même temps au centre et à la périphérie de l’aire[32].
Les péripéties subies par l’Écosse sont exactement correspondantes. À la fin du quatrième interglaciaire, le temps est devenu doux. De grandes forêts se sont développées. Pendant le cinquième glaciaire, une période d’affaissement se produit, dont on trouve par exemple la trace dans la Mac Arthur Cave à Oban, où le Kiökkenmödding à harpons plats asyliens est coupé par une couche de graviers marins. Les plages qui datent de cette époque sont par places couvertes par des moraines de glaciers, dernière manifestation du cinquième glaciaire. Ces plages sont aujourd’hui à 45-50 pieds anglais au-dessus de la mer. Le niveau devait donc être de 15 à 20 mètres inférieur à celui de nos jours. Puis vient une période de soulèvement, et une nouvelle végétation forestière recouvre la tourbe où gisent les restes de la forêt plus ancienne. Puis vient une dernière période d’affaissement, d’environ 10 m., accompagnée d’un régime pluvieux dont témoigne un lit supérieur de tourbe et d’une apparition de glaciers, la dernière, limitée aux plus hautes montagnes d’Écosse. Le synchronisme des oscillations du sol et du climat est donc parfait en Écosse et en Scandinavie. Nous pouvons en conclure que la région moyenne de la mer du Nord a subi les mêmes oscillations, avec des différences climatériques moins marquées. Cette immense plaine d’alluvions vaseuses, toute en étiers et en marécages, directement exposée au Gulf Stream mais largement ouverte au vent du Nord, devait être moins froide en hiver, moins chaude en été, constamment couverte d’un voile de vapeurs qui se résolvaient en pluie douce.
Le berceau des Aryens. — C’est dans cette région indécise, tantôt terre et tantôt mer, le plus souvent terre et mer à la fois, que Latham plaçait le berceau des Aryens. Cet écrivain est mort avant d’avoir vu justifier par les géologues cette notion d’une plaine anglo-scandinave aujourd’hui disparue sous les flots. Je crois même que cette croyance de Latham ne s’est pas répandue au-delà du cercle de ses amis et qu’il ne l’a jamais précisée par écrit. Je n’en ai eu connaissance que par le Dr Beddoe. Il n’en est pas moins juste de reconnaître que Latham avait pressenti avant nous la situation nécessaire du berceau des Aryens, et c’est pourquoi je donnerai son nom à la plaine anglo-scandinave, qui n’en a pas encore en palégéographie.
Il ne faut pas un grand effort d’imagination pour reconstituer l’existence des Proto-Aryens. Dans ces plaines immenses, découpées et morcelées à l’infini par les étiers et les lagunes, sans un relief, sans un abri, la vie monotone et triste ne devait cependant pas être difficile. Le sol, humide partout, inondé deux fois par jour sur des étendues sans fin, devait être couvert de prairies abondantes, de tourbières dans les lieux où les eaux du ciel se trouvaient rassemblées, de plantes salines le long des étiers et des lagunes. La marée basse découvrait de vastes régions, où le sable et la vase alternaient avec les herbiers. La prairie nourrissait de nombreux herbivores, les grèves découvertes fournissaient à foison les coquilles, le gibier d’eau devait être d’une prodigieuse abondance, les eaux riches en poisson se prêtaient aux modes les plus faciles de pêche. La vie matérielle était donc facile, et l’alimentation suffisante pour une population nombreuse. L’hiver brumeux mais sans gels n’apportait point d’obstacle à la chasse et à la pêche, les herbivores trouvaient de quoi brouter même dans la saison la plus mauvaise, et l’été sans soleil ne desséchait jamais les prairies.
L’existence morale du Proto-Aryen devait être monotone et triste, comme la nature au sein de laquelle il vivait. Cet horizon vaporeux qui l’enveloppait dans un cercle étroit et mouvant avec lui, sous un ciel bas, couvert de nuages plombés qu’entrouvrait rarement un rayon de soleil, ces demi-ténèbres faites en haut de nuées et de brouillards en bas, diffusant la lumière oblique, les retours incessants de la pluie, douce et fine mais battante, le contact du vent du nord, froid, humide et puisant qui le secouait sans cesse, tout ce milieu d’harmonique mélancolie devait travailler à façonner son esprit, comme l’excès d’eau et l’absence de lumière façonnaient peu à peu son corps.
Il est facile de comprendre combien ce climat devait être supporté avec peine. Si riche en nourriture que fût la plaine de Latham, ses habitants durent être d’abord clairsemés, et une dure sélection se fit pendant des milliers d’années parmi les fils des immigrants. Toute race, tout individu gai, vif, ami du soleil et de la vie se trouvait fatalement écarté. Dans cette nature abondante mais austère, mais uniforme, mais infiniment triste, ceux-là pouvaient vivre seulement qui apportaient avec un tempérament résistant une disposition d’esprit froide et mélancolique, une énergie calme, mais inépuisable.
Ainsi se fit une race de pêcheurs, de chasseurs, de marins, de pasteurs, robuste mais lymphatique, intelligente mais triste, énergique mais froide, qui de siècle en siècle augmenta en nombre, accusa ses caractéristiques et devint enfin l’Aryen de l’antiquité la plus haute.
Peu à peu cette race s’étendit sur la grande plaine du Nord, dans la région de la Baltique, dans les grandes forêts de la Gaule, de la Germanie, de la Scandinavie, se mêlant à des éléments analogues, qui dans ces milieux frais, humides, couverts, ne devaient guère différer d’elle par les caractères du corps et se rattachaient à une même origine. C’est de la grande forêt ombreuse de l’Europe moyenne, de l’Atlantique à la mer Noire, que sortiront peu à peu les essaims aryens, marchant à la conquête de la chaleur, de la lumière, de tout ce qui avait manqué à leur enfance terne, uniforme et sévère, et derrière ces essaims d’autres viendront à leur tour, à mesure que la nature enchanteresse, l’air embaumé, les vibrants rayons d’or, les horizons infinis et la vie douce et molle de l’Orient et de la Méditerranée auront couché les premiers sous la terre perfide et couverte de fleurs, car le soleil a toujours attiré l’Aryen, l’attire sans cesse, l’amollit, le désarme et le tue.
Généalogie de l’homme. — Il nous reste maintenant à déterminer la race qui placée dans le milieu spécial de la région de Latham, a donné, sous l’influence du milieu et de la sélection, la forme de H. Europæus. C’est en somme la question de la généalogie de H. Europæus qui se pose, c’est-à-dire d’un rameau seulement du groupe humain. Je parlerai donc très sobrement du tronc et pas du tout des branches éloignées, l’étude très difficile de la généalogie générale de l’homme ne me paraissant pas avoir un intérêt direct pour la question.
Nous ne connaissons pas les ancêtres fossiles de l’homme, à part les Pithecanthropus qui sont déjà des hommes. Les primates sont très anciens. Les frères Ameghino ont trouvé et décrit de nombreuses espèces de singes du crétacé et du tertiaire inférieur de la Patagonie[33]. Parmi ces formes, quelques-unes sont plus près du type humain qu’on ne pourrait le supposer, et d’une manière générale les singes sont d’autant plus singes qu’ils se rapprochent davantage de notre époque. Les espèces à mâchoires formidables comme le gorille et le chimpanzé, ou comme les cynocéphales, celles à mains adaptées pour la fonction de crochet et dépourvues de pouce comme les colobes, celles à estomac complexe comme les semnopithèques, toutes les formes à longues queues servant de balancier, à membres très allongés et à corps très grêles, adaptés à la vie arboricole d’une manière si parfaite, tous ces singes très évolués paraissent récents, les espèces fossiles que l’on connaît sont très loin d’être spécialisées avec la même perfection. Au risque de provoquer l’étonnement, je crois devoir dire, après une longue étude des primates, que de tous ces êtres les moins différenciés, les moins éloignés du type ancestral des mammifères, ce sont encore les anthropoïdes. Or si nous étudions les fœtus ou les petits des anthropoïdes, nous sommes aussi obligés de conclure que la ressemblance avec l’homme diminue avec l’âge, et que par suite les ancêtres du gorille ou du chimpanzé ne possédaient ni formidables mâchoires, ni crêtes osseuses du crâne, qu’ils avaient les pieds mieux adaptés à la marche, et que par l’aspect général du corps, des membres et surtout de la tête, ils s’écartaient beaucoup moins du type de l’homme[34].
De ces observations, qui feront l’objet d’un ouvrage spécial, il résulte à mes yeux deux choses très probables, la première que l’homme ne descend pas du singe, la seconde que les singes sont les cadets et non les aînés de l’homme. L’origine commune, indiscutée aujourd’hui, est indiscutable, la plus proche parenté avec les anthropoïdes est évidente, mais c’est l’homme qui me parait représenter la descendance la plus directe de l’ancêtre commun.
Je ne crois pas que ce soit une humiliation pour la science, qui de nos jours a fait tant de découvertes en si peu de temps, d’avouer l’ignorance complète où nous sommes de l’ascendance de l’homme. Le hasard nous a livré récemment le chaînon le plus rapproché de la chaîne, le Pithecanthropus, il nous livrera probablement les autres, mais il serait téméraire d’y compter. La découverte que j’ai faite moi-même de l’Anthropodus Rouvillei prouve que nous ne connaissons pas tous primates fossiles de l’Europe, mais il n’est pas probable que ce continent nous réserve de grandes surprises. Les gisements nouveaux fournissent désormais très peu de nouveautés. Le reste de l’ancien continent n’a pas été exploré d’une manière complète, mais les découvertes d’Ameghino permettent de craindre que le berceau des primates se soit trouvé dans le continent austral. Déjà l’on vient de découvrir à Madagascar un singe à formule dentaire semblable à celle des singes américains, le Nesopithecus Fors. Maj., et d’autre part les recherches de Selenka démontrent la fréquence chez l’orang-outang des molaires supplémentaires. Il est donc possible qu’une bonne partie des formes ancestrales ait vécu dans des régions couvertes aujourd’hui par la masse profonde de l’Océan[35].
Les Pithecanthropus. — Les revues scientifiques et les journaux ont vulgarisé le Pithecanthropus erectus Dub. découvert à Trinil, dans l’île de Java, par le Dr Dubois. De cette forme on connaît seulement une calotte crânienne, deux dents et un fémur. La calotte ressemble beaucoup à celle du Néandertal, mais est intermédiaire entre celle-ci et le crâne des gibbons. Les dents sont également intermédiaires entre celles de l’homme et des anthropoïdes. Le fémur, bien humain, caractérise l’être de Trinil d’une manière définitive. Le genre Pithecanthropus doit être regardé comme rentrant dans le genre Homo, et formant le sous-genre le plus inférieur de celui-ci[36].
Le Pithecanthropus erectus Dub. parait avoir vécu à une époque très tardive du pliocène, peut-être au commencement du pléistocène. Il est très difficile d’établir le synchronisme exact des faunes fossiles de l’Europe et de la Malaisie. Les espèces communes manquent, et nous ne possédons pas assez de jalons intermédiaires pour établir des synchronismes par intermédiaires rapprochés. Il est certain seulement que le Pithecanthropus faisait partie d’une faune éteinte, que cette faune a été remplacée par celle d’aujourd’hui sans intermédiaire, et que ce dernier remplacement est déjà ancien, car les formes communes à l’île et à la presqu’île malaise sont assez nombreuses, et doivent avoir préexisté à la submersion des régions voisines.
Le Pithecanthropus erectus appartient certainement au groupe de formes qui a donné naissance à celles de l’humanité actuelle. Peut-être est-il même l’ancêtre indirect des Australiens, dont les affinités avec le type du Néanderthal ont été souvent relevées. Je ne crois pas qu’ils doivent figurer dans la lignée directe de H. Europæus. Il est probable qu’il a existé diverses variétés régionales de Pithecanthropus, le type de Néandertal, P. Neanderthalensis King est certainement une de ces variétés, mais il n’y a pas de raison pour regarder le Pithécanthrope de Java comme le père plutôt que l’oncle ou le cousin de celui d’Europe, et il n’est pas d’autre part bien certain que H. Europæus descende du Pithecanthropus Neanderthalensis.
Les traces certaines de l’homme ne remontent pas en Europe au-delà du second interglaciaire. Il subsiste des doutes très fondés sur l’origine artificielle des silex et des autres objets provenant des couches antérieures. Les volumineux coups-de-poing chelléens sont au contraire le produit évident d’une industrie, et on les trouve répartis en abondance variable dans les alluvions du second interglaciaire et même des temps qui suivirent. Ces instruments, même allégés et modifiés, disparaissent tout à fait en Europe vers le commencement du quatrième interglaciaire, mais ils paraissent être restés en usage plus longtemps sur d’autres points du globe.
L’homme qui a taillé ces silex nous est inconnu. Les deux seuls débris humains authentiques trouvés dans les couches du second interglaciaire sont deux dents. Elles ont été trouvées dans le tuf à ossements du gisement célèbre de Taubach près Weimar, et étudiées par Nehring (Ueber einen fossilen Menschenzahn aus dem Diluvium von Taubach bei Weimar, Verh. d. Berliner anthrop. Gesellschaft, 1895, 338-340 ; Ueber einen diluvialen Kinderzahn…, ib., 425-433 ; Ueber einen menschlichen Molar…, ib., 573-587). Ces dents, une première molaire de lait inférieure gauche, et une première molaire adulte inférieure gauche, sont très volumineuses et indiquent une puissance de mâchoires qui rappelle les anthropoïdes. La molaire adulte est en outre ridulée comme celles du chimpanzé. L’industrie de l’homme de Taubach était distincte de celle de nos Chelléens et très supérieure, de sorte qu’on ne peut conclure à l’identité de la population (V. Reinach, La Station de Taubach, Anthropologie, 1897, VIII, 33-60).
Les débris humains contemporains du mammouth et de l’ours des cavernes sont plus nombreux. Ils appartiennent les uns à P. Neanderthalensis, les autres à de véritables Homo. De la première forme on connaît aujourd’hui tous les os, par les squelettes presque entiers de Spy et par des pièces diverses, surtout des calottes crâniennes et des mâchoires, trouvées dans un grand nombre d’endroits de l’Europe centrale, occidentale et méridionale.
MM. Fraipont et Lohest ont consacré aux squelettes de Spy deux monographies qui se complètent (Recherches ethnographiques sur des ossements humains découverts dans les dépôts quaternaires d’une grotte à Spy, Archives de Biologie, VIII, 587-757, et Les Hommes de Spy, Congrès int. d’Anthr., 10e session, Paris, 1889). Il a paru depuis de nombreux mémoires de divers auteurs qui ne contiennent pas d’éléments nouveaux. Le P. Neanderthalensis était relativement petit et trapu, d’une taille analogue à celle des Lapons modernes. Il avait la tête volumineuse, le tronc massif, les membres courts, même les supérieurs, ce qui l’éloigne fortement des anthropoïdes, les jambes sensiblement ployées en avant, au niveau de l’articulation du genou, dans la station verticale. Cette conformation lui donnait une facilité plus grande pour la marche, moindre pour la station debout. La marche en messager, comme disent les Belges, c’est-à-dire la jambe un peu pliée, lui était naturelle ; elle est la plus pratique et donne une grande résistance à ceux qui parviennent aujourd’hui à l’apprendre[38]. Le crâne était dolichocéphale, platycéphale, peu capace, le front bas, fuyant, avec des saillies sourcilières proéminentes en visière comme celles du chimpanzé ou du gorille. Les orbites paraissent avoir été vastes et arrondies, les os de la face puissants, sans prognathisme bien marqué. La mâchoire inférieure dépourvue de menton.
Ces caractères morphologiques sont confirmés par le crâne de Gibraltar, par celui du Néandertal, qui exagère le faciès bestial du type, et par toutes les autres pièces. On trouvera dans l’ouvrage de Mortillet, Formation de la nation française, 275-295, l’étude sommaire des pièces de date moustérienne authentiques connues en 1896. L’auteur omet une quantité à peu près égale de documents dont la date seule est incertaine et qui se rapportent à la race de Néandertal avec une complète certitude. Je crois cette omission peu justifiée, car on n’a jamais trouvé cette race dans des couches dont la date plus récente soit certaine[39]. Dans ces conditions les pièces se datent elles-mêmes, comme le feraient des débris d’ours des cavernes. Peu nous importe d’ailleurs ici, car nous étudions la race en elle-même, et sans nous occuper d’une manière principale de l’époque à laquelle son existence paraît avoir cessé[40].
P. Neanderthalensis ne parait pas avoir possédé un cerveau remarquable. La capacité crânienne, estimée 1.200 cc environ, est de 200 cc supérieure à celle du sujet de Trinil, mais inférieure d’autant aux races de Homo. Son degré de civilisation était cependant supérieur à ce que l’on suppose d’ordinaire. On a trouvé à Spy et dans diverses cavernes des fragments de poterie. Peut-être les hommes de Spy avaient-ils été inhumés ? On a trouvé aussi à Spy des foyers. Maska, dans le gisement de Predmost en Moravie, qui date de l’époque du mammouth, a trouvé aussi des foyers, des sépultures et des poteries, mais on ne pourrait sans témérité conclure par analogie, les sujets de Predmost paraissant avoir appartenu à une race de Homo. D’autre part, à Taubach, la race à molaires de chimpanzé dont j’ai parlé plus haut montre une industrie très voisine de celles du magdalénien et du solutréen. Elle se servait d’instruments d’os, de bois de cerf et de silex, ceux-ci finement taillés, en pleine époque chelléenne. Ce qui rend plus délicate encore l’appréciation des facultés du Pithécanthrope, c’est la possibilité de lui attribuer les sculptures en ivoire de mammouth trouvées à Brassempouy et ailleurs. Certaines de ces pièces, très supérieures aux ébauches de l’art grec, révèlent un véritable génie artistique.
Homo. — Les Homo contemporains sont d’abord la race de Predmost, puis celles de la Truchère et de l’Olmo, celles enfin qui nous sont connues seulement par les sculptures.
La station de Predmost a fourni une quantité prodigieuse de choses. Le mammouth seul est représenté par plus de 25.000 pièces. De l’homme, on a une douzaine de squelettes incomplets, enterrés et recouverts d’une vaste dalle sur laquelle se continuait le gisement sous-jacent. On a restauré onze crânes qui indiquent une race distincte, à front moins fuyant et à orbites moins saillantes que chez les Pithecanthropus. Le crâne était dolichocéphale et la taille élevée. Un squelette atteint 1.80. Cette découverte est d’une importance considérable, mais on ne pourra l’utiliser qu’après la complète publication des matériaux. Jusqu’ici les mémoires publiés sont de nature à exciter une curiosité légitime plutôt qu’à la satisfaire (Maska, Nalez diluvialniho cloveka u Predmosti, Ceski Lid, 1894, IV, 2 ; Kriz, O dokonceni vyzhumnych u Predmosti, J. s. Olmutz, 1897).
Le crâne de la Truchère a été trouvé dans des marnes bleuâtres à Elephas primigenius, recouvertes de restes d’une forêt pléistocène, sous le lit d’un cours d’eau mais dans des conditions qui semblent exclure la probabilité d’un remaniement. On le regarde comme suspect et accidentellement enfoui, sans autre raison que ses conditions de gisement, sa brachycéphalie et son analogie avec les crânes modernes du pays. De fait, dans la même vitrine du Musée de Lyon, j’en ai trouvé un dont les formes sont semblables. Sans me prononcer, je crois qu’il faut conserver comme hypothèse la possibilité de l’existence d’une telle race à l’époque du mammouth. Les découvertes récentes prouvent que l’on avait tort de regarder comme un demi-animal l’homme de cette époque. Ses détracteurs seraient peut-être en peine de tirer d’un morceau d’ivoire les statuettes décrites depuis quelques années. Il existait sans doute des races très différentes et à des degrés divers d’évolution morphologique et psychique.
Tel qu’il est, le crâne de la Truchère ne nous renseignerait d’ailleurs que par à peu près, car il est franchement pathologique. Depuis le haut du nez jusqu’au bregma, on trouve des traces de wormiens, et la suture métopique est ouverte. Elle aboutit à près de deux centimètres de la sagittale, ce qui permet d’admettre un élargissement pathologique d’au moins trois centimètres à la hauteur de la suture coronale. Le frontal, fuyant dans son ensemble, le serait beaucoup plus s’il n’avait été soulevé, boursouflé par la même cause. Aussi le crâne de la Truchère a-t-il une capacité tout à fait anormale, 1925, et l’indice 84.5. L’intérêt principal de cette pièce est de nous montrer comment un crâne probablement très inférieur, à front fuyant, peut devenir semblable à un crâne normal de nos jours. Il nous montre, réalisée d’une manière individuelle par l’hydrocéphalie, l’évolution qui a produit les races actuelles. Je ne veux d’ailleurs pas dire que le sujet de la Truchère est un P. Neanderthalensis hydrocéphale ; tel que je le vois à l’état normal il devait plutôt ressembler aux crânes à frontal néandertaloïde que j’ai signalés de la région du Tarn, ou à celui de Bougon figuré au Crania ethnica. Je n’insiste pas davantage sur le crâne de la Truchère, dont on trouvera une bonne description et quatre excellentes figures en grandeur naturelle dans le travail de Lortet et Chantre, Études paléontologiques sur le bassin du Rhône, période quaternaire, Arch. du Muséum de Lyon. I, 59-130.
Le crâne de l’Olmo, trouvé aussi dans les argiles, et daté par une défense d’éléphant, une mâchoire inférieure d’Equus Larteti et une pointe de lance en silex, a été rapporté par certains lecteurs à l’époque chelléenne, la défense paraissant ne pas provenir d’un mammouth, animal rare en Italie. On n’est point sûr qu’il soit contemporain du dépôt, et il est, comme le précédent, le seul de sa forme, s’il est vraiment de l’époque comprise entre le troisième glaciaire et le milieu du quatrième interglaciaire. Ce crâne est réduit à la calotte, dont les morceaux sont mal recollés. Il est moins rétréci en avant que celui de P. Neanderthalensis, mais également dolicho-platycéphale. Le front était peu élevé, mais modérément incliné. MM. de Quatrefages et Hamy ont eu l’idée bizarre de regarder cette forme comme le type féminin de leur race du Néandertal. J’ai trouvé à Montpellier, dans une tombe aristocratique du xviie siècle, un crâne très semblable à celui de l’Olmo. Ce dernier, quelle que soit sa date, représente certainement une forme du groupe de celles qui ont donné naissance à H. Europæus. Il se place un peu bas dans l’échelle, à côté ou au-dessous des types néolithiques, mais il est de la famille. Il sera intéressant de le comparer aux crânes de Predmost.
Il me reste à parler des races connues seulement par des sculptures. Une race de l’époque du mammouth, et d’une manière précise, du commencement du quatrième interglaciaire, possédait un remarquable talent artistique. Elle a travaillé l’ivoire de mammouth avec une rare perfection, et tiré de cette dure matière des chefs-d’œuvre dont les débris font l’étonnement des artistes. Quand M. Cartaillac voulut bien me montrer la statuette de Brassempouy, dont il venait d’achever à l’instant la restauration, je fus littéralement stupéfait. Cette impression fut générale, et telle que plusieurs crurent à une supercherie. D’autres statuettes ont été découvertes depuis, et tous les doutes sont levés.
M. Piette a décrit et figuré cette pièce dans l’Anthropologie (La station de Brassempouy et les statuettes humaines de la période glyptique, 1895, t. VI, 129-151). Il n’en reste que la partie moyenne et inférieure du tronc, modelée avec une précision documentaire. Il n’a pas été possible de reconstituer la partie supérieure et les jambes, l’ivoire friable ayant été pulvérisé par un coup de pioche. Le ventre est volumineux, pendant, replié, les flancs obliques et vastes ; la cuisse énorme et les fesses volumineuses rappellent la conformation des Boschimanes, ainsi que le développement de la vulve et des nymphes. Des hachures indiquent un système pileux court mais abondant. Ces caractères se retrouvent sur plusieurs autres pièces, dont une a conservé les seins, longs et cylindriques. Une statuette plus complète, moins stéatopyge et à seins piriformes mais pendants, a été trouvée encore à Brassempouy (Piette, Fouilles à Brassempouy en 1896, Anthropologie, 1897, VIII, 165-173). Cette pièce remarquable est aussi finement modelée qu’une figurine de Tanagra.
Toutes les pièces trouvées jusqu’ici dans diverses grottes sont décapitées. On a cependant une tête isolée de jeune fille, mais coiffée d’une sorte de capeline qui rend l’appréciation du crâne assez incertaine. Le nez long et mince, la figure très fine par en bas donnent une impression sympathique. La physionomie générale me paraît celle de certaines femmes annamites plutôt que d’une représentante des races d’Europe. L’indice céphalique est 94.87, mais il ne convient de faire aucun fonds sur cette indication. Il faut retenir seulement que sur cette pièce et quelques autres moins bien exécutées, le front est bas, un peu fuyant, le crâne platycéphale et plus élevé en arrière.
Ces documents, d’un intérêt considérable au point de vue de l’art, nous apprennent qu’à l’époque du mammouth il existait dans le Midi de la France des races bien distinctes du Pithecanthropus Neanderthalensis, appartenant au groupe Homo, et dans un état d’évolution assez avancé. Il serait très hasardeux de prétendre faire des rapprochements entre ces représentations et une race humaine quelconque. Nous sommes autorisés à exclure le type de Néandertal, mais c’est tout.
M. de Mortillet a voulu rapprocher de la race de Brassempouy, stéatopyge et velue, deux sujets nés dans un département voisin, à Arthez (Basses-Pyrénées). Brassempouy est en Chalosse, dans la partie méridionale des Landes. M. de Mortillet (Formation, 244) dit : « Ce ventre, actuellement anormal, je l’ai retrouvé dans une famille de la même région… Mais fait bien singulier, c’est qu’une de ses filles, âgée de douze ans, non formée, présente la même tendance pour ce qui concerne le ventre et offre un phénomène tout particulier, des taches brunes sur la peau, taches qui sont en outre caractérisées par un développement pileux assez prononcé. »
J’ai étudié ces deux sujets. Le ventre de la femme est tout à fait ordinaire chez une femme de la campagne, quadragénaire et mère de six ou sept enfants. J’ai vu le cas nombre de fois, et cette conformation est la règle chez les femmes des environs de Parthenay (Deux-Sèvres), même à l’âge de vingt ou trente ans. Ces dernières constituent, il est vrai, une race spéciale. Quant à la fille, le cas est uniquement pathologique. J’ai photographié et mensuré le sujet, j’ai sous les yeux mes notes, quatre grandes photographies en pied, deux photographies en demi-grandeur de la tache qui couvre l’épaule gauche et le cou, et des échantillons bruts ou en coupe des cheveux et des poils, et je puis affirmer que des pieds à la tête, cette jeune fille est couverte de tares de dégénérescence. Les plaques velues sont de vastes envies, dont la peau rugueuse et épaisse est profondément sclérosée, sauf parfois sur le bord des plages sombres, où l’aspect s’éloigne peu de celui de la peau du nègre. Les poils accrus sur ces nœvus sont anormaux, leur coupe irrégulière, toute différente de celle des cheveux. L’aine droite présente une pointe de hernie. Le ventre n’a d’ailleurs rien d’anormal, il est celui d’une fillette de cet âge, et les figures de M. de Mortillet font nettement ressortir l’absence chez la fille des caractères signalés chez la mère. La taille est très cambrée, un peu ensellée, forme et anomalie fréquentes chez les races dolichocéphales et chez les Basques même brachycéphales. La partie inférieure du sacrum est anormale. Il y a une sorte de bouton osseux visible sur une de mes photographies, mais qui ne se voit pas sur la reproduction réduite de M. de Mortillet. Les mâchoires sont défectueuses, les dents anormales, accompagnées de surdents externes qui font un double râtelier incomplet[41]. Le reste de la famille, que j’ai vu également, est bien normal. Tout ce monde est intelligent, et la fille pie autant que les autres.
Race de Chancelade. — Le paléolithique supérieur, c’est-à-dire la partie du quatrième interglaciaire qui est postérieure à l’extinction du mammouth dans nos pays et antérieure à celle du renne, a fourni très peu de débris humains authentiques. M. de Mortillet ne lui attribue que les squelettes de Laugerie-Basse et de Chancelade, tous deux de la Dordogne et celui de la couche inférieure de Sordes (Landes). M. Hervé admet encore le crâne du Placard (Charente). M. de Mortillet rejette ce dernier, et tous les ossements provenant de sépultures. Il pense que l’homme paléolithique ne connaissait pas le respect des morts. Les découvertes récentes ne permettent pas de continuer à le suivre dans cette voie. Les artistes dont j’ai parlé plus haut n’étaient certainement pas assez inférieurs par les autres points de leur psychologie pour avoir abandonné leurs morts. Les découvertes de Maska règlent d’ailleurs la question, et je regarde comme probablement enterrés les sujets de Spy. Nous devons donc nous dégager de tout préjugé, ne plus attribuer à l’homme du quatrième interglaciaire une intelligence rudimentaire, et reporter aux formes plus anciennes la période d’enfance de l’homme intellectuel et moral. J’écarterai cependant aussi les pièces nombreuses provenant de sépultures, mais seulement comme appartenant à une autre race et un peu plus tardives, tout à fait de la fin de l’âge du renne, ou de la période intermédiaire entre le paléo et le mésolithique, qui comprend les temps voisins du cinquième glaciaire, en deçà et au-delà.
Le squelette de Chancelade a fait l’objet d’une monographie du Dr Testut, enrichie de planches et de phototypies (Recherches anthropologiques sur le squelette quaternaire de Chancelade, B. Soc. d’Anth. de Lyon, 1889, VIII, et tirage à part). Le sujet, âgé de 55 à 65 ans, était de petite taille, 1.59 environ, il avait la tête volumineuse, fortement dolichocéphale, remarquablement haute, une face à la fois très haute et très large, des orbites également très hautes, le nez étroit et allongé, le maxillaire inférieur puissant, des membres supérieurs relativement longs, de grandes mains et surtout de grands pieds, des os particulièrement robustes, massifs, trapus, et une musculature puissante.
Le Dr Testut signale chez son sujet une série de caractères d’infériorité, dont la plupart lui sont communs avec Pithecanthropus : les formes massives, le squelette robuste, le développement de la mandibule, la configuration des molaires, croissant de la première à la troisième, la brièveté des membres inférieurs, l’incurvation de l’extrémité distale de l’humérus et de l’extrémité proximale du cubitus, l’aplatissement du tibia, l’inclinaison de la diaphyse de cet os sur les plateaux articulaires, entraînant la marche en flexion ou en messager et rendant difficile la station parfaitement droite, la forme du fémur, l’écartement du gros orteil, lui permettant de faire pince avec le second.
Malgré ces analogies, il n’est pas possible de rapprocher la race de Chancelade, que j’appellerai H. priscus, des Pithécanthropes. La conformation du crâne est toute différente. Le front, relativement large, est haut, presque droit, nullement fuyant même en haut, la région iniaque est beaucoup moins saillante, le crâne dans son ensemble est haut, bien développé à la base et au verlex, bien que celui-ci soit presque horizontal. Deux caractères plus fondamentaux encore différencient ces formes. H. priscus a des orbites tout à fait normales, sans lunettes ni visières rappelant la conformation du gorille, et il possède des apophyses mastoïdes bien développées. J’ai été frappé en examinant un des crânes de Spy en 1889 de constater le faible volume des apophyses mastoïdes, et ce caractère est, en effet, un des plus marquants des Pithecanthropus. L’apophyse mastoïde véritable se retrouve quelquefois, mais très faible, sur les anthropoïdes. On l’a nié, mais je possède des sujets probants dans ma collection. D’ordinaire elle est suppléée par une saillie différente. Chez l’homme, l’apophyse est toujours présente.
De cette morphologie il résulte que le crâne de Chancelade est beaucoup plus vaste que celui du Pithecanthropus. Sans atteindre la capacité phénoménale du crâne de la Truchère, un des plus grands connus, il dépasse d’autant la moyenne actuelle que ceux de Spy restent au-dessous. La capacité, évaluée à 1.000 cc chez P. erectus, est de 1.200 cc chez le P. Neanderthalensis de Spy, de 1 565 chez l’Européen moyen ; elle atteint chez H. priscus de Chancelade au minimum 1.710.
Ce volumineux cerveau, dont le poids calculé devait être de 1.487 grammes, ne semble pas avoir présenté une grande richesse de circonvolutions. M. Testut (p. 22-24) dit : « Or comme les crêtes qui, sur l’endocrâne, répondent à ces scissures, sont continues, je veux dire se prolongent sans interruption de l’une à l’autre de leurs extrémités, j’en conclus immédiatement : 1° que, sur le cerveau, les scissures temporales se poursuivaient, elles aussi, sans interruption, de leur extrémité postérieure à leur extrémité antérieure ; 2° que les circonvolutions temporales n’étaient réunies les unes aux autres par aucun pli de passage, et qu’elles étaient par cela même nettement isolées et fort simples… Morphologie du cervelet : 1° Chez l’homme de Chancelade les lobes latéraux du cervelet, séparés l’un de l’autre par un intervalle de 1 1/2 centimètre à 3 centimètres, étaient moins développés qu’ils ne le sont chez l’homme actuel. 2° Par contre, le lobe médian ou vermis, compris dans cet intervalle, devait présenter un développement plus considérable que celui qu’il a aujourd’hui ; il est à remarquer cependant qu’il était peu saillant en arrière, puisqu’il n’existe pas, à son point de contact avec l’endocrâne, de fossette destinée à le recevoir. C’est là manifestement un caractère d’infériorité. »
Il ne faut pas croire cependant que l’homme de l’époque du renne ait été psychologiquement inférieur aux artistes contemporains du mammouth. Il ne nous a pas laissé de statuettes en ivoire, et pour cause, mais il pouvait tailler le bois. Il nous a laissé en tout cas une quantité considérable de sculptures en bas-relief, de gravures simples et à contours découpés, représentant des animaux, des plantes et des sujets divers. M. Piette, M. Cartailhac ont figuré quelques-uns de ces objets, et on en trouve une infinité d’autres dans divers recueils[42]. Ces gravures et sculptures sont exécutées sur bois de renne, rarement sur os ou sur pierre, avec une vérité d’expression saisissante. Le style est un peu différent de celui de l’époque précédente. L’art éburnéen, pour employer le terme de Piette, rappelle davantage le Proto-Égyptien, l’art indigène antérieur au sixième millène et à l’arrivée des Égyptiens de Ménès, l’art tarandien emploie les procédés un peu différents de l’art chaldéen de la haute époque. Même manière de traiter la musculature, et les chasseurs de renne nous ont laissé des études d’écorché qui montrent leurs connaissances anatomiques. Les sculptures d’épis d’orge permettent de se demander s’ils ne cultivaient pas cette céréale, comme leurs successeurs des temps élaphiens ont cultivé le froment vers l’époque du cinquième glaciaire[43]. Ces mêmes chasseurs de renne nous ont laissé dans plusieurs grottes, à la Mouthe, à Pair-non-Pair, des gravures rehaussées de couleurs, qui constituent des sortes de fresques sur les murailles[44]. Avec leurs circonvolutions simples et leur gros cerveau, l’un compensant l’autre, je pense qu’ils feraient bonne figure dans nos écoles des Beaux-Arts, et que pour trouver l’homme primitif, une fois de plus, il faut remonter bien haut, très haut dans les premiers temps du pléistocène.
C’est une question très délicate que de déterminer l’origine phylogénique de H. priscus, ses parentés et sa descendance. Nous ne connaissons bien en somme que le sujet de Chancelade. Celui de Laugerie, un peu plus fin d’ossature, lui ressemble de très près. Le crâne du Placard, moins allongé, même aux limites de la brachycéphalie, car son indice atteint 80, n’en diffère que par un raccourcissement marqué de la partie antérieure, caractère probablement individuel, mais qui le rapproche de H. contractus. Un nouveau squelette découvert dans la grotte des Hotteaux, près Rossillon (Ain), accuse un indice céphalique de 77.34. Le sujet n’étant pas complètement adulte, on peut supposer que son indice serait devenu un peu inférieur à 77, c’est-à-dire intermédiaire entre le crâne féminin du Placard et les crânes masculins de Chancelade 72.02 et Laugerie 74.87[45].
On admet en général que H. priscus est le produit de l’évolution sur place de P. Neanderthalensis. Je le veux bien. Les deux races ont de grandes affinités. Même squelette robuste, même taille réduite, même tête volumineuse, et jusqu’aux détails des extrémités, tout est analogue. L’affinement n’a porté que sur le crâne, qui de presque simien est devenu très humain, très supérieur même à la moyenne de nos jours par la forme et le volume. La face a peu changé, la partie supérieure seule s’est modifiée par l’évolution du crâne. Dans son ensemble, elle reste haute, large, amincie vers le bas, et en même temps saillante, telle que se montre la tête d’ivoire de la fille à la capuche. La mâchoire inférieure a cependant acquis un menton, ce qui donne un relief encore plus saillant à la partie basse du visage.
Il faut bien dire cependant que cette filiation est très hypothétique. C’est une pure conception de l’esprit, fondée sur les probabilités de l’évolution, mais nous ne possédons encore aucun intermédiaire. Certains exemplaires de P. Neanderthalensis semblent tendre vers le type H. priscus. La mandibule d’Arcy-sur-Cure présente un rudiment de menton. Le crâne n° 2 de Spy, celui de Bréchamps, encore plus le frontal de Marcilly atténuent la platycéphalie moyenne que la calotte du Néandertal exagère[46]. N’importe, toutes ces pièces sont fort homogènes, et entre les plus parfaites d’un côté, la race priscus de l’autre, l’intervalle est beaucoup plus grand qu’entre ce dernier et n’importe quelle race humaine. Il est donc possible que H. priscus soit dérivé d’un Pithecanthropus différent du Neanderthalensis, ou même provienne d’une évolution parallèle à Pithecanthropus par des formes inconnues encore, et qu’il soit arrivé d’un pays inconnu, se superposant à la race du Néandertal et finissant par l’exterminer. Il est encore possible que cette forme ait coexisté avec le Pithécanthrope à l’époque du mammouth, et que la fille à la capuche en soit la représentation.
On est aussi d’accord pour admettre la parenté proche de H. priscus et des Groënlandais actuels, H. arcticus Haeckel, race également petite, très dolichocéphale, à crâne volumineux et à vaste face. Il est certain que les mensurations et le faciès présentent des analogies trop nombreuses pour être fortuites. Les Groënlandais, et les Esquimaux en général, vivent dans des conditions très analogues à celles des habitants de nos pays à l’époque du renne. Ils occupaient à une époque récente tout le N. des États-Unis et le Canada, où les Scandinaves ont eu affaire à eux au Moyen Âge, et j’ai déjà fait remarquer l’identité du climat de la France à la fin du pléistocène et de celui du Canada actuel. Refoulés dans les glaces par les Peaux-Rouges, ils ont peu modifié leur genre de vie, tout en descendant d’un degré dans l’échelle de la civilisation. Civilisés par les Danois et les Américains, du Gröenland à l’Alaska, ils se sont fait remarquer par leur intelligence. Ils ont maintenant une littérature, des imprimeries, des journaux dans leur langue, et dans une seule génération, cette race a fait plus de chemin que les nègres en dix mille ans.
Il est possible que nos Magdaléniens aient été frères des Esquimaux. Cela peut s’expliquer soit par une migration, soit par une évolution parallèle, mais nous ne pouvons faire que de gratuites hypothèses. Le renne du pléistocène moyen était le Groenlandicus, on a trouvé le chien groënlandais dans les dépôts de la même époque, et jusqu’au Carabus Groenlandicus. Le cerf du Canada était commun en Europe, ainsi que nombre d’espèces. Il ne conviendrait donc nullement de s’étonner que l’homme de l’époque du renne survécût, comme tant de ses contemporains, dans l’Amérique du Nord.
Les communications par terre ont été rétablies une ou plusieurs fois durant le pléistocène, et il est possible que le passage de l’homme ait été facilité par la navigation, à un moment où déjà des solutions de continuité pouvaient exister. Je n’invoquerai cependant pas l’exemple des Indiens débarqués en Germanie à l’époque romaine[47], car le Gulf Stream favorise les voyages d’Amérique en Europe et contrarie les traversées inverses, mais nous savons que ces conditions n’existaient pas durant le quatrième interglaciaire.
Outre ces affinités marquées avec les Esquimaux, race voisine mais distincte de H. Asiaticus, et qui pourraient nous faire voir des jaunes dans les chasseurs magdaléniens, il en existe de plus certaines encore avec les races dolichocéphales leptoprosopes de l’Europe, les méditerranéens proprement dits et l’Europæus lui-même. La longue et large face, atténuée par en bas, du crâne de Forbes-Quarry à Gibraltar, du crâne de Spy, du sujet de la grotte de Gourdan, de la statuette à la capuche, des crânes de Chancelade, de Laugerie, de Sordes inférieur, du Placard, des Hotteaux, c’est à bien peu près le prototype grossier de celle du Germain des Reihengräber et de l’Italien des Siciles[48].
Race de Cro-Magnon, H. spelæus Lap. — Je n’insisterai pas sur la race bien connue des préhistoriens sous le nom de Cro-Magnon ou de Beaumes-Chaudes, et à laquelle j’ai donné celui de H. spelæus. Cette race est certainement proche parente de H. priscus, mais elle en diffère par de nombreux caractères. La taille est élevée, voisine de 1.80, alors que celle du Pithécanthropus et de l’homme magdalénien ne dépasse pas 1.60. Le squelette est beaucoup moins massif, le tibia souvent très platycnémique, le péroné cannelé, non plus arrondi, et robuste, les membres inférieurs sont beaucoup plus allongés, le crâne, plus dolichocéphale, offre une inclinaison plus marquée en avant et en arrière et présente ainsi un caractère d’évolution moins avancée ou de régression. La face est tout autre. Les orbites sont peu élevées, et l’apophyse externe du frontal ne se recourbe pas. Les maxillaires supérieurs sont larges et robustes, mais peu élevés. De cette structure résulte une physionomie toute particulière. Cette face en largeur est caractéristique. Que l’on examine le crâne du vieillard de Cro-Magnon qui exagère le type de la race ou celui de Sargels qui le représente exactement, l’impression est la même au degré près. Le simple examen de la face suffit ainsi à écarter H. spelæus de la généalogie de H. Europæus, bien que MM. Topinard, Cartailhac, de Mortillet le regardent comme le représentant des premières invasions blondes[49].
H. spelæus représente probablement une variation en mieux de H. priscus, mais il peut provenir aussi d’une évolution parallèle. Il parait être originaire du N. O. de l’Afrique. On le trouve dans les cavernes françaises dès la fin du quatrième interglaciaire. À Menton, il paraît avoir été contemporain des Magdaléniens, avec une industrie différente et moins artistique[50]. On a cependant publié une statuette de cette provenance[51]. C’est peut-être lui qui vivait à Solutré, ce qui expliquerait la difficulté de distinguer les squelettes quaternaires des néolithiques dans cette station célèbre. À l’époque néolithique on le retrouve dans presque toute l’Europe, mais surtout dans le S. O. de ce continent. La race indigène des Canaries se rattache en partie à ce type, et on le retrouve abondamment aujourd’hui au Maroc, en Algérie, en Espagne. On peut lui rattacher comme variante avec indice un peu plus élevé la race atlanto-méditerranéenne ou littorale de Deniker, très brune et dont l’indice du crâne, 77-78, atteint 79-80 sur le vivant.
La race H. spelæus a fourni de très nombreuses variations de taille, d’indice et probablement de coloration. La face, chez beaucoup de sujets, est moins large, moins écrasée, les orbites sont moins aplaties. Ces nuances s’observent aisément quand on examine des séries un peu étendues de crânes néolithiques. Quand cependant les différences s’accentuent dans le visage, c’est au contact de populations de type Europæus ou méditerranéen, et par suite de mélanges. Il faut d’ailleurs dire que chez les populations de type Europæus on trouve souvent des sujets dont la face est courte, bien que la coloration soit claire. C’est que probablement des éléments provenant du type spelæus, furent englobés dans le mouvement d’évolution qui a donné à l’Europæus ses caractères si distinctifs. Il est également possible qu’il s’agisse d’une variation dans la race Europæus analogue à celle qui a produit le spelæus aux dépens d’une autre race. Il n’en est pas moins certain que ces individus sont atypiques, et que le type de l’Europæus comporte une face grande et haute à la fois.
Au moment du réchauffement de nos régions, vers la fin du quatrième interglaciaire, H. spelæus a commencé à s’avancer chez nous, remplaçant H. priscus qui se retirait vers le nord. Les deux races se trouvaient ainsi suivre en quelque sorte le climat qui leur était favorable. On comprend que dans ces conditions des peuplades de la race de Cro-Magnon aient pu arriver dans la région où s’accomplissait la transformation de l’Europæus et se mêler avec lui dans la période de formation du type.
Les recherches récentes ont mis en lumière l’existence de races nombreuses dans l’Europe centrale et occidentale à l’époque postérieure au cinquième glaciaire. Quelques-unes peuvent avoir existé déjà dans nos pays aux époques antérieures, mais nous n’avons aucun indice qui permette de l’affirmer. Ces races ne peuvent avoir de rapport avec H. Europæus. L’une H. contractus, de très petite taille, est caractérisé par le renfoncement du visage sous le crâne, et la partie postérieure de celle-ci enroulée en dessous, ce qui place l’indice au commencement de la série brachycéphale. Cette race est probablement une forme de misère développée parallèlement à la forme prospère spelæus, dont la face ressemble beaucoup à la sienne. On a décrit aussi de plusieurs côtés de curieux pygmées dolichocéphales, encore mal connus. Certains crânes raccourcis supposent aussi l’existence de races très brachycéphales, dont ils seraient les produits de croisement. Parmi ces races très brachycéphales, on peut citer avec une grande probabilité certaines formes du groupe Acrogonus, dont on a trouvé dans la péninsule ibérique, dans les Pyrénées et les Cévennes (Sainsat, Sallèles), et même à Paris (carrière Hélie), des exemplaires à peu près typiques. Les crânes de ces diverses races sont relativement rares, la grande majorité des sépultures donnant surtout les types de Cro-Magnon, méditerranéen ou Europæus. Ce n’est pas que les documents aient fait défaut, mais ils ont été criminellement détruits de nos jours par les phosphatiers. La Révolution avait une excuse quand elle semait sur les champs de bataille nos archives transformées en gargousses, elle croyait faire œuvre sainte en propageant dans le monde les sornettes de nos philosophes, mais la France d’aujourd’hui portera éternellement la honte d’avoir, sans raison et sans nécessité, transformé en engrais les archives de l’humanité.
Races méditerranéennes. — Il nous reste à parler d’une race néolithique, dont le rôle historique a été considérable, et qui couvre encore de ses descendants une partie des territoires méditerranéens et des îles. C’est la race de petite taille, de structure délicate, très brune, dolichocéphale et leptoprosope, que l’on confond encore souvent avec celle de Cro-Magnon sous le nom de méditerranéenne. Entre ces deux races les affinités sont marquées, le crâne et le squelette ont beaucoup d’analogie, mais les différences sont plus grandes que les analogies. La race méditerranéenne sensu stricto diffère de toutes les autres races par son indice céphalique plus bas, par l’étroitesse et la hauteur extrême de la face ; elle s’éloigne de H. spelæus et de toutes ses variétés, par la face dont l’exagération est en longueur et non en largeur, et par sa taille beaucoup plus petite, peu supérieure à celle des pygmées ; plus apparentée avec H. Europæus qu’avec toute autre, elle s’en distingue spécialement par la couleur et la taille.
Ce rapport de parenté entre H. Europæus et la race méditerranéenne sont importants. Les deux races semblent avoir été presque identiques à l’origine. La haute taille et la dépigmentation sont des caractères très importants mais nouveaux chez la première, et ses ancêtres n’étaient ni très grands, car l’accroissement s’accuse d’époque en époque, ni dépigmentés. Le méditerranéen proprement dit, auquel j’ai dû donner le nom de H. meridionalis[52], n’a pas été non plus toujours aussi fin de formes, n’a pas eu toujours le visage aussi allongé, le crâne aussi étroit. Des indices au-dessous de 70 comme nous en rencontrons n’existaient pas, selon toute vraisemblance, chez les formes les plus primitives de Homo. Les deux races sont donc en divergence, mais peuvent s’être détachées d’un rameau commun. D’autre part, les méditerranéens leptoprosopes peuvent être en grande partie le résultat du croisement de dolicho-blonds et d’autres races, aujourd’hui répandues jusqu’au Somal et au Sénégal, dont la peau va jusqu’au noir, mais qui ne sont point nègres. Il est très difficile de distinguer un intermédiaire par absence de différenciation d’un autre issu du croisement de deux formes différenciées.
Du Somâli et du Maure sénégalais, du Nubien et du Foulah au Norvégien le plus typique, toutes les formes de transition existent quant à la couleur, et la différence du squelette est si faible qu’elle ne dépasse guère entre les types les plus extrêmes les limites de la variation individuelle dans chacune des races. Toutes ces populations ne sont qu’une même espèce adaptée à des climats divers, revêtant des livrées différentes, mais dont toutes les variétés sont encore en continuité, se sont mélangées et se mélangent sans cesse d’une manière qui exclut la possibilité d’une séparation complète. Les Égyptiens nous montrent l’Afrique du Nord peuplée de blonds jusque dans le Sahara, Procope (De Bello vandalico, XI, 3) nous représente blonds les habitants du Sahara méridional, et d’autre part les races brunes ont sans cesse envahi l’Europe, à l’exemple de la race de Cro-Magnon. Je rappellerai que j’ai même trouvé à Castelnau le crâne d’une négresse authentique, amenée probablement du Niger ou du Sénégal à l’époque argarienne.
Ces affinités incontestables entre H. Europæus, méditerranéen, H nuba Haeck., etc., expliquent pourquoi Brinton et Sergi placent en Afrique le berceau de la race dolicho-blonde, et pourquoi ce dernier insiste avec énergie pour faire du dolichocéphale blond un simple rameau des méditerranéens. Sergi est l’inventeur d’un système de nomenclature des formes crâniennes, en nombre assez limité de fait, qui permet des rapprochements plus saisissants que des tableaux comparatifs. À la suite de l’examen de séries de crânes germaniques, il a publié dans Centralblatt für Anthropologie, 1898, III, 1-8, un court mémoire Über den sogennanten Reihengräbertypus, destiné à mettre en évidence les nombreuses formes communes à ces séries et aux anciennes séries méditerranéennes d’Italie. Il relève comme communes les formes suivantes du groupe Ellipsoïdes : planus, rotundus, africus, et du groupe Pentagonoïdes : acutus, obtusus. J’ai vu des pièces bien plus nombreuses et ne puis que confirmer les observations de Sergi.
Formation de la race aryenne. — Je ne crois pas cependant que les choses se soient passées comme il le pense. La face haute de H. Europæus est en même temps large, et cela me paraît suffire pour ne pas permettre de croire que cette forme soit passée d’abord par un type à visage fin comme celui du méditerranéen néolithique. Je crois bien qu’il y a eu poussée du sud au nord, à mesure que la zone des pluies tièdes se relevait, je crois aussi que l’ancêtre de H. Europæus pouvait être déjà en voie d’évolution à la limite méridionale du priscus, alors que celui-ci était encore florissant en France ; il est possible même que cet ancêtre ait vécu plus ou moins près de la région des grandes pluies durant le quatrième glaciaire, mais je placerais tout au plus cet ancien habitat vers le Portugal, dans une région à climat humide et déjà tempéré, où l’évolution aurait pu commencer pour se continuer ensuite à mesure que la race s’étendait davantage vers le N. C’est la limite de ce que je regarde comme probable dans l’hypothèse de Brinton et Sergi. J’ai déjà démontré en effet combien peu le climat de la Barbarie pléistocène était favorable à l’évolution du type vers le blond.
Ces questions de détail n’ont d’ailleurs qu’une bien faible importance. Que l’ancêtre ait été plus ou moins près du type priscus ou du type méditerranéen, c’est dans la région de Latham que son évolution s’est accomplie, et les rapports de généalogie de H. Europæus peuvent être schématisés ainsi :
CHAPITRE QUATRIÈME
Aryens primitifs. — Nous ne possédons jusqu’ici rien qui se rapporte à l’Homo Europaœus de l’époque la plus ancienne. À l’époque où cette race occupait la région de Latham, elle ne pouvait s’étendre vers la Norvège, dont elle était séparée par un profond bras de mer. Il fallut que la navigation fît des progrès pour permettre de pénétrer de ce côté en Scandinavie. Vers le S. O., les îles Britanniques, et, vers le S. E., les Pays-Bas et l’Allemagne occidentale étaient en continuité avec la terre de Latham, dont ils avaient presque le climat ; aussi trouvons-nous en Écosse, en Angleterre et en Scandinavie des traces du travail des Aryens primitifs, et même des squelettes. Les débris humains que l’on possède jusqu’ici ne remontent malheureusement guère au-delà du néolithique moyen, sauf les crânes trouvés en Scandinavie dans le kiökkenmödding de Staengenaes (Nilsson, Les habitants primitifs de la Scandinavie, tr. fr., Paris, 1868, 153-159 et pl. XV).
Les crânes de Staengenaes paraissent bien contemporains du dépôt dans lequel ils ont été trouvés, et ce dernier appartient à l’époque antérieure au relèvement qui a formé le lac Ancylus. On peut donc les dater à peu près du cinquième glaciaire, et par suite d’un temps où les ancêtres de H. Europæus, en voie de s’installer, avaient été refoulés par un affaissement du sol dont la région de Latham avait nécessairement dû souffrir davantage. Une pièce remarquable est intermédiaire entre H. Europaeus et P. Neanderthalensis, aussi l’a-t-on invoquée comme preuve d’une filiation directe. Je pense que le développement marqué de la région sourcilière est un cas individuel, ou tout au plus la preuve d’un croisement avec des descendants de P. Neanderthalensis. Mesures : long. max. 200, largeur 147, circonférence 550, indice 73.5. Autre moins accusé : 196, 147, 556, 75.0. Ce dernier se rapproche davantage de H. Europæus par la région frontale.
Les cavernes d’Écosse et d’Angleterre ont fourni des sujets assez nombreux du commencement et du milieu de l’époque néolithique, dont les uns sont indécis comme type entre H. meridionalis et H. Europæus, les autres bien plus rapprochés de ce dernier. Parmi ces crânes moins allongés, plus renflés en dessus et en côté, ceux de la caverne de Perth-y-Cöwareu dans le pays de Galles ont un indice de 76.5 et ressemblent d’une manière singulière aux formes actuelles de H. Europæus. D’une manière générale, cette ressemblance est plus marquée chez les crânes des cavernes que chez ceux des dolmens à long-barrows, de date un peu plus récente et plus rapprochée de la fin du néolithique.
Il semble que dans les Iles Britanniques la race des long-barrows, plus dolichocéphale, à lignes crâniennes plus droites, soit arrivée seulement pendant le néolithique moyen, venant de l’Espagne et de la France méridionale. Il est possible aussi que cette race, dont les affinités sont grandes avec H. meridionalis, se soit formée sans immigration et sans croisement, par une évolution d’une partie de H. Europæus vers des formes plus fines, analogues à celles du meridionalis. Il est possible enfin qu’elle ait à la fois ces deux origines.
Les long-barrows nous fournissent d’ailleurs aussi, dans le nord surtout, de bons échantillons de H. Europæus, très semblables aux diverses variantes actuelles de ce type. Les deux crânes, figurés jadis par Wilson dans les Prehistoric annals of Scotland, comme les représentants typiques de la plus ancienne population des dolmens d’Écosse, se rattachent à la race dolicho-blonde et se séparent nettement de la race méditerranéenne. De même le crâne du cairn de Get à Caithness, dont l’indice est 76.5, et 7 autres crânes de la même localité qui ont donné à Huxley une moyenne de 75.14. Il faut d’ailleurs d’après Thurnam distinguer entre les chambered long-barrows et les simple long-barrows. Les premiers lui auraient donné pour 40 crânes une moyenne de 75.5, et les autres des crânes très dolichocéphales qui se rattachent plutôt aux variantes à faible largeur du meridionalis. Thurnam prenant la longueur maxima de l’ophryon, et non de la glabelle comme on le fait depuis Broca, ses longueurs sont trop courtes, et il faudrait abaisser la moyenne à 74 et une fraction.
Les magnifiques planches en grandeur exacte du Crania Britannica de Thurnam et Davis permettent de distinguer les dolichocéphales tendant vers H. Europæus de ceux qui tendent vers H. meridionalis. Les deux crânes de Phœnix-Park à Dublin, le crâne de Newbigging, Orkney, celui de Wetton, ceux de Littleton-Drew, de Morgans-Hill, de Bincombe, pourraient aussi bien sortir d’une tombe gauloise de la Marne ou de Reihengräber de l’époque franque. Parmi les autres dolichocéphales quelques-uns, très allongés, latéralement comprimés, me rappellent davantage les crânes méditerranéens anciens qui sont passés entre mes mains par centaines, mais ils en diffèrent cependant par la région occipitale et un certain nombre de détails. Ce sont plutôt des intermédiaires.
La taille conduit à des conclusions analogues. La longueur du fémur de 13 sujets des long-barrows, relevée dans les tableaux du Crania Britannica, me donne comme moyenne 18 pouces anglais, soit 0.456 m. En appliquant la formule de Manouvrier, je trouve une taille probable masculine de 1.66. Les 3 fémurs féminins me donnent 15 pouces 5, 0.419 m., et une taille probable de 1.55, ce qui confirme le résultat précédent, l’intervalle des tailles masculine et féminine étant regardé comme d’environ 0.11. Ces tailles sont exactement intermédiaires entre celles de H. Europæus et H. meridionalis, et si l’on songe que la première n’était pas à l’époque préhistorique ce qu’elle est aujourd’hui, on sera tenté d’exclure l’analogie avec H. meridionalis. De fait la taille des sujets des long-barrows, si les mesures de Thurnam ont été prises comme nous les prenons, est exactement celle des Gaulois de l’invasion marnienne et des Francs des Reihengräber.
Tout à la fin de l’époque de la pierre polie, nous voyons s’introduire en Angleterre une population différente. Aux long-barrows succèdent les round-barrows, dans lesquels apparaît bientôt le bronze. Les crânes de la race nouvelle sont très différents de ceux de la population ancienne, qui semble avoir en grande partie quitté le pays, et se trouve en minorité dans les tombes du nouveau type. La race nouvelle, légèrement brachycéphale, est de haute taille, égale à celle des Anglais actuels, c’est-à-dire de 1.70 environ. Elle a la face haute et large, des orbites en relief, et le front plutôt fuyant. Les exemplaires qui subsistent en Angleterre sont aujourd’hui plutôt roux avec des yeux verts. On en a conclu, ainsi que de chevelures trouvées dans les sépultures de sujets de cette race, qu’elle était rousse. Au reste, rien d’analogue à notre brachycéphale actuel, H. Alpinus, dont la taille est au-dessous de la moyenne, la face plutôt petite et courte, l’indice céphalique de trois ou quatre unités plus élevé, la coloration foncée.
Cette race a été trouvée dans les dolmens danois, notamment à Borreby, d’où son nom de race de Borreby. Elle parait avoir les plus grandes analogies avec le grand métis blond d’Europæus et de Dinaricus aujourd’hui commun au nord des Alpes, en Allemagne, et dans l’est de la France, race de haute taille et à face grande, massive, faiblement brachycéphale et d’aspect farouche, bien connue par les portraits d’un de ses représentants typiques, le prince de Bismarck.
L’introduction de cette race nouvelle en Angleterre parait avoir coïncidé avec un grand mouvement de population. Les dolichocéphales de Grande-Bretagne avaient depuis longtemps commencé une migration vers le sud, occupant la Bretagne continentale et ses environs, le Poitou et le Limousin, la Guyenne et le Languedoc, et atteignant enfin la Méditerranée depuis Narbonne jusqu’au Rhône. J’attribue à cette migration les innombrables dolmens de France, qui correspondent comme date à la seconde moitié de l’époque néolithique, et au commencement de l’époque des métaux. Dans ces sépultures nous trouvons les types du Crania Britannica mélangés avec les descendants de l’ancienne population plus dolichocéphale, issue de la fusion des méditerranéens avec la race de Cro-Magnon.
On comprend que dans ces conditions la race de Borreby ait trouvé plus de facilités à s’installer dans des régions à demi-vidées par l’émigration, et de fait les dolichocéphales n’ont jamais repris le dessus, jusqu’à l’arrivée des Gaulois dans les îles[53]. La race de Borreby peut, de son côté, avoir été chassée du continent par le contre coup d’un recul des Aryens, menacés dans leur domaine par l’invasion de la mer à l’époque de la formation de la Baltique à littorines. Cette transgression de la mer correspond, en effet, aux derniers temps de la pierre polie scandinave et au commencement de l’époque des métaux, et débute vers l’an 4 000 avant notre ère.
Les données fournies par les géologues suédois permettent de donner une durée de quatre mille ans à la période de soulèvement qui a précédé, et de trois mille à la période d’immersion précédente, dont le maximum coïncide avec le temps des kiökkenmöddings. Dès ce temps, la population de la région de Latham avait dû opérer un premier reflux vers le continent. Elle devait d’ailleurs avoir déjà reçu une impression profonde, car il faut accorder une durée minima d’environ 5.000 ans à la période d’émersion antérieure, depuis le moment où le climat était devenu supportable.
Ce premier reflux avait déjà dispersé dans toute l’Europe centrale de premiers essaims de H. Europæus. Le croisement avec les races indiquées dans un autre chapitre s’était produit à partir de cette époque, et il semble que la poussée, dans diverses directions, de populations moins dolichocéphales sorties de l’Europe centrale vers les derniers temps de la pierre polie ou les débuts de l’époque du bronze, ait été provoquée par l’arrivée de la seconde invasion. C’est à partir de cette dernière que je marquerais le commencement de la civilisation aryenne de l’Europe centrale.
J’ai déjà dans le premier chapitre fait toucher du doigt que cette civilisation ne pouvait avoir précédé de beaucoup les civilisations classiques, dont elle est séparée par une étape seulement, et que d’autre part elle ne s’était pas produite chez un peuple homogène, mais dans un milieu ethnique déjà très complexe. Il importe de ne pas oublier cette distinction entre l’Aryen anthropologique et l’Aryen ethnographique. Nous sommes précisément en ce point du sujet où cette confusion doit être écartée avec le plus de vigilance.
On tend à regarder aujourd’hui les langues aryennes comme sorties d’un rameau des langues finno-ougriennes. Les affinités sont très grandes, et ne peuvent s’expliquer que par une aryanisation de ces dernières, ou par une filiation directe. Il est probable que les langues finno-ougriennes que nous connaissons ont dû subir à plusieurs reprises des aryanisations partielles, mais l’ensemble des affinités parait remonter à une époque plus ancienne. Il semblerait que sur une très vaste étendue l’on ait parlé des langues finno-ougriennes, et que l’évolution produite sur une partie de cette aire ait abouti à la formation des langues aryennes. La transformation se serait produite sous l’influence du second ban venu de la région de Latham.
Cette hypothèse de l’origine finno-ougrienne de la culture aryenne ne doit pas être confondue avec celle de Pruner-Bey, ou de Taylor, qui regardaient les Aryens comme des brachycéphales, issus de brachycéphales finno-ougriens. La question ethnographique, je le répète, est entièrement indépendante de la question anthropologique. Certainement cette population finno-ougrienne de langue, que je suppose occuper une grande partie de l’Europe à la fin de l’époque néolithique, n’avait rien de commun avec les brachycéphales mongoloïdes dont on a beaucoup parlé autrefois, ni même avec les populations finno-ougriennes de nos jours.
L’archéologie préhistorique établit d’une façon certaine que la Russie tout entière, y compris le Caucase et la Sibérie occidentale, ne possédait aucune population, ougrienne ou autre, avant le milieu de l’époque néolithique. Alors que l’Europe occidentale était déjà parvenue à l’époque des haches en pierre polie, des fines flèches à retouche et des palaffites, toute l’Europe de l’Est demeurait vierge de populations humaines. Tout au plus peut-on faire exception pour quelques stations le long de la Baltique ou dans la péninsule des Balkans. Cette considération est d’une importance considérable, car elle coupe court à toutes les hypothèses d’immigrations asiatiques. Ces dernières, en tant qu’elles se soient produites, ne peuvent être venues que de l’Asie-Mineure.
Les travaux des palethnologues russes établissent que depuis le milieu de l’époque néolithique jusqu’au Moyen Âge, les populations des régions aujourd’hui plus ou moins mongolisées de la Russie étaient constituées par H. Europæus. Cette région n’est pas son berceau, mais c’est là qu’il s’est longtemps conservé le plus pur, n’ayant guère trouvé de races antérieures avec lesquelles il put se mêler. Les peuples finno-ougriens d’aujourd’hui n’ont pris leurs types actuels que depuis le Moyen Age, et pour plusieurs d’entre eux, dont on connaît bien l’histoire, on peut suivre dans les sépultures médiévales et récentes le progrès de l’altération du type anthropologique aryen. Les formes actuelles qualifiées d’ougriennes par certains anthropologistes sont le produit de métissages multiples et récents, et si derrière la civilisation et les langues des populations ougriennes nous cherchions à trouver un type anthropologique, nous rencontrerions encore H. Europæus. Ce phénomène explique les analogies de certains crânes préhistoriques de l’Europe centrale et occidentale avec ceux de peuples ougriens actuels. Il n’y a pas descendance, mais des croisements analogues, en des lieux et des temps différents, ont nécessairement donné des résultats à peu près semblables.
Nous arrivons donc à la conception suivante, synthèse d’un nombre infini de faits de nature diverse. Vers le milieu de la pierre polie, l’Europe centrale était occupée par une population mêlée, dont l’élément dominant était H. Europæus, et la langue finno-ougrienne d’origine, mais évoluant déjà vers les formes aryennes. Une poussée causée par l’arrivée de masses considérables de H. Europæus remontant les grands fleuves à mesure que la mer envahissait leurs demeures, a déterminé des migrations de cette population dans toutes les directions, et spécialement vers l’est, où l’absence d’habitants rendait la colonisation facile. L’évolution linguistique et ethnographique proprement aryenne s’est produite dans l’Europe centrale, à la suite de cette nouvelle arrivée d’éléments Europæus.
Je vais étudier en détail la migration venue des Iles Britanniques en France, et qui a eu de grandes destinées, et après en avoir fini avec ce rameau important mais éteint aujourd’hui, je reviendrai aux Aryens proprement dits pour les suivre jusqu’à nos jours. Cet ordre chronologique m’éloigne pour un temps de la masse des Aryens, mais il m’est imposé par les faits eux-mêmes, car le rameau dont je vais parler a été le prédécesseur en plusieurs pays des Aryens de race et de langue.
Le peuple des dolmens. — Si l’on consulte une carte de la répartition des dolmens, notamment celle de L’Archéologie celtique et gauloise de Bertrand, on remarque que ces monuments, très nombreux dans les îles Britanniques, se retrouvent en France depuis la Bretagne jusque dans les départements de l’Aude, de l’Hérault et du Gard, mais que leur aire constitue une large zone limitée au sud par la Garonne et au N. par l’Artois et la Picardie. À l’est d’une ligne allant de Reims à l’embouchure du Rhône, les dolmens sont très rares. L’étude archéologique des mobiliers funéraires montre aussi que les dolmens les plus anciens sont situés au nord de l’aire, et que ceux de la France méridionale sont presque tous des confins de l’époque du bronze, beaucoup de cette époque même.
Ces monuments sont donc les sépultures d’un peuple néolithique descendu par un lent progrès des îles Britanniques vers la Méditerranée, et qui a fortement occupé l’ouest de la France, de l’embouchure de la Seine à celle de la Gironde, sans parvenir à s’établir d’une manière stable dans les bassins supérieurs de la Seine et de la Loire. Les dolmens isolés du S. O., de l’Est, du N. E. et du S. E. semblent marquer seulement des étapes d’incursions ou des établissements isolés et passagers.
La disposition des dolmens dans l’intérieur nous montre que le peuple dont ils conservent les restes était surtout navigateur, fréquentant plus volontiers les bords des grandes rivières et remontant les vallées d’accès facile.
Des dolmens exactement semblables, échelonnés dans l’Espagne occidentale et le Portugal, montrent que ce peuple néolithique se hasardait volontiers en haute mer, et qu’il avait colonisé les côtes, d’une manière d’ailleurs discontinue, jusqu’au détroit de Gibraltar. La série de ses établissements parait même se continuer sur la côte du Maroc.
Dans une autre direction, nous trouvons un courant d’émigration parti des côtes du Languedoc et des embouchures du Rhône, qui a laissé des traces dans les îles de la Méditerranée, sur quelques points des côtes de l’Italie, et dans toute la région comprise entre Alger et l’Égypte.
L’usage des dolmens parait s’être continué plus longtemps dans cette dernière région, et les sépultures de ce type arrivent jusqu’à l’époque historique.
Je ne parlerai point pour le moment des dolmens de l’Europe du Nord, et de ceux de l’Asie. Je mentionnerai seulement que ceux de Palestine peuvent se rattacher au courant de migration venu du Languedoc dans les îles de la Méditerranée centrale et orientale.
Tous ces dolmens, et d’autres sépultures moins somptueuses, nous fournissent des types anthropologiques analogues à ceux des long-barrows d’Angleterre, mêlés à d’autres plus franchement méditerranéens ou dolicho-blonds, et à des éléments ethniques différents, suivant les régions. Ces derniers représentent nécessairement des races locales, antérieures ou survenues après l’arrivée du peuple des dolmens.
Le type certainement le plus abondant parmi les crânes des dolmens de France est H. meridionalis, plus ou moins mélangé de H. spelæus. Ces deux formes constituent le fonds ancien de la population néolithique. On les trouve dans les grottes anciennes (Cro-Magnon), dans les sépultures antérieures à l’invasion que nous étudions (Nécropole du Maupas, Vienne), et dans les grottes de date relativement récente où sont déposés les restes des populations dépossédées par les nouveaux arrivants (Beaumes-Chaudes, l’Homme-Mort). Les éléments venus des îles Britanniques donnent aux séries des dolmens un indice moyen plus élevé, 74, 75, 76. Cette différence d’indice est très appréciable dans la Lozère où l’on trouve pour Beaumes-Chaudes 72.6, pour l’Homme-Mort 73.2 et pour les dolmens 75.8. Mais je préfère ne pas m’appuyer sur les dolmens de la Lozère. Sur 25 crânes de cette provenance 6 ont plus de 80, et nous trouvons même un cas de très forte brachycéphalie à 89.8. Cela semble indiquer pour les dolmens de la Lozère une date postérieure, non seulement à l’invasion venue du N. O., mais encore à l’invasion venue du N. E. qui jeta sur notre pays un second flot d’immigrants, H. Europæus typique, H. contractus, et divers brachycéphales. Les séries des grottes de la Lozère ne paraissent pas, non plus, bien anciennes, et sont, malgré le type de la population, contemporaines de celles des dolmens, fin extrême de la pierre polie, époque du cuivre ou commencement du bronze. Hommes des grottes et hommes des dolmens semblent avoir été les héros de la dernière lutte des indigènes et des envahisseurs, dans la dernière région atteinte par l’invasion.
Le cimetière du Maupas, avec ses nombreux tranchets de silex, parait au contraire sensiblement antérieur à la première invasion. Il est, en raison de la série assez nombreuse, le meilleur terme de comparaison de la population ancienne avec celle des dolmens. Il est regrettable que je n’aie pas été d’âge à le fouiller quand il fut pour la première fois découvert et saccagé en 1863. Mon père m’avait mené voir les cairns que l’on venait d’ouvrir, et ce fut mon premier contact avec le monde préhistorique. La nécropole était alors fort importante, et les fouilles de Tartarin n’ont porté que sur un très faible reste. Le type du Maupas, dont j’ai pu voir les 18 exemplaires conservés, est nettement meridionalis. Crâne très dolichocéphale 72.6, à vertex horizontal, côtés parallèles et chignon saillant. Face étroite et haute, nez leptorhinien, taille petite. La taille calculée d’après les fémurs masculins, dont la longueur maxima est en moyenne 0.423, serait de 1.61, mais ce chiffre obtenu en appliquant les formules de Manouvrier aux longueurs maxima, les seules que je possède, est trop fort d’à peu près un centimètre. La race est de faciès très homogène. L’indice le plus élevé est de 75.2, le plus faible 69.0, l’individu le plus grand avait 1.65, le plus petit 1.57 ; ces chiffres confirment l’impression visuelle d’uniformité.
Ce type est à peu près seul représenté dans les cavernes sépulcrales et les sépultures en cistes de l’Ouest et du Centre. C’est seulement dans les Charentes qu’il commence à se croiser avec celui de Cro-Magnon.
Il n’existe à ma connaissance aucune série de crânes des dolmens de l’Ouest qui puisse être comparée à celle des cistes du Maupas. On a fouillé une prodigieuse quantité de dolmens en Touraine, en Poitou, en Berry, en Limousin, dans l’Angoumois et la Guyenne, mais on n’a gardé que rarement des crânes, et d’ordinaire un ou deux seulement. J’ai pu cependant en étudier de cette provenance une quarantaine, parmi lesquels il se trouve cinq ou six sujets à profils crâniens convexes, qui sont d’authentiques Europæus. Il n’y a parmi ces crânes qu’un seul indice supérieur à 80. Je compte, quand mes matériaux seront plus nombreux, publier une monographie qui mettra en relief la différence de la population des dolmens de l’Ouest et de ceux de la région parisienne, postérieurs en général à la seconde invasion, et contenant de nombreux crânes courts, associés à des Europæus très caractérisés et à une minorité de représentants de la race indigène. Les dolmens bretons ont fourni une cinquantaine de crânes tous dolichoïdes.
En Bretagne, partout où il y a tendance à la brachycéphalie, on se trouve en présence d’inhumations secondaires, avec objets de bronze ou de fer. Je ne parlerai pas des dolmens languedociens. Leur cas est celui de ceux de la Lozère, et très peu d’entre eux sont de la pure époque néolithique. Dans l’Hérault, les dolmens sont devenus rares, mais les cimetières plus modestes en simples cistes couvrent littéralement toutes les hauteurs.
J’ai dit que le peuple des dolmens avait débarqué sur les côtes atlantiques de l’Espagne et du Portugal. A côté d’éléments locaux, les pièces provenant de ces dolmens nous en montrent d’autres à indice moyen de 74 ou 75, analogues au type de Cro-Magnon, mais avec une face plus haute. Je ne connais ces crânes que par quelques figures et des mensurations, mais ils me semblent par le front et la région sous-iniaque différer autant de H. spelæus que par la face. Ils me paraissent identiques aux Écossais néolithiques de Wilson et aux types Europæus des dolmens français de l’Ouest. Une révision sérieuse des crânes néolithiques de l’Espagne établirait peut-être que l’infiltration ne s’est pas bornée à la côte atlantique. Certains crânes des séries publiées par les frères Siret dans leur magnifique monographie sont, certainement plus voisins de Europæus que de spelæus, avec lesquels toute leur ressemblance réside dans la courbure appréciable du vertex et des régions temporales. Les crânes néolithiques des séries Siret me paraissent provenir d’infiltrations de l’invasion britannique, en particulier le crâne de Puerto-Blanco de la planche 70. Quant aux crânes de l’Argar, ils sont certainement contemporains des grandes invasions postérieures, et on ne peut avec certitude rattacher à l’invasion britannique les exemplaires du premier type qui ne sont point des spelæus (2, 63, 63, etc.).
Les Libyens. — Je rattache aux descendants de la migration britannique les populations blondes connues par les Grecs sous le nom de Libyens, et par les Égyptiens sous ceux de Lebou et de Tamahous. Ces peuples étaient en effet déjà installés aux confins de l’Égypte dès le quarantième, et peut-être le cinquantième siècle avant notre ère. Ce sont eux qui ont construit les dolmens, les cromlechs et les cistes de la Barbarie et du Sahara, dont certains sont contemporains des dolmens de France, les autres plus récents, et même postérieurs à l’ère chrétienne.
Ces peuples blonds nous étaient depuis longtemps connus par les peintures égyptiennes et le récit de leurs tentatives d’invasion. J’aurai à parler plus loin des peuples de la mer et de leurs alliés du nord de l’Afrique, mais les premiers appartiennent certainement au groupe aryen proprement dit, et représentent un ban de migrations plus récent que l’époque dont je m’occupe. Les peuples de la mer jouent un rôle considérable dans l’histoire aux alentours du xve siècle, et on savait que leurs alliés Libyens et Tamahous étaient alors établis déjà sur les frontières occidentales de l’Égypte. Ces derniers, de langue berbère comme tous les peuples formés d’éléments spelæus et mediterraneus qui occupaient le N. de l’Afrique et le S. O. de l’Europe, appartenaient certainement au premier ban, celui dont je suis en ce moment les traces. On ne savait toutefois exactement à quelle époque remontait leur installation en Afrique.
Les découvertes de Flinders Pétrie et de Morgan ont jeté un jour nouveau sur la question, et si les hypothèses de M. de Morgan se vérifient, il faudra faire remonter au-delà du cinquantième siècle la date la plus récente qui puisse être proposée pour la première arrivée de peuples blonds en Afrique. Cette conséquence nécessaire des faits que l’on croit avoir observés nous permettrait de préciser indirectement la date de la première migration, et nous forcerait à la reculer au-delà de ce qu’il semblerait jusqu’aujourd’hui légitime de le faire, vers le sixième millène.
M. Flinders Pétrie a découvert en Égypte une série de stations et de nécropoles qu’il a attribuées aux Libyens et supposées contemporaines de la civilisation égyptienne. M. de Morgan a démontré que ces stations et ces nécropoles étaient en partie antérieures à la fondation de la monarchie pharaonique, en partie contemporaines des premiers pharaons. La découverte des tombeaux de Menés et des premiers souverains de l’Égypte, et l’étude des objets qu’ils renfermaient, ont réglé la question. S’il est encore permis de douter que les fondateurs de la monarchie aient été des étrangers élevés à l’école des Chaldéens, il est bien certain que cette fondation coïncide à peu près avec l’apparition du cuivre et du bronze, et que la civilisation antérieure est néolithique et indigène[54]. Je me bornerai à renvoyer aux ouvrages des deux archéologues auxquels revient l’honneur de la découverte du préhistorique égyptien, mais spécialement au second volume de M. de Morgan, Le tombeau royal de Négadah.
Cette civilisation de la pierre polie, un peu plus avancée que celle de l’Europe, n’en diffère cependant par aucun point essentiel. Elle est à son apogée vers le cinquantième siècle avant notre ère, si l’on adopte cette date comme celle de la royauté de Ménès. II est difficile d’admettre une date moins reculée, car les arguments invoqués pour rajeunir l’Ancien Empire égyptien ont ete renversés par des découvertes récentes. Les diverses dynasties que l’on supposait avoir régné simultanement avec d’autres sur des points différents du territoire pendant des périodes de morcellement de l’Empire égyptien, finissent par nous être connues par des monuments qui ne laissent aucun doute sur le caractère des rois qui les ont composées. Ces souverains ont bien régné sur les deux Égyptes, ils n’ont pas été indument intercalés dans les listes, et c’est le hasard seul qui avait empêché jusqu’ici de connaitre l’histoire de leurs règnes. On en connait même qui ne figurent sur aucune des diverses listes monumentales ni dans celles de Manéthon, et la date réelle de Ménés pourra être reportée par des découvertes ultérieures au-delà du cinquantième siècle.
Cette époque paraît être aussi celle de l’apogée de l’époque néolithique en Europe, mais l’emploi de la pierre a été moins négligé qu’en Égypte dans les âges postérieurs, et chez nous l’époque du bronze fournit pendant longtemps des objets en silex de la plus grande perfection, tandis qu’en Égypte l’art de tailler la pierre est en décadence dès le quarantième siècle. À partir de cette époque, la civilisation européenne et celle de l’Égypte divergent rapidement. Dans chaque région se poursuit une évolution propre, tandis que l’époque précédente avait été marquée par une grande uniformité de civilisation sur le territoire de l’Europe, de l’Afrique du Nord et de l’Asie Occidentale.
La civilisation du cinquantième siècle ne dépassait pas le niveau social et artistique de celle des Soudanais et des Congolais de nos jours, mais elle était comme elle très semblable dans sa variété, et les communications étaient nombreuses et faciles. Nous nous faisons en général une très fausse idée de ces temps barbares et reculés, mais où l’homme était déjà ce qu’il est aujourd’hui. De même que les caravanes mettent aujourd’hui la Méditerranée en rapport avec le Sokoto et le Baghirmi, la côte sénégalaise avec Tombouctou, Zanzibar avec le Congo, faisant traverser aux objets de trafic le continent noir tout entier, et promenant des bandes de trafiquants, de porteurs et d’esclaves d’un bout à l’autre de l’Afrique, de même les caravanes sur terre et des navires nombreux sur la Méditerranée et l’Océan mettaient en communication directe ou indirecte l’Espagne et la Susiane, l’Égypte et la Scandinavie. Beaucoup de modèles, de procédés se trouvaient ainsi transportés à d’immenses distances, les découvertes et les modes se propageaient avec rapidité, et partout il passait, plus ou moins souvent, des hommes de partout, qui mettaient en communication intellectuelle les peuples les plus éloignés. Ainsi s’explique l’unité singulière de la civilisation néolithique.
Faut-il expliquer ainsi par des migrations individuelles la présence de blonds dans l’Égypte néolithique ? Faut-il admettre que les Libyens blonds fussent déjà arrivés dès le cinquantième siècle ? C’est, je crois, la seconde hypothèse qui s’imposerait si la découverte de cheveux blonds dans les nécropoles préhistoriques et dans celles de l’époque des premiers pharaons venait à être confirmée.
Parmi les très nombreux squelettes provenant des nécropoles néolithiques, quelques-uns, par la double vertu d’un embaumement rudimentaire et de la sécheresse du sol, conservaient des traces de chevelure. Les cheveux sont presque toujours noirs, plus ou moins ondulés, mais fins, nullement crépus, et de fait on n’a pas encore trouvé un nègre authentique dans les sépultures préhistoriques de l’Égypte. Chez quelques sujets, par exception, les cheveux variaient du blond au châtain, et MM de Morgan et Fouquet n’hésitent pas à voir en eux de véritables Lebous. Flinders Petrie avait même généralisé davantage, et attribué en bloc aux Lebous les nécropoles en question.
Le Dr Fouquet a décrit plusieurs de ces sujets blonds. Le n° 10 de la nécropole d’El-Amrah est un homme de taille moyenne, 1.63, dont le faciès est très différent de celui des Égyptiens préhistoriques en général. Ceux-ci sont un mélange de H. nuba, dominant, avec d’autres races moins faciles à identifier, H. arabicus probablement, et peut-être meridionalis et spelæus. El-Amrah n° 10 est au contraire nettement Europæus et ne serait pas remarqué s’il était intercalé dans une série de Gaulois ou de Saxons. La face est seulement un peu massive, avec l’intervalle sous-nasal très grand. Dans son ensemble le sujet rappelle beaucoup un exemplaire du dolmen du Viala, Aveyron, qui figure dans ma collection. L’indice est cependant plus faible, 69.85 au lieu de 73.73.
Un sujet de Kawamil, également blond, n’a pu être mesuré, le crâne étant fragmenté. La même nécropole a fourni des échantillons de cheveux châtains.
L’échantillon de cheveux n° 31 de Guebel-Silsileh est également châtain.
Divers échantillons de cheveux ont été soumis à l’examen de Virchow. Celui-ci a déclaré que leur coloration claire était due à une altération post mortem. Cela ne me parait pas impossible, mais je me demande pourquoi la décoloration n’est pas générale et frappe seulement que très faible proportion des cheveux retrouvés. Je me demande aussi par quel hasard singulier le n° 10 d’El-Amrah possède tous les caractères, crâne, face et taille, des plus anciens échantillons de la race blonde d’Europe. Je ferai remarquer aussi ce fait très curieux que l’une des chevelures blondes retrouvées était coupée et roulée dans un vase. Or dans le Crania Britannica, p. 170, il est question d’une découverte exactement semblable faite dans un ciste du Yorkshire fouillé par Kendall.
La question soulevée par Flinders Pétrie n’est donc pas résolue. Il faut espérer qu’elle le sera bientôt, et si elle l’est par l’affirmative, nous aurons désormais une base précise pour l’évaluation de la date minima de la première migration britannique.
Quelle que soit la date première de l’arrivée des peuples blonds dans la vallée du Nil, elle est certainement antérieure à la IIIe dynastie. On trouve en effet, dans les peintures de cette époque, la représentation très certaine de gens de ce type. Ce sont des gens de basse condition, bergers, laboureurs, bateliers, faiseurs de tours, probablement esclaves, à peau claire, barbe et cheveux roux. Dès 1878, Mariette les assimilait aux Tamehous des monuments postérieurs, mais les Tamehous sont des étrangers, et ces individus roux font partie, à titre quelconque, du peuple égyptien (Morgan, Origines, I, 197, II, 221 ; Pétrie, History, II ; Mariette, Galerie de l’Égypte ancienne, 20).
Il faut remarquer toutefois que le faciès de ces roux qui figurent sur les fresques du temps de Snéfrou (IIIe dynastie) et des temps postérieurs ne ressemble pas à celui des Tamehous. La face est plutôt bestiale, l’air abruti, le crâne prodigieusement déprimé au vertex, bien plus que chez H. meridionalis, tandis que les Tamehous sont certainement un des plus beaux types de la race blonde. D’autre part, il n’est pas possible de voir dans cette dépression le résultat de l’inexpérience de l’artiste. Le temps est celui du plus grand art égyptien, et l’expression est certainement plus naturelle dans les peintures et les sculptures des IIIe à VIe dynasties que dans celles du Moyen et du Nouvel Empire. Les gravures sur roche du Sahara oranais montrent exactement le même type d’homme à vertex déprimé, la tête rasée et avec le même costume, associé à des représentations de rhinocéros, d’éléphant, de Bubalus, de girafe, espèces éteintes, du moins en Algérie, et de haches en pierre. Les gravures sur roche de cette catégorie appartiennent à une époque où le Sahara n’était pas encore aride, et sont au moins contemporaines des peintures de Dahchour. Peut-être s’agit-il d’une déformation. Ces documents sont les plus important en faveur de la thèse de Brinton, et prouvent en tout cas la date très ancienne des premières migrations en Afrique.
Les Tamehous apparaissent déjà dans les inscriptions de la VIe dynastie. L’inscription de Herchuf à Assouan montre qu’ils s’étendaient dans l’intérieur jusqu’au-delà de la première cataracte (Schiaparelli, Una tomba egiziana della VI dinastia, Roma, 1892). Le type des Tamehous, si frappant, avait été interprété par Champollion comme européen et nordique, quand il se trouva pour la première fois à Biban-el-Molouk en présence de représentations multipliées de ce peuple. Ces représentations sont très nombreuses et de date très diverse, mais le type représenté est toujours uniforme. La tête est allongée dans le sens antéro-postérieur, mais avec un vertex convexe, le visage fin, avec un prognathisme total et sous nasal rappelant celui des Sémites. La lèvre inférieure est en retrait, la nez droit ou légèrement busqué. La barbe est en pointe fine, en barbiche, les cheveux coupés assez court laissent pendre une longue tresse recourbée sur la tempe.
Nous avons d’assez nombreux noms propres de Tamehous. Ces noms sont tous berbères. Celui de la nation même s’identifie avec celui des Touaregs. Tamahou, que l’on trouve aussi écrit avec e ou i à la place de l’a, est la même chose que Amaher, pluriel Imohar’, féminin Tamahaq, Timohoq. Ces formes sont proprement touarègues, en chaouïa la permutation régulière de h et z donne Amazir’. Ce dernier nom l’emporte en Égypte à partir du xve siècle, où les Pharaons ont affaire aux tribus plutôt littorales. Les inscriptions de Ramsès le donnent sous la forme Mashouash. Les Grecs l’ont défiguré autrement Μάξυες, Μάζυκες. Au reste l’histoire des Tamahous ne change pas. Depuis quatre mille ans avant notre ère jusqu’à l’époque de la conquête arabe, elle se résume ainsi : razzias, dévastations, expéditions de répression, défaites, repos, et nouvelles razzias (Basset, Le dialecte de Syouah, Paris, Leroux, 1890, p. 2-4).
Les Tamahous parlaient donc un dialecte, de nombreux dialectes plutôt, de ce grand groupe des langues berbères qui se parlent encore aujourd’hui dans tout le nord de l’Afrique, de la Mer Rouge à l’Océan, de la Méditerranée à Alger. Ils pratiquaient la circoncision. Ces deux faits semblent aller contre l’hypothèse de leur origine nordique. La conclusion serait cependant fort risquée. Il est possible, en effet, que ces peuples aient pris la langue et les coutumes de leurs prédécesseurs sur la terre d’Afrique. Je crois cependant qu’il n’en est pas ainsi, et que le peuple des dolmens parlait des langues du groupe hamitique. Le basque, mélange bizarre de toutes les langues parlées dans la région des Pyrénées depuis les temps les plus reculés jusqu’à nos jours, comprend un fonds principal berbère, altéré par des éléments finniques et indo-européens. La toponymie de l’Europe occidentale et méridionale offre nombre de formes berbères, et la similitude des noms propres d’hommes n’est pas moins grande. Des noms de héros de la Johannide de Corippus se retrouvent en Languedoc, avec d’autres d’époque égyptienne. Je ne saurais dire si ces langues hamitiques sont originaires du S. O. de l’Europe, mais je regarderais comme plus probable leur introduction par les méditerranéens, d’origine commune avec les populations du N. de l’Afrique, et qui ont apporté en même temps en Europe la plus ancienne civilisation de la pierre polie, avec la hache si caractéristique du néolithique moyen.
Les blonds de la première invasion furent renforcés à plusieurs reprises, d’abord du xxe au xve siècle avant notre ère par les peuples de la mer, puis à l’époque des invasions barbare, par les Vandales, peuple goth. De toutes ces populations blondes, il reste peu de chose. Chez les Berbères de l’Algérie, de la Tunisie et du Maroc, les blonds ne sont pas rares dans certaines tribus, mais les recherches de Collignon et d’autres anthropologistes récents ont montré que, même dans l’Aurès et le Riff, il n’existe plus de tribus en majorité blonde. Chez les Touaregs, il existe également des traces de sang blond chez quelques familles nobles, mais il est entré trop de femmes arabes et noires dans les tentes des Imohar’ pour que le sang aryen s’y soit conservé.
Il parait toutefois que cette élimination du sang blond est de date récente et presque partout postérieure à l’époque romaine. Les écrivains de l’antiquité nous montrent seulement des populations blondes dans le N. de l’Afrique. Je ne sache pas que l’on ait encore trouvé sur les monuments égyptiens même les plus récents la représentation d’Africains de type brun, à l’exception des nègres et des peuples de race rouge comme les Égyptiens eux-mêmes, H. Nuba. Les types qui nous sont familiers paraissent avoir été inconnus des Égyptiens. Les Grecs ne nous parlent de même que des nègres, des Éthiopiens à cheveux lisses ou Nuba, et de peuples blonds.
Le géographe Scylax dit : « Περιοικοῦσι δὲ αὐτὴν (Τριτονίδην λιμνὴν) Λίβυες Ζυγάντες, ἔθος καὶ πόλις τὰ ἐπέκεινα πρὸς ἡλίου δυσμάς· οὗτοι γὰρ ἄπαντες Λίβυες λέγονται ξανθοὶ, ἄπαστοι καὶ κάλλιστοι, », mais il est regrettable que la portée de ce texte soit incertaine. L’adjectif blonds, ξανθοὶ s’appliquant à tous les Libyens Zugantes, où à tous les Libyens, car les Zugantes sont énumérés en dernier lieu, et il n’a pas encore été indiqué de caractères généraux concernant les autres tribus : Adyrmachides, Marmarides, Nasamons, Maces, Lotophages.
Pausanias (I, 14, 6) fournit une indication dont le sens n’est pas très clair : « Τὸ δὲ ἄγαλμα ὁρῶν τῆς Αθηνᾶς γλαυκοὺς ἔχον τοὺς ὀφθαλμοὺς Λιβύων τὸν μῦθον ὄντα εὕρισκον. Τούτοις γάρ ἐστιν εἰρημένον Ποσειδῶνος καὶ λίμνης Τριτωνίδος θυγατέρα εἶναι, καὶ διὰ τοῦτο γλαυκοὺς εἶναι ὥσπερ καὶ τῷ Ποσειδῶνι τοὺς ὀφθλαμούς ». On peut comprendre de deux façons ce passage : ou bien qu’Athéna était représentée avec des yeux bleus, parce qu’elle était fille de divinités des eaux, caractérisées chez les classiques par la couleur bleue ou verdâtre des yeux, des cheveux et souvent de la peau, ou parce que les yeux bleus paraissaient une conséquence naturelle de l’origine libyenne, les Libyens et leurs dieux ayant eu les yeux bleus ou verts.
Callimaque de Cyrène, contemporain de Ptolémée Philadephe, dit en parlant de la fondation de sa ville natale : « Ἦ ῥ’ ἐχάρη μέγα Φοῖβος, ὅτε ξωστῆρες Ἐνυοῦς Ἀνέρες ὠρχήσαντο μετὰ ξανθῇσι Λιβύσσαις H. II, 85. » Les Libyennes blondes que Callimaque fait danser avec les Doriens débarqués pour fonder Cyrène ne sont certainement pas des Doriennes qualifiées de Libyennes parce qu’elles devenaient citoyennes d’une colonie fondée en Libye. Certainement il s’agit des Lebous des Égyptiens, d’autant plus que la ville de Cyrène se trouve en effet sur le territoire des Lebous, dans le voisinage prochain de l’Égypte. Le témoignage de Callimaque nous montre, plus de mille ans après le dernier document égyptien, les Libyens toujours les mêmes, et dans le même pays.
Il n’y a rien à tirer de l’épithète de blond donnée par Théocrite (XVII, 103) au roi Ptolémée « ξανθοκόμας Πτολεμαῖος ». Ptolémée était de pur sang macédonien. La même observation s’applique à la description donnée par Lucain (X, 129), des serviteurs de Cléopâtre : « Haec Libycos, pars tam flavos gerit altera crines Ut nullis Caesar se dicat in arvis Tam rutilas vidisse comas ; pars sanguinis usti Torta caput, refugos que gerens a fronte capillos ». Il est probable en effet que ces serviteurs blonds pouvaient être pour la plus grande partie des esclaves achetés en Europe, ou des Macédoniens et des Grecs. Les cheveux libyens opposés aux blonds, c’est-à-dire noirs, ne se rapportent pas davantage aux Libyens ethnographiques, mais probablement aux Égyptiens eux-mêmes, qu’il serait étrange de ne pas voir figurer dans le cortège de leur reine. L’Afrique, la Libye, l’Égypte, pour un poète qui a besoin de consolider un vers, c’est tout un.
L’expression Mauri, qui se rencontre fréquemment chez les auteurs latins, est toujours accompagnée d’épithètes désignant une race foncée, mais le plus souvent les caractères complémentaires indiquent qu’il s’agit de nègres soudanais, importés à Rome comme esclaves.
Il semble toutefois que dès l’époque romaine l’élément blond commence à être submergé en Afrique. Le climat n’est plus le même. Strabon parle de crocodiles habitant les fleuves de la Mauritanie saharienne, et de fait il en reste encore, mais déjà ces fleuves n’aboutissaient probablement plus au Niger. Le Sahara était moins étendu, moins aride qu’aujourd’hui, puisqu’on pouvait le traverser à cheval, mais déjà les colons romains d’Afrique commençaient à vivre sur les eaux fossiles. La sélection du climat devenait trop sévère pour les blonds, et peu à peu les populations foncées du Sud et de l’Ouest, H. Nuba, H. spelæus gagnaient du terrain sur H. Europæus. L’historien Procope est le dernier qui nous parle de peuples blonds en Afrique. Parlant d’Orthaia, roi maure, il dit : « Τούτου τοῦ ἀνθρώπου ἐγὼ λέγοντος ἤκουσα ὠς ὑπὲρ τὴν χώραν, ἦς αὐτὸς ἄρχοι, οὐδένες ἄνθρωποι εἰσιν οὐχ ὥσπερ οἱ Μαυρούσιοι μελανόχροοι, ἀλλὰ λευκοι τε λίαν τὰ σώματα καὶ τὰς κόμας ξανθοί C. S. H. B. Procopius, T. I, 466, 13 — Bell. Vand. II, 13. ». Le pays d’Orthaia se trouvait à l’ouest de l’Aurès et ces blonds devaient habiter le Hoggar. Il est inutile d’ajouter qu’ils n’avaient rien de commun avec les Vandales.
Procope et Corippus, contemporain de Justinien et africain lui-même, nous font des Maures une description qui rappelle beaucoup les Somâlis de nos jours. La présence de troupes montées sur des dromadaires, inconnus en Afrique à l’époque classique, nous montre que le pays était déjà envahi par des tribus venues du centre de l’Afrique, où elles étaient arrivées de l’Érythrée, région où les Arabes avaient introduit depuis longtemps le chameau. Cette invasion, qui a précédé de deux ou trois siècles la première invasion arabe, parait avoir profondément modifié dans le sens actuel la population du N. de l’Afrique.
Les Égéens. — Les récentes découvertes archéologiques faites dans les îles de la Méditerranée, dans les régions qui entourent le bassin oriental de cette mer, et sur quelques points du bassin occidental, nous ont révélé toute une civilisation antérieure au mycénien proprement dit, et qu’on relie d’une manière étroite au néolithique égyptien. M. Reinach et moi-même voyions comment encore un lien plus direct entre cette civilisation égéenne et celle des peuples des dolmens. Les découvertes de M. Morgan semblent devoir faire pencher en sens inverse la balance des probabilités. Il me parait toutefois certain qu’avant les Achéens, les Osques et les Tursènes de l’époque mycénienne, c’est-à-dire aryenne proprement dite, les contrées de la Méditerranée orientale avaient déjà reçu des immigrants blonds, et je reste tenté de croire qu’une partie du peuple des dolmens qui a formé les nations libyennes occupait déjà la Grèce, les îles de l’archipel, une partie des côtes de l’Asie Mineure et les grandes îles de Crète et de Chypre, où il a rencontré le courant d’immigration de l’Europe centrale vers l’Orient.
Ce qui parait certain, c’est que l’écriture alphabétique ou syllabique des Égéens peut dériver directement de celle dont M. Piette a trouvé de nombreux spécimens au Mas d’Azil et ailleurs que d’autre part nous la trouvons sur les poteries et objets de l’Égypte néolithique plus développée que sur les dolmens d’Europe et les Hadjira-Mektouba d’Algérie et du Maroc. Le tombeau de Négadah en a fourni de très beaux spécimens C’est même par parenthèse un phénomène plutôt singulier que l’écriture hiéroglyphique ait prévalu sur cette très ancienne écriture néolithique, bien plus pratique, et de laquelle sont dérivés les alphabets phénicien, grec, libyque, et par ceux-ci tous les alphabets modernes. V. Morgan, II, 160-170[55].
La question des Égéens est en directe corrélation avec celle des Hittites, des Phéniciens, des Pélasges et des Sémites. J’aurai lieu d’en dire encore quelques mots en parlant des peuples de la mer, et notamment des Achéens.
Les Aryens dans l’Europe centrale. — L’usage des dolmens n’est pas propre au rameau de la race blonde émigré vers le Sud. Nous trouvons encore des dolmens dans toute l’Allemagne maritime, en Scandinavie, en Russie, jusque dans le Caucase, la Perse, l’Afghanistan et l’Inde. Ces monuments recouvrent les restes des rameaux aryen proprement dit et finno-ougrien de la race blonde primitive.
On a trouvé en Allemagne une grande quantité de crânes et d’ossements appartenant à l’époque néolithique. Il n’existe par malheur aucun travail d’ensemble qui permette de s’orienter dans les centaines de publications où sont disséminés les résultats des fouilles des anthropologistes du pays. Virchow s’est beaucoup occupé de la question des dolicho-blonds néolithiques, mais n’a publié que des monographies de détail. Certaines données se trouvent dans les travaux d’Ammon, de Ranke, de Wilser, d’Ecker, mais elles se rapportent surtout à la partie méridionale, où les dolicho-blonds ne pénétrèrent que tardivement. Pour la Scandinavie les matériaux sont plus accessibles, et pour la Suisse ils le sont tout à fait.
Les plus anciennes tombes néolithiques de l’Allemagne se trouvent vers l’embouchure de l’Elbe, et la nécropole de Tangermünde peut être rapportée au temps où les dolicho-blonds habitaient la plaine de Latham et s’étendaient déjà sur le N. O. de l’Allemagne. Le type des crânes est nettement Europæus. Dans toute l’Allemagne du Nord ce type est prédominant depuis les temps les plus reculés jusqu’à nos jours.
Dans la région rhénane, les cimetières néolithiques accusent la présence de la même race. Virchow a étudié les crânes de celui de Worms (Eröffnung prähistorischer und römischer Gräber in Worms, Verhandl. der Berliner anthrop. Gesellschaft, 1897, XXIX, 464-470). Ces crânes dolichocéphales, à face haute et assez étroite, sont par leurs mesures et leurs profils courbes, nettement Europæus[56].
Il est assez difficile de se guider d’après les indices quand il s’agit de travaux allemands. La plupart sont faits d’après la méthode de Jhering, qui donne une longueur toujours inférieure a la maxima, et d’autant plus inférieure que la partie saillante de l’occipital est placée plus bas. Avec ce système ou arrive à relever d’autant plus l’indice que le crâne se rapproche davantage de la forme meridionalis, caractérisée par un chignon très bas et très saillant. Les crânes de cette forme ne se distinguent plus par leur grande dolichocéphalie, et ont presque les indices d’Europæus. Il est donc possible que les sépultures néolithiques de l’Allemagne aient donné des meridionalis. Quant au type de Cro-Magnon, il se rencontre aussi, mais c’est bien à tort que l’on a rapporté à spelæus la plupart des crânes regardés comme tels. Le vrai spelæus avec ses apophyses orbitaires externes droites et extroversées, son visage large et court, n’a rien de commun avec les sujets qu’on lui rapporte couramment en France. Je pense qu’il en est de même en Allemagne, où l’on est aussi hanté par l’idée que les crânes anciens doivent être des spelæus.
Les sépultures néolithiques de l’Allemagne du Nord paraissent avoir donné peu de crânes appartenant à d’autres races, et spécialement aux brachycéphales. L’apparition de ces derniers en Belgique, en France et ailleurs vers la fin de la pierre polie, à l’époque où le cuivre et le bronze sont déjà connus, mais regardés comme des métaux précieux employés seulement pour la bijouterie, nous prouve cependant que les Aryens ont dû refouler une population comprenant diverses races à crâne plus court. J’examinerai un peu plus loin ces races peu connues encore.
Du côté de la Scandinavie, la pénétration des dolicho-blonds s’est faite en partie par terre, en partie par eau. L’intérieur de la presqu’île du Nord parait avoir été occupé par des Lapons, appartenant à la race hyperboreus. Cette race, dès l’arrivée des dolicho-blonds, parait s’être trouvée reléguée dans l’extrême nord, où elle se trouve encore depuis la Norvège jusqu’à l’Obi, vivant du renne qui ne s’accommode plus des régions moins boréales, et possédant jusqu’à une époque très récente une industrie lithique particulière. Les dolicho-blonds refoulèrent les indigènes vers le nord et vers la Norvège, qu’ils abordèrent plus tard en traversant les montagnes. C’est à la descendance des Lapons que paraissent se rattacher les brachycéphales semés en petit nombre sur la côte de Norwège. Ces débris de l’ancienne population ont ainsi opéré leur retraite en sens inverse de l’ordinaire, et occupent des presqu’îles au lieu de se trouver réfugiés dans les montagnes. On trouve des exemples du même fait en Hollande et en Espagne, ou de semblables populations, prises à revers, se sont adossées à la mer.
On connaît une centaine de crânes de l’époque néolithique, tant en Scandinavie qu’en Danemark. Ces crânes datent d’époques antérieures à la géographie actuelle, mais quelques-uns peuvent ne pas remonter à plus de quatre mille ans, l’usage des dolmens ayant duré très longtemps dans ces régions. Un dixième environ des crânes porte des traces de parenté avec les Lapons et est plus ou moins brachycéphale. D’autres, moins brachycéphales, appartiennent au type de Borreby. La grande majorité, huit dixièmes au moins, est franchement de type Europæus et ne se distingue en rien des formes actuellement vivantes dans le pays.
Ces considérations ne permettent pas d’admettre dans toute son étendue l’hypothèse de Penka que la Scandinavie, lato sensu, serait le berceau des Aryens. En réalité c’est là que l’évolution s’est parachevée, les Scandinaves étant les plus aryens des Aryens, mais le type était déjà très avancé dans sa formation quand il s’est installé en Scandinavie. Cette région, les Îles Britanniques, le N. O. de l’Allemagne ont fait partie du berceau de la race, mais la région centrale, celle qui a donné proprement le cachet typique, est aujourd’hui sous les eaux.
Si nous voulons nous rendre compte de la manière dont s’est faite l’expansion de la race dolicho-blonde, il faut nous transporter sur un point de la périphérie de l’Europe centrale, et Suisse, où les recherches soigneuses et bien coordonnées de nombreux chercheurs ont rendu au jour toute la civilisation proto-aryenne.
Le préhistorique de la Suisse est éclairé, au point de vue archéologique, par de nombreuses publications accompagnées de figures. Je citerai seulement le dernier et le meilleur de ces recueils, Antiquités lacustres, éd. par van Muyden et Colomb, Lausanne, Rouge, 1896.
L’anthropologie préhistorique est connue par le Crania helvetica Antiqua de Studer et Bannwarth, Barth, Leipzig, 1894, reproduisant en phototypie tous les crânes connus, en grandeur naturelle, à l’exception de ceux déjà figurés par Rütimeyer dans le Crania helvetica, Basel, Georg, 1864. En me servant de ces deux recueils, du Schweizersbild de Nüesch et de quelques travaux plus récents, notamment du mémoire lu par Schenk le 19 janvier 1898 à la Société Vaudoise (Arch. des sciences, 1898, CIII, 366-368), et de son Étude sur les ossements humains des sépultures néolithiques de Chamblandes (Archives, 1898, CIII, 536-549), je suis arrivé à des résultats intéressants par leur précision. Je vais les résumer, en prévenant que pour les longueurs d’os j’ai employé pour la reconstitution des tailles les formules de Manouvrier, plus précises que celles du Crania antiqua.
Les races paléolithiques et mésolithiques de la Suisse sont encore inconnues. Le riche gisement du Schweizersbild n’a fourni aucun crâne de la couche du renne. Celle de l’époque néolithique a fourni seulement cinq sujets, dont un enfant, mais appartenant à une période ancienne de l’époque, car on n’a pas trouvé de haches polies dans la couche, à part un fragment incertain. Ces restes appartiennent à deux races.
La première est représentée par un homme dont l’indice céphalique est 77.6. L’apophyse orbitaire externe horizontale et indice orbitaire 77.3 excluent toute parenté avec la race dolicho-blonde. La taille d’un autre exemplaire mâle de la même race, dont on n’a que le fémur, est de 1.66. Nous avons donc affaire à des exemplaires plus ou moins purs de H. spelæus. Capacité du crâne modérée 1.310, supposant un poids cérébral de 1.250 grammes. Le crâne d’un enfant de 6 ans, de la même race, présente un indice céphalique de 73.2.
La seconde race est représentée par un homme et deux femmes dont voici les données principales :
Sexe | Âge | Long. | Larg. | Ind. céph. |
Ind. orbital |
Ind. Nasal |
Capacité | Poids cérébral |
Taille |
F | 16 | 173 | 132 | 76.3 | 46.3 | 1180 | 1127 | 1.41 | |
F | 30 | 189 | 125 | 71.4 | 86.8 | 44.4 | 1140 | 1110 | 1.35 |
H | 40 | 179 | 130 | 75.5 | 1243 | 1189 | 1.50 |
Cette seconde race diffère absolument de la première par sa taille de pygmée, la gracilité du squelette et le visage très allongé, très étroit, avec un nez haut et mince et des orbites arrondies. À part la taille exiguë cette race rappelle H. meridionalis, mais il serait très imprudent d’aller au-delà d’une affirmation d’analogie.
Le Schweizersbild est près de Schaffhouse. À l’autre extrémité occidentale de la Suisse, on a trouvé à Chamblandes près Lausanne d’autres pygmées enterrés dans des cistes. Un individu féminin avait un indice céphalique de 75.5, le visage étroit, le nez leptorhinien à 41.9, une taille rectifiée de 1.46. Un autre masculin, un indice de 76.7, mais un visage large, court, des orbites surbaissées, une taille de 1.38. Il s’agit peut-être, dans ce dernier cas, d’un métis avec la race de Cro-Magnon, ou de la forme qui a donné par enroulement le type contractus.
Ces deux crânes sont décrits dans le Crana antiqua, mais non figurés, ayant été trouvés trop tard. Des sépultures analogues à Chamblandes, au Châtelard et à Montagny, toujours aux environs de Lausanne, ont fourni une série dont l’élément dominant est Europæus. L’indice de cette série est 77.5.
Ces divers crânes sont contemporains de ceux de la population des palafittes. Celle-ci parait avoir été différente. Les palafittes purement robenhausiennes, sans trace de métal, ont fourni sept crânes, dont la moyenne des indices est 81.70. Les indices vont de 79.4 à 84.0. Nous verrons plus loin la raison de cette anomalie.
À l’époque énéolithique, où les bijoux en métal coexistent avec le matériel de pierre, une série de vingt sujets adultes donne 74.9. L’indice est le même dans les deux sexes. Une série de cinq enfants donne 73.1, à cause d’un sujet très dolichocéphale à 67.9 et d’un autre à 68.5. Les indices vont de 66.8 à 83.
À l’époque du bronze six hommes donnent 73.3, trois femmes 73.5, ensemble 74.5, et quatre enfants 76.4.
Si l’on met en série, on arrive aux résultats suivants :
L’étude des sériations montre une opposition complète de race entre la population des palafittes et les autres. La série des palafittes commence à 79, celle de l’époque énéolithique, ou du métal en bijouterie, à 66, celle du bronze à 71. Le crâne le plus court des palafittes ne dépasse pas l’indice 84 : cela exclut Acrogonus, Dinaricus et Alpinus, dont les milieux de série sont à 90 et 85. Il ne reste, métissage à part, que la race de Furfooz et le contractus qui puissent être en cause. La série des inhumations néolithiques, de 72 à 80, est normale, mais le cas à 84 indique un élément ethnique étranger. La série énéolithique, qui va de 66 à 83, est aussi manifestement complexe. Elle est trop longue, trop irrégulière pour correspondre à une seule race. Les indices au-dessous de 70 font penser à meridionalis, ceux de 80 et au-dessus à la série des palafittes. La partie moyenne correspond aux indices ordinaires de spelæus. Enfin la série du bronze est tout entière dans les limites de ces deux dernières formes.
Les os longs sont très rares. Studer attribue à un sujet féminin 1.47, deux masculins accusent 1.60 et 1.70. Un squelette de femme de l’époque énéolithique me donne une taille de 1.49. Un humérus d’un autre sujet, sexe incertain, donne 1.64 ou 1.62 suivant le sexe, un cubitus 1.67 ou 1.63. En toute hypothèse la race n’est pas très grande. Ces sujets se rapportent à des crânes courts. Le Crania antiqua donne pour taille de la race du bronze d’Auvernier 1.63 pour l’homme, 1.38 pour la femme, d’après la table de Humphrey. Il ne donne pas les longueurs absolues, et je ne puis faire de correction, mais cette taille correspond plutôt à H. Europæus. Les crânes sont, d’ailleurs, de pur type dolicho-blond.
Si nous passons à l’examen des figures, nous trouvons que la jeune fille néolithique de Schaffis. pl. I-IV, se rapporte à contractus. De même l’enfant LXXXVIII — XCI de Mörigen. Un seul crâne mutilé se trouve étroit par devant, élargi aux bosses pariétales comme Acrogonus et Dinaricus. Tous les autres crânes courts ou tendant vers l’indice 80 paraissent des métis de contractus et d’une race à crâne long.
L’ensemble des crânes postérieurs à la pierre polie se rapporte sans conteste à H. Europæus. Les sujets XXXVII — XXXIX, XL — XLIII, LIII — LIV de l’époque énéolithique, LXI — LXIV, LXVI — LXX d’Auvernier, époque du bronze, sont typiques. Chez quelques exemplaires la longueur excessive fait songer à meridionalis, mais les profils sont courbes ; chez d’autres les visages sont un peu courts, ou l’orbite un peu basse, mais nous ne trouvons ni la forme de l’apophyse orbitaire externe caractéristique de spelæus, ni la grande largeur de la face en haut, contrastant avec un rétrécissement en bas. Les deux races meridionalis et spelæus n’interviennent donc que par des croisements incertains, si elles interviennent.
Ajoutons que M. Schenk croit avoir trouvé, chez les sujets à crâne plus court qui accompagnaient les Europæus de sa série, la forme de Furfooz et celle de Grenelle, cette dernière dérivée d’Acrogonus par un croisement. Rappelons aussi les pygmées de Nüesch et son spelæus et nous aurons l’analyse exacte des crânes jusqu’ici connus de l’Helvétie, soit à peu près 70 individus antérieurs à l’âge du fer[57].
L’étude exacte à laquelle nous venons de nous livrer ne peut être faite pour aucun autre pays, c’était une raison de plus pour la faire avec soin. Elle nous montre pendant l’époque néolithique : d’abord la race de Cro-Magnon, connue dans toute l’Europe occidentale, et des pygmées encore énigmatiques, puis une race très légèrement brachycéphale, probablement identique à la forme contractus qui apparaît immédiatement après dans les Cévennes et l’Aveyron, mais aucune trace des races actuellement dominantes et très brachycéphales, Alpinus, Dinaricus et les métis de celui-ci. Il faut donc s’entendre quand on parle des brachycéphales néolithiques de la Suisse, ils n’ont rien de commun avec les brachycéphales actuels.
Avec ces races on trouve, dès l’âge des palafittes néolithiques, H. Europæus, qui domine aussitôt et reste seul, du moins en apparence, à l’époque du bronze. Comme la civilisation commune des Aryens primitifs employait le cuivre, dont le nom existe jusque dans les langues de l’Inde avec une racine identique, la civilisation énéolithique de la Suisse nous apparaît comme celle de l’époque franchement aryenne, et elle coïncide avec la présence de H. Europæus. L’occupation de la Suisse par ce dernier se trouve ainsi précéder de peu la rupture ou le relâchement des liens entre les principales fractions des Aryens. Nous voyons que cette occupation coïncide avec le refoulement des brachycéphales.
Refoulement des brachycéphales. — Ce refoulement, dont nous venons de voir l’exemple en Suisse, a rejeté sur la France et sur les autres régions placées autour de l’Europe centrale une certaine quantité de tribus brachycéphales, qui ont apporté dans ces divers pays, alors dolichocéphales sans exception, des éléments ethniques nouveaux. La plupart de ces éléments brachycéphales ne sont pas partis seuls, mais entraînés par l’expansion des dolicho-blonds. D’importantes fractions de ces populations brachycéphales sont d’ailleurs restées dans l’Europe centrale.
Je n’ai pas la prétention d’examiner ici la question du brachycéphale, que personne, avec juste raison, n’estime assez mûre. Il me faut cependant entrer dans quelques détails, les notions que possèdent beaucoup d’anthropologistes et le public tout entier se trouvant très en arrière de ce qui peut être aujourd’hui regardé comme acquis. Je définirai donc les diverses races brachycéphales de l’Europe centrale et des environs, leurs rapports de parenté, j’exposerai les hypothèses les moins invraisemblables sur leur origine, et je chercherai à déterminer leur sort dans le passé.
Les principales formes de brachycéphales sont : H. hyperboreus, représenté par le Samoyède et le Lapon ; H. contractus ; H. Alpinus ; H. Dinaricus et sa forme blonde ; Acrogonus ; race de Furfooz.
H. hyperboreus petit, trapu, brun de peau, noir de cheveux, avec des yeux bruns, est regardé comme une variété ou même une espèce spéciale. La face est très basse, très large, le crâne globuleux, le maximum de largeur à peine au-delà de la moitié de la longueur, le frontal un peu déprimé. Indice 85 (crâne sec). C’est une race inférieure, certainement très ancienne, bien qu’on ne la connaisse pas encore à l’état fossile, refoulée actuellement dans l’extrême nord de l’Europe, où elle vit aux dépens du renne. Elle a probablement habité l’Europe centrale pendant le quatrième interglaciaire ou plus tôt, et a laissé dans l’Europe centrale et en France des descendants peu nombreux, mais très reconnaissables, réfugiés dans les montagnes comme la partie de la faune froide qui a subsisté dans nos régions après la cessation du climat boréal[58].
Fig. 11-13. — Brachycéphales néolithiques. Type de Grenelle. — Grotte sépulcrale de Montmaigre, à Orrouy (Oise). Indice céphalique 84.2, indice facial de Broca 63.8. — Clichés communiqués par l’École d’Anthropologie.
Fig. 14. — H. Alpinus typique. — Extrait de Mortillet, Formation de la nation française.
Fig. 15-17. — Brachycéphales néolithiques. Type de Furfooz. — Dolmen de la Croix-des-Cosaques, à Chalons (Marne). Indice céphalique 76.5, indice facial 16. — Clichés communiqués par l’École d’Anthropologie.
H. contractus, petite race que j’ai découverte dans les cavernes des Cévennes, retrouvée dans les sépultures plus récentes de l’Hérault, finalement trouvée vivante sur plusieurs points de la Bretagne, et qui a joué certainement un rôle considérable dans l’ethnogénie de l’Europe. Cette race brune se rattache par son crâne et sa taille au groupe des Aëtas, des Andamènes et autres pygmées. Nous ne la connaissons que trop mélangée pour savoir quels étaient les caractères du vivant. Le crâne est très caractérisé par le renfoncement de la face sous le crâne, la double flexion de celui-ci aux bosses frontales et pariétales, l’enroulement de l’occipital, la petitesse de la face courte, assez semblable en réduction à celle de spelæus, mais avec des orbites arrondies. Indice 79 ou 80.
H. Alpinus, de taille moyenne, brun de peau, d’yeux et de cheveux, face courte mais sans excès de largeur, crâne à profils courbes, maximum de largeur sensiblement après le milieu, plan oblique sous l’obélion, occipital arrondi. Indice 83.
H. Dinaricus, de haute taille, 1.70 et plus, brun de peau, d’yeux et de cheveux, face grande, haute, maximum de largeur du crâne très en arrière, frontal souvent déprimé, avec des arcades sourcilières saillantes, région postérieure verticalement coupée. Le nez est généralement fort, haut et étroit, rappelant un peu celui des Sémites. Il comporte une variété plus ou moins claire, résultant d’un croisement Europæus, très répandue dans l’Europe centrale, et dont le squelette correspond à celui de la race de Borreby de l’époque du bronze.
Acrogonus constitue un groupe dont les formes européennes, encore mal définies, se caractérisent par une extrême brachycéphalie, la forme trapézoïdale de la norma verticalis, les bosses pariétales saillantes, dirigées en haut, en dehors et en arrière, la partie postérieure du crâne verticale, la face moyenne et assez haute, la taille au-dessus de la moyenne. Indice 90.
La race de Furfooz parait un métis de dolichocéphale, caractérisé par un crâne presque brachycéphale, à profil montant jusqu’au niveau des bosses pariétales, et partie postérieure du crâne semi-globuleuse. J’ai remarqué la ressemblance de cette forme, dont les composantes sont inconnues, avec celle de certains métis algériens de Kabyles et d’Arabes, présentant la forme en point d’interrogation de la partie postérieure du crâne arabicus, avec un indice voisin de 80. Indice 78.
L’origine des brachycéphales peut être expliquée par beaucoup d’hypothèses, dont aucune n’a été jusqu’ici vérifiée par l’observation. Il est peu probable que les formes brachycéphales soient primitives ; bien que l’on connaisse plusieurs singes des montagnes de l’Asie orientale qui possèdent une conformation assez voisine des Acrogonus, le plan général d’organisation des primates comporte la dolichocéphalie, d’ailleurs modérée. La brachycéphalie résulte donc probablement d’une évolution plus ou moins ancienne aux dépens de formes dolichoïdes, mais on ne sait encore si l’on doit placer le point de bifurcation des généalogies au-delà des espèces actuelles, ou si certains brachycéphales descendent, en dehors bien entendu des formes métisses, de formes dolichoïdes connues, vivantes ou quaternaires.
La transformation peut être hypothétiquement expliquée : 1° par le simple élargissement du crâne ; 2° par une involution ; 3° par une déformation devenue héréditaire ; 4° par atrophie iniaque.
Le simple élargissement expliquerait les formes comme hyperboreus chez lesquelles le crâne tend à devenir globuleux par renflement latéral généralisé. C’est ainsi que Collignon veut expliquer la genèse du crâne basque, qui est aussi long que les crânes dolichoïdes, mais plus large. De même la moindre dolichocéphalie des intellectuels. Cet élargissement ne comporte pas, en principe, de réduction compensatrice dans la longueur.
L’involution consisterait dans un enroulement en crosse du crâne et du cerveau, par atrophie ou arrêt de développement de la région basilaire. Cet enroulement existe, en fait, chez les formes du groupe Pygmeus proprement dit : nigritulus Lap. de l’Afrique centrale, contractus, Akkalis Haeck., Veddalis H., H. Contractus pourrait être dérivé ainsi par arrêt de développement d’une forme chétive de spelæus. Il est à remarquer que chez le fœtus cette conformation est ordinaire. L’hypothèse présente donc une certaine vraisemblance. Les bosses frontales et pariétales marquées des Pygmaeus s’expliqueraient ainsi d’une manière mécanique. Si l’on prend une gouttière de zinc ou de carton, et si on la coude en deux endroits, il se forme aux plis des bosses d’autant plus extroversées que la flexion est plus forte. Nulle chez Pithecanthropus, H. priscus, spelæus, l’involution serait marquée chez contractus, complète et corrigée, sauf quant aux bosses pariétales, chez Acrogonus.
La forme du crâne Acrogonus s’expliquerait encore mieux par l’hérédité d’une déformation volontaire ou accidentelle, due à l’application d’une surface plane sur l’occiput de l’enfant, par exemple de l’emploi comme berceau d’une planche ou d’un coussin dur sur lequel l’enfant serait lié d’une manière permanente dans le décubitus dorsal. Cette coutume existe et la déformation qu’elle produit est parfaitement certaine, mais il est impossible d’invoquer cette explication tant que l’hérédité de la déformation n’aura pas été démontrée. Or jusqu’ici on ne connaît aucun exemple de transmission héréditaire de mutilations ou de déformations. Les seules qualités acquises transmissibles paraissent celles qui résultent d’une modification chimique générale du protoplasme, somatique et germinatif.
L’hypothèse de la régression iniaque est en corrélation avec la constatation de l’aptitude plus grande du brachycéphale à la servitude. Il est le parfait esclave, le serf idéal, le sujet modèle et dans les républiques comme la nôtre, le citoyen le mieux vu, car il tolère tous les abus. On peut donc supposer que de génération en génération les sujets les moins hardis ayant eu plus de succès, les cas isolés de brachycéphalie très légère soient devenus d’abord plus nombreux, puis dominants, et qu’une sélection prolongée dans ce sens ait abouti à des cas d’extrême brachycéphalie. Ces derniers deviendraient ainsi la règle, si l’aptitude à la servitude continuait à faire la base de la civilisation. Cette explication que j’ai émise sous le nom de théorie de la castration iniaque explique parfaitement la multiplication des brachycéphales, mais comme toutes les théories de sélections, elle n’explique pas la cause de la variation première. Elle ne peut donc valoir que comme explication auxiliaire.
La date d’apparition des brachycéphales est incertaine. Dès l’époque néolithique, on en trouve des formes diverses sur tout le globe, et des sujets de date contestée peuvent appartenir au quaternaire, plus exactement au quatrième interglaciaire. Dans nos régions, dès le néolithique ancien, le brachycéphale existe partout. Il paraît en avoir existé un nid à l’extrémité N. E. des Pyrénées : Sallèles-Cabardès (Aude), Sinsat (Ariège), Estagel (Pyrénées-Orientales). Cette dernière station peut être de l’époque du renne, les autres sont du néolithique ancien, ou du moins ont fourni seulement des silex très primitifs. Les kiökkenmöddings de Portugal et de Scanie ont aussi fourni des brachycéphales isolés. En Suisse le brachycéphale, très relatif, n’apparait qu’à l’époque néolithique, mais il est, si les observations sont dignes de foi, plus ancien dans l’est de la France. De même dans les Balkans. On peut supposer que tes traces nombreuses de populations peu actives par nature proviennent d’un état de choses très ancien, et que les brachycéphales coexistaient déjà avec les autres races dès une époque reculée, dès le milieu, le commencement même du pléistocène.
Ce qui est certain, c’est que vers la fin de la pierre polie nous voyons déborder sur la Belgique, l’Angleterre, l’Italie, la Pologne et la Russie méridionale toutes sortes de brachycéphales venant de l’Europe centrale, et que l’on peut supposer provenir de populations refoulées par les glaciaires dans la basse vallée du Danube et les Balkans, revenues ensuite dans l’Europe centrale et refoulées de nouveau en partie, en partie absorbées par les populations de race Europæus. Ce qui est certain aussi, c’est qu’il ne faut pas chercher dans une invasion de peuplades mongoliques l’origine de cette population brachycéphale de l’Europe centrale. Il n’y a rien de mongolique, comme je l’ai montré plus haut, chez nos brachycéphales, et s’ils ne sont pas indigènes depuis une date antérieure à leurs formes spécifiques actuelles, on ne peut chercher leur point de départ qu’en Asie-Mineure. La péninsule des Balkans et l’Asie-Mineure sont aujourd’hui le massif central de la brachycéphalie. Peut-être en était-il ainsi dès l’époque où ces deux régions n’en faisaient qu’une. L’existence certaine de l’ancienne Egéis offrait un passage facile d’Asie en Europe avant même que la navigation la plus rudimentaire fut inventée, tandis que le passage au nord de la Ponto-Caspienne est seulement devenu pratique à une époque demi-historique. Ce point est d’importance, et c’est pour en faciliter la démonstration que j’ai insisté sur la palégéographie de l’Orient.
Dans mes recherches sur la Phylogénie des Carabus, travail dont la portée dépasse de beaucoup la simple étude d’un genre d’arthropodes, j’ai montré que les formes actuelles des régions autrefois couvertes par le manteau glaciaire ou la toundra dérivent de celles de deux régions, illyrienne et subpyrénéenne, où la vie s’était conservée, non sans lutte. Il en est de même pour la généralité de la faune et de la flore, et aussi pour l’homme, qui parait avoir repeuplé l’Europe par deux courants émanant de la racine des péninsules hispanique et balkanique.
Ces brachycéphales de l’époque néolithique représentaient-ils une population dense ? Les restes que nous en possédons plaident contre l’affirmative. J’ai montré que les round-barrows de l’Angleterre ont fourni 62 crânes de 80 et au-dessus contre 60 crânes au-dessous de 80. Les long-barrows ont fourni 87 crânes, tous au-dessous de 80. Nous trouvons pour la Suisse 14 crânes de 80 et au-dessus, et 47 au-dessous. Pour la Gaule, la statistique de Salmon (Dénombrement et types des crânes néolithiques de la Gaule, Paris, Alcan, 1896) donne 147 crânes de 80 et au-dessus contre 541 au-dessous. Parmi les sujets au-dessous de 80, une certaine proportion des indices 77, 78, 79 doivent leur élévation relative à un croisement brachycéphale, parfois très visible. Cette statistique comprend même les crânes de l’époque énéolithique, et beaucoup de pièces douteuses ou provenant d’inhumations secondaires. Ces dernières catégories sont celles qui fournissent le plus de brachycéphales. Malgré tout, les brachycéphales sont partout en minorité quand ils se rencontrent, et sont absents de la plupart des stations de la Gaule méridionale et occidentale. Le Plateau central et les Cévennes, qui sont aujourd’hui si fortement brachycéphales, sont dolichocéphales sur les cartes que j’ai dressées de l’indice aux époques néolithique, énéolithique et calceutique.
Cette apparence correspond-elle à la réalité ? Comment se fait-il que les brachycéphales soient devenus si nombreux, là où ils n’existaient point, et où l’on ne signale pas d’immigrations ultérieures de brachycéphales ? De bons esprits pensent que la multiplication des brachycéphales est moins réelle que l’élimination des dolichocéphales. Pour eux, les sélections sociales ont seulement dégagé un fonds brachycéphale beaucoup plus considérable que ne le montrent les statistiques des crânes conservés.
Les sépultures dont nous avons tiré les collections préhistoriques et anthropologiques sont presque toutes des tombes de rois ou de chefs. Tout le monde ne pouvait pas se payer le luxe d’un dolmen, et certains mobiliers funéraires représentent une véritable fortune pour les gens de l’époque. En l’état actuel de l’anthropo-sociologie, peut-on regarder comme logique de conclure de la race des chefs à celle des peuples ? Cela devient de plus en plus douteux, car les superpositions sociales de races, observées d’abord de nos jours dans l’Europe occidentale et centrale, se constatent, maintenant que l’attention se porte sur ces recherches nouvelles, dans tous les pays du monde.
Il est donc parfaitement possible qu’une nombreuse population de brachycéphales ait vécu, dès l’époque de la pierre polie, autour des chefs que nous connaissons. Il est possible aussi que ces brachycéphales aient vécu dans les forêts et les montagnes, à l’état presque simien, et n’aient été tirés de leurs repaires que pour servir d’esclaves aux dolichocéphales. Ces derniers auraient ainsi réalisé, en quelque sorte, le problème de Clémence Royer sur la domestication du singe, mais, pour résoudre ainsi la question sociale, ils auraient eu un élément qui nous manque, un homme encore à l’état animal.
Bien plus, la plupart des crânes brachycéphales que nous connaissons peuvent ne nous être parvenus que d’une manière en quelque sorte accidentelle. Beaucoup d’entre eux peuvent provenir de trophées de chasse ou de guerre, ou d’esclaves sacrifiés à la mort du chef, et peut-être amenés de très loin par la traite.
Ces hypothèses ne me paraissent pas tout à fait démontrées, mais il ne faut pas les rejeter cependant. Elles peuvent expliquer en partie le problème si difficile de l’origine des populations brachycéphales de l’Europe actuelle, et certaines observations permettent d’affirmer que, dans des cas particuliers dont le nombre est déjà considérable, les crânes brachycéphales représentent un élément étranger.
Les préhistoriciens suisses, considérant que les palafittes ont fourni très peu d’os longs, regardent les crânes de cette provenance comme des trophées ou des fétiches, sinon toujours, du moins dans la majorité des cas. Les sépultures (Auvernier, Schwitzersbild, cistes près Lausanne) fournissent à peine des traces de brachycéphales ; les palafittes qui donnent seulement des crânes sans corps, souvent travaillés, peuvent avoir contenu des trophées ou des fétiches faits avec les crânes de brachycéphales chassés dans les ravins du Jura suisse. En France, H. contractus n’est représenté dans les sépultures du cuivre et même du fer (à l’époque du bronze on brûlait les morts), que par des individus féminins. Je ne connais que trois ou quatre crânes masculins pour deux douzaines de féminins. Les crânes masculins proviennent, sauf un, de Thoran, où l’on a trouvé une série de squelettes sans ornement faisant cortège à un chef dolichocéphale pourvu de ses armes. Les féminins ont été trouvés, par un, par deux, dans des tombes contenant un squelette d’homme, et avec cette circonstance que les femmes toujours très jeunes, quel que fût l’âge de l’homme, avaient été enterrées en même temps, les squelettes étant tous deux ou trois en ordre parfait. Mes fouilles dans l’Hérault m’ont fourni de nombreux exemples de cette pratique, encore usitée à une époque voisine de notre ère.
À Slaboszewo en Posnanie on a trouvé dans des tombeaux slaves du xie siècle de notre ère une série de 29 crânes. Les hommes sont tous du type Europæus, dolichocéphales à 74.3, les femmes de types dérivés de Dinaricus par croisement avec Europæus, avec un indice de 78.4. De même à Zarnowka et à Popow (R. d’Anthr., 1886, S. III, 1, 324). Dans ce cas, des squelettes de la race brachycéphale du pays ont été conservés parce que des hommes de race dolicho-blonde, arrivés sans femmes dans la région, se sont unis à des indigènes. Les restes de celles-ci, conservés par les tombeaux en pierres des dolicho-blonds, sont parvenus jusqu’à nous. Si les immigrants avaient amené des femmes de leur race, nous n’aurions aucune donnée sur la préexistence de brachycéphales. L’exemple est moderne, mais il est facile de comprendre que le fait s’est produit aussi dans les temps préhistoriques.
S’il est démontré exact que les divers brachycéphales aient ainsi existé en nombre il y a dix mille ans, et que la rareté de leurs restes soit due à ce que les lois des classes et des altitudes s’appliquaient déjà dans leurs rapports avec H. Europæus, les conséquences de la démonstration du fait seront très importantes. C’est déjà un fait grave que de nos jours la malédiction de l’indice fasse des brachycéphales, de toutes les races brachycéphales, des esclaves nés, à la recherche de maîtres quand ils ont perdu les leurs, instinct commun seulement dans la nature aux brachycéphales et aux chiens. C’est un fait très grave que partout où ils existent ils vivent sous la domination des dolicho-blonds, et à défaut d’Aryen, sous celle des Juifs ou des Chinois. Si cette subordination remontait à l’origine même des races, nous aurions ainsi un remarquable exemple de la division naturelle du travail social. Aux dolichoïdes le travail intellectuel, les lettres, la science, l’art, la direction des affaires, aux brachycéphales le travail manuel, et surtout celui de la terre, le plus dur, le plus matériel de tous.
Dans l’exposé historique de l’évolution des Aryens primitifs, ce qu’il importe de retenir des faits précédents c’est que les dolicho-blonds ont trouvé dans l’Europe centrale des populations brachycéphales diverses, de densité inconnue, et que vers la fin de l’époque néolithique ils les ont partiellement refoulées au dehors. Des quantités appréciables de brachycéphales ont dû rester mêlées aux dolicho-blonds, car les migrations ultérieures de ces derniers ont entraîné encore beaucoup de brachycéphales. Ces derniers, par un procès incertain, mais surtout par la sélection, restent d’ailleurs les maîtres actuels de l’Europe centrale. Une fois de plus, à l’époque où s’est développée la civilisation aryenne proprement dite, où se sont formées les langues aryennes, la population était composée d’éléments complexes. L’Europæus dominait socialement, mais au point de vue numérique nous ignorons encore quelle fraction de l’ensemble il pouvait représenter.
Refoulement des Finno-Ougriens. — Nous avons vu plus haut que les Finno-Ougriens de race pure sont des dolicho-blonds, représentant une forme de H. Europæus arrêtée dans son évolution. Nous savons aussi que les langues finno-ougriennes présentent un stade ancien d’évolution linguistique antérieur à la constitution des langues aryennes. Ces Pré-Aryens ou Proto-Aryens qui occupaient l’Europe centrale, refoulés par les poussées successives d’invasions de blonds plus typiques, furent rejetés principalement vers l’est. Il est très probable que vers le milieu de l’époque de la pierre polie les sujets dont on a trouvé les crânes en Allemagne et en Suisse parlaient plutôt des dialectes finno-ougriens, et que la constitution des langues aryennes s’est achevée pendant l’époque énéolithique. Les peuples rejetés vers l’est avant cette époque n’ont pas participé aux dernières phases de l’évolution, et leurs idiomes sont restés de type finno-ougrien.
Ces populations, qui ne pratiquaient pas l’agriculture comme celles de la région de la Suisse, mais vivaient de chasse, de pêche et du produit de leurs troupeaux, trouvèrent en Russie d’immenses plaines désertes où elles se répandirent sans obstacle. Tandis que vers le sud et l’ouest les migrations se trouvaient empêchées par la présence de populations déjà nombreuses vers l’est la forêt et la steppe s’étendaient à l’infini[59].
Les préhistoriens russes, qui ont fouillé le sol de leur pays avec autant de zèle que d’habileté, ont découvert des milliers de gisements néolithiques, mais pas un seul qui corresponde au moustérien et au magdalénien. Il y a cependant quelques stations paléolithiques, mais alors très anciennes, chelléennes ou acheuléennes. M. Nikitin, dans son mémoire Sur la constitution des dépôts quaternaires en Russie, lu au congrès d’Archéologie préhistorique de Moscou (p. 1-34), énumère trois stations de l’époque du mammouth, à Gontzy, Koslenki et Karatcharowo. On en a signalé depuis à peu près autant (de Baye). La Pologne est un peu plus riche. L’homme ne parait pas avoir été plus répandu pendant la période relativement chaude du cinquième interglaciaire : Kunda en Estonie, peut-être Bologoïe, encore ces stations ont-elles donné des silex polis qui indiquent, pour une partie au moins des couches, une date postérieure.
Sur les deux versants de l’Oural, en Europe et en Sibérie, dans les grottes de la Pychma, les tourbières des lacs Molebsky et Chagirsky près Ekaterinbourg, on a trouvé du néolithique assez ancien. Les lacs Yourinskoï, Aïatskoï, le village de Palkina sur l’Issete, le lac de Kisi-Koul fournissent du néolithique très récent. Il faut aller jusque dans la Sibérie centrale pour retrouver des traces de l’homme antérieures à l’époque des métaux (Krasnoïark, silex de type chelléen, Savenkov, C. de Moscou, p. 128).
Vers le sud, dans les régions voisines de la Mer Noire et de la Caspienne, rien, pas même de néolithique, et nous savons pourquoi. Dans le Caucase, pas de paléolithique, ni davantage en Arménie et dans le nord de la Perse, mais du néolithique, généralement de date récente. M. de Baye vient cependant de trouver au pied du Caucase une station paléolithique, datée par des restes de mammouth. On peut dire que le domaine de l’homme paléolithique, comprenant l’Afrique du Nord, l’Europe occidentale jusqu’en Écosse, n’a pas dépassé au N. les parties moyennes de l’Allemagne, et à l’est la Pologne et les Balkans. Plus loin, on ne trouve que des traces isolées et fort rares, une douzaine de stations sur toute cette moitié est et nord de l’Europe. Ces stations sont toutes du paléolithique très ancien. Le pays semble avoir été désert pendant le quatrième interglaciaire. C’est seulement vers le milieu de l’époque néolithique que les traces de l’homme deviennent assez nombreuses pour indiquer sa présence générale et permanente en Russie et dans les parties de l’Asie russe voisines de l’Europe.
Ces traces, de plus en plus nombreuses jusqu’à l’époque actuelle, sont des stations, des sépultures, et spécialement ces petits dolmens nommés kourgans, dont les tumuli couvrent les coteaux voisins des fleuves. De ces kourgans, la minorité appartient à l’époque préhistorique, car leur construction est parfois aussi récente que le Moyen Âge.
Les plus anciens nous montrent une race et une civilisation identiques à celles que nous offre le centre de l’Allemagne à l’époque du néolithique moyen. Dans le nord on trouve une industrie spéciale, celle des hyperboréens, dont le domaine s’est peu restreint depuis. Les crânes néolithiques de cette région se rapportent en partie au type hyperboreus ; ainsi quatre crânes de la collection Inostranzev, trouvés près du lac Ladoga, sont brachycéphales. Les crânes du reste de la Russie sont de race Europæus. Les dolicho-blonds s’étaient d’ailleurs avancés déjà jusqu’au lac Ladoga, car la collection Inostranzev fournit dix crânes de cette race, la plupart typiques, les autres avec la face un peu raccourcie. J’ai vu les moulages de ces crânes, dont quelques-uns, ceux à face raccourcie, ont été rapprochés de la race de Cro-Magnon. Je crois que ce rapprochement est inexact. La face du dolicho-blond primitif était moins étroite qu’elle ne l’est devenue chez les Germains des Reihengräber, mais les caractères de spelæus sont multiples, et ne se réduisent pas à un raccourcissement de la face. Ce raccourcissement, chez les sujets du lac Ladoga, est le même que chez les plus anciens dolicho-blonds et ne comporte ni le faciès, ni les caractères accessoires de spelæus. Ces crânes ressemblent à ceux des énéolithiques de la Suisse et des néolithiques de Lausanne.
Les Finno-Ougriens paraissent s’être infiltrés en Asie par les bords méridionaux de la Mer Noire dès une époque reculée. Je crois qu’ils ont, quatre ou cinq mille ans avant J.-C., précédé dans cette voie les Aryens orientaux. Nous trouvons en effet, dans toute l’Asie antérieure, et jusqu’au pied du plateau iranien, des populations plutôt rousses que blondes, à une époque antérieure aux migrations des Aryens orientaux. J’aurai à m’occuper en détail de ces premières migrations, quand j’étudierai dans un autre volume l’origine des Sémites. Les découvertes se précipitent avec une telle rapidité que je me bornerai à quelques indications. Si copieux que puisse être l’exposé de la question, il serait certainement incomplet et suranné d’ici deux ou trois ans.
Les philologues regardent la plus ancienne langue de la Babylonie, l’accadien ou sumérien, comme se rattachant au groupe finno-ougrien. Les différences sont considérables, mais il ne faut pas oublier que les textes accado-sumériens remontent à plus de 4.000 ans avant notre ère, et que par suite ils représentent une forme très ancienne du groupe ancestral des langues aryennes et finno-ougriennes. C’est probablement par l’accado-sumérien, contemporain des palafittes, que nous pouvons nous faire la meilleure idée de la langue de nos lointains ancêtres. Cette thèse a été soutenue au congrès des Orientalistes de 1895 par Hommel. Les archéologues ont jusqu’ici recueilli plus de textes que de crânes. Cependant les quelques sujets de l’ancienne Chaldée dont nous possédons les restes ne contredisent pas l’hypothèse d’une origine européenne. Ils sont tous dolichocéphales, avec un indice moyen de 73 et des profils courbes, leptoprosopes, leptorhiniens. De la couleur nous ne savons rien, sauf que les Chaldéens différaient de leurs voisins les Susiens, petite race noire à cheveux laineux du groupe des Pygmaeus.
Dans les contreforts occidentaux du massif de la Perse, au contact des Chaldéens, vivaient des peuples que l’on suppose blonds, les Goutis. Les esclaves de cette région étaient très recherchés. Un contrat du temps d’Ammizaduga (2147-2113 av. J.-C.), porte ceci : « 3 pa 4 2/3, kha samni, gisbar an Samas, libbi 1/3 ; mana 2/3, siklu kaspi, ana simi sag arddni Gutii namrutim…, 3 pa 4 2/3 ka d’huile, mesure de Samas, valant 1/3 de mine et 2,5 de sicle d’argent, prix des esclaves clairs de Gouti… » Ce texte (BU 88-5-12. 215 ; Meissner, Beiträge zum altbabylonischen Privatrecht, Leipzig, Hinrich, 1803, p. 18) n’est pas absolument précis, Oppert traduit le terme namrutim par blonds, mais le sens exact est : de couleur claire, et le texte ne spécifie pas s’il s’agit de la chevelure ou de la peau. Le même contrat donne un peu plus loin la même indication : « Ana arhi I kam sag ardani Guti namrutim ubbalam. Dans le délai d’un mois il amènera les esclaves clairs de Gouti… ». Dans un contrat du temps de son successeur Samsu-Satana (V. A. Th. 778 ; Peiser, Texte Juristischen und Geschäftlichen Inhalts, Berlin, Reuther, 1896, p. 45), je trouve encore : « I sak ardu Suri namraam… Un esclave clair de Suri ». Au lieu de ri, Meisner lit edin (p. 7)[60]. J’ai entendu dire que ces textes se rapportaient à des tribus de Goths et de Suédois. Que des Goths fussent arrivés en Babylonie du temps de la première dynastie babylonienne, il y aurait de quoi étonner Jordanes lui-même. Cependant, le nom de Gouti, dont la lecture est certaine, établie par de nombreux textes historiques, et l’attribution géographique précise, prêterait à réflexion si le sens de namrutu était celui que préfère Oppert.
Dans les textes du nouvel empire nous trouvons très fréquemment la mention amelu Amurru, homme des Amourrou. Les Amorrhéens étaient authentiquement des dolicho-blonds. Les monuments égyptiens nous les montrent blonds, de haute taille, dolichocéphales, avec des nez aquilins et puissants. La Bible dit qu’ils étaient grands comme des cèdres. Les Amorites enterraient leurs morts sous des tumulo-dolmens. Il y a plus de 700 dolmens dans le pays de Moab. Nous sommes encore mal fixés sur ce peuple, dont on fouille en ce moment les ruines. Il a joué un rôle considérable dans l’ethnogenèse des Juifs et parait être aussi apparenté avec les peuples pélasgiques, dont il sera parlé bientôt.
Les Finno-Ougriens ont fait dans l’Asie centrale et en Sibérie des expéditions mieux connues, et fondé des nations qui, refoulées peu à peu depuis deux mille ans par les mongoliques, conservent cependant leur existence. Dans l’Histoire naturelle des races humaines de Desmoulins (Paris, Méquignon, 1826), on trouve une très bonne étude des documents orientaux relatifs aux peuples roux de l’Asie du Nord. M. de Ujfalvy étudie en ce moment ces populations, dont il a vu les restes sur place.
La pénétration en Sibérie fut facile pour un peuple chasseur une fois le passage, alors étroit, découvert et bien connu. Le retrait de la grande Caspienne laisse aujourd’hui une grande plaine entre l’Oural et la mer. Autrefois il n’en était pas ainsi, mais le passage au pied des montagnes a toujours été praticable. La mer elle-même, à partir du moment où l’on a su naviguer, devint un moyen de communication. Il est probable, si les haches de jadéite proviennent des roches de l’Altaï, chose dont l’examen lithologique fait douter, que les matières ou les objets eux-mêmes sont venus dans l’Europe centrale par l’Aralo-Caspienne, le détroit de Stavropol, s’il existait encore, la Mer Noire et le Danube.
Nous n’avons pas de documents sur la présence des races blondes dans l’Asie du Nord dès l’époque de la pierre polie. Les plus anciennes tombes sont de L’époque des métaux. Les objets, presque tous en cuivre, sont de types très récents et tout à fait différents de ceux de l’époque du bronze d’Europe. Je ne crois pas qu’il y ait à dériver ces types de ceux d’Europe, ils proviennent d’une évolution différente. On peut s’en faire une idée en étudiant le bel album de phototypies publié par M. Martin (L’âge du bronze au Musée de Minoussinsk, Stockholm, Samson, 1893). Les affinités sont chinoises, et la date peu antérieure, quelquefois bien postérieure à notre ère.
Si ces objets, comme on le suppose, proviennent de peuples finno-ougriens, c’est que ceux-ci ont été influencés dans leur évolution industrielle par des peuples de race Asiaticus, probablement par les anciens Chinois, qui, peut-être pour se distinguer d’eux, s’appelaient le peuple aux cheveux noirs, et possédaient une industrie analogue à celle des tombeaux sibériens.
Ma-Tou-An-Lin, historien chinois, nous parle des populations blondes ou rousses de la Sibérie et de l’Asie centrale. Ses récits se rapportent au commencement de notre ère, avant le refoulement des Finno-Ougriens par l’expansion des peuples mongoliques. Sur l’Ienisseï, précisément autour de Minoussinsk, il montre un peuple aux yeux verts et aux cheveux rouges, qu’il nomme Ting-Ling. Les Ting-Ling seraient les ancêtres des Kirghises-Kaisaks, aujourd’hui profondément mongolisés. « Parmi les barbares d’à présent, ajoute l’auteur parlant de son propre temps, le xiie siècle, tous ceux qui ont des yeux verts, la barbe rouge, et qui ressemblent aux singes, sont issus de cette race. » La comparaison avec les singes n’est pas flatteuse. Ailleurs Ma-Tou-An-Lin compare la figure des peuples blonds à celle des chevaux, ce que le peuple fait encore volontiers chez nous de celle des Anglaises. Dans d’autres textes il est dit que ces peuples ressemblent aux singes dont ils descendent. Il serait curieux d’identifier les singes dont les bestiaires chinois font descendre les diverses races humaines, autres que la leur. Il est à remarquer d’ailleurs que les Chinois ont toujours été transformistes, et que l’ascendance simienne, dans leurs bestiaires, n’est pas toujours une cause de mépris.
Les Ouïgours sont désignés par Ma-Tou-An-Lin comme le peuple à tête jaune. À l’ouest des Ouïgours le pays de Kachgar était habité par des peuples aux yeux bleus et aux cheveux blonds qui cultivaient du riz, des cannes à sucre, mais ne comptaient au temps des premiers Han que 1 500 familles. Au sud-est des Ouïgours, vers les sources de l’Iraouaddy, autre peuple aux yeux bleus, à la barbe rousse, ressemblant assez à l’espèce des grands singes dont elle descend. Au nord-ouest, les Khoute ou Tchoudes, également blonds.
Dans la Sibérie occidentale, les géographes chinois placent les Kie-Kia-Sse, peuple de plusieurs centaines de mille habitants. Tous les hommes y sont de grande taille, ils ont les cheveux roux, le visage blanc et les yeux verts. Ils mettent les cheveux noirs au rang des prodiges.
Les Ousouns, grand peuple habitant d’abord la Sibérie orientale et centrale, refoulés vers l’ouest et que nous trouvons au commencement du Moyen Âge dans l’Asie centrale, sont également des hommes aux yeux verts et aux cheveux rouges, d’après Wen-Sse-Kou, historien des Han[61].
En somme, excepté le pays de Khotan habité par un peuple de même race que les Chinois, ou plutôt par une fraction des Chinois restés dans le pays d’origine de la race, les historiens chinois nous montrent seulement des peuples dolicho-blonds dans cette Asie du Nord, où l’élément mongolique domine aujourd’hui d’une manière si marquée. Ces peuples paraissent avoir été les premiers habitants du pays, l’avoir occupé, venant d’Europe, en pleine époque des métaux, deux mille ans à peu près avant J.-C., et appartenir au groupe finno-ougrien. Nous trouvons, en effet, la plupart des noms de ces nations portés encore par des tribus turques ou finnoises.
Pour en finir, je continuerai jusqu’à l’époque actuelle ce résumé du travail de Desmoulins, en me servant de divers autres travaux, et notamment de celui de Ujfalvy sur les Huns blancs (Anthr., 1893, IX, 259-277). Dans ce dernier je trouve une mention du voyageur chinois Pan-Kou (vie siècle) relative aux Ousouns, habitant alors l’Asie centrale : « Ce peuple avait les cheveux roux et les yeux bleus. Il se distinguait beaucoup des autres barbares. Les Ousouns renfermaient des éléments nombreux de grands Yué-Tchi, et de Saï (Saces). » À ce moment, les mongoliques avaient déjà submergé les peuples blonds, et pénétré jusqu’en Europe par l’invasion des Huns.
Le terrible Attila paraît avoir été de race mongolique[62], mais les tribus qui se jetèrent à diverses reprises sur les peuples civilisés étaient gouvernées par des blonds. Le grand Gengis khan, Tamerlan étaient de race Europæus et les portraits qu’en ont fait leurs contemporains iraient à des rois germains ou scandinaves. Rubraquis compare Gengis khan à un gentilhomme normand, Jean de Beaumont. En 921 Fozlan montre les Bachkirs encore en partie blonds : « Je vis à Haleb beaucoup de Baschkirs aux cheveux et aux visages rouges. » Aujourd’hui ce peuple est à peu près mongolisé. La prédominance considérable des caractères mongoliques sur ceux de la race dolicho-blonde dans les croisements est un phénomène bien connu. Depuis 1.500 ans que les peuples mongoliques ont envahi la Sibérie occidentale, l’Asie centrale et les régions voisines de l’Europe, l’indice céphalique va sans cesse en s’élevant, et la proportion des blonds diminue. Il reste encore en Sibérie des peuples relativement dolichocéphales et blonds, comme les Ostiaks et les Vogouls, mais les Turcomans, jadis dolichocéphales et blonds, sont en grande partie mongolisés. Quant aux Turcs, c’est le croisement avec les brachycéphales d’Asie-Mineure et du Caucase qui leur a donné leur type actuel. Si avancée toutefois que soit la transformation, les recherches des anthropologistes russes sur les populations sibériennes prouvent que la mongolisation récente des Finno-Ougriens d’Asie n’est point complète, et que partout l’on retrouve une proportion sensible d’éléments d’origine européenne[63].
Invasions aryennes en Asie. — À la suite des Finno-Ougriens, les Aryens orientaux passèrent de bonne heure en Asie. L’identité du nom du cuivre chez les peuples de l’Inde aryenne et de l’Asie prouve que la séparation des branches les plus orientales remonte seulement à l’époque des métaux, mais le peu de termes communs implique cependant pour cette séparation une date assez reculée pour que la civilisation, peut-être plus tardive dans l’est, n’eût pas encore atteint la phase agricole. On ne peut placer plus haut que l’an 4000 avant notre ère la séparation de la branche indo-iranienne, et je serais porté à croire qu’elle habitait encore, vers l’an 2000, quelque point de la Russie. Une partie des dolmens et kourgans russes doit appartenir à ses ancêtres. La migration se fit-elle en passant au pied de l’Oural, et en contournant l’Aral ? C’est le chemin que suivirent les Finnois, mais je ne crois pas qu’il fût déjà pratiqué. C’est par la Crimée et le Caucase, ou très probablement par la Thrace, que s’effectua la migration. M. de Morgan croit avoir trouvé dans les dolmens du Lenkoran russe, sur les bords S. O. de la Caspienne, les vestiges de la nation encore indivise des Indo-Iraniens. L’industrie de ces dolmens est celle de la période mycénienne du bronze et du commencement de l’âge du fer, quelques-uns sont plus récents. On peut dater les plus anciens d’environ 1500 av. J.-C.
Les fouilles de M. de Morgan furent interrompues par ordre du gouvernement de Pétersbourg, et malgré l’intervention de l’ambassade française, le chargé de mission français fut obligé de renoncer à ses fouilles. Les indigènes pillent aujourd’hui à l’envi les archives des Indo-Iraniens, comme les phosphatiers celles des civilisations préhistoriques de France. L’administration russe et la nôtre semblent avoir fait la même alliance avec l’ignorance et le vandalisme, mais les Cosaques mal grattés de Pétersbourg n’ont pas la prétention d’être le peuple le plus spirituel du monde.
Le type des crânes connus du Lenkoran est celui des Kourgans scythes de Russie. Le volume de la Mission scientifique en Perse de M. de Morgan qui concerne l’anthropologie n’ayant pas encore paru, je me borne à cette indication de source russe. La première partie du t. IV, parue en 1890, contient les résultats archéologiques. Je me borne à renvoyer à cet ouvrage.
Le rameau hindou nous est connu par des légendes retentissantes, qui ont fait illusion jusqu’à notre époque sur l’ancienneté de son origine. Des épopées fantastiques se déroulent au milieu d’une infinité de siècles, et les souterrains, les ruines de l’Inde prennent un aspect de vénérable antiquité. Je ne dirai pas que tout cela est fable pure, il n’y a pas de fiction qui ne contienne une part de réalité. Ce qui est certain, c’est que la phase védique de la civilisation indienne, et l’arrivée des Hindous sur l’Indus, ne sauraient remonter au-delà du xv avant notre ère. Cette époque est probablement celle des dolmens de l’Inde, construits en pierres ajustées et souvent travaillées, fermés d’une dalle perforée d’un trou central comme les dolmens européens de l’époque du bronze, dont ils sont des imitations plus récentes.
À part ces dolmens, et quelques haches de type chelléen très anciennes, l’Inde ne fournit à peu près rien d’antérieur aux siècles les plus rapprochés de notre ère. On ne trouve ni traces de palais ou de tombeaux, ni murailles d’enceinte, rien qui rappelle, je ne dis pas les grandes civilisations de l’Égypte et de la Chaldée, mais même les fortifications néolithiques de la Provence, les statues de l’âge du bronze aveyronnais, les vieilles habitations égéennes. Très peu de traces d’un âge néolithique, presque pas de cuivre et de bronze, à peine quelques tessons de poterie : le préhistorique de l’Inde est d’une pauvreté prodigieuse. Cette région paraît n’avoir été habitée à l’arrivée des Aryens que par des peuplades très clairsemées et peu nombreuses, d’une civilisation tout au plus égale à celle des Andamènes, un de leurs derniers débris encore vivants.
La civilisation des immigrants n’était pas beaucoup plus avancée. Ils connaissaient déjà le fer, mais passaient à peine à la phase agricole. On dit que le Rig-Véda est du xvie siècle, mais cette date ne s’appuie sur rien, et la civilisation de l’époque védique est postérieure à celle des dolmens perforés à inhumation. Il faut en tout cas descendre jusque vers le ive siècle avant notre ère pour trouver dans le Pendjab, la région la plus avancée de l’Inde, un rudiment de civilisation véritable.
La première mention historique de l’Inde se trouve dans l’inscription de Bisitoun. Darius énumère au nombre des satrapies celle du Hindu, c’est-à-dire, le Pendjab. L’influence perse se traduit par un commencement de civilisation, mais le mouvement ne se développe et se propage que sous l’influence des Grecs. Alexandre conquiert en 327 la satrapie de Hindu et laisse des garnisons grecques dans le Pendjab. À partir de ce moment ce pays est gouverné par des rois macédoniens, ainsi que la satrapie de Bactriane, à laquelle celle de Hindu se rattachait. L’unité, relative sous Diodotus, Euthydème I, Démétrius I, se rompt bientôt. Pendant une période de 200 ans nous trouvons dans la vallée du Pendjab plusieurs royaumes grecs, dont Archébius, Amyntas, Agathoclès, Antialcidas, Menander, Apollodote sont les rois les plus connus. De ces dynasties grecques il reste de nombreuses médailles, une grande variété d’objets industriels, des ruines d’édifices et des statues. Je renvoie pour l’étude de cette époque à l’introduction du livre de mon ami de Ujfalvy, Les Aryens au N. et au S. de l’Hindou-Kouch.
Un aventurier indigène au service d’Alexandre, Chandragoupta, le Sandracottos des Grecs, fonda en 324 à Magadha le premier royaume civilisé de l’Inde. Sous son règne Panini fixa la grammaire du sanscrit. C’est peut-être à cette époque que l’écriture indigène commença à se détacher de l’indo-bactrienne, celle-ci directement dérivée de l’écriture araméenne des Perses achéménides. L’Inde ne parait avoir jamais connu l’écriture plus ancienne des Perses, empruntée aux Assyriens. Les plus anciennes inscriptions connues sont d’ailleurs celles d’Açoka (260-223), le propagateur du bouddhisme. À partir de ce moment commence l’histoire de l’Inde, sur laquelle la civilisation se répand avec rapidité. Les temples souterrains les plus anciens datent du premier siècle de notre ère, les monuments dont nous admirons les ruines dans l’Inde entière, l’Indochine et les îles de la Sonde furent élevés seulement au Moyen Age, et la riche littérature brahmanique et bouddhique est éclose tout entière, à l’exception des Védas et du canevas de certaines compositions, depuis le contact de l’Inde avec la Perse et la Grèce.
Si j’ai insisté sur cette histoire bien connue, c’est parce qu’elle ne l’est pas encore assez. Beaucoup de personnes croient toujours à l’existence d’une antique civilisation indienne, et cette croyance a fortement contribué à entretenir le mythe de l’origine bactrienne des civilisations. Pour le moment c’est la France qui fournit les plus anciennes traces de peinture, de sculpture, d’écriture et d’agriculture, toutes antérieures au néolithique.
Nous n’avons que peu de données sur les caractères physiques des envahisseurs de l’Inde. Ujfalvy pense qu’il ne restait guère de sang dolicho-blond chez les Hindous, dès l’époque de leur arrivée. Cependant le Mahabhàràta nous montre les Pandavas blonds et grands (v. 2034). D’autre part nous verrons bientôt que les Perses de race pure étaient blonds. Le système des castes semble avoir été imaginé pour conserver la pureté du sang européen. Il faudrait étudier à ce point de vue l’immense littérature indienne, en ne perdant pas de vue que le type blond des Macédoniens, popularisé par les artistes indo-grecs, a pu influencer les poètes.
La caste des Brahmanes renferme encore une assez forte proportion de blonds, surtout dans le N. O. Les contreforts du Pamir montrent aussi des blonds isolés, que l’on a transformés en peuples, M. de Ujfalvy, qui y est allé voir, dit que ces blonds sont très rares. Certaines tribus plus récemment passées de l’Afghanistan dans l’Inde possèdent une proportion appréciable de blonds (Pathans, Rohillas). Les statistiques monumentales de Risley nous montrent que les Brahmanes sont aussi par la taille, l’indice céphalique et l’indice nasal, les plus rapprochés du type dolicho-blond. La proportion des brachycéphales résultant de croisements avec les Mongoliques va en croissant de l’ouest à l’est, et celle des petites tailles et des nez écrasés du nord au sud. Tout cela confirme bien l’arrivée par le N. O. d’éléments dolichocéphales de haute taille et leptoprosopes, mais il semble que parmi eux l’élément blond ait représenté une petite classe dirigeante, et que le reste se rattache aux types H. indicus et H. arabicus. Johnston (Races et castes dans l’Inde, Anthropologie, 1895, VI, 176-181) rattache les kshatriyas à la race rouge de H. nuba. Cette hypothèse n’est pas invraisemblable.
Les auteurs grecs et latins fournissent peu d’indications sur le type des habitants de l’Inde. Il est à remarquer que les portraits qu’ils font des indigènes sont loin de les représenter comme blonds. L’élément blond, très peu nombreux, n’appartenait pas aux castes qui se mettaient en rapport avec les étrangers, c’est pourquoi les descriptions des anciens paraissent se rapporter seulement aux aborigènes.
Galien (Περὶ κρᾶσεων, II, 5) prend la peine de nous expliquer pourquoi les Indous sont foncés. Il y revient dans les divers textes cités à propos de la théorie des climats. De même Hippocrate, dans le Traité de l’air précité.
Avienus (1311) les décrit ainsi :
Sed genti Indorum teter color, efflua semper
His coma liventes imitatur crine hyacinthos.
Manilius, après avoir parlé des nations blondes, énumère les coloratæ. Après les Éthiopiens, il cite les Indous (Astronomicon, IV, 720) :
At Syrios produnt torti per tempora crines.
Aethiopes maculant orbem, tenebrisque figurant
Per fuscas hominum gentes. Minus India tostas
Progenerat mediumque facit moderato, tenorem.
On n’a pas encore fouillé les ruines immenses d’Ecbatane, celles de Persépolis ont à peine été touchées. Nous aurons, dans un avenir rapproché, des masses de documents écrits sur l’histoire des Mèdes et des Perses, qui se servaient dans leurs inscriptions de l’écriture cunéiforme. Les monuments grandioses fouillés par Dieulafoy (L’Acropole de Suse, Paris, Hachette, 1893) nous donnent une idée du développement de l’architecture et des arts chez les Perses. M. de Morgan est actuellement au travail à Suse.
Les tribus iraniennes s’étendaient, vers le VIe siècle avant J.-C., de l’Arménie aux confins de l’Inde, et de la Bactriane au Fars. Les historiens nous apprennent qu’il fallait distinguer les tribus nobles et les tribus serves, ces dernières en partie scythiques. Aujourd’hui encore nous trouvons des peuples de langue iranienne dans le Caucase, dans l’Asie centrale et sur le plateau iranien, mais il n’existe entre eux aucune identité anthropologique. Les Tadjiks sont des brachycéphales bruns identiques à ceux d’Europe, nous trouvons au contraire des tribus blondes chez les Kurdes, et tous ces peuples proviennent des Mèdes et des Perses. Je ne parlerai que pour mémoire des Susiens noirs, dont le crâne est identique à celui des contractus. Les brachycéphales avaient été probablement entraînés de l’Asie-Mineure ou de l’Europe par la migration aryenne. En Asie nous ne trouvons, en effet, en dehors de l’Asie antérieure, d’autres brachycéphales que des jaunes, dont le point d’origine parait être vers le Tibet. Ces brachycéphales jaunes, si malheureusement nommés H. scythicus, diffèrent par toute leur morphologie de ceux que nous connaissons, et ne paraissent s’être répandus dans toutes les directions que peu de temps avant notre ère. Quant aux Susiens noirs, ce sont certainement des négritos indigènes, en continuité avec ceux de l’Inde.
Le type physique des Perses ne nous est pas indiqué par les auteurs classiques. Les textes de l’époque des guerres parthiques se rapportent à des éléments ethniques différents des Iraniens anciens[65]. Les monuments perses nous représentent un type dolichocéphale très leptoprosope, très leptorhinien, d’une grande pureté de traits. Le portrait de Darius est vraiment remarquable. La couleur paraît avoir varié suivant les classes. Les immortels figurés en couleur dans l’ouvrage de Dieulafoy sont les uns blancs, les autres basanés, mais tous ont les cheveux noirs. Les soldats basanés sont rapportés par Dieulafoy aux Susiens, mais ils n’en ont pas le type négroïde. Ces deux couleurs de peau, claire et presque noire, se rencontrent encore aujourd’hui en Perse. La classe noble, les vrais Aryens, sont représentés sur les sarcophages de Sidon décrits par Hamdy-Bey et Reinach. Le magnifique atlas en couleur de ce recueil nous montre les Perses très différents de ceux de l’acropole de Suse.
Sur la planche XI, représentant deux faces du sarcophage dit des Pleureuses, il y a dix-sept personnages, parmi lesquels deux femmes seulement paraissent un peu brunes, le reste est échelonné du châtain clair au blond. Ce sarcophage est purement grec. Sur la pl. XXXVI, face sud du grand sarcophage, le fronton représente Alexandre au milieu de la mêlée. Il est roux plutôt que blond ; trois Perses l’entourent, d’un blond plus ou moins roux. Le bas-relief principal représente une chasse au guépard. Tous les personnages, cinq, sont des Perses, il y en a trois roux et deux blond pâle. Les figures sont des portraits historiques, on a pu identifier plusieurs des personnages. Grecs et Perses sont leptoprosopes et leptorhiniens ; les Perses ont une physionomie plus accusée, presque celle des Gaulois et des Germains. Ils n’ont rien du type persan, ni de celui des Tadjiks, et ressembleraient plutôt à certains Kurdes (Hamdy-Bey et Reinach, Une nécropole royale de Sidon, Paris, Leroux, 1896).
À mesure que nous nous dirigeons vers l’ouest, la proportion des éléments blonds augmente. Les peintures du tombeau de Rek-Mara (XVIIe dynastie) nous montrent un défilé de Routennous, c’est-à-dire de Syriens, qui a fait l’objet d’une étude de Hamy (Étude sur les peintures ethniques d’un tombeau thébain de la XVIIIe dynastie, Paris, Leroux, 1883). Ces Routennous sont blonds et roux. Certains d’entre eux ont le crâne déformé comme les Ansariés, les autres sont nettement dolichocéphales. Parmi les Routennous figurés sur divers autres monuments on retrouve ce type blond ; on le retrouve même parmi les portraits de guerriers hittites, et surtout des chefs. Le roi des Hittites vaincu par Ramsès est un dolicho-blond. De même les Amourrous. Tous ces documents sont du XIVe siècle environ[66].
Ces indications de source égyptienne nous permettent d’affirmer que vers cette époque les populations blondes étaient en nombre dans la vallée de l’Orontes et dans celle du moyen Euphrate, autour de Karkhemisch. Plus tard les Amourrous descendirent en Palestine, et nous savons qu’ils constituaient à Ninive et à Babylone un élément important de population. C’est peut-être en raison de ces éléments blonds que les souverains babyloniens, pour affirmer la suprématie de l’autre race, se disaient souverains des têtes noires.
Les Hittites, qui ont constitué de grands États au centre de l’Asie Mineure et dans le nord de la Syrie, du XVIe au XIIe siècle, paraissent avoir été un mélange de brachycéphales et de dolicho-blonds, parlant peut-être une langue aryenne, ancêtre de l’arménien. Il faut attendre que le déchiffrement des inscriptions hittites soit devenu plus certain, et que ces inscriptions soient devenues nombreuses. Le temps nous apprendra quelles corrélations il faut établir entre les Khétas des Égyptiens et ceux du Mahabharata, les Kou-Te des Chinois, les Goutis des Babyloniens, les Ghâts du Pendjab, les Uhavaran-Kétas du Cachemire, les Scythes, etc. Ce qui est très probable, c’est que ces peuples représentant à des degrés et dans des temps divers un même fonds de populations mobiles, assez peu nombreuses, vivant clairsemées au milieu d’autres peuples plus civilisés, terrorisant leurs voisins quand leur effectif venait à s’accroître, et fixées de temps en temps sur un territoire par la volonté de leurs vainqueurs, si la fortune avait trahi leurs armes. Les historiens anciens nous parlent d’une période de 1 500 ans pendant laquelle les Scythes auraient dominé l’Asie, avant l’an 1000. Nous ne savons rien de plus précis sur ce σκύθισμος que sur l’ancienne dynastie mède d’Assyrie, mais il ne faut pas oublier que les fouilles ne nous ont encore livré que des lambeaux des annales d’Assyrie, correspondant aux époques des souverains dont on a retrouvé les palais.
Nous sommes un peu mieux renseignés sur les Scythes d’Europe. Ceux-ci habitaient le sud de la Russie, surtout vers l’ouest. Hérodote leur rattache des tribus nombreuses réparties sur tout le pourtour méridional de la Caspienne, du Caucase à l’Oxus de Bactriane. Ces Scythes de l’époque classique sont aussi confondus avec les Gètes, et Jordanes, confondant à son tour les Gètes avec les Goths, trace une généalogie et décrit une migration qui rattacheraient Goths et Scythes aux souverains Scandinaves et à la Scandinavie.
Le plus certain, c’est que les Scythes paraissent avoir été différents de race et peut-être de langue. Toutefois ce que nous savons du langage des Scythes les rattache plutôt aux Indo-Iraniens qu’aux Germains. D’autre part, leur type physique et leur position géographique sont à considérer : par ces deux côtés, les Scythes sont plus près des Germains.
Le type des Scythes nous est connu par plusieurs textes classiques et par leurs ossements. Il ne faut pas attacher une grande importance aux traits physiques inhérents au genre de vie, qui rapprochent ces éternels cavaliers des Tartares. Les caractères héréditaires sont tout autres. Le Pseudo-Polemon, qui vivait au temps de Trajan, mais qui transcrivait des documents de l’époque d’Aristote, dit en parlant des signes physiognomoniques : « Μέλαινα κόμη δειλὸν καὶ πολυκερδῆ δηλοῖ, ἡ δὲ ξανθὴ καὶ ὑπόλευκος, ὁποία Σκυθῶν, σκαιότητα δηλοῖ ἤγουν κακότητα καὶ ἀγριότητα (191, 1) » Adamantius compare les Scythes aux Celtes dans un passage évidemment imité du Pseudo-Polémon : « … ξανθὴ καὶ ὑπόλευκος, ὁποία Σκυθῶν καὶ Κελτῶν ἀμαθίαν καὶ σκαιότητα, καὶ ἀγριότητα (356, 9). » Quinte-Curce nous parle de la taille des Scythes : « Venturos… ultra Tanaim amnem colentes Scythas, quorum neminem adeo humilem esse ut humeri ejus non passent macedonis militis verticem æquare (VII, 4). »
Galien (Περὶ κράσεων, II, 3) s’exprime comme Polémon ; « Ἰλλυριοί τε καὶ Γερμανοὶ καὶ Δαλμάται καὶ Σαυρομάται, καὶ σύμπαν τὸ Σκυθικόν εὐαυξεῖς μετρίως καὶ λεπτὰς καὶ εὐθείας καὶ πυῤῥάς. » De même ch. 5 : « Κελτοῖς μὲν γὰρ καὶ Γερμανοῖς καὶ παντὶ τῷ Θρᾳκίω τε καὶ Σκυθικῷ γένει ψυχρὸν καὶ ὑγρὸν τὸ δέρμα, καὶ διὰ τοῦτο μαλακόν τε καὶ λευκὸν καὶ φιλὸν τριχῶν. » Voyez d’ailleurs tout ce Traité des tempéraments.
De méme aussi Clément d’Alexandrie : « Καὶ τῶν ἐθνῶν οἱ Κελτοὶ καὶ οἱ Σκύθαι κομῶσιν, ἀλλ’ οὐ κοσμοῦνται. ἔχει τι φοβερὸν τὸ εὔτριχον τοῦ βαρβάρου καὶ τὸ ξανθὸν αὐτοῦ πόλεμον ἀπειλεῖ, συγγενές τι τὸ χρῶμα τῷ αἴματι. Παιδαγωγός, II, 3, 24. »
Ces auteurs sont de notre ère. Hippocrate qui vivait vers 400 avant J.-C., a l’époque où les Scythes avaient plus d’importance, les décrit avec force remarques physiologiques, du plus haut intérét. Nul auteur n’a caractérisé avec la méme vigueur le tempérament lymphatique de H. Europæus. Si le tableau n’est pas chargé, les Scythes ont poussé jusqu’à la dernière limite compatible avec la vie les caractéres pathologiques de la race. Je conseille de lire son Traité de l’air, de préférence dans le texte, les traducteurs n’ayant pas toujours compris l’idée de l’auteur. C’est ainsi que plusieurs fois on a traduit πυῤῥὸς par jaune. Ce mot caractérise au contraire l’état d’une peau lymphatique brûlée, rougie par le froid, l’état de l’Europæus mal vêtu, soumis à un froid intense. Ce contre-sens a été inspiré par l’idée préconçue que les Scythes étaient des Mongols. Les textes au contraire, sans exception, représentent toujours les Scythes comme blonds.
Je ne sais s’il faut voir des Iraniens ou des Scythes dans les Satarchæ et les Albani. Peu importe d’ailleurs, les deux peuples paraissent avoir eu les plus étroites affinités. Valerius Flaccus (Argonautica, vi, 144) dit des Satarchæ du Caucase pontique : « Flavi crine Satarchæ ». Le même nous dit de la Colchidienne Médée — l’éponyme des Mèdes d’après les Grecs — : « Ac sua flavis reddita cura cornu graditurque oblita malorum (VIII, 237). » Solin dit des Albani : « Canitiem habent auspicium capillorum ». Il leur attribue aussi un iris bleuâtre, glauca. Ce sont donc des Aryens très dépigmentés. Léon le Diacre (ix, 6), rapporte un passage d’une partie perdue du périple d’Arrien, attribuant à Achille une origine scythe. Léon remarque la conformité du type classique d’Achille avec celui des Scythes, aux cheveux roux et aux yeux bleus. Le renseignement vaut quant aux Scythes du temps de Léon, sinon quant aux contemporains d’Achille, vers 1200.
On possède un bon nombre de squelettes de Scythes, ou plus exactement trouvés dans les tombeaux des Scythes du S. O. de la Russie. Bogdanow en a décrit des séries (O mogilak Skithosarmatskoi epokhe v’ Poltavskoi gubernii i o kraniologie Skithov, Anthropol. Vystavka, III, 263-279). Depuis ce travail (1880) d’autres séries ont été rassemblées. Les tombeaux Scythes fournissent trois catégories de crânes : 1° purement Europæus environ 75 % ; 2° plus ou moins voisins des brachycéphales actuels du pays, et nullement mongoliques, près de 20 % ; 3° très voisins d’Europæus, mais avec la face et le nez plus larges. Les anthropologistes russes rapportent ces derniers, qui font à peu près 5 %, à un commencement d’infiltration du sang jaune, vers le commencement de notre ère. Je fais mes réserves sur cette explication, car les Reihengräber fournissent des faces toutes semblables, et le croisement avec Alpinus ou hyperboreus peut donner le même résultat. J’ajouterai, pour ne pas laisser de lacune, que le type dolichocéphale est en continuité parfaite avec celui des populations de la Russie à l’époque de la pierre et à celle du bronze, et que dans celles-ci l’élément brachycéphale existe également dans le S. O. et dans le N. E. de la Russie, au contact des régions actuellement brachycéphales des Carpates et du pays des Samoyèdes. Kavraïski a décrit dans le Dnevnik de 1890 une série de 14 crânes de Volhynie, époque scytho-sarmate, c’est-à-dire du commencement de notre ère. Les indices sont encore compris entre 72.6 et 76.5, sans aucune trace de caractères mongoloïdes.
Voici deux textes dont je ne sais à quelle race faire l’application, aux Finnois ou aux Scythes, mais qui me paraissent se rapporter plutôt aux premiers, roux et non blond clair. L’un est d’Hérodote « Βουδῖνοι δὲ ἔθος ἑὸν μέγα καὶ πολλὰ γλαυκόν τὶ πυῤῥόν, (IV, 108) », l’autre, moins connu, est de beaucoup postérieur et se rapporte à une population de l’Asie centrale, les Seræ, qui habitent trans montes Emodos. Pline tient d’un explorateur romain, qui le tient lui-même d’un voyageur hindou : « Ipsos vero excedere horninum magnitudinem, rutilis comis, cœruleis oculis, oris sono truci, nullo commercio linguæ (VI, 24, 8). » Dans ces temps où les langues étaient moins évoluées, un Hindou aurait probablement compris un Scythe, comme de nos jours un Italien parvient à reconnaître le langage d’un Espagnol, c’est une raison de plus pour croire que ces Seræ n’étaient point Scythes, mais des Finno-Ougriens, probablement des Ousouns. Il est à remarquer que, dans tous les autres textes, il est fait allusion à la noirceur des Sères, probablement des vrais Sères de race chinoise qui habitaient l’Asie centrale (Ovide, Am., I, XIV, 6 ; etc.).
Un dernier peuple du rameau indo-iranien nous retiendra seulement quelques instants, les Thraces, Gètes et Phrygiens. Nous savons par les auteurs classiques, et notamment par Hérodote (VII, 73), que les Phrygiens étaient un rameau des Thraces. Ces derniers appartenaient certainement, comme les Scythes, à la branche iranienne. Tous les mots de la langue Thrace que nous possédons sont indo-iraniens. Je renvoie pour le développement à Pauli, Eine vorgriechische Inschrift von Lemnos, Leipzig, Barth, 1886, pages 20 et suivantes. Les Gètes étaient un rameau des Thraces, ou si l’on veut, un peuple Scythe compté parmi les Thraces. Xénophane nous apprend que les Thraces font des représentations des dieux à leur image et leur donnent des cheveux roux, ξανθοὺς, et des yeux bleus. Galien, dans un texte déjà cité compare les Thraces aux Scythes, aux Gaulois et aux Germains. Des tribus thraces peuvent avoir de beaucoup précédé les Indo-Iraniens vrais en Orient. Nous n’avons pas d’ossements authentiques de tous ces peuples. Virchow a publié un crâne d’un dolmen de Bulgarie, dolichocéphale, de type Europæus. Il attribue aussi, peut-être à tort, à un peuple thrace, les crânes de guerriers d’Hissarlik.
Les peuples de la mer. — Les migrations des Aryens par l’Europe occidentale vers l’Afrique ont débuté à une époque très ancienne, puisque la présence des Tamehous sur les confins de l’Égypte est constatée dès le quarante-cinquième siècle avant notre ère, et remonte peut-être avant le cinquantième. Les migrations par l’Hellespont et par la Crimée et le Caucase ne sont guère moins anciennes, si l’on doit tenir compte de la mention des Goutis et des Amourrous vers le trente-cinquième siècle, et surtout si l’on regarde la civilisation sumérienne de Chaldée comme l’œuvre de Finnois ou de Proto-Aryens. Les migrations du centre de l’Europe vers la Gaule, l’Italie, la péninsule des Balkans ne paraissent pas, au contraire, avoir pris d’importance avant l’époque du bronze. Dès la fin de la pierre polie et à l’époque énéolithique, un mouvement de peuples se dessine de l’Europe centrale vers la Gaule, une étape préparatoire s’accomplit, mais pendant deux mille ans les populations de l’Europe centrale sont maintenues à l’ouest par des populations plus puissantes, à l’est par les tribus scytho-iraniennes de la Thrace, au midi par la barrière des Alpes. C’est la période de la formation définitive des langues et des institutions aryennes.
Vers l’an 2000 avant J.-C., des flots incessants d’Aryens se précipitent vers l’Asie, Mèdes, Perses, Indous ; vers la Gaule, les ancêtres des Italiques ; vers l’Adriatique, ceux des peuples helléniques. Ces deux derniers courants envahissent l’Italie, les îles, depuis la Corse jusqu’à Chypre, les côtes de la Mer Egée. De nombreux États sont fondés par ces hardis navigateurs dans tout le bassin oriental de la Méditerranée, et ils tentent de s’emparer même de l’Empire des Pharaons. Une brillante civilisation, que nous appelons mycénienne, succède à celle des Egéens ; plus tard, de cette civilisation sortira celle des Grecs.
Les dolmens et les grottes de Belgique, de la France centrale et orientale, nous ont conservé les restes les plus anciens de ces Aryens de l’Europe centrale. On les retrouve aussi dans les palafittes.
Les grottes de Belgique et de l’est de la France fournissent des traces abondantes de populations brachycéphales antérieures à l’arrivée des Aryens. On trouve dans certaines grottes l’élément brachycéphale pur ou presque pur, accompagné d’une industrie très rudimentaire. La pierre est grossièrement taillée, non polie, elle ne comprend pas les formes en tranchet caractéristiques du début du néolithique, mais les pièces artistement ouvrées des dolmens et des palafittes font aussi défaut. On ne sait donc si ces ossuaires appartiennent à une époque reculée du néolithique, où les brachycéphales auraient occupé ces régions en maîtres, ou s’ils datent d’un temps postérieur, où les dolichocéphales arrivant à la fois de France et d’Allemagne auraient refoulé déjà les tribus brachycéphales. Dans ce dernier cas les grottes dont je parle seraient les sépultures de sauvages arriérés, vivant à l’état d’enclave au milieu des nations aryennes (V. p. 236).
Fraipont et Tihon (Explorations scientifiques des cavernes de la vallée de la Méhaigne, Mém. couronnés de l’Acad. de Belgique, série 8°, LIV), décrivent avec soin l’ossuaire typique de l’abri sous roche de Sandron. Quinze crânes trouvés sont tous brachycéphales, à l’exception de trois dont les indices déjà élevés sont de 76.0, 77.1, 79.1. Les trois crânes les plus brachycéphales ont 83.5, 83.9 et 87.5. En somme ce dernier seul peut être réputé sans mélange de sang dolichocéphale, et la série indique un croisement déjà très avancé. L’indice nasal est mésorhinien, 48.8, la face relativement étroite. La taille était de l m 59 à l m 60. L’examen des phototypies permet de reconnaître chez un sujet des affinités avec Acrogonus, mais il est assez difficile de définir les autres, résultats de mélanges différents de ceux qui se rencontrent aujourd’hui. Le méplat caractéristique d’Alpinus est certainement absent, mais cette indication négative ne nous renseigne pas sur l’origine exacte des éléments. Europæus domine en tout cas dans l’ascendance des sujets des planches III et IV. Je ne vois pas de parenté nette avec contractus.
Des 33 crânes de la caverne d’Hastières, 17 ont des indices de 80 et au-dessus, l’un d’eux atteint 88.4, et parmi les dolichocéphales, le crâne le plus long n’a que 71.6. L’élément dolichocéphale est mieux représenté qu’à Sandron. À Furfooz, Trous-Rosette et du Frontal, on a trouvé trois crânes accusant les indices de 79.3, 81.4, 86.5. À Sclaigneaux, trois crânes à 81.7, 86.3, 88.3. De ces ossuaires dans des grottes il faut rapprocher celui du puits sépulcral de Cumières (Meuse), qui a donné six crânes avec des indices compris entre 76.7 et 85.4, moitié au-dessous, moitié au-dessus de 80.
Cette population brachycéphale fut en partie entraînée dans le mouvement des tribus venant d’Allemagne qui envahirent la Gaule à la fin de l’époque des dolmens. Dans les dolmens du bassin parisien, et même du Centre, nous trouvons un certain nombre de brachycéphales. Ces dolmens ont-ils été dressés par les nouveaux venus, à l’imitation de ceux de l’Ouest ? Les restes humains qu’ils contiennent proviennent-ils seulement d’une appropriation de la sépulture aux nouveaux arrivants ? C’est ce qu’il est, d’une manière générale, difficile de préciser. En Bretagne on ne trouve jamais de cuivre ni de brachycéphales dans les dolmens inviolés, mais la preuve n’est pas faite pour ceux du bassin de la Seine et du plateau central. Quant à ceux du Languedoc, ils sont, en général, franchement énéolithiques.
La Cave-aux-Fées de Brueil (Seine-et-Oise) a fourni dix crânes échelonnés de 68.1 à 76.3, et six de 80.0 à 83.7, sans aucun intermédiaire. Il y a simple juxtaposition, qui autorise toutes les conjectures. À la Chapelle-sous-Crécy (Seine-et-Marne), 21 crânes, en série régulière, de 70 à 88. C’est exactement l’inverse, les races sont fortement fusionnées. De même à la Croix-des-Cosaques, près Châlons-sur-Marne, mais il n’y a que quatre crânes au-dessus de 80, et le plus brachycéphale n’atteint que 81.4. À l’Étang-la-Ville (Seine-et-Oise), trois crânes, tous brachycéphales, de 84.2 à 85.8. À Vauréal (Seine-et-Oise), juxtaposition, indices de 72.6 à 82.6, avec prédominance des types opposés, et peu d’intermédiaires. À Vigneux (Seine-et-Oise), non plus dans un dolmen, mais dans des tombes et dalles, neuf crânes allant de 76.9 à 83.8, c’est-à-dire sans vrais dolichos et sans vrais brachycéphales. De ces séries il faut rapprocher celles des grottes artificielles du Petit-Morin (Marne), formant la collection de Baye. Les 44 crânes mesurés par Broca vont de 71.6 à 85.7.
Dans l’Ardèche, la Lozère, l’Aveyron, l’élément brachycéphale entraîné reste peu nombreux. Les 25 crânes des dolmens de la Lozère mesurés par Broca constituent deux séries disjointes, l’une de 19 sujets allant de 69.7 à 78.7, l’autre de 80.6 à 89.8. Les brachycéphales de cette région sont presque toujours des femmes de type contractus, ou des Acrogonus purs ou mélangés. Les grottes de l’époque énéolithique, comme Durfort, Bramabiau, Thoran, fournissent aussi des contractus, type inconnu dans toute la région cévenole pendant l’époque néolithique. La race dominante est celle de Beaumes-Chaudes, mélange de spelæus et de meridionalis. L’élément Europæus vient en second lieu comme importance.
Après cette invasion venue de l’Est, la carte de l’indice céphalique de la France différait sensiblement de celle d’aujourd’hui. À l’époque néolithique, la dolichocéphalie était à peu près uniforme et universelle, les moyennes départementales, autant que l’on peut les reconstituer, variant de 72 à 73, tandis que la Belgique était occupée par une population au-dessus de 80. Après l’invasion l’Ouest, le Centre, le Midi restent encore au-dessous de 77, mais dans le bassin de la Seine et dans l’Est, les indices sont plus voisins de ceux d’aujourd’hui Ils sont en Seine-et-Marne 78.7 d’après 37 sujets, en Seine-et-Oise 76.97 d’après 101 sujets. Les indices actuels sont, en retranchant deux unités de celui du vivant, 81.9 et 79.4. Dans le Gard l’indice n’était que de 73.9 contre 81.1 aujourd’hui, dans l’Aveyron 74.4 contre 85. Par l’effet de refoulements ultérieurs et du jeu des sélections sociales la répartition des indices est devenue toute différente, le massif cévenol étant aujourd’hui la forteresse de la brachycéphalie intense, le nord de la France et la Belgique la région la moins brachycéphale. Ce changement accuse nettement le sens de la poussée aryenne.
Fig. 18-20. — H. Europæus. — Grotte sépulcrale d’Avigny, à Mousseaux-les-Bray, Seine-et-Marne. Indice céphalique 74.8, indice facial (Broca) 71.8. Clichés de l’École d’Anthropologie.
Les tribus de France et de Suisse, que je regarde comme italiques, furent longtemps, deux mille ans peut-être, sans franchir les Alpes. Le nord de l’Italie était à cette époque au pouvoir de populations méditerranéennes, à peu près sans mélange. Cette région si brachycéphale aujourd’hui était donc dolichocéphale. Le Crania italica Vetera de Zampa compte, sur 35 crânes néolithiques ou enéolithiques de la Haute-Italie, deux indices de 80 et quatre plus élevés.
Fig. 21-23. — Race de Beaumes-Chaudes. — Caverne de l’Homme-Mort, à Saint-Pierre de Tripiez, Lozère. Indice céphalique 71.8, indice facial (Broca) 68.5. Clichés de l’École d’Anthropologie.
Les 8 crânes de Remedello près Chiese ont pour indices 68.3, 72.9, 74.1, 75.2, 75.5, 80.7, 84.4, 88.6. On voit qu’un élément brachycéphale coexistait déjà avec le meridionalis. Zampa rattache ses crânes à deux groupes, dont les indices respectifs seraient 73.2 et 84.1.
Du côté de l’Espagne, l’invasion fut plus précoce. Les crânes de la belle époque argarienne, antérieurs à 2500, sont en partie du type Europæus, mais la céramique et les instruments rappellent davantage l’égéen que l’énéolithique de Suisse.
Vers l’an 2000, probablement un peu avant, les tribus gréco-illyriennes qui occupaient alors l’est de la Suisse, l’Autriche, la Hongrie, l’Illyrie, commencèrent la conquête des deux rives de l’Adriatique et lancèrent des flottes qui pendant plusieurs siècles portèrent la dévastation dans la Méditerranée orientale. Une de ces nations, les Liburnes, dont les lapyges étaient une tribu, occupa les bords de l’Adriatique, et peut-être faut-il lui rattacher certaines des tribus blondes de la Cyrénaïque, les Lebous proprement dits[67]. Nous savons que les Liburnes et les Illyriens etaient blonds (p. 262). Les crânes de la nécropole de Butmir, ceux des nécropoles plus récentes de San, Glasinatz, sont en très grande majorité de type Europæus, un quart seulement des individus accuse des traces de mélange.
A l’époque classique les Liburnes étaient déjà confines sur la côte dalmate et dans le coin S. E. de l’Italie, où nous retrouvons des inscriptions illyriennes, mais on gardait encore le souvenir de leur extension dans l’Italie centrale et la Campanie. La région illyrienne est aujourd’hui le centre de H. Dinaricus, mais jus- qu’à l’époque halstattienne (Glasinatz) et même au Moyen-Age, l’élément Europæus est resté dominant.
Un autre groupe de nations a eu beaucoup plus de célébrité, c’est celui des Pélasges. Ces derniers furent les principaux représentants de la grande civilisation mycénienne, en Italie, en Sicile, dans les îles, la Grèce et l’Orient. Les deux tribus les plus célèbres sont les Sicules et les Tursènes ou Étrusques. Dès le xviiie siècle, peut-être avant, les Pélasges occupent la plus grande partie de l’Italie et sont déjà installés sur les côtes de la Méditerranée orientale, qu’ils parcourent dans tous les sens comme marchands et pirates. Ils se superposent ainsi aux peuples encore mal définis de civilisation égéenne, et la brillante civilisation mycénienne est le résultat de ce mélange.
En Asie la civilisation des Hittites, encore si mal connue, parait le prolongement de celle des Égéens, avec une superposition légère d’éléments occidentaux et un fonds de population brachycéphale, semblable aux Arméniens d’aujourd’hui, connu par les peintures et les sculptures égyptiennes.
Le premier ban des Grecs proprement dits, les Achéens, parait avoir rapidement suivi les Pélasges. Descendus de l’Adriatique dans la Méditerranée orientale, on les trouve vers le xive siècle couvrant les côtes et les îles de leurs établissements. Ils se hasardèrent jusque dans la Mer Noire, où ils fondèrent une colonie entre la côte et le Caucase, à côté de celles des Ibères et des Ligures.
Toute l’époque comprise entre le xxe siècle et l’apogée de la marine phénicienne est marquée par un mouvement intense de colonisation d’Occident en Orient, à laquelle prennent part même les peuples de la Méditerranée occidentale, dans la seconde partie de cette époque. M. Reinach voit dans les Argariens le peuple d’Alybe qui envoya des secours à Priam.
La péninsule balkanique et l’Asie-Mineure étaient alors à peine peuplées par des tribus thraco-iraniennes et des populations brachycéphales très primitives. Ces peuples moins civilisés, malgré le voisinage relatif de la Syrie et la présence sur leurs côtes d’établissements égéens, ne prennent une part active au mouvement social qu’après l’arrivée des Pélasges et des Grecs. À partir du moment où la civilisation assyrienne et phénicienne conquit la suprématie en Asie-Mineure, un mouvement de reflux ramena en Italie, dans l’Adriatique et dans le bassin occidental de la Méditerranée, une partie de ces émigrants. Le retour des compagnons d’Enée, celui des Étrusques sont deux épisodes célèbres de ce reflux. Pendant la même époque, diverses migrations d’Orient en Occident furent faites par des peuples purement orientaux. Je crois qu’il y a du vrai dans la singulière histoire des colonies perses et arméniennes de Mauritanie, du vrai aussi dans la migration et l’établissement en Tunisie de réfugiés palestiniens vers le xive siècle, qui parait très probable, des Hénètes de Paphlagonie en Illyrie et des Colques à Pola.
Les monuments égyptiens nous renseignent sur le mouvement des peuples occidentaux vers l’Orient, et non seulement les peintures et les hiéroglyphes, mais les archives cunéiformes de Tel-el-Amarna, qui nous font connaître la présence des Lukki (Ligures ?) et des Sardanes en Orient à une époque antérieure aux campagnes d’Égypte.
Les archives de Tel-el-Amarna sont des tablettes d’argile, analogues à celles de la Babylonie, écrites en caractères cunéiformes et d’ordinaire en babylonien, langue diplomatique du temps. Ces tablettes constituaient les pièces de chancellerie de la résidence d’Aménophis IV et se rapportent à son règne et à celui de son prédécesseur Aménophis III. On a publié jusqu’ici près de trois cents messages de souverains babyloniens, assyriens, syriens, des rapports d’envoyés, des lettres de princes vassaux, de villes sujettes, etc. Les dates sont de la seconde moitié du xve siècle, c’est-à-dire de l’époque mycénienne. Je cite l’édition Winckler, qui forme le t. V de la Keilinschriftliche Bibliothek.
28. — Aménophis s’est plaint au roi d’Alasia (Chypre) que ses sujets s’associent aux Lukkis dans les entreprises de ces derniers sur le littoral égyptien. Le roi de Chypre répond : « Amili sa mâtu Luukki saatta satama ina matiia alu Zihra eligi. Les gens du pays de Lukki chaque année font des ravages sur le territoire de la ville de Chypre. »
64. — Rib-Addi, roi de Gebal (Byblos) se plaint d’être réduit aux extrémités par Abd-Asrat, roi des Amourrous, et les Habiris (Hébreux). Le général égyptien qui représente Aménophis en Palestine ne bouge pas, « amelu Sutisu u amelu Siirdanu laa nidi… Ses mercenaires Scythes (?) et Sirdana ne savent pas (ce qu’ils ont à faire ?) »
77. — Du même. « Ussiir Bihura amili mâtu Suti daku amili Siirdani. Bihura a envoyé des hommes du pays des Scythes attaquer les Sirdani. »
100. — Du même, à propos du même fait : « Pahnra apaos ibsa raba ana iasi. Ussiir amili mâtu Suti u daku amili Siirdani. Bihura a commis un grand attentat contre moi. Il a envoyé des hommes du pays des Scythes attaquer les Sirdani. »
151. — Abimilki, roi de Tyr, envoie un rapport sur les affaires du pays de Kinaahna (Chanaan). « Sar mâtu Danuna mît, Le roi du pays Danouna est mort. »
Ces textes nous montrent que dès cette époque les Pharaons avaient à leur service des mercenaires Sardanes opérant autour de Gebal, que les Lukkis faisaient de la piraterie, et qu’il y avait en Chanaan des Danounas. Touthmôsis III avait déjà reçu antérieurement les tributs de « Danounas des îles ». Son représentant dans leur pays s’appelait Toutii. Quant aux Lukkis, les annales assyriennes les signalent au N. de Palmyre, mais à une époque postérieure.
Ramsès II énumère aussi des Shardanas parmi ses troupes mercenaires, au même titre que les Lebous et 1es Mashouashas (vers 1400). Dans une de ses expéditions il employait 620 Shardanas, 1.600 Kahaks, 70 Mashouashas (Chabas, Voyage d’un Égyptien, 51-72). Maspero (II, 391) figure ces Sardanes.
C’est un peu plus tard, vers 1320, que se place la première grande campagne contre l’Égypte. Elle est connue en détail par nombre de monuments. Le roi des Lebous, Marmaiou, fils de Déid, rassembla dans son pays une forte armée composée d’Africains, Lebous, Mashouashas, Kahaks, d’auxiliaires venus d’au-delà de la mer, Akhaiaschas, Shardanas, Shakalaschas, et de Lekous. L’armée entra en Égypte par la Cyrénaïque et fut écrasée par Menephtah I à la bataille de Paarisheps, le 3 epiphi. Les Égyptiens tuèrent six généraux, 6.359 Lebous, 222 Shakaslaschas, 542 Tourshas, etc. On fit 9.376 prisonniers. Le butin énuméré comprend 9.111 couteaux en bronze, 1.308 bœufs, 3.171 vases divers, etc. Le récit de la campagne est consigné à Karnak, entre le 4e et le 6e pylône. Chabas a donné la traduction entière de cette très importante inscription (Recherches pour servir à l’histoire de la XIXe dynastie, Paris, Maisonneuve, 1873, p. 84-92). Menephtah paraît avoir eu lui aussi des auxiliaires Shardanas dans son armée. Il n’y eut pas de combat naval, l’entreprise fut entièrement limitée à la frontière occidentale du Delta.
Menephtah insiste à plusieurs reprises sur l’ancienneté de ces invasions dont il croyait avoir purgé l’Égypte. « 8. Cet endroit était infesté dès le temps des ancêtres. Tous les rois de la Haute-Égypte s’étaient reposés dans leurs monuments. 9. Quant aux rois de la Basse-Égypte ils étaient restés au milieu de leurs villes… 20… Ils ont ravagé le pays de Taahu, en exacte analogie de ce qui s’est passé dès les rois appartenant à d’autres temps, aux époques inconnues… 21 qui furent autrefois… 39… Ils massacrèrent tous ceux qu’ils atteignirent. On n’avait pas vu cela au temps des rois de la Basse-Égypte… 40. À l’époque des rois de la Haute-Egypte on n’avait pas pu les repousser alors… »
La confiance de Menephtah fut trompée. C’est un quart de siècle plus tard que les Libyens furent mis à la raison par Ramsès III. La guerre fut plus dangereuse pour l’Égypte, attaquée à la fois par la Cyrénaïque, par la Palestine et par une flotte de débarquement. Ramsès eut le bonheur de battre les trois corps d’invasion, dont l’attaque ne fut pas simultanée.
La campagne de l’ouest fut dirigée par les Lebous, les Sabatas, les Kaikashas, les Shaïs, les Hasas, les Bakanas, les Mashouashas, identifiés par Brugsch avec les tribus connues à l’époque classique sous les noms de Libyens, Asbytæ, Ausæi, Bacules, Maxyi.
La campagne de l’est, commandée par les Pelestas, fut faite comme auxiliaires par les Tekaris et les Danaounas. L’armée devait être formidable et partir de l’Asie-Mineure, car elle écrasa au passage la puissance des Khétas, prit ses capitales Kati et Karkamascha (sur l’Euphrate), Arad, et se concentra au centre de la Palestine, chez les Amourrous, avant de venir se faire écraser par Ramsès.
La flotte de débarquement comprenait « les Danaounas venus de leurs îles…, les Shardanas et les Ouashahas de la mer… »
L’attribution de ces noms a donné lieu à bien des controverses. Il est toujours délicat de discuter sur des analogies de noms, quand il ne s’agit pas d’une campagne que l’on puisse suivre pas à pas. Ici il s’agit de gens venus de tous les points de l’horizon. Un des roitelets chananéens dont on a retrouvé les lettres à Tel-el-Amarna s’appelle Lapaja. L’assourdissement graduel de la voyelle médiane donne facilement Lapeje, puis Lapouge. Il serait peut-être imprudent d’en conclure que ce livre est l’œuvre du principicule contemporain d’Aménophis III.
On assimile en général les Tourshas aux Tursanes ou Étrusques, les Shakalaschas aux Sicules. Les Ouashahas aux Osques, les Danaounas aux Dauniens, les Shardanas aux Sardanes de la Sardaigne (Sardinia), les Lekous aux Ligures, les Pelestas aux Philistins, les Akhaioushas aux Achéens, etc. Cependant Chubas regarde les Pelestas comme identiques aux Pélasges, Maspero assimile les Lekous aux Lyciens, les Shakalashas aux gens de Sagalassos, les Shardanas à ceux de Sardes, et conteste l’assimilation des Ouashashas aux Osques. D’autre part nous savons qu’il y avait des Danounas en Palestine au temps d’Abimilki, et les Grecs nous ont parlé de Tyrsènes et de Sicules de l’archipel égéen.
Je crois qu’au fond tout le monde a raison. Il est possible que les flottes des Sardanes ne venaient pas de Sardaigne, celles des Ouashashas de l’Italie, celles des Shakalashas de Sicile, mais toutes des îles et des côtes voisines de l’Égypte. On ne trouve pas, en effet, d’objets égyptiens de cette date en Sardaigne et en Sicile, et les costumes, l’armement des envahisseurs sont en progrès sur ce que l’archéologie nous fait connaître des îles occidentales. Il est non moins probable que les gens de Sardes, ceux de la Sardaigne et les Sordones du Roussillon étaient des tribus d’un même peuple, que les Akhaioushas étaient installés à la fois en Crète et à Mycènes, que les Danaounas des îles, les Danounas de Palestine, les Dauniens de Calabre et les Δάναοι des Grecs étaient un seul peuple, que les Pelestas, les Philistins et les Pélasges étaient les uns des fractions et les autres l’ensemble d’une même nation. Toutes ces nations n’avaient qu’une patrie, la mer, et semaient leurs essaims sur toutes les côtes, comme firent plus tard les Normands et les Saxons.
De tous ces peuples lesquels étaient Aryens, quels autres aryanisés par conquête, quels autres de race toute différente, et chassés au contraire par l’invasion aryenne ?
Une chose paraît bien certaine, la migration de peuples aryens vers l’Italie, les îles, l’Orient, au commencement de l’époque mycénienne. L’archéologie nous permet de suivre le courant. Les tombes de New-Grange en Irlande, de Collorgues dans le Gard, du Castelet dans les Bouches-du-Rhône, les grottes sépulcrales de la Marne sont le prototype des tombes à coupole de la Sicile, et celles-ci précèdent les coupoles grandioses de Mycènes et d’Orchomène. Le poignard des Shardanas est celui de la fin de l’âge du cuivre dans les Cévennes et en Suisse, leur casque singulier est d’origine occidentale. Les fortifications de Murviel près Béziers, les camps retranchés des Basses-Alpes sont le prototype des constructions cyclopéennes d’Italie, de Sicile, de Grèce et d’Orient, Il n’y a pas eu de simples communications de peuple à peuple, mais bien des migrations, car les objets et les usages de l’époque mycénienne n’ont pas réagi sur l’Occident. On n’a pas encore trouvé d’objets d’importation orientale antérieurs à l’époque du fer, soit dans l’Europe centrale, soit même en Sicile et en Sardaigne. Les haches de bronze à ailerons, à douille, inventions de l’Europe centrale et occidentale, postérieures à la migration, n’ont jamais pénétré en Grèce et en Orient, où les émigrants, venus avec la simple hache plate, ont adopté la pilakki assyrienne ou la hache égyptienne, emmanchées comme les nôtres.
De même au point de vue religieux. La prétendue figure de chouette de la Marne, de Collorgues, de Troie, est peut-être le bandeau à pendant au milieu des yeux trouvé en Espagne à l’Argar, en France à Castelnau. Ce symbole religieux est très répandu à l’époque mycénienne dans tout le bassin oriental de la Méditerranée, ainsi que le svastika, mais les symboles religieux ultérieurement créés en Orient ne sont pas passés en Occident. De même pour la crémation. Cet usage funéraire, que l’on faisait, avec une légèreté singulière, apporter d’Asie, est né dans l’Europe centrale à la fin de la pierre polie, s’est répandu dans une aire limitée pendant l’époque du bronze, mais n’a pénétré dans le bassin égéen qu’à l’époque classique, et pour peu de temps. Aucun peuple asiatique, africain ou de l’Europe orientale ne brûlait ses morts avant et pendant l’époque où la crémation florissait chez nous[68]. L’usage de la crémation a commencé en Asie par l’Inde, vers le Ve siècle avant notre ère, et d’une manière indépendante, car ni les Iraniens ni les Indous védiques ne pratiquaient la crémation. Cette vérité archéologique est encore méconnue de tant de gens qu’il importe de la rappeler à chaque occasion. Les migrateurs prémycéniens ne connaissaient pas cet usage, pas plus que les haches occidentales et les fibules, et cela date l’époque de leur séparation définitive.
Nous devons donc regarder les peuples de la mer comme déjà complètement séparés de leurs frères et homonymes occidentaux. C’est ce qui explique l’absence totale d’objets égyptiens anciens en Sicile, en Sardaigne, malgré l’analogie du casque singulier des Sardanes avec celui des anciens Sardes, et une infinité de traits communs.
On comprend combien la race de ces peuples de la mer, intercalés au milieu des races les plus diverses, devait être mêlée. Les unions régulières, celles des vainqueurs avec les prisonnières, et la victoire favorisant tour à tour les hardis migrateurs et les peuples indigènes, l’esclavage et ses conséquences, devaient promptement altérer les types. Je doute fort qu’à l’origine les migrateurs aient constitué une race pure. Ils ont ramassé ensuite des éléments méditerranéens avant de se jeter sur l’Orient. En Orient ils ont trouvé une véritable Babel de langues et de races. Aussi les figures des temples égyptiens et des palais des XIXe et XXe dynasties nous montrent-elles une grande variété de types parmi les ennemis de Menephtah et de Ramsès.
Le type des Lebous est presque toujours Europæus, celui des Pelestas l’est déjà moins, il rappelle exactement le type grec classique. Nous trouvons des Shardanas à faciès nettement chananéen, avec des têtes de Juifs de comédie. Le pays de Chanaan était déjà rempli de ces peuples bâtards, à barbe souvent rousse et profil arménien, qui ont donné naissance aux Phéniciens et aux Juifs. De ces éléments les uns étaient anciens, les Amourrous par exemple, les autres sont arrivés entre le xxe et le xvie siècle[69].
Les pièces osseuses sont rares à l’époque du bronze. Dans l’Europe centrale, en France, en Italie, la cause en est l’incinération. En Orient où l’incinération n’était pas en usage, le défaut de documents me paraît dû à la mauvaise éducation scientifique des chercheurs. Schliemann nous a conservé quelques crânes. Deux crânes de guerriers et un crâne de jeune fille, décrits et figurés dans l’Ilios de Schliemann, p. 645-655, sont nettement Europæus, avec les indices 73.8, 68.6, 71.3. Ils étaient accompagnés d’un crâne de femme dont l’indice est 82.5, et le type très différent, rappelant celui de Furfooz. Ces pièces sont de la seconde ville brûlée, tout à fait du premier âge du bronze, et leur date est antérieure à l’an 2000. Virchow les rapporte aux tribus thraco-iraniennes. Peut-être a-t-il tort pour les guerriers, que leur armement ne permet guère de regarder comme contemporains de la seconde ville. Il est possible que le gisement ait été mal relevé, que les squelettes soient de date postérieure et représentent soit des Iliounas, soit des Pelestas de l’époque mycénienne.
Mycènes était probablement la capitale des Danaounas, et plus tard seulement celle des Akhaioushas. La description de ses restes nous donne une haute idée de la civilisation achéenne (V. Perrot et Chipiez, Histoire de l’art dans l’antiquité, VI). On a trouvé à Mycènes un scarabée au nom de la reine Tii, femme d’Aménophis III, deux fragments de poterie égyptienne au nom d’Aménophis. Mycènes était tributaire de l’Égypte, et déjà les Danaounas reconnaissaient la suzeraineté des Pharaons du temps de Thoutmosis III. La paroi CD du tombeau de Rekhmara montre des Grecs présentant des offrandes d’un type mycénien ancien. L’hymne de Thoutmosis III dit : « Les îles des peuples danaens sont au pouvoir de ta volonté ». Les princes dont Schliemann a retrouvé les tombes étaient donc des vassaux de l’Égypte. Le type est bien Europæus, mais métissé. Le crâne de la 6e tombe de Mycènes a un indice céphalique de 80.7 (V. Sélections sociales, 412).
Trois crânes de Spata et Nauplie ont également des indices assez élevés : 79.4, 79.3, 80.9. Les immigrants avaient évidemment rencontré en Grèce des autochtones brachycéphales avec lesquels ils s’étaient croisés, peut-être par force, s’ils n’avaient pas amené de femmes de leur race. Dans les îles, l’élément dolichocéphale est plus pur. Sergi donne pour 4 crânes crétois de l’époque mycénienne une moyenne de 75.3.
Les Italiques. — Les peuples du groupe ethnique italique ne paraissent pas avoir opéré leur mouvement vers l’Italie avant que ceux du groupe illyro-grec aient trouvé une issue vers l’Orient. Les Sicules, en admettant leur identité avec les Shakhalaschas, paraissent avoir appartenu plutôt au groupe pélasgique ou aux Ligures qu’aux Italiques proprement dits. Quant aux Osques, la mention des Ouashashas peut se rapporter à eux, mais il ne serait pas prudent de l’affirmer. Je remarque parmi les peuples de Palestine des Shashous, d’ailleurs blonds aux yeux bleus. Ouashasha peut être simplement un composé de Shashou. En sens inverse on pourrait dire que Shashou est une forme incomplète, ce qui laisserait subsister l’identification avec les Osques. Il n’est pas davantage certain que les Lekous soient un rameau des Ligures, et encore moins que les Lukkis, les Lyciens et les Lekous soient un même peuple.
Ce qui est certain jusqu’ici, c’est que nul fragment de langage italique ne nous est connu de l’époque antérieure à l’histoire classique. On commence à déchiffrer les inscriptions mycéniennes, et celles qui se laissent traduire donnent du grec (Voyez Kluge, Die Schrift des Mykenier, Cothen, Schulze, 1897). Quant au hittite, pour les uns c’est aussi du grec, pour les autres de l’arménien. Il est possible qu’il s’agisse d’une langue hybride. On est encore au travail sur les documents mitanis, sur ceux de Tel-el-Hezy et autres provenances, mais ces textes ne se rattachent ni au grec ni au groupe italique. Donc rien à faire de ce côté, jusqu’à nouvel ordre.
Nous devons nous contenter, pour l’étude des migrations italiques, des données archéologiques et historiques. Ces dernières sont plutôt insuffisantes, et de date très postérieure aux événements. Les premières sont ambiguës, car les civilisations des Italiques et des Illyro-Grecs étaient à peu près identiques, et la transformation mycénienne subie par la seconde de ces civilisations s’est produite en Orient, après un temps assez long.
L’archéologie nous montre en Italie, après l’époque de la pierre pure et celle où le cuivre et le bronze sont employés comme métaux précieux, à l’égal de l’or, une période du cuivre, où ce métal est industriellement produit et utilisé. Cette époque, correspondant au Cébennien de France et de Suisse, est caractérisée par la hache plate et les petits poignards de cuivre, copiés sur les modèles de pierre. En Égypte et en Chaldée, ces formes passent déjà vers 4000 à des formes perfectionnées locales. En Europe elles paraissent avoir duré plus longtemps, peut-être jusque vers 3000. Cette époque (4000-3000) est représentée par les palafittes et les terramares de date ancienne. Puis vient une époque (3000-2000) où la hache, toujours plate, se fait en bronze ainsi que les poignards. De 2000 à 1700, haches à bords saillants, premières épées, résultant du développement des poignards. Dans le nord, cette époque est encore représentée surtout dans les palafittes et terramares. Le mode unique de sépulture est l’inhumation. L’Italie du nord, qui copie fidèlement l’industrie de l’Europe centrale, est en retard au point de vue des rites funéraires.
L’incinération n’apparaît qu’avec les haches de bronze à ailerons, les couteaux à deux tranchants et la fibule rudimentaire en archet, vers 1700. Le tout parait avoir été apporté de l’Europe centrale par une migration. Ce n’est pas celle des Pélasges et des Illyriens, qui pratiquaient l’inhumation. Vers 1200 le développement des formes aboutit à la hache à douille, aux fibules serpentiformes et à disque (Bismantova, Fontanello). Vers 1100 le fer commence à s’introduire, mais est encore rare, c’est le commencement de la période étrusque. L’inhumation reprend le dessus, sous l’influence orientale des Étrusques.
En Sicile, l’époque énéolithique a beaucoup d’analogie avec celle de Troie, de la Crète et de l’Argar. L’époque du bronze est caractérisée par une industrie très analogue à celle du mycénien. La première est attribuée aux Sicanes, la seconde aux Sicules. L’inhumation a été constamment pratiquée, les tombes de l’époque énéolithique ont fourni de riches mobiliers funéraires, et leur construction en fait les prototypes des tombes à coupole mycéniennes.
Les récits des historiens anciens ont été fort maltraités par les critiques modernes, mais ils sont en général d’accord avec les découvertes archéologiques. Il ne faut pas oublier que l’écriture étrusque était déjà en usage au ixe siècle, on trouve une inscription sur un vase de cette époque de la tombe Regulini Galassi. Nous n’avons pas encore la preuve qu’on se soit intérieurement servi de l’alphabet égéen, mais il est peu probable que les anciens habitants de l’Italie n’aient pas eu d’écriture.
Les historiens nous montrent d’abord des Ligures au nord et des Sicanes dans le sud de l’Italie, puis des tribus ligures, les Sicules, refoulant les Sicanes vers le sud, ces derniers de race ibérique. Puis les Osques s’intercalent dans l’Italie centrale entre les Ligures et les Sicules. Les Ombriens seraient aussi de date ancienne. L’immigration des Pélasges aurait eu lieu dix-sept générations avant la guerre de Troie, vers 1800. Ces Pélasges auraient été finalement absorbés par les Ombriens et les Osques, qu’ils avaient soumis. Ils se seraient fondus avec eux et avec les Sicules. De nombreuses tribus liburnes, venues vers le même temps, auraient eu, pour la plupart, le même sort. Puis viennent, vers le xiie siècle, des mouvements divers. La fondation d’Ameria par les Ombriens daterait de 1135. Le premier sæculum étrusque commence en 1050. C’est probablement l’époque de la fondation effective de leur domination en Toscane. Le refoulement des Sicules, établis dans le Latium, par les tribus osques, se placerait trois générations avant la guerre de Troie, soit vers 1280. La fondation d’Albe serait de cent ans postérieure. Ces divers peuples auraient remplacé ou absorbé diverses nations pélasgiques, les Étrusques seraient des Pélasges revenus en Italie, après un séjour en Orient d’où ils auraient été expulsés par les Grecs.
Les documents linguistiques font défaut en ce qui concerne les Ligures et les Sicanes. Ils abondent pour l’Étrusque, mais nous n’en sommes pas plus avancés. Ombriens, Osques, Latins étaient au contraire tous peuples de langue et de coutumes italiques.
Faut-il voir dans les Ombriens, les introducteurs des haches à ailerons, des épées, des fibules, de l’incinération ? Les données archéologiques s’accorderaient avec cette hypothèse. La crémation a été pratiquée surtout dans la région ombrienne, et l’invasion venait, croit-on, de la Haute-Autriche, de la Suisse, régions où la crémation était plus ancienne. C’est peut-être cette invasion qui aurait refoulé dans le nord et le centre de l’Italie de nombreux brachycéphales. Il est resté, en tout cas, des Ombriens au-delà des monts, si les Ambrones et les Umbrani doivent être rattachés à ce groupe ethnique. Les anciens, en qualifiant les Ombriens de veterum Gallorum propago, faisaient allusion à cette origine.
Les Osques et les Latins leurs frères sont probablement arrivés par mer. Le formidable système de forts d’arrêt étudié par Castanier dans le t. I de son Histoire de la Provence dans l’Antiquité (Paris, Marpon, 1893), nous montre le passage par le Var et les Alpes-Maritimes presque infranchissable de vive force. Je ne sais si ces forteresses, dont la plupart datent de l’époque énéolithique et de celle des haches de cuivre, étaient aux mains d’amis ou d’ennemis, mais au second cas l’entrée de l’Italie était difficile.
Je crois que les Osques et les Latins habitaient la Gaule à l’époque énéolithique, et que le passage s’est fait par mer vers le xve siècle, les ports de départ étant l’embouchure de Rhône vers Arles et celle du Lez à Castelnau.
J’ai montré dans un récent mémoire (Les langues de la Gaule avant les Gaulois, Bull. hist. et philol., 1898, 328-349) que l’idiome indigène de la région nîmoise avant la conquête gauloise était un dialecte osque très rapproché du latin. Diverses découvertes ont montré que la couche ethnique pré-gauloise, sur divers autres points de notre territoire, parlait aussi des dialectes italiques. La singulière inscription de Rom (Deux-Sèvres) nous a fourni un assez long document dont les affinités avec le latin sont visibles, et qui cependant ne peut être un latin provincial ou corrompu. Il faut donc admettre aujourd’hui, ce que je n’aurais pas fait volontiers autrefois, l’antique latinité de notre pays.
Les documents ostéologiques sont assez abondants, malgré l’usage de la crémation pendant une longue période. Le Crania italica vetera de Zampa, les travaux de Sergi sont les principales sources à consulter. Il faut regretter que les pièces recueillies soient en général postérieures à l’an 1000, et de l’époque du fer, que par suite elles vaillent seulement par induction pour la détermination des types de l’époque du bronze.
Des Ligure, nous n’avons aucun crâne authentique. Il semble que le nom de Ligures ait été porté par un grand ensemble de tribus, à une époque reculée. Aux temps historiques on ne connaît plus de Ligures qu’en Ligurie. Aussi les hypothèses ne font point faute sur le type de ce peuple énigmatique. Pour les uns, le type ligure était brachycéphale, car la région alpine est fortement brachycéphale. Rien ne prouve qu’il en ait été ainsi autrefois, et les crânes anciens de Ligurie étaient presque tous dolichocéphales, comme l’a fait voir Issel. Aujourd’hui on remarque la brachycéphalie moindre de la Ligurie propre, 82 contre 86 dans la montagne, et on tend à regarder les anciens Ligures comme de type méditerranéen. Aryens de langue, peut-être, ils auraient appartenu par le sang à la race meridionalis, comme les Sicanes. En tout cas ils ne pouvaient avoir le type Europæus, les anciens étant unanimes à les représenter comme un peuple petit, sec, résistant, et d’ailleurs réfractaire à la civilisation.
Dans cette dernière hypothèse, on attribue aux Ligures les crânes des palafittes et terramares de la fin de la pierre polie et du commencement de l’époque du bronze. Cette attribution est plutôt incertaine. Les séries de cette époque donnent en moyenne 15 % de crânes au-dessus de 80, le reste partie de type Europæus, partie de type meridionalis, partie de métis divers.
On a envoyé 14 crânes des anciennes nécropoles sicanes et sicules au Prof. Sergi. On y trouve des sujets de type méditerranéen, de type Europæus, des métis divers dont un brachycéphale à 81.8, et un Acrogonus caractérisé, forme sphénoïdes obliquus de Sergi, ind. 87. Tout cela indique un mélange bien profond (Sergi, Crani siculi neolitici, Boll. di Palethnologia italiana, 1891, XVII ; Crani antichi di Sicilia e Creta, Atti della Soc. rom. di Antropologia, 1895, II).
Nous ne connaissons pas de crânes ombriens authentiques, mais Zampa mentionne 8 crânes marses préromains, indice moyen 73.1, et 4 crânes du Picenum, 1er âge du fer, 75.5, 3 crânes plus anciens du Val di Vibrata 77, 4 de Volsques préromains 77. Tous ces peuples appartenaient à la fraction sabellique des Ombriens. Les deux éléments principaux que je reconnais sur les phototypies publiées par Sergi et autres de la plupart du ces crânes sont Europæus et contractus à l’état de combinaison plus ou moins parfaite. Il semble que l’élément contractus ait joué un rôle considérable dans l’ethnogénie des italiques en général et des Ombriens en particulier.
Les nécropoles étrusques ont fourni un grand nombre de crânes. Sergi résume ainsi les mensurations (The Aryans and the ancient Italians, The Monist, 1898, VIII, 161-182). Les sépultures de l’Étrurie propre ont fourni 14 crânes au-dessus de 80 sur 54 publiés, celles de Bologne 8 sur 26, Les types sont très mélangés. Le plus nombreux, et celui qui représente la classe la plus élevée, est nettement Europæus. Les crânes brachycéphales se rattachent partie à contractus, partie à des dérivés d’Acrogonus. La population étrusque était très complexe : éléments indigènes soumis, éléments brachycéphales en partie descendus de Rhétie, éléments pélasgiques revenus d’Orient.
Sergi a décrit aussi 29 crânes latins anciens, les plus récents contemporains de la fondation de Rome. Deux seulement se rattachent aux dérivés d’Acrogonus. Les deux grandes séries de Novilara près Pesaro et d’Alfidena dans le Samnium, des hautes époques historiques, n’ont pas fourni un seul crâne qui se rattache à Acrogonus. Les seuls éléments sont Europæus et meridionalis, avec des traces de contractus dans les croisements. La première comprend 45 crânes, la seconde 30. Il semble donc que les éléments brachycéphales aient accompagné plutôt certains groupes.
Avec ces séries anciennes d’Italie, nous arrivons à la période franchement historique, pour laquelle il existe des documents abondants et connus de tous.
CHAPITRE CINQUIÈME
Grecs. — Le tréfonds ethnique de la Grèce est entièrement inconnu. Les traces d’une occupation à l’époque paléolithique sont rares. On a trouvé quelques haches acheuléennes, mais rien de la fin du quaternaire. Pas de dépôts de grottes avec instruments de type magdalénien, pas même de néolithique ancien. Quelques haches polies, un petit nombre d’instruments représentent seuls la belle époque néolithique. Les traces des anciens habitants ne deviennent abondantes qu’à l’époque énéolithique, et même pour ce temps relativement rapproché nous n’avons aucun crâne, rien qui nous indique la race des aborigènes.
On suppose, gratuitement, que ces derniers étaient des brachycéphales vivant à l’état sauvage, et bien près de l’animalité. Les raisons sur lesquelles on s’appuie sont que les brachycéphales paraissent avoir été plus nombreux, aux époques très anciennes, dans les régions de l’Europe plus rapprochées de l’Asie Mineure, et que les Grecs représentent comme peuplées de brutes vivant de glands, avant l’introduction de la civilisation venue des îles.
Les Pélasges représentent le plus ancien fonds de population civilisé, et le premier groupe ethnique dont nous parle l’histoire grecque. Il est probable que sous ce nom les Grecs ont compris des éléments ethniques fort divers, possédant en commun la civilisation dite mycénienne. Les Pélasges paraissent avoir été surtout des tribus errantes, courant les terres et les mers, se montrant un peu partout sans arriver à constituer un ensemble de peuples stables, et à couvrir la Grèce et ses environs d’un système d’états définis et contigus. Ils répondent dans un certain sens à ce que les Égyptiens appelaient, d’une manière aussi vague, les peuples de la mer.
Les traditions grecques nous parlent de perpétuelles migrations et de rapports très complexes des premiers peuples de la Grèce avec ceux de l’Asie Mineure, des îles, de la Phénicie, de l’Égypte et de la Cyrénaïque. Nous comprenons maintenant ces rapports qui embarrassaient fort les anciens érudits. Nous savons que les Danouna avaient une de leurs tribus en Palestine, de même que les Pulesta de Palestine appartenaient certainement au fond pélasgique. Les rois d’Égypte avaient, dès les xve siècle, des Proto-Grecs à leur solde, et entre les mercenaires ou les colons d’Égypte, de Phénicie d’un côté, les habitants de la Grèce de l’autre, les relations et les migrations se poursuivaient sans interruption.
Nous voyons aussi plus clair dans le problème des rapports anciens de la Grèce et des Phéniciens. Il existe de nombreuses théories dont les unes attribuent aux Pélasges et les autres aux Phéniciens l’éducation première de la civilisation grecque. En réalité, tout le monde a raison. Vers le xve siècle avant notre ère, la différentiation qui s’est produite plus tard entre le monde grec et les Phéniciens n’existait pas encore. Si au point de vue de la langue la différence était sensible, les peuples de la mer parlant surtout des dialectes de souche grecque, ceux de la Phénicie surtout des dialectes chananéens, dont l’hébreu et son frère le phénicien nous sont seuls connus, pour tout le reste il n’y avait pas de grandes différences entre tous ces peuples qui se pénétraient réciproquement.
La civilisation parait avoir gagné la Grèce en venant des îles. Celles-ci, et d’abord la Crète, paraissent avoir été le premier milieu de développement des Proto-Grecs. Quelques tribus avaient pu descendre de la région danubienne par terre, mais le mode principal d’invasion paraît avoir été par mer, par l’Adriatique, le Péloponnèse, la Crète, et l’objectif était le pillage de l’Égypte. C’est seulement après avoir échoué de ce côté que les Grecs se rejetèrent sur les côtes de l’archipel, où ils furent bientôt plus étroitement confinés par le développement de la puissance phénicienne.
C’est par une lente évolution que les peuples grecs se dégagèrent du fond pélasgique. Nous savons que les Achéens avaient déjà une existence comme peuples distincts dès l’époque de la splendeur de Mycènes. Les Doriens sont le seul des peuples helléniques dont l’arrivée soit de date historique. Ils débarquèrent, vers 1100, sur la côte occidentale du Péloponnèse, et leur précédent séjour était dans les montagnes, entre la Thessalie et l’Épire. Il est probable que ce dernier ban des Hellènes était descendu depuis peu de l’Illyrie dans la Doride. La langue et la civilisation des Doriens étaient bien moins avancées en évolution que celles des autres peuples grecs. La race était aussi plus pure. Les Spartiates ont été un des plus beaux types d’Europæus qui aient existé dans l’antiquité. Ce furent certainement, en Grèce, les Aryens des Aryens, et si leurs institutions n’avaient pas paralysé leurs aptitudes, il est probable qu’ils auraient fait plus qu’être d’incomparables soldats.
J’ai consacré le xive chapitre des Sélections sociales à la Grèce ancienne et je n’ai pas l’intention de me redire, Je reprendrai seulement quelques chiffres relatifs à l’indice céphalique et je compléterai l’étude de la couleur.
Chez les crânes grecs, très rares, qui ont été étudiés, le type Europæus est manifeste. Les archéologues, en Grèce comme ailleurs, ne recherchent guère les crânes et dissertent plus volontiers sur les peuples qu’ils ne les étudient. Nicolucci a publié, il y a trente ans passés, une série de 26 sujets, dont l’indice est 75.8. Une autre série de 18, qui figure dans les Sélections, donne 75, Nous ne savons d’ailleurs à peu près rien sur l’origine sociale des individus si peu nombreux dont je parle. Il est à présumer que dans le nombre se trouve une majorité d’esclaves. S’il en était ainsi, il faudrait conclure que même parmi ces derniers le type Europæus était fort répandu. Les Grecs d’aujourd’hui, dont l’indice est de plus de 81, se rattacheraient donc en majorité à des éléments brachycéphales, descendus de la région des Balkans depuis le commencement de notre ère. La dolichocéphalie, la haute taille et la couleur blonde ne se rencontrent guère aujourd’hui que chez les débris des Doriens, autour de Sparte et en Crète, dans les montagnes. Sur 1.172 Grecs mesurés par Ornstein, il n’y avait que 65 cas d’yeux bleus, dont 26 chez des blonds (Berliner Gesch. fur Anthropologie, 1879, 306). Stephanos est arrivé aux mêmes résultats (Bull. Soc. d’Anthrop. de Paris, S. III, VI, 658).
Les renseignements sur la couleur viennent de deux sources, les peintures et les indications des auteurs classiques.
On sait maintenant que les Grecs peignaient leurs statues. La poésie de la blancheur des marbres ne les touchait guère, et le snobisme aidant, elle ne touchera sans doute plus les artistes de l’avenir. Le coloris était souvent conventionnel, les Grecs ont usé de la couleur dans un but décoratif et leur polychromie ne visait pas toujours à l’exacte reproduction de la nature. Sous cette réserve, il faut signaler l’emploi général, presque constant, des teintes jaunes et rougeâtres pour le coloris des cheveux. Les rares exceptions portent sur des représentations d’esclaves, d’étrangers, de gens de la classe la plus infime. Les Grecs, en un mot, voyaient blond tout ce qui était personnage d’ordre relevé : blonds les dieux, blonds les héros, les grands hommes, les citoyens libres, blondes les femmes de condition, les grandes courtisanes.
Cet idéal se retrouve dans la littérature. Il faut distinguer d’ailleurs entre deux sortes d’indications.
Les unes se rapportent aux dieux, aux nymphes, aux héros. Pour ces derniers, qui peuvent avoir existé, le type que leur attribuent les anciens écrivains grecs pouvait être traditionnel, et l’expression de la réalité. Pour les dieux, les descriptions ne valent que comme indication de l’état d’âme des Grecs. Ils prêtaient à leurs divinités le type qui leur semblait le plus parfait. Ces descriptions se retrouvent fidèlement copiées par les auteurs postérieurs et par ceux de l’époque romaine. Il faut rapprocher de ces descriptions celles de personnages imaginaires, expression aussi de l’idéal. Les autres indications ont une valeur documentaire. Ce sont ou des portraits sommaires de personnages réels par des contemporains, ou des caractéristiques de peuples.
J’ai commencé un recueil des indications anthropologiques contenues dans les auteurs de l’antiquité, même du haut Moyen Age. Le travail est laborieux, facilité souvent par de bonnes éditions avec index, quelquefois vain, car beaucoup de gros ouvrages ne contiennent pas une seule indication. On trouvera en appendice le résultat du dépouillement d’un certain nombre d’auteurs.
L’Iliade et l’Odyssée sont les plus importantes des sources anciennes. Nous avons dans les poèmes homériques des documents de la plus haute valeur pour l’époque protohistorique, et ces documents sont tous concordants. Les dieux et les héros sont toujours grands, toujours blonds, toujours aux yeux bleus. Je ne connais que deux exceptions, Hector et Ulysse, tous deux étrangers au monde grec. Hector est, au douzième chant, représenté traîné par le char, les cheveux noirs épars : « ἀμφὶ δὲ χαῖται χυάνεαι πίλναντο ». Les cheveux d’Ulysse sont du même noir bleu, couleur de violette, comme disaient d’ordinaire et si singulièrement les Grecs : « Οὔλας ἦκε κόμας, ὑακινθίνῳ ἄνθει ὁμοίας. »
Tous les Grecs sont blonds, hommes et dieux. Au premier chant de l’Iliade Minerve saisit Achille par sa blonde chevelure : « ξανθῆς δὲ κόμης ἕλε Πηλείωνα ». Au vingt-troisième chant il est encore question de la chevelure blonde d’Achille, quand il l’offre aux mânes de Patrocle : « ξανθῆν ἀπεκείρατο χαίτην ». Nous savons qu’Achille était réputé d’origine scythique. Au quatorzième chant nous apprenons qu’il était grand, ce que nous savons aussi d’Agamemnon. Nous trouvons sans cesse Minerve appelée : aux yeux bleus, et Ménélas qualifié de ξανθός. Ce sont des épithètes qui accompagnent presque toujours leurs noms. Au second chant de l’Iliade, on nous parle du blond Méléagre et de la blonde Briséis, au troisième de la blonde Vénus, au cinquième de la blonde Cérès, au huitième, au onzième, etc., de la blonde Hélène. Au neuvième chant il est question, à propos d’Amyntor, d’une blonde captive ; au onzième, au quatorzième de la blonde Amathée, et au dix-neuvième revient Briséis semblable à la blonde Vénus. Je m’arrête et dis un mot seulement de l’Odyssée. Rhadamante, au quatrième chant, est représenté blond, au cinquième il est question de la blonde Aurore, ce qui n’aurait pas isolément de valeur ethnographique.
Les dieux et les héros de Pindare sont blonds : Minerve Ne. vii, 96 ; Ne. x, 7 ; Ol. vii, 11 ; Fr. xxxiv, 9), Apollon (Is. vi, 49 ; Ol. vii 7 32 ; Ol. vi, 41), les Grâces (Ne. v, 54), Ménélas (Ne. vii, 28), Achille (Ne. iii, 43), Evadné (Ol. vi, 30). Une seule exception concerne les Muses « φλέγεται δ’ ἰοπλόκοισι Μοίσαις (Is. vi, 23) ».
De même ceux de Théocrite : Minerve (xx, 24 ; xxvii, 1), Vénus (vii, 116), Ménélas (xviii, 1), Hylas, ami d’Hercule (xiii, 36). Il applique l’épithète de κυάνοφρυς à trois personnages féminins : Vénus, (vi, 59), Éripyle (xvii, 53), Amaryllis (iii, 18). Puis viennent quelques personnages réels, tous blonds : le roi Ptolémée (xvii, 103), Delphis et Eudamippe, deux mignons du poète (ii, 78), la magicienne Périmède (ii, 16). Aucune mention de type brun.
Bacchylides représente blonds : Apollon (iv, 2), Junon(x, 50), Briseis (xii, 135), et comme personnages réels, un Athénien, dolichodrome aux Isthmiques (ix, 14), Automedes de Phliase, pentathle des Némésiennes (viii, 51). Il qualifie Amphitrite de βοῶπις, ce qui n'a pas un sens bien précis. Thésée est représenté blond (xvii, 51), avec des yeux noirs (xvi, 17), ce que d’autres indices semblent avoir fait remarquer chez les Grecs. Il qualifie la ville de Thèbes de κυανοπλόκαμος. Les Thébains avaient-ils les cheveux noirs ? Faut-il voir dans l’épithète une allusion aux sombres ombrages ? Des Lacédémoniennes il dit qu’elles sont blondes ξανθαί (xix, 1.).
Euripide, Herakles, oppose la chevelure blonde d’Hercule à la crinière rousse de la peau de lion : « Πυρσῷ δ’ ἀμφεκαλύφθη ξανθὸν κρᾶτ’ ἐπινωτίσας ». Il parle aussi de la chevelure blonde de Lycus.
Dans Pausanias je n’ai noté qu’un passage précité relatif aux yeux bleus de Minerve (I, 14, 6).
Aristote dit des gens de mer qu’ils ont les cheveux roux (Problemata, xxxviii, 2 ; Περὶ χρωμάτων, iv, 21). La mention est assez curieuse, car elle semble ne pas s’appliquer seulement à ceux de la Grèce, peut-etre aussi aux fabricants de pourpre de la Phénicie.
De ce texte il faut rapprocher celui de Polémon, reproduit par Adamantius (ii, 24), qui représente les Grecs de condition libre comme μεγάλοι, εὐρύτεροι, ὄρθιοι, εὐπαγεῖς, λευκότεροι τὴν χρὸαν, ξανθοὶ. L’élément brun était étranger ou servile, et réciproquement la remarque d’Aristote montre que les bruns dominaient dans les basses classes. C’est d’ailleurs ce que confirment les représentations figurées, qui donnent parfois à des esclaves un type brachycéphale. Les physionomistes grecs estimaient d’ailleurs peu les gens noirs et frisés. Ils les regardaient comme fourbes et cupides. Adamantius dit (417, 5), : « ἄνδρα οὐλότριχα δειλὸν καὶ κερδαλέον λέγε, » et (418, 7) : « μέλαινα κόμη δειλίαν καὶ πολυκερδίαν ἀπαγγέλλει. »
Les Latins ont fidèlement copié les Grecs. Toujours les personnages mythologiques sont représentés blonds. Juvénal : Méléagre (Sat. v, 115). Catulle : Ariane (64), Thésée (64), Protésilas (68). Tibulle : Cérès (I, i, 15). Ovide : Europe (F. v, 609), le centaure Cyllare (Met. xii, 395), Esculape (M. xv, 669), Aurore (M. v, 440 ; Am. i, 13, 2), le Lapithe Charaxès (M. xii, 273), Médée (Her. xii, 11) ; Phaëthon (M. ii, 319), Ariane (Ars, 1.530), Œnone (Hér. i, 122), Oreste et Pylade (Pont. iii, 2, 74), Cérès (M. vi, 118 ; Am. iii, 10, 3, F. iv, 424), une suivante d’Alcmène (M. ix, 306), Apollon (Am. i, 15, 35 ; Mét. xi, 165), le pilote Mélanthus (M. iii, 617), Minerve (Ars, ii, 659 ; Am. i, 1, 7 ; F. vi, 652 ; Tr. i, 18, 1), Ianthe (ix, 714), la nymphe Laodice (E. xix, 113), la fille de Chiron (M. ii, 635), Calaïs et Zétès (M. vi, 715). Stace : Achille (Ach. i, 611), Phébus (Th. iii, 407 ; i, 698), Minerve (Th. iii, 507), Diane et Minerve (Th. ii, 238), Atalante (Th. iv, 314), son fils Parthénopée (Th, vi, 262 ; vi, 607), les guerriers grecs Hypanis et Polytes (Th. viii, 492), le guerrier grec Cydon (Th. v, 220). Lucain : Cérès (Ph. iv, 411). Claudien : Proserpine (xxxvi, 86), Phébus (xliv, 55). Sénèque : Bacchus (Œd. ii, 420).
Il faut faire exception toutefois pour les divinites des eaux, qui d’ordinaire sont représentées bleues, non seulement de barbe ou de cheveux, mais de peau. Ovide : Panope, sœur de Thétis (Ad. Liv., 435), Neptune (F. iii, 874 ; M. i, 275), Cyane (M. v, 431), divinités de la mer (M. ii, 8-12), Triton (M. i, 333), Protée (F. i, 375), Psamathée (M. xi, 398), navires changés en nymphes (M. xiv, 555), Nérée (Ep. ix, 14), Acis (M. xiii, 895), Doris (M. xiii, 742), les nymphes Cyrène (F. i, 365) et Liriope (M. iii, 342), Thétis (M. xiii, 288), Glaucus (M. xiii, 960). Je ne prolongerai pas davantage l’énumération.
Très peu de personnages réels sont décrits par les Latins, quelques demoiselles de Corinthe, comme on dit dans la Belle Hélene, et des Grécules de profession indécise, mais semblable. Encore sous ces noms grecs peuvent se cacher des personnes fort étrangères à la Grèce. La Lycoris et la Chione de Martial sont noires, oh ! trop noires (vii, 13 ; iii, 34). La Phyllis et la Chloé d’Horace sont blondes (Od. ii, 4, 14 ; iii, 9, 19). Je renvoie simplement au recueil des textes, en appendice.
Comme mention ethnographique, je ne trouve à noter dans les auteurs latins que le passage déjà transcrit de Manilius qui classe la Grèce per coloratas gentes. A cette époque les Grecs historiques étaient déjà éteints, il n’y avait plus que des Grécules.
Romains. — L’importance historique du peuple romain, je veux dire des citoyens de la Rome républicaine, ferait désirer d’être fixé sur son type anthropologique. Il n’en est pas ainsi. La coutume de la crémation, contraire aux usages des Sabins et des Étrusques, commence à l’emporter dès le temps des rois et devient générale sous la République. Quelques familles, parmi lesquelles plusieurs des plus importantes, conservèrent le vieux rite de l’inhumation, mais nous ne possédons aucun crâne de cette origine. On pourrait, en revanche, se procurer des crânes de la classe inférieure. Il existe encore sur l’Esquilin beaucoup de tombes à inhumation, parmi les sépultures à incinération. La pratique de la crémation était coûteuse, elle se trouvait hors de la portée du pauvre diable. Les documents de cette nature ne sauraient nous éclairer. Du type des esclaves ou des affranchis nous n’aurions pas le droit de conclure à celui des citoyens, et surtout de l’aristocrate gouvernante.
La crâniologie romaine est donc basée seulement sur quelques pièces d’origine douteuse, trouvées isolément. Nous retrouvons chez elles le faciès dominant des crânes anciens de l’Esquilin, c’est-à-dire de la série pré ou protohistorique décrite par Sergi : Europæus dominant, meridionalis accessoire, pas de brachycéphales, croisement presque constant avec contractus, dont l’influence se manifeste par la forme hémisphérique du crâne postérieur, un bombement marqué postéro-inférieur entre l’inion et l’opisthion, et un certain raccourcissement du maxillaire supérieur. Ces caractères sont, d’ailleurs communs à tous les peuples du Latium.
Les indications relatives à la couleur sont très rares pour l’époque de la République. Le grand poète national a marqué d’une manière voulue le type Europæus des Italiques de l’époque légendaire, mais il ne s’est pas trouvé de Virgile pour chanter les guerres de la République. Les historiens ne commencent à comprendre la nécessité de décrire les personnages que dans les premiers siècles de notre ère. Donc, point d’indications légendaires, point de portraits historiques. Tout au plus des allusions plus ou moins claires au visage de Sylla, et des noms caractéristiques, comme celui d’Ahenobarbus. Le Corpus inscriptionum regorge de Fulvius, de Flavius, de Rufus, mais dans la plupart des cas il s’agit de noms traditionnels, voire patronymiques, et rarement le nom prend d’une manière évidente la valeur d’une épithète descriptive. Il résulte néanmoins de l’emploi de ces épithètes que les Fulvius et les Rufus se distinguaient par leur couleur de la généralité des Romain. La coloration claire était donc, dès l’époque républicaine, plutôt une exception.
Pour les derniers temps de la République, on commence à trouver quelques indications. Le portrait de Caton par un anonyme est célèbre (Anth. pal., v, 22, 1) :
Πόρκιον εἰς Ἀίδην Φερσεφόνη δέχεται. »
Ces indications se multiplient dès les premiers temps de l’Empire, mais il ne convient de retenir que celles relatives aux familles d’origine authentique. C’est ainsi qu’on nous montre Messaline cachant ses cheveux noirs sous une perruque blonde. Poppée était blonde. Néron avait chanté sa chevelure pareille à l’ambre jaune (Pline, Hist. nat., xxxvii, 3, 50.)
Je néglige avec intention les indications sans valeur historique. Je crois que Virgile, archéologue consommé, décrivait les anciens Italiques d’après des données légendaires, mais je doute qu’il faille voir autre chose qu’une fantaisie dans les portraits de Romulus et de Lucrèce par Ovide :
« Suberat flavae jam nova barba comae (F. iii, 60) »
« Forma placet, niveusque color, flavique capilli (F. ii, 736). »
Ces deux portraits ne sont probablement qu’une imitation des poètes grecs, qui ne peignaient jamais autrement les héros et les héroïnes, et il n’est pas bien certain que Virgile n’ait pas, dans une certaine mesure, subi la même influence.
Pour la taille, les indications ne sont guère plus nombreuses. Les historiens insistent sur la taille élevée de quelques personnages, mais on ne peut en déduire celle des hommes ordinaires. Végèce (Instituta rei militaris, I, 5) dit cependant « Proceritatem tironum ad incommam scio semper exactam, ita ut senos pedes, vel certe quinos et denas uncias habentes inter alares equites vel in primis legionum cohortibus probarentur. » Une taille de 1.80 exigée de la cavalerie et de ce que nous appellerions les grenadiers, c’est beaucoup. Je ne vois guère de peuple moderne qui puisse se payer le luxe de tels corps de géants. Si Végèce n’exagère pas, il doit parler non des armées de la République, mais de celles dont la force se recrutait parmi les barbares. L’impression produite sur les Romains par les Gaulois, puis par les Germains, semblerait indiquer plutôt une taille moyenne chez les légionnaires de la République.
Il y aurait peut-être des indications précieuses à tirer de monnaies consulaires. Il faudrait les étudier par la méthode de Collignon et de Ujfalvy, mais il n’a encore, à ma connaissance, été fait dans cette voie que des travaux sans précision. Quant à la statuaire, les statues-portraits, communes pour l’époque de l’Empire, font à peu près défaut pour celle de la vieille Rome et des Romains authentiques[70].
Gaulois. — Je suis obligé d’intercaler l’étude des Gaulois entre celle des Romains et celle des peuples de l’Empire. Il est inutile d’insister sur la nécessité historique de cet ordre, les Gaulois ayant conflué avec les Romains et maints autres peuples dans le vaste ensemble des populations soumises aux Empereurs.
Les Gaulois apparaissent d’abord dans la région des Alpes autrichiennes, où ils représentent la population du premier âge du fer. On a trouvé dans cette région d’immenses cimetières à inhumation qui ont fourni un matériel très riche aux collectionneurs d’antiquités. Il a été aussi recueilli à Halstatt et sur d’autres points des séries assez importantes d’ossements et surtout de crânes. Ces pièces ne représentent qu’une infime partie de celles qui ont été trouvées et bouleversées par les archéologues. Un travail d’ensemble et bien fait sur l’anthropologie des Gaulois halstattiens est encore à attendre. On sait seulement que les nécropoles alpines ont fourni une très grande majorité de crânes de type Europæus et une minorité de brachycéphales. La Bavière et les régions voisines ont également fourni de très nombreux cimetières et des tumulus isolés que l’on rapporte aux premiers Gaulois. Très peu de pièces ont été décrites isolément, mais le type Europæus est à peu près le seul signalé jusqu’ici. Toutes ces sépultures sont antérieures, quelques-unes de beaucoup, au VIe siècle avant notre ère. À partir de cette époque, dans les Alpes et en Bavière, la crémation, rare au début, se substitue d’une manière habituelle à l’inhumation, et les documents ostéologiques deviennent plus rares. Il faut remarquer cependant que l’inhumation continue à être pratiquée de préférence pour les grands personnages.
Vers le vie siècle, peut-être un peu avant, les Gaulois de Germanie se sont étendus sur l’est et le nord-est de la France. Hamy a décrit deux crânes d’Auvenay, Côte-d’Or, dont l’indice moyen est 74.8. Broca a étudié une série plus nombreuse des environs de Châlons-sur-Marne. L’indice céphalique de 15 sujets est 76.9. Il a trouvé pour indice nasal, sur 34 sujets, 45.8, pour indice facial (de Broca), sur 38 sujets, 66.8, pour indice fronto-zygomatique, sur 27 sujets, 92.8, pour capacité, sur 24 hommes 1.592, sur 10 femmes 1.457 ; l’indice orbitaire (de Broca) est 86.3, l’indice palatin 76.8. Ces chiffres montrent que la série est presque entièrement composée d’Europæus du type le plus pur. Les brachycéphales et métis de toutes sortes ne représentent qu’une fraction peu importante. Il a été fouillé dans l’Aisne, la Marne et les départements voisins plus de quinze mille sépultures gauloises des environs du vie siècle avant notre ère. C’est à peine si l’on a conservé quelques douzaines de crânes, dispersés un peu partout. Il reste encore, à la disposition des fouilleurs sérieux, de nombreuses sépultures, mais les grandes nécropoles, saccagées par les archéologues et notamment par Moreau, ne peuvent donner désormais que des débris remaniés. La destruction des cimetières, tant dans les Alpes que dans la Marne, rendra désormais plus difficile l’étude approfondie des Gaulois, mais les séries préservées sont assez homogènes pour que l’on soit déjà fixé, d’une manière générale, sur leur type à leur arrivée en Gaule.
La taille des Gaulois n’était pas aussi grande qu’on l’imagine. Diverses séries d’os longs de la Marne indiquent une taille de 1.66 environ, et si l’on a trouvé des individus de très haute taille, ils ne représentent que des exceptions individuelles.
Les Gaulois paraissent n’avoir pénétré qu’assez tardivement dans le reste de la Gaule. Leurs sépultures y sont peu nombreuses, du moins celles à inhumation, qui sont les plus anciennes. On en a trouvé cependant jusque dans les Cévennes, en Bretagne et au pied des Pyrénées. Les quatre crânes ruthènes dont je parle dans la monographie de l’Aveyron accusent des indices nettement dolichocéphales : 77.4, 73.6, 75.4, 74.61. Un crâne féminin trouvé avec les trois derniers à Saint-Georges-de-Luzençon est un peu plus voisin de la brachycéphalie. Il a pour indice 79.5 et un faciès plutôt voisin de contractus. Il appartient peut-être à la population antérieure. Le Dr Marignan a trouvé dans l’arrondissement du Vigan de nombreuses tombelles, dont les crânes sont tous Europæus. Les crânes trouvés dans le Gers, en Bretagne, etc., sont aussi nettement du même type. Les envahisseurs appartenaient donc à une population relativement pure.
Nous ne connaissons guère l’élément préexistant, les populations antérieures pratiquant universellement la crémation, que les Gaulois ne tardèrent pas à adopter. On a supposé que ces populations étaient brachycéphales, pour expliquer la brachycéphalie actuelle de la région centrale. Cette hypothèse n’a plus grand crédit aujourd’hui. Le Nord-Est et l’Est, qui ont reçu la plus forte couche de Gaulois et de Germains, ne sont guère moins brachycéphales que le Centre, et ils l’étaient déjà en puissance à l’époque énéolithique, où le Centre était encore très dolichocéphale jusqu’à la Méditerranée. Les populations des derniers temps gallo-romains, dans le Centre, n’accusent pas encore une forte tendance à la brachycéphalie, et cette dernière, dans cette région comme dans bien d’autres, parait surtout due aux sélections sociales, et de date récente.
On a regardé ces populations comme représentant un mélange de très anciennes races locales avec un premier ban de Gaulois, arrivé de longs siècles avant ceux de l’invasion marnienne. On a voulu opposer ces premiers Gaulois, sous le nom de Celtes, aux seconds qualifiés de Galates. Il n’est guère possible de voir, à mon avis, dans ces différents noms de Galli, Galatæ, Celtæ, autre chose qu’un même nom prononcé d’une manière différente, à des époques différentes, par des peuples étrangers parlant des langues de tendances phonétiques différentes. Je ne nie en aucune façon la possibilité d’une occupation partielle de la Gaule septentrionale, et même de la Grande-Bretagne, par des populations gauloises, à une époque antérieure à l’invasion marnienne, mais je tends de plus en plus à croire que jusqu’à une époque voisine de notre ère la Gaule fut, dans toute sa partie méridionale, occupée par des populations italiques. La conquête fut même, dans certaines régions, assez tardive et assez superficielle pour que les idiomes italiques aient survécu jusque sous la domination romaine.
Comment j’ai été amené à cette opinion, je l’ai dit dans deux mémoires, Le berceau des Ombro-Latins, et La langue de la Gaule avant les Gaulois. Cette question étant toute neuve, j’insisterai d’une manière brève. Une série d’inscriptions, trouvées entre le Vidourle et les Alpes, a révélé un dialecte italique nouveau, auquel j’ai, donné le nom de namausique, les inscriptions les plus importantes provenant de Nîmes, et notamment le texte célèbre : Iarta bidillanoviacos dede Matrebo namausicabo bratoude. Ce dialecte est par certains détails plus archaïque que l’osque et l’ombrien, et présente en même temps des caractères absolument romans dans la syntaxe, la phonétique et la morphologie. Il se place entre l’osque et le latin, mais comme branche distincte dès l’origine. L’inscription de Rom, Deux-Sèvres, de date postérieure car elle est du IVe siècle de notre ère, est certainement italique, et j’ai pu lui trouver un sens suivi, d’ailleurs provisoire dans certains détails. Les caractères généraux sont ceux, du namausique, mais le dialecte est différent. Enfin la région rhénane elle-même a fourni des traces de dialectes non gaulois, très voisins du groupe italique, avec des affinités peut-être du côté des dialectes illyriens et du vénète.
Le dialecte des Gaulois lui-même était bien plus proche du groupe italique que du vieil irlandais, le plus ancien dialecte connu du groupe linguistique appelé celtique. Cela ne doit pas nous étonner outre mesure, les Gaulois ayant vécu dans la région alpine au milieu de peuples italiques, puis en Gaule dans les mêmes conditions, paraissent avoir été plus italisés qu’on ne l’aurait cru autrefois. Ainsi s’explique ce fait singulier que leurs noms propres et les noms de lieu soient à peu près seuls à pouvoir s’interpréter par les dialectes celtiques modernes.
Les Gaulois subirent, au point de vue des coutumes, l’influence locale des anciens habitants de la Gaule et adoptèrent d’une manière générale la crémation. Nous ne possédons par suite à peu près rien pour l’époque comprise entre le ve siècle et la période gallo-romaine.
L’invasion ne se borna pas à la Gaule, elle s’étendit sur l’Espagne, le nord de l’Italie, les îles Britanniques, et, à une époque ultérieure, sur l’Europe centrale et même l’Asie Mineure. On possède très peu de crânes celtibères. Ils sont tous dolichocéphales. On n’en possède pas un seul des Gaulois d’Italie, ce qui a permis d’affirmer qu’ils étaient brachycéphales, idée courante en Italie et fondée sur ce seul fait que la région nord est aujourd’hui brachycéphale. Je crois que les Gaulois ne sont pour rien dans cette brachycéphalie, au contraire Pour les Îles Britanniques, les crânes gaulois antérieurs à la domination romaine sont rares, mais on peut faire état des 109 Romano-Bretons de Beddoe. Pour les autres régions de l’Empire, je sépare avec soin les pièces antérieures à la conquête de celles du commencement de notre ère, l’immigration ayant apporté de nombreux éléments hétérogènes, non pas romains, car il n’en restait guère à Rome même, mais italiens ou empruntés à toutes les populations romanisées, l’Afrique et l’Asie comprises. Ce grand mouvement de brassage des peuples n’a guère intéressé les Îles Britanniques, où les Romains ne furent jamais que campés. La série commence à 68, et se termine à 82, avec un cas isolé à 86. Elle est essentiellement composée d’Europæus, avec quelques brachycéphales et méditerranéens qui peuvent provenir du fonds antérieur.
En Bavière, en Vindélicie, les sépultures gauloises ont été fouillées en grand nombre, mais il a été conservé peu de crânes, et un travail d’ensemble serait fort à désirer. Les matériaux sont à peu près entièrement inédits, et il faut attendre. Le type était le même qu’ailleurs, mais la taille paraît avoir été plus grande en Vindélicie. Reinecke attribue à trois femmes des tailles de 1.54, 1.60, 1.59, à deux hommes celles de 1.79 et 1.69, soit une moyenne égale à celle d’Europæus actuel. En Bohème l’indice qui se tenait avant l’époque du fer aux environs de 72.2 s’élève à l’époque gauloise à près de 80 pour redescendre à l’époque slave à 78 juste. Il semble donc que les Gaulois aient entraîné avec eux un élément brachycéphale ramassé en route, et de fait, parmi les crânes, les uns sont nettement Europæus, et les autres, en minorité et surtout féminins, brachycéphales. Je ne connais aucune pièce provenant des Gaulois d’Asie, dont le type est seulement connu par les monuments figurés, et les récits des historiens. Ils avaient le profil et le tempérament lymphatique des Gaulois d’Occident.
Nous arrivons aux documents écrits. Ceux-ci sont innombrables, et d’une concordance parfaite. Je renvoie en note la transcription des textes[71]. La plupart des textes grecs figurent dans les Extraits des auteurs grecs concernant la géographie et l’histoire des Gaules, publiés par la Société de l’histoire de France. Je suis, dans la mesure du possible, l’ordre et les leçons de ce recueil, qu’il importe d’étudier en entier pour se faire une idée complète des connaissances sur la Gaule et les Gaulois. Pour beaucoup de textes ce recueil est à peu près le seul accessible, les bibliothèques des Universités elles-mêmes étant loin de posséder tous les auteurs. Chaque volume contient une table chronologique des auteurs qui aurait rendu grand service à Mortillet dans la rédaction d’une liste, pages 48-50 de la Formation de la nation française, durement et justement critiquée par Reinach. Je recommande encore aux personnes désireuses d’étudier l’ancienne Gaule le Altcelticher Sprachschatz de Holder (Leipzig, Teubner). On trouvera sous chaque nom de peuple ou de ville la transcription de tous les passages grecs et latins où ce nom figure. Ces indications ajoutent souvent aux citations si copieuses des nombreux mémoires de Lagneau, qui restent les meilleurs travaux d’érudition sur les anciennes populations de la Gaule.
Tout le monde est d’accord que les Gaulois étaient de grands blonds aux yeux bleus. Je n’ai donc que deux points à établir. Le premier que nul texte ne parle de populations brunes mêlées et subordonnées aux Gaulois, et qui représenteraient les ancêtres de nos brachycéphales. Cela tend à faire croire que ces ancêtres des brachycéphales étaient assez peu nombreux et localisés, autrement on en trouverait quelques mentions, sinon dans les auteurs très anciens, du moins chez ceux du iie siècle et depuis. Les vieux cadres sociaux établis à l’époque de l’indépendance gauloise étaient depuis longtemps brisés, et l’aristocratie gallique, à peu près détruite, ne pouvait plus dissimuler le type général des populations. Or nous trouvons seulement l’indication que les Gaulois, comparés aux Germains, étaient moins roux. Le second point est que les Gaulois d’Italie, de Gaule et de Grande-Bretagne sont décrits d’une manière identique. Carnutes, Ruthènes, Bretons sont dépeints sous les mêmes traits.
J’insiste un peu sur ce second point parce qu’on a voulu établir une distinction entre les Celtes, premiers connus, et les Galates représentant l’arrière-ban des Gaulois. J’ai déjà dit que la différence des noms est de peu d’importance. La transcription des noms des peuples congolais, depuis les premiers navigateurs portugais jusqu’à Stanley et de Brazza nous montre de bien autres variations. Les Celtes auraient représenté un mélange de Gaulois purs avec des peuples brachycéphales, et seraient les ancêtres de nos brachycéphales du centre, si malheureusement baptisés race celtique par Broca, au temps des débuts de l’anthropologie. Il est au moins vraisemblable que les premières tribus immigrées n’ont pas conservé toute la pureté de leur sang, mais je ne crois pas que le mélange se soit fait avec des brachycéphales. Ces derniers ne formaient eux-mêmes qu’une minorité dans le peuple préexistant. C’est pourquoi nous ne devons pas nous étonner de voir appeler flavi les Ruthènes, dont le pays est si brachycéphale aujourd’hui. Nous verrons plus loin quelle était, à l’époque romaine, la population de cette région. Retenons seulement cette importante vérité, souvent méconnue encore : les brachycéphales du Centre, des Alpes, de la Haute-Italie, ne représentent pas la descendance des Celtes, considérés comme fraction des Gaulois, mais celle de populations innommées, faisant partie, dans une proportion inconnue, de la couche pré-gauloise. Je ne veux d’ailleurs point dire que les tribus purement gauloises, celles de la conquête, ne contenaient pas elles-mêmes quelques éléments brachycéphales. Le mélange des races, causé par la politique ou le simple besoin sexuel, est un accident qui n’a jamais été évité même chez les peuples rigoureusement endogames, et ce n’était point le cas des Gaulois. Les tribus gauloises devaient en outre traîner avec elles des esclaves de diverses races, plus nombreux probablement que leurs maîtres. Ce que j’affirme, c’est qu’il n’existait pas des Gaulois-Celtes, brachycéphales, et des Gaulois-Galates, dolichocéphales.
Les peuples de l’Empire romain. — Il faut distinguer entre Romains et Romains. Le Romain du iiie siècle avant notre ère est le citoyen de la ville de Rome, citoyen, c’est-à-dire exclusion faite des étrangers établis dans la ville et des esclaves. Ces deux dernières catégories appartenaient d’ailleurs, à peu d’exceptions près, aux populations italiennes les plus voisines. Le Romain du iiie siècle de notre ère n’a du premier que le nom. Il descend de Gaulois, de Grecs, d’Ibères, d’Africains, de Syriens conquis et assimilés, mais il n’a d’ordinaire aucune goutte de sang des Quirites, même quand il habite à Rome. Pour distinguer les Romains des deux époques, les Allemands ont deux mots. En français, un seul, ce qui est assez dans l’esprit de la nation, disposée en toutes choses à regarder surtout l’étiquette.
Il existe encore une prodigieuse quantité de cimetières romains. On en défriche chaque année un grand nombre, et le rétablissement des vignobles, entraînant des défoncements plus profonds, a causé la ruine de nécropoles entières. Beaucoup de ces cimetières ont été pillés par les archéologue, aussi dangereux que les phosphatiers pour l’anthropologie. Dans beaucoup de régions de l’Empire, les Romains avaient acclimaté la crémation, qui a duré, d’une manière plus ou moins générale, jusqu’au triomphe du christianisme. Les cimetières n’auraient donc pas tous fourni des crânes et des tibias, mais on aurait cependant fait de très amples récoltes, si on l’avait voulu. En général, on n’a pas daigné. Des crânes néolithiques, passe encore, mais à quoi bon recueillir des crânes gallo-romains ? Ce raisonnement pèche. Il serait d’un haut intérêt de savoir exactement, et par régions limitées, la répartition géographique et sociale des races au commencement de notre ère.
Les documents tangibles sont donc assez peu nombreux, et qui plus est, presque tous inédits.
Pour Rome et l’Italie, nous avons quelques séries publiées par Nicolucci, par Sergi et d’autres. Dans son Antropologia del Lazio (Napoli, 1873), Nicolucci attribue à une série de 44 Latins anciens les données suivantes : longueur 184, largeur 144, indice 78.2, capacité 1.525. Une série de 19 femmes donne 176, 138, 78.4, 1.338. Le type dominant est un contractus modifié. Six crânes romains d’Arpino publiés par Hamy (Crania, 117) donnent un indice un peu plus faible, 77.2. Dans son Antropologia dell Etruria, Nicolucci avait attribué à une série de 50 crânes romains l’indice 77.4. Cent crânes de Pompéi donnent 77.5. L’indice est un peu plus faible dans le midi, un peu plus fort dans le nord de l’Italie, mais on ne connaît pas de série dont la moyenne dépasse 80. À mesure qu’on s’éloigne du Latium vers le nord, c’est Europæus qui remplace contractus comme type fondamental, et vers le sud c’est meridionalis, mais on trouve partout les trois races, et avec elles divers brachycéphales et même de vrais Acrogonus, aussi bien dans les cimetières romains de Palerme que dans ceux du Trentin. En somme, le nord seul diffère profondément par l’indice dans le temps, le relèvement moyen ayant été d’une ou deux unités seulement dans le midi et le centre, et de quatre à sept dans le nord.
Pour la Gaule, les séries publiées, ou qui sont à ma disposition, ne permettent pas encore de faire un travail d’ensemble. Mon ami Carrière a réuni au Musée de Nîmes une belle série de crânes gallo-romains, dont beaucoup trouvés dans des sarcophages avec noms. Tous sont au-dessous de 80, et les types dominants sont Europæus et meridionalis, celui-ci assez abondant pour abaisser l’indice à 75 environ, malgré la présence d’un peu de sang brachycéphale dans les mélanges. Les séries de l’Hérault sont aussi très riches, et surtout celles de ma collection, de la collection Marignan et du Laboratoire de zoologie de l’Université de Rennes. Le type Europæus domine d’une manière très marquée, pur ou croisé avec meridionalis et contractus. Ce dernier est représenté par plusieurs femmes dans les séries de Gignac, Tréviès, Restinclières. À Gignac, les plus anciennes tombes sont à peu près du viie siècle avant notre ère. Marignan y a trouvé une stèle à raquette de type villanovien très caractérisé. Les plus récentes sont à peu près d’époque carolingienne, sans qu’il y ait intérêt à distinguer, les races ayant très peu varié. Il existe aussi dans les séries de Castelnau une très grande quantité de crânes d’époque romaine, mais l’indice est relevé par la présence de nombreux crânes de date postérieure. On a inhumé à Castelnau depuis l’époque argarienne jusqu’à nos jours. Les indices des diverses séries romaines de l’Hérault varient entre 75 et 77. Castelnau en bloc donne 78.1. Les séries de la région biterroise et de l’Aude sont entre 74 et 76.
Pour l’Aveyron 7 crânes de l’époque impériale donnent 70.2, à peine plus que les 5 crânes du premier âge du fer.
Presque tous ces crânes sont purement ruraux et proviennent de sépultures sans mobilier ou avec des mobiliers très pauvres. Je rappelle qu’aujourd’hui les indices du Gard, de l’Hérault et de l’Aveyron sont sur le vivant 83.1, 81.3 et 86.0.
Dans le nord, l’aspect général des séries gallo-romaines est un peu différent. M. de Maricourt a étudié 23 crânes gallo-romains de Hermes (Les sépultures de l’Oise, Congr. scient. des catholiques, 1888, II, 710-717). Il y a six crânes de 80 et au-dessus. L’élément meridionalis est remplacé par des brachycéphales et probablement contractus joue un rôle important. Nous savons déjà que depuis longtemps les brachycéphales occupaient l’Est et les régions voisines avant de s’être multipliés sur le plateau central. A l’époque gallo-romaine le Nord est toujours plus brachycéphale que le Midi : c’est aujourd’hui l’inverse. La série va de 73 à 85, la moyenne qui n’est pas donnée doit être comprise entre 78 et 79. L’indice du vivant dans l’Oise est aujourd’hui 82.6, et il faut tenir compte de ce que la nécropole d’Hermes était un cimetière rural.
Dans beaucoup de cimetières francs on trouve une minorité de femmes franques, et une majorité de femmes d’un type indigène qui se rapproche beaucoup de contractus. Le fait a été reconnu par Hamy dans les cimetières du Boulonnais, par Coutil à Muids (Eure), et paraît à peu près général dans l’Est et dans le Nord. En Belgique ce type dérivé de contractus est très rare. L’indice des séries féminines de cette catégorie varie de 78 à 80. Il semblerait que le résultat de l’usure sociale en Gaule et dans l’ancienne Italie ait été ce type dérivé de contractus, comme le brachycéphale est celui de l’usure des populations médiévales et modernes en France et dans l’Europe centrale. Ce résidu ancien, bien que tendant à la brachycéphalie, n’a rien de commun ni comme indice ni comme faciès avec celui dont Alpinus est le type le plus connu.
Dans les cimetières de date tardive, l’élément Europæus augmente et l’on reconnaît aisément le type germanique. Ce renforcement de l’élément aryen, surtout dans les campagnes, est marqué au point que certaines nécropoles pourraient, si les armes ne faisaient défaut, être prises pour des cimetières de l’époque mérovingienne. L’histoire nous explique cette apparente anomalie. Pendant quatre siècles, les Barbares ont été reçus, quelquefois par centaines de mille, sur le territoire de l’Empire, et leurs bandes réparties dans les régions incultes. Cette invasion interstitielle, favorisée par la politique impériale pour compenser l’insuffisance de la natalité, introduisit au moins cent fois autant de sang barbare que les invasions armées.
Nous sommes très loin du temps où l’on concevait l’établissement des Barbares dans l’Empire comme un fait unique et violent, une conquête brutale par des bandes armées. En réalité les populations germaniques, à l’étroit sur un sol infécond, ne cherchaient dans les conquêtes qu’un moyen de se procurer des terres. Dès l’époque néolithique, l’agriculture était répandue jusqu’en Scandinavie, où l’on a trouvé des grains d’orge dans la pâte de poteries de date antérieure au bronze. Il suffit de relire les historiens romains pour comprendre le caractère de cette mendicité armée, de ces nations se présentant à la frontière pour demander des terres, et acceptant, pour les recevoir, d’être désarmées, dispersées et réduites à un état légal défini par les constitutions impériales, supérieur à l’esclavage car l’homme reste de condition libre, mais inférieur au servage, car il est plus étroitement rivé à la glèbe.
La population serve du Moyen Age, il ne faut jamais l’oublier, descendait en très grande partie de ces colons barbares. La classe serve est la continuation de celle des esclaves gallo-romains et des colons germains, avec quelques éléments en plus et en moins.
Pour n’avoir pas à y revenir, je ferai remarquer que les Germains de la conquête se fixèrent aussi, presque sans exception, dans les campagnes, où une partie déterminée des terres cultivables leur fut attribuée. Livi, dans un travail récent (La distribuzione geografîca dei caratteri antropologici, Riv. it. di sociol., 1898. 415-433) cherchait à expliquer la moindre brachycéphalie des urbains en France par l’établissement des Germains dans les villes, et par la survivance de leurs descendants depuis la conquête. C’est une double hérésie. Les Germains ont à peu près délaissé les villes aux Gallo-Romains, et il suffit de parcourir les documents du temps pour se rendre compte que les rois eux-mêmes semblaient fuir la vie urbaine. Quant à supposer qu’il puisse subsister encore dans une ville quelconque une seule famille datant de quinze siècles, je n’oserais pour ma part le faire, tant cette hypothèse, même restreinte à un cas unique, serait invraisemblable en présence des lois bien connues de l’extinction des populations urbaines.
Les monuments figurés d’époque impériale sont innombrables : statues, bas-reliefs et médailles. Les mosaïques et les peintures renseignent à la fois sur les formes et les couleurs. Il serait utile de faire un travail d’ensemble sur ces documents mais on ne possède jusqu’ici rien de semblable, tout au plus des études partielles et d’ordinaire faites sans esprit scientifique.
La littérature latine est riche en mentions de couleur. Les Romains de la décadence et leurs parasites sont dépeints par les poètes et les historiens, plus par les premiers que par les seconds. Je laisse de côté tout ce qui concerne les personnages mythologiques : l’influence des Grecs est visible et rend les témoignages de leurs copistes plus que suspects.
La Delia de Tibulle est blonde (I, v), mais le poète est brun (III, v). Martial parle de plusieurs personnages blonds : Claudia Rufina (xi, 53, 1), Zoïle (xii, 54, 1), la femme de Vacerra (xii, 32, 4), Philoenis (ii, 32, 2), mais il s’en trouve autant de bruns : Olus (iv, 36, 1), Clytus (viii, 64, 7), Meloenis (vii, 29, 8), Lycoris (vii, 13), Chione (xii, 34). Le Lycus d’Horace est brun (O., i, 32, 11), Telephus (O., iii, 19, 25) l’est aussi, mais les femmes sont blondes : Pyrrha (O., i, 5, 4), Phyllis (O., ii, 4, 14), Chloe (O., iii, 9, 19). Juvénal nous apprend que Messaline avait les cheveux noirs (vi, 120). La Cynthie de Properce, une grande dame bien romaine, était grande et blonde (El. 2). La Lydie de Gallus est blonde, blonde Gentia (Fr. 2), et aussi le prétendant de Lycoris. Blond, le berger Alcon de Calpurnius (vi, 15). De trois personnages, tous trois féminins, dépeints par Claudien, Maria Fescennina, épouse d’Honorius, est brune (x, 265), Celerina, fiancée de Palladius, est blonde, mais comme Claudia Rufina, elle est d’origine barbare : « patrium flavis testatur crinibus Istrum » (xxxi, 125), Serena, mère de Maria Fescennina, est brune (x, 242). Ovide était brun (Trist., 14, 8, 1) et ses amies Chio et Pitho, Grécules et mérétricules, étaient blondes (Am., iii, 7, 23). L’Africain Apulée nous apprend que lui-même était grand, mince, coloré sans être rubicond et que sa chevelure était blonde.
En résumé, beaucoup de bruns, et en revanche beaucoup de blondes, mais nous savons que les dames de ce temps ne dédaignaient point de se teindre. Elles portaient même au besoin perruque : « Nunc tibi captivos mittit Germania crines », disait déjà Ovide (Am., i, 1). V. aussi Properce, El., II, xiv, 25 ; Caton, Or. ; Tertullien, De cultu femineo ; Pline, xxvi, 93, 1.
Ammien Marcellin décrit d’une manière assez complète plusieurs empereurs de son temps : Constance, brun et trapu (xxi, 16), Valentinien, grand blond aux yeux bleus (xxx, 9), Valens, qui était brun (xxxi, 14). L’agitateur Valvomeres est grand et roux (xv. 7).
Cresconius Corippus nous représente blonds deux hauts personnages militaires, Marcentius (Johan., iv, 534), et Gentius (iv, 473).
Horace avait du goût pour le type brun (A. P., 36) :
« Spectandum nigris oculis nigroque capillo. »
Ovide aimait et la brune et la blonde (Am., ii, 4, 39) :
« Candida me capiet, capiet me flava puella ;
est etiam fusco grata colore Venus.
Seu pendent nivea pulli cervice capilli,
Leda fuit nigra conspicienda coma ;
seu flavent : placuit croceis Aurora capillis. »
Maximianus était éclectique et son idéal composite (El., I, 92) :
« Aurea caesaries, demissaque lactea cervix.
Vultibus ingenuis visa decere magis,
nigra supercilia, et frons libera, lumina clara. »
Germains. — La piété nationale des Allemands a sauvé un nombre considérable de crânes germains, et, pour je ne sais quelle raison, les restes des envahisseurs barbares ont été aussi recueillis chez nous en grand nombre. Les collections renferment beaucoup plus de crânes francs que de gaulois. Ces documents sont d’ailleurs presque tous inédits, enfouis dans des collections privées, ou qui pis est, dans des collections publiques mais soigneusement fermées aux anthropologistes étrangers à la maison. Le type de ce dernier genre est le Museum, où je n’ai jamais pu étudier un crâne autrement qu’en vitrine, aux heures d’ouverture, même et surtout ceux emportés jadis par Gervais, et qui appartiennent à la Faculté des Sciences de Montpellier.
Le Germain des Reihengräber allemands est presque toujours un Europæus plus ou moins pur, mais il ne faudrait pas croire que les séries soient exemptes d’éléments étrangers. Kollmann a publié (Korresp.-Blatt für Anthr., 1882, 107) le tableau de 675 crânes germains d’Allemagne. L’indice est bien en moyenne de 75, mais la série va de 64 à 92, c’est-à-dire qu’elle comprend aux deux extrémités des éléments étrangers tout à fait purs, meridionalis, Alpinus, contractus, acrogonus. Les indices au-dessous de 70 ne font d’ailleurs que 6%, mais ceux au-dessus de 80 font 15 %.
L’indice des Germains passés en Gaule est à peu près le même. Hovelacque a trouvé sur une série de Burgondes de Savoie 75.4. La série, composée de 14 sujets, va de 72.4 à 78.7. L’indice nasal est 40, l’indice orbitaire 85 (Le crâne des Burgondes, R. d’Anthr., 1879, 205-209). Le type de Belair de Rutimeyer et His (Crania Helvetica) est établi d’après des crânes burgondes. L’indice est 73.8.
Hamy donne pour indice des Francs de Wasselonne 74.2 (Crania ethnica, 499). Les séries de France oscillent autour de 75. Une série de 98 Francs de Hernies, étudiée par M. de Maricourt dans son mémoire sur les sépultures de l’Oise, se répartit ainsi : de 65 à 69, 7 ; de 70 à 75, 51 ; de 75 à 79, 37 ; de 80 à 85, 3. Les éléments hétérogènes sont peu nombreux. L’indice nasal est 49, contre 45 chez les Gallo-Romains.
Broca donne pour une série de 31 crânes du cimetière de Chelles, du ve au viiie siècle, 70.3. Dans la région des Vosges, l’élément brachycéphale est très sensible à l’époque mérovingienne. Une série de crânes du Vieil Aitre, décrite par Collignon (Observations sur les crânes du Vieil-Aitre, Mém. Soc. d’arch. lorraine, 1895), comprend sept sujets très dolichocéphales, en moyenne 72, et deux très brachycéphales, à 90 et 91. C’est la région de la haute brachycéphalie préhistorique, et les mesures de Blind montrent qu’au Moyen Âge les Vosges étaient très brachycéphales. Dans l’Eure, Coutil a trouvé trente crânes de l’époque mérovingienne dans un cimetière de type barbare. L’indice va de 67.7 à 83 pour les hommes, de 70 à 87.7 pour les femmes, au nombre seulement de 6. L’indice moyen des hommes est 76.6, ce sont des Germains presque purs, celui des femmes est 80.7, ce sont des indigènes (Coutil, Cimetière mérovingien et gallo-romain de Muids, AFAS, 1894, 761-708). À Paix, près les Andelys, le même chercheur a déterré une série de même époque dont l’indice est 76. Les cimetières mérovingiens de Normandie étudiés par Serres, par Cochet, ont donné à peu près les mêmes résultats, sauf quand une série de femmes indigènes venait se superposer à celle des barbares.
Dans son mémoire sur les Crânes du Boulonnais (Anthr., 1893, IV, 513-534), Hamy est arrivé à des résultats semblables. A Hardenthun les indices sont pour les hommes : céphalique 73.0, orbitaire 87.1, nasal 41.1, facial 71.3. Pour les femmes, ils deviennent 75.9, 86.8, 51.0, 67.7. Pour les séries du Boulonnais, les indices sont moins différents, hommes 73.2, femmes 74.2. Les séries de Hamy sont de race plus pure, et l’élément féminin gallo-romain n’intervient qu’à Hardenthum. L’auteur a très bien distingué la fonction perturbatrice et éliminatrice de l’élément indigène, contractus plus ou moins altéré. Il est regrettable qu’il ne donne pas plus souvent de pareilles monographies, et que le seul anthropologiste officiel de France ne publie presque rien sur l’anthropologie.
En Belgique, l’indice céphalique est presque toujours plus bas qu’en France ; les séries féminines indigènes sont gauloises et n’apportent pas de perturbation dans l’indice céphalique et l’indice nasal (Houzé, Les Francs des cimetières de Belgique, Bull. Soc. d’Anthr. de Bruxelles, 1892).
Gildemeister a étudié une série de 72 cranes provenant de tombes des environs de Brême analogues aux Reihengräber. Les indices sont pour les hommes : céphalique 73.6, nasal 46.6, pour les femmes 71.4 et 47.9. L’indice céphalique des femmes est relevé surtout par la présence de quelques crânes d’un type analogue à celui qu’il appelle batave et dont la moyenne est 79. Ce type prétendu batave a de remarquables analogies avec contractus, dont il paraît un dérivé par croisement. Cette analogie permet de se demander si le type contractus n’a pas eu autrefois une grande extension, à une époque postérieure au néolithique, antérieure au Moyen Age, mais jusqu’ici impossible à préciser. Le Graverow-typus de Gildemeister est celui des Germains de la région maritime. Il est purement Europæus. Nous le retrouvons en Angleterre dans les tombes anglo-saxonnes. Beddoe, dans son mémoire sur l’Histoire de l’indice céphalique dans les Îles Britanniques, auquel je renvoie pour plus amples détails, donne pour indice de 70 crânes saxons masculins 74.6, et de 30 féminins 75.3, en moyenne 74.8. Le crâne saxon est d’ailleurs aussi difficile à distinguer du breton que celui du Germain l’est du gaulois. La série totale de 100 Saxons va de 65 à 82, les éléments hétérogènes sont donc représentés par une demi-douzaine de sujets plus ou moins nettement métissés. On trouvera dans le Crania britannica de bonnes figures, accusant le type Europæus le plus marqué.
En Scandinavie, les crânes de l’époque du fer sont Europæus, à peu près sans exception.
Si l’on se reporte vers l’est et le sud de la Germanie, les documents deviennent plus rares. En Bavière, Ranke a trouvé 14 % de crânes au-dessus de 80 dans une série de 200 sujets des Reihengräber. En Autriche, la proportion est à peu près la même. En Bohème, le seul crâne germain décrit dans le Crania bohemica de Matiegka provient de Uherec ; les indices sont : céphalique 73.4, orbitaire 82.0, nasal 41.5.
Le type des Germains est donc profondément homogène. Quand dans une série les crânes voisins de 80 deviennent nombreux, c’est qu’il s’y trouve compris des crânes de femmes indigènes. Quand les Germains ne se trouvent pas superposés à des éléments de ce genre, l’indice oscille autour de 74 ou 75 et le type est franchement Europæus.
Les Francs présentent souvent une anomalie. La face est trop courte, le nez trop large et pas assez haut, indice 51 au lieu de 46. Le faciès a des analogies avec le spelæus pour quiconque ne connait pas ce dernier d’une manière exacte. Un examen plus approfondi montre que ces sujets, fréquents dans certains cimetières de France, très rares en Belgique et dans la région du Rhin, n’ont aucun rapport généalogique avec spelæus.
Les caractères particuliers de ce dernier, surtout ceux de l’apophyse orbitaire externe et de la base de l’occipital sont absents. La première est arrondie, au lieu d’être droite, la seconde est renflée au lieu d’être aplatie. Ces sujets anormaux me paraissent le résultat d’un croisement malheureux avec contractus. La morphologie de la face est intermédiaire, le crâne à peine modifié, dans sa partie occipitale seulement. Il est probable que beaucoup de sujets énéolithiques et sidérolithiques rapportés légèrement à spelæus sont seulement le résultat de pareils croisements, et il est possible que le type néandertaloïde de Restinclières se rattache aux mêmes origines. Je puis, en tout cas, être affirmatif pour certaines séries énéolithiques des grottes cévenoles, spécialement certains exemplaires du musée de Nîmes publiés par Carrière.
Lehman Nitsche (Die Körpergrosse der Sudbayerischen Reihengräberbevölkerung, Beiträge zur Anthr. Bayerns, 1894, xi) a étudié sur de grandes séries et d’après la méthode de Manouvrier la taille des Germains de la Bavière. En distinguant les sexes, il attribue aux Bajuvares 1.68 et 1.57, aux Souabes et aux Alamans 1.68 et 1.53. La taille moyenne des Francs varie suivant les régions et le degré de pureté des séries entre 1.66 et 1.68. La taille des Saxons et Germains de la région maritime varie de 1.67 à 1.69. En somme, la taille est un peu plus grande que celle des Gaulois, plus grande encore que celle de l’Europæus néolithique, mais inférieure à celle des Anglais, des Scandinaves, des Américains de nos jours. La moyenne a augmenté depuis 1 500 ans de deux unités, c’est-à-dire autant que pendant les quatre millènes précédents, et le rythme d’accélération paraît s’accuser encore chez les populations actuelles de type Europæus.
Comme renseignements sur la couleur, nous avons quelques restes de cheveux blonds trouvés dans diverses sépultures nordiques, de rares peintures et mosaïques d’époque impériale, et les documents littéraires.
J’ai déjà cité à divers propos plusieurs passages où il est question des Germains : celui de Galien, qui les compare aux Scythes pour la chevelure rousse (Περὶ κράσεων, ii, 5, v. p. 78 et 252), celui de Manilius (Astronomicon, iv, 713) : « Flava per ingentes surgit Germania partus. » On trouvera également à la note relative aux textes concernant les Gaulois des passages de Denys le Periégète, de Strabon, et un troisième passage de Galien, tous assimilant pour le physique les Gaulois et les Germains, ainsi qu’un texte de Tertullien dans le même sens. Je renvoie en note les textes classiques concernant les Germains, et quelques textes byzantins[72].
Dans tous ces textes il n’est question que du type dolicho-blond. Il faut se reporter à un passage bien connu de la Rigsthula2 pour apercevoir, sous la couche aryenne, une couche ethnique rousse et subordonnée, et encore sous celle-ci, une race foncée, demi-sauvage ou esclave. Je ne crois pas utile d’insister beaucoup sur les Germains. Wilser et Penka se sont livrés dans leurs divers travaux à des développements étendus, qui me permettent de ne point parler des diverses divisions des peuples germaniques, de migrations et de leurs habitats successifs. C’est la région Scandinave, ou plus exactement la région entre la Baltique et la Mer du Nord, qui parait avoir été leur berceau.
Slaves. — De la brachycéphalie des populations du Plateau central, Broca s’était cru autorisé à conclure à la brachycéphalie des anciens Celtes. Retrouvant en Pologne et jusqu’aux environs de Moscou les mêmes indices, il avait conclu à la brachycéphalie des Slaves, et réuni les deux peuples en une seule race, qu’il appela celtique ou celto-slave. Cette doctrine très risquée reste en crédit auprès du public, mais elle est aussi fausse pour les Slaves que pour les Celtes. Tous les documents ostéologiques et historiques nous montrent dans les Slaves un ensemble de populations dolichocéphales et blondes, mais il faut aller chercher les premiers dans les très anciens cimetières, et les seconds dans les plus anciens textes, car dans les pays slaves comme dans la France centrale le vieux fonds Europaeus est aujourd’hui dissimulé par un développement prodigieux de populations brachycéphales. En d’autres termes les Polonais, les Galiciens, les Serbes ne sont pas plus slaves que les Lozerots ou les Aveyronnais ne sont celtes.
On possède peu de crânes de Slaves occidentaux, c’est-à-dire des tribus voisines de la Baltique et de l’Elbe. Un crâne du Löchnitz, décrit par Virchow (Ein im Bette der Löchnitz gefundener Schadel, Verh. der Berliner Gesellschaft fur Anthropologie, 1895, XXVI, 424-425) est nettement dolichocéphale. Virchow a décrit un autre crâne semblable du cimetière slave de Neuburg, près Potsdam, indice 74.7 (Slavische Schädel, Verh., 1895., xxvii). On en a trouvé une douzaine dans ce cimetière, tous pareils, et de type Europæus très pur. Les divers autres crânes slaves occidentaux ne diffèrent en rien des germaniques. La population du Brandebourg, nettement dolichoïde, descend en majorité de ces Slaves. Celle de la Saxe a été au contraire amenée à un indice supérieur à 80 par la multiplication des brachycéphales.
Ce phénomène s’est produit avec plus d’intensité dans les pays occupés par les Slaves du Sud. Les Serbes, les Croates, les Bosniaques sont aujourd’hui brachycéphales, à 83 et au-dessus. Les immigrants slaves du même nom étaient au contraire de type Europæus. Le nom reste, la race a changé. En Bosnie l’élément serbe a été absorbé de bonne heure. Weisbach a décrit (Altbosnische Schädel, Mitth. der anthrop. Gesellsch. in Wien, 1897, xxvii, 80-85), une série de 14 crânes du Moyen Age et modernes, qui va de 78.2 à 88.5. L’indice a donc peu changé depuis quatre siècles. Cela est d’autant plus curieux que les Slaves s’étaient superposés eux-mêmes à une population plutôt dolichocéphale, le cimetière halstattien de Glasinatz donnant 76 % de dolichocéphales, et les tombes d’époque romaine indiquant la continuation de l’ancienne population jusqu’à l’arrivée des Serbes. De la Serbie propre on a quelques crânes serbes anciens, tous dolichocéphales. De même pour les Croates.
Nous sommes bien documentés sur les Slaves du Centre par le Crania bohemica de Matiegka (Prag, Gautsch, 1891) Une série de 110 crânes, allant de 62 à 91, donne une moyenne de 78.02. L’indice orbitaire est 82.6, l’indice nasal 50.1. Un écart de 30 unités prouve un profond mélange de races. Les planches montrent en effet de tout. Le type dominant est Europæus, mais on y trouve aussi contractus (Libcan 2 b), le type de Borreby (Libsic 3 b), et divers métis brachycéphales d’un classement plutôt difficile. Le crâne 10 de Lévy Hradec me parait meridionalis ou de la très ancienne forme d’Europæus fréquente dans les long-barrows anglais. Ce type est le plus ancien en Bohême, il se retrouve à toutes les époques depuis la pierre polie, en proportion décroissante. L’élément brachycéphale n’apparaît que dans les cimetières les moins anciens, et d’abord dans l’Ouest et le Sud-Ouest. Chose singulière, cet élément est surtout abondant parmi les femmes. Les crânes brachycéphales féminins représentent 52 %, les masculins 32.8. Les crânes dolichocéphales vrais féminins ne font que 9.5 %, les masculins 28.1. L’écart est trop fort pour pouvoir être attribué à la différence sexuelle des indices dans une même race. La forme contractus, ici comme partout, est propre surtout aux femmes.
La marche de l’indice en Bohême est la suivante. Époques de la pierre et du bronze 72.2, époque du fer, près de 80, époque slave 78, xvie siècle 81.7, cimetières contemporains 83.3. L’indice actuel du vivant est 85, à peu près celui des Aveyronnais. Il est profondément comique de voir, sous prétexte d’antagonisme de race, les Tchèques et les Allemands de Bohème en venir aux mains. Qu’il parle tchèque ou allemand, l’habitant actuel du losange bohémien n’est ni slave ni germain, mais brachycéphale. Puisse cette sentence réconcilier les frères ennemis !
Dans les cimetières slaves de Pologne, l’élément Europæus se superpose à un substratum brachycéphale représenté par des femmes. Ce substratum n’est d’ailleurs connu que par les sujets trouvés dans les tombes slaves. J’ai déjà parlé du cimetière de Slaboszewo, où les hommes ont un indice de 74.3 et les femmes un indice de 78.4, et je prie le lecteur de se reporter à la page 237.
Les Slaves de Russie, reconnaissables comme ceux du centre et de l’ouest à leurs pendants d’oreilles en S et à d’autres ornements particuliers, se retrouvent en grands cimetières dans la région voisine de la Pologne. Ils n’ont pénétré plus loin qu’à une époque tardive, en plein Moyen Age. Sur toute l’étendue des territoires qu’ils ont occupés on les retrouve avec le même type Europæus que dans l’Europe centrale. La proportion de brachycéphales est plus forte au voisinage de la Pologne, comme si les brachycéphales ordinaires étaient venus de la région des Carpates. Vers l’Oural, on retrouve encore des brachycéphales en nombre, mais de race hyperboreus. Cette répartition est la même qu’à l’époque scythique, et les Slaves ne se différencient pas des Scythes, identiques eux-mêmes aux indigènes préhistoriques par tous leurs caractères physiques. Les peuples, les civilisations, les langues ont changé dans les vicissitudes des migrations, la race est la même. Les brachycéphales seulement deviennent plus nombreux dès le commencement de notre ère, et se multiplient, s’étendent au Moyen Age, surtout à la suite de la conquête et de la domination mongoliques. Le vieux fonds scythe et slave a été altéré d’une manière ineffaçable par la superposition des Mongols. Finalement vaincus, les Asiatiques sont presque tous restés dans le pays, et leurs descendants contribuent à placer la Russie parmi les peuples relativement brachycéphales.
Le guide le meilleur pour l’époque slave est toujours Bogdanow. Je reproduis simplement les principaux chiffres. Dans la région de Kiev, les crânes préhistoriques réunis ne comprennent que 33 % de sujets au-dessus de 80 ; dans les séries slaves, on en compte 38, et dans les séries du Moyen Age 36. Dans la région de Novgorod, les brachycéphales, rares avant le Moyen Age, atteignent au contraire 49 % à cette époque. Chez les Bulgares de Kazan, 24 % de brachycéphales ; on en compte aujourd’hui 25 chez les Bulgares du Danube. Les kourgans slaves de Tschernigow contiennent seulement 14 % de brachycéphales, les tombes du xiie et du xiiie siècle en contiennent 53. Chez les Mérianes de Jaroslaw, 14 % de brachycéphales. Dans la région de Moscou, les brachycéphales, assez peu nombreux dans les tombes préhistoriques et slaves, atteignent 53 % dans les cimetières du xvie au xviiie siècle. C’est surtout sur ce point que la richesse des séries a permis de suivre les progrès de la brachycéphalie.
Les documents littéraires sont assez nombreux, les Byzantins, les voyageurs arabes et juifs ayant décrit assez souvent les Antes, les Russes et autres Slaves. Les Antes étaient grands et d’un châtain roux, selon Procope, De bello Gothico, iii, 14 : « Εὐμήκεις τε καὶ ἄλκιμοι διαφερόντως εἰσὶν ἄπαντες, τὰ δὲ σώματα καὶ τὰς κόμας οὔτε λευκοὶ ἐς ἄγαν ἢ ξανθοὶ εἰσιν οὔτε πη ἐς τὸ μέλαν αὐτοῖς παντελῶς τέτραπται, ἀλλ’ ὑπέρυθροὶ εἰσιν ἂπαντες ». C’est à peu près la description des Alains par Ammien, xxxiii, 2 : « Proceri autem Alani pœne sunt omnes et pulchri, crinibus mediocriter flavis, oculorum temperata torvitate terribiles. » Ahmed ben Foszlan, Schem Eddin, Ibn Hankal nous montrent au contraire les Russes de la Volga grands comme des palmiers, jaunes ou rouges de poil. Cette différence semble montrer que les Antes étaient déjà altérés par le croisement avec les brachycéphales, et que la race des Russes était plus pure. Aujourd’hui, comme on peut le voir par la carte de Ripley, l’indice est plus faible dans la région russe que dans celle qui avoisine la Pologne.
Moyen Age. — Le Moyen Age est caractérisé par le développement graduel des brachycéphales, sauf en Angleterre et dans les péninsules ibériques et italique. De siècle en siècle la proportion des brachycéphales va augmenter, et leurs aires de répartition feront tache d’huile, devenant plus grandes et tendant à se réunir. Ce phénomène se suit d’une manière régulière de l’Atlantique à l’Oural. Dans les Îles Britanniques seulement la proportion des brachycéphales ne tendra pas à s’accroître, mais à diminuer, et cette tendance ira en s’accusant à mesure que la tendance inverse deviendra plus marquée sur le continent.
Cette substitution rapide d’une race à une autre, sans invasion, sans combat, par le seul effet d’une aptitude inégale à la servilité, voilà certes un problème d’histoire sociale des plus importants et des plus faciles à résoudre. Les cimetières du Moyen Age et des temps modernes sont en nombre infini, les ossements sont en bon état, les matériaux devraient donc abonder. Que nous sommes loin cependant de connaître siècle par siècle et province par province la marche progressive de l’inondation brachycéphale ! C’est tout au plus si quelques séries ont été publiées dans chaque grande région de l’Europe.
Dans l’Aveyron, la série urbaine du Moyen Age compte 25 crânes de Rodez compris entre 75 et 84, moyenne des hommes 78.7, des femmes 79.9. Une série rurale de Sainte-Radégonde a pour indice 78.6. Cette moyenne est confirmée par la dolichocéphalie des crânes d’autres cimetières aveyronnais du Moyen Age, jugés à vue. Avant le xiie siècle la brachycéphalie n’était représentée, même dans les campagnes, que par une minorité d’individus. Dans l’Hérault, le Tarn, le Tarn-et-Garonne, le Gard, les séries, même rurales, du Moyen Age, sont toujours au-dessous de 80. L’indice varie aujourd’hui entre 82 et 86.
À Paris, la marche de l’indice est la suivante : Saint-Marcel, ive au viiie siècle, 77.6, Saint-Germain-des-Prés, viiie siècle, 78.4. Cité, xiie siècle, 79.1. L’élément Alpinus, rare au début, abondant à la fin du Moyen Age, élimine rapidement l’élément Europæus et le contractus. Depuis la fin du Moyen Age, l’indice a cessé de s’élever. Il tendrait aujourd’hui à descendre, et les Parisiens sont de trois unités environ au-dessous de la moyenne des Français.
Dans sa thèse de doctorat, Blind a publié d’importantes séries des Vosges d’Alsace (Mittheilungen über… Schädelformen der elsässischen Bevölkerung, Strasbourg, 1897). Nous trouvons la brachycéphalie installée dès le xie siècle. Elle ne fait pas de progrès depuis. A Scharrachbergheim, xie siècle, 84.03, Zabern, xii-xiiie, 84.2, Ammerschweyer, xive, 84.3, Dambach, xive 82.6. Dans ces régions, l’indice du vivant est aujourd’hui 85 environ.
Ranke vient de publier une importante série de Lindau en Bavière, datant du xe au xiie siècle (Frühmittelalterliche Schädel aus Lindau, Sitz. der bayer. Akad. der Wissenschaften, 1897, xxvii). Le pourcentage des indices, comparé à celui des époques antérieure et postérieure donne :Reihengräber de Bavière. |
Lindau | Ossuaires bavarois modernes. | |
Dolichocéphales | 42 | 32 | 1 |
Mésaticéphales | 44 | 36 | 16 |
Brachycéphales | 14 | 32 | 83 |
Le travail de Ranke montre avec une rare netteté le procès d’élimination d’Europæus au bénéfice de la race servile.
Nous avons vu la brachycéphalie s’installer au Moyen Age en Bosnie et en Bohême. Pour la Russie, nous avons de même les chiffres de Bogdanow sur lesquels je ne reviendrai pas.
En Angleterre, Beddoe a trouvé sur 135 crânes du Moyen Age l’indice 78.5, correspondant à 80 sur le vivant. La série va de 70 à 87, avec des cas isolés : 64, 67 et 90. La brachycéphalie, commune à l’époque du bronze, tend ainsi à reprendre le dessus, mais pour peu de temps. Au Moyen Age l’Angleterre avait un indice très voisin de celui de la France, mais tandis que la France marchait avec une vitesse croissante vers l’indice actuel du vivant 83.0, en Angleterre le mouvement inverse ramenait l’indice du vivant à 77.6, et celui du crâne sec à 76. Les îles Britanniques devenaient ainsi sans cesse plus aryennes, l’Europe continentale sans cesse plus brachycéphale.
Les documents figurés du Moyen Age abondent. Les miniatures dont sont ornés les manuscrits sont parfois naïves et presque inutilisables, mais il y en a beaucoup dont les personnages sont très nettement figurés. En général les personnages sacrés ou de haute classe sont blonds, élancés, les exceptions sont rares. On trouve au contraire beaucoup de types brachycéphales parmi les vilains, les étrangers, les démons.
Il en est de même pour la littérature. Autant les anciens ont été économes de portraits écrits, autant les écrivains du Moyen Age aiment les multiplier. Depuis le commencement de notre ère jusqu’à nos jours le besoin de représenter les personnages s’accuse et grandit. Il ne faudrait pas prendre au pied de la lettre les descriptions de personnages historiques, quand elles sont faites à une époque tardive, et surtout par les poètes, mais les types généraux sont exacts. Le trouvère, par exemple, en décrivant ses chevaliers ou ses grandes dames, ne peut guère s’écarter des caractères habituels de la classe aristocratique de son temps.
Les données sont nombreuses dans les œuvres des historiens, encore plus dans les chansons de geste. La thèse de Loubier (Ideal der Schönheit bei den altfranzösischen Dichtern, Halle, 1890) contient le relevé de tous les passages des écrivains de langue d’oïl du xiie et du xiiie siècle. Ce riche répertoire est une mine ouverte, à laquelle je renvoie le lecteur. Un travail analogue avait été commencé sur les poètes de langue d’oc par un de mes élèves, qui l’était aussi de M. Chabaneau. Ce travail n’a pas été terminé. Pour la littérature allemande un répertoire semblable à celui de Loubier avait été dressé par Alwin Schutz (Quid de perfecta corporis humani pulchritudine Germani sæculi xii et xiii senserint, Breslau, 1866).
Le portrait d’Auberi nous donne l’ensemble presque complet des caractères physiques du parfait chevalier. Il existe plusieurs portraits aussi complets, celui d’Auberi est le plus concis :
Moult le voit grant et creu et formé
Et avenant et cointé et membre,
Gros par épaules, graile par le baudré ;
Les bras ot gros, le poing grant et quarré,
Blont ot le poil, mais il lot hurepé,
Large visaige et le front fenestré,
Les yex ot vairs et le nes bien mollé.
(Aub., 28, 27.)
Le portrait du vilain est tout autre :
« Un grant vilain
Noir cenu et de noir pelain,
(Chev. aux 2 espées, 2746.)
Et li vilain fu hericiés
Et kenus et noirs a outrage.
(Ib., 3812.)
Cette opposition de caractères est d’autant plus curieuse qu’il n’est guère possible de l’expliquer, comme le faisaient Gobineau et Broca, par l’effet de la conquête franque. L’aristocratie féodale se recruta aussi bien parmi les dignitaires romains de la Gaule et les familles sénatoriales gauloises que parmi les chefs venus avec Clovis. Sur ce point les documents historiques ne permettent aucune discussion. D’autre part la noblesse mérovingienne et carolingienne avait déjà presque entièrement disparu avec les croisades, et les nouveaux nobles sortaient d’ordinaire directement de la classe des serfs. C’étaient des hommes d’armes remarqués par leur bravoure que les seigneurs faisaient chevaliers et s’attachaient en leur accordant des fiefs.
Les serfs, d’autre part, comprenaient à l’origine autant et plus de colons germains trouvés sur les terres de l’Empire que d’esclaves d’origine gauloise ou étrangère. Pendant la période troublée du commencement du Moyen Age, la classe moyenne ou libre des campagnes, formée surtout de descendants des Francs, tomba volontairement en condition de serfs. Les cartulaires ont conservé nombre d’actes par lesquels des familles libres, impuissantes à se défendre, se donnent à des seigneurs laïques ou à des abbayes pour obtenir une protection. Les conditions si dures du servage étaient encore préférables à la liberté, car elles procuraient à l’homme la protection collective du seigneur et de ses vassaux. Le seigneur était tenu de défendre son serf, et le défendait, parce qu’il était son bien. Nul n’avait le devoir de protéger l’homme libre.
L’opposition sociale du type aryen et du brachycéphale n’était d’ailleurs point si absolue. Parmi les crânes de seigneurs du Moyen Age, depuis la Bavière jusqu’au Languedoc, et aussi en Italie, on trouve une certaine proportion de brachycéphales. Certaines familles nobles étaient loin d’être dolicho-blondes, celle notamment des comtes de Gilli, étudiée par Ranke. D’autre part, les cimetières du Moyen Age, même tardif, contiennent d’ordinaire beaucoup plus de dolichocéphales que de brachycéphales, et la proportion ne se renverse, dans la plus grande partie des provinces, que vers le xviiie siècle. Pour l’ensemble de la France, compensation faite de la brachycéphalie relative du N. E. et de la dolichocéphalie du reste, je crois que l’indice du crâne sec, aujourd’hui voisin de 82, ne dépassait pas 77 à l’époque gauloise, 78 à l’époque romaine et 80 à la fin du Moyen Age.
Temps modernes. La conquête du globe. — À la fin du Moyen Age, la race Europæus a perdu le N. et l’O. de l’Asie, le N. de l’Afrique. Les Péninsules ibérique et balkanique, où elle avait à peine pied, tombent aux mains de races étrangères venues d’Afrique et d’Asie-Mineure. La brachycéphalie se développe avec intensité autour de trois centres principaux : Vosges et Forêt-Noire, Alpes, Carpates. Un centre secondaire dans la Haute-Normandie et dans la Haute-Bretagne fournit un courant d’immigration vers l’Angleterre. Dans l’Europe centrale et en France, la brachycéphalie se multiplie dans les classes inférieures, surtout dans les campagnes, sous l’influence des sélections sociales. La race a perdu les neuf dixièmes, et les meilleurs, de son aire d’habitation. Elle est confinée dans les îles Britanniques, la région Scandinave, les alentours de la Baltique et le centre de la Russie, toutes régions encore à demi sauvages, couvertes d’eaux stagnantes et de forêts, peuplées au plus de dix millions d’individus.
Dans les régions où fleurissait la civilisation, Espagne, France, Allemagne du Sud, Italie, la race représentait une fraction seulement, une moitié, un quart et moins de la population totale. Dans tout l’Orient, dans le nord de l’Afrique, elle était à peine représentée. Ces régions les plus civilisées du monde, que l’aryen y fût maître ou non, ne pouvaient être désormais regardées comme son véritable domaine, car le sort des aristocraties est de s’éteindre en peu de siècles. Cent millions d’hommes habitaient ces régions desquelles Europæus disparaissait lentement.
Bloquée du côté de la terre par des nations puissantes et populeuses, la race aryenne fut obligée d’évoluer sur place, jusqu’au jour où elle put oser prétendre à la domination des mers. Les peuples restés autour du berceau de la race grandirent d’abord lentement. Pauvres, moins civilisés, tirant péniblement leur vie d’un sol ingrat, rocheux, argileux ou sableux, n’ayant aucune des cultures riches et faciles qui font l’aisance des peuples du midi, les Anglais, les Hollandais, les Allemands du Nord, les Scandinaves subirent, sous l’influence de conditions nouvelles dans un milieu identique, une sélection d’aptitude au travail qui augmenta leurs facultés psychiques sans altérer le type fondamental du corps et de l’esprit. Ils conservèrent l’audace et le sang-froid comme les cheveux blonds et les yeux bleus de leurs ancêtres, mais ils acquirent un sens pratique et une habileté dont les barbares n’avaient jamais donné de preuves. De tous les peuples aryens de l’antiquité, les Grecs seuls avaient subi une évolution semblable, et l’éclosion précoce de leur génie avait été promptement suivie de l’extinction de leur race. La maturité plus lente des Bretons, des Germains et des Scandinaves ne parait point les avoir épuisés. De longs siècles de floraison semblent promis à leurs descendants, et peut-être la domination perpétuelle du globe.
Les temps modernes commencent par la conquête de l’Amérique. Colomb ouvre le Nouveau-Monde à la cupidité de l’Espagne. Les Antilles, le Mexique, le Pérou sont pillés, occupés, pressurés. Tout ce que l’Espagne compte d’éléments actifs et audacieux se jette sur l’Amérique. Les portraits et les écrits du temps nous montrent que l’élément Europæus était encore abondant en Espagne. Il est rare aujourd’hui dans la péninsule, moins rare dans les colonies espagnoles d’Amérique. Cet exode fut mortel à l’Espagne. L’élément plus ancien, indolent, s’habitua à vivre des colonies. L’influence des sélections religieuses fit le reste. L’Espagne est aujourd’hui un cadavre, et la mer elle-même ne défendra peut-être plus longtemps son territoire contre l’entreprise des peuples vigoureux et débordants de population. Son tour parait marqué après celui de la Chine et de la Turquie, elle est un Maroc d’Europe, que prendra le plus hardi.
Les Hollandais, puis les Anglais, grandis pendant que l’Espagne devenait faible, lui succédèrent dans l’empire des mers. La Hollande était trop petite, avait trop peu d’hommes à déverser dans des colonies lointaines. Son ambition fut plus grande que sa résistance. L’Angleterre sut augmenter sans cesse la population de son territoire national, tout en déversant sur le globe entier des milliers, puis des millions de colons. Cette heureuse fécondité la fit reine.
Aujourd’hui le globe entier est au pouvoir des nations de l’Europe, ou sorties d’elles. Le lot pris autrefois par les colons espagnols leur reste, à peine diminué, la Russie s’est étendue sur la moitié de l’Asie, mais toute terre touchée par la mer, ou dont la voie d’accès est par la mer, est du domaine de l’Angleterre. Les territoires possédés par l’Allemagne et la France sont à tous les yeux des possessions précaires, dont l’Angleterre sera maîtresse quand elle voudra les payer à prix de conquête. La mer entière, la majeure partie du globe est aux Anglo-Saxons, et ce n’est point le plus méprisable de leurs domaines.
La colonisation aryenne a couvert de ses essaims l’Amérique du Nord, moins le Mexique. La race Europæus est là chez elle, plus robuste et plus exubérante que partout ailleurs. À l’heure présente son centre n’est plus la mer du Nord, mais l’Atlantique. Les États-Unis et le Canada font face à l’Angleterre, à l’Allemagne du Nord et à la Scandinavie. Et les jeunes Gallo-Saxons d’Amérique, descendants légitimes des Gaulois et des Germains à la fois, l’emportent par la fougue et l’audace sur les Anglo-Saxons purement germains. En Australie, la même race se forme, mêlée d’Écossais, de Gallois, d’Irlandais, tous Gaulois d’origine, Celtes de langue, et d’Anglo-Saxons.
En Russie, l’élément Grand-Russien est le plus pur. C’est lui qui essaime en Sibérie, dont la population nouvelle, très inférieure en pureté de race aux colons d’Amérique, est cependant plus noble que celle d’aucun grand peuple d’Europe. La sélection qui s’opère nuira sans doute à la Russie, mais va ouvrir des territoires immenses à l’expansion de l’Europæus.
Cette exubérance de colonisation, l’accroissement rapide des populations dolicho-blondes en Europe ont rendu à la race l’importance numérique relative des anciens temps, et dans un siècle ou deux il est probable que l’élément dolicho-blond sera très prépondérant en nombre dans l’ensemble des populations blanches. L’intervention de la sélection systématique, à laquelle les Américains s’exercent résolument, pourra exagérer cette prépondérance.
Pour le moment, c’est à plus de cinquante millions qu’il faut évaluer le nombre des Aryens de race pratiquement pure, c’est-à-dire réunissant les caractères fondamentaux de taille, de couleur et d’indice, et aptes à les transmettre par hérédité à la grande majorité des leurs enfants. Pour la définition de la race pratiquement pure, v. Sélection sociales, p. 3-10.
J’ai essayé d’établir une statistique par nations. Elle est assez facile pour les pays où la population ne comprend guère que les éléments dolicho-blonds et brachycéphales. Si l’on regarde comme Europæus les sujets au-dessous de 76, brachycéphales ceux au-dessus de 86 et métis les intermédiaires, on arrive par un calcul très simple au dosage général des sangs. Il faut pour les autres pays, déduire à l’actif des races méditerranéennes une portion du quantum de sang dolichocéphale. D’autre part, le dosage total ne donne pas la proportion de sang dépourvu d’alliage. Il faut procéder à une seconde opération, en calculant d’après les statistiques anthropologiques, le pourcentage des individus réunissant tous les caractères. On arrive ainsi à connaître deux quantités, celle de sang Europæus total, celle d’individus de type pur.
Pour la France, l’Italie et surtout l’Espagne, la proportion de pur type Europæus est faible ou très faible par rapport à celle du sang dolichocéphale absolu, en raison de l’abondance relative ou très grande d’éléments dolicho-bruns. Dans les pays où le mélange est très profond, France, Suisse, Allemagne du Sud, c’est-à-dire les plus brachycéphales, la même proportion est affaiblie en raison de la grande abondance des sujets de type Europæus imparfait.
La dernière colonne du tableau a servi à calculer, en fonction de la population totale, le nombre d’Europæus pratiquement purs compris dans chaque nation.
La dernière colonne du tableau a servi à calculer, en fonction de la population totale, le nombre d’Europæus pratiquement purs compris dans chaque nation.
Angleterre | 10 000 000 |
France | 1 600 000 |
Russie | 9 000 000 |
Scandinavie | 2 300 000 |
Allemagne | 6 000 000 |
États-Unis | 15 000 000 |
Hollande | 600 000 |
Espagne | 100 000 |
Italie | 500 000 |
Autriche | 1 800 000 |
Suisse | 100 000 |
Canada, Australie, Cap | 1 000 000 |
Amérique espagnole | 1 500 000 |
Reste du monde | 500 000 |
--------------- | |
Total | 51 000 000 |
Ces tableaux montrent deux choses entre beaucoup d’autres. La première est que la race Europæus est encore représentée en France (1.600.000), en Suisse (100.000), en Italie (500.000) par un nombre absolu d’individus de race pure probablement égal à celui qui existait au premier âge du fer. Ce qui a diminué, c’est la proportion relative, les autres éléments ayant augmenté dans des proportions considérables. Dans les autres pays d’Europe, il a subi une augmentation absolue énorme. Il n’y a jamais eu, en sujets de race pure, dix millions de Bretons dans les îles Britanniques, neuf millions de Slaves ou de Scythes en Russie, 600.000 Germains en Hollande, huit millions en Germanie, ce qui n’empêche pas d’ailleurs Europæus d’être en minorité dans plusieurs de ces pays.
L’importance relative, et surtout l’importance future des nations est assez exactement proportionnelle au nombre absolu d’individus de pure race Europaeus. L’ordre en effet est le suivant, avec la population Europæus exprimée en millions : États-Unis 15, Angleterre 10, Russie 9, Allemagne 6, Autriche 1.8, France 1.6. Il faut observer que la présence d’une énorme proportion de brachycéphales, dans un pays démocratique, peut paralyser l’activité utile des dolicho-blonds. C’est le cas de la France. Il faut également observer qu’un pays très petit, du moins comme parties utiles et population, peut avoir une importance moindre que ne comporterait le nombre absolu de sa population Europæus. Ainsi la Scandinavie, la Hollande, n’ont pas l’importance relative de l’Italie, mais la Suède, la Norvège, le Danemark, la Hollande n’en sont pas moins, malgré leur qualité de petits États, infiniment plus vivants, plus actifs que l’Italie. La supériorité psychique de la race compense, dans la mesure du possible, l’insuffisance du nombre et du territoire, et l’expansion devient prodigieuse quand la race, le nombre et le milieu concourent à la grandeur de la nation, comme il arrive aux États-Unis.
CHAPITRE SIXIÈME
Psychologie de race. — Tout homme a dans le visage des traits qui sont à lui, et ne permettent point de le confondre avec un autre. De même il a sa psychologie, qui est sienne. Cependant quant au corps et quant à l’esprit cet homme, synthèse d’une infinité d’ancêtres, se laisse grouper dans une catégorie. S’il ne représente point un type précis, au moins peut-on dire à quelles races il se rattache, comme produit complexe et approché. Ce classement est plus facile à faire pour le corps, les instruments et les yeux concourent à nous aider. Pour la mentalité l’entreprise est plus délicate, et cependant chaque race, disons plus, chaque catégorie humaine possède un faciès psychique qui lui est propre.
La psychologie de race est peu avancée. Ce retard tient à bien des causes. D’abord à l’erreur fondamentale sur la nature humaine. L’Église et les philosophes ont toujours regardé l’homme comme un être à part, distinct de tout animal et identique au fond dans tous ses exemplaires. Pour retrouver une notion plus sensée, il faudrait remonter jusqu’à la sagesse antique. La philosophie du xviiie siècle, la plus riche en erreurs qui fut jamais, a exagéré plus que l’Église elle-même le dogme de l’identité fondamentale. Que vous preniez Condillac ou Kant, la psychologie est toujours celle de l’individu supposée toujours identique. En ce temps, les plus habile croyaient à l’homme en soi, et spéculaient sur cette fiction.
La connaissance des origines humaines a rejeté toutes ces imaginations dans le néant. Je ne veux pas dire qu’elles ne soient plus enseignées ! Oh ! non, les préjugés ont la vie d’autant plus dure qu’ils sont plus surannés. Estampillées du cachet officiel, devenues la base des institutions modernes, les rêveries des philosophes de l’autre siècle sont désormais sacrées pour tout le troupeau des esprits dociles. En comptant bien, nous trouverions en France deux, qui sait ! peut-être trois philosophes faisant de la psychologie scientifique, et je regrette, pour la dignité humaine, d’avoir à dire qu’en dehors du pays de Jean-Jacques et de Diderot, la situation n’est pas partout bien meilleure.
Évoluée de la psychologie animale, par un procès lent et infiniment varié, la psychologie de l’homme s’est formée, se forme et devient sans cesse. Les causes qui ont agi sur les ancêtres des divers groupes d’hommes ne sont point les mêmes, si l’on en excepte quelques-unes, très générales. Chacun de nous venant au monde apporte sa mentalité à lui, qui est sienne, mais qui est la synthèse d’un nombre infini de mentalités ancestrales. Ce qui pense et agit en lui, c’est l’innombrable légion des aïeux couchés sous terre, c’est tout ce qui a senti, pensé, voulu dans la lignée infinie, bifurquée à chaque génération, qui rattache l’individu, au travers de millions d’années et par des milliards innombrables d’ancêtres, aux premiers grumeaux de matière vivante qui se sont reproduits.
À cette puissance infinie des ancêtres, l’homme ne peut se soustraire. Il ne peut changer les traits de son visage, il ne peut davantage effacer de son âme les tendances qui le font penser, agir comme les ancêtres ont agi et pensé. L’instrument qui pense est fait chez lui d’une certaine façon, qui n’est point la même chez une race différente. Ce n’est point que les sensations ou la mémoire des actes accomplis par les ancêtres persistent. L’hérédité des caractères acquis, si limitée dans le domaine physique, est tout à fait sans vraisemblance dans le domaine psychique, mais les sélections ont éliminé dans le passé une infinité d’individus, morts sans descendance, et la psychologie des vivants est celle des ancêtres qui ont pu survivre.
Les caractères psychiques des races se sont donc formés comme les caractères physiques, par la survivance exclusive des individus doués de certaine façon, et la psychologie de race domine celle de l’individu, qui est une résultante. C’est là une notion fondamentale du monisme darwinien, et la contrepartie du rêve de l’âme vierge, forgé par les philosophes.
La psychologie de race pourra s’étudier par les méthodes physiologiques. Il faudra dans ce but, quand la connaissance de la psychophysiologie sera plus avancée, inventer des méthodes analogues à celles que les anthropologistes emploient pour dégager des observations individuelles les caractères ethniques de la masse. Cette étude de précision ne sera pas l’œuvre de la génération qui vit. Bornons-nous à des aperçus généraux, à des traits saillants de la manière d’agir et de penser, surtout de la manière d’agir, car l’importance sociale de l’acte l’emporte infiniment sur celle de la spéculation[73].
Distinguer dans les actes de l’individu ce qui lui est dicté par les tendances mentales des ancêtres n’est pas toujours facile. Je ne crois pas beaucoup à la liberté humaine. La conscience n’est assurément pas un état normal de la matière. Il est possible de même que la liberté puisse s’introduire dans nos actions par quelque fente. Son rôle cependant doit être bien modeste, car l’analyse montre toujours des déterminants réels qui sont les tendances propres, la réaction du milieu, et surtout celle des autres individus. Il faut savoir séparer ce qui vient du fonds et ce qui vient des influences extérieures, ou des habitudes acquises sous l’action de ces influences. Il faut aussi ne pas confondre ce qui relève de la psychologie de groupe avec ce qui appartient à la race. En dehors des types psychiques de race nous trouvons des types psychiques sociaux comme celui du prêtre, du soldat, très analogues chez les races les plus diverses. Il est certain que dans des circonstances identiques de milieu, d’éducation, de groupement, le ministre anglais ne pensera pas et n’agira pas comme un moine espagnol ou un sorcier africain. De même le soldat anglais se comportera autrement qu’un Napolitain ou un Javanais. C’est le résidu différentiel qui est du domaine de la psychologie de race, dont l’étude du caractère est, au point de vue de l’anthroposociologie, la partie la plus importante.
La psychologie caractéristique de la race ne se retrouve pas d’une manière nécessaire chez tous les individus, ni à toute heure de la vie de chacun. Il faut tenir compte du nombre infini des causes qui peuvent être des facteurs de perturbation. L’Anglais est flegmatique, c’est l’ordinaire, mais il y a des Anglais très en dehors. Le Napolitain est poltron, et le Juif cupide. Cela n’empêche point qu’il y ait des Juifs très pauvres et volontairement pauvres, et l’on trouverait assurément dans la masse des Napolitains des individus d’une incontestable bravoure. C’est que dans la pratique les individus de race très pure sont presque partout très rares, et nous savons quels sont les effets du croisement. C’est aussi que la psychologie de race est beaucoup plus altérée que la morphologie par la formation en peuples. Quand j’aurai l’occasion d’étudier la nation, je montrerai l’influence profonde, sur la mentalité à venir, d’une sélection subie en commun pendant des siècles. C’est ainsi que les conditions dans lesquelles agit le milieu sur l’individu sont infiniment variées, et les forces en jeu d’une puissance inégale.
Il faut enfin distinguer entre la psychologie individuelle et la psychologie collective. L’individu pense et agit tout autrement quand il fait partie d’un groupement, où les cerveaux subissent une induction réciproque, et quand il est isolé. Pas plus que les individus, les foules de race différente ne réagissent d’une manière semblable dans des circonstances semblables.
Le génie grec et l’esprit barbare. — L’idée même d’évolution exclut celle d’une identité parfaite de la psychologie aryenne dans tous les temps et dans tous les pays. De fait nous ne savons rien de l’état d’âme de l’Europæus primitif, perdu dans les brumes nordiques, et le tableau que nous nous en faisons est une reconstitution du procès évolutif probable dont sorti l’état d’âme de l’Aryen des temps historiques. Nous ne savons guère plus des peuples de l’âge néolithique, et même des premiers temps du bronze. Nous connaissons leur industrie, leurs vases, leurs bijoux, leurs armes, leurs instruments de travail et de culture, nous savons qu’ils avaient déjà des rites religieux, et que la crémation était du nombre chez une partie seulement des peuples aryens, celle d’ailleurs qui paraît avoir été le plus mêlée de brachycéphales. Nous savons qu’ils étaient déjà navigateurs hardis, qu’ils osaient pousser des expéditions plus audacieuses, en raison des moyens du temps, que celles des plus téméraires parmi les modernes, et que leur civilisation, uniforme d’abord, de plus en plus différenciée ensuite dans les pays les plus avancés, s’étendait de la Mer du Nord au Golfe d’Oman, et du Maroc au fond de la Russie. Nous ne pouvons avec ces données reconstituer une psychologie positive. Il faut rester dans l’hypothèse, et je ne crois pas que l’on puisse en sortir.
Les documents les plus anciens qui nous restent sont les poèmes d’Homère, œuvres des temps préhistoriques, revues et mises en ordre à une époque plus récente. Dans le cadre d’une civilisation du premier âge du fer, superposée à celle des Mycéniens, s’agitent des personnages fortement dessinés, qui ressemblent de bien près aux paladins du Moyen Âge. Ces Achéens âpres au butin, grands buveurs, grands mangeurs, querelleurs et chevaleresques, prompts à l’enthousiasme et démoralisés très vite, belliqueux avant tout, et aussi bavards que braves sont les vrais frères des Gaulois historiques et des Français des Romans de Geste. Aryens grisés de soleil, en gestation du génie grec, les héros et leur poète nous donnent une idée grandiose et magnifique de la psychologie de leur race. Jamais depuis les héros n’ont été plus grands, et les poètes n’ont jamais dépassé leur modèle.
Le génie grec non plus n’a jamais été dépassé dans son éclat et sa merveilleuse eurythmie. En deux siècles, un petit coin de terre a produit plus de grands hommes que l’univers entier depuis les temps antiques. Ce génie hellénique, dont la splendeur rayonne encore sur notre monde étriqué par le christianisme, je n’essaierai pas d’en peindre l’universelle et idéale beauté. Ce qui nous reste du culte du beau nous vient de lui tout entier. Nous avons eu en plus des sœurs de charité et des savants, la Grèce n’a eu que des artistes, des penseurs et des poètes, mais ces poètes, ces penseurs et ces artistes restent des modèles qui semblent ne pouvoir être surpassés.
L’évolution du génie hellénique fut prompte. Une race puissamment douée, jetée d’une manière brusque au milieu de la civilisation avancée des Mycéniens, sous un ciel merveilleux dont les rayons font courir la vie et voler la pensée, fut saisie, transformée, brûlée comme de la cire dans un ardent brasier, et si l’éclat fut incomparable, la durée fut courte.
Une des tribus grecques semble avoir craint de se livrer. Elle vécut toujours repliée sur elle-même, soucieuse de conserver la pureté de sa race et de se soustraire à l’influence dissolvante de la civilisation. Les Spartiates restèrent l’expression la plus pure de la race grecque, telle qu’elle fut à son origine. Leur peuple se fit une loi d’exagérer les vertus héroïques et de montrer dans un sens tout différent des Athéniens la merveilleuse valeur de la race. Chez les Athéniens, l’intelligence dans ce qu’elle a de plus élégant, de plus artistique, chez les Spartiates la volonté ferme, constante et froide, l’intensité de caractère la plus haute qui ait jamais été réalisée. Le type psychique de l’Anglo-Saxon se trouve en partie chez le Spartiate, exagéré mais incomplet. Si la sélection militaire n’avait pas eu raison des Spartiates, et s’ils étaient parvenus à devenir maîtres de la Grèce, il est probable qu’après une période de détente, ils auraient fourni au monde antique un peuple réunissant à la fois la tenace volonté romaine et le génie artistique des Grecs.
Il serait imprudent de conclure de ces merveilleux échantillons de la race aryenne, qu’elle fut tout entière faite de pareils hommes pendant les temps antiques. La Grèce nous montre seulement une race d’élite dans un milieu d’exception. La plupart des peuples barbares se débattaient dans des milieux où l’évolution était difficile, et ne pouvaient mettre en usage qu’un petit nombre de leurs qualités. Peut-être a-t-il vécu des Homère dans les forêts de la Germanie, ou dans les marais de la Suède, mais il n’y avait de place chez les barbares ni pour les Aristophane ni pour les Phidias. Ces peuples n’étaient point encore mûrs, et c’est de leur évolution plus longue que leurs descendants semblent avoir tiré une force de résistance, une maturité ferme inconnue de l’antiquité.
Les physionomistes grecs, dans les textes transcrits plus haut (p. 281), semblent établir une corrélation entre le type physique commun avec les barbares et la sauvagerie de caractère, l’indocilité. Ces tendances psychiques étaient pour eux celles des Scythes et des Galates. Strabon, Timagène et Dion (clxiv) donnent un portrait moral plus flatteur des Gaulois. Strabon (iv, 4) les représente comme batailleurs, dépourvus de circonspection, fougueux et fanfarons, amoureux de parures voyantes, mais doués de vertus morales élevées, d’aptitudes intellectuelles remarquables[74]. La facilité avec laquelle les Gaulois épousent les querelles les uns des autres est déjà un premier trait de cette solidarité remarquable qui fait la force des peuples blonds de nos jours. Leur curiosité intense, qui leur fait interroger les voyageurs et entreprendre eux-mêmes de longs voyages, poussés jusqu’en Orient, seulement pour s’instruire, est doublée d’une réelle aptitude pour les arts et les sciences, et de fait la Gaule romanisée se couvrit bientôt d’écoles florissantes. Leur propreté méticuleuse se retrouve en Hollande, en Angleterre, en Scandinavie. Il n’est pas jusqu’à leur ivrognerie remarquable qui ne se figure dans le tableau psychique des peuples dolicho-blonds d’aujourd’hui.
Le portrait des Germains par les écrivains romains n’est pas bien différent. Un seul point, mais important, différencie les caractères. Le Germain est déjà plus réfléchi, plus tenace. Il ne se rebute pas au premier échec et continue l’attaque ou la résistance. Les Romains ne parvinrent jamais à conquérir la Germanie, alors que la Gaule avait succombé en peu d’années. Ce furent au contraire les persévérants efforts des Germains qui eurent raison de l’Empire romain.
Cette différence est-elle due à la plus grande pureté de la race, je le crois. Les Gaulois, comme les Grecs, étaient plus mêlés, et dans leur psychologie l’instabilité fréquente de la mentalité des métis se faisait sentir. Les Spartiates, les plus purs des Grecs, furent aussi les plus fermes dans leurs desseins. Il faut cependant tenir compte de l’influence des milieux. Le Gaulois, comme le Grec, se trouvait placé dans un milieu plus ensoleillé, il subissait la même excitation qu’un Anglais ou un Allemand transporté à Nice ou en Orient. J’ai pu par moi-même observer combien la pensée devient plus lumineuse et l’action plus facile, mais la lassitude plus prompte, en passant du climat du Nord à celui du Midi. Je crois cependant que les défauts du Gaulois, et ceux du Grec, étaient dus à l’évolution encore imparfaite de leur mentalité. Ce sont des défauts d’enfant, qui ont disparu avec la maturité de la race, sous l’influence d’une sélection plus prolongée, de plus en plus dure et plus heureusement dirigée par le cours des évènements.
Évolution mentale de l’Aryen moderne. — L’évolution mentale de l’Aryen moderne s’est faite sous l’influence de deux causes principales de sélection : 1° la nécessité de l’adaptation au travail régulier, intensif ; 2° l’incorporation des individus dans de grandes catégories permanentes, églises, groupes féodaux ou communaux, états centralisés. L’individu est saisi par un engrenage de plus en plus complexe de nécessités économiques et historiques, d’usages et d’institutions consolidées, qui tendent à annihiler l’individualité au bénéfice de la société. Ces causes déterminent des sélections intenses.
Les occupations des primitifs, guerre, chasse et pêche, répondent à des goûts innés, hérités des lointains ancêtres, à des instincts dont la satisfaction cause un plaisir. Ces instincts subsistent encore si bien que beaucoup de civilisés se divertissent à la chasse et à la pêche. Le travail était donc à l’origine récompensé directement par le plaisir, il était de plus intermittent, coupé de périodes de repos, et s’accomplissait, dans une certaine mesure, au temps et de la manière choisis par l’individu.
Les occupations des peuples pasteurs et agricoles sont déjà plus compliquées, moins récréatives, et si elles laissent de larges périodes de repos dans le jour et dans l’année, elles n’en exigent pas moins l’assujettissement à des tâches fixes, accomplies à temps fixé. Certains peuples n’ont jamais pu s’imposer cette contrainte, et ont vécu en contact avec des voisins pasteurs et agriculteurs, sans être séduits par les avantages évidents d’un genre de vie plus sûr et plus rémunéré. Il est à remarquer que chez les plus anciens peuples civilisés, le travail de la terre fut à peu près entièrement exécuté par la main d’œuvre servile. Ce travail n’est pas beaucoup plus dur que la chasse, mais il est monotone, il exige une régularité dans les temps et dans les actes intolérables pour des esprits vifs, indépendants et amoureux de changement. Sans l’institution de l’esclavage, on ne sait dans quelle mesure l’agriculture aurait pu se développer. La plus belle conquête de l’homme ne fut pas le cheval, mais l’esclave, et une longue sélection parmi les individus contraints au travail de la terre est probablement la cause de la formation de races vraiment agricoles. Nous devons nos paysans au colonat romain et au servage du haut Moyen Age, peut-être même à des sélections beaucoup plus anciennes.
Le travail industriel est encore plus dur. Il répond encore moins aux instincts primitifs, car il s’exerce dans un local clos. Il est encore plus monotone, plus régulier. L’attention exigée par certains métiers délicats est minutieuse, et si les muscles travaillent peu, le cerveau travaille davantage. On comprend que les hommes libres aient, tant qu’ils le pouvaient, reculé devant un pareil assujettissement. Aussi voyons-nous chez des paysans comme les Romains l’industrie tout entière entre les mains des esclaves et des femmes, ce qui est à peu près la même chose. Ces esclaves furent, chez les Grecs, des Grecs et des Orientaux ; chez les Romains, le recrutement devint peu à peu plus large, embrassant tout le pourtour de la Méditerranée, la Gaule et une partie de l’Europe centrale. Le recrutement des esclaves, à partir du iie siècle de notre ère, se fit d’une manière à peu près exclusive aux dépens des Bretons et des Germains, les autres peuples en dehors de l’Empire, Sarmates, Parthes et Arabes ne fournissant que peu de prisonniers. La traite amenait aussi quelques nègres et des Indous, mais en faible quantité. Dès cette époque, les esclaves d’origine se faisaient rares, l’affranchissement venait dès la seconde ou troisième génération, et plus d’un ancien barbare, prisonnier d’abord, esclave ensuite, finissait citoyen romain, chevalier, sénateur et consul. On peut donc estimer que les travaux d’art et de construction, les objets fabriqués des deux ou trois derniers siècles de l’Empire, habituelle matière des recherches de nos antiquaires, sont le souvenir matériel des Germains, des Daces et des Goths.
Les affranchis continuaient le plus souvent à exercer leurs métiers, entraient dans les corporations d’ouvriers libres des villes, les collèges innombrables des derniers temps de l’Empire. Ils constituaient, eux et leurs descendants, l’immense majorité des populations urbaines, et furent en partie la source de la classe des artisans du Moyen Âge, de cette petite bourgeoisie remuante qui peuplait les communes. L’institution du servage empêchant la migration des ruraux vers les villes, les deux classes de travailleurs manuels ne se mélangèrent que peu jusqu’à la fin du Moyen Âge, et tandis que la seconde noblesse féodale se recruta presque tout entière parmi les plus vaillants des serfs, les bourgeois firent souche de robins et de fonctionnaires, qui devinrent la noblesse du roi.
Le passage au régime industriel moderne s’est donc fait en Italie et en France par gradations. Dans les régions de la Mer du Nord et de la Baltique, l’évolution fut autre, plus tardive et plus brusque. C’est surtout par importation, et d’une manière assez prompte, que se constituèrent les manufactures d’Angleterre, de Hollande, d’Allemagne. L’Angleterre du Moyen Age avait peu d’industrie, et une agriculture très arriérée. Le vaste territoire britannique comptait au plus trois ou quatre millions d’hommes, peu d’artisans, beaucoup de laboureurs, mais encore plus de gens vivant moitié de la culture, moitié des produits naturels des landes, de la rivière et de la forêt. Le reste des régions habitées par les peuples dolicho-blonds n’était pas plus avancé en comparaison de la France et de l’Italie.
L’adaptation brusque des populations de l’Angleterre, des Flandres, de la Hollande, à une agriculture plus parfaite et à un régime industriel très développé détermina une sélection intense. L’épreuve fut victorieusement subie, et la race montra des aptitudes supérieures.
L’aptitude à la continuité d’effort, qui caractérise les races vraiment supérieures, existait-elle déjà chez la plupart de ces Aryens plus purs, il est difficile de le dire. Il est à remarquer que les captifs des Romains s’étaient promptement adaptés au travail exigé d’eux. C’est un indice en faveur de l’ancienneté relative de l’aptitude. Cette contrainte permanente, nécessaire pour le travail d’artisan, exige une maîtrise de soi remarquable, surtout dans les temps indécis où le régime industriel est encore en formation, et où l’exemple, l’habitude font encore défaut. Se mettre chaque jour au même ouvrage, fixer sans cesse son attention et faire concorder ses mouvements nous parait très naturel, mais il n’en est pas ainsi à l’origine, chez des hommes qu’appelle encore la voix de la nature.
Le développement de l’agriculture, des métiers, de la marine, exerça donc une sélection intense au bénéfice des plus assidus, des plus sobres, des plus attentifs, des plus maîtres de leur caractère et de leur volonté. Je ne crois pas qu’il faille invoquer l’hérédité, du moins dans le sens d’hérédité de l’aptitude acquise. L’individu acquiert, par la pratique, une habitude du travail et une perfection plus grandes, mais il n’y a pas de raison de croire que ses descendants en héritent. L’hérédité des qualités acquises, dans l’ordre physique, est si exceptionnelle, si peu évidente, qu’on est d’accord pour la rejeter, à part certains cas de modifications chimiques générales, intéressant jusqu’au plasma germinatif. En revanche, rien ne s’hérite de ce qui s’apprend, pas même le langage, base la plus rudimentaire de l’éducation.
Je crois que le procès a consisté dans l’élimination des moins aptes, et dans l’extinction de leur race. Cette élimination se poursuit de nos jours, entravée cependant par l’intervention inintelligente de la charité chrétienne. Le résidu de la sélection est l’ouvrier impropre au travail, soit agricole, soit industriel. Les armées de vagabonds qui fuient le travail et vivent en rentiers dans les prisons ou sur les routes, aux dépens des laborieux, ne sont point composées de paresseux en majorité. Il y a des individus très nombreux, aussi honnêtes que d’autres, quelquefois très intelligents, qui sont entièrement dépourvus de la faculté psychique de vouloir travailler. Le moindre effort utile les excède, et deux jours de travail même facile sont une tâche au-dessus de leurs moyens. Les tentatives faites en Amérique pour tirer un parti quelconque de cette classe d’individus sont restées infructueuses. Il n’y a qu’à s’arranger pour les laisser vivre au moindre dommage de la société et à prendre des mesures pour qu’ils n’aient point de postérité. Ce sont des sauvages qu’avec un peu de soin la civilisation pourra finir d’éliminer.
Entre cette catégorie des individus psychologiquement impropres au travail et les travailleurs réguliers existent de nombreuses nuances. Elles répondent aux catégories d’ouvriers intermittents qui peuvent travailler, mais d’une manière discontinue. Ceux-là sont plus difficiles à distinguer des simples fainéants, si la fainéantise elle-même n’est pas une simple inaptitude psychologique au travail compris à la façon moderne. Cet état mental répond assez à celui des nègres et d’autres races inférieures, dont on peut tirer un bon travail par la contrainte, ou par intermittences, mais qui ne font jamais des travailleurs sur le rendement fixe desquels on puisse compter.
Aujourd’hui, qu’il s’agisse de surveiller plusieurs métiers à la fois, marchant avec une vitesse folle au milieu du fracas d’une filature, ou une rangée de ces prodigieuses machines-outils qui avalent des barres de fer et rendent des pièces prêtes à monter, l’ouvrier anglais ou américain est hors de pair pour la continuité absolue de l’attention, l’adresse manuelle et le rendement. De même l’employé de commerce anglais, le fonctionnaire, car si j’ai pris l’ouvrier pour type, c’est précisément pour montrer combien l’évolution est complète, puisqu’elle s’étend jusqu’au bas de l’échelle, d’où partent ceux qui montent vers les échelons les plus élevés.
Il est évident, en effet, que le commerce, l’administration, compris à la manière moderne, étaient encore plus éloignés des aptitudes requises pour l’existence demi-sauvage des Aryens du nord, jusqu’en plein Moyen Age. La formation, ou la détermination des aptitudes a été aussi complète, avec une marche aussi rapide. Le sang-froid, le coup d’œil, l’audace réfléchie, nécessaires dans les affaires publiques et privées, sont au plus haut degré chez les Anglais, les Hollandais, les Américains, les Allemands du Nord et les Scandinaves. Que l’aptitude ait été seulement révélée, ou qu’elle ait été créée de toutes pièces par les nécessités de la lutte pour la vie, la race qui montre aujourd’hui de pareilles qualités était déjà supérieure en puissance. Elle a dépassé en peu de temps les autres dans les voies qu’elles avaient ouvertes. L’autre cause de sélection est celle qui a donné aux différents groupes ethniques de race dolicho-blonde leur physionomie psychique particulière.
L’adoption du christianisme par les peuples de la Grande-Bretagne et de la Germanie a été le point de départ d’une série de sélections que j’ai examinées dans un chapitre du volume précédent de ce cours (Les Sélections sociales, ch. x). L’orientation de cette sélection a été changée au bout de plusieurs siècles par le passage de presque toutes les populations dolicho-blondes au protestantisme, et ce passage a été un grand bien. L’influence du christianisme, non pas en raison des dogmes mais surtout de la morale dangereuse de cette religion, a puissamment agi pour réduire les peuples à l’infériorité. Les dolicho-blonds du nord ont eu le double avantage de passer avec plusieurs siècles de retard sous l’influence de l’Église, et de s’en débarrasser il y a déjà plusieurs siècles. Cet avantage se fait nettement sentir dans la proportion des eugéniques chez les dolicho-blonds et chez les peuples catholiques de l’Europe. La sélection religieuse, en tout cas, est depuis longtemps orientée en sens tout différent dans les pays catholiques et protestants, et l’exemple des Irlandais et des Flamands, dolicho-blonds et catholiques, permet d’apprécier, en les comparant aux Écossais et aux Hollandais, la portée pratique de cette divergence.
Les groupements politiques ont été une autre cause de sélection, portant davantage à la différenciation des peuples dolicho-blonds. Je ne parle pas des groupements en partis, mais de la répartition historique en seigneuries, communes et États.
Si la race zoologique est sous la dépendance nécessaire d’une commune filiation, la race politique, si je puis employer ce terme si absurde, est due au croisement et à la convergence, sous l’action de sélections communes, d’éléments ethniques différents. Le régime féodal et ses formes atténuées ont rendu le grand service d’avoir fixé au sol, d’une manière rigoureuse des populations jusqu’ici à demi nomades. L’œuvre de fixation des populations, accomplie par les Romains sur leur territoire, ne remonte pour les peuples du nord qu’à la fin du Moyen Age. À partir de ce moment les hommes furent étroitement parqués en petits groupes territoriaux, forcés d’évoluer sur place, et les conditions historiques de l’évolution variable à l’infini, malgré la généralité de l’orientation. C’est le cas ordinaire de la formation des nations, modifié par cette condition particulière que les éléments non aryens, très communs dans les autres pays, étaient fort rares dans les régions qui nous occupent.
Réalité biologique de la nation. — Je crois devoir entrer dans quelques détails sur cette question si importante de la convergence des éléments ethniques sous l’influence d’un milieu historique commun, et sur le caractère vraiment réel de la nation, qui semble aujourd’hui à tant d’esprits bourrés de fiction une simple convention, pour ne pas dire une simple formule traditionnelle.
Les nations ne sont pas des sociétés dont on devient membre par élection, ni des associations d’intérêts où l’on entre en prenant une action, et d’où l’on sort comme d’une valeur. Cette manière de voir est celle de la généralité des publicistes, je ne parle pas des politiciens, qui n’en ont guère. Elle est fausse et découle d’idées non moins fausses sur la personnalité humaine, et sur la prédominance des intérêts économiques. Les individus, je le répète, ne sont pas, comme le suppose le christianisme, d’église ou laïque, des unités égales et indépendantes, mais les produits inégaux d’hérédités impérieuses. Les intérêts économiques de la génération présente, même de celle qui viendra aussitôt, sont de peu auprès des intérêts généraux et lointains de la nation, et le sacrifice des uns aux autres, quand il devient nécessaire, doit porter sur les premiers.
Une nation est un ensemble d’individus issus de différentes races, mais unis par des liens complexes de famille, et dont les ancêtres ont historiquement réagi les uns sur les autres, soumis à des sélections communes. Elle comprend les vivants, et des morts plus nombreux, et la postérité jusqu’à la fin des siècles, car la nation, d’une manière nécessaire, prétend à l’éternité et à l’université, c’est-à-dire à rester seule et à couvrir le globe entier de sa descendance.
La nation qui commence à se former comprend des races diverses, en proportion différente, et réparties d’une certaine manière dans la hiérarchie sociale. De ces individus sort peu à peu un groupe plus compact. De génération en génération les lignées se conjuguent, se ramifient et se conjuguent encore à l’infini. La communauté de plasma s’établit dans toute la masse, et il n’est point d’individu qui ne soit un peu parent de tous.
Depuis quinze siècles, par exemple, que la France existe, c’est-à-dire depuis 45 générations, le nombre théorique des ancêtres de chaque contemporain est prodigieux, et celui des parents collatéraux inconcevable. Dès la 20e génération, c’est-à-dire depuis 1200, le nombre des auteurs directs de chaque individu s’élèverait à plus de deux millions, dont la moitié pour cette vingtième génération. Pour la 45e on arrive à 70 milliards environ, dont la moitié représentent les ancêtres au quarante cinquièmes degrés. Ces chiffres impossibles prouvent la prodigieuse répétition des mêmes personnes dans les diverses lignées du même individu, et la plus prodigieuse quantité de familles dans lesquelles il a pris des aïeules. Et si l’on tient compte des parentés en ligne collatérale, par chacun de ces ancêtres, les chiffres deviennent si nombreux que non seulement ils ne disent plus rien, mais qu’on ne peut les aligner !
Or ce feutrage infini des parentés, que l’œuvre de génération a fait, ne s’est guère étendu dans l’espace en dehors de certaines limites. L’apparentage est très intense entre individus du même pays, moindre hors de la province, et très faible avec les étrangers. Les barrières politiques, de plus en plus élevées jusqu’à la frontière de la nation, ont empêché les liens de s’établir.
La nation apparaît ainsi comme une immense famille complexe, limitée par des frontières. Les vivants sont solidaires des morts et ceux-ci de l’avenir. Assurément la plupart de ces liens sont infiniment ténus, sans cesse menacés ou brisés par le travail de la réversion, mais si entrecroisés que la trame reste forte dans l’espace et dans le temps.
Entre tous ces êtres unis, de près ou de loin, par le sang, la communauté des conditions historiques d’évolution a établi des sélections convergentes. Dans chaque circonstance les individus doués de certaine façon, quelle que fût la forme de leur crâne et la composition de leur plasma, ont eu les chances de la reproduction pour eux, ou contre eux, et par suite la convergence psychologique des descendances a tendu à se réaliser. On comprend ainsi comment les tendances de race peuvent être, chez les individus contemporains, modifiées suivant les pays par ces tendances nouvelles, et comment des individus de race zoologique, différente peuvent être dans certains points de leur mentalité, plus rapprochés, s’ils sont compatriotes, que des individus de race identique, dont les ancêtres ont vécu des siècles et des siècles dans un autre milieu de culture.
On comprend aisément combien est absurde, dans ces conditions, l’idée même de naturalisation. C’est un non-sens biologique, et un contre bon sens politique. Fabriquer des Français par décret, des Anglais artificiels ou des Allemands postiches est une des plus belles aberrations du droit. Jadis quand on croyait au grand magasin des limbes, dont l’œuvre de chair déclanchait l’ouverture, comme on déclanche une boîte au tir aux pigeons, on pouvait prendre au sérieux la fiction de la naturalisation. On commence à se rendre compte que cette fiction est contraire à la nature des choses. La puissance publique ne peut pas plus faire d’un étranger un national que changer une femme en homme.
On peut donner à un étranger les droits d’un Français ; s’il a l’esprit fait d’une certaine façon il pourra en user comme un national, mais on n’en fera jamais un Français. Il faudra au moins le sang de deux femmes de notre nation pour que son petit-fils soit dans la famille autre chose qu’un membre adoptif, et, de longues générations durant, ses descendants même issus de françaises, seront des français douteux ou incomplets. C’est la réponse qu’il faut faire aux partisans du renforcement des nations déjà formées, économistes distingués parfois, comme Novicow ou Leroy-Beaulieu, mais étrangers à la notion moderne et positive de la nation. L’admission des étrangers peut détruire en peu de temps une nation mais ne saurait assurer sa perpétuité par le renforcement de son effectif.
La psychologie de race est le facteur fondamental de l’évolution historique, et l’évolution historique facteur de sélections qui modifient lentement la psychologie de race. Et de fait, même dans les pays dolicho-blonds, où l’alliage avec des races différentes a été peu considérable, la psychologie est variable. Entre les Hollandais et les Suédois, les Poméraniens et les Anglais, les Américains et les Australiens, il y a des affinités fondamentales, des caractères généraux communs inhérents à la race mais il existe cependant un esprit américain, hollandais ou allemand, qui a son cachet personnel, et une infinité d’esprits locaux.
Il ne faut pas pousser les choses à l’extrême, et supposer que la déformation de l’esprit de race puisse aller au-delà de certaines limites. Il est rare que cette déformation aille jusqu’à le rendre méconnaissable ; elle se borne à certains éléments de la psychologie, d’une manière variable, mais il reste quelque chose du fonds. C’est ce que démontre l’anthropo-sociologie, dont les résultats prouvent que, malgré les déformations locales, les tendances générales de race subsistent dans les divers pays. Les lois fondamentales établies par cette science se vérifient chez les divers peuples dont la composition ethnique est la même, sans que les frontières y changent les exceptions dues à la convergence portent seulement sur des détails, et c’est une grave erreur de croire, comme jusqu’ici les historiens et les hommes d’état, que l’unification des races puisse devenir complète dans une nation. Cette fusion est aussi impossible au moral qu’au physique. Elle est contraire à des lois biologiques élémentaires, en ce qui concerne les résultats des croisements, et en ce qui concerne la sélection, l’uniformité psychique ne saurait être atteinte sans l’emploi, prolongé pendant des siècles, de procédés artificiels.
Caractères généraux de l’Aryen moderne. — H. Europæus, prenons pour type l’Anglais ou l’Américain, se distingue plutôt par la puissance de la raison et de la volonté que par la promptitude des idées, la facilité d’apprendre ou l’étendue de la mémoire. L’Espagnol ou l’Arabe, l’Indou lui-même ont une prodigieuse volubilité d’idées. Elles se succèdent avec tant de rapidité qu’ils ne peuvent les ordonner, et l’excès, quant aux résultats pratiques, équivaut à l’indigence. Le brachycéphale apprend à merveille, le Chinois a de remarquables facultés d’imitation. Le nègre, tant qu’il est jeune, est un bon écolier, la moyenne des nègres peut arriver à peu près à la même somme d’instruction que nos classes inférieures. Pour tout ce qui est intelligence pure, Europæus ne sort pas beaucoup de la moyenne de l’humanité, il n’a pas de caractères spéciaux. On trouve des sujets très intelligents, d’autres moins, d’autre fort peu, comme dans toutes les races.
Deux choses seulement caractérisent l’intelligence de la race. La capacité de travail intellectuel est remarquable. Europæus résiste à une somme d’heures de travail épuisante, je ne dirai pas pour les races inférieures comme le nègre, si vite lassé, mais même pour les autres races d’Europe. Un Français ou un Italien ne saurait en moyenne égaler la durée quotidienne de travail d’un Allemand, d’un Anglais ou d’un Américain, ni l’intensité de ce travail, ni le rendement. La supériorité de l’ouvrier anglais ou américain se retrouve dans la besogne intellectuelle. L’appareil nerveux est plus puissant, plus résistant. D’autre part l’intelligence est plus souple. Europæus n’éprouve pas de difficulté à rompre ses associations d’idées habituelles, cela est la cause ou l’effet de ses tendances vers quelque chose d’autre, de meilleur ou tout au moins de nouveau.
La raison est froide et juste. Elle calcule tout, calcule bien, et aussi vite qu’il le faut, sans excès de hâte, et sans indécision. C’est une grande force chez l’homme de prendre une décision, la meilleure autant que possible, de n’en point changer sans raison nouvelle, et de le faire sans entêtement et sans amour-propre, quand les conditions ont changé. Ces qualités, l’Aryen les possède au plus haut degré.
Mais la qualité suprême de la race, celle qui la caractérise et la place au-dessus des autres, c’est sa volonté froide, précise, tenace, au-dessus de tous les obstacles. Quand le Français a bien parlé, il croit avoir agi, se trouve fatigué, il se couche. L’Anglais use peu de forces dans la parole, mais il agit, et tant qu’il n’a pas atteint son but, il ne cesse pas d’agir avec calme, avec constance, et toutes les ressources d’un esprit hardi et ingénieux. Cette supériorité dans le caractère n’existe pas au même degré chez l’Irlandais, héritier de la légèreté gauloise et de la mobilité ibérique. Chez l’Américain, Anglais pour trois quarts et Irlandais pour l’autre, la volonté s’associe à une richesse d’imagination plus grande, et se propose des buts qui dépassent en apparence les forces humaines. Cependant cette volonté, surchauffée, devenue ardente, parvient à emporter tous les obstacles, et si une race peut prétendre à réaliser l’impossible, c’est assurément celle des Gallo-Saxons Amérique.
Ce qui fait les races dominatrices, c’est l’aptitude au commandement. Par sa prestance, l’éclair d’acier de ses yeux, sa voix rude, impérieuse, le Gaulois ou le Germain savait impressionner les Grecs et les Romains eux-mêmes. Plus encore l’Aryen moderne, avec les mêmes qualités et une volonté inflexible, sait montrer qu’il est fait pour être maître. Sa race est dominatrice par excellence, et d’une manière si naturelle que les autres s’habituent aisément à être dominées. Il suffit de quelques milliers d’Anglais pour gouverner les Indes, où nous mettrions, nous, un million de fonctionnaires sans parvenir à leur assurer le respect.
Les tendances innées de l’Aryen constituent son véritable faciès psychique. Dans tout ce qu’il fait il met de la hardiesse. L’américanisme n’en est que l’exagération, poussée parfois, en vue de l’épatement du public, jusqu’à l’absurdité. Par ce caractère l’Aryen se distingue nettement de toutes les autres races, et surtout du bon brachycéphale, dont le principal souci est de faire comme les autres. Cette tendance à fouler aux pieds l’esprit grégaire éclate de toutes parts aux États-Unis. Le Canada français, en avance sur nous et d’un indice céphalique très inférieur à celui de la moyenne de la population française actuelle, est en comparaison ce que nous appellerions très province. Ce besoin d’agir, et de faire grand, jusqu’à toucher à la mégalomanie, se confine dans des limites plus sages chez l’Anglais, l’Allemand, le Scandinave, mais il faut bien dire que la hardiesse à tout casser de l’Américain réussit parfaitement. Son esprit plein de ressources lui permet de réaliser les conceptions les plus extravagantes, et d’en tirer le plus grand profit.
Le même besoin d’action a toujours déterminé chez l’Aryen une combattivité intense. Les Grecs, les Gaulois, les Germains furent les plus grands batailleurs de l’antiquité. La chevalerie du Moyen Age et les noblesses modernes furent également batailleuses à l’extrême. Souvent on oppose cette humeur à celle du paisible brachycéphale, laborieux souffre-douleur du dolicho-blond. Il ne faut pas pousser l’effet à l’extrême. Le brachycéphale est peu hardi, pour être brave il a besoin d’être beaucoup. C’est en grande partie pour cela qu’il est souffre-douleur. Seulement il n’a pas le monopole du travail. Les ancêtres de l’Aryen cultivaient le blé, dont on trouve des grains dans les poteries néolithiques, alors que ceux du brachycéphale vivaient encore probablement comme des singes, et si le paysan français ou piémontais travaille, le paysan hollandais, scandinave ou américain ne me parait pas travailler moins. Il le fait seulement avec moins d’effort, par des moyens plus intelligents. Quant à l’ouvrier d’industrie anglais ou américain, il a seul assez de tête pour se débrouiller dans certaines machineries. Les ouvriers parisiens envoyés à Chicago pour le montage des expositions françaises furent obligés de revenir au bout de peu de jours, hors d’état de soutenir la concurrence, ou même de se servir des outils perfectionnés. Il suffit de visiter une ferme anglaise et une française, un logement d’ouvrier en Écosse ou dans une ville de France, pour avoir l’impression d’une différence d’étage social entre travailleurs de race différente, occupés au même travail.
Cette combattivité intense n’a pas fait de l’Aryen seulement un conquérant, militaire et industriel, mais aussi un homme libre. Entre rudes compagnons il s’établit d’une manière nécessaire une transaction sur les bases d’une grande indépendance individuelle.
Les rapports avec autrui. Psychologie politique. — Les rapports de l’individu de race Europæus avec autrui sont dominés par deux qualités contradictoires en apparence, qu’il possède au plus haut degré. La première c’est son individualisme. Il pense, veut, agit pour soi, n’admet pas l’étranger dans sa vie. Vienne l’occasion où il a besoin des autres, et réciproquement où les autres ont besoin de lui, l’égoïste froid et implacable s’humanise, emploie toutes ses facultés pour le succès commun, et s’il le faut se sacrifie de propos très délibéré. Réfractaire à la moindre tentative d’autorité, se hérissant à la moindre atteinte à sa liberté personnelle, l’Aryen devient volontairement le soldat modèle et se soumet à toutes les disciplines civiles, quand cela devient nécessaire. Il n’y a pas d’homme qui aime autant avoir sa maison à lui seul, et isolée, il n’y en a pas non plus qui s’affilie comme il le fait à une multitude de sociétés de toute nature.
Cette solidarité intense donne aux peuples Anglo-Américains une puissance menaçante. Dès à présent, on peut dire qu’un Anglais, simplement parce qu’il est Anglais, peut se permettre en tout pays ce qui est interdit aux nationaux eux-mêmes. Il spécule ainsi sur la volonté arrêtée des peuples faibles de ne point se faire d’affaires. Dès l’antiquité les Romains avaient mis ce principe en pratique : Civis sum Romanus.
Cette solidarité n’est pas seulement défensive, une assurance pour la suppression des risques. Chez les peuples de race aryenne, elle a plutôt la conquête pour but, une conquête pécuniaire, morale, militaire, ce qu’on voudra, mais quelque chose à enlever à autrui ou au néant.
Chez l’homme, la lutte pour l’existence change de caractère par l’intervention de la solidarité. La lutte de chacun contre tous et de tous contre chacun continue, mais elle cède le pas aux luttes de groupes, dans lesquels les individus se trouvent solidarisés contre l’ennemi commun. L’homme, en d’autres termes, s’associe pour lutter, mais cette solidarité intervenante n’est qu’un moyen de succès, car elle n’est pas avec tous, mais seulement avec ses compagnons d’intérêts. À l’ouvrier succède l’usine, le bazar à la boutique, au combattant succède l’armée, la bataille au meurtre individuel. La boucherie fait en grand, et aussi la guerre sèche, politique, religieuse, industrielle, commerciale, qui tue comme l’autre, mais sans empourprer le sol, excepté quand les vaincus préfèrent la mort prompte du suicidé à la mort lente par les privations, les fatigues ou la faim brutale.
Par sa manière agressive de concevoir la solidarité, l’Aryen possède une supériorité écrasante sur les autres races, et sur le bracycéphale en particulier. L’Aryen aime à se mettre en avant, le brachy à rester en arrière. La solidarité du premier est celle de la meute chassant le sanglier, chacun poussant l’autre pour charger le premier, et comptant sur les compagnons pour l’aider, s’il trouve trop de résistance. La solidarité du second est celle du troupeau de mouton, où chacun cherche à se cacher derrière le voisin, et compte sur lui pour passer inaperçu au moment du danger. Avec la première solidarité, on va loin car ceux qui tombent n’arrêtent pas les autres, avec la seconde la résistance dure tant que les moins lâches, ceux qui osent rester au premier rang n’ont pas disparu. Eux tombés ou en fuite, c’est la débandade, le sauve-qui-peut, le chacun pour soi, le massacre ou la servitude bassement et sournoisement acceptée. La solidarité du brachycéphale, quand il lui arrive d’être agressive, c’est celle de la masse liguée contre les chefs, des imbéciles contre les intelligents, des lâches contre ceux qui veulent marcher, c’est le coup parti de la foule, dont personne n’est responsable, c’est la persécution hypocrite et légale, contre laquelle il n’est pas permis de protester. C’est la solidarité pour l’irresponsabilité.
Ces qualités de l’Aryen se manifestent dans la pratique par un développement intense des libertés publiques. L’homme libre, dans l’antiquité, appartenait d’une manière souvent exclusive à la race Europæus. Aujourd’hui on peut dire que seuls les peuples de cette race sont libres. La liberté se manifeste de toutes les façons : liberté individuelle, l’homme garanti contre toutes incarcération arbitraire, et son domicile inviolable, liberté de la parole et de la presse, même et surtout en matière politique, liberté de réunion, d’association. La liberté d’association en matière politique est une chose dont nous ne pouvons nous faire une idée en France, habitués au régime arbitraire. En Angleterre, en Hollande, en Norvège, encore plus aux États-Unis les citoyens sont embrigadés dans de vastes partis organisés d’une manière régulière et permanente. Chaque opinion politique a ses comités locaux, dont l’existence est officielle, légale, et non tolérée. Les associations pour un but politique déterminé sont innombrables. Les réunions politiques sont libres, et les meetings se tiennent souvent au grand air, les promenades étant seules assez grandes pour contenir des participants qui se comptent par dizaines de mille. Les sociétés politiques ont des drapeaux, des insignes, des fanfares, et parcourent les rues quand il leur plaît, entraînant parfois cent mille manifestants, qui marquent par leurs cris et les inscriptions de leurs pancartes l’orientation de leurs volontés. Le gouvernement ne fait pas charger les manifestants, et recueille comme des indications précieuses les adresses et les cris. Que l’exécutif soit représenté par un président, par une reine ou par un roi, il a le tact de comprendre qu’il doit gouverner d’après les tendances et dans les intérêts de la nation. Il lui reconnaît un droit de contrôle, et la faculté de l’exercer comme il lui plaît.
Ces rapports du citoyen avec le gouvernement sont toujours une cause d’étonnement pour le Français qui débarque en pays aryen. Il nous manque dans le cerveau quelque chose pour les comprendre. En théorie nous sommes censés avoir droit aux mêmes avantages. C’est ce qui résulte d’un vieux papier centenaire qui s’appelle la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen, mais les rapports du peuple avec l’exécutif montrent combien sa souveraineté est illusoire. Après cent ans de révolution et trente de république, le peuple se sent moins roi que sous la Convention, et ceux qui le gouvernent le traitent plus que jamais en enfant rebelle. Le souverain n’a la permission d’exprimer ce qu’il pense que par un bulletin de vote, en silence, et de loin en loin. Encore ne vote-t-il pas sur une question, mais pour des hommes. Encore n’a-t-il pas le choix de ces hommes. On les lui présente, et c’est à prendre ou à laisser. Or, ce sont des individus sans mandat qui les présentent et sont les vrais électeurs. Encore ne doit-il pas trop laisser soupçonner le nom qu’il a mis dans l’urne : s’il est ouvrier, fonctionnaire, employé, il pourrait lui en cuire. Les élections faites, le pauvre souverain ne compte plus, les élus sont tout, et les élus de ses élus. Il ne conserve aucun contrôle ni aucun droit d’exprimer ce qu’il pense si ses élus le trahissent ou le grugent.
J’adore les manifestations. C’est pour l’homme qui pense un régal vraiment de voir rosser Sa Majesté par ceux qu’elle paie. La police, quoi qu’on dise, est assez impartiale. Elle ne regarde guère à l’opinion. On proteste ? Cela suffit ! Elle cogne. Sa Majesté doit souffrir sans se plaindre. Dans une existence déjà longue j’ai vu assommer les républicains sous l’Empire, et les bonapartistes sous la République. J’ai vu assommer les communards, les royalistes, les radicaux, les libres penseurs, les cléricaux, les socialistes, les anarchistes, les patriotes et les internationalistes. Si l’on dépouillait pour une longue période, trente ans par exemple, les dossiers des condamnations politiques prononcées par une magistrature toujours attentive aux ordres des puissants du jour, on verrait que le bilan des partis s’équilibre. C’est ce qui fait supporter les formes modernes de la tyrannie. Chacun sait que son tour viendra. Demain le battu d’aujourd’hui tiendra le bâton à son tour, mais celui qui le tient ne songe jamais à le briser par prudence.
Ce régime n’est pas précisément de la liberté, mais le Français est ainsi fait qu’il préfère à sa liberté personnelle le pouvoir intermittent d’opprimer les autres. Quant à l’opprimé, il reste à peu près passif, attendant que son ennemi perde l’équilibre, car jamais un gouvernement ou un parti n’est renversé que par lui-même. C’est pourquoi le respect des forces des autres n’impose pas chez nous ces transactions qui font la constitution des peuples libres. L’Aryen d’Angleterre ou d’Amérique renonce à dominer dans les affaires du prochain, à la condition qu’on ne se mêle point des siennes, mais il n’y a point de race capable du même sacrifice.
C’est par opposition avec notre psychologie servile de brachycéphales que l’on arrive à faire comprendre celle de l’Aryen, l’homme libre de race. En pratique les institutions nationales des deux groupes ethniques sont l’exact contraire Chez nous, en matière de droit commun, l’arrestation des citoyens, les perquisitions, les confiscations d’objets sont soumises à des règles strictes, mais les avantages dont jouissent les malfaiteurs ou présumés tels, les adversaires politiques ne peuvent les revendiquer. En matière politique, d’une manière courante, on arrête sans mandat, on détient sans instruction, parfois dans une maison d’aliénés, ces Bastilles modernes, on perquisitionne à toute heure, chez n’importe qui, en l’absence des intéressés, on prend ce qu’on veut, et on le garde si l’on veut. On connaît l’histoire célèbre d’un bibliophile mort récemment, collectionneur de pamphlets, dont la bibliothèque, saisie sous l’Empire sous prétexte de détention d’ouvrages prohibés, passa aux mains d’un très haut personnage, puis fut, par un reste de pudeur, versée à la Nationale. Elle y est encore, le bibliophile ayant en vain, après la chute de l’Empire, essayé d’obtenir par voie judiciaire la réparation de cet « acte de gouvernement ».
C’est qu’en effet, il n’y a pas de recours légal contre l’acte de gouvernement. Qu’un citoyen soit séquestré, dévalisé ou assommé, l’agent subalterne est légalement irresponsable[75]. C’est le ministre qui est responsable, politiquement devant la Chambre, judiciairement devant la Haute Cour, mais la Haute Cour ne se dérange point pour les particuliers, encore moins pour les ennemis politiques.
Il faut bien le dire, à mesure que l’opinion est représentée par des masses plus populaires et plus brachycéphales, on trouve un moindre souci des libertés diverses pour lesquelles se sont fait tuer, sans grand succès, beaucoup d’hommes des générations précédentes. Il est probable que la suppression du jury dans les catégories de procès politiques où il fonctionne aujourd’hui, et même celle de la liberté, relative, de la presse, seront un fait accompli d’ici peu d’années. La perte de ces parcelles de liberté politique ne soulèvera pas d’orages, car, visiblement, les Français d’aujourd’hui n’en ont guère souci. Ceux qui tenaient à ces libertés sont morts et n’ont pas laissé d’enfants. C’est pourquoi notre république est une monarchie où le gouvernement est faible et change au caprice du vent, le d’insister. mais reste auréolé d’un prestige de droit divin. C’est exactement l’inverse de l’Angleterre, qui est une monarchie à gouvernement républicain, et aussi de la Hollande et de la Norvège[76].
La situation des élus eux-mêmes devient précaire. L’expulsion de Manuel produisit sous la Restauration un effet prodigieux. Aujourd’hui le citoyen de notre République lit d’un œil distrait le récit en quatre lignes de l’expulsion d’un député cueilli à son banc par la garde républicaine, comme un voleur dans un tapis franc. C’est qu’en effet le régime parlementaire lui-même ne répond en rien à notre psychologie politique et n’a pas de racines chez nous. Il est en Angleterre un produit naturel de ces transactions propres aux peuples aryens. Il est sorti de la nécessité de représenter un système compliqué de seigneuries, de communes, de corporations, organes très vivants d’un État dont le pouvoir central était faible. Chez nous, après le travail de la monarchie absolue et de la Révolution, qui ont détruit toutes les puissances politiques secondaires, il n’y a rien en face du gouvernement, qu’une poussière humaine, comme dans l’Empire romain. Le parlement représente cette poussière et son caractère différent en France et en Angleterre est affirmé par son mode de recrutement.
Le régime parlementaire, copié par à peu près dans la Charte octroyée, a donné d’assez bons résultats tant qu’il n’a pas été compliqué par l’addition du suffrage universel. Tel qu’il est pratiqué, ou plutôt parodié aujourd’hui, les résultats en sont nuls ou mauvais. Le parlement et l’exécutif se paralysent à l’excès, le premier n’arrive pas à produire une loi applicable et il en vient à ne plus trouver le temps de voter les budgets, le second ne peut entreprendre aucune réforme, ni même poursuivre une politique extérieure.
Chez les autres peuples non aryens, les résultats sont encore infiniment pires, et cependant le parlement et l’exécutif devraient être à peu près d’accord, car les élections sont presque partout de pures comédies, les candidats du gouvernement passent toujours et passent seuls. Il faut faire exception pour l’Allemagne, où le système fonctionne un peu moins mal qu’en France, mais cet État est en majorité de population aryenne. En Italie, en Espagne, dans l’Amérique du Sud, les résultats sont franchement désastreux, et je crois inutile d’insister.
La combinaison du suffrage universel avec le régime parlementaire n’a donné, aux États-Unis même, que de médiocres résultats. Ce qui s’y passe n’est pas de nature à faire désirer que l’exécutif soit, chez nous aussi, élu par le peuple et pourvu de pouvoirs forts, comme le voudrait un parti nombreux. En Amérique ce système a directement abouti à l’instabilité des fonctions de tout ordre, au développement prodigieux de la classe des politiciens, tarés là-bas comme chez nous, et tout droit au tammanisme. Je sais bien que les menées et les votes des Irlandais et des immigrés sont pour beaucoup dans ce désordre, mais si l’intervention d’éléments ethniques étrangers a contribué à fausser le mécanisme, il ne faut pas oublier qu’en Angleterre, au siècle dernier, dans la plus belle période du régime parlementaire, le Parlement vendait des lois à bureau ouvert.
En Amérique, les inconvénients sont très atténués par la liberté d’action des individus, et aussi par le peu d’influence, jusqu’ici, du gouvernement sur les affaires privées. Chez nous, où presque rien n’est permis sans autorisation administrative, le danger pourra devenir plus grave. Le système du tammanisme a été développé en France par le célèbre Cornélius Herz, citoyen de New-York et ancien affilié de Tammany-Hall. La corruption organisée par lui n’a point dépassé ce qui se pratiquait à la cour de Louis XV, mais ce n’était vraiment pas la peine de faire la Révolution pour revenir à ces pratiques. Il est probable que le tammanisme est appelé à prendre chez nous des proportions plus grandioses. Son existence est liée d’une manière logique à celle du régime ploutocratique, dont la puissance croissante se développe sous nos yeux.
Il est d’ailleurs assez illogique de réclamer des élus une probité politique dont les électeurs ne donnent en rien l’exemple. Au prix que coûtent les élections, en France, en Italie ou en Amérique, il faut de bonnes affaires pour que le mandataire n’y soit pas du sien. Ne nous étonnons donc pas qu’il vote dans son intérêt personnel, comme a fait son mandant.
Psychologie religieuse. — La psychologie religieuse de l’Aryen, comme sa psychologie politique, reflète les tendances héréditaires de la race. De même qu’il est l’homme libre par excellence, il est aussi l’homme religieux. Ce sont des choses contradictoires pour notre psychologie française, mais qui s’accordent parfaitement dans celle des Anglais ou des Américains. Avec nos habitudes d’indifférence, à peine atténuées chez les pratiquants, nous sommes tout déconcertés du spectacle que nous offrent les peuples dolicho-blonds les jours de dimanche. Cette observation des pratiques religieuses par toute la population nous étonne. La vie religieuse se mêle d’une manière intime à la vie sociale, comme chez nous au Moyen Age, quand la même race dominait chez nous. Ces hommes graves et affairés, qui font de la théologie et discutent des questions inintelligibles pour nous entre deux affaires de blés ou de pétroles, nous apparaissent comme d’une autre espèce. Ils sont seulement d’une autre race. Habitués à ne voir, en fait de publications religieuses, que des Croix ou d’ineptes platitudes sur les miracles de Lourdes ou le culte du Sacré-Cœur, nous restons béants devant la prodigieuse richesse de la littérature religieuse anglo-saxone, et la puissance intellectuelle de ceux qui la produisent. Les livres de cet ordre font à peu près un huitième de l’American Catalogue et de l’English Catalogue. On en publie autant que de romans chez nous, et ils se vendent comme chez nous les romans. Les associations religieuses sont innombrables, et certaines sectes, comme les Shakers, vont jusqu’à se séparer du monde, non pas pour ne rien faire comme nos moines, mais en véritables colonies agricoles.
Cette haute religiosité se trouve déjà chez les Aryens antiques, des Grecs et des Hindous aux Gaulois et aux Germains. Elle a puissamment aidé à la conservation des éléments dolicho-blonds amenés par les migrations dans des milieux peuplés de races étrangères. La nécessité d’une descendance légitime, issue d’une femme de sa race, a sauvé du mélange les tribus migratrices. Le culte des ancêtres ne parait pas avoir existé chez les peuples de race dolicho-blonde restés dans les contrées natales, mais il a joué un rôle capital chez les Hindous, les Grecs et les Romains. Nul ne pouvant jouir de l’autre vie sans l’accomplissement régulier des sacrifices faits par un descendant, l’immortalité des défunts était subordonnée à la perpétuité de la descendance, et chacun se devait, à lui et à ses ancêtres, de ne point mourir sans postérité. L’affaiblissement de cette idée aboutit à la décadence romaine, facilitée par la notion grossière et obscène du mariage chrétien, fornication tolérée par crainte de pire : melius est nubere quam uri. Cette formule de profonde dégradation morale est un recul sur la notion du mariage aryen, conforme à la notion d’immortalité réelle. Je renvoie, pour son appréciation plus étendue, à ce que j’ai dit dans les Sélections, p. 305 et suivantes.
Voyez aussi la préface en tête de ma traduction du Monisme de Haeckel (Paris, Schleicher, 1897).
Les barbares du nord, ne vivant pas campés au milieu de races inférieures à leurs yeux, ne paraissent pas s’être confinés dans les mêmes pratiques familiales, et l’intensité de leurs croyances religieuses s’est manifestée autrement. Les Scythes passaient pour les plus religieux des hommes, et la religion des Gaulois paraît avoir revêtu des formes élevées. Nous savons peu de choses sur les religions des Germains, les documents que nous possédons étant presque tous de date chrétienne. Au moment où ils sortaient de leurs forêts, le monde romain venait de commettre l’incalculable faute d’embrasser une hérésie juive. Depuis des siècles, Mars et Jupiter, si prodigues de leur présence aux temps héroïques, avaient cessé de paraître sur les champs de bataille et de caresser les mortelles. Les libres penseurs en venaient à douter qu’ils eussent jamais existé. Le christianisme n’avait trouvé devant lui qu’une religion officielle, défendue par le pouvoir mais à laquelle croyaient seuls les pagani, ce que nous appellerions les ruraux.
Le christianisme n’est pas précisément une religion très élevée. L’anthropomorphisme de la divinité, les pratiques de la théophagie religieuse, qui sont un reste d’anthropophagie religieuse le placent au-dessous de l’islamisme. Son monothéisme n’est pas bien pur : la trinité du Dieu, la juxtaposition d’une demi-divinité féminine, en font un moyen terme entre les divinités babyloniennes et le dieu seul des musulmans. Les peuples classiques, habitués à beaucoup plus de dieux et bien plus humains, ne s’arrêtèrent pas à ces détails. La réduction à l’unité, même triple, de la cause du monde était un progrès pour les philosophes que n’avait pas encore touchés l’idée moniste. Ceux qui souffraient voyaient dans la religion nouvelle une perspective de compensation, ceux qui étaient heureux pouvaient espérer un bonheur plus grand. L’immortalité redevenait vraisemblable. Tout le monde romain se fit chrétien. Des trois religions en lutte, juive orthodoxe, chrétienne et mithriaque, la troisième disparut, la première resta sur les positions conquises.
Les barbares n’eurent pas de chance à ce tournant de leur évolution religieuse. Ils tombèrent dans une période de pleine ferveur. Le christianisme n’était pas la religion d’un peuple regardant l’avenir. Ses adeptes ne croyaient pas que le retour du Christ dût tarder, ils vivaient dans l’attente prochaine de la fin du monde et du jugement dernier. La vie n’était qu’une constante retraite, préparatoire à la fin prochaine. L’empire romain mourut en grande partie de cette insouciance de l’avenir temporel que professaient les chrétiens, et de la sélection religieuse formidable qui engloutissait dans l’ascétisme les âmes les plus hautes et les plus vertueuses. Les barbares établis dans l’Empire, avant et après la chute de la puissance romaine, furent, en raison de leur intense religiosité, pris en masse par le courant. Les premiers siècles du Moyen Âge sont marqués par la fondation d’une immense quantité de couvents, et de l’ancien territoire romain, le mouvement gagne bientôt l’Irlande, l’île des saints, une partie de l’Angleterre, et le sud de la Germanie. En Irlande le résultat de cette sainteté fut lamentable. Tout ce qu’il y avait d’honnête s’étant fait moine, les descendants des autres ne valurent guère. Les vies de saints irlandaises nous expliquent la genèse de l’Irlandais historique. La sélection religieuse fut moins intense dans les autres régions aryennes, où le christianisme fit assez lentement sa voie. Il mit plusieurs siècles à s’installer autour de la Baltique. Il n’était plus la religion du dieu qui allait revenir demain, il s’efforçait d’être celle d’un avenir terrestre dont la durée pouvait être indéfinie. On ne se jetait plus avec la même frénésie dans les cloîtres. Les régions les plus aryennes échappèrent donc aux premiers ravages de la sélection religieuse.
Quand éclata la Réforme, les peuples dolicho-blonds l’embrassèrent aussitôt. Entre l’esprit de l’Église, tout d’autorité, et l’esprit aryen, tout d’indépendance, il existait une irréductible antinomie. Avec la Réforme, chaque fidèle devenait son évêque et son pape. Cela était plus conforme aux instincts de la race. L’ambition des princes, les persécutions de l’Église contribuèrent à modifier les résultats des aspirations naturelles, mais cependant la frontière du protestantisme est à peu près exactement celle de la dolichocéphalie. Tout le N. O. de l’Europe est protestant, tout ce qui appartenait à l’Empire romain est catholique. L’influence de la race et celle de la durée de la sélection religieuse se font sentir à la fois. De la région dolicho-blonde, l’Irlande, l’Artois et les Flandres sont seuls restés catholiques. Le protestantisme a un peu débordé en Allemagne sur la Saxe brachycéphale, et il a une enclave autour de Genève, mais dans ces deux régions la classe supérieure était plus nettement dolicho-blonde au temps de la Réforme qu’elle ne l’est aujourd’hui. Chose remarquable, en Allemagne la corrélation de la religion et de la race se poursuit jusque chez les individus, dans les régions mixtes. Les groupes protestants ont des indices de deux ou trois unités inférieurs à ceux des catholiques.
La Réforme est donc à considérer comme une tentative l’adaptation du christianisme aux tendances héréditaires de la race aryenne. Comme la liberté, elle n’a jamais pu s’implanter fermement chez d’autres races.
Le développement intense de la religiosité chez les peuples protestants est dû à trois causes : le naturel de la race, la culture religieuse intense développée par les discussions auxquelles cette race se plaît, et l’absence de sélection ecclésiastique. Le célibat religieux, qui depuis quinze siècles a retiré du monde les êtres les plus scrupuleux, les plus fervents, a laissé le soin de la reproduction à ceux qui avaient le moins de vertu, le moins de religiosité, le moins d’empire sur eux-mêmes. Il est arrivé ce qui devait arriver. Le monde catholique est peuplé d’indifférents, la moralité moyenne et l’amour du prochain sont très au-dessous de ce qu’ils sont en pays aryen. Depuis trois siècles que les peuples dolicho-blonds sont affranchis de la sélection ecclésiastique, ils ont réparé leurs pertes, bien moindres au temps de la Réforme que n’étaient celles des peuples plus anciennement convertis. L’écart augmente d’une manière croissante, et il ira en s’augmentant, jusqu’à la destruction des peuples catholiques.
L’intensité de la foi religieuse chez les peuples dolicho-blonds n’exclut pas la tolérance. Il ne faudrait pas exagérer l’étendue de celle-ci dans certains milieux protestants, mais on ne trouve cependant rien de comparable au fanatisme espagnol ou arabe. La liberté religieuse la plus absolue existe aux États-Unis, où les mormons seuls peuvent se plaindre d’être persécutés. Je ne plaiderai pas en faveur des dogmes bizarres du mormonisme et de ses livres saints parfaitement apocryphes. Ce n’est d’ailleurs pas sur le terrain des dogmes, mais sur celui de la morale que le mormonisme a été combattu. Le point de départ des chrétiens a été que leur morale était la bonne, donc que celle des mormons était mauvaise. Ce point de vue est parfaitement faux.
Pour chacun les bonnes mœurs sont seulement celles de sa religion, et on peut dire qu’il n’y a point de morale indépendante, pas même celle du monisme, car celui-ci est ainsi une religion. Il n’y aura de pleine liberté religieuse que le jour où l’état restera neutre entre les morales. La liberté morale est la partie la plus précieuse de la liberté de conscience. L’État ne peut intervenir que dans le cas où une religion ou une morale porteraient atteinte à la liberté d’autrui, ou à l’existence de la nation, et son intervention doit être limitée strictement au nécessaire. Jamais il ne doit tendre à imposer la morale d’une religion sous prétexte qu’elle est conforme aux bonnes mœurs, et le nom même de morale doit disparaître des lois. Laissez les catholiques pèleriner à Lourdes, mais n’empêchez pas, au nom de la morale chrétienne qu’ils méprisent, les boudhistes, les brahmanistes, les juifs, les musulmans et les mormons de pratiquer la polygamie, et les sélectionnistes de rejoindre à leur guise l’humanité future.
L’Aryen dans les affaires. — Les premiers hommes d’affaires du monde sont sans contredit les Anglais et les Américains. Tandis que les Français, les Italiens, les Espagnols visent à obtenir des emplois, ou à faire un petit commerce facile, qui leur permette de vivre aux dépens des producteurs, les peuples dolicho-blonds poussent à l’extrême le mépris des fonctions, de la culture, fabriquent et commercent en grand. En toutes choses ils sont de prodigieux money makers. Les milliards semblent jaillir du sol sous leurs pieds, mais ce sont leurs mains et surtout leurs cerveaux qui les produisent. Assurément la richesse des terres sans maître a développé la culture aux États-Unis, mais le Brésil et la Russie ont aussi d’immenses espaces de terres neuves, qui n’ont point provoqué le même essor de culture. Assurément la houille est un facteur de la richesse anglaise, mais la Chine aussi est un bloc de houille, et n’a jamais essayé d’en tirer parti. Les richesses naturelles ont besoin d’être mises en œuvre, et les peuples dolicho-blonds le font avec une rapidité, une puissance d’action sans pareilles.
L’Aryen est naturellement agriculteur, il devient aisément ouvrier. C’est un producteur par excellence. En cela il se distingue profondément du Juif, qui lui aussi est money maker mais ne touche volontiers ni à la terre ni à l’outil. Les Juifs ruraux de Russie sont si peu agriculteurs que la plupart des colonies fondées par le baron Hirsch ont péri en peu de temps. Les Juifs russes importés ainsi en Argentine se sont rapidement dispersés, ils se sont faits cabaretiers, colporteurs, usuriers, métiers qui vont mieux à leurs aptitudes. L’Aryen n’est donc pas purement bourgeois comme le Juif, il est ce qu’il convient d’être, et ses facultés le servent aux champs, à l’usine, dans la marine, dans le commerce, dans les professions diverses qu’il embrasse souvent tour à tour, et qui toutes lui réussissent. En cela il a une écrasante supériorité sur son concurrent.
Tous deux sont joueurs. Le dolicho-blond a toujours été spéculateur. La conquête était une spéculation des Gaulois et des Germains, l’aléa de la richesse ou de la mort. Aujourd’hui l’Anglais, l’Américain spéculent sur les cotons, les cuivres et les blés. Les Juifs aussi le font, mais chez les premiers la spéculation porte le plus souvent sur des choses réelles, tandis que les seconds spéculent indifféremment sur la rente française et sur les mines de caoutchouc du nord de l’Irlande. La spéculation juive est rarement utile au commerce et presque toujours nuisible aux particuliers.
On n’arrive guère à la fortune autrement que par spéculation. Les Américains font donc souvent de colossales fortunes. Les Carnegie, les Blair, les Rockefeller, les Armour sont aussi riches ou plus riches que les Rothschild, mais il y a dans le millionnaire américain un fonds de grandeur qui manque au millionnaire juif. Tandis que ce dernier ramasse les millions par instinct atavique, comme son ancêtre rognait les ducats, l’autre opère en gentilhomme qui joue des fortunes sur le tapis vert. Rien de plus fréquent que de voir un Américain perdre avec philosophie des dizaines de millions, et refaire avec sérénité une fortune égale. Rien de plus fréquent que de voir les sommes colossales amenées par la chance et le génie des affaires entre les mains d’un Américain passer en tout ou en partie dans de grandes œuvres d’utilité publique. La fortune du Californien Stanford, venue des chemins de fer, a servi à créer Stanford University. Plus de cent millions sont passés dans cette institution, fondée pour fabriquer, non des gradués, mais, soyez étonnés, ô Français ! des hommes instruits, capables de gagner leur vie. Je ne sais où en est Rockefeller avec l’Université de Chicago, mais je pense qu’il doit avoir dépassé son trentième million. L’emploi que font les spéculateurs américains de leurs fortunes permet souvent ainsi de les absoudre. Ce qui a pu être pris au prochain, retourne plus largement au prochain.
L’éducation Anglo-Saxonne. — Les aptitudes naturelles de la race sont relevées par une éducation toute d’action, et bien faite pour elle. Ce n’est pas que l’instruction des Anglais et des Américains soit négligée, même l’instruction classique. S’ils savent en général un peu moins de grec ou de latin, ils ont lu plus d’auteurs en traduction, et ils connaissent mieux les langues modernes. L’instruction scientifique est plus développée, le jeune homme est mis en mesure de comprendre le monde de machines dans lequel il est appelé à vivre, et les forces physiques et biologiques de la nature. Il est plus instruit des causes, et plus apte à savoir appliquer les effets. La différence la plus grande porte sur l’éducation morale. Celle-ci est tournée tout entière vers le développement de l’action et de la responsabilité. Dans la famille et à l’école, l’enfant, au lieu d’être comprimé, est laissé libre de se débrouiller à son aise, et à ses risques. Il sait que de bonne heure il lui faudra compter sur soi seul, et il s’exerce.
Ce mode d’éducation, conforme au besoin d’indépendance de la race, et aux habitudes de liberté, n’est pas encore une des choses qui étonnent le moins les Français. C’est que l’éducation a été inspirée chez nous par des considérations différentes. La culture des humanités avait pour but d’adoucir, de policer une aristocratie forte et brutale, de dériver au profit de l’intelligence l’excès de virilité qui rendait sa direction difficile dans un état catholique et centralisé. Ce but a été atteint, même dépassé. La race vigoureuse et de grand caractère est éteinte. Le brachycéphale de nos jours n’a rien de commun avec l’Aryen du Moyen Age et de la Renaissance. C’est par la servilité, le manque de caractère et de virilité qu’il pèche. Et la même culture, inconsidérément continuée, fournit aujourd’hui des détritus d’intellectuels, des critiques, des décadents, des symboliques, des peureux, des émasculés, des névropathes, des anarchistes, pas un homme.
On a proposé, M. Demolins en dernier lieu[77], de donner aux Français une âme anglo-saxonne, en les élevant comme des Anglo-Saxons. Ce système, je le crains, ne donnerait pas de meilleurs résultats chez nous que le régime parlementaire.
Assurément, par l’éducation, c’est-à-dire par l’habitude, on peut amener l’individu à faire des actes qui ne sont pas dans sa nature, mais cette adaptation individuelle et factice a ses limites. Elle développe, mais ne crée pas les facultés, elle ne change pas le fonds de l’homme, et vienne une circonstance où les habitudes sont bouleversées, le naturel reparaît au galop. Vous pouvez développer l’aptitude au travail, les bonnes manières, l’amour du prochain, si votre sujet n’est pas un fainéant, un rustre, un égoïste absolu, mais vous ne ferez jamais d’un indécis un homme à résolutions promptes et fermes, d’un esprit grégaire un penseur audacieux. Avec un travail infini, répété à chaque génération, car l’habitude ne s’hérite pas, vous pouvez arriver, d’une manière imparfaite, à imiter chez un peuple les qualités d’un autre, mais celui-ci aura toujours l’avantage écrasant de n’avoir pas à les apprendre, et de les posséder pour de bon.
On n’arriverait donc point ainsi à égaliser les chances, même si l’on obtenait un plein succès, mais ce succès me paraît bien douteux. Élever des Espagnols et des Français à la manière américaine, en espérant que cette éducation les fera ressembler à des Américains, c’est probablement compter sur l’impossible. Il est même probable que la différence des instincts pousserait les jeunes gens à faire un mauvais usage des facilités destinées à les habituer à vivre comme des hommes. La même raison fait douter que l’on puisse importer chez nous le système de la coéducation des sexes, couramment pratiqué dans les pays aryens. L’expérience de Cempuis n’a pas donné de brillants résultats. On s’en est pris à Robin, c’est à tort, le pédagogue n’a fait que méconnaître la puissance des instincts de race. Disciple de Rousseau, il n’a pas prévu ce qu’un darwinien aurait su prévoir. Chose curieuse, les critiques les plus amères contre l’échec relatif de l’expérience sont venues du côté des catholiques. C’est pourtant l’Église qui est la principale coupable. C’est la sélection religieuse qui a fabriqué l’extraordinaire poupée française, espagnole ou italienne incapable de penser à autre chose qu’à sa toilette, et de rester seule avec un homme sans danger pour tous deux. Après que quarante générations ont livré au cloître les femmes les mieux douées, et laissé le soin de la reproduction aux autres, on ne doit point s’étonner que, de déchets en déchets, on soit arrivé à produire un être si différent de la femme aryenne.
Et à quoi bon servirait de donner une âme anglo-saxone à un petit nombre d’individus, solidaires sans rémission d’une masse inerte de quarante millions d’hommes qui demandent seulement le repos ? Cela n’est peut-être souhaitable ni pour la France, nation honoraire, ni pour ces individus même. Il en naît encore quelques-uns de faits comme le voudrait M. Demolins. Les pavés courent après tout seuls ! Non seulement leur action est nulle, mais ils sont regardés comme des fous, comme un danger social. Les Français ont-ils tort de les traiter ainsi ? Je n’oserais le dire. La présence de gens forts, actifs et bruyants est plutôt inutile dans un dortoir d’octogénaires.
Psychologie aryenne et dolichocéphalie. — La hardiesse, la ténacité, la dolichocéphalie, la dépigmentation, l’élévation de la taille sont des caractères de H. Europæus. Il n’en faudrait pas conclure que Europœus est d’une mentalité supérieure à cause de sa dolichocéphalie. Ce raisonnement a été fait souvent par les adversaires du sélectionnisme, et quelques-uns me l’ont prêté, pour demander ensuite pourquoi les nègres n’étaient pas aussi des hommes supérieurs. Je n’ai jamais dit ni pensé rien de semblable, mais il est possible que l’avenir montre en effet une corrélation générale entre la conformation longiligne du cerveau et une plus grande dose d’activité impulsive. C’est un fait récemment observé dans divers pays que les races dolichocéphales tendent à occuper les situations sociales dominantes. Ainsi au Mexique le brachycéphale indigène ne tend pas à s’élever, la classe supérieure, qui n’est pourtant Europæus que pour une faible partie, a des indices plus faibles. De même à Java le Chinois domine le Malais. Il parait en être ainsi jusque parmi les tribus nègres, les dolichocéphales, comme les Dahoméens, occupant un niveau plus élevé. Toutes les races envahissantes sont dolichocéphales. Il est donc possible que la disposition et la grandeur relative des parties du cerveau soit telle chez les races à crâne long que le siège de certaines facultés soit plus développé chez elles. La supériorité de l’Aryen sur ces autres races à crâne long résulterait alors de la possession d’autres facultés, qui viennent se joindre à celles-ci, et qui précisément seraient indépendantes de sa dolichocéphalie. En d’autres termes, il unirait aux qualités propres à la dolichocéphalie d’autres facultés, qui lui constitueraient un choix hors ligne d’aptitudes supérieures.
Je n’insiste pas sur ces considérations. Les matériaux font défaut pour une étude comparative des diverses races autres que celles de l’Europe centrale et occidentale. Je crois devoir signaler cependant les résultats très curieux obtenus par Ammon en ce qui concerne les Juifs. Des épreuves de son grand ouvrage en cours de publication (Zur Anthropologie der Badener, Iena, Fischer, 1899), j’extrais les renseignements suivants. Les conscrits juifs sont un peu moins brachycéphales que les Badois, 83.5 contre 84.1. Ils ont aussi les dimensions de la tête plus fortes, 185 et 154 contre 182 et 153. Les conscrits représentent la classe inférieure, celle qui ne fait pas d’études aboutissant au volontariat. Si on les compare aux élèves des divisions supérieures des collèges, on trouve que les collégiens juifs ont un indice bien plus faible, 81.3 et des dimensions absolues différentes, 181 et 151. On observe une différence analogue chez les Badois, mais celle-ci rentre dans la règle banale de la différence d’indice des éléments sélectionnés et non sélectionnés dans une population mixte Europæus et brachycéphale. Le cas des Juifs est infiniment curieux, il prouve que, tout au moins dans le Grand-Duché, la sélection des classes se fait dans les mêmes conditions que chez les Européens. On peut même ajouter que les élèves juifs des collèges des trois grandes villes l’emportent sur ceux des autres établissements : 186, 151, 81.3 contre 185, 150, 81.4.
CHAPITRE SEPTIÈME
Supériorité de l’Aryen. — La supériorité de l’H. Europæus est une conséquence directe de son organisation psychique. Sur cette supériorité même il faut toutefois s’entendre.
Certaines gens, partant du principe mystique de l’égalité fondamentale, ne peuvent supporter qu’on leur parle de races supérieures. Je ne me donnerai même pas la peine de les contredire. Il est parfaitement inutile de raisonner avec des esprits ainsi tournés vers le surnaturel ; les fictions seules ont de la valeur à leurs yeux. Je ne m’adresse qu’à ceux pour qui les faits ont un sens, et aussi les chiffres, qui sont encore des faits, groupés et totalisés.
D’autres demandent : à quoi reconnaissez-vous la supériorité ? Je répondrai : il n’y a pas plus de supériorité en soi que de haut et de bas dans l’univers, que de bien et de mal, mais nous sommes convenus de nous orienter dans l’espace d’après certains points, et en morale d’après certaines conventions. De même nous regardons le brave comme supérieur au lâche, l’actif à l’indolent, le libre au servile, l’intelligent au faible d’esprit, l’homme de caractère à l’indécis, le loin voyant à l’homme de courte vue. La supériorité est donc chose de convention, et nous la prenons ainsi en effet.
D’autres disent encore : le brachycéphale intelligent, pacifique, laborieux, économe n’est-il pas plutôt supérieur au dolicho-blond, brillant pourfendeur, exploiteur des faibles ? Je répondrai : Si le brachycéphale est intelligent, il accumule les idées plutôt qu’il n’en fabrique, c’est un appareil enregistreur ; s’il est pacifique, c’est parce qu’il manque de hardiesse, mais non de convoitise du bien d’autrui ; le lucre le tente, mais le danger lui donne à réfléchir, ce qui n’empêche pas les assassins d’être partout plus brachycéphales que la moyenne ; s’il est laborieux, il rend moins que le dolicho-blond, et un travail de moindre qualité ; s’il est économe, c’est parce qu’il ne sait point regagner l’argent, quand il l’a perdu ; son économie prouve seulement la conscience d’une impuissance relative à acquérir. Le dolicho-blond n’est pas seulement un brillant pourfendeur, exploiteur de faibles. Il ne faut pas voir que le Gaulois de Delphes ou le Cimmérien de Ninive, il faut voir aussi les grandes usines d’Angleterre et d’Amérique, les laboratoires allemands ; il faut consulter les statistiques commerciales et industrielles, il faut comparer le Hinrichs, l’American Catalogue, l’English Catalogue au Lorenz, et voir de quel côté est la puissance de production intellectuelle. Si le dolicho-blond, quand il vit dans des pays de population mixte, prend le dessus et dirige le travail plus qu’il ne travaille de ses propres mains, c’est en raison d’une plus grande puissance mentale qui le rend plus apte à la direction. Chez lui il se montre apte à tout, il est un ouvrier prodigieux et un agriculteur modèle.
Il n’est donc pas seulement un oppresseur, un tyran, un conquérant. Il a la même supériorité mentale. Les démocrates oublient cela. Assurément les Anglais et les Américains sont raptores orbis, les uns en acte, les autres en puissance, mais chez eux et entre eux ils sont libres. Et c’est précisément parce que l’Aryen naît avec une âme d’homme libre qu’il s’élève au-dessus de ceux qui ont des âmes d’esclaves.
La supériorité sociale de l’Aryen s’accuse de toutes façons. En Europe il occupe les plaines, laissant les hauteurs à l’Alpinus. Il afflue dans les villes, dans les centres d’activité, partout où il faut plus de décision, d’énergie. Plus une couche sociale est élevée, plus on le rencontre en grand nombre, il prédomine dans les arts, l’industrie, le commerce, les sciences et les lettres. Il est le grand promoteur du progrès.
Dans mes leçons de février 1887, j’ai défini les quatre grands groupes intellectuels entre lesquels on peut répartir tous les hommes, et montré que de toutes les races la plus riche en hommes du premier type, initiateurs et pionniers d’idées, est la race dolichocéphale blonde. Ces leçons ont paru dans la Revue d’Anthropologie (De l’inégalité parmi les hommes, R. d’Anthr., S. 3, III, 1888, 1-38). Ce travail conserve toute sa portée et j’y renvoie, me bornant ici à une esquisse sommaire des idées principales.
Le premier type est celui des initiateurs, des pionniers qui ouvrent à travers l’inconnu des voies nouvelles pour l’humanité et qui l’entraînent après eux. Inquiet et hardi, d’une intelligence au moins moyenne, l’homme de ce caractère est mal à l’aise dans les sentiers battus où se plaît le vulgaire, et où il se tient par nécessité. Il aime les idées et les inventions nouvelles, il en est le partisan immédiat et ardent. Il en saisit l’intuition le côté pratique, s’efforce de le réaliser et, s’il le peut, passe sa vie en créations continuelles. Tout ce qui est nouveau, non de forme mais de fond, tout ce qui change une face de la civilisation et détermine un brusque mouvement en avant, nous le devons à ces esprits investigateurs, et l’évolution tout entière des sociétés est leur fait. Ces hommes sont rares, les circonstances les font s’occuper en général de choses au-dessous de leur valeur, et le petit nombre qui réussit est loin de rendre la somme de services qu’il pourrait dans des conditions meilleures. Ces audacieux ne sont d’ailleurs pas tous des génies, mais les hommes d’un vrai génie présentent tous, au plus haut degré, ce type d’organisation.
Le second type est celui des hommes intelligents et ingénieux, mais sans esprit créateur, qui prennent, taillent, travaillent et perfectionnent les idées et les inventions des premiers. Les hommes de cette nature arrivent, en donnant aux choses des formes ou des combinaisons nouvelles, à des résultats qui font parfois illusion sur leur valeur, et il faut y regarder de près pour voir qu’ils ont simplement élaboré, sans créer les matériaux. Le premier et le second type d’esprits se complètent. Les premiers produisent en général leurs découvertes sous une forme trop brute, les autres ne peuvent travailler que sur les découvertes d’autrui.
Le troisième type comprend les hommes peu, moyennement ou très intelligents que réunit le commun caractère appelé par Galton, esprit de troupeau. Pour eux, toute idée qui n’est pas admise d’une manière courante, toute invention nouvelle est un sujet de méfiance ou de raillerie. Quand l’idée ou l’invention ont prévalu, ils en prennent avec opiniâtreté la défense contre les promoteurs d’idées ou d’inventions plus parfaites. Les hommes de ce caractère, quand ils sont intelligents, sont ouverts à l’instruction plus qu’aucune autre catégorie. Dépourvus d’idées propres, incapables d’en créer, ils s’assimilent d’autant plus aisément celles des autres. Tout ce qu’on leur enseigne s’imprime avec facilité dans leurs esprits, et si profondément qu’il devient impossible d’y apporter aucun changement. Non seulement ils sont incapables de travailler les idées acquises et d’en faire des combinaisons d’apparence nouvelle, mais tout changement qu’on leur propose leur cause un trouble moral, et dans leur persuasion qu’ils possèdent la vérité officielle, qu’ils représentent le dernier mot de la perfection, ils opposent à tout progrès la plus redoutable des résistances, celle de l’inertie des masses. Chez les esprits de ce type, l’inertie augmente à mesure que l’intelligence diminue, de façon que l’indifférence absolue remplace chez les sujets inférieurs et les plus nombreux la résistance opiniâtre mais raisonnée.
Le quatrième type d’esprits, le plus inférieur, est incapable, non seulement de grouper et de produire, de découvrir et de combiner, mais même de recevoir par éducation la plus modeste somme de culture.
Il est évident que les hommes, tels qu’ils vivent, ne peuvent être exactement groupés et comme parqués dans ces quatre divisions. Ces types sont en quelque sorte des centres de groupement, de chacun desquels chaque homme est plus ou moins éloigné. Dans la série humaine il n’y a pas de groupes tranchés, de limites réelles. Si on la représentait par un graphique, la figure, en pointe aiguë vers l’extrémité supérieure, irait en se renflant brusquement pour s’élargir d’une façon démesurée, se rétrécir d’une manière graduelle et finir par une base assez restreinte. La pointe aiguë représenterait les hommes de génie, et la pointe très mousse les peuples les plus sauvages ou les individus les plus dégradés de nos peuples supérieurs. V. Ammon, Gesellschaftsordnung, 2e Aufl., 56.
Pour faire mieux comprendre ce procédé de cote, je vais en faire quelques applications à des peuples bien connus. Prenons d’abord la population de l’Angleterre. La première catégorie sera représentée par quelques centaines d’individus dont quelques-uns d’un génie reconnu, beaucoup d’un incontestable talent, et beaucoup aussi dont la valeur réelle n’a pas trouvé d’occasion de se manifester pleinement. La seconde catégorie comprendra sans doute plusieurs centaines de mille sujets, la grosse masse des millions appartiendra à la troisième, et la quatrième comptera un ou plusieurs millions peut-être. Nous dirons que la population anglaise est une population très supérieure. Cela ne veut pas dire, évidemment, que tout Anglais soit un homme supérieur. En réalité, les hommes de valeur sont une minorité infime, une toute petite poignée noyée dans les masses populaires, mais ces hommes sont encore relativement plus nombreux que chez la moyenne des peuples, mais ils sont reliés aux masses profondes par un groupe déjà imposant et compact d’autres hommes qui les comprennent et les imitent, mais les masses elles-mêmes, enlevées par l’exemple, sont lancées dans les voies ouvertes Dans un train il n’y a que la locomotive dont le mouvement soit propre. Derrière elle une longue file de wagons, tous inertes, qui par leur poids, leur frottement, usent en partie la force de la locomotive et ralentissent sa marche. Ces wagons inertes n’en roulent pas moins aussi vite que la locomotive.
Si nous prenons maintenant le Mexique, la première catégorie sera absente, la seconde beaucoup moins représentée qu’en Angleterre, et la quatrième égalera le tiers ou le quart de la population totale. Le mouvement viendra du dehors et sera très faible. Chez un peuple nègre, mais dont la culture a été tentée, les Haïtiens par exemple, la seconde catégorie est représentée à peine, et la quatrième tend à l’emporter sur la troisième. Enfin si nous nous adressons à un groupe totalement inférieur de Fuégiens, d’Australiens ou de Boschimans, la presque totalité des sujets appartiendra au quatrième type, et les hommes marquants de la race pourront tout au plus prétendre à une place modeste dans la troisième catégorie.
Si l’on étudie par le procédé graphique des cartes la répartition des hommes de talent en Europe depuis quelques siècles, la carte de la répartition des hommes de génie ou d’un talent voisin du génie est ponctuée d’une manière peu dense, mais la ponctuation a pour axe visible la ligne idéale partant d’Édimbourg et aboutissant en Suisse, déjà découverte par M. de Candolle. On distingue confusément un autre axe de répartition qui commence au-dessous de l’embouchure de la Seine et va rejoindre obliquement la Baltique en coupant l’autre vers Paris. En dehors de cette grande tache diffuse vaguement losangique, des points isolés et de plus en plus espacés sont éparpillés sur toute l’Europe, sauf l’Empire russe, très déshérité jusqu’ici, et la péninsule Balkanique, entièrement vierge. La haute et la moyenne Italie, la vallée du Rhône, l’Allemagne du Sud et l’Autriche présentent des traces de centres secondaires, mais sur cinq à six cents points la tache principale comprend les quatre cinquièmes à elle seule. Nous saisissons une corrélation entre la densité de la population aryenne, dans les deux derniers siècles, et la répartition du génie.
Contingence de l’eugénisme aryen. — Le haut eugénisme d’Europæus ne constitue pas une supériorité nécessaire. Elle n’existe pas chez tous les individus, elle n’a pas toujours existé, elle n’existera pas toujours peut-être.
J’insiste sur le premier point, à l’intention des esprits philosophiques, pour lesquels une porte doit être ouverte ou fermée. Dans le monde des réalités, la porte n’est presque jamais ouverte ni fermée tout à fait. Il y a des fils de dolichocéphales très grands et très blonds qui ne sont en rien supérieurs à la moyenne des nègres ; il y en a de parfaitement idiots, d’autres atteints d’aboulie. Les cliniques mentales d’Angleterre, de Hollande et d’Amérique ne manquent pas de sujets réduits à la vie animale. Il ne faut donc pas faire le raisonnement que j’ai entendu faire à des gens très doctes, voire bons professeurs : le dolicho-blond est supérieur, donc tout dolicho-blond doit être supérieur, tel crétin est dolicho-blond, donc le dolicho-blond n’est pas supérieur.
J’ai déjà montré que la masse des populations de race Europæus n’était pas, dans les premiers temps historiques, parvenue au degré de maturité cérébrale acquis dans ces derniers siècles par les peuples de la Mer du Nord et de la Baltique. Si la grande civilisation néolithique de l’Europe parait avoir été l’œuvre du dolicho-blond, celles de l’Égypte et de la Chaldée, qui en dérivent ou en sont des branches collatérales, ne paraissent pas dues à l’Europæus. Il ne faut pas toutefois se presser de conclure, car le grand développement de la civilisation dans ces deux régions peut s’être produit sous l’influence d’éléments dolicho-blonds, superposés à des populations d’autre race qui ont continué le mouvement après l’extinction des premiers initiateurs. J’ai montré qu’un élément blond a existé en Égypte dans les temps les plus reculés. De même en Asie les grandes civilisations du Mitani, et ensuite de l’Assyrie, paraissent dues à un noyau de race aryenne. Pour la Chaldée seulement les données font jusqu’à présent défaut.
Si d’ailleurs le développement a été plus précoce dans les vallées bénies du Nil et de l’Euphrate, la raison en est surtout au milieu. Ces régions étaient propres à un grand développement de la population, par suite de la facilité de la culture, et des moindres besoins de la vie. Le progrès n’est possible que dans une population d’une certaine densité, offrant aux chances de destruction une résistance due à sa propre masse. Avec les modes de culture des temps primitifs, et sous un climat dont la basse température exige une consommation individuelle plus forte, il est facile de comprendre qu’un développement pareil n’était guère possible dans les basses vallées du Rhin et de l’Elbe. Ce sont des pays propices à l’avancement, mais non aux débuts de la civilisation.
L’aptitude au progrès, à la production sans cesse croissante d’eugéniques, parait propre à la race dolicho-blonde. Les diverses races qui se trouvaient en contact intime avec le monde égypto-chaldéen n’ont pas participé à cette évolution. Si les éléments aryens de la Perse, de l’Inde, de la Grèce, ont évolué rapidement, et jusqu’à épuisement complet, les populations noires de l’Inde et de l’Afrique sont restées immobiles. L’Égypte a pris contact avec les nègres il y a six ou sept mille ans ; elle a dominé toute la région du Soudan égyptien, sans qu’il s’y développât par imitation une civilisation indigène.
Il en est d’ailleurs de même aujourd’hui. Les diverses races qui ont reçu notre civilisation moderne ne paraissent pas en avoir beaucoup profité. Le Mexique, le Pérou, l’Inde, pour ne parler que de populations anariennes d’un niveau élevé, ne paraissent pas en voie de progrès. Il faut distinguer avec soin la valeur des individus et celle de l’acquis social dont ils sont participants. L’homme de notre temps superpose à sa valeur personnelle tout l’acquis dont a bénéficié sa génération par l’accumulation des richesses, des découvertes scientifiques, des idées-forces. L’acquis social peut passer à des races inférieures d’un coup, mais non la supériorité mentale. Les populations des pays dont je parle n’ont rien ajouté à l’actif reçu de nous, il est donc permis de dire qu’elles ne sont pas en progrès réel.
Avec des nègres, des Chinois, des Indiens du Mexique on peut faire des soldats, des marins, des ouvriers habiles, des laboureurs patients, voire des notaires, des médecins, des commerçants, mais point de directeurs sociaux, de ces hommes qui apportent un facteur nouveau à l’évolution. C’est par la faculté de produire beaucoup d’hommes très supérieurs qu’Europæus se place en tête de toute l’humanité.
Cette supériorité ne se maintiendra pas d’une manière nécessaire. Je ne veux, pas dire qu’elle cessera, mais elle pourrait cesser. Les sélections sociales peuvent arriver, en un temps assez court, à éliminer les éléments les plus eugéniques. C’est ainsi qu’ont péri tous les grands peuples de l’antiquité. Les désastres militaires n’ont fait que renverser des états croulants de vétusté, vivant par habitude, et chez lesquels la multitude répandue dans les rues et les campagnes ne suppléait pas à l’absence d’hommes dans le sens complet du mot. Cette possibilité est tout simplement celle de l’arrêt et du recul de la civilisation. Rien ne permet, en effet, de compter sur des races qui depuis des siècles et des siècles n’ont pas tiré de leurs rapports avec la civilisation les moyens d’évoluer. Les nègres, par exemple, paraissent des barbares définitifs. Par une sélection systématique, on pourrait en faire sortir une population très supérieure aux Aryens les plus eugéniques, mais il ne faut pas faire cette hypothèse, car si l’on fait de la sélection systématique ce ne sera point à leur bénéfice. Les sélections sociales relèveront certainement les nègres, elles feront périr de misère les éléments qui ne pourront s’adapter au travail plus intense imposé aux peuples africains par la civilisation, mais elles ne feront que le nécessaire, c’est-à-dire ce qu’il faudra pour fabriquer de bons producteurs économiques.
L’anthroposociologie comme moyen d’investigation. — L’anthroposociologie est la branche de l’anthropologie qui étudie l’homme comme membre de la société. Je n’aime pas beaucoup ce terme, mais il est tellement répandu que je suis obligé de l’employer quelquefois pour me faire comprendre.
Les recherches de cet ordre, quand on les pratique dans les régions où existe H. Europæus, soit pur soit à l’état de combinaison ethnique, ont pour résultat immédiat de montrer la proportion de cette race dans les diverses catégories sociales. L’étude de la supériorité d’Europæus se ferait donc d’une manière toute naturelle par l’analyse ethnique des diverses catégories sociales en Europe et dans quelques régions hors d’Europe.
Je ne veux pas me livrer de nouveau à ces recherches, qui ont fait l’objet du cours de l’année précédente. Les Sélections sociales sont le développement tout naturel du présent chapitre, qui prendrait, si je voulais le traiter d’une manière étendue, des proportions supérieures à tout le reste du présent volume. Je me bornerai donc à compléter sur quelques points la documentation des Sélections sociales, mais avant de le faire, j’insisterai sur deux idées qui paraissent avoir besoin d’être présentées d’une manière très nette, car elles ont fait l’objet de raisonnements inexacts de la part de beaucoup de bons écrivains.
Gobineau pensait que la stratification sociale avait pour origine des faits militaires, invasion, conquête, assujettissement des vaincus. Cette idée se retrouve dans les écrits de Broca, nous avons vu tout à l’heure, dans le cas particulier des Germains établis en Gaule, que Livi ne l’avait pas abandonnée, et je sais que beaucoup de bons esprits lui accordent encore un certain crédit. En réalité la stratification actuelle n’a rien à voir avec la conquête barbare. Les phénomènes de dissociation, de capillarité, nous expliquent d’une manière suffisante l’état actuel des choses. Nous voyons sous nos yeux se produire l’afflux des dolichoïdes sur certains points, leur élévation dans l’échelle sociale. Toutes les recherches d’analyse ethnique sont d’une clarté parfaite à cet égard. Il y a longtemps que l’état de choses créé par les invasions a disparu, et l’état actuel se fait et se défait d’une manière continue. Je renverrai pour plus de développements aux mémoires spéciaux de Closson : Dissociation by displacement, La dissociation par déplacement, Ethnic stratification, etc.
Il faut d’ailleurs remarquer que la conquête peut revêtir deux formes, militaire et interstitielle. La conquête interstitielle se produit quand dans un pays s’infiltrent d’une manière graduelle et pacifique des éléments étrangers, qui finissent par s’emparer du pouvoir par le fonctionnement normal des institutions politiques. L’infiltration d’innombrables bandes de barbares dans l’Empire romain est un exemple d’invasion interstitielle précédant une conquête militaire. Encore peut-on aller jusqu’à dire que les nouveaux-venus avaient en partie conquis le pouvoir, car beaucoup d’entre eux avaient trouvé moyen d’accéder aux plus hautes charges. Nous assistons à un spectacle analogue en France, où l’oligandrie a provoqué un appel considérable d’étrangers, dont un grand nombre occupent les situations les plus en vue. La conquête interstitielle, pour s’opérer sans fracas, peut n’être ni moins complète ni moins définitive que la conquête par les armes.
L’autre idée fausse est peut-être encore plus généralement répandue. Elle est partagée par des anthropologistes très en vue, que les conséquences de l’anthroposociologie déroutent dans leurs idées préconçues, et aussi dans leurs préjugés politiques. Livi, Manouvrier, d’autres encore, soutiennent que les résultats de l’anthroposociologie sont mal interprétés, que les faits sont exacts, mais qu’ils ne supposent nullement une inégalité des races, entraînant superposition d’une manière nécessaire, comme dans un tube contenant du mercure, de l’eau et de l’huile. Il s’agirait simplement d’un phénomène de péréquation de l’indice. Le mélange des races étant plus grand dans les villes, dans les classes supérieures, dans les éléments en mouvement, il serait tout naturel que l’indice fût plus faible en France dans toutes les catégories correspondantes. Livi croit voir une preuve à l’appui de cette idée dans le fait que les éléments sélectionnés sont, dans l’Italie du Sud, moins dolichocéphales au lieu de l’être davantage.
Ammon et Closson ont répondu avec raison à Livi que son argument prouvait seulement l’infériorité du type dolicho-brun (meridionalis) par rapport au type brachycéphale d’Italie, (le plus souvent Dinaricus), mais qu’il n’y avait aucune conséquence à en tirer pour le cas où la comparaison s’établit entre Europæus et Alpinus. La psychologie de l’Anglais n’est pas celle du Sicilien, et celle du Yankee n’est pas davantage celle du Napolitain. Ce n’est pas l’indice qui fait la supériorité, tant s’en faut, puisqu’en Amérique le nègre est plus dolichocéphale que le Gallo-Saxon, et cependant lui est socialement inférieur. Meridionalis dolichocéphale est inférieur au brachycéphale, Alpinus ou Dinaricus, et celui-ci à Europæus, encore dolichocéphale.
En ce qui concerne la France, la péréquation de l’indice ne saurait expliquer les résultats de l’analyse ethnique. C’est évidemment à la péréquation que tout le monde a songé d’abord quand on s’est trouvé en présence d’une moindre brachycéphalie des catégories sélectionnées, mais il a bientôt fallu reconnaître que la péréquation n’était pas le seul facteur en jeu. C’est ce qu’Ammon et moi nous avons fait de bonne heure, et ce que feront tous les anthropologistes de bonne foi après avoir étudié les chiffres.
Collignon a trouvé pour moyenne des indices départementaux le chiffre 83.57. Ce chiffre n’exprime pas l’indice probable d’un lot considérable, de mille Français par exemple, pris au hasard. Les départements très brachycéphales sont, en effet, très peu peuplés en comparaison des moins brachycéphales. J’ai donc repris le calcul, en multipliant chaque indice départemental par la population du département, exprimée en milliers d’habitants. J’ai divisé la somme des produits par la somme des milliers d’habitants, et obtenu le chiffre 83.01, qui peut être, jusqu’à nouvel ordre, regardé comme l’expression de l’indice des Français mâles adultes. C’est celui que l’on devrait obtenir en mesurant la population masculine entière, vers l’âge de 21 ans.
Si la péréquation était le seul facteur en cause, nous devrions trouver 1° dans toutes les régions dont l’indice est supérieur à la moyenne, une moindre brachycéphalie des catégories sélectionnées ; 2° inversement, dans les régions dont l’indice est inférieur à la moyenne, une plus grande brachycéphalie des catégories sélectionnées. Or il n’en est pas ainsi, dans les régions les moins brachycéphales l’indice continue à s’abaisser davantage à mesure que les éléments sont plus sélectionnés. Il tend donc vers la moyenne 77 ou 78 d’Europæus et non vers celle 83.01 de la nation française.
Paris a un indice de 80.7, la Seine 80.9. L’indice est donc de plus de deux unités au dessous de la moyenne de la France, et même des départements de la région parisienne, qui varient entre 81.4 et 83.1. De même l’indice de Bordeaux 79.6, est inférieur à celui du département de la Gironde 80.8, à celui de tous les départements voisins, compris entre 80.4 (Charente) et 83.6 (Landes), inférieur de trois unités et demie à celui de la France. Il n’y a pas un seul département, sauf les Pyrénées-Orientales, dont l’indice soit aussi bas que celui de Bordeaux. La Corse, les Pyrénées-Orientales, la Creuse, la Dordogne, la Gironde, le Nord, le Pas-de-Calais, la Haute-Vienne sont les seuls départements dont l’indice soit inférieur à celui de la Seine, les deux premiers de deux unités, les autres de quelques dixièmes d’unité. Ces deux exemples suffisent à prouver l’insuffisance de l’hypothèse de la péréquation pour la France. Il en est de même pour le grand-duché de Bade, où l’indice des villes est inférieur à celui de toutes les circonscriptions rurales qui les alimentent et très inférieur à la moyenne générale. L’exemple le plus saisissant que l’on puisse donner est cependant l’Autriche. La ville de Vienne est moins brachycéphale que la circonscription dont elle est le centre, et celle-ci est précisément la moins brachycéphale de l’Empire Austro-Hongrois. Il en est à peu près de même en Suisse : tout le pays est brachycéphale, les villes seules tendent à la dolichocéphale : Genève, Bâle, Zurich, Berne.
On trouve en France quelques villes en très petit nombre, au centre de pays très brachycéphales, qui ont un indice supérieur à 83. Lyon parait être du nombre, près de 85, autant qu’on en peut juger sur des chiffres insuffisants : cette ville a bien une Société d’Anthropologie, mais celle-ci ne parait pas d’un zèle très actif pour les recherches locales. La région dont Lyon est le centre atteint des indices très élevés : l’Ain, le Doubs, le Jura, le Rhône dépassent 80, la Haute-Loire, la Haute-Saône, Saône-et-Loire sont au-dessus de 87.
L’explication de l’inégalité des indices par la péréquation n’est donc pas possible. Cette explication était la première qui dut venir à l’esprit, et de fait elle a retardé longtemps le rattachement du phénomène à la sélection sociale, mais c’est bien dans cette dernière qu’il faut chercher la cause principale. C’est ce qui résultera d’ailleurs, avec la dernière évidence, des paragraphes suivants, si l’on a soin d’avoir toujours présent à la mémoire le terme de comparaison fondamental, l’indice 83 de la nation française.
Les paragraphes suivants sont la reproduction partielle mise à jour quant aux chiffres, d’un travail très important que j’ai publié depuis les Sélections sociales. Il a paru en Amérique dans le Journal of Political Economy de l’Université of Chicago (Fundamental laws of Anthropo-sociology, 1897, VI, 54-92, et tirage à part), en Italie dans la Rivista italiana di sociologia (Le leggi fondamentali de l’antropo-sociologia, 1897, I, 304-331, et tirage à part). La Revue scientifique en a publié le texte, allégé de la plupart des tableaux, le public français n’aimant guère les chiffres, pour éloquents qu’ils puissent être (Lois fondamentales de l’Anthroposociologie, R. scient., 1897, II, 545-552).
Loi de répartition des richesses. — Dans les pays à mélange Europæus-Alpinus, la richesse croit en raison inverse de l’indice céphalique.
Pour la France, le tableau suivant montre la différence de rendement des impôts les plus significatifs : l° par comparaison, entre les départements les plus dolichoïdes et les plus brachycéphales, groupés jusqu’à concurrence de dix millions d’habitants pour chaque groupe ; 2° par comparaison entre les 20 départements les plus et les moins brachycéphales. L’évaluation est faite en millions de francs. Les pourcentages sont de Reddoe (Selection in Man, 8).
L’inégalité se montre écrasante au détriment des brachycéphales. Il convient d’ailleurs de tenir compte de deux éléments pour son appréciation. 1° Le groupe de dix millions de dolichoïdes ne comprend que 13 départements, celui des brachycéphales en contient 30. Cette différence de surface explique le seul cas d’infériorité du groupe dolichoïde, qui se rapporte à la propriété non bâtie. 2° La Seine fait partie du groupe dolichoïde, mais si on la retranche, bien que le lot des dolichoïdes tombe à 7 millions contre 10, la supériorité lui reste encore sur toute la ligne. On obtient les mêmes résultats dans l’étude intérieure de chaque département. J’ai fait ce travail pour l’Hérault, l’Aveyron, et Muffang pour les Côtes-du-Nord.
La même loi se vérifie en Suisse, en Allemagne, en Autriche. Elle est également applicable en Espagne et en Italie, mais la démonstration est plus difficile qu’en France, en raison de la prédominance, croissante du N. au S., de l’élément méditerranéen, dont l’indice se confond avec celui du dolicho-blond, mais dont les aptitudes sont moindres. Le tableau ci-dessous donne le rendement des impôts en Italie, pendant l’année 1894, dans quatre groupes de provinces, comprenant chacun environ 5.000.000 d’habitants.
Dans les pays où l’élément Europæus est presque seul, la richesse est maxima. Il est probable que la loi n’est plus applicable dans ce cas : États-Unis, Dominion du Canada, Angleterre, Hollande, etc. La vérification serait à faire, car la loi paraît avoir une plus grande étendue que ne l’indique son énoncé. Les pays les plus dolichocéphales de l’Inde (Bengale), de la Chine et même de l’Afrique sont aussi les plus riches[78].
Loi des altitudes. — Dans les régions où coexistent H. Europæus et H. Alpinus, le premier se localise dans les plus basses altitudes.
Sur le continent européen, l’habitat de H. Europæus coïncide à peu près avec la zone des alluvions quaternaires de la Mer du Nord et de la Baltique. La carte géologique et la carte anthropologique sont presque superposables. En France où son habitat recule sans cesse, il est presque localisé dans les plaines de Flandre, d’Artois et de Picardie, et dans la vallée inférieure des fleuves. À mesure que l’on s’avance vers le midi, il devient très rare dès l’altitude de 100 m. Cependant toutes les vallées des petits fleuves méditerranéens sont encore dolichocéphales jusqu’à cette altitude et les blonds y sont nombreux.
Réciproquement les axes de brachycéphalie suivent les lignes de partage des eaux. L’axe principal part de la Galice, suit la crête des monts jusque vers le milieu des Pyrénées françaises, rejoint le plateau central, couvre le massif alpin et se bifurque. Une branche continue le long de l’arête dorsale du continent par la Forêt noire, les monts de Bohême et le relief diffus qui constitue la ligne de partage en Russie. À cette extrémité l’axe cesse au milieu d’un vaste élargissement couvrant la Pologne et les environs. L’autre branche rejoint par les Balkans le massif brachycéphale de l’Asie Mineure. Des branches secondaires dessinent la chaîne de l’Apennin, partie septentrionale et moyenne, la ligne de partage des eaux entre Loire et Seine, avec évasement sur le massif breton, la ligne des Vosges avec évasement dans l’Est de la Belgique, la ligne qui aboutit au Danemark et la chaîne qui sert d’axe à la péninsule balkanique. Il est à remarquer que presque partout le maximum de brachycéphalie ne coïncide pas avec la crête géographique des chaînes, il est, suivant leur orientation, légèrement au Nord ou à l’Ouest[79].
Dans les massifs montagneux l’indice céphalique est assez exactement proportionné aux altitudes. Dans les régions moins élevées, il suffit souvent d’un relief de cent mètres pour que la brachycéphalie soit très marquée (Monts d’Arrée, Suisse normande). La loi n’est applicable ni en Angleterre ni en Espagne, faute de brachycéphales. Cependant la chaîne côtière du N. de l’Espagne rentre dans la règle. La loi des altitudes a cependant une étendue générale plus grande que ne le comporte l’énoncé. L’axe de brachycéphalie se continue par l’Asie-Mineure, l’Arménie, les plateaux de l’Asie centrale, le Tibet, la Mongolie, la Mandchourie et va jusqu’au détroit de Behring. Une branche importante descend en Indo-Chine. De même en Amérique le grand axe des Cordillières, depuis le détroit de Behring jusqu’au cap Horn, est un axe de brachycéphalie. Les hauts-plateaux du Mexique, du Pérou, de la Bolivie, de la Patagonie sont brachycépales. En Afrique il n’y à pour ainsi dire pas de brachycéphales.
Loi de répartition des villes. — Les villes importantes sont presque exclusivement localisées dans les régions dolichocéphales, et dans les parties les moins brachycéphales des régions brachycéphales.
Cette règle souffre très peu d’exceptions en Europe : Rennes, Le Mans en France, Turin en Italie, Malaga en Espagne sont les plus notables. Elle n’est pas d’ailleurs tout à fait particulière aux grandes villes, et s’étend, avec de plus nombreuses exceptions, aux petites et même aux bourgs. Quand il n’y a pas une raison nécessaire pour qu’il en soit autrement, l’agglomération principale de chaque unité territoriale, si petite qu’elle soit, tend à coïncider avec le centre des plus faibles indices.
L’application est aussi générale dans les autres parties du monde.
La loi de répartition des villes semble être connexe avec une loi régissant la plus grande densité de la population, mais celle-ci n’a pas encore été dégagée avec une suffisante netteté. Elle se relie aussi d’une manière évidente à la loi des altitudes et à celle de répartition des richesses.
Loi des indices urbains. — L’indice céphalique des populations urbaines est inférieur à celui des populations rurales qui les englobent immédiatement.
La première constatation de cette loi a été faite par Durand de Gros dans l’Aveyron, en 1869 : Rodez, ruraux 86.2, urbains 83.2 ; Millau, ruraux 85.8, urbains 84.1 ; Saint-Affrique, ruraux 83.4, urbains 82.2[80]. De 1887 à 1890 j’ai trouvé les mêmes résultats dans les petites villes de l’Hérault : Clermont, ruraux 84.4, urbains 79.5 ; Lodève, ruraux 82.3, urbains 79.7 ; canton de Lunel 83.3, ville de Lunel 82.1, ville de Marsillargues 81.3. Depuis 1890 il a été publié par Ammon, Livi, Weisbach et Oloriz de nombreux documents concernant des localités étrangères. En France, les recherches du D. Collignon et les miennes ont établi la généralité de la loi, et fourni des chiffres définitifs pour un certain nombre de localités.
Le département de la Seine, c’est-à-dire Paris, a pour indice 80.9 d’après les derniers travaux de Collignon ; Seine-et-Oise a 81.4, les départements limitrophes qui enveloppent la Seine-et-Oise varient entre 81.3 (Eure) et 83.1 (Loiret). La Seine est ainsi un des départements où l’indice est le plus faible, le 7e dans l’ordre des indices. Paris, lieu de concentration de la France entière, a un indice inférieur de près de trois unités à celui que Collignon attribue comme moyenne à la France.
Dans l’Ouest, la loi s’applique à Limoges, Périgueux, Bordeaux, la Rochelle, Bayonne, Tarbes, Auch, Mont-de-Marsan, Pau (Collignon). L’écart moyen est d’environ deux unités. Bordeaux a été étudié avec soin par Collignon : Bordeaux-ville 79.58, communes de banlieue 80.63 à 81.54, ruraux 81.8. Bordeaux a 60% d’indices inférieurs à 80, les communes de la banlieue 32%. On peut encore citer dans l’Ouest, Saint-Brieuc, d’après Muffang[81], et d’après les recherches de Collignon et les miennes, Niort, Nantes, Rennes, Angers, Laval, Le Mans, Saint-Malo, Coutances, Cherbourg, dans le centre Clermont, Bourges, Orléans, Nevers. Elle est également applicable à Lyon, où la Société d’Anthropologie de cette ville trouverait un vaste champ de recherches fort utiles. Dans l’Est on peut citer Besançon, Macon, Grenoble, où il existe également une Société d’Anthropologie à laquelle on pourrait conseiller des recherches approfondies ; dans le Midi, Marseille, Narbonne. Le Nord est peu connu, citons d’après Labit (Anthropologie des Ardennes, AFAS, 1897, II, 645-656), Sedan, Rocroi, Givet, Rethel, dans les Ardennes.
Nous avons moins de renseignements pour l’Allemagne, où l’adoption de la méthode de Jhering a littéralement jugulé l’anthropologie métrique. À Karlsruhe l’indice des ruraux est 83.0, celui des urbains 81.4, à Fribourg, 83.6 et 80.8. Mêmes résultats à Mannheim, Lörrach, Heidelberg, Tauberbischoffsheim[82]. En dehors du Grand Duché de Bade, les travaux sont en cours d’exécution mais on ne sait rien des résultats, sauf pour l’Alsace-Lorraine. Les beaux travaux du laboratoire de Strasbourg accusent une dolichocéphalie marquée dans toutes les villes d’Alsace.
En Autriche, comme en France, l’écart est d’ordinaire de 2 unités. Vienne, comme Paris, a un indice très inférieur à la moyenne de l’Empire en général. Cette ville offre aussi, comme Bordeaux, une zone suburbaine de transition : Vienne-ville, 81.2, banlieue 80.8 à 81.8, campagnes 83.8. Le pourcentage de dolichos est 37 en ville, 31-34 dans la banlieue, 10 dans les campagnes (Weisbach).
En Suisse les recherches se poursuivent. La loi est vérifiée dès à présent pour Genève, Berne, Bâle et Zurich.
En Italie la loi se vérifie bien pour les très grandes villes, les capitales : Turin, Milan, Venise, Gênes, Florence, Rome, et pour la généralité des villes secondaires du nord, mais à partir de la région moyenne, où la prépondérance numérique passe décidément à meridionalis, il n’en est plus ainsi. Dans les anciens États de l’Église et dans l’ancien royaume des Deux-Siciles, les urbains sont généralement moins dolichoïdes. Livi et Ripley en ont conclu que la loi des urbains était remplacée en Italie par une simple tendance vers la moyenne. Cette interprétation n’est pas acceptable. La moyenne de 300.000 hommes donne pour l’Italie entière 82.63. Or Rome, Florence, Gênes offrent des moyennes inférieures à la fois à celles de leurs environs et du royaume entier[83].
Dans les régions purement dolicho-blondes, Angleterre, Hollande, Allemagne du Nord, Scandinavie, la différence des indices urbains et ruraux n’est plus accusée, sauf dans quelques régions de l’Allemagne et de la Norvège, où il y a une certaine proportion de brachycéphales. En Russie la loi s’applique d’une manière générale, mais on n’a pas encore publié de résultats d’ensemble, et il faut se livrer souvent à des comparaisons boiteuses[84].
La loi comporte une exception apparente. Toute ville dont la sphère d’attraction s’étend à des régions hautement brachycéphales tend à élever son indice, bien que les sujets attirés soient d’un indice moyen inférieur à celui de leur pays d’origine. Ainsi Montpellier, qui reçoit une énorme émigration aveyronnaise et cévenole, donne aujourd’hui les résultats suivants : ruraux 81.6, urbains 81.0. L’égalité est parfaite. Naguère Montpellier était dolichocéphale. Si le mouvement continue, il pourra devenir plus brachycéphale que les environs, l’indice des départements qui le colonisent allant de 86 à 88.
Les villes n’attirent pas que les dolicho-blonds, mais aussi les dolicho-bruns, et surtout les Juifs, relativement dolichocéphales. Ces éléments, quand ils sont nombreux, contribuent à la fois à augmenter la proportion de bruns et à faire baisser l’indice. Il en résulte que les villes moins brachycéphales peuvent être aussi moins blondes que les campagnes d’alentour. Cette tendance est renforcée par le phénomène, que je crois avoir constaté, du retour de l’Europæus au type atavique brun, sous la double influence du milieu et d’une sélection favorable aux plus résistants et aux plus nerveux.
La loi des indices urbains est en rapport étroit avec la loi d’émigration, la loi de concentration, la loi d’élimination urbaine et la loi des intellectuels.
Loi d’émigration. — Dans une population en voie de dissociation par déplacement, c’est l’élément le moins brachycéphale qui émigre le plus.
D’une manière générale, les populations coloniales formées par émigration sont moins brachycéphales que celles des pays d’origine. En Algérie, 234 sujets d’origine française ont donné un indice moyen de 79.2. Si l’on exclut les cas de mélange, 174 individus descendant exclusivement de colons français ont donné un indice de 80.9, inférieur de deux unités à la moyenne 83. L’indice des Italiens établis en Algérie est d’environ 78, la moyenne de l’Italie est 82.6. Lajard a obtenu sur 50 crânes de créoles espagnols des îles Canaries un indice de 74.5, Oloriz donne pour indice moyen des Espagnols 76.4, sur le vivant 78.1. Lajard a obtenu sur 20 crânes créoles portugais des Açores un indice de 73.5, Ferraz de Macedo donne une moyenne de 75, obtenue de 494 crânes portugais. Dans le Caucase, les Cosaques du Kouban ont un indice de 82.1, les habitants de la Petite Russie, dont ils sont tirés, ont pour indice 82.9. L’indice des Cosaques du Terek tombe à 81.1.
En Amérique Ripley, en mesurant les étudiants du Massachusetts Institute of Technology, a obtenu les résultats suivants : élèves de première année 78.6, de seconde 77.7, de troisième 77.7, de quatrième 77.2. Ces indices sont un peu inférieurs à la moyenne trouvée par Muffang à l’University Collège de Liverpool, soit 79.6 à 18 ans, 77.8 à 23 ans et plus, en moyenne 78 pour 86 étudiants. Or les étudiants de Liverpool sont anglais, et ceux de Boston comprennent des originaires de pays plus brachycéphales, Allemands par exemple (Muffang, Écoliers et étudiants de Liverpool, Anthropologie, 1899, 21-41).
Il serait à désirer que l’on puisse opérer sur des quantités considérables d’émigrants, en Amérique par exemple. Les émigrants anglais ou irlandais n’ont qu’une importance secondaire, en raison de la nature homogène de la population des îles Britanniques, mais on arriverait à d’intéressants résultats en mesurant les Français, les Allemands, etc. Closson a commencé à mesurer d’importantes séries d’Italiens à Chicago, mais les résultats sont encore inédits. J’emprunte aux notes qu’il a bien voulu me communiquer les chiffres suivants, relatifs à des émigrés européens, mâles et adultes, mesurés en Californie. Vingt sujets des Hautes-Alpes ont donné 83.68, onze des Basses-Pyrénées 81.12, neuf autres de divers départements français dont la moyenne est 84.04 ont donné 82.9, quinze Allemands du Nord 78.28, vingt-quatre Allemands du Sud 81.33, neuf Allemands d’origine complexe 80.44, ensemble 46 Allemands 80.18. Ces moyennes sont très inférieures à celles des catégories correspondantes en Europe. Cinq Badois en particulier donnent 81.04 au lieu de 83.67, et les dimensions absolues 190, 154 au lieu de 182, 153. Dix-neuf Wurtembergeois ont donné 83.2, mais cette moyenne est exagérée par un sujet anormal, longueur 192, largeur 187, indice 96.87. Sept paysans suisses du Tessin ont donné 86.75, cinq Tessinois d’une situation plus relevée 85.0, ensemble 86. Ces moyennes sont élevées, mais le Tessin est très brachycéphale. Douze autres Suisses ont donné 83.2, un peu moins que la moyenne probable de la Suisse, 84 ou 85. Closson a constaté en même temps que les Californiens originaires de la Nouvelle-Angleterre sont plus dolichocéphales que les étudiants de Ripley.
J’ai publié dans les Sélections diverses séries de migrateurs à l’intérieur, mesurées dans le midi, et d’autres mesurées à Rennes[85]. On trouvera dans l’édition américaine des Lois fondamentales ces diverses séries augmentées. J’ai pu augmenter de nouveau celles de Rennes, qui me donnent actuellement les résultats suivants :
Départements d’origine |
Nombres | Indice des sujets immigrés en Ille-et-Vilaine |
Indice des départements d’origine |
Côtes-du-Nord | 93 | 82.4 | 83.6 |
Finistère | 64 | 81.6 | 82.0 |
Morbihan | 67 | 83.4 | 82.1 |
Loire-Inférieure | 25 | 84.0 | 83.8 |
Manche | 16 | 83.6 | 83.1 |
Mayenne | 24 | 83.9 | 84.1 |
Sarthe | 8 | 83.5 | 83.8 |
------ | ------ | ------ | |
Moyennes | 297 | 82.8 | 83.4 |
Les écarts indiqués par cette statistique sont moindres que ceux des Sélection sociales. Dans les cas du Morbihan, de la Loire-Inférieure et de la Manche, il y a même renversement. Pour le Morbihan, il est certain que l’indice indiqué par Collignon, 82.1, est très inférieur à la réalité. Ce département est pour la plus grande partie brachycéphale à 83 et 84. Dans les 67 sujets il n’y en a pas un seul de la côte, qui est relativement dolichocéphale à 81 et 82. De même pour les deux autres départements, les sujets, tous ruraux, viennent des régions les plus brachycéphales, en contact direct avec l’Ille-et-Vilaine. Ce sont des ouvriers ruraux, il n’y a pas un seul Nantais, un seul sujet du littoral ou du Val de Loire, ni de la presqu’île du Cotentin. Nous avons affaire à des migrateurs de dernière catégorie, les autres vont à Nantes, à Saint-Nazaire ou à Paris. Ce n’est pas cependant la raison principale de la faiblesse des écarts. Il y en a une autre, dont l’importance générale exige une étude complète.
La dissociation par déplacement ne comporte une sélection que si elle est volontaire, et si le déplacement suppose une certaine dose de hardiesse et d’esprit d’aventure. Il faut donc distinguer deux catégories de migrateurs : ceux qui se déplacent en vertu d’un caractère entreprenant et ceux qui le font par imitation, ou par contrainte. Pour émigrer même au loin, il faut moins d’esprit d’aventure qu’au temps des diligences et des bateaux à voiles. Il ne faut pas la même somme d’énergie à un soldat libéré pour se fixer dans une ville après avoir goûté du cabaret et des filles qu’autrefois à un paysan qui abordait la vie urbaine pour la première fois. Les masses énormes de servantes qui restent dans les villes n’y sont pas venues davantage dans l’intention de s’y fixer, c’est l’occasion qui les retient. La crise agricole, de son côté, a chassé des campagnes une quantité de vaincus, esprits obtus qui n’ont pu s’adapter aux conditions nouvelles de la lutte pour la vie, et qui viennent dans les villes, ne sachant où aller. Les armées de manœuvres ruraux sans travail qui encombrent les villes et alimentent les hôpitaux, les fainéants à la recherche d’une vie plus facile, les servantes tombées dans la prostitution ne constituent pas des éléments d’élites tant s’en faut.
Leur masse sans cesse croissante tend de plus en plus à submerger les migrateurs de la première catégorie. C’est ainsi que l’on peut expliquer ce fait très curieux, et général, que l’indice des catégories diverses de migrateurs tend à se relever sans cesse. Que j’opère sur des séries d’une région ou d’une autre, et mes registres contiennent des dizaines de mille observations, je constate d’une manière générale une moindre brachycéphalie des éléments plus âgés. Même en tenant compte de l’abaissement de l’indice entre 20 et 30 ans, les sujets de 40 ou 50 ans, dont les parents étaient en mouvement dès la première moitié du siècle, sont moins brachycéphales que ceux de vingt ans, dont les parents ne se sont mis en mouvement que depuis la guerre, dans la période du déclassement général. D’année en année, depuis les conscrits de 1892 jusqu’à ceux de 1898, on assiste à un relèvement général et régulier des indices des migrateurs mesurés au conseil de révision.
Cette transformation dans la composition des classes mobiles pourra aboutir à relever leur indice même au-dessus de la moyenne, dans les cas où la prédominance des détritus sociaux sera très marquée. C’est dans les villes et parmi les déracinés que l’on trouvera désormais en presque totalité les impropres à la vie sociale, les inadaptables par insuffisance psychique. C’est ce que marque d’une manière très nette la diminution des dimensions absolues. En même temps que l’indice s’élève, ces dimensions, d’ordinaire plus élevées dans les catégories sélectionnées, tendent à décroître. Ce fait prouve d’une manière très nette que l’on se trouve avoir parmi les migrateurs deux éléments opposés qui se neutralisent, des sélectionnés en bien et d’autres en mal, les meilleurs et les pires.
Il y a donc une opposition certaine entre les résultats du brassage confus, par émigration forcée, tendant plutôt vers la péréquation, et ceux des dissociations normales, qui créent les véritables élites. Il importe d’attirer sur ce fait l’attention des statisticiens pour leur éviter des erreurs très graves. Peut-être, dans certaines régions, certaines recherches deviendront-elles aussi inutiles qu’en Angleterre, où le brassage est maintenant parfait[86]. C’est une raison de plus pour regretter que l’État, — seul qualifié de par notre organisation administrative, — n’ait point fait procéder en temps utile au cadastre de la population. Il aurait été temps encore il y a dix ans, dans dix ans il sera trop tard. Il restera d’ailleurs toujours l’anthropologie de classe proprement dite, les intervalles sociaux ne pouvant être franchis aussi aisément que les distances. L’élévation de l’indice dans les classes supérieures ne se fera que lentement, par l’usure définitive de nos dernières réserves. Ce ne sera peut-être plus très long, mais notre génération ne verra pas ce nivellement s’accomplir, et les classes supérieures pourront même maintenir leur différence d’indice si le développement de l’aristocratie juive supplée à la destruction de nos éléments supérieurs.
Loi des formariages. — Les indices céphaliques des sujets issus de parents originaires de régions différentes sont moins élevés que la moyenne des indices de ces régions. En d’autres termes les éléments moins brachycéphales sont plus portés à se formarier, c’est-à-dire à se marier hors de leur pays.
J’ai découvert cette curieuse loi en étudiant les populations de l’Hérault. On trouvera dans la monographie de ce département des détails complets, et dans les Sélections un résumé de la question. L’ensemble du département a donné pour 776 cantonaux, c’est-à-dire sujets dont les parents étaient d’un même canton : longueur 187, largeur 152, indice 81.5, et pour 70 intercantonaux 189, 150, 79.8. Les dimensions absolues sont différentes en sens inverse, les longueurs plus grandes et les largeurs plus petites dans la seconde catégorie. On trouvera dans les Lois fondamentales divers chiffres relatifs à d’autres séries d’intercantonaux et d’interdépartementaux.
Dans la monographie de l’Aveyron, il y a peu d’indications nouvelles, parce que les mensurations ayant été prises à un moment où on ne prévoyait pas la possibilité de tirer parti des sujets d’origine mixte, on avait négligé d’en mesurer des séries. Cette omission ne s’est pas répétée depuis, et à Rennes notamment, où j’ai mesuré environ 3.500 conscrits, j’ai obtenu d’importantes séries. Dès à présent, pour 75 cantonaux d’Ille-et-Vilaine, je trouve les résultats suivants : 185, 158, 85.3, et pour 75 intercantonaux 187, 155, 82.9. À part les dimensions absolues, moindres dans l’Ille-et-Vilaine, les résultats sont les mêmes que dans l’Hérault.
Les mensurations de conscrits faites dans l’Ille-et-Vilaine il m’ont donné quelques séries d’interdépartementaux, la plupart insuffisantes comme nombre de sujets. On trouvera dans le tableau ci-joint l’indice de ces séries, et la moyenne des indices des départements d’origine des parents[87].
DÉPARTEMENTS D’ORIGINE | SUJETS | INDICE | Moyenne des ind. des dep. d’origine |
Ille-et-Vilaine — Morbihan | 28 | 82.5 | 82.8 |
Ille-et-Vilaine — Côtes-du-Nord | 66 | 82.9 | 83.6 |
Ille-et-Vilaine — Loire-Inférieure | 9 | 84.5 | 83.7 |
Ille-et-Vilaine — Mayenne | 13 | 83.7 | 83.9 |
Ille-et-Vilaine — Finistère | 14 | 81.7 | 82.6 |
Ille-et-Vilaine — Manche | 9 | 83.4 | 83.4 |
Finistère — Côtes-du-Nord | 5 | 81.3 | 82.8 |
Mayenne — Côtes-du-Nord | 5 | 82.6 | 83.3 |
Morbihan — Côtes-du-Nord | 7 | 82.5 | 82.7 |
----- | ----- | ----- | |
ENSEMBLE | 159 | 82.7 | 83.2 |
Les résultats fournis par les intercantonaux et les interdépartementaux sont plus nets que ceux des séries de migrateurs, parce que ces derniers représentent la migration actuelle, facile et en partie contrainte, tandis que les premiers représentent des éléments plus anciennement mobilisés. Parmi les migrateurs mesurés dans l’Ille-et-Vilaine beaucoup étaient fraîchement arrivés des campagnes du Morbihan ou d’ailleurs pour se placer comme domestiques dans les fermes des environs de Rennes. Les produits d’unions mixtes supposent au contraire que l’un de leurs parents au moins avait déjà quitté son pays dès la période 1872-1876. Je n’ai jamais recherché les sujets provenant d’unions entre originaires de départements très éloignés : il est très difficile, quand on opère dans l’Ouest, d’arriver à une série suffisante de sujets Calvados-Vaucluse, ou Ardennes-Ariège. Mes registres contiennent cependant une assez grande quantité de ces interdépartementaux d’origines très lointaines, mesurés au conseil de révision, où l’on prend tout le monde. La plupart sont de véritables déracinés, dont les parents représentaient eux-mêmes des croisements régionaux fort divers, La plupart aussi appartiennent à la classe nomade des fonctionnaires, aux professions libérales, commerciales ou industrielles. Je trouve pour 30 sujets de cette catégorie, mesurés à Rennes ou dans les cantons voisins, les données suivantes : 194, 156, 81.0. Les dimensions absolues sont énormes, la longueur surtout, et l’indice plus bas que celui de toute autre catégorie, inférieur de deux unités à la moyenne nationale. Cet indice de 81 est à peu près le même dans quelque région de la France que l’on mesure des séries de semblables déracinés. Je crois que l’indice des éléments complexes, qui ne se rattachent plus à aucune région, varie entre 80.5 et 82, suivant les catégories sociales. La classe qui devrait tendre le plus à se rapprocher de la moyenne, si la tendance à la péréquation n’était combattue par les aptitudes de race, est donc précisément celle qui s’abaisse le plus au-dessous de cette moyenne.
Loi de concentration des dolichoïdes. — Les éléments migrateurs sont attirés par les centres de dolichocéphalie, qui s’enrichissent d’autant en dolichoïdes.
Cela ne veut pas dire que le dolichoïde attire le dolichoïde, mais que le second dolichoïde est attiré par la même cause que le premier. Je renvoie à Fundamental laws, p. 82 et suiv., et aux Sélections, ch. XIII. Je n’ai pas de matériaux nouveaux à ajouter.
Je rappelle que la loi d’Ammon est un cas particulier de la loi de concentration. Elle peut être ainsi formulée : Dans les régions où le type brachycéphale existe, il tend à se localiser dans les campagnes, et les types dolichoïdes dans les villes.
Loi d’élimination urbaine. — La vie urbaine opère une sélection en faveur des éléments dolichoïdes et détruit ou élimine les éléments les plus brachycéphales.
De ceux qui immigrent dans les villes la plus grande partie périt sans descendants ou est remportée par ce qu’on appelle le courant de retour. Ainsi parmi les conscrits de Karlsruhe, Ammon a trouvé que les nombres des immigrés, des fils d’immigrés et des fils d’urbains étaient respectivement 615, 119 et 48. De même à Fribourg 403, 80 et 48. Les éléments dolichoïdes sont ceux qui parviennent le mieux à prendre pied. Ainsi à Karlsruhe le pourcentage des indices au-dessous de 85 s’élève de 66.6 parmi les immigrants à 81.6 parmi les fils d’immigrants et à 87.6 parmi les fils d’urbains. À Fribourg, même progression : 68.7, 72.3, 85.2. Réciproquement le pourcentage des indices de 83 et au-dessus décroît de 32.3 à 18.4 et 12.4 ; à Fribourg les proportions sont 31.3, 17.7, 14.8.
Les calculs ne sont pas terminés pour Rennes, mais les résultats sont identiques comme sens général.
Cette question de l’adaptation à la vie urbaine est distincte de celle de l’aptitude des populations urbaines à se maintenir par reproduction directe, mais elle lui est connexe. De nombreuses discussions ont eu lieu récemment, dans lesquelles on a confondu les deux questions. Je ne veux pas insister sur ces controverses, mais je crois utile de remarquer que les conditions de la natalité et de la mortalité urbaines se modifient en ce moment d’une manière qui rend difficile la comparaison du passé et du présent. Une véritable révolution a été opérée par les progrès de l’artillerie d’un côté, ceux de l’industrie de la traction électrique de l’autre. Les villes ont brisé leurs ceintures de fortifications, devenues inutiles, et se diffusent dans la banlieue, sans qu’il soit possible de délimiter la région urbaine et la région rurale. Les tramways de pénétration permettent d’autre part aux personnes de profession urbaine de se loger au dehors, le long des routes parcourues par les lignes de tramways. Il résulte de ce double fait une amélioration considérable des conditions de la vie matérielle des urbains et un mélange sans cesse plus complexe des habitations des urbains par profession et des ruraux. Les statistiques ne peuvent plus prendre pour base des circonscriptions déterminées, et les chances de mort, sinon de naissance, se trouvent profondément modifiées. Il faudra donc désormais attacher de plus en plus d’importance à la condition sociale de l’individu, et de moins en moins d’importance à son domicile. En d’autres termes, les recherches devront être dirigées surtout du côté de l’anthropologie de classe.
Loi de stratification. — L’indice céphalique va en diminuant et la proportion des dolichocéphales en augmentant des classes inférieures aux supérieures dans la même localité. La taille moyenne et la proportion des hautes tailles augmentent des classes inférieures aux supérieures.
J’ai publié dans les Sélections quelques documents relatifs à l’anthropologie de classe. Depuis cette époque il a été publié de nombreux documents de même nature. Ils ne donnent que des résultats partiels, sauf les statistiques de Livi, mais leur nature est trop précieuse pour que je me borne à les mentionner.
Je reproduis d’abord une section des Matériaux pour l’anthropologie de l’Aveyron, qui complète les données relatives à ce département contenues dans les Sélections.
Les statistiques publiées en 1869 par Durand de Gros avaient donné une première indication concernant la différence d’indice des classes. Elles attribuaient aux urbains lettrés de Rodez l’indice 82.78, aux illettrés 83.96. En combinant les données de 1869 avec celles des Matériaux, on arrive pour le canton de Rodez à la hiérarchie suivante : classe lettrée 82.7, ouvriers 84 environ, paysans, différence d’âge prise en compte, à peu près 86 ou 86.5, ce dernier chiffre correspondant aux communes éloignées. Le crâne de la classe lettrée est plus volumineux, 187, 155.
Nous disposons d’un document plus curieux. Ce sont les mensurations de 112 élèves des établissements d’enseignement secondaire de Rodez, 23 du lycée, 89 des deux établissements ecclésiastiques. L’indice des lycéens est fort élevé, 87.31. En déduisant une unité pour la différence d’âge avec les adultes qui servent de terme de comparaison, il reste un indice égal à la moyenne du département ou à peine plus faible. Les élèves des deux établissements dirigés par des religieux donnent 85.46. Ensemble nos 112 collégiens donnent 85.84.
Les sériations sont curieuses, et confirment les moyennes.
Les élèves congréganistes donnent une forte proportion de faibles indices, qui détermine l’abaissement de la moyenne. On sent qu’à l’élément analogue à celui qui fréquente le Lycée se joint un élément de conformation crânienne plus relevée.
Le crâne de nos lycéens n’a pas acquis ses dimensions adultes. Dans la série se trouvent réunis des âges divers, depuis 13 jusqu’à 20 ans. Cependant les dimensions absolues sont déjà très supérieures à la moyenne du département, 184.3 et 161 au lieu de 182 et 157. Le volume crânien, au sujet duquel je faisais encore naguère des réserves (Sélections, p. 113 et s.), est bien décidément un critérium de premier ordre pour distinguer les éléments supérieurs des autres, surtout dans une population homogène. C’est ce qui résulte d’une foule de documents récents, et on en verra plus loin des exemples.
Nous pouvons comparer à nos lycéens une série de 33 élèves de l’École normale de Rodez, aveyronnais d’origine. L’indice céphalique est très élevé, 87.60, ce qui est beaucoup pour une catégorie de jeunes gens dont l’âge moyen n’est pas beaucoup au-dessous de celui des conscrits. Les normaliens, plus âgés en moyenne que les lycéens, ont un tiers d’unité de plus. Ils représentent, en somme, une catégorie un peu au-dessous comme origine sociale, mais ils sont très nettement séparés par leurs dimensions céphaliques absolues de la classe dont ils sortent. La longueur est 185.4, la largeur 162.4. Bien qu’immatures, les futurs instituteurs ont déjà un excédent de 5 millimètres sur la longueur, et de plus de 5 millimètres sur la largeur. Il est probable qu’à l’âge adulte l’indice ne différerait guère de celui de la population générale, et serait d’environ 86 ou 86.2, mais l’excédent des dimensions absolues ne pourrait que croître et atteindre à peu près un centimètre pour chaque dimension.
Il ne faudrait pas croire cependant que nos normaliens aient la tête plus volumineuse que les élèves de l’enseignement secondaire. Si l’on exclut, en effet, les plus jeunes de ceux-ci, on trouve pour dimensions absolues des lycéens : 20 ans 187.6, 161 ; 19 ans 186, 161 ; 18 ans 187.6, 160.
Au point de vue de la taille, la différence des classes est très marquée.
11 lycéens de | 20 ans | 1.660 |
16 — | 19 — | 1.643 |
22 — | 18 — | 1.641 |
20 — | 17 — | 1.640 |
20 — | 16 — | 1.622 |
10 — | 15 — | 1.551 |
Conscrits | 20 | 1.638 |
Les lycéens atteignent donc entre 16 et 17 ans la taille moyenne des conscrits, et à 20 ans ils ont 22 millimètres de plus. Cette différence est due en partie au régime, déterminant un développement plus précoce, mais on peut supposer qu’elle est aussi due en partie à des causes héréditaires.
La sériation des tailles est bien aléatoire, étant donné le faible nombre des sujets. Elle est cependant suggestive.
| 20 ans | 19 ans | 18 ans | Conscrits |
180 et + | 0.65 | |||
175 – 179 | 9.09 | 9.00 | 4.56 | |
170 – 174 | 18.18 | 12.50 | 27.27 | 12.70 |
165 – 169 | 45.45 | 43.75 | 9.09 | 28.99 |
160 – 164 | 9.19 | 25.00 | 27.27 | 27.67 |
155 – 159 | 9.00 | 12.50 | 13.63 | 19.54 |
154 et – | 9.00 | 6.25 | 13.74 | 5.86 |
On reconnaît la présence, chez les collégiens, d’un élément de haute taille, et, chose curieuse, il semble que les plus grands à 18 ans sortent alors du lycée. Cet élément correspondrait aux élèves les plus avancés dans leurs études. Le même phénomène a été observé dans de nombreux établissements d’Europe et d’Amérique.
Les normaliens donnent les résultats suivants :
14 sujets de | 20 ans et + | 1.609 |
8 — | 19 — | 1.642 |
8 — | 18 — | 1.646 |
3 — | 17 — | 1.623 |
Les normaliens sont donc, dès avant vingt ans, plus grands, mais de fort peu, que les conscrits. Ceux de 20 ans et plus sont au contraire très au-dessous de la moyenne, comme si les plus petits étaient en même temps arriérés dans leurs études. Les normaliens sont plus petits, pour chaque âge, que les lycéens.
Le mémoire de Muffang, Écoliers et paysans de Saint-Brieuc, contient une foule de documents et de tableaux relatifs à l’anthropologie de classe. J’y prends seulement quelques données.
J’ai déjà signalé la différence d’indice des lycéens et des écoliers, également issus de parents briochins : 82.34 pour les premiers, 84.33 pour les seconds, les conscrits ruraux ayant 85.4 en moyenne. Une série de 81 lycéens internes a pour indice 83.01, une de 47 externes 82.17.
À Saint-Brieuc comme à Rodez, les élèves de l’établissement ecclésiastique ont plus de tendance à la dolichocéphalie que ceux du lycée, et chose curieuse, les lycéens de l’enseignement moderne tendent plus à la dolichocéphalie que les élèves de latin. Les normaliens ont également des indices plutôt supérieurs à ceux des conscrits, dont ils diffèrent d’ailleurs par leur crâne volumineux. C’est ce qui résulte du tableau de pourcentage suivant :
L’École ecclésiastique Saint-Chartes reçoit des élèves appartenant en général à des milieux sociaux plus élevés. L’élévation relative de l’indice des lycéens, section classique, est due en partie à la présence de fils d’instituteurs, très brachycéphales et à crâne volumineux.
Le tableau suivant, basé sur 10 sujets de chaque catégorie, n’est pas moins suggestif :
Il est évident que le médecin représente un niveau supérieur à celui du notaire, simple praticien d’ordinaire. Quant à l’instituteur, recruté par une sélection basée surtout sur la mémoire, il représente assez exactement l’aristocratie intellectuelle de la classe rurale.
Muffang a trouvé qu’en classique les meilleurs élèves sont plus brachycéphales, 83.8 contre 82.7. À Saint-Charles, au cours préparatoire pour la marine, et au Lycée, enseignement moderne, ce sont au contraire les dolichocéphales qui réussissent le mieux. Il semble que le psittacisme soit une condition de succès dans l’enseignement classique, — on s’en était toujours douté ! — et que les esprits grégaires recherchent de préférence cet enseignement, parce qu’il a le prestige de l’ancienneté. Il n’y a pas dans les résultats obtenus à Saint-Brieuc qu’un simple hasard. À Liverpool, dans le grand-duché de Bade, aux États-Unis on a trouvé des résultats identiques. Les esprits actifs fuient le latin, les passifs le recherchent, et partout l’élément fort en thème est plus brachycéphale.
L’élaboration des matériaux considérables que j’ai recueillis en Bretagne apportera un sérieux contingent à l’anthropologie de classe. Elle n’est pas encore très avancée, mais quelques résultats partiels suffiront à montrer la direction générale de la sélection.
Les quatre catégories du tableau suivant correspondent chacune à 100 conscrits de Rennes : 1° étudiants, séminaristes, instituteurs ; 2° employés d’administrations, de commerce, comptables, typographes, entrepreneurs, musiciens, armuriers, etc. ; 3° boulangers, brossiers, charrons, tailleurs, jardiniers, serruriers, garçons de café, valets de chambre, maçons, etc. ; 4° cultivateurs.
À mesure que le niveau social s’élève, la longueur du crâne augmente, la largeur restant à peu près la même. L’indice s’abaisse par suite, en même temps que le volume absolu augmente.
Pour la Suisse, Chalumeau, opérant sur l’ensemble des recrues de 1884 à 1891, est arrivé à des résultats analogues (Influence de la taille humaine sur les fonctions des classes sociales, dans Pages d’histoire publiées à l’occasion du jubilaire du Prof. Vaucher, et tirage à part, Genève, Kündig, 1896), La statistique ne porte, et c’est regrettable, que sur la taille. Les individus de haute stature (la haute stature commence pour lui à 71, et non à 70), font plus de 30 % des médecins, ecclésiastiques, étudiants, avocats, vétérinaires, architectes, ingénieurs, pharmaciens, brasseurs, instituteurs, marchands. La proportion descend graduellement de 47 % chez les médecins à 31 chez les marchands. Les professions correspondant à notre deuxième catégorie ont presque toutes de 30 à 20 %, et celles de la troisième sont comprises entre 20 et 7 %, à l’exception des bouchers et tanneurs 24 %, des asphaltiers, charpentiers, parqueteurs et charretiers 23 %, toutes ces professions exigeant de la taille et de la force[88].
Ammon a comparé les conscrits et les lycéens badois, de la division des grands, catégorie par catégorie, les originaires des grandes villes aux originaires des grandes villes, les immigrés aux immigrés, etc. Je résume son chapitre XX.
Les conscrits ruraux ont une taille de 165.2, les urbains, tant immigrés que natifs des grandes villes n’atteignent que 165.4. Les lycéens des trois classes supérieures, originaires de la campagne, ont 2.6 de plus que les conscrits de catégorie correspondante, les fils d’immigrés et les fils d’urbains atteignent 4.9 et 4.3 de plus que les conscrits des catégories correspondantes. Or les lycéens ont à peu près deux ans de moins que les conscrits.
Pour l’indice, Ammon a trouvé chez les lycéens, division des grands : fils d’urbains 80.97, au lieu de 82.38 chez les conscrits fils d’urbains ; fils d’immigrés 80.85 au lieu de 82.43 ; ruraux d’origine 83.83 au lieu de 83.3.
Malgré la différence d’âge, les dimensions absolues sont plutôt en faveur des lycéens, la longueur en tout cas est bien plus forte, et la largeur moindre indique qu’il s’agit bien d’une différence de race.
En Pologne, Olechnowitz a trouvé, dans la commune de Grabowo, l’indice céphalique de la petite noblesse supérieur à celui des paysans, 82.6 chez les hommes contre 81.3, 82.8 chez les femmes contre 80.7. La série de la petite noblesse comprend 100 hommes et 45 femmes, celle des paysans 38 hommes et 9 femmes. Je ne sais pas exactement dans quelle catégorie sociale classer une noblesse qui a au moins 145 représentants dans une seule commune, mais je note le renseignement (v. Anthr., 1896, vii, 351).
En Angleterre, la différence de classe s’accuse plutôt par celle des dimensions absolues. Muffang a obtenu les moyennes des élèves de l’école primaire, du collège d’enseignement secondaire et de l’Université de Liverpool.
L’indice de 86 étudiants est 78.0, celui de 485 élèves de l’enseignement secondaire 79.01, celui des 148 garçons de l’école primaire 77.9. La taille et les dimensions absolues sont notablement plus fortes, à âge égal, chez les premiers que chez les seconds, et chez les seconds que chez les troisièmes. Pour plus de détails, et surtout pour l’étude de l’inégalité des dimensions chez les élèves forts et faibles, voyez le mémoire de Muffang, Écoliers et étudiants de Liverpool, Anthrop., 1899.
Les immenses statistiques de Livi n’ont qu’un intérêt relatif pour notre sujet. Europæus est rare en Italie, Alpinus est peut-être moins commun que les dérivés du Dinaricus, et meridionalis constitue l’élément dolichocéphale de beaucoup prédominant. Je reproduis donc seulement à titre de comparaison le tableau suivant, extrait des statistiques de Livi et emprunté à Fundamental laws.
Livi a publié récemment un travail consacré à l’étude des rapports de la taille et du périmètre thoracique avec les professions (Dello sviluppo del corpo, in rapporto colla professione e colla condizione sociale, Roma, Voghera, 1897). Ce travail contient des données très détaillées.
Loi des intellectuels. — Le crâne des intellectuels est plus développé dans toutes ses dimensions, et surtout en largeur.
Les dimensions absolues du crâne sont toujours supérieures dans les catégories sélectionnées, mais chez les éléments les mieux doués au point de vue de l’intelligence il y a fréquemment une exagération de largeur.
Broca distinguait parmi les sujets à indice élevé les eurycéphales, à crâne exceptionnellement élargi, et les brachycéphales, à crâne normalement large. Le premier caractère est individuel ou familial, le second est caractéristique de race. On reconnaît aisément l’eurycéphale à la longueur absolue, qui est au moins égale à celle des dolichocéphales de sa race.
On comprend que le développement du cerveau antérieur, surtout chez les dolichocéphales à suture métopique persistante, aboutisse à un élargissement de la partie antérieure de la boîte crânienne et à une augmentation de l’indice. En général cette hypertrophie se produit pendant la période utérine ou pendant la première enfance, mais quelquefois elle se continue toute la vie. Gladstone et de Candolle sont des exemples bien connus de ce phénomène, que j’ai pu observer sur moi-même et suivre d’année en année. Quand le même phénomène se produit chez un brachycéphale, il exagère sa brachycéphalie, mais la longueur maxima reste toujours courte.
Cette modification nous explique pourquoi les plus laborieux travailleurs intellectuels ont souvent un indice plus élevé qu’on ne serait porté à le supposer. En Angleterre, la classe intellectuelle a un indice légèrement plus élevé que la moyenne. De même les instituteurs qui chez nous se recrutent surtout dans la classe la plus brachycéphale exagèrent la brachycéphalie de leur race, et les fils d’instituteurs qui constituent en tous pays une forte proportion des boursiers présentent la même anomalie. Ce ne sont d’ailleurs pas toujours ces gros cerveaux, aptes à emmagasiner un amas de connaissances, et à fournir une somme anormale de travail, qui brillent par les qualités les plus remarquables. Leurs possesseurs sont d’excellents élèves, parfois de bons professeurs, mais ils manquent presque toujours des qualités maîtresses qui font un homme, et ils sont peu portés aux idées nouvelles. On peut les ranger hardiment parmi les esprits de la seconde catégorie.
Je n’insisterai pas, ayant dans les statistiques précédentes souligné avec soin les cas d’exagération du volume cérébral ou d’excès de largeur chez les catégories sélectionnées.
Loi de l’accroissement de l’indice. — Depuis les temps préhistoriques, l’indice céphalique tend constamment et partout à s’élever.
J’ai signalé de nombreux exemples de cette loi, une des mieux constatées de l’anthroposociologie. Le phénomène paraît dû à l’accroissement constant de la proportion des brachycéphales, plus dociles et présentant par suite plus de chances d’être bien vus et protégés par le pouvoir, dans une civilisation où la subordination de l’individu va sans cesse croissant. Il peut y avoir cependant autre chose dans ce phénomène si général. J’ai montré dans ma Phylogénie des Carabus que dans toutes les branches de la généalogie l’évolution se fait d’après une même pente, vers des formes à élytres lisses et à pores sétigères oblitérés. Une force interne, parfaitement indépendante de toute sélection, détermine ainsi une évolution parallèle et plus ou moins convergente. Il est possible que chez l’homme il existe quelque chose d’analogue, et que des raisons mécaniques ou chimiques tendent à donner au crâne une forme plus large.
Nécessité d’un recensement anthropologique. — Je terminerai par quelques considérations générales. Si merveilleuses que soient ces lois, nous ne sommes qu’au début des découvertes. Il en reste beaucoup qui ne sont même pas soupçonnées. La nécessité d’un cadastre anthropologique complet de chaque état s’impose, et s’il est bien fait, il donnera des résultats politiques dont l’importance peut à peine être prévue. En Italie, où l’on rédige à l’arrivée de la recrue à son corps un bulletin spécial qui est envoyé au Ministère de la guerre, on pourrait dès à présent faire de bon travail, si l’Italie n’était pas, en raison de la composition de sa population, un pays d’exception. Les recherches faites au conseil de revision dans le Grand Duché de Bade sont condensées dans l’Anthropologie der Badener d’Ammon, qui est le chef-d’œuvre du genre. On procède dans d’autres États à des statistiques de même nature, mais je constate avec regret qu’en France, à part Collignon et moi, personne ne parait désireux d’imiter cet exemple. Les personnages officiels se soucient peu de recherches qui n’ont point d’intérêt électoral, et je doute que de longtemps ministres et préfets se donnent la peine de comprendre la nécessité et la portée de ces recherches.
Je dois même le dire, et cela pour établir certaines responsabilités, si les recherches d’initiative individuelle ont donné jusqu’ici des résultats imparfaits et incomplets, c’est parce que les opérateurs ont rencontré rarement la bienveillance nécessaire. Il faut rendre aux Français cette justice qu’ils mettent la plus grande bonne volonté à se laisser mesurer. J’ai mesuré plus de dix mille conscrits, et je n’ai pas rencontré plus de cinquante cas de mauvaise volonté. J’ai mesuré des ouvriers dans les mines, des paysans dans les champs et des passants sur les routes. Partout j’ai rencontré la même condescendance narquoise, et souvent un concours très empressé, très actif, quand j’avais le temps de montrer l’intérêt des mesures. Ce sont des conditions très favorables, que l’on ne rencontre pas dans tous les pays. Chaque fois, au contraire, qu’il m’a fallu une autorisation quelconque d’un personnage officiel, chef d’institution ou préfet, cette bonne volonté s’est montrée chancelante ou timorée, quand je ne me heurtais pas à un refus formel. De nombreuses recherches ont été empêchées, soit par caprice, par besoin d’affirmer son pouvoir en refusant quelque chose, soit par crainte de déplaire à des personnages plus influents. D’autres ont été arrêtées après avoir été poussées presque jusqu’au bout, et un travail énorme est devenu stérile. Il était d’ailleurs évident que tous ces personnages se trouvaient désorientés par le seul énoncé de recherches dont ils n’avaient point entendu parler, et dont les résultats possibles leur semblaient hérétiques.
Dans le monde intellectuel et surtout chez ceux qui se croient avancés parce qu’ils ne retardent guère de plus d’un siècle, l’anthroposociologie rencontre une infinité d’adversaires, d’une bonne foi souvent suspecte. Il serait difficile d’exiger que des gens imbus de préjugés surannés, mais reçus d’une manière officielle, prêtent la main à la destruction des erreurs qui leur sont chères. Il serait peut-être honnête de leur part de ne pas mettre des entraves aux recherches de leurs adversaires, pour leur objecter en même temps la valeur seulement locale ou partielle des résultats obtenus. Cette manœuvre est équivalente à celle qui consiste à favoriser en sous-main l’œuvre des phosphatiers pour arriver à diminuer le nombre des gisements pléistocènes utilisables en préhistoire, mais tandis que la seconde est familière surtout aux catholiques, et part d’une idée élevée en soi, qu’il faut empêcher le développement des notions contraires à l’enseignement de l’Église, et par suite nécessairement erronées, ce sont au contraire les rationalistes de toute catégorie qui se mettent en travers des applications du darwinisme à la science sociale. J’en suis même arrivé à constater que le darwinisme social trouve moins d’hostilité chez les cléricaux eux-mêmes que chez les prétendus libres-penseurs. Ces derniers sont bien mal appelés, car ils n’admettent point que les darwiniens et les monistes en général aient le droit de penser autrement qu’eux, et de faire la preuve de ce qu’ils affirment. On a trouvé, que j’avais été, dans la préface du Monisme, un peu dur pour cette catégorie de sectaires. Il serait impossible de l’être plus qu’ils ne le méritent.
Cette mesquine résistance est bien inutile. Les efforts des églises chrétiennes n’ont pas empêché le darwinisme de triompher dans les sciences naturelles, tous ceux de l’église de la Révolution ne l’empêcheront pas d’envahir les sciences sociales, et probablement de dicter les lois d’une conduite rationnelle des peuples. Ces efforts d’ailleurs, ne peuvent avoir de résultats efficaces que dans notre pays, car l’influence des doctrines de l’autre siècle est bien médiocre au dehors. Dès lors, leur inutilité est évidente et complète. La science est universelle, et la découverte que l’on aura pu empêcher sur un point se fera sur un autre. Si les tentatives faites pour arrêter mes premiers débuts avaient réussi, et si je n’avais pas écrit une ligne, l’anthroposociologie aurait été fondée a Karlsruhe en 1810 par Ammon, au lieu de l’être en 1886 à Montpellier, mais cette science n’en serait pas moins exactement au même point au moment où s’impriment ces lignes. Et quand, à l’heure actuelle où les sélectionnistes sont à l’œuvre sur le globe entier, où le sélectionnisme est introduit dans la législation américaine sous ses formes les plus difficiles à accepter, j’assiste à ces vaines tentatives, j’ai plutôt pitié des pauvres arriérés qui dans leur ignorance essaient d’arrêter la mer montante avec de petits pâtés de sable !
La Genèse des grands hommes d’Odin. — Parmi les livres publiés depuis les Sélections sociales, et qui se rapportent à l’anthroposociologie, il en est un qui me parait mériter les honneurs d’une étude spéciale, c’est la Genèse des grands hommes d’Odin (Paris, Welter, 1897). L’auteur, professeur à l’Université de Sofia, est mort aussitôt après l’impression de son travail, qui malgré sa valeur, est passé presque inaperçu.
Il faut louer Odin d’avoir compris que les événements historiques sont soumis à des lois d’une complexité extrême mais n’échappent pas à la nécessité d’un déterminisme absolu, ou qui paraît absolu, thèse nécessaire si l’on rejette l’intervention du surnaturel dans les actes de l’homme. Il n’y a pas d’exception, mais seulement des cas qui ne sont point identiques. Dans ces conditions, et dans ces conditions seulement l’histoire peut faire l’objet d’une science véritable. Marxiste, Odin fut trop dominé par la conception économique de l’histoire, chère à Marx et à Engels. Il tomba par suite dans les excès de simplisme de ses devanciers de l’école historique matérialiste, que je préférerais appeler moniste s’il ne convenait de respecter l’usage adopté, et de réserver ce dernier nom à une école déterministe plus large, reconnaissant en dehors des causes économiques d’autres causes en nombre infini, parmi lesquelles celles qui résultent de la nature même de l’homme, de la race et de l’hérédité, jouent un rôle plus considérable encore. Pour que le gland devienne un chêne, il faut un sol favorable, l’intervention de la chaleur et celle de l’eau, mais il faut d’abord qu’il porte en lui la force de l’hérédité.
Dans sa Genèse, Odin recherche les causes qui ont déterminé la production des hommes de lettres, et surtout des écrivains de génie. Il étudie les différentes conditions d’hérédité et de milieu. Il attribue au milieu éducateur la plus grande influence, et une influence secondaire aux milieux sociaux et économiques. Pour lui, l’énorme inégalité des classes au point de vue de la production des hommes de lettres, déjà constatée pour les savants par de Candolle, provient surtout de ce que certaines classes sont plus à portée, par leurs habitudes urbaines, leur aisance, leur éducation habituelle, de donner à leurs enfants la culture sans laquelle le plus grand génie ne peut devenir ni un savant ni un lettré. Certaines choses l’embarrassent, par exemple le peu de fécondité de la classe bourgeoise en hommes de lettres, et il s’en tire par des explications sans valeur.
Ce n’est pas qu’Odin méconnaisse l’influence de la race anthropologique. Il n’est pas loin d’admettre que cette influence est très grande dans la formation des classes, et agit ainsi d’une manière indirecte sur la production des hommes de lettres, mais il n’a aucune notion des travaux postérieurs à ceux de Galton et de Candolle, sauf peut-être quelques généralités rencontrées dans des mémoires récents de Fouillée. Cette indépendance absolue des recherches d’Odin donne un bien plus grand prix aux résultats de ses statistiques, exposées avec une belle netteté dans tout un second volume de tableaux, de diagrammes et de cartes, qui constituent un modèle à ce genre de recherches.
Odin arrive à constater que l’immense majorité des hommes de lettres est née dans les centres urbains, ou dans les châteaux, que les villes universitaires sont d’une fécondité remarquable, et que les classes les plus fécondes sont la noblesse et la robe, puis les professions libérales, la bourgeoisie ne produisant guère plus de lettrés que la main d’œuvre. En somme, les hommes de lettres sortent surtout, pour ne pas dire d’une manière presque exclusive, des milieux où nous avons vu l’indice plus faible et le crâne plus volumineux.
Je vais analyser les principaux documents contenus dans le second volume de la Genèse, celui qui survivra, je ne dis pas seulement au premier, dont la doctrine est parfois faible, mais à tous les travaux de même nature exécutés jusqu’ici.
La carte de la fécondité des départements en gens de lettres (pl. VIII), nous montre la région féconde limitée au sud par une ligne allant de Coutances à Genève. C’est la partie la plus aryenne de la France. Il n’y a que deux exceptions correspondant l’une au massif vosgien, l’autre à ce que l’on a nommé la Suisse normande, deux contrées où l’indice varie entre 85 et 88. Au sud de la ligne, nous ne trouvons de contrées fécondes que sur le littoral de la Méditerranée, de Narbonne à Marseille, autour de Toulouse, de Lyon et de Bordeaux, centres urbains de grande importance qui ont toujours concentré une proportion anormale d’éléments sélectionnés. Genève forme un centre artificiel très important, dû à la présence des réfugiés protestants. La carte correspond, d’une manière générale, à la carte anthropologique de la France, telle qu’elle a été dans les siècles passés, plutôt qu’à celle de nos jours. Les données actuelles de l’anthropogéographie permettent aussi de résoudre certaines difficultés insolubles pour l’auteur. Odin se demande ainsi pourquoi la partie féconde des Côtes-du-Nord est la partie française, et pourquoi dans le Morbihan c’est l’inverse. C’est que dans le premier département, c’est la partie française de langue qui est dolicho-blonde (Dinan), et inversement dans l’autre. Odin a donc tort d’en conclure, t. I, p. 469, que la race n’y est pour rien : encore une fois la langue ne fait pas la race.
Le tableau XX et le diagramme XIV nous montrent que les gens de lettres de talent protestants font, à l’origine, un tiers de l’ensemble, et encore 8 ou 9 % à la fin du xviiie siècle, à un moment où il ne restait presque plus de protestants en France. L’auteur a d’ailleurs su remarquer que cette supériorité était due en partie à ce que les protestants étaient en proportion infiniment plus forte dans les classes élevées, comme ils le sont encore, et aussi les Juifs.
Le tableau XXVI, le diagramme XVII et la carte XVIII illustrent d’une manière remarquable le fait que l’immense majorité des hommes de lettres sont nés dans les chefs-lieux.
Les tableaux XXX à XXXIII, et les graphiques XXII à XXIV sont consacrés à l’exposition de la fécondité relative des classes sociales en hommes de lettres. Ils méritent une étude détaillée.
Le graphique XXIV nous montre la proportion de gens de lettres de talent relativement à la population totale de chaque classe, pour la France, la Suisse romande et la Belgique. Si la qualité d’homme de lettres en général peut être due à l’action du milieu, à l’imitation, il n’en est pas de même du talent. On l’apporte en naissant. La noblesse a fourni en chiffres absolus 159 noms, la magistrature 187, les professions libérales 143, la bourgeoisie 72, la main d’œuvre 6l, en tout 623. Ces chiffres ne prennent leur valeur qu’en les rapportant au nombre absolu des individus composant chaque classe sociale. C’est là le côté délicat du calcul. Odin arrive ainsi aux chiffres suivants : noblesse 159, magistrature 62, professions libérales 24, bourgeoisie 7, main d’œuvre 0.8. Ces coefficients représentent d’une manière assez légitime la valeur littéraire des trois premières, et même de la quatrième classe, qui n’était non plus ni illettrée ni besoigneuse. Il est évident que pour la dernière il y a à tenir compte d’une forte proportion inconnue d’hommes de talent qui ont péri dans l’ignorance et la misère. C’est à peu près ainsi que de Candolle est arrivé à trouver (v. Sélections, p. 38-39), que la valeur scientifique de la classe supérieure est 20 fois celle de la moyenne, et celle-ci 10 fois celle de la classe inférieure. II est très suggestif de voir la courbe tomber presque à pic de la noblesse à la magistrature, qui comprend cependant elle-même la noblesse de robe, et s’abaisser ensuite de plus en plus doucement jusqu’à la main d’œuvre.
Ces résultats nous déroutent un peu. Exacts pour les temps passés, jusqu’aux hommes nés vers 1825, ils le seraient moins aujourd’hui. La magistrature et les professions assimilées (notariat, barreau) sont loin de briller aujourd’hui par leur valeur intellectuelle. C’est un axiome très reçu que si un bachelier n’est ni intelligent ni travailleur, sa place est à l’école de droit, et quand il est licencié, ce qui n’use ni ne meuble beaucoup son cerveau, s’il n’est pas assez disert pour faire un avocat, pas assez madré pour faire un avoué, pas assez flexible pour faire un sous-préfet, mais trop honnête pour faire un politicien, la magistrature est ce qui lui convient. Les magistrats d’autrefois ne valaient pas, sur certains points, beaucoup mieux que les nôtres. Ils étaient aussi rogues, amis de la table comme eux, et comme eux décemment paillards, ils n’étaient pas plus incorruptibles, et les épices pouvaient être fortement relevées, mais ils avaient l’avantage incontestable de constituer une classe plus intelligente. Les hommes bien doués n’avaient pas comme aujourd’hui le choix entre une infinité de professions intellectuelles. Les fonctions de robe étaient à peu près la seule issue possible. La fécondité très faible de la bourgeoisie en hommes de valeur s’est relevée peu à peu. Il ne faut pas oublier qu’autrefois toute famille bourgeoise un peu dégrossie ne tardait pas à être anoblie. De notre temps il n’en est plus ainsi, et la bourgeoisie comprend des éléments qui seraient depuis longtemps passés dans la noblesse si le recrutement de celle-ci n’était pas arrêté. Quant à la noblesse, sa valeur intrinsèque parait bien avoir baissé d’une manière constante, depuis la Renaissance jusqu’à nos jours.
Le graphique XXIII nous renseigne d’ailleurs sur ce mouvement de transformation. Pour la noblesse la courbe baisse lentement de 1300 à 1575. À partir de ce moment les naissances d’hommes de talent sont plus rares jusqu’après 1700, il y a un creux très marqué correspondant à la perte des familles qui ont fait l’illustration de Genève et des autres lieux de refuge. La baisse reprend et continue jusque vers 1740. Elle s’accuse fortement, et la courbe ne se relève un peu que pendant la Restauration. Ce second minimum correspond aux talents fauchés par la Révolution avant d’avoir acquis leur complète maturité, et à la diminution absolue des naissances. La magistrature, robins nobles ou roturiers, présente au contraire un maximum triomphant pendant les règnes de Louis XIII et de Louis XIV ; elle s’est substituée à la partie rebelle et fugitive de la noblesse antérieure. À partir de la Révolution la courbe plonge rapidement, c’est le commencement de la période de l’abandon de la profession par les hommes intelligents. Les professions libérales, dont les commencements sont modestes, montent d’une manière presque régulière jusqu’à la Révolution. Elles prennent alors le dessus par un mouvement rapide. La bourgeoisie, dont le mouvement ascensionnel est très faible, ne monte avec un peu de vigueur que depuis 1740 jusqu’à 1800, et redescend ensuite. La main-d’œuvre a une courbe presque horizontale ; malgré le changement des conditions elle ne donne pas plus de naissances d’hommes de valeur en 1825 qu’en 1700.
L’ordre des classes est à l’origine, au Moyen Age : noblesse, robins, professions libérales, bourgeoisie, main-d’œuvre, avec les cotes 50, 31, 10, 6, 4. Il est en 1825 : professions libérales, noblesse et magistrature, bourgeoisie, main-d’œuvre, avec les cotes 35, 18, 18, 15, 13. Cette génération née vers 1825 est celle qui s’est éteinte de nos jours, et qui a été assez peu remplacée, car ce crépuscule de siècle est aussi un crépuscule du talent.
Importance croissante des nations aryennes. — À mesure que la civilisation devient plus intensive, l’aptitude remarquable des Aryens à l’effort continu et calculé leur assure une supériorité plus écrasante sur les autres races. Si l’on pouvait dresser, époque par époque et nature par nature, des statistiques de toutes sortes depuis le xive siècle, on verrait que le rang des nations aryennes tend sans cesse à s’élever, tandis que celui des autres s’abaisse. Il est très curieux de constater ce mouvement même sur des catégories de faits d’une importance secondaire. Il est malheureux que ce mouvement ne puisse être étudié d’une manière continue, même pour les catégories de faits très simples, en raison de la variation incessante du domaine européen des diverses nations. La France n’a guère modifié ses limites depuis Louis XIV, sauf un instant sous Napoléon, les Îles Britanniques n’ont pas varié, la Russie ne s’est guère agrandie en ce siècle que du côté de l’Asie, mais l’Allemagne a subi des vicissitudes extrêmes. L’ancien Empire comprenait l’Autriche et seulement une partie de la Prusse, l’Empire actuel comprend toute la Prusse et ne comprend plus l’Autriche. Quand en 1806 l’hégémonie est passée des Habsbourg aux Hollenzollern, l’Autriche s’est rejointe à la Hongrie et à la Bohème, et depuis la Bosnie s’est incorporée à l’Austro-Hongrie. Une grande partie de l’Italie, d’ailleurs variable, a fait partie jusqu’à nos jours de l’Autriche.
Sous le bénéfice de ces observations, je donne le tableau suivant de l’accroissement de la population depuis 1700 dans les divers états, en ajoutant les prévisions pour 1900 et 1950. Je crois inutile de faire des prévisions à plus longue portée, le rythme de l’accroissement de population étant variable, et l’état de l’Europe trop instable pour que les frontières actuelles puissent durer au delà d’un demi-siècle. Avant ce terme, il est probable que la tendance à l’annexion des états faibles aux plus forts aura fait disparaître une partie des états actuels les chiffres sont empruntés surtout à M. Levasseur.
Ce tableau nous montre, à l’origine, la France au premier rang ; l’Allemagne, plus grande qu’aujourd’hui et comprenant l’Autriche propre, l’égale à quelques centaines de mille âmes près. La Russie ne compte encore que 10 millions d’habitants, et l’Angleterre 9. Sur 100 habitants des grands États, la France en compte 40. Ces chiffres font comprendre la situation prépondérante de notre pays sous le règne de Louis XIV.
À l’heure présente, la France est passée au sixième rang, serrée de près par l’Italie. La Russie est devenue colossale, près de 140 millions. Les États-Unis, qui n’existaient pas il y a deux siècles, viennent ensuite avec 75 millions environ. Dans cinquante ans, la France ne fera plus que 3 % de la population des grandes puissances, aura été dépassée par l’Italie ; elle sera serrée de près par l’Espagne, qui est passée de 10 millions en 1800 à près de 20, et plusieurs états secondaires d’Amérique, le Brésil, le Mexique, marcheront à peu près de pair avec elle. Il est même possible que, malgré l’appel causé par le vide, la population de la France diminue réellement d’ici peu. Nous ne faisons figure que par la réduction de la mortalité, et, si vieux que deviennent nos vieillards, ils ne pourront indéfiniment compenser nos économies d’alcôve.
L’expansion territoriale a été immense. L’Angleterre a dans ce siècle acquis et colonisé l’Australie et d’autres parties de l’Océanie, elle a fait de l’Afrique de nouvelles Indes, et son domaine couvre 31 millions de kilomètres carrés, habités par un quart de l’humanité, environ 410 millions d’habitants. Les États-Unis sont arrivés à posséder plus de 9 millions de kilomètres carrés. La Russie en possède 23 millions, mais dont la moitié ne sont pas utilisables. Ce sont les trois états qui peuvent viser à l’holocratie, et entre lesquels se décidera le sort de l’humanité. Les vastes possessions coloniales de l’Allemagne et de la France sont en grande partie stériles, et à la discrétion de l’Angleterre, maîtresse des mers. On ne peut guère faire état que de l’Algérie. Encore faut-il considérer que la population européenne de ce pays est une très faible minorité, où les éléments non français ou de sang mélangé prédominent, et que tôt ou tard il s’y produira un mouvement séparatiste si l’on continue à vouloir administrer comme un département français ce pays en tous points si différent de la France.
La richesse immobilière est dans une certaine mesure en rapport avec l’étendue du territoire. Dans les régions étendues il s’établit une certaine compensation entre les terrains fertiles et incultes, riches et pauvres. Les États-Unis ont certainement droit au premier rang. La surface emblavée atteint près de 40 millions d’acres, et tout le sud de l’Union est un centre de production de coton et d’autres denrées sans analogues en Europe. Le sol est en outre d’une prodigieuse richesse en pétrole, en charbon, en fer, en argent. La Russie vient ensuite, avec ses immenses territoires cultivables de Sibérie. La France est plus riche, à surface égale, en raison de l’accumulation des capitaux employés à l’aménagement des terres par les générations précédentes, mais sa superficie utilisable est infiniment moindre. L’Angleterre et l’Allemagne se placent sur le même rang, la première avec une richesse minière incomparablement plus grande, mais avec un sol déprécié pour longtemps par la crise du blé. Dans ces trois pays, la moyenne de la valeur de l’hectare est plus grande, mais la différence d’étendue crée au bénéfice des États-Unis et de la Russie un écart qui ira en s’augmentant à mesure que la terre deviendra plus chère dans ces pays encore neufs.
M. Neymarck a donné au Congrès international de statistique de Pétersbourg l’évaluation des valeurs mobilières dans les principaux pays d’Europe. L’Angleterre tient la tête avec 182 milliards, l’Allemagne n’atteint que 92 milliards, la France, à peu près immobile tandis que l’Allemagne a doublé ses capitaux en trente ans, reste à 80 milliards. La Russie n’arrive qu’à 25 milliards, l’Autriche est à peu près au même niveau à 24.3 ; l’Italie atteint 17 milliards, et la petite Hollande l’égale presque avec 13.6 milliards. Les États-Unis, dont la fortune mobilière est évaluée à 120 milliards, s’intercalent entre l’Angleterre et l’Allemagne et progressent avec une rapidité qui les placera bientôt au premier rang.
Le tableau ci-dessous donne les principaux éléments de la situation financière des grands états en 1897, évalués en millions de francs.
Le développement du budget et de la dette n’est pas toujours en rapport avec la prospérité du pays. La France en est un exemple. Depuis 1880 l’accroissement des valeurs sur lesquelles sont perçus les droits de succession est nul, et comme celui de la population, tend à passer au dessous de zéro. La richesse n’augmente done pas, et cependant le budget et la dette s’accroissent sans discontinuer. Le mouvement du commerce a une signification plus précise. Pour bien apprécier la valeur des chiffres du tableau ci-dessus, que je tire du Statesman’s Yearbook pour 1899, il convient de les interpréter à l’aide de cet autre tableau, emprunté au Journal of Commerce de New-York, 16 mars 1898.
CHAPITRE HUITIÈME
Conditions du problème. — Le métier de prophète est rempli de déboires. Richelieu ne se doutait guère qu’il dressait l’échafaud de Louis XVI. Bismarck ne supposait pas qu’il paralysait pour longtemps l’Europe centrale et occidentale, au bénéfice de l’Amérique et des Russes. Les publicistes ont toujours aussi complètement échoué dans leurs prévisions que les hommes d’état. Ce n’est pas que le problème de la connaissance de l’avenir soit insoluble en soi. Si l’on rejette l’intervention de l’arbitraire et du mystique dans les événements comme dans le jeu des phénomènes chimiques, il faut bien reconnaître que tout ce qui se passera dans l’avenir est déterminé d’une manière immuable. Le progrès des connaissances humaines permettra peut-être de lire dans l’avenir comme l’histoire lit dans le passé, mais nous sommes bien loin d’en être arrivés à le faire. La part de l’imprévu, qui n’est ni l’arbitraire ni le surnaturel, se trouvant ainsi réservée, je vais chercher quelles sont les perspectives d’avenir de l’Europæus et des peuples chez lesquels il domine.
J’examinerai d’une manière indépendante deux questions réellement distinctes. La première est celle des chances de succès de l’Europæus par rapport aux autres races habiles à lui faire concurrence. La seconde est celle des chances des différents peuples de parvenir à réaliser à leur profit l’empire mondial, et des conséquences de cet événement lointain mais inévitable. Si l’holocratie doit être réalisée par un peuple plus ou moins Aryen, quelles seront les conséquences de l’état social qui suivra sur la pureté, sur la valeur de la race ?
Les concurrents de l’Aryen. Les Juifs. — Le seul concurrent dangereux de l’Aryen, dans le présent, c’est le Juif. La question juive ne se pose pas cependant pas à mes yeux de la même façon qu’à ceux des antijuifs, et de Drumont en particulier, si nous prenons l’affaire du côté français. Pour Drumont et ses amis, l’Aryen c’est l’indigène, le Français de nation, c’est-à-dire en fait le bracycéphale plus ou moins pur ou mélangé d’Europæus, résultat des longues sélections du passé. Par la Révolution le brachycépbale a conquis le pouvoir, et par une évolution démocratique ce pouvoir tend à se concentrer, en théorie, dans les classes inférieures, les plus brachycéphales. L’antisémitisme politique a pour but de conserver l’œuvre de la Révolution, et d’empêcher le passage du pouvoir entre les mains des Juifs, et plus généralement des étrangers. Sur cet antisémitisme politique se greffe l’antisémitisme économique, forme du protectionnisme, et l’antisémitisme religieux, forme du cléricalisme.
L’Aryen tel que je l’ai défini est tout autre, c’est l’H. Europæus, une race qui a fait la grandeur de la France, et qui est aujourd’hui rare chez nous et presque éteinte. C’est une race, non pas un peuple, et les peuples qui s’y rattachent, Anglais, Hollandais, Américains sont des étrangers, et plutôt des ennemis pour nous. La question telle que je la comprends est donc surtout de savoir qui, des Anglais et des Américains ou des Juifs, possède le plus de chances dans la lutte pour l’existence. Dans ces conditions nous autres Français sommes intéressés dans la question comme le lièvre dont on discute la sauce, et notre sauce à venir peut être juive, sans que le succès définitif des Aryens soit compromis.
Le problème ainsi posé comporte une explication qu’il ne faut pas différer. Si Europæus est bien une race zoologique, les Juifs sont plutôt une race ethnographique, et par suite le problème n’est pas identique en théorie à celui de la concurrence d’Europæus et d’Asiaticus par exemple, ou d’Europæus et du brachycéphale Alpinus. En pratique cela n’a pas une grande portée. Si les Juifs sont une race factice, ils ont été poussés par leur mode d’existence à un degré d’unité psychique égal à celui des races zoologiques les mieux déterminées, et si l’incohérence zoologique se reflète dans la psychologie du Juif, cette instabilité même est une caractéristique de leur psychologie.
En fait les Juifs, comme les Chananéens en général, les Phéniciens, les Carthaginois, représentent une population bâtarde, issue du mélange d’envahisseurs dolicho-blonds et d’indigènes très divers de l’ancienne Palestine. À cet élément premier se sont joints, dans les diverses régions colonisées par les Juifs, des éléments indigènes très différents. Comme les Phéniciens, les Juifs étaient grands voyageurs, et plusieurs siècles avant leur dispersion ils se répandaient déjà dans toute l’Asie occidentale, et en Égypte. Partout où s’installait une colonie juive, la propagande religieuse augmentait bientôt le nombre des adeptes, mais le recrutement se faisait de telle façon que la psychologie juive était peu altérée. Il fallait pour devenir Juif une véritable affinité, semble-t-il, avec le Juif d’origine. C’est pourquoi le Juif nous apparaît toujours le même au point de vue moral : à Babylone, chez les Pharaons, dans l’Égypte des Ptolémées, dans la Rome de Cicéron, à Éphèse ou en Espagne, le Juif était ce que nous le voyons aujourd’hui en France, en Pologne ou en Hongrie. La nation juive contemporaine est le meilleur exemple de convergence psychique : l’indice varie de 77 en Algérie à 83 en Pologne, les Juifs sont blonds, les Juifs sont bruns, mais partout ils sont les mêmes, arrogants dans le succès, serviles dans le revers, cauteleux, filous au possible, grands amasseurs d’argent, d’une intelligence remarquable, et cependant impuissants à créer. Aussi dans tous les temps ont-ils été odieux, et accablés de persécutions qu’ils ont toujours mise sur le compte de leur religion, mais qu’ils semblent avoir méritées par leur mauvaise foi, leur cupidité et leur esprit de domination. Si l’on réfléchit que l’antisémitisme est bien antérieur au christianisme, qu’il remonte au moins au xve siècle avant notre ère, il est difficile de voir dans le supplice du Christ la cause unique de la haine dont ils ont été poursuivis par les chrétiens.
Tel qu’il est, avec ses défauts balancés au point de vue de ses destinées futures par de hautes qualités intellectuelles et un vif esprit de race, le Juif apparaît bien comme un concurrent sérieux de l’Aryen dans la conquête du monde. Il ne faut pas cependant se faire d’illusions sur l’étendue de ses chances, limitées dans l’espace et le temps.
La situation du Juif est, en effet, tout autre dans les pays brachycéphales, d’où il parait chasser le dolicho-blond, et dans les pays vraiment aryens, où il paraît tout au plus capable de se maintenir dans une situation plutôt inférieure.
Domination éventuelle des Juifs en Occident. — Sur le continent, le régime ploutocratique impliquerait d’une manière toute naturelle l’avènement prochain d’une puissante oligarchie juive. Aucun autre élément ne possède une telle proportion d’hommes habiles à faire foisonner les millions, et à semer la corruption autour d’eux. Tout autour de nous, le Juif n’a pas de rival dans l’art d’exploiter le travail du brachycéphale et de concentrer ses économies. Sous un régime où la seule inégalité reçue est celle de la fortune, le Juif est naturellement appelé à prendre le premier rang, et la forte organisation qui fait d’Israël un État dans les États pourra lui permettre d’éliminer de la classe dominante tous les autres éléments, dans la mesure qu’il estimera nécessaire.
Le caractère ubiquiste de la nation juive, unique et partout présente, lui permet de se superposer aux multiples nations de race inférieure, et de constituer au-dessus d’elles une puissante unité gouvernante. Les Juifs peuvent devenir pour la moitié de l’Europe ce que sont les Anglais dans l’Inde. La conquête de la France, plus facile en raison de la constitution du pays et de l’absence d’aristocratie organisée, se poursuit en ce moment sous nos yeux. Avoir fait cette conquête sans bruit, sans bataille, sans répandre une goutte de sang, l’avoir faite sans autres armes que les millions des français et les lois du pays, cet exploit est plus merveilleux que, ceux d’Alexandre et de César. Chose plus merveilleuse, cette invasion interstitielle, cette conquête légale n’ont pas soulevé les rancunes que laisse toujours le sang versé. Les vaincus acceptent leur défaite : le maître qu’ils cherchaient, ils l’ont enfin trouvé. Si dans les classes dirigeantes et dans le commerce les protestations sont nombreuses, la masse des ouvriers, la masse plus grande des paysans se taisent et ne protestent pas. C’est que pour les premiers la perte est directe, est certaine, les hauts emplois, les places lucratives, les bonnes maisons ne seront plus pour leurs enfants. Pour la masse des travailleurs manuels il ne s’agit au contraire que d’un changement d’exploiteurs, et il n’est pas encore évident à tous les yeux que l’oppression doive être plus lourde.
Les peuples catholiques ont si bien conscience de la cause de leur déchéance, due aux sélections religieuses plus qu’à toute autre cause d’usure, qu’ils sont disposés à tout souffrir des Juifs. Plutôt que de reprendre le joug de l’Église, ils accepteront la domination nouvelle, si pleine d’inconnu qu’elle soit. L’Allemagne du Nord sera peut-être plus difficile à dissoudre, mais la lutte des classes peut l’amener assez vite au point de maturité où se trouve la France, et les Juifs y sont dès à présent très puissants. C’est pourquoi il est possible que dans un avenir prochain l’Occident devienne, à l’exception de l’Angleterre, une république fédérative gouvernée par une oligarchie juive. C’est ce que semble présager la prépondérance de plus en plus grande des questions économiques, l’aptitude majeure des Juifs à concentrer les capitaux, et le développement sans cesse plus accusé du régime ploutocratique.
À mesure que le régime ploutocratique, — si mal appelé démocratique[89], — se développera en Europe, on peut donc s’attendre à voir se développer une puissante féodalité juive, maîtresse du sol, des usines et du capital, profondément séparée du peuple par la religion, la race et l’orgueil. Le seul écueil sur lequel puisse se briser la destinée de la nation juive serait celui du socialisme mais de longtemps ce danger n’est plus à craindre. Beaucoup de socialistes estiment que le mouvement de concentration des richesses entre les mains des Juifs doit être favorisé par tous les moyens. C’est le procédé le plus sûr et le plus doux de parvenir à la nationalisation des moyens de production. Il suffira de frapper une classe peu nombreuse, étrangère et détestée. Au sein du parti ouvrier j’ai moi-même propagé cette idée. Le raisonnement n’était pas mauvais, mais les Juifs l’ont fait aussi et se gardent. Il n’y a pas de révolution socialiste possible tant que dureront les formidables armées d’aujourd’hui, dont la fonction, il faut bien le dire, est plutôt de maintenir le régime ploutocratique contre les tentatives de révolution intérieure que de défendre chaque pays contre son voisin. Il suffirait donc aux Juifs de se réserver les charges de judicature et les hauts emplois militaires pour maintenir leurs sujets dans la soumission, comme les Français font en Indo-Chine et les Anglais dans l’Inde.
Je crois que la domination juive ne sera pas plus douce que le fut celle des Carthaginois. Le sang est au fond le même, la psychologie la même. On voit trop le Juif obséquieux qui demande, on oublie le Juif arrogant qui commande. Il y a chez cet être, à double face, de la femme qui ruse et caresse pour corrompre, du prêtre hautain et dominateur. Si les Juifs fournissent très peu de criminels de sang, et une proportion si forte de voleurs, de faussaires et d’escrocs, ils sont plus vindicatifs que doux, et ce qu’ils craignent c’est le gendarme et le juge. Depuis la Commune, une seule fois le peuple et l’armée se sont trouvés aux prises. C’était à Fourmies, et un Juif fit ouvrir le feu. Je crois que la répression des tentatives des ouvriers, des paysans aussi, que l’oppression pousserait à l’émeute serait souvent terrible, dans un but exemplaire. Un feu en rafale couchant des centaines de cadavres à terre en trente secondes calmerait les esprits très au loin. Et si l’armée nationale, bien que très disciplinée, encadrée de chefs juifs ou dévoués entièrement au régime de la ploutocratie juive, laissait cependant à désirer, il serait aisé de faire faire les plus dures besognes par les régiments jaunes ou noirs, dont la base de recrutement serait assurée par les vastes colonies apportées par la France et l’Allemagne.
Est-il probable que les Juifs aillent plus loin, parviennent à se substituer à la population indigène éliminée par la misère ou autrement ? Je ne le crois pas. Le Juif est de nature incapable de travail productif. Il est courtier, spéculateur, il n’est pas ouvrier, pas agriculteur. Organisé pour s’emparer habilement du fruit du travail d’autrui, le Juif ne peut exister sans une population bien plus nombreuse d’inférieurs qui sèment, récoltent, tissent et construisent pour lui. S’il n’est pas la première aristocratie du monde, il est certainement la mieux adaptée à la vie parasitaire. Prédateur, rien que prédateur, il est un bourgeois, il ne peut, ne veut être qu’un bourgeois.
Il existe en Pologne de fortes masses de Juifs ruraux, et beaucoup de Juifs travaillant dans les manufactures. Les premiers sont de mauvais agriculteurs, vivant surtout d’usure et de la vente des boissons. Les seconds sont de mauvais ouvriers, mal musclés peu résistants, maladroits. C’est la nécessité des lois du pays qui les réduit à ces conditions, et non leur libre choix. Dans les autres pays, on ne rencontre guère de Juifs cultivateurs ou fabricants. Les statistiques sont très curieuses. Le recensement du 14 juin 1895, a donné pour le royaume de Prusse les résultats suivants :
Évangéliques (protestants) | 20.217.547 |
Catholiques | 10.805.961 |
Juifs | 361.944 |
Sans confession ou appartenant à d’autres confessions |
104.963 |
Voici maintenant la répartition des confessions dans les diverses branches de l’activité humaine. Le pour cent indiqué est pris relativement à la population de chaque confession, considérée isolément :
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Évangéliques | 3.000.963 | 32.96% |
Catholiques | 4.765.525 | 37.06% |
Juifs | 1.650 | 1.03% |
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Évangéliques | 3.015.144 | 33.08 % |
Catholiques | 1.690.163 | 33.47 % |
Juifs | 33.246 | 20.67 % |
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Évangéliques | 456.306 | 5.01 % |
Catholiques | 172.074 | 3.61 % |
Juifs | 82 069 | 51.04 % |
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Évangéliques | 449.482 | 4.94 % |
Catholiques | 186 939 | 3.92 % |
Juifs | 4.506 | 2.80 % |
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Évangéliques | 768.689 | 8.44 % |
Catholiques | 362 928 | 7.62 % |
Juifs | 4.791 | 2.98% |
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Évangéliques | 577.688 | 6.35 % |
Catholiques | 233.081 | 4.89 % |
Juifs | 9.804 | 6.10 % |
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Évangéliques | 839.054 | 9.22 % |
Catholiques | 353.831 | 7.43 % |
Juifs | 24.732 | 15.38 % |
Parmi les personnes sans profession, nous trouvons 15 % chez les Juifs contre 9 % chez les protestants et 7 % chez les catholiques. Les Juifs occupés à l’agriculture ne font que 1.03 % de l’ensemble des Juifs, contre 32.06 % des protestants et 37.03 % des catholiques. Plus de la moitié, 51 %, vit du commerce, et 6.10 % exercent des professions libérales, proportion bien plus forte que chez les confessions chrétiennes, dont il faut défalquer d’ailleurs le corps nombreux des officiers. L’enseignement occupe 1.69 % des Juifs, proportion plus forte que dans les autres confessions : protestants 1.21 %, catholiques 1.11 %. Il ne faut d’ailleurs pas perdre de vue que les Juifs appartenant à peu près tous aux professions bourgeoises, il faudrait les comparer aux bourgeois protestants et catholiques et non à la masse.
Cette proportion est à peu près la même dans les divers pays pour lesquels il y a des statistiques. Nous n’en avons pas en France. De peur de mécontenter M. Homais, le gouvernement a depuis longtemps supprimé des feuilles de recensement toute question relative à la religion. Il en résulte que nous ne savons même pas combien il y a de Juifs en France, ce qui serait facile, presque tous les israélites de religion étant Juifs de nation, et presque tous les Juifs israélites. Ce qui est certain c’est que l’on ne voit jamais de paysans ou d’ouvriers juifs. Chez nous plus que partout il faut comparer le nombre des Juifs à celui des bourgeois et non à celui de l’ensemble de la population. Ce qui tend sans cesse à faire exagérer encore l’importance si grande de l’élément juif, comme de l’élément protestant, c’est qu’on oublie qu’ils représentent des état-majors sans soldats. Si nous avons en France 100.000 Juifs, mais tous dans le commerce ou dans les professions libérales, il est évident qu’ils doivent représenter un pour cent de ces professions sans rapport avec les proportions des divers groupes religieux dans la nation.
De telles conditions sont très défavorables à la perpétuité d’une domination. Les Juifs, à la différence des autres aristocraties, tendent à se multiplier au lieu de s’éteindre, mais leur multiplication se limiterait s’il s’agissait de fournir des éléments destinés à remplacer nos ouvriers et nos paysans. Dans les conditions ordinaires, le mouvement se fait de bas en haut, jamais de haut en bas. Je ne crois pas qu’il soit dans le naturel des Juifs d’essayer, pour consolider leur domination, une chose aussi anormale. Leur fécondité diminuera dès que le nombre de parasites compatible avec la vie sociale se trouvera dépassé.
Caractère éphémère de cette domination. — Il faudrait d’ailleurs, pour arriver à une substitution complète, un temps plus long que la durée probable de cette domination. Les Juifs ont une natalité utile très supérieure à celle des populations au milieu desquelles ils vivent. Ils ne font pas toujours plus d’enfants, mais ils en amènent davantage à l’âge adulte. Aussi leur nombre croît-il relativement plus vite, ce qui, en bonne mathématique, leur assurerait une écrasante majorité dans un temps donné : seulement ce temps est éloigné de plusieurs siècles.
Dans la durée de ce siècle, le nombre des Juifs est pour toute l’Europe passé de 2 à 10 millions. S’il venait à quintupler de même dans le siècle prochain, cela ferait environ cinquante millions d’hommes en 2000. Ce nombre suffirait amplement à pourvoir le commerce, les administrations, renseignement, la justice, toutes les professions libérales, tous les emplois où l’on ne meurt pas de faim, mais il ne saurait suffire à remplacer les masses ouvrières et rurales. Les Juifs ne constitueraient donc qu’une caste d’autant plus détestée que son nombre plus grand rendrait son entretien plus onéreux à la masse des travailleurs. Cet édifice ne résisterait pas aux efforts extérieurs. Les Juifs fussent-ils arrivés à écarter le danger de la conquête de l’Occident par la Russie, ou à devenir les maîtres de la Russie elle-même, victorieuse de l’Occident, leur puissance resterait à la merci d’une conquête aryenne, car le Juif désorganise tout ce qu’il touche, ne possède ni l’esprit de gouvernement ni l’instinct militaire nécessaire à la conservation des empires. Les États-Unis d’Europe deviendraient donc un jour pays de conquête, une sorte de Chine, et les Juifs retourneraient bientôt à leur état naturel d’intermédiaires soumis entre l’Aryen et le brachycéphale.
Le Juif n’a jamais eu le sens politique. Il a le tempérament anarchiste, et depuis l’antiquité la plus haute ce caractère est de race chez lui. Jamais les peuples chananéens ne sont arrivés à sortir du régime de la peuplade et de la cité. Et quelles cités ! Prenez Tyr ou Jérusalem, Sidon ou Carthage, le temps des Aménophis ou celui des historiens grecs, partout la discorde, la guerre civile en permanence, le massacre et la tyrannie. De larges calculs et de prévisions séculaires, point de traces. Le condere in aeternum est inconnu de ces peuples : or gouverner c’est prévoir, et faire comme si la nation devait atteindre les limites du monde et de l’éternité.
En vain le noyau chananéen des communautés juives d’Europe s’est agrégé des éléments locaux. Sauf peut-être pour les Khazars, l’affinité qui a présidé à cet accroissement était si étroite que la psychologie primitive n’a pas changé. Les ordres religieux réalisent ce miracle de conserver le même esprit d’âge en âge, bien qu’ils se recrutent par cooptation. Entre ces ordres et la nation juive il existe des analogies profondes sur lesquelles je ne saurais trop insister. Les communautés, j’allais dire les congrégations juives, se sont ainsi agrégé seulement les individus nés pour être Juifs, comme un cristal plongé dans une solution complexe devient le centre d’une cristallisation homogène. Et l’esprit d’anarchie, l’esprit impolitique des ancêtres de Jérusalem et de Carthage souffle encore sur les métis des vieux Chananéens.
Le Juif, obéissant à ses aptitudes prodigieuses de spéculateur et d’escroc, traite toute affaire politique comme une spéculation ou une escroquerie. Il ne voit que le résultat immédiat, que l’avantage direct, sans s’inquiéter des répercussions. C’est le parfait opportuniste, jamais il ne se doute que l’avenir est fils du présent, il ne vit que dans et pour le présent. C’est pourquoi sa direction politique n’est pas seulement immorale, mais encore et surtout destructive.
Les Juifs n’ont pas davantage l’esprit militaire. De Candolle a d’ailleurs montré pourquoi, et par suite de quelle sélection. Au temps où les Habiri possédaient sans doute plus de sang blond, ils inquiétaient fort Rib-Addi, roi de Gebal, qui s’en plaignait, comme nous savons, très amèrement à Aménophis. Mais il y a de cela 3.500 ans. La défense de Carthage, celle de Jérusalem montrent ce que peuvent déployer d’héroïsme farouche les Chananéens au désespoir, mais aux jours des plus grandes conquêtes de Carthage, les armées étaient composées de mercenaires. Je doute que les troupes confiées à la direction des Juifs ne présentent jamais un esprit militaire. Si redoutables d’ailleurs que ces armées puissent être, il suffirait de la cavalerie de saint Georges pour en avoir raison.
Les Aryens n’ont donc pas à se préoccuper de la concurrence des Juifs dans la direction des peuples. Quand même le rêve politique de l’ambition juive viendrait à se réaliser, chose possible en somme dans cette période de l’histoire ou l’intérêt économique est seul pris en considération, le désordre et l’anarchie mettraient promptement à la discrétion des peuples guerriers de race blonde les États qui auraient accepté la domination sémitique. Si grandes que soient les forces des peuples soumis à sa direction, le Juif se chargera lui-même de les désorganiser, de les détruire, et de faire partie belle à ses adversaires.
De Candolle a dressé un tableau saisissant de l’avenir d’une Europe juive[90]. Le grand botaniste genevois, qui a été le guide et le conseiller de mes premiers travaux, de science politique, n’a pas assez prolongé son existence pour voir comme je le fais son hypothèse en voie d’être réalisée. Les événements marchent maintenant avec la rapidité de l’orage. La liquidation de la vieille Europe commence, le soldeur est à son poste, elle est commencée !
Il est assez curieux de voir que les Juifs ne paraissent pas avoir compris d’abord le rôle politique assigné à leur race par la destinée. C’est d’une manière automatique, et probablement tout à fait inconsciente, que la conquête du pouvoir dans l’Europe centrale et occidentale a commencé. Dès que les Juifs ont été livrés en toute liberté à l’exercice de leurs instincts, dans une société où les intérêts économiques sont considérés en première ligne, leurs aptitudes majeures à l’accumulation des capitaux les ont désignés comme les hauts barons de l’aristocratie du capital. C’est par l’acquisition des richesses que commencent toutes les aristocraties, mais la leur a cela de particulier qu’elle s’est fondée sur une acquisition pacifique et dépourvue de risques. Ils se sont emparés de l’argent par la force des instincts ataviques, et l’argent leur donnera bientôt sans doute la suprême puissance, parce qu’il est aujourd’hui seul Dieu et seul roi.
Les Juifs clairvoyants ont pris conscience de ce rôle. L’idée d’une conquête possible du pouvoir, et de son exploitation raisonnée, devient peu à peu courante dans Israël. Il se constitue, par la force des choses, une puissance gouvernementale qui ne connaît pas de frontières, et qui peut conduire, s’il n’arrive point d’accident, à la constitution de ces États-Unis d’Europe, subordonnés à une oligarchie juive, dont j’ai parlé déjà comme d’une hypothèse admissible. Le mouvement qui s’opère ainsi devient plus volontaire, plus raisonné. Il se révèle aux yeux perspicaces par une infinité de faits, et je suis étonné que si peu de contemporains le comprennent. À part les livres de Drumont et de quelques antisémites, à part un petit nombre de mémoires et de brochures allemandes et un petit livre bien inconnu sur les États Unis d’Europe et la domination juive, écrit en français par un auteur dont j’ai oublié le nom, presque rien n’a été publié sur cette question importante.
Dans ces dernières années, beaucoup de Juifs, désireux de se constituer une patrie, ont songé à restaurer l’ancien royaume juif de Palestine. Les colonies fondées par un des Rothschild et qui prospèrent, ont été le point de départ. Aujourd’hui ce qu’on appelle le mouvement sioniste prend des proportions très grandes. Je ne crois pas qu’il aboutisse à un exode, et à régulariser la situation anormale d’une nation qui depuis près de vingt siècles vit sans patrie et ne s’en trouve point plus mal. La restauration du royaume juif de Palestine n’empêcherait pas l’immense majorité des Juifs de rester cosmopolites. Le but parait d’ailleurs bien mesquin aux ambitieux d’Israël, qui commencent à entrevoir comme une chose possible la domination réelle d’une moitié de l’Europe.
Ce n’est pas le mouvement sioniste qui déterminera l’échec des prétentions juives à la domination. J’attache plus d’importance à une autre cause, de nature purement religieuse. La force d’Israël est dans son exacte séquestration sexuelle. Cette séquestration est due à une cause religieuse. Elle peut cesser avec cette cause, et Israël, déjà soumis à l’usure de sélections dont son isolement social le préservait jusqu’ici, serait exposé en outre aux conséquences du croisement, et à l’absorption par des masses plus grandes.
Une opinion propre naguère à quelques indépendants fait son chemin dans les milieux protestants, religieux et méditatifs. C’est que le Christ n’était point Dieu, fils de Dieu. Jésus que ses disciples et lui-même croyaient le Messie, n’était que le plus grand des prophètes d’Israël, avec la mission sublime d’apporter la dernière parole. Le Messie viendra seulement aux jours derniers, à la veille de la fin lointaine du monde. Le Nouveau-Testament se trouve ainsi soudé à l’Ancien, il n’y a plus qu’un Testament, qu’un Livre. Cette opinion ne change rien aux principes de conduite du christianisme, elle ne change que la conception reçue de la mission du Christ.
Et en même temps, parmi les Juifs, un nombre sans cesse croissant regarde le Christ comme prophète et fait du Nouveau-Testament le complément de l’Ancien. Protestants et néo-juifs arrivent ainsi à une croyance commune, et si demain appartient, chose possible, à cette conception nouvelle de la mission du Christ, le christianisme dans sa forme nouvelle ne sera plus qu’une secte du Mosaïsme, ou plutôt les deux religions finiront par se fondre en une seule.
Cette tendance, inconsciente chez la masse, très précise chez beaucoup, nous explique l’entente facile des protestants et des Juifs. Elle mérite d’être considérée avec une attention extrême, car nous sommes peut-être à la veille d’une transformation du christianisme auprès de laquelle la Réforme de Luther deviendrait peu de chose. Les conséquences de l’évolution en cours peuvent modifier d’une manière complète les probabilités d’une phase de domination juive en Occident. Si l’isolement religieux des Juifs vient à cesser, leur nation se dissoudra aussi promptement qu’un morceau de sucre plongé dans un verre d’eau. Quelle serait l’influence de leurs descendants métissés, il serait difficile de le dire, il existe peu de semblables métis. Les plus en vue chez nous sont affublés des plus grands noms de France. Les grandes familles, contraintes par les rois de résider à la cour pour être mieux surveillées, se sont adaptées sans retour à la vie parasitaire. Elles vivent aujourd’hui aux dépens des rois de la Bourse, après avoir vécu de la bourse des rois. Leurs fils épousent des Juives, leurs filles sont les maîtresses des Juifs. Le croisement des affranchis du Ghetto avec les enfants des courtisans et des courtisanes de Louis XV ne parait pas jusqu’ici donner des sujets bien brillants.
Les Brachycéphales. — Il semblerait superflu d’essayer d’évaluer les chances des brachycéphales. Les États brachycéphales, France, Autriche, Turquie, sans parler de la Pologne qui n’est plus, sont loin d’offrir la vitalité des États-Unis ou de l’Angleterre. Cependant la médiocrité même du brachycéphale est une force. Ce neutre échappe à toutes les causes de destruction. Noiraud, courtaud, lourdaud, le brachycéphale règne aujourd’hui de l’Atlantique à la Mer Noire. Comme la mauvaise monnaie chasse l’autre, sa race a supplanté la race meilleure. Il est inerte, il est médiocre, mais se multiplie. Sa patience est au-dessus des épreuves ; il est sujet soumis, soldat passif, fonctionnaire obéissant. Il ne porte pas ombrage, il ne se révolte point. Ces qualités purement passives ne l’ont pas servi dans les îles Britanniques où il a perdu pied. En présence d’éléments aryens d’une particulière énergie, et placés par les lois en bonne posture pour en faire usage, le brachycéphale a disparu comme trop inférieur. Il n’est pas démontré que, dans les pays aryens, la lutte doive être, dans l’avenir, aussi défavorable pour lui que dans le passé. Les conditions légales et la coutume peuvent changer. Il est possible qu’avec le temps les États les plus favorables au développement de l’individualité passent par les phases traversées déjà par la France et par les États latins et brachycéphales. En ce cas, le progrès des servitudes sociales et de l’interdépendance, — obligation de faire ceci, de ne pas faire cela, chaque homme grevé de servitudes au bénéfice de tous, — peut faire que l’avenir soit aux plus serviles.
Ne l’oublions pas, la masse des règlements, des obligations légales, croit rapidement partout. Les États-Unis eux-mêmes présentent à l’heure actuelle une telle floraison de papier coercitif qu’on se demande ce qui pourra bien être permis dans un siècle. Si ce mouvement, qui se développe d’une manière inévitable, vient à s’accélérer, peu importera, dans un temps donné, que le caractère d’un homme soit ou ne soit pas énergique, entreprenant. Ce qu’il pourrait avoir envie de faire, et le voisin pas, la loi lui défendra de le faire, et l’homme actifs sera dans ses actions très près de l’homme inerte.
Les chances du brachycéphale tendraient à devenir plus sérieuses encore si l’empire mondial était réalisé par les Russes, peuple de bureaucrates. Il est probable que la domination des États-Unis subirait une orientation plus libérale, mais celle de la Russie serait très probablement administrative et conduirait tout droit à une réglementation unique pour l’univers, à un fonctionnarisme universel, socialisme absolu compatible avec tous les gouvernements possibles. Et certainement ce fonctionnarisme est ce qui convient au brachycéphale. En France, dans ces cinquante dernières années, le nombre des fonctionnaires est passé de 188 000 à 416 000. Il en est ainsi dans les autres pays brachycéphales, et même en Suisse, où l’avènement politique des couches inférieures a fait disparaître les principes de bonne administration et de liberté. Si l’on continue à exiger, comme première qualité d’un sujet, qu’il soit parfaitement inerte et soumis à l’autorité, le brachycéphale finira par avoir le dernier mot. Race amie de la servitude, sans cesse à la recherche de maîtres et peu difficile dans leur choix, il peut user toutes les races capables de lui fournir ces maîtres, et rester seul, couvrant la terre de sa postérité docile et médiocre. Seuls les noirs et certains jaunes pourraient être pour lui, dans cette sélection à rebours, les concurrents dangereux. Les races colorées. — Les races colorées, H. asiaticus, H. Afer sont des concurrents de l’avenir plutôt que du présent. Les Japonais, les nègres des États-Unis et des Antilles sont pour le moment les seuls représentants de ces races qui constituent un danger, et il est d’ordre bien secondaire. Dans l’avenir, quand le demi-milliard de jaunes de l’Extrême-Orient sera parvenu à un degré de civilisation plus analogue au nôtre, les difficultés deviendront plus grandes. Il en sera de même quand les populations noires de l’Afrique, douées d’une si grande fécondité et que nous empêchons de s’égorger, rempliront le continent de leurs masses compactes et fardées de civilisation.
Le Japonais et le Chinois surtout possèdent de remarquables aptitudes économiques. Ils valent, au point de vue commercial, les Arméniens, les Juifs et les Anglais. Ils ont sur les Juifs un grand avantage : agriculteurs sans pareils, ils tiennent au sol par des racines profondes et ne constituent pas une simple classe bourgeoise, mobile et sans cesse exposée à l’usure sans pouvoir réparer ses pertes en puisant dans des réserves.
Je ne crois pas beaucoup aux dangers d’une invasion jaune faite par les armes[91]. Si elle se produit, ce ne sera point sous la forme d’une conquête chinoise. Il est très douteux maintenant que les peuples de l’Extrême-Orient puissent conserver leur indépendance. Il est peu probable qu’ils parviennent à la recouvrer après l’avoir perdue. Ce que je crains au point de vue militaire, c’est l’emploi contre les races blanches de puissantes armées jaunes, fait par les nations européennes maîtresses de la Chine. Je crains les garnisons jaunes ou noires installées dans les villes de France ou d’Allemagne, pour maintenir l’ordre, c’est-à-dire l’oppression des peuples d’Occident par les gouvernements occidentaux, avec l’appui des armées noires ou jaunes. Je crains encore plus qu’au jour de la grande lutte, l’écrasement de l’Occident ne soit l’œuvre des millions de soldats chinois que le Tsar russe pourrait encadrer dans ses troupes.
Au point de vue économique, il ne faut pas s’exagérer les dangers de la lutte de l’ouvrier à cinq francs contre l’ouvrier à cinq sous. La productivité de l’ouvrier jaune est très au-dessous de la moyenne, et le prix de la main d’œuvre ira en augmentant là-bas quand elle sera plus demandée. L’ouvrier américain, si cher payé, n’en écrase pas moins l’ouvrier français moins payé : il produit plus que lui, à salaire égal. La concurrence des manufactures asiatiques ne sera vraiment redoutable que le jour ou elles auront sélectionné leurs ouvriers pour en obtenir un rendement élevé. Il n’en est pas moins vrai que l’on peut se demander si la concurrence ne fera pas baisser les salaires en Europe et en Amérique et si certaines nations pourront conserver leur marché, en présence de concurrents vendant moins cher. L’industrie est menacée, dans des conditions indéterminables quant à présent, d’une catastrophe analogue à celle qu’a subie l’agriculture, mais tandis que les terres délaissées reprendront leur valeur le jour où la culture du blé occupant toutes les terres capables d’en produire à bon compte, la demande continuera à croître, il est à craindre que certains pays industriels ne puissent arriver à substituer aux industries vaincues d’autres plus prospères et mieux appropriées au milieu. Dans ce cas certaines nations, l’Angleterre, l’Allemagne, pourraient être frappées de déchéance, et leur population forcée de se disperser.
Il est même possible que l’importation directe d’ouvriers jaunes viennent changer les conditions actuelles du travail en Occident. Les États-Unis se défendent. Je ne sais si l’Europe pourrait se défendre de même, surtout si la qualité de citoyens venait à être accordée aux Chinois soumis à la France par exemple, ou à l’Allemagne. Cette entrée d’éléments jaunes dans les nations occidentales ne pourrait être indéfiniment retardé si les principes politiques actuels continuaient à dominer. Il ne serait pas longtemps possible de refuser la qualité de citoyens aux Chinois, dont les aptitudes sociales et politiques sont plutôt au-dessus de la moyenne de celles de nos électeurs français. C’est un danger positif, et que l’on ne semble pas apercevoir, des annexions faites ou projetées en Extrême-Orient. Je ne sais si je me trompe, mais dès le jour où j’ai vu commencer le dépècement de l’Afrique et de l’Extrême-Orient, il m’a semblé que la cause du prolétariat d’Occident se trouvait pour bien longtemps compromise. Ce n’est pas pour nos éléments sociaux supérieurs que la concurrence jaune ou noire est à craindre, mais pour nos éléments inférieurs. Si le travailleur jaune ou noir se trouvait substitué un jour au brachycéphale, ce serait un changement à coup sûr, mais non un progrès pour l’humanité.
À cela on me répondra : qu’importe ? que la fabrication se fasse à Paris ou à Canton, par des mains jaunes ou par des mains blanches, l’industrie n’y perdra rien. Pardon ! il n’est pas indifférent, pour moi, que le travail me soit enlevé au bénéfice du voisin. Et si je possède un domaine, je serai médiocrement consolé si l’on m’assure que, dans cent ans, il sera cultivé avec soin, mais par un Chinois. Je préférerais qu’il le fût par mes petits-fils, et que la prospérité de ma descendance se trouvât assurée.
M. Novicow a fait (Les luttes entre sociétés humaines, p. 561) un raisonnement du même ordre, « Une autre erreur capitale des sociétés consiste à se préparer des réserves pour l’avenir. Ainsi les Américains ne permettent pas l’immigration des Chinois. Ils disent qu’il y a plus d’avantages à laisser les régions du Pacifique et du Far-West à l’état de solitudes pendant de longues années qu’à les peupler de Célestes, parce qu’elles serviront aux besoins des générations futures. Cette conduite est des plus désastreuses, pour plusieurs raisons. D’abord l’expansion nationale ne se fait pas seulement par le peuplement mais par l’assimilation. Si dix ou vingt millions de Chinois vont en Amérique et adoptent l’anglais comme langue maternelle, la culture anglo-saxonne aura un nombre d’adhérents plus considérable. »
Assurément, si le Chinois était assimilable, mais sa psychologie s’y oppose. Il n’est pas inférieur à la plupart des Européens, mais il est autre. L’idée même d’assimilation est contraire à la biologie. J’ai déjà opposé plus haut la notion naturelle de la nation et la fiction juridique. C’est d’ailleurs toujours le même raisonnement d’économiste, qui ne connaît rien en dehors de la richesse. Je pense au contraire que l’homme n’est pas fait pour le service du capital, mais le capital pour le service de l’homme. C’est pourquoi je crains bien de ne jamais m’entendre avec M. Novicow, et son Avenir de la race blanche, qui contient de très bons passages, n’a pas produit sur mon esprit beaucoup d’impression.
Au point de vue sélectionniste, je regarderais comme fâcheux le très grand développement numérique des éléments jaunes et noirs, qui seraient d’une élimination difficile. Si toutefois la société future s’organise sur une base dualiste, avec une classe dolicho-blonde dirigeante et une classe de race inférieure confinée dans la main d’œuvre la plus grossière, il est possible que ce dernier rôle incombe à des éléments jaunes et noirs. En ce cas d’ailleurs ils ne seraient pas une gêne, mais un avantage pour les dolicho-blonds. Il ne faut pas oublier que l’abolition de l’esclavage a été motivée surtout par des considérations chrétiennes, et qu’en somme cette institution, jugée en dehors de toute conception surnaturelle de l’homme, n’a rien de plus anormal que la domestication du cheval ou du bœuf. Il est donc possible qu’elle reparaisse dans l’avenir, sous une forme quelconque. Cela se produira même probablement d’une manière inévitable si la solution simpliste n’intervient pas : une seule race, supérieure, nivelée par sélection, mais nivelée par suppression de la postérité des individus inférieurs ou médiocres.
Limites de l’expansion possible des Aryens. — La plaine découverte, l’air sec des pays depuis longtemps défrichés sont funestes à l’Aryen. La vive lumière, l’ardeur du soleil le tuent. En Europe, depuis l’antiquité, la forêt recule vers le Nord, et l’Aryen recule avec elle. Fils des vapeurs du Gulf Stream et des grèves mouillées de la Mer du Nord, il ne peut se perpétuer sous d’autres cieux, il cède la place ou varie. Ce n’est pas la sélection sociale seule qui l’a chassé de l’Europe méridionale et de l’Afrique du Nord, et déjà il n’est plus aux États-Unis ce qu’il est en Angleterre ou en Écosse.
Je renvoie aux Sélections sociales pour tout ce qui concerne cette question si grave de l’acclimatement. J’ai montré qu’il ne fallait pas espérer voir Europæus conserver partout son type, s’il est appelé, comme cela parait possible, à se répandre sur toute la terre. Il se formera des sous-variétés adaptées aux différents climats. Les caractères physiques seront modifiés, l’essentiel est que les hautes qualités psychiques restent au moins ce qu’elles sont aujourd’hui. La perte des caractères dus au lymphatisme, au demi-vitiligo, ne serait en somme qu’un progrès, un retour à l’état sain.
À cette condition, il est possible de substituer la descendance d’Europæus à celle de toutes les autres races du globe, et je pense que la formation des races adaptées pourrait être facilitée par le croisement. J’entends un croisement systématique et continu, le croisement tel qu’il se pratique ne pouvant donner que de mauvais résultats. J’ai montré dans les Sélections que les métis étaient le plus souvent des êtres peu recommandables. Le métissage de hasard ne donne d’ailleurs que des résultats incohérents et semble impuissant à fournir à lui seul une race homogène et fixée. Les combinaisons des types fondamentaux se font, se défont, réalisent de préférence certaines formes, comme s’il existait une loi des proportions définies dans la chimie des races, mais toujours reviennent les types fondamentaux, et le cycle recommence à l’infini. Tous les types principaux de l’Europe, Europæus, spelæus, meridionalis, acrogonus, existent depuis dix mille ans, se combinent sans cesse, et nous ne sommes pas plus près que le premier jour d’une résultante fixe, d’un état d’équilibre donnant une race mixte, unique, stable et féconde. Nous n’en sommes pas plus près que d’une matière unique, synthétisant uniformément tous les éléments de la chimie dans une combinaison unique et définitive. C’est ce qu’il ne faut jamais oublier de rappeler aux partisans ignorants des mélanges, et de la création d’une race unique par la fusion de toutes les races de l’humanité.
Le croisement qu’il faudrait employer est une toute autre chose, c’est le croisement continu ou d’absorption employé en zootechnie pour substituer une race étrangère supérieure à une race locale, sans courir les risques d’un remplacement en bloc par importation d’animaux non acclimatés. On y parvient en fournissant aux femelles de la race locale, à leurs filles et petites-filles, exclusivement des étalons choisis de la race à introduire. Il se fait dans les produits une sélection naturelle d’après la plus ou moins grande résistance, et tout en se rapprochant par degrés du pur-sang, on obtient des individus résistants.
Il ne faut pas s’imaginer que l’opération soit rapide. J’ai montré dans les Sélections que les métis étaient loin d’être d’exacts intermédiaires entre leurs auteurs. Il s’en faut qu’à la seconde opération on obtienne des sujets n’ayant plus en moyenne qu’un quart de la race locale. Cela dépend des analogies entre les races, de l’adaptation plus ou moins profonde au milieu, des caractères forts, de la faculté plus grande de racer, etc. Il faut en moyenne de quatre à huit générations pour arriver à ne plus produire une forte proportion de sujets défectueux.
Il se fait en ce moment à l’École d’agriculture de Montpellier une expérience très typique. Il s’agit de substituer au troupeau de moutons de race barbarine, très adaptée au climat mais bien défectueuse, un troupeau de race Larzac. Un bélier de race Larzac a couvert dans ce but un lot de barbarines, puis ses filles, les filles de ses filles, etc. Cette expérience, conduite d’une manière scientifique, a été rapportée par M. Sénéquier (Recherches sur le croisement continu, Annales agronomiques, 1898, XXIII, 497-519). Le tableau suivant donne les résultats des quatre premières générations :
Ainsi, à la quatrième génération, il y a un sujet sur dix, qui malgré 15/16 de sang Larzac, est encore presqu’un pur barbarin, et parmi les 6 sujets de la première génération, pas un seul ne se rapprochait plus du type Larzac que du type barbarin, un seul avait des traces appréciables de sang Larzac, les cinq autres étaient presque de purs barbarins.
Cette expérience montre que si l’on cherchait, par exemple, à substituer à la population nègre du Congo une population dérivée d’Europæus, sans exterminer les indigènes, il pourrait se faire qu’au bout de deux siècles de croisement continu rigoureux, le résultat ne fût pas encore atteint. Il faudrait au moins le double de temps si l’on voulait éliminer des brachycéphales, en raison de leur caractère fort. En aucun cas cependant on n’aurait à craindre ce qui est arrivé pour les campanules de Naudin, et le retour d’un type antérieur à l’homme : nous avons pour garant l’expérience du passé.
La lutte pour la domination universelle. — J’ai étudié jusqu’ici d’une manière abstraite les chances des diverses races, en prenant leurs aptitudes pour base de raisonnement. Il faut envisager maintenant l’autre côté de la question. J’ai déjà montré qu’il ne serait point indifférent pour le résultat final de la compétition des races que la domination universelle fût réalisée par telle ou telle des nations existantes. Dans une certaine mesure ce que j’ai dit se rapportait surtout à la concurrence interne, voyons la concurrence purement externe.
C’est une loi historique que les nations tendent à devenir sans cesse plus grandes. Babylone a soumis les villes de Chaldée, puis l’Assyrie et l’Égypte. Son empire est devenu partie intégrante de l’Empire des Perses, et celui-ci a été annexé par la petite Macédoine. L’empire d’Alexandre s’est morcelé, mais en grands royaumes. L’empire romain s’est développé de même, puis s’est morcelé aussi, et des États moyens lui ont succédé. Toujours à la périphérie, l’immense Empire espagnol s’est formé à son tour, puis démembré. L’Empire russe s’est étendu jusqu’à couvrir la moitié de l’Asie, l’Angleterre est maîtresse d’un empire plus vaste encore, et les États-Unis sont immenses. Sans cesse les nations deviennent plus grandes, et bien que l’aire des populations civilisées s’agrandisse sans cesse, le nombre des grandes nations reste à peu près le même. Comme la surface du globe est limitée, le temps est venu où il n’y a plus de place à la périphérie du monde civilisé pour la formation de nouvelles nations géantes, et il n’y a plus de régions civilisées où il puisse se former de petites nations. Ce siècle a vu disparaître un nombre infini de petits États en Europe, l’Italie et l’Allemagne se sont constituées à leurs dépens. Presque tous les petits états indigènes de l’Afrique et de l’Asie ont disparu, et parmi les états plus grands, il ne reste que le Japon, la Chine, le Siam, la Perse, l’Abyssinie et le Maroc. Six états gouvernent aujourd’hui les trois quarts de la population du globe.
Le moment est proche où la lutte pour la domination définitive du globe va s’engager. Les nations qui pourront y prendre part comme prétendants sont désignées dès à présent par leur puissance actuelle ou virtuelle. Je dis virtuelle, car la puissance de certaines nations s’augmentera d’une manière automatique par le peuplement de vastes réserves. C’est le cas de la Russie et de tous les états américains, de l’Australie et de l’Afrique australe. Ces états sont, pour les chances d’avenir, en meilleure posture que la France ou l’Allemagne, dont le territoire entièrement peuplé ne pourrait par lui-même nourrir une population plus forte.
Le rôle de l’Europe est fini, bien fini. Des nations qui comptaient autrefois, les unes, la Hollande, le Portugal, l’Espagne même ne comptent déjà plus. L’Autriche continue son existence chancelante, mais le jour semble proche où les provinces allemandes, la Bohême même, seront absorbées par l’Empire allemand. L’unité germanique sera ainsi reconstituée sous l’hégémonie de la Prusse protestante, pour un temps qui ne sera peut-être pas bien long.
L’avenir de la France parait moins certain, mais il ne faudrait pas se faire d’illusions. Nous avons dans notre histoire deux grandes fautes mortelles, la révocation de l’Édit de Nantes et la Révolution. Dans ces deux aventures nous avons laissé le plus clair de notre force. Si les idées de la Révolution l’avaient emporté, il semble que la France aurait pu devenir le noyau d’un groupement d’états et la métropole d’une humanité nouvelle. La Révolution a fait faillite, et des idées qui l’ont inspirée, la critique scientifique ne gardera presque rien. Nous avons perdu une belle partie mais quand on l’a jouée, il n’était pas probable qu’elle fut perdue : on croyait alors à la raison comme nous croyons à la science. Notre âge a vu s’envoler les dernières illusions. Quand la République fut fondée, il semblait qu’une ère de justice et de prospérité s’ouvrait. Ceux qui ont fait tant de sacrifices, il y a un quart de siècle, comptaient que la nation et l’humanité s’en trouveraient rachetées. Époque d’illusions généreuses et de nobles dévouements ! Il s’est trouvé des gens pour mettre en actions cette popularité, ces sacrifices. Durant des années le prestige de la République a servi à couvrir un monde d’aigrefins, et quand il aurait fallu au pouvoir des hommes de génie, d’une vertu surhumaine, pour refaire une situation si compromise, tous les partis n’ont pu donner que des habiles, rusant au jour le jour, et persuadés que l’on gouverne avec des finesses d’avoués retors. Pendant que les années s’écoulaient en querelles byzantines, que le crédit de la République diminuait aux yeux de la nation, pour avoir trop souvent servi à garantir des actes criminels et des hommes tarés, nos concurrents grandissaient d’une manière qui ne permet plus d’entrevoir d’égalité possible dans les luttes à venir.
Nous en sommes à n’avoir plus qu’une chance de conserver notre indépendance relative : continuer à ruiner nos finances pour le maintien d’un militarisme absurde, car un peuple fort peut désarmer, un peuple marqué pour une fin prochaine ne saurait le faire sans hâter d’autant la catastrophe. Si l’on calcule la proportion des naissances et des sujets mâles qui arrivent à l’âge adulte en France et en Allemagne, on trouve qu’en 1911 l’Allemagne aura un nombre de conscrits exactement le double de celui de la France, 530.000 contre 273.000. À ce jour la situation réciproque des deux nations sera claire, car pas un homme de guerre n’admet qu’il soit possible de lutter avec des chances de succès contre un ennemi double. Il faudra donc, d’une manière inévitable, ou devenir le satellite d’un ennemi plus puissant de l’Allemagne, ou composer avec celle-ci, conserver en tout cas, pour rendre la conquête trop chère, l’armement à outrance qui nous écrase aujourd’hui. Situation terrible d’un peuple, la mort lente par épuisement, pour éviter la mort immédiate.
Je ne crois d’ailleurs pas que l’Allemagne puisse compter sur un avenir bien long. J’admets qu’elle puisse s’agrandir en absorbant la moitié de l’Austro-Hongrie, cela ne lui donnera pas au proche des territoires pour déverser l’excédent de sa population. Dès à présent les femmes allemandes travaillent beaucoup à peupler les pays à demi vides des Amériques, et préparent dans leurs fils qui émigrent des ennemis à leurs fils qui restent. Le développement industriel et commercial de l’Allemagne est un des plus beaux exemples de ce que peut la volonté aryenne. Pas de ports, pas de côtes, des vasières et des bancs encombrant les estuaires, et cependant l’Allemagne a la troisième marine du monde. Peu de charbon, peu de minerais, et cependant l’Allemagne fabrique, elle exporte. En ce temps de concurrence difficile où la France, si riche en côtes et en ports, si prospère autrefois, n’a pas su maintenir son rang et a presque retiré son pavillon des mers du globe, l’Allemagne a su, partant de rien, arriver à couvrir les mers de ses vaisseaux. Rien ne montre mieux le contraste des deux peuples, Allemands du nord et Français, audace et ténacité chez l’un, légèreté et veulerie chez l’autre mais il n’en résulte pas que l’Allemagne puisse indéfiniment augmenter sa population et la nourrir de son commerce extérieur. Tout a ses limites, et ici, la limite est le développement industriel qui se généralise sur le globe entier.
En l’état, l’Allemagne est le bouclier de l’Occident contre l’invasion russe. Tant que le bouclier tiendra, la civilisation que nous avons pourra durer. Dès qu’il sera rompu, je crois que l’Empire des Tsars s’étendra aussitôt jusqu’aux limites extrêmes, à l’Atlantique et à la Méditerranée. L’événement pourra être retardé par l’action de l’Angleterre ou des États-Unis, par la coalition des nations occidentales, mais il me parait inévitable. La situation de l’Occident est celle de la Grèce à la fin des luttes d’Athènes, de Thèbes et de Sparte, les Macédoniens s’avancent.
La coalition occidentale peut se faire sous l’hégémonie de l’Allemagne. Il est possible aussi qu’elle se fasse dans des conditions différentes, par l’action des Juifs qui dissolvent rapidement les nations. Corpora non agunt nisi soluta. Cette destruction de l’esprit national peut faciliter le groupement des nations, rendu difficile aujourd’hui par le nationalisme. En ce cas il pourrait se produire plus qu’une simple coalition, une fédération analogue à celle des États-Unis, sous la direction de la nation cosmopolite par excellence, mais j’ai déjà dit ce que je pensais des chances de durée de la domination juive. La coalition pure et simple n’aurait d’ailleurs pas beaucoup plus d’éventualités de succès. Celles des nations d’Occident qui ne sont pas, comme la France, frappées d’arrêt de développement, ne sauraient augmenter d’une manière indéfinie leur population. La Russie, au contraire, possède d’immenses réserves de territoire, qui lui permettront de porter cette population à un chiffre double, triple de celui de la population de l’Occident, d’assurer ainsi le résultat de la lutte.
Il faut donc regarder comme terminé le rôle des nations occidentales, même récemment refaites et jeunes en apparence, comme l’Allemagne et l’Italie. L’avenir est seulement aux nations qui disposent d’immenses réserves de territoire, pouvant recevoir des centaines de millions d’habitants. Ces nations peuvent attendre. Plus la lutte sera retardée, plus elle sera certainement fatale aux anciens peuples.
Tout ce que l’on pourrait espérer, — encore peut-on l’espérer ? — c’est qu’il soit fait une situation d’indépendance relative aux peuples historiques. La France, l’Allemagne, l’Italie sont de véritables musées historiques, les reliquaires d’une civilisation qui meurt, mais qui meurt après avoir engendré celles de l’avenir. Ceux qui héritent du profit de nos efforts, et qui deviennent ce qu’ils n’auraient point été sans nous ne doivent-ils pas quelques ménagements aux nations usées par l’enfantement du monde nouveau ? Comme pour la Grèce, qu’on laisse à ceux qui les composent une certaine dignité, en mémoire de ceux qui ne sont plus. Nations à la retraite, c’est tout ce qu’elles peuvent être désormais, j’en conviens, mais que l’on n’en fasse point des Irlandes.
Dans deux générations la Russie comptera près de cinq cents millions d’habitants. Son territoire actuel et la Sibérie permettent de nourrir cette immense population, sans recourir à des ressources semblables à celles qui font vivre sur le sol de l’Angleterre et de l’Allemagne un excédent d’habitants. Au sud de la Sibérie, les immenses déserts qui dépendent aujourd’hui de l’Empire chinois, mais qui seront d’une manière nécessaire rattachés à l’Empire russe dans un avenir prochain, constituent une réserve dont il est impossible d’évaluer trop haut l’importance. Ces déserts ne sont pas pierreux, sablonneux et sans eau comme le Sahara ; leur mise en culture pourra exiger des artifices, mais une moitié au moins de ces immenses territoires est susceptible de culture. Il est possible qu’avant la date indiquée la majeure partie de la Chine, peut-être l’Inde et l’Asie entière soient tombées au pouvoir des Russes. On ne peut évaluer, en tout cas, à moins d’une quarantaine de millions d’hommes les forces militaires dont disposera le Tsar de ce temps. La richesse qui se développe d’une manière lente et régulière dans l’Empire russe sera devenue très grande, moindre sans doute que celle d’autres états, les États-Unis par exemple, mais suffisante pour que les frais de guerre puissent être envisagés sans les appréhensions qui paralysent aujourd’hui l’action de la Russie. Cette grande nation a donc tout intérêt à retarder le plus possible la crise qui la mettra en conflit avec l’Occident. Plus cette crise sera retardée, plus grande sera l’inégalité des forces, plus grande la certitude du succès des Russes.
La Russie est avant tout une nation asiatique. L’Angleterre est cosmopolite et surtout maritime. Son vaste empire paraît morcelé, mais comme elle est maîtresse des mers, les autres puissances sont plutôt à l’état d’enclaves dans son territoire. La force de l’Angleterre est prépondérante sur mer, plutôt faible sur terre. Il est probable que l’Angleterre sera maîtresse de l’Afrique entière, dans un avenir rapproché : rien n’est ménagé en tout cas pour parvenir à ce résultat. L’Australie offre un vaste territoire de peuplement, bien qu’une faible partie des terres y soit fertile. L’Afrique du Sud pourra recevoir aussi de nombreux colons, et l’Angleterre sera longtemps encore un réservoir inépuisable d’émigrants. La richesse enfin est immense. Je doute cependant qu’avec tous ces avantages, et celui d’une écrasante supériorité de valeur de la race, l’Angleterre puisse faire longtemps contrepoids à l’Empire des Tsars. Celui-ci a en sa faveur son extrême cohésion, une centralisation puissante, un développement intense du militarisme. L’Angleterre est vulnérable partout, étant dispersée. Les différentes parties de l’Empire britannique peuvent, à certains moments, se trouver en conflit d’intérêts, au point de ne pas se porter un mutuel secours. L’organisation militaire est imparfaite. L’Angleterre, il est vrai, se militarise peu à peu, et M. H. Spencer doit être bien étonné de ce phénomène, mais la psychologie de l’Anglo-Saxon, disposé à tous les sacrifices pour un effort exceptionnel, ne s’accommode guère d’une faction à monter pendant un siècle. Il est donc possible que l’Angleterre soit assez facilement chassée de l’Asie, et même qu’elle puisse perdre l’Afrique, le jour où des armées venant d’Asie pourront franchir l’isthme de Suez.
On peut donc envisager, avec quelques chances de vraisemblance, la possibilité que l’Angleterre et son immense empire viennent à se souder aux États-Unis. Ces derniers, en raison de l’immensité de leur territoire continu, de la possibilité d’y faire vivre des centaines de millions d’hommes de race Europæus, sont les véritables adversaires de la Russie dans la grande lutte à venir. Les États-Unis ont contre eux des chances nombreuses. Leur population se reproduit peu, et l’augmentation est due surtout aux immigrés et fils d’immigrés. Le meilleur élément est menacé de diminuer de nombre, et dans la Nouvelle-Angleterre la situation est, dès à présent, très inquiétante. Le féminisme est un danger plus redoutable encore. L’Amérique pullule de femmes ingénieurs, avocats et même prédicateurs[92]. Ces femmes, qui sont précisément parmi les mieux douées, font à l’homme une concurrence inutile et ne remplissent point leur fonction propre. À ce régime, une nation risque de périr aussi promptement que si elle couvrait un territoire de couvents. La corruption politique est extrême. J’ai collectionné des quantités de documents qui permettent regarder comme des enfantillages les concussions les plus retentissantes de nos politiciens français. La présence de dix millions de nègres est un danger, que vient augmenter celle d’une prodigieuse quantité de fainéants et de vauriens venus d’Europe, l’immigration ayant, dans ces dernières années, contribué à augmenter surtout la lie de la population.
L’esprit américain est cependant si plein de ressources que les États-Unis me paraissent avoir plus de chances que la Russie. On verra dans le paragraphe suivant avec quelle résolution les Américains se sont lancés dans la pratique du sélectionnisme. Un peuple d’une pareille indépendance d’idées est capable de se réformer sur bien des points. Si l’entente vient à se faire entre les Anglais et les Américains, il n’est point douteux que l’empire des mers doive leur rester, et qu’ils puissent lever parmi eux des armées suffisantes pour tenir en échec et pour abattre les forces de la Russie. L’Angleterre ne peut développer sa population au-delà de limites qui sont à peu près atteintes, toute surproduction sera matière d’exportation. Les États-Unis peuvent au contraire arriver à compter dans un demi-siècle 150 à 200 millions d’habitants, et à fournir des armées immenses. La difficulté sera d’ailleurs de les transporter sur l’ancien continent, et je ne vois pas comment elle pourra être résolue. Cette difficulté pourra faire durer le duel très longtemps, à moins que l’on ne s’aborde par la Sibérie orientale, région peu propice. Les États-Unis prennent très nettement conscience de leur rôle futur. La centralisation fait des progrès immenses, aux dépens d’ailleurs des libertés locales, et l’esprit militaire et conquérant se développe avec rapidité.
Je ne parle pas des républiques de culture latine. Elles sont venues au monde trop tard, et la race est en soi trop inférieure. Le Mexique, où l’élément indien l’a définitivement emporté, le Brésil, immense état nègre qui retourne à la barbarie, sont les deux seules nations d’une importance numérique sérieuse. Le Chili et l’Argentine, qui ont un tout autre avenir, sont très peu peuplés, et le retard initial ne saurait être réparé. Tous ces états seront dans cinquante ans les égaux, en population et en puissance, de la France, de l’Italie, de l’Espagne, mais comme ces nations, ils ne sauront échapper aux entreprises d’un gigantesque voisin.
On frémit en pensant aux hécatombes humaines que l’avenir réserve. La lutte entre les prétendants à la domination universelle sera longue, et nécessairement sans merci. La disparition des nations secondaires, de celles qui ne peuvent être prétendantes, ne sera pas nécessairement aussi sanglante. Il y a des cas où l’inégalité des forces est telle que la résistance du plus faible est inutile. S’il plaisait à l’Allemagne d’annexer la Hollande ou le Danemark, et si les autres nations laissaient faire, la résistance de ces petits états équivaudrait à un suicide. Il est probable qu’elle serait de pure forme. D’autres petites nations pourraient même ne pas résister du tout, et se laisser annexer de bonne grâce. Cela pourrait être pour quelques-unes une sorte d’avantage.
Tous les congrès, toutes les fictions, toutes les subtilités n’empêcheront pas l’évolution de continuer, le nombre des nations de décroître avec rapidité, l’état universel d’être réalisé. Les formules du droit international, les conférences pacifiques, humanitaires, servent surtout à rassurer les victimes de l’avenir, à les endormir dans l’espoir de la sécurité, pendant que grandissent les nations maîtresses. Les ennemis du militarisme et les amis de l’arbitrage n’ont pas tort, mais ils se font de grandes illusions. Les masses attirent les masses, les petites nations deviennent par la force même des choses les clientes et les satellites des autres. La lutte des grandes nations est une nécessité naturelle. La vraie loi de la lutte pour l’existence est celle de la lutte pour la descendance. Les excédents de population peuvent aujourd’hui trouver une issue par l’émigration. Quand la terre sera toute peuplée, l’expansion des uns aura pour condition nécessaire l’extermination des autres. C’est alors que la lutte deviendra inévitable et atroce. L’arbitrage est un moyen parfait pour éviter les conflits entre deux nations qui ne veulent pas se battre, mais quand l’écrasement de l’une devient une nécessité pour l’autre, il n’y a plus de place pour l’arbitrage. Le militarisme est épuisant, absurde, mais il est le seul moyen possible pour le faible de n’être pas détruit, pour le fort de s’entraîner à détruire et à dévorer le faible. Les luttes de l’avenir ne seront pas des jeux de rois ou des caprices de peuples, mais la conséquence nécessaire des besoins de nations en croissance.
Il est très difficile de prévoir quand et au bénéfice de qui sera réalisé l’empire universel. Je ne crois pas cependant que cela prenne plus de deux ou trois siècles. Les événements se précipitent avec une vitesse croissante. Je crois aussi que les États-Unis sont appelés à triompher. Au cas contraire, l’univers sera russe.
Il est plus difficile encore de prévoir l’état social qui sortira de la victoire. On peut seulement affirmer que le militarisme disparaîtra enfin. Une formidable armée sera conservée pour la police du globe, mais une seule, quelques centaines de mille hommes seulement. Ce sera peu chez un peuple de trois ou quatre milliards d’hommes. L’unité de gouvernement central entraînera l’unité de la législation générale, et il deviendra possible d’arriver à une organisation systématique du travail. L’ère du socialisme sera venue, mais d’un socialisme sans doute très différent de ce que nous supposons. Le sélectionnisme pourra être pratiqué sans réserve, et le niveau moyen relevé de génération en génération. Il est possible qu’une très grande liberté règne, plus probable, surtout si la Russie l’emporte, que l’on aboutisse au contraire au fonctionnarisme général. À cette distance toutes les hypothèses sont possibles. Les progrès de la science auront changé dans de telles proportions les conditions de la vie que tabler sur les données actuelles serait s’exposer avec certitude à faire des prévisions d’une réalisation impossible. Une société qui n’aura plus la houille pour base industrielle, le christianisme pour fondement moral, quelle idée pouvons-nous nous en faire ?
Le sélectionisme pratique. — J’ai montré dans les Sélections que la vie sociale n’était pas favorable aux meilleurs, que la sélection se fait le plus souvent dans le sens du plus mauvais. C’est une idée qui a de la peine à pénétrer dans les esprits, habitués à regarder l’évolution comme orientée vers le mieux, et la sélection comme favorable aux meilleurs. Depuis la publication du volume précédent de mon cours, il a paru dans ce sens divers travaux importants, parmi lesquels il faut citer Demoor, Massart et Vandervelde, L’évolution régressive, Paris, Alcan, 1897.
J’insisterai cependant sur le sens véritable et si méconnu de l’idée darwinienne. La théorie de Darwin n’est pas, bien qu’on le dise, celle de l’origine des espèces, mais celle de la survivance. Une épidémie éclate, les plus réfractaires survivent. Un chasseur redoutable apparaît, les plus habiles s’échappent. La disette vient, les plus sobres ou les plus chercheurs subsistent. Les formes des survivants se perpétuent, celles des moins heureux s’éteignent. Il n’y a pas une espèce de plus, il peut seulement y en avoir de moins. La théorie de la survivance est donc plutôt celle de la destruction des espèces que celle de leur origine. Pour être conservée, il faut que la forme existe.
La théorie de Darwin est encore moins celle du progrès organique. La cause qui détermine la survivance implique une supériorité, mais relative. Cette supériorité existe par rapport à la cause de destruction, mais la forme survivante peut être pour tout le reste inférieure. Supposez sur un bateau qui fait naufrage un poisson et un homme, mettons un académicien. L’académicien se noie, le poisson rentre dans son élément. C’est de la sélection, ce n’est pas du progrès. L’évolution par sélection se fait en avant, en arrière, à côté. Remarquons d’ailleurs que nos idées de supériorité, d’infériorité, sont de pures conventions. Elles ne correspondent à rien de réel. Il n’y a ni haut ni bas dans l’univers, qui est infini dans tous les sens. Il n’y a pas davantage d’infériorité et de supériorité, mais seulement des états que nous appelons tels, parce qu’il nous plait de les appeler ainsi. Le bien et le mal, le beau et le laid, le chaud et le froid, le haut et le bas, l’inférieur et le supérieur n’existent qu’en tant que nous les appelons tels. Ce qui existe ce sont les actions, les choses, les températures, et ainsi de suite. Nous classons tout cela d’après un idéal qui peut varier suivant les temps, les lieux, les hommes et leurs humeurs.
Le sélectionnisme, en tant que doctrine pratique, consiste à corriger les conséquences fâcheuses de la sélection naturelle, et à multiplier les types admis comme les plus beaux et les meilleurs. Il a beaucoup d’analogie dans son but avec le socialisme, qui consiste à corriger les conséquences naturelles de l’évolution économique, d’après un idéal déterminé de perfection sociale.
Depuis la publication des Sélections, les efforts des sélectionnistes américains ont abouti dans un certain nombre d’états à faire passer des lois d’une haute importance. Des lois analogues sont en voie de passer dans d’autres états américains. Ces résultats sont d’une importance capitale pour l’avenir de l’humanité. Le plus difficile était de trouver un législateur disposé à donner l’exemple, et à prendre des mesures sévères pour empêcher la reproduction des éléments dont la postérité n’est pas souhaitable.
Je prendrai comme type la loi du Connecticut. Elle prohibe l’union libre comme le mariage et atteint les épileptiques, les imbéciles, les faibles d’esprit. La peine qui frappe les conjoints est de trois ans de prison au minimum. Les intermédiaires qui ont facilité soit le mariage, soit les relations accidentelles sont punis d’un an de prison et 1.000 dollars d’amende. Le mariage est toléré si la femme a plus de 45 ans.
La loi proposée au Parlement de Pensylvanie interdit le mariage aux personnes atteintes des maladies suivantes : syphilis, blennorrhagie, épilepsie, dipsomanie, tuberculose, aliénation mentale. Les enfants d’aliénés sont frappés comme les malades eux-mêmes. L’Ohio et le Maryland sont en voie de consacrer les mêmes prohibitions.
Le Texas a déjà prohibé le mariage des épileptiques, le Massachusetts celui des épileptiques, des alcooliques, des syphilitiques.
Dans l’Ohio, le rapt et le viol sont punis de castration. La valeur sélective n’existe que dans le cas d’individus atteints de folie érotique : dans les autres cas la législation de l’Ohio est plutôt sujette à critique, les délits sexuels étant, d’une manière générale, du même ordre que le sacrilège et autres crimes religieux. L’appréciation de l’acte, toute violence mise part, est subordonnée au concept religieux de l’appréciateur. C’est surtout au culte de la virginité connexe à la mariolatrie, et à l’estime professée par le christianisme à l’égard de l’abstinence sexuelle que se rattachent les notions usuelles et légales relatives aux délits sexuels. Dans les sociétés antiques la plupart de ces délits étaient regardés comme légers, ou même comme des actes tolérés ou licites, et il en est de même chez les peuples civilisés non chrétiens.
En Europe, il commence à se fonder des associations sélectionnistes, et les idées pratiques se font jour dans le public. L’opinion commence à voir avec défaveur le mariage des héréditaires. Des médecins ont le courage de détourner certains clients du désir de laisser une postérité. On commence dans les milieux éclairés à tenir compte dans les mariages de certaines conditions de race, et surtout des aptitudes de famille. Cela est peu, mais c’est dejà plus qu’on n’aurait espéré il y a vingt ans. Les mœurs de l’Europe sont tellement fixées qu’il est difficile d’attendre dans cette voie de rapides progrès.
Les Américains, gens pratiques, commencent exactement par où il fallait commencer. On supprime d’abord, pour l’avenir, les héréditaires, c’est-à-dire la plus grande partie des individus à charge aux autres et à eux-mêmes, qui sont voués à une vie d’inutiles souffrances par l’imprudence de leurs procréateurs. C’est le programme de Haycraft et des autres sélectionnistes anglais et américains dont j’ai exposé la doctrine. Il n’est pas question de races inférieures, pas question de multiplication artificielle des éléments d’élite. Cela viendra plus tard. Il suffira d’élargir des dispositions entrées dans les mœurs. J’ai d’ailleurs expliqué dans les Sélections pourquoi la question de race avait peu d’importance aux États-Unis.
Selon moi, pour aboutir, la sélection systématique doit toucher le moins possible aux individus vivants, et se borner à prévenir la reproduction des uns, à favoriser celle des autres. Je ne suis pas partisan des mesures violentes dont parlent les sélectionnistes américains, et qu’ils commencent à pratiquer. La castration me parait inutile, elle comporte des succédanés qui pourraient être utilement appliqués aux sujets à éliminer. La sclérose de l’épididyme, déterminée par une injection de chlorure de zinc, est parfaitement suffisante et sans danger. On emploie à cet effet une solution de 5 gr. de chlorure de zinc dans 100 gr. d’eau distillée. Le manuel opératoire est très simple et comporte deux méthodes. 1e Inciser les téguments, injecter avec la seringue de Pravaz 3 à 5 gouttes dans l’épididyme mis à nu. 2e Sans inciser, après asepsie locale, serrer la base des bourses avec les doigts pour faire saillir fortement le testicule, et après avoir reconnu l’épididyme, y enfoncer l’aiguille de la seringue et injecter le chlorure de zinc. Cette dernière méthode est moins sûre, mais réduit l’opération a une simple piqûre. L’opération entraîne la sclérose de l’épididyme, la régression de la prostate, la sclérose du testicule, avec atrophie légère. Si l’on opère sur l’adulte, le sujet, totalement infécond, conserve l’aptitude au coït. C’est l’opération de choix quand on ne veut pas empêcher le coït lui-même. Ce procédé me parait le plus élégant pour la suppression de la postérité des dégénérés. Chez les femmes, l’ovariotomie, dangereuse même à froid, et dont les répercussions sont graves, peut être remplacée par une infibulation bien faite, par la suture de la partie antérieure du vagin, ou, si l’on veut conserver l’aptitude au coït, par la production artificielle d’une sclérose des trompes.
La faillite du christianisme. — On a remarqué combien peu, dans mes prévisions, je tenais compte des idées politiques et des mœurs d’aujourd’hui. C’est que je regarde les idées et les mœurs comme devant subir une transformation complète dans un avenir prochain. Depuis quinze cents ans le christianisme n’a pas empêché l’évolution politique et sociale de s’accomplir dans un sens plutôt contraire à ses principes. Je pense, et je m’en suis déjà expliqué dans les Sélections et dans la préface du Monisme, que son influence sur les idées et les mœurs va diminuer encore. Nous sommes arrivés à un tournant : au-delà, dans l’inconnu, tout est possible, sauf le passé.
La crise d’idées contemporaines, la faillite du christianisme, n’a de comparable que celle même de l’avènement du christianisme. Et quand je dis faillite du christianisme, je devrais dire la faillite des religions, si quelques-unes, l’islamisme par exemple, ne se trouvaient un peu à l’abri, par leur indépendance de toute cosmogonie, et par le déterminisme qu’elles admettent.
Nos idées politiques et nos mœurs étaient en rapport étroit avec la religion. Trois choses tenaient le christianisme en crédit dans l’esprit des masses, et lui faisaient une clientèle en dehors des théologiens.
La première était la nécessité d’une explication des origines du monde et de l’homme. La Genèse répondait à ce besoin. Les théories évolutionnistes ont substitué une explication scientifique à l’explication religieuse. Du jour où l’on a su que l’homme était descendu d’ancêtres animaux et tous les êtres vivants d’organismes très inférieurs, où l’origine des astres et de notre globe a été expliquée sans place pour le mystique, les masses ont commencé à ne plus croire. Il reste encore pour les savants une difficulté, celle de l’origine des premiers grumeaux de matière vivante, mais l’esprit simpliste des foules n’en tient déjà plus compte. Cette difficulté, pensent-elles, sera bientôt résolue comme les autres, tout dépend d’une expérience de laboratoire qui peut être réussie demain.
La seconde était la nécessité de maintenir la morale. Pas de société sans morale, pas de morale sans religion. La morale, c’était celle du christianisme, on n’en comprenait point d’autres. Donc, nécessité du christianisme. De nos jours on est arrivé à comprendre le caractère arbitraire des morales. Il y a un nombre infini de morales possibles, et de fait autant que de grands systèmes religieux. Ce que nous appelons conscience est la résultante des sélections sociales du passé, et de l’éducation présente. La morale du christianisme est certainement parmi les plus mauvaises. Faite en vue d’une existence ultérieure, qui est infiniment improbable, elle sacrifie la société à l’individu, la vie réelle à d’imaginaires intérêts mystiques. Nos contemporains ont vu tout cela. De là une crise morale qui jette le désarroi partout. La morale d’hier s’en va, et celle de demain n’est pas née.
La troisième était l’influence consolatrice de la religion dans les crises douloureuses de la vie et à l’heure de la mort. Que de milliards d’affligés les promesses dorées du christianisme ont consolé ! Que de milliards d’agonisants elles ont bercé jusqu’à l’instant suprême de la chute dans le néant ! Cette influence bienfaisante disparaît avec la croyance à la vie future, et au bonheur infini qui attend les malheureux. La grande consolatrice s’en va : si la religion a fait du mal aux sociétés, les individus n’auront plus jamais pareilles promesses de bonheur.
Nous sommes en marche par le monisme vers l’élimination complète de l’idée de religion. Nous sommes en marche, par les formules nouvelles basées sur l’hygiène sociale, vers l’élimination de l’idée de morale. C’est une évolution qui a ses avantages et ses inconvénients, mais que le progrès des connaissances humaines rend inévitable.
La faillite de la politique moderne. — Le christianisme a fourni à la politique une série de postulats : distinction de l’âme et du corps, origine surnaturelle de l’âme, identité de nature des âmes, indépendance des âmes. Ajoutez à cela l’idée paradisiaque, l’idée de justice éternelle, celle de libre-arbitre et toute une série de principes de morale.
Il s’est opéré un démarquage curieux, commencé par les écrivains politiques chrétiens, achevé par les philosophes du xviii. Aux idées chrétiennes on a ajouté un grain d’idées antiques. De tout ce travail est sorti le système des principes politiques modernes. Les masses les ont acceptés avec d’autant plus de facilité que ces principes se reliaient aux idées religieuses dont elles étaient imbues. L’envie, l’amour du lucre et des jouissances y trouvaient en même temps leur compte. L’essence surnaturelle de l’âme a servi de point d’appui à la théorie des droits de l’homme, antérieurs et supérieurs à la nature et aux sociétés. L’identité de nature des âmes a conduit à la théorie de l’égalité fondamentale, que les accidents de la vie sociale viennent altérer, mais qu’il faut rétablir. La commune origine des âmes, toutes créées directement par Dieu, a permis d’admettre aisément la théorie de la fraternité. L’indépendance des âmes, qui ne participent pas à la parenté charnelle des corps, a servi de base à la thèse individualiste. La théorie du péché originel a produit, par un réflexe anti-religieux, celle de la bonté naturelle de l’homme, que les influences sociales et l’éducation rendent criminel ou mauvais. L’idée de libre arbitre a ouvert à la raison humaine des horizons ambitieux, et n’a pas été sans influence sur la conception, pourtant si différente, de la liberté politique. Le paradis a été laïcisé, on l’a fait descendre sur terre : théorie du progrès de l’humanité. L’idée de justice absolue a subi la même évolution, ce n’est plus Dieu, c’est l’homme qui est chargé de la réaliser, mais elle sera… dans l’avenir ! L’idée de charité a enfanté le philanthropisme sentimental et mal placé. Prenez, brassez tous ces enfantillages, combinez-les à doses diverses et vous aurez tous les systèmes de principes politiques, du socialisme au cléricalisme, des idées du pays de Rousseau à celles du peuple des Tsars.
Le conflit de tous ces systèmes a fait couler pas mal de sang, et ce n’est pas fini. Jamais d’ailleurs l’homme n’a été plus égoïste que de nos jours : fraternité. C’est notre siècle qui a le premier fourni des milliardaires : égalité. De la liberté je ne parle pas, j’ai montré qu’elle était le propre d’une race, et encore !
La faillite de la Révolution est un épisode local de la faillite de cette politique chrétienne, démarquée, laïcisée, dont l’échec enténèbre notre fin de siècle. Avec le christianisme s’écroule dans l’abîme la politique libertaire, humanitaire, égalitaire. Et les politiciens, dont le bagage intellectuel, quand ils en ont un, est de l’autre siècle, s’effarent, ne croient plus à rien, vont à l’aventure, et aux aventures.
Je le crois bien, de tous leurs principes il n’y en a pas un qui ne heurte de front quelque loi naturelle, et si les lois de la nature deviennent les instruments puissants de celui qui sait, les ignorants ne cherchent pas impunément à les violer.
À toutes ces doctrines qui s’écroulent, le monisme oppose les siennes, dont les bases sont les inéluctables lois de la nature. Elles ne sont point données pour certaines, la certitude absolue n’existant que pour les philosophes et les théologiens, mais comme probables, avec une probabilité très grande, parfois voisine de l’infini. Tout un système de propositions les résume, dont la plupart n’ont pas besoin d’être développées.
L’homme n’est pas un être à part, ses actions sont soumises du déterminisme de l’univers. Les sociétés n’évoluent pas au hasard ; les lois de leur évolution sont complexes, à peine connues et difficiles à connaître, mais aussi nécessaires que celles du mouvement de l’atmosphère. Le surnaturel est exclu de la vie humaine et sociale.
L’âme et le corps sont un, les phénomènes psychiques étant fonction du cerveau. L’âme est donc héritée, comme le corps. La psychologie individuelle est sous la dépendance des ancêtres : une inégalité fondamentale des individus résulte de la différence de naissance. L’inégalité de la naissance est la seule qui ne puisse être réparée. Les effets de l’éducation sont essentiellement conditionnés par l’hérédité, ils sont intransmissibles. L’éducation peut farder l’individu, rien ne passe de ce mensonge par la génération.
On n’entre par décret ni dans une famille ni dans une nation. Le sang que l’on apporte dans ses veines en naissant, on le garde toute sa vie. L’individu est écrasé par sa race, et n’est rien. La race, la nation sont tout.
Tout homme est apparenté à tous les hommes, et à tous les êtres vivants. Il n’y a donc pas de droits de l’homme, pas plus que de droits du tatou à trois bandes ou du gibbon syndactyle, que du cheval qui s’attelle ou du bœuf qui se mange. L’homme perdant son privilège d’être à part, à l’image de Dieu, n’a pas plus de droits que tout autre mammifère. L’idée même de droit est une fiction. Il n’y a que des forces. Les droits sont de pures conventions, des transactions entre puissance égales ou inégales ; dès que l’une d’elles cesse d’être assez forte pour que la transaction vaille pour l’autre, le droit cesse. Entre membres d’une société, le droit est ce qui est sanctionné par la force collective. Entre nations cette garantie de stabilité fait défaut. Il n’y a pas de droit contre la force, car droit n’est que l’état créé par la force, et qu’elle maintient latente. Tous les hommes sont frères, tous les animaux sont frères, et leurs frères, et la fraternité s’étend à tous les êtres mais être frères n’est pas de nature à empêcher qu’on mange. Fraternité, soit, mais malheur aux vaincus ! La vie se maintient que par la mort. Pour vivre il faut manger, tuer pour manger.
Le progrès est une pure conception humaine. L’évolution se fait autour de nous, en avant, en arrière, à côté, progresse, recule, tourne et retourne. Elle ne tend pas indéfiniment vers le mieux, elle ne tend vers rien. Elle se fait actuellement vers la plus grande conscience, mais cette conscience s’éteint avec l’être conscient, qui doit s’éteindre. Il n’y a pas de paradis, même sur terre. Il ne faut pas demander à la science plus qu’elle ne peut donner. Elle donne à l’homme conscience et puissance. Elle n’a pas un pouvoir direct sur le bonheur pour cela il faut s’adresser au prêtre, au sorcier, au marchand d’alcool, de morphine, à l’armurier surtout, marchand de suicide.
La liberté, si elle existe, est étroitement limitée : 1° par l’hérédité ; 2° par le milieu. L’action de la volonté sur l’évolution sociale est donc restreinte. L’évolution sociale est dominée par la sélection, et la sélection sociale élimine les meilleurs. L’évolution a deux caractères généraux : 1° spécialisation et inégalité croissantes ; 2° interdépendance croissante, la réaction des actes de chaque individu tendant à intéresser l’humanité entière. Sans cesse l’individu devient moins libre.
Entre les idées politiques d’hier et celles de demain, l’antagonisme est donc absolu. En présence des théories monistes et darwiniennes, les doctrines du xviiie siècle ne sont plus que des variantes de la doctrine chrétienne. Le libéralisme, le socialisme sont deux formes du cléricalisme, c’est-à-dire de la politique basée sur les postulats de l’Église.
Il est vraiment étonnant que les conséquences du monisme et du darwinisme n’aient pas été vues d’une manière plus claire. J’éprouve un plaisir malicieux, mais vif, à constater l’embarras qui perce dans nombre d’articles récents, parus dans des revues socialistes, anarchistes ou prétendues démocratiques. Dans le darwinisme, ou d’une manière plus générale dans les doctrines scientifiques sur l’origine des espèces et du monde, on avait vu surtout l’argument à opposer aux religions, et chez nous à l’Église, créationniste et liée par le texte de la Genèse. On n’avait pas compris que le darwinisme appliqué à l’homme dans sa vie sociale excluait pour l’avenir tout élément d’explication sociale non scientifique, c’est-à-dire admettant des causes surnaturelles en dehors de la causalité générale de l’univers. Quand je dis on, je dis les libres penseurs, ou ceux qui se qualifient tels, car dès l’origine les Églises avaient vu les conséquences des théories nouvelles, et en avaient pris texte pour dénigrer celles-ci.
Cette exclusion du surnaturel est ainsi d’autant plus fatale aux doctrines affranchies du dogme, mais restées esclaves du reste, que la ressource suprême des chrétiens leur fait défaut. Le recours au miracle, aux manifestations de l’omnipotence divine, rompant la chaîne des causes et des effets qui s’engendrent à l’infini, le recours aux propriétés intrinsèques de l’âme considérée comme entité réelle distincte et en dehors du monde des forces et des atomes, tout ce qui peut permettre d’échapper par un acte de foi aux conclusions de la science politique darwinienne, tout manque à la fois à ces libres penseurs.
Ils n’ont que le choix entre le retour pur et simple aux doctrines théologiques d’où ils procèdent ou l’adhésion pure et simple à l’explication scientifique des phénomènes sociaux, et l’abandon de tous les principes philosophiques dont leur doctrine politique est faite. Ce n’est pas vers la science qu’ils iront. Leur psychologie est celle des hommes qui jadis se prosternaient dans les églises et faisaient flamber les hérétiques : ne nous étonnons point, ils en descendent. Déjà libéraux, socialistes, anarchistes traitent les darwinistes de barbares. Soit ! Voici les barbares qui viennent, les assiégeants deviennent assiégés, et leur dernier espoir de résistance est de s’enfermer eux-mêmes dans la citadelle qu’ils attaquaient. L’avenir prochain montrera à nos fils ce curieux spectacle, les théoriciens de la fausse démocratie moderne contraints de se renfermer dans la citadelle du cléricalisme. Ce conventionnel avait une intuition de l’avenir qui répondait à la demande d’un sursis d’exécution pour Lavoisier : « La République n’a pas besoin de savants ! » En face des dogmes nouveaux l’alliance des hommes de l’Église et de ceux de la Révolution sera le fait de demain, mais il n’y a pas d’alliance qui puisse retarder l’heure de la destinée, pas d’homme de génie qui puisse ramener l’humanité à l’ignorance. Nous courons vers l’inconnu, mais jamais le passé ne reviendra, jamais !
APPENDICE C
Fin du 5e interglaciaire. Ancylus-See. Dernière période d’émersion de la Mer du Nord. Formation de la Mer Noire et de la Mer Égée. — Néolithique récent. Culture commune de l’Atlantique au Sômal et à la Russie. Les Finno-Aryens dans l’Europe centrale. Premieres migrations vers le Sud. Dolmens sans métal (Bretagne, etc.). Palafittes (Robenhausen, Meilen, Chavannes, La Lagozza, etc.). L’or, l’argent, le cuivre natifs métaux précieux.
Différenciation de la civilisation égyptienne. Ménès, v. 5100.
Différenciation de la civilisation chaldéenne.
Commencement de l’emploi industriel du cuivre en Égypte, en Chaldée. Haches plates de cuivre en forme de hache en silex. Dans les derniers siècles, le bronze tend à devenir commun.
Calices de forme argarienne, et poteries à incrustations de craie et d’ocre en Égypte.
IIIe dynastie égyptienne : Snofrou.
IVe dynastie égyptienne : Khoufou, Menkaouri.
Première figuration des Tamehous.
Les Pyramides. Le Sphinx.
Coexistence des caractères égéens et hiéroglyphiques en Égypte.
V. 4600, Mesilim, roi de Kish en Chaldée.
V. 4500, Our-Nina, roi de Lagash (Sirpourla) en Chaldée, puis ses successeurs Akourgal, Eannadou, Enannatouma I, Entemena, Enannatouma II.
Patésis de Gishban contemporains : Oush, Enakalli, Ourlouma, Hi.
4004, création d’Adam.
En Europe, énéolithique ancien. Premières haches plates de cuivre en forme de hache en silex. Dolmens (Lozère, Aveyron, bassin de la Seine, etc.) Palafittes (Fenil, Moerigen, etc.) Cryptes du Castelet, de Collorgues. Cistes du Maupas. Station de Stentinello (Sicile). Débuts de la crémation dans l’Europe centrale et en Gaule. Métallurgie : cuivre, étain, bronze.
V. 4000, Ve dynastie égyptienne, Ousirkaf, Ounas.
V. 3800, VIe dynastie égyptienne, Téti III, les Papi.
V. 3200, XIe dynastie : les Entouf, les Montouhotep.
3028-2815, XIIe dynastie égyptienne (Seymour de Ricci) : les Amenemhat et les Ousirtasen.
Patésis de Sirpourla, date imprécise : Goudea, Ouninghirsou, Loukani, Ouroukagina, Entena, Ourbaou.
3800, Shargani, roi d’Agadé, étend ses conquêtes jusqu’à Chypre. Première mention des Amourrous et des Goutis.
3750, Naramsin, son fils.
Époque probable du 6e glaciaire. Affaissement definitif de la Mer du Nord, formation du Sund et des Belts, phase marine de la Baltique. — Grand refoulement des Finnois et des Aryens. Phase aryenne de l’Europe centrale. Premières différenciations des Aryens. Migrations diverses. Occupation de la Russie.
Vers 4000, l’ambre du Nord est abondant en Égypte.
Vers 3500, l’emploi du bronze se généralise en Égypte et en Chaldée. Époque des haches plates de cuivre, puis de bronze en Europe, fin de l’énéolithique et première époque du bronze. Dolmens du bassin de la Seine, du Centre, d’Espagne et du Portugal, de Corse et de Barbarie. Cistes de l’Hérault (Castelnau ancien). Terramares anciens. Round-barrows anciens. Kourgans anciens. Palafittes (Morges, etc.). Hissarlik I, Argar. Grottes sépulcrales de Rousson, Thoran, etc. Développement de la crémation.
Dynasties égyptiennes (Seymour de Ricci) :
2815-2362, XIIIe dynastie : Sowekhotep, Sowekemsaw.
2362-2178, XIVe dynastie)
2178-2078, XVe dynastie (rois Hycksos.
2078-1818, XVIe dynastie)
Ire dynastie babylonienne (Winckler, v. Maspero, II, 27) :
2416-2385, Soumouabim.
2385-2370, Soumoulailou.
2370-2335, Zaboum.
2335-2317, Amilsin.
2317-2287, Simmouballit.
2287-2232, Hammourabi.
2232-2197, Samsouilouna.
2197-2172, Abieshou.
2172-2147, Ammiditana.
2147-2113, Ammizadougga.
2113-2083, Samsouditana.
IIe dynastie :
2072-2022, Iloumailou.
2022-1967, Ittilounibi.
2348, Déluge biblique.
Région égéenne : fin du premier âge du bronze. Spirales appliquées (Hissarlik I). Haches plates à tranchant élargi (Argar) — Palafittes (Auvernier, Corcelettes, etc.) — Second âge. Orient : Spirales en relief (Amorgos). Occident : Haches à talon. Dolmens de Scandinavie, Barbarie, Orient. Kourgans. Terramares. Station de Castellucio (Sicile).
2756, Fondation de Tyr.
2089, Egialée, roi de Sicyone.
2852, Fou-hi, premier souverain légendaire des Chinois. Commencements de la civilisation chinoise, dans le nord de la Chine actuelle.
2205-1766, Ire dynastie historique de la Chine, les Hia (Yu le Grand).
1818-1667, XVIIe dynastie égyptienne : Sekenra.
IIe dynastie babylonienne :
1967-1931, Damkilishou.
1931-1916, Ishkibal.
1916-1889, Shoushi.
1889-1834, Goulkishar.
1834-1780, Kourgalalamma.
1780-1756, Adarakalama.
1756-1730, Ikouroulamma.
1730-1723, Melammatati.
1723-1714, Eaga.
IIIe dynastie babylonienne :
1714-1707, Gandash.
1707-1685, Agoumrabi.
1996-1821, Abraham.
V. 1700, Les Hébreux en Égypte.
1960, Crès, premier roi de Crète.
1776, Inachus, roi d’Argos.
1719, Ogygès fonde Éleusis.
1760, Fondation de Messine.
1716, Fondation de Sparte.
1800, Les Pélasges en Italie.
En Orient, deuxième âge du bronze. Vases égéens incrustés sans couverte. En Occident, haches à bords saillants, couteaux à deux tranchants, premières épées. Palafittes (Auvernier, Varese, etc.). Grande extension de la crémation dans l’Europe centrale et en Gaule.
Commencement de l’époque des peuples de la mer. Mouvement des Gréco-Illyriens vers l’Orient, des Italiques du Nord au Sud.
1766-1122, IIe dynastie chinoise : les Chang ou Yin.
1667-1404, XVIIIe dynastie égyptienne : Ahmos I, Aménophis I, Touthmosis I, Touthmosis II, Touthmosis III, Aménophis II, Touthmosis IV, Aménophis III, Aménophis IV.
Rois de Babylone :
1685-1663, Agouyashi.
1663-4655, Oushi.
1656- — , Adoumitash.
— - — Tashigouroumash.
— - — Agoumkakrimi.
Europe orientale : troisième âge du bronze, 1re phase. Époque mycénienne dans le bassin oriental de la Méditerranée. Tombes plates de Mycènes. Vases à couverte peinte des premier et deuxième styles. En Occident, haches à ailerons, couteaux à deux tranchants, épées. Palafittes (Peschiera). En Italie, pozzi à incinération, terramares. Plus anciens dolmens du Caucase, de la Transcaucasie et de l’Inde.
1590, Fondation d’Epidaure.
1582, Cécrops, roi d’Athenes.
1532, Cranaos.
1524, Amphictyon.
1514, Erichthonius.
1529, Déluge de Deucalion.
1519, Cadmus, roi de Thèbes.
1503, Minos, roi de Crète.
1521, Fondation de Corinthe.
xvie siècle, fondation de Cambe par les Sidoniens.
1404-1095, XIXe dynastie égyptienne : Seti I, Ramsès II, Menephtah, Séti II.
Dynastie kassite de Babylone :
V. 1500, Kurigalzu.
V. 1460, Kallimasin.
V. 1440, Karaindas.
V. 1420, Burnaburias.
Rois de Mitani :
V. 1500, Artatama.
V. 1480, Sutarna.
V. 1430, Artasumara.
V. 1420, Dusratta.
Princes d’Assyrie, vassaux de Babylone :
V. 4450, Asur-nadin-ahi.
V. 4520, Asur-uballit.
V. 1325, Ramman-nirari I.
V. 4430, étaient rois : Aziri des Amourrous, Rib-addi de Gebal, Abi-milki de Tyr, Zimrida de Sidon, Jitia d’Ascalon, Abd-Hiba de Jérusalem.
Rois des Hittites :
1400-1300, Sapaloula, Morousira, Motour, Khetasira.
Apogée de la puissance des Hittites.
1466, Pandion.
1424, Erechthée.
1396, Danaus, roi d’Argos.
1432, Découverte du fer en Crète, sur l’Ida, par les Dactyles Kelmis, Damniamène et Alcmon (Chr. Parium).
Triptolème, Orphée, Bacchus, Persée.
1333, Fondation de Cyrène.
Fin du troisième et quatrième âge du bronze (Mycénien). Vaphio, Orchomène, Tirynthe, Mycènes, Hissarlik VI. Spirales du type postérieur. Fibules. Vases à couverte du troisième style. Vers la fin, vases à étrier. Tout à la fin, le fer, probablement météorique σίδερος apparaît comme métal précieux. Le fer est mentionné parmi les objets précieux de la dot de Taduhipa, fille de Dusratta, femme d’Aménophis IV. En Orient haches à trou d’emmanchure, en Occident, haches à ailerons.
Date maxima des Védas.
1195-1060, XXe dynastie égyptienne : Ramsès III, Ramsès IV.
1060-930, XXIe dynastie : les Tanites.
Rois de Babylone :
1249-1192, Ramman-sum-iddin, Ramman-nadin-ahi, Mili-sihu.
1192-1185, Marduk-abbal-iddin I.
V. 1140, Nabu-kudur-usur I.
V. 1120, Marduk-nadin-ahi.
Rois d’Assyrie :
V. 1300, Ninip-abal-ekur I.
V. 1100, Teglat-Pileser I.
XIIe s., Les Parsuas dans l’Airianem Vaego (Arrapachitis).
1055, David.
1280, Pélops.
1270, Expédition des Argonautes.
1264, Passage des Sicules en Sicile.
1234, Atrée.
1227, Melanthos, roi d’Athènes.
1217, Hercule.
1184, Prise de Troie.
1135, Fondation d’Ameria par les Ombriens.
1103, Premiers rois de Sparte. Les Doriens.
V. 1100, Les Rhodiens aux Baleares.
1009, Codros.
1050, Commencement de l’ère étrusque.
1168-1088, Thalassocratie des Lydiens.
1088-1003, Thal. des Pélasges.
1121-249, IIIe dynastie chinoise (des Tcheou).
Fin de l’époque du bronze. Fer usité en Orient, peu connu en Occident. En Occident, haches à douille. Abandon total du silex. Nécropoles de Villanova (1300-800), Fontanella, Bismantova. Transition au Halstattien au N. des Alpes.
930-753, XXIIe dynastie égyptienne (Libyens de Bubaste) : les Sheshonk.
Rois de Babylone :
V. 883-852, Nabu-abal-iddin.
852-841, Marduk-sum-iddin.
Rois d’Assyrie.
885-860, Assur-nazir-abal.
860-825, Salmanasar II.
825-812, Samsi Ramman.
980-946, Hiram I, roi de Tyr.
V. 850, première mention des Mèdes.
V. 1000, Passage des Phrygiens de Macédoine en Asie.
V. 950, Midas.
V. 800, Homère, Hésiode.
1003-916, Thalassocratie des Thraces.
916-903, Th. des Rhodiens.
903-878, Th. des Phrygiens.
878-824, Th. des Chypriotes.
824, Th. des Phéniciens.
814, Fondation de Carthage.
Premier âge du fer (Halstattien). Tombes étrusques anciennes. Commencements de l’écriture étrusque.
755-710, XXIIIe dynastie égyptienne.
710-704, XXIVe dynastie : Bocchoris.
704-664, XXVe dynastie : Sabacon.
664-525, XXVIe dynastie : Psametik.
Rois de Babylone :
747-733, Nabu-nasir.
733-731, Nadinu.
731, Sumukin.
731-728, Ukinzir.
728-726, Teglath-abal-asar.
726-721, Sulman-asarid.
721-709, Marduk-abal-iddin II.
709-702, Sarukin.
702-699, Bilibni.
699-693, Asur-nadin-sum.
693-692, Nirgal-usizib.
692-688, Musizib-Marduk. 688, Conquête assyrienne.
688-680, Sin-ahi-irba, roi d’Assyrie.
680-667, Assur-ahi-iddin, roi d’Assyrie.
667-648, Samas-sum-ukin, indépendant.
648-625, Kandalan.
625-605, Nabu-pal-usur.
604-561, Nabu-kudur-usur.
Rois d’Assyrie :
745-727, Tuklal-abal-isarra III.
727-722, Sul-man-asaridu.
722-705, Sar-ukin.
705-682, Sin-ahi-irba.
682-668, Asur-ahi-iddin.
668-626, Assur-ban-aplu.
625-606, Assur-edil-ile ; Assur-eddin II ; Bel-zikir-iskun.
606, L’empire d’Assyrie est réuni à Babylone.
VIIIe s., Argistis, roi d’Arménie.
850, Rédaction judaïque de la Genèse.
650, Rédaction Ephraïmite.
V. 700, Les Parsuas passent dans le Farsistan. Achéménès.
Époque probable de l’introduction de la crémation dans l’Inde.
V. 700, Dispersion des Cimmériens par les Scythes.
634-606, Les Scythes en Médie.
626, Les Scythes en Palestine et en Égypte.
680, Destruction du royaume de Phrygie par les Cimmériens.
680-600, Les Cimmériens en Phrygie.
734, Les Corinthiens fondent Syracuse.
743-723, Première guerre de Messenie.
685-668, Seconde guerre de Messenie.
V. 700, Les Gaulois occupent le Nord de la Gaule.
753, Fondation de Rome.
667, Kami-yamato, premier empereur légendaire du Japon.
Premier âge du fer en Occident.
664-525, XXVIe dynastie égyptienne.
525, L’Égypte est réunie à l’empire des Perses.
Rois de Babylone :
561-559, Avil-Marduk.
559-555, Nergal-sar-usur.
555, Labasi-Marduk.
555-538, Nabu-naid.
L’empire assyro-babylonien est conquis par les Perses.
560-529, Cyrus I, roi des Perses.
529-522, Cambyse.
485-481, Darius I.
485-465, Xerxès I.
465-424, Artaxerxès I.
424-405, Darius II.
405-361, Artaxerxès II, Mnemon.
575, Prise de Tyr par Nabu-kudur-usur.
Ve-IVe s., Prépondérance de Carthage dans la Mediterranée occidentale et l’Océan.
489, Occupation de la Sardaigne par les Carthaginois.
440-400, Rédaction définitive de la Genese.
599, Fondation de Marseille.
494, Première guerre médique.
484-406, Hérodote.
431, Guerre du Péloponese.
V. 500. Les Gaulois en Espagne.
V. 400, Les Gaulois en Pannonie.
509, République romaine.
451, Loi des XII Tables.
557, Naissance du Bouddha.
543, Vijaya, premier roi légendaire de Ceylan.
Second âge du fer en Occident. Certosa de Bologne, Este, Marzabotto.
361-338, Artaxerxès III, Ochus.
338-336, Arsès.
336-330, Darius III.
330, L’empire des Perses tombe au pouvoir des Macedoniens.
IVe s., Pythéas.
359-336, Philippe de Macédoine.
336-323, Alexandre le Grand.
390, Prise de Rome par les Gaulois.
279, Les Gaulois en Grèce et en Galatie.
264-201, Guerres puniques.
323-200, Dynasties macédoniennes dans le bassin de l’Indus. Civilisation gréco-bouddhique.
315, Chandragupta, fondateur du royaume Maurya de l’Inde.
263, Asoka.
248, Diodore, roi de Bactriane.
249-202, IVe dynastie chinoise (des Tsin).
202 av. J.-C. — 25 ap. J.-C., Ve dynastie chinoise (des Han).
La plupart des dates antérieures au viie siècle sont diversement fixées par les chronographes, et l’amplitude des écarts va avec l’antiquité. C’est pourquoi j’ai fait des divisions de plus en plus larges. Ces divisions n’ont d’autre prétention que de rapprocher des faits relativement contemporains et ne constituent nullement des divisions historiques. Les époques archéologiques, les ères et les dynasties les chevauchent librement. J’ai voulu seulement ouvrir des jours dans le mur qui séparait la chronologie du préhistorique de celle de l’histoire ou de la légende.
Pour la chronologie des époques préhistoriques plus anciennes, voir pages 110 et suivantes.
INDEX ALPHABÉTIQUE
Achéens, 215, 217, 275, 295.
Achéménides, 258.
Acrogonus, 16, 44, 182, 224. — de Concise 225. Caractères 230.
Adamantius, 261, 300.
Adyrmachides, 212.
Aetas, 230.
Airianem vaego, 12.
Allemagne. — Anthropologie 218 s., 322 s., 338, 396, 411, 418 s.
Croissance 457 s. Chances d’avenir 493 s.
Allemands, 38, 342, 363, 424, 494.
Alsaciens, 33.
Ameghino, 152.
Américains, 176, 328, 344, 363, 369, 465, 499.
Ammien, 258, 321, 339, 528.
Ammon, 2, 40, 396, 401, 409, 418, 419, 432, 440, 441, 447, 449.
Amorites, 245.
Amourrous, 244 s., 260, 265, 283.
Andamènes, 230.
Anglais, 27, 28, 328, 342, 343, 353, 363, 369, 465, 467, 470, 483, 499.
Angleterre. — Anthropologie 188 s. Croissance 457 s. Chances
de domination universelle 497 s.
Anglo-Saxons, 3, 22, 344.
Anthropoïdes. — Coloration 67 s. Flavisme pathologique 70, 71. Crânes 153. — fossiles 155.
Anthroposociologie. — Comme méthode d’investigation du mérite
des Aryens 406. Lois fondamentales 412 s. Loi de répartition des
richesses 412, — des altitudes 415, — de répartition des villes 416, — des indices urbains 417, — d’émigration 422, — des formariages 428, — de concentration des dolichoïdes 431, — d’élimination urbaine 432, — de stratification 433, 453, — des intellectuels 445, — de l’accroissement de l’indice 446. — Génèse des grands hommes 450 s.
Antijuifs. — Avant le christianisme 466. Contemporains 22, 464.
Apollinaire, 328.
Apulée, 321, 537.
Arabes, 78, 215, 231, 360.
Arbois de Jubainville, 2.
Argariens, 272, 275.
Aristote, 45, 76, 300, 523.
Arméniens, 8, 10, 275, 483.
Art préhistorique. — Époque du mammouth 162, 165, 466, 172, 173. Statuettes 166, 175. Peintures murales 173.
Aryas, 8, 12.
Aryen. — Sens divers 2, 193. Controverse aryenne 4. Civilisation aryenne primitive 11, 193, 206. Éléments des peuples aryens primitifs d’Europe 14. These brachycéphale de Mortillet, Topinard et Sergi 21-23. Identification dans l’ouvrage avec H. Europaeus 23. Milieu d’évolution 75 s., 150 s., — dans la plaine de Latham 150, 187. Généalogie 185. Origines finno-ougriennes 193 s. — dans l’Europe centrale 217. Refoulement des Finno-Ougriens, 239 s. Importance croissante des nations aryennes 456 s. Situation économique comparée 461. Concurrents de l’Aryen 464 s. Limites physiologiques de son expansion territoriale 488. Croisement continu 489. Chances des divers peuples aryens de réaliser la domination universelle 491. V. H. Europaeus.
Assyriens, 256, 257.
Atavisme. — Cas curieux chez les primulacées 42. Nigrescence atavique d’Europaeus 40, 41, 45.
Atlantique. — Histoire de sa formation 92 s., 126. Effondrement antilien 125.
Australiens, 369.
Avesta, 8.
Avienus, 255, 329, 529.
Babyloniens, 257.
Bacchylides, 299, 523.
Barrows, 190 s.
Basset, 210.
Bauby, 174.
Baye (de), 240 s.
Beddoe, 40, 149, 1 92, 325, 338, 412.
Beiges, 160.
Berbères, 211.
Berthelot, 204.
Bertillon, 70, 424.
Bismarck, 191.
Blé. — du 4 e interglaciaire 173. — du 5e interglaciaire 173.
Blind, 323, 337.
Bodley, 469.
Boërs, 33.
Bogdanow, 240 s., 263 s., 335.
Borreby. — Race de — 15, 44. Round barrows 190 s.
Bory, 184.
Bourdin, 413.
Brachycéphales. — Ni mongoloïdes ni asiatiques 16 note, 234 s. Origine d’apres Mortillet et Topinard 21. Brachycéphales néolithiques d’Europe 22, 233 s., 266 s. Regardés comme les vrais Aryens par divers 22. — des palafittes 22. Blondissement des — 44. Formes principales d’Europe 227 s. Origines 21 s., 231 s. Explication de la brachycéphalie 231 s. Castration iniaque 232. Rapports avec l’Asie Mineure 234, 291. Rareté apparente dans les temps préhistoriques 235. Ancienneté de leur servitude 238. Psychologie servile 233, 234, 238, 275 s., 467, 481. Chances de supplanter les autres races 481.
Branco, 155.
Breul, 51.
Brinton, 185.
Broca, 184, 306, 323.
Buschan, 156.
Calédoniens, 38.
Callimaque, 213.
Calpurnius Flaccus, 321, 329, 529.
Candolle, 445, 451, 454, 476, 477.
Capacite crânienne. — Pithecanthropus 171. H. priscus 171, 178, 180. H. spelæus 180. Néolithiques divers 180. Gaulois 306. Loi des intellectuels 445.
Carnot, 51 s.
Carrière, 316, 328.
Cartailhac, 165, 172, 179.
Castanier, 289.
Catulle, 529.
Celtes, 6, 7, 477,
Cerveau. — Poids 29 s. H. priscus 171. Pygmées du Sehweizersbild 222.
Chaldée préhistorique, 204.
Chaldéens, 202, 204, 243, 282.
Chalumeau, 439, 440.
Chantre, 164.
Cheval. — Domestique dès l’époque du renne 173.
Chinois, 39, 71, 238, 246 s. — Ne sont pas brachycéphales 19. Origines historiques 483. Civilisation relativement récente des — 484. Chances d’avenir des races jaunes 484 s.
Christianisme. — Forme religieuse inférieure 385. Role social 386, 394. Immoralité du — 384, 505, 508. Faillite du — 507. Nécessités qui l’avaient maintenu en crédit 507 s. — base de la politique révolutionnaire 509.
Cimbres, 2.
Cimmériens, 2.
Claudien, 301, 312, 321, 329, 530.
Clément d’Alexandrie, 262.
Closson, 2, 408, 409, 423.
Collignon, 211, 231, 304, 323, 409, 418, 447.
Conquête. — Théorie de Gobineau 407. — interstitielle 407.
Corippus, 211, 321, 530.
Cornelius Nepos, 177.
Couleur. — Due à la mélanine 52 s. — des primates 74. — de l’homme 70. — chez l’Aryen 74 s. Cause de la décoloration de l’Aryen 75. Milieu décolorant 76 s.
Coutil, 323.
Crémation. — Ancienne dans l’Europe centrale 281. Récente dans le S. et en Asie 282.
Croisement. — Résultats du croisement au hasard 488. Retour constant des types primitifs 489. Croisement continu 489 s.
Croll, 88.
Cuivre. — Premiers temps du — 204. Égypte et Chaldée 204. — récent en Sibérie 246.
Daces, 360.
Daleau, 173.
Dalmates, 78.
Danois, 176.
Darmesteter, 8.
Darwinisme, signification de la doctrine, 503.
De Ceulenaer, 177.
Démocratie. — Vraie et fausse — 468 s. Critique des plouto-démocraties 377 s., 469.
Demolins, 392.
Demoor, 503.
Deniker, 154, 181.
Depéret, 174.
Desmoulins, 245.
Diodore, 311.
Dion, 311, 356.
Dolmens, 196 s. — de la seconde époque 268 s.
Domination universelle. — Loi de reduction des nations à l’unité 491 ; 501. Chances des races jaunes 483 s. Déchéance de l’Europe 492. Chances de l’Allemagne 494. Russie 496. Anglo-Saxons 497. Régime social de l’holocratie future 501.
Donnezan, 174.
Doriens, 213, 295, 296.
Dromadaire. — Fossile en Barbarie, 123. Réimporté au iiie siècle 215.
Drumont, 22, 23, 464, 479.
Drygalski, 91.
Dubois, 155, 156.
Durand de Gros, 42, 417, 434.
Écossais, 39, 200, 344, 364.
Écriture. — Préhistorique 215 s. Égéenne, 216. Étrusque 287.
Éducation. — Ne crée rien. Ne se transmet pas. — Anglo-saxonne 391. Humanités 392.
Égéens, 215, 266, 275.
Égypte préhistorique, 202 s.
Égyptiens, 73, 78, 185, 201, 203, 212, 213, 256, 278, 294.
Elkind, 421.
Engels, 450.
Érythrisme, 37, 42.
Espagne. — Populations préhistoriques 200 s., 272. Nation mourante 343.
Esquimaux, 176, 177.
Estagel, 174.
États-Unis. — Population gallo-saxonne 371. Immigrés aux — 382, 423. Croissance 457 s. Régime politique 382. Tammanisme 482, 482. Tendances illibérales 482. Féminisme 498. Chances de domination universelle 498 s. Législation sélectionniste 504 s.
Éthiopiens, 78, 212, 255.
Euripide, 299.
Eustathe, 311.
Evans, 216.
Faidherbe, 272.
Ferraz de Macedo, 423.
Finnois, 15, 36, 264, 265.
Finno-Ougriens, 36, 39. Infiltration en Asie 242. Rapports avee la Babylonie 243. — en Sibérie 245 s., 264.
Flamant, 216.
Fouillée, 2, 351, 451,
Fouquet, 207.
Fourmies, 381, 470.
Fraipont, 159, 267.
France. — Populations préhistoriques 191, 196 s., 235, 268 s. Gaulois 306 s. Gallo-Romains 317 s. Moyen-Age 337, 341. Populations vivantes 409 s. Indices divers 418 s. Type politique de peuple brachycéphale 373 s. Arrêt de développement 458. — arrivée à sa phase dernière 492 s.
Frisons, 28.
Furfooz (race de), 15, 230, 267.
Galates, 10, 356.
Galien, 78, 255, 262.
Gallo-Saxons, 344.
Gallus, 321, 531.
Galtchas, 19.
Galton, 400, 451.
Gaudry, 155.
Gaulois, 10, 28, 78, 191, 192, 207, 258, 259, 265, 305-313, 344, 357.
Geikie, 81 s.
Germains, 2, 6, 7, 10, 20, 28, 78, 242, 259, 261, 265, 319-331, 342, 344, 357, 477.
Gilchrist, 56.
Gildemeister, 324.
Girod, 172.
Glaciaires. — Glaciations anciennes 81. Caractères des glaciations pléistocenes 82. Compression 83. Température 84. Causes 87 s. Nécessite d’un soleil plus grand avant le pléistocene 88, 93, 126. Importance des dépôts 89. Évaluation des durées 88, 90. Effondrements 90, 93. Retraction du sol par le refroidissement 91-92. Formation de l’Atlantique 92. Changement d’orientation des mers 94. Faunes 94 s. Origine des faunes froides 96. Premier glaciaire 97, 110, 136. Premier interglaciaire 98, 111, 137. Second glaciaire 100, 111, 137. Second interglaciaire 101, 113. Troisième glaciaire 102, 113. Troisième interglaciaire 102, 114. Quatrième glaciaire 103, 115, 141. Quatrième interglaciaire 103, 115, 122, 132, 141, 144. Cinquième glaciaire 105, 116, 142, 144, 148. Cinquième interglaciaire 105, 117, 144, 148. Sixième glaciaire 105, 118, 147. Epiglaciaires 118.
Gladstone, 445.
Gobineau, 407.
Goths, 36, 24£, 261, 360.
Goutis, 243 s., 265.
Grecs, 6, 7, 10, 31, 201, 212, 213, 218, 253, 259, 266, 275, 294, 296-299, 342, 356, 357, 360, 477.
Groenlandais. — Affinités avec la race de Chancelade 176. Indices 178. V. H. Arcticus.
Gross, 225.
Gulf-Stream. — Facteur d’Europaeus 75-76. Changements de direction 125.
Haeckel, 184.
Hamdy, 259.
Hamy, 156, 165, 259, 306, 318, 323, 324.
Hansen, 178.
Harlé, 69, 155.
Hérodote, 134, 261, 264.
Hervé, 168, 179.
Hindous, 2, 6, 12, 254.
Hippocrate, 262.
Hittites, 216, 260, 275.
Holder, 313.
Hollandais, 342, 343, 363, 364, 369, 465.
Homère, 298, 354, 524.
Homme. — Coloration 70. Origine 105. Généalogie 152 s., 185. — paléolithique 155 s. V. Races.
H. alpinus, 16. Métis avec Europaeus 43, 230. V. Brachycéphales.
H. arcticus, 176. Affinités avec H. priscus 176, avec Asiaticus 177. Indices 178.
H. asiaticus, 16. Est dolichocéphale 19.
H. contractus, 14, 44, 174, 182. — en Suisse 222. Description 230. Affinités 230, 237.
H. Dinaricus. — Metis avec Europaeus 44, 191, 230. Description 230.
H. Europaeus. — Identifié à l’Aryen 23. Diagnose 25. Caractères anatomiques 26 s. Physiologie 31, 48. Pathologie 32, — dans les climats chauds 33. Supériorite corrélative à la prolongation de croissance 34. Races 35. Métis 42. Réversion au brun 40. Lymphatisme 48. Poids spécifique 49. Dépigmentation 50, 74. Milieu favorable à la dépigmentation 76 s. Généalogie 186. H. Europaeus dans l’ancienne Égypte 419, 202 s., — dans le N. de l’Afrique 185, 186, 201 s., — dans la région de Latham 187 s. Première dispersion 191, 193, 195. Crânes de Staengenaess 188. Proto-Aryens des Îles-Britanniques 189. Indices 192. P.-A. de la France occidentale 191, 196 s. Espagne et Portugal 200 s. Rapports avec les Finno-Ougriens 193 s. Europaeus néolithique dans l’Europe centrale 217 s. Allemagne 217. Bohême 218. Hongrie 218. Scandinavie 219 s. Suisse 221 s. Faux spelaeus 242. Europaeus en Égypte dès le Ve millène 207. En Syrie dès 3800, 244. Blonds de Sibérie 246 s. Passage d’E. en Asie occidentale 250 s. Lenkoran 251. Inde 252 s. Iraniens 256 s. Scythes 260 s. Peuples de la mer 265 s. Occident, 2° migration 266 s. Roknia 272. Italiques 285. Grecs 293. Romains 301. Gaulois 305. Empire romain 315. Germains 322. Slaves 331. Moyen-Age 336. Temps modernes, conquête du globe 341. Proportion de sang europaeus chez les peuples actuels 345. Psychologie 349. Évolution mentale de l’Aryen moderne 358. Caractères psychiques de l’Aryen moderne 370. Psychologie politique 383, religieuse 393. Aptitude aux affaires 389. Éducation anglo-saxonne 396. Superiorite psychique 397 et s. Contingence de l’eugénisme aryen 403. V. Aryen.
H. hyperboreus, 15, 45, 219. Description 227.
H. Japeticus, 184.
H. mediterraneus, 184.
H. meridionalis, 14, 184. Métis avec Europaeus 43. Long-barrows 190 s. Dolmens 196 s. Suisse 222.
H. nuba, 185, 212, 255.
H. priscus, 16. Description 169 s. Indices 178.
H. scythicus, 16.
H. spelaeus, 14. Description 178. Origine 179. Indices 180. Variations 181. Suisse 222. Faux spelaeus 242, 327.
Hommel, 243.
Horace, 301, 321, 322, 329, 531.
Hornes, 172.
Houzé, 324.
Hovelacque, 323.
Huns, 18, 477.
Ibères, 275.
Illyriens, 78, 273.
Inde. — Préhistorique 251. La civilisation est postérieure a la conquête macédonienne 253.
Indice céphalique (crâne). — H. Europaeus 25, 39. Pithecanthropus 161. H. priscus 174, 178. H. spelaeus 180, 221. Groenlandais 178. Staengenaess 188. Néolithiques des Îles-Britanniques : Perth-y-Clawaren 188, Caithness 189, Long-Barrows
189, 192, 235. Ep. du bronze 192. Romano-Bretons 192. France, dolmens de l’Ouest 198. Maupas 199. Grottes et dolmens de la Lozère 198. Dolmens d’Espagne et de Portugal 200. Néolithiques d’Égypte 207. Löbositz 218. Worms 218. Néolithiques de Bohême 218. Lenghyel 218. Pygmées du Schweizersbild 222 et de Chamblandes 222. Préhistoriques divers de Suisse 221 s., 235. Préhistoriques de France et de Belgique 235, 268 s. Ousouns 248. Sibériens de l’ép. du cuivre 248. Scythes 263. Kourgans 263, 264. Préhistoriques de Belgique 267. Préh. d’ltalie 271 s., 290 s. Roknia 272. Ilion 284. Mycéniens 285. Grecs 296. Gaulois 306, 307, 310. Italie romaine 316. Gallo-Romains, 317, 318. Germains, 322 s. Slaves 237, 332 et s. Moyen-Age, France 337, 341, Allemagne 338, Angleterre 338. Sainte-Radegonde (Aveyron) modernes 192. Espagnols des Canaries 423. Portugais des Açores 423, — d’Europe 423.
Indice céphalométrique (vivant). — H. Europaeus 25. Lapons 228. H. Alpinus 230. H. dinaricus 230. Acrogonus 230. Race de Furfooz 230. H. contractus 230. Ostiakes 250. Zirianes 249. Vogouls 250. Baschkirs 250. Turcomans 250. Tchoudes 250. Juifs badois 396. France 409, 410. Paris, Seine, région parisienne, Bordeaux, région bordelaise, Lyon, départements de l’Est 410-411. Autriche, Vienne 411. Indices urbains et ruraux, France, Bade, etc., 418 s. Indices des migrateurs 422 s. Intercantonaux, interdépartementaux 428 s. Indices des classes sociales, pays divers, 432 s.
Indice nasal. — Gaulois 28, 306. Anglais 28. Frisons 28. Mérovingiens 28. Pygmées 222. Ousouns 248. Germains 323 s.
Indice orbitaire. — H. spelaeus 222. Pygmées 222. Germains 323 s.
Indiens. — Naufrages en Germanie 177.
Indo-Chinois, 14.
Indonésiens, 73.
Invasion interstitielle, 368, 467.
Iraniens, 3 s., 10, 12, 256 s. Type physique 258.
Issel, 156.
Italie. — Populations préhistoriques 265 s., 285 s. 542-548. Romains 301, 315. Croissance 457 s. Avenir 495.
Italiques, 285. — anciens de la Gaule méridionale 289, 308.
Ivanovsky, 247.
Japonais. — Leur civilisation est récente 483. Époque légendaire 549. Chances d’avenir 483.
Javorski, 250.
Johnston, 255.
Jordanes, 248, 261, 521.
Juifs. — Juifs badois, 396. Origine des Juifs 283, 465. Psychologie, 353, 466, 470, 476. Nation ou race 465 s. Conquête interstitielle de l’Occident 467 s., 495. Acceptée par les vaincus et pourquoi 467 s. Domination éventuelle 428, 467-481. Dangers et limites de la domination juive 470 s., 474 s. Condition sociale des Juifs 471. Tempérament politi-
que 474 s. Opinion de de Candolle 477. Sionisme 479. Convergence du mosaïsme et du protestantisme 479. Métis juifs 480. Multiplication 476.
Juvénal, 300, 321, 329, 532.
Kabyles, 231.
Kalmouks, 19.
Kavraïski, 264.
Kharouzine, 228.
Khirghiz, 19.
Kluge, 286.
Kollmann, 322.
Kymris, 2.
Labit, 419.
Ladakis, 19.
Lajard, 423.
Lapons, 44, 45, 159, 219, 220, 227-229, 250.
Lartet, 172.
Latham, 5, 149. Région de — 149, 186, 189, 193.
Latins, 7, 10, 289, 300, 301, 477.
Le Bon, 352.
Lebous, 201, 213, 272, 283.
Lecky, 469.
Létourneau, 216.
Levasseur, 457.
Libres-penseurs. — Assimilables aux cléricaux par les écoles scientifiques 380, 449, 509 s. S’opposent par les mêmes moyens aux progrès de l’anthroposociologie 449, 509 s.
Liburnes, 272.
Libyens, 33, 201 s. — d’Égypte 202 s. — de Barbarie 210 s., 272.
Ligures, 275, 290.
Linné, 36.
Livi, 320, 407, 408, 409, 418, 421, 442, 445.
Lortet, 164.
Lotophages, 212.
Loubier, 338.
Lucain, 312, 329, 532.
Lytton, 5.
Macédoniens, 19, 213, 254.
Maces, 212.
Magot pléistocène d’Europe, 101.
Malais, 19.
Mandchoux, 19.
Manilius, 77, 255, 312, 532.
Manouvrier, 156, 175, 190, 199, 224, 408.
Marche en flexion, 160.
Marey, 160.
Maricourt, 317, 323.
Marignan, 307, 317.
Marmarides, 212.
Martial, 301, 320, 329, 533.
Martin, 246.
Marx, 450.
Maska, 162, 163, 169.
Maspero, 284.
Matiegka, 325, 338.
Matouanlin, 246 s.
Maupas, 198 s.
Maures, 214.
Maximianus, 322, 534.
Mèdes, 12, 256, 257, 266.
Meyer, 70.
Militarisme. — Tourne contre la nation 469 s., 380 s. — nécessaire en France 493. Ne disparaîtra que par la réalisation de la domination universelle 502.
Mitani, 256, 404.
Mongols, 17.
Morgan, 202 s., 215, 251, 257.
Mortillet, 21, 22, 23, 156, 160, 167, 168, 172, 179, 180, 216, 313.
Muffang, 2, 413, 418, 423, 437, 438, 441, 442.
Muller, 6, 9, 12.
Munthe, 145.
Mycènes, 295.
Nansen, 81.
Napolitains, 353.
Nasamons, 212.
Nation. — Réalite biologique de la — 365. Absurdité de la naturalisation 368, 486. Convergence psychique dans la nation 367, 465. Ses limites 369.
Naturalisation, 368.
Naudin, 42, 491.
Nègres. — Chances d’avenir 483.
Nehring, 86, 158.
Newton, 175.
Neymarck, 460.
Nicolucci, 316.
Nietzsche, 22.
Nigrescence. — Des urbains 40. Des adultes 41, 45.
Nikitin, 240.
Nilsson, 187.
Nitsche, 328.
Nötling, 81.
Novicow, 368, 486.
Nüesch, 221.
Odin, 450 s.
Olechnowitz, 441.
Oloriz, 418, 423.
Omalius d’Halloy, 5.
Osques, 215, 289.
Ostiaks, 39.
Ouïgours, 39.
Ovide, 264, 300, 301, 303, 321, 534.
Palafittes, 223, 541-545.
Parthes, 360.
Pauli, 265.
Pausanias, 212, 300, 525.
Pélasges, 216, 274, 275, 294.
Penka, 4, 6, 11, 20, 220, 329.
Péréquation de l’indice, 409 s.
Perrot et Chipiez, 284.
Perses, 6, 12, 253, 254, 256, 257, 259, 266. Type 258.
Petrie, 202, 204, 207, 208.
Phéniciens, 216, 283, 295, 465, 545-550.
Phrygiens, 8, 10, 264.
Pictet, 12.
Piette, 72, 166, 172, 173, 215, 216.
Pigmentation, 50 s. Due à la mélanine 52 s. Qualités photogéniques 53 s. Agents chromo-constricteurs et dilatateurs 54 s. Effets de la pigmentation 56. Rayons de nature diverse 57. Expériences de Carnot 58. Coloration des primates 59, — chez l’homme 70, chez l’Aryen 74. Milieu décolorant 75 s.
Pindare, 299, 526.
Pithecanthropus, 102, 152 s. — erectus 155 s. —
Neanderthalensis 158 s., 170, 171. Formes analogues vivantes 162. Formes de transition 175.
Pléistocène. — Définition 80. Caractères 80, Caractères des glaciations pléistocènes 82. Réduction du soleil 88, 126. Formation de l’Atlantique 92. Changement d’orientation des mers 94. Faunes 94 s. Chronologie du pléistocène 105 s. Bibliographie 106 s. Série des glaciaires et des interglaciaires, V. Glaciaires. Afrique du Nord 120 s. Effondrement antilien 125. Effondrement tyrrhénien 128. Région russo-caspienne 129 s. Plateau égéen 129. Grande Caspienne 130, 134. Effondrement égéen 133. Dé-
pôts à silex taillés des Dardanelles, 433, 134. Nord-Ouest de l’Europe, 135 s. Région belge 139 s. Région scandinave 144 s. Dépôts à os travaillés du 5e interglaciaire 145.
Pline, 76, 177, 264, 303.
Polémon, 261, 300.
Politique. — Aryenne 375. Brachycéphale 377 s. Origines chrétiennes de la politique du siècle 308, 509. Antinomie de cette politique et des données scientifiques 449, 510, 513. Fondements d’une politique scientifique 509.
Poméraniens, 369.
Pomponius Mela, 177.
Populations de V Europe centrale 43, 44.
Primates. — Coloration 59 s. Dimorphisme sexuel de coloration
66. Coloration des anthropoïdes 67 s. Répartition géographique de la couleur chez les primates 69.
Priscos de Panium, 329, 526.
Procope, 185, 214, 329, 335.
Properce, 321, 537.
Psychologie. — P. de race 349. Origine animale de la mentalite 349. P. collective et individuelle 353. — des Grecs 354. — des Barbares 356. — de l’Aryen moderne 358, 370. — Facteur de l’évolution sociale et modifiée par la réaction de celle-ci 368. Limite des modifications 369. Convergence psychique dans la nation 367. P. politique de l’Aryen moderne 373. — religieuse 383. Rapports avec la structure cérébrale et crânienne 396, 409. Supériorite psychique de l’Aryen 397. Les 4 types intellectuels 399. Loi des intellectuels 445.
Ptolémée, 135.
Pulle, 304.
Pygmées, 15. Indices 222.
Pythéas, 148.
Quatrefages, 165, 440.
Quinte-Curce, 261.
Race. — Races de l’Aryen 35. — de Néanderthal 158 s. — de Predmost 163. — de la Truchére 163. — de l’Olmo 164. — stéatopyge 166. — de Chancelade 168 s. — de Cro-Magnon 178 s. — méditerranéenne 183 s.
Ranke, 325, 337.
Rayons X, 56.
Reinach, 4, 5, 6, 180, 215, 275, 313.
Reinecke, 310.
Rigsthula, 329.
Ripley, 22, 73, 250, 41 6, 421, 423.
Rivière, 173, 179.
Rockall, 138.
Romains, 6, 78, 302-304, 357, 359, 360.
Routennous, 259.
Royer, 5.
Russes, 38, 463, 496.
Russie. — Rareté du paléolithique 240. Néolithique 241 s. Anthropologie 248, 263 s., 331. Croissance 457. Chances de domination universelle 495 s.
Rutimeyer, 323.
Sahara. — Alluvions glaciaires 120, 124. Dessèchement 214.
Salmon, 235.
Sarmates, 78, 360.
Saxons, 207.
Sayce, 259.
Scandinaves, 10, 28, 328, 342, 363.
Schenk, 221 s.
Schiaparelli, 210.
Schliemann, 284.
Schmidt, 9.
Schwalbe, 175.
Scylax, 212.
Scythes, 78, 260. Type physique 261 s.
Sélectionnisme pratique. — Croisement continu 489. Esprit du darwinisme 503. Lois sélectionnistes en Amérique 504 s. — Doit être réalisé sans préjudicier aux vivants 506. Stérilisation sans castration 506.
Selenka, 67, 154, 155.
Sémites, 210, 216, 230, 242.
Sénèque, 301.
Sénéquier, 490.
Sergi, 22, 185, 285, 290, 302.
Sicules, 274.
Silius Italicus, 312, 329, 537.
Sionisme, 479.
Slaves, 6, 7, 10, 331-336, 477.
Socialisme. — Le — et les Juifs 469 s. Affinités du brachycéphale pour le socialisme 482. — solidaire du sélectionnisme 502. — et sélectionnisme sous l’holarchie 502.
Solin, 269, 538.
Somâlis, 214.
Sommier, 249
Soudanais, 206.
Spartiates, 295, 355-357.
Spencer, 498.
Stace, 301, 538.
Strabon, 311, 356.
Studer, 221, 224.
Suédois, 27, 244, 369.
Suess, 93.
Susiens, 243, 257, 258.
Syriens, 259.
Tacite, 312, 329, 538.
Tadjiks, 6.
Taille. — H. Europaeus 25. H. spelaeus 179, 222. Pithecanthropus 178. H. priscus 178. Maupas 199. Barrows 190. Anglais 190. Néolithiques d’Égypte 207. Pygmées 222. Préhisloriques de Suisse 224. Lapons 228. Zirianes 249. Ostiaks 250. Turcomans 250. Gaulois 306, 310.
Tamehous, 201, 209 s. 265, 273
Tanagra, 173.
Tappeiner, 17. 18.
Tartares, 18, 261.
Tasmaniens, 3.
Taxinomie. — Règles applicables à l’homme 23.
Taylor, 4, 6.
Tel-el-Amarna, 276 s.
Tertullien, 312, 321.
Testut, 169 s.
Théocrite, 213, 299, 526.
Thibétains, 19.
Thraces, 265.
Thurnam, 189, 190.
Tibulle, 300, 312, 320, 539.
Timagène, 311, 356.
Tite-Live, 312.
Topinard, 21 23, 179.
Touaregs, 210, 212.
Turcs, 18, 249.
Tursènes, 215, 274.
Ujfalvy, 2, 6, 18, 245, 248, 253, 254, 304,
Usbeks, 19.
Vaccaro, 72.
Valerius Flaccus, 262, 539.
Vandales, 211, 214.
Van Muyden, 221.
Végèce, 304, 539.
Verneau, 179, 225, 440.
Virchow, 23, 180, 217, 265, 284, 332.
Virgile, 312, 539.
Vitiligo, 71. Milieu décolorant 75.
Weinzierl, 218.
Weisbach, 332, 418, 420.
Wilser, 2, 5, 20, 329.
Wilson, 189.
Xénophane, 265.
Zampa, 225, 272, 290.
Zugantes, 212.
INDEX DES TABLEAUX
Mesures crâniennes des Pithecanthropus | 161 |
Mesures de H. priscus | 178 |
Mesures de H. spelæus et dérivés | 180 |
Généalogie de H. Europæus | 186 |
Sériation des crânes britanniques préhistoriques | 192 |
Mesures des pygmées du Schweizersbild | 222 |
Sériation des crânes suisses préhistoriques | 223 |
Proportion d’Europæus chez les diverses nations | 345 |
Nombre absolu d’Europæus chez les diverses nations | 346 |
Relations du rendement des impôts et de l’indice céphalique. France | 413 |
Mêmes relations, Italie | 414 |
Indice des immigrés en Ille-et-Vilaine | 425 |
Interdepartementaux mesurés dans l’Ille-et-Vilaine | 431 |
Sériations des collégiens de Rodez, indice céphalique | 434 |
Taille par âge des collégiens de Rodez | 436 |
Sériation des mêmes | 436 |
Taille des normaliens | 436 |
Sériations comparées des conscrits, écoliers et collégiens briochins | 437 |
Dimensions crâniennes et indices des professions, Saint-Brieuc | 438 |
Les mêmes, Rennes | 439
|
Lycéens et conscrits urbains, immigrés, ruraux, badois | 441 |
Écoliers, collégiens, étudiants de Liverpool | 442 |
Tailles et indices par professions, Italie | 443 |
Population des grands états, de 1700 à 1950 | 457 |
Situation financière des grands états en 1897 | 460 |
Accroissement du commerce des grands états, de 1840 a 1894. | 461 |
Répartition par profession des Juifs et autres en Prusse | 471 |
Résultats du croisement continu (moutons Larzac-Barbarins) | 490 |
INDEX DES FIGURES
1. — Europe pendant la seconde période glaciaire | 112 |
2. — Région russo-égéenne (5e interglaciaire) | 131 |
3. — Région anglo-scandinave (5e interglaciaire) | 146 |
4-5. — Pithecanthropus erectus | 157 |
6. — Pithecanthropus Neanderthalensis. Spy | 159 |
7-8. — Pithecanthropus Neanderthalensis. Neanderthal | 160 |
9. — Homo priscus. Laugerie | 169 |
10. — Homo priscus. Chancelade | 170 |
11-13. — Brachycéphales néolithiques, type de Grenelle. Orrouy | 228 |
14. — H. Alpinus | 228 |
15-17. — Brachycéphales néolithiques, type de Furfooz. Chalons | 229 |
18-20. — H. Europæus néolithique. Avigny | 270 |
21-23. — Race de Beaumes-Chaudes. L’Homme mort | 271 |
24. — H. spelæus 9 typique. Sargel | 273 |
25. — H. Europæus néolithique. La Bastide. | 274 |
26-27. — H. Europæus. Type germain | 326-327 |
28. — Type de brachycéphale cultivé. France | 393 |
29. — Type Europæus | 459 |
TABLE DES MATIÈRES
- ↑ De Combrox, pl. Combroges, de com et broz, brogos, pays. Le terme Kymri apparaît seulement après l’invasion saxonne, comme nom de confédération des indigènes gaulois de Grande-Bretagne. Voyez d’Arbois de Jubainville, R. celtique, 1898, 74.
- ↑ L’Origine des Aryens. Histoire d’une controverse. Paris, Leroux, 1892. Cet ouvrage est consacré à l’Aryen ethnographique, et non anthropologique, c’est-à-dire à la discussion de l’origine des peuples aryens, abstraction faite de leur type. Il comprend une bibliographie presque complète de tous les travaux linguistiques, ethnographiques, historiques, jusqu’à la date de sa publication. L’auteur, alors indécis, s’est rallié à l’hypothése de l’origine européenne dans un travail ultérieur (Le mirage oriental, Anthropologie, 1893, iv, 539-578, 699-732). Je conseille de lire ce mémoire vraiment remarquable et d’une érudition autorisée.
La thèse complexe de l’origine européenne et du type dolicho-blond des Aryens, la question de l’Aryen anthropologique, est déja exposée par plusieurs des auteurs analysés dans l’ouvrage de Reinach. Elle remonte à Bulwer Lytton (Zanoni, 1842) et d’Omalius d’Halloy (B. Ac. de Belgique, 1848, xv, 549). Elle comporte un renversement de la position primitive de la question, et raisonne ainsi : l’Aryen étant le dolicho-blond, et le dolicho-blond étant d’origine européenne, c’est en Europe qu’il faut chercher l’origine des peuples aryens. La thèse reprise par Latham en 1851 dans sa préface de la Germania de Tacite n’était déjà plus nouvelle quand elle fut brillamment développée par Clémence Royer au Congrès d’Anthropologie de 1872, et au Congrès des Sciences anthropologiques de l’Exposition universelle de 1878. A partir de ce moment le protagoniste fut Penka, propagateur de l’hypothése qui place l’origine des dolicho-blonds et de la civilisation aryenne en Scandinavie. Les principaux travaux de Penka sont Origines aryacæ, Wien, Prochaska, 1883 ; Die Merkunft der Arier, Wien, Prochaska, 1886 ; Die arische Urzeit, Ausland, 1890, 741-744, 764-771 ; Die Entstehung der urischen Rasse, Ausland, 1894, 432-136, 141-145, 170 174, 191-193 ; Die alter Völker der estlichen Linder Mitteleuropas, Globus, 1892, lxi, n. 4-3 ; Die Heimat der Germanen, Mitt. der Anthr. Gesellschaft in Wien, 1893, xxiii, Heft 2 ; Zur Paläoethnologie Mittel- und Südeuropas, ib. 1897, xxvii, 19-52).
L’hypothèse de l’origine scandinave avait d’ailleurs été soutenue avant Penka par Wilser, à la séance du 29 décembre 1881 de la Société archéologique de Karlsruhe (Karlsruher Zeitung, 22 jan. 1882). Wilser a publié une quinzaine de mémoires sur cette question, en dernier lieu Stammbaum der arischen Völker, Naturwissenchaftliche Wochenschrift, 1898, xiii, 361-364.
Avant Wilser, Latham avait dans ses dernières années modifié son hypothèse de l’origine des Aryens dans l’Europe centrale. Il regardait celle-ci comme le berceau de la civilisation aryenne, et la région aujourd’hui couverte par la Mer du Nord comme le berceau de la race. Je tiens cette indication de Beddoe, ami de Latham.
Parmi les auteurs qui regardaient l’Asie centrale comme lieu d’origine des Aryens, parce qu’ils considéraient les brachycéphales comme les vrais Aryens, il faut citer Ujfalvy. Aujourd’hui Ujfalvy regarde, avec raison, les brachycéphales eux-mêmes comme nouveaux venus en Asie centrale. Les Tadjiks, si analogues à nos brachycéphales que Topinard les regardait comme des Savoyards attardés dans leurs migrations, sont en réalité un peuple transplanté en Bactriane peu de temps avant notre ère, et venu des confins de l’Arménie. Ujfalvy, dans son récent ouvrage, Les Aryens au Nord et au Sud de l’Hindou-Kouch (Paris, Masson, 1896), se rallie à l’hypothése complexe de l’origine européenne des peuples aryens, et du type dolicho-blond des Aryens.
Taylor (Origine des Aryens, tr. de Varigny, Paris, Bataille, 1895) soutient une hypothése complexe différente, origine européenne de la civilisation et de la langue des Aryens, type brachycéphale et finnique des Aryens. Son livre, rempli d’erreurs anthropologiques, est à consulter pour les questions ethnographiques et philologiques. Sur ce terrain, qui correspond à la spécialité de Taylor, l’Origine des Aryens est d’ordinaire le guide le meilleur et le plus récent.
Je renvoie instamment aux livres de Reinach, Penka et Taylor. Dans tout ce livre d’ailleurs, je ne développerai que les matières sur lesquelles il n’existe pas encore d’ouvrages spéciaux et bien au courant des découvertes récentes. Cela m’entraînera à des développements considérables sur des points moins importants, à des esquisses sommaires sur des questions capitales, mais pour être complet il me faudrait dix volumes, et je préfère d’ailleurs me borner à un renvoi motivé quand la matière a été traitée mieux que je ne pourrais le faire. Ce livre a exigé des reherches originales trop considérables pour qu’on puisse m’en vouloir d’abréger ma tâche en renvoyant le lecteur à des sources connues, quand il en existe. - ↑ Personne n’a jamais soutenu d’une manière sérieuse l’origine asiatique des dolichocéphales bruns, dont les affinités avec les populations les plus anciennes de l’Occident sont incontestables. Il en est de même pour les dolichocéphales blonds, que certains écrivains ont seulement fait naître dans la partie méridionale de la Russie, sans les rattacher par un lien généalogique aux races jaunes. Il en est autrement pour les brachycéphales, que l’on a longtemps regardés comme apparentés directement avec H. Scythicus, le Tartare brachycéphale de l’Asie centrale. Cette thèse est à la fois connexe avec la théorie de l’origine asiatique des Aryens, assimilés par certains auteurs aux brachycéphales, et avec celle de Pruner-Bey, qui rattachait aux races jaunes toutes les populations primitives de l’Europe, même dolichocéphales. Cette dernière thèse n’est inexacte qu’en partie. H. priscus était certainement très proche parent de I’Esquimau, et celui-ci a plusieurs caractères communs avec
les jaunes, en particulier ceux de la peau, qui dans l’anthropologie rudimentaire d’autrefois prenaient le pas sur les autres. Ce qui est tout à fait faux, c’est d’établir un lien de filiation entre les brachycéphales d’Europe et ceux d’Asie.
Les caractères mongoloïdes qui se trouvent quelquefois chez des occidentaux s’expliquent suffisamment par des mélanges accidentels avec des individus isolés de type mongol ou chinois, amenés par des circonstances diverses, ou par les incursions du Moyen-Age. Ces caractères sont d’une incroyable ténacite, et l’atavisme peut les faire reparaitre à de longues générations d’intervalle. Souvent aussi ces caractères sont dus à la variation individuelle, dont l’amplitude est plus grande qu’on ne pense.
Nos ultra-brachycéphales de la région des Cévennes, et ceux des Alpes orientales, dépassent de beaucoup le degré de brachycéphalie des Mongols les plus accusés. Cette brachycéphalie est d’ailleurs le seul caractère qu’ils aient en commun avec eux, et encore l’analogie de l’indice céphalique n’est-elle pas accompagnée de celle des formes générales du crâne.
Tappeiner qui connait mieux que personne les ultra-brachycéphales des Alpes orientales, a fait de la question une étude particulière. Les conclusions de son travail (Der europäische Mensch und die Tiroler, Meran, Pitzelberger, 1896) sont catégoriques, « Ich habe bei den anthropologischen Untersuchung der 3.400 lebenden hochbrachycephalen Tiroler keinem einzigen Mann gefunden, welcher die charakteristichen Merkmale der mongolischen Rasse an sich gehabt hat (p. 42). So wird auch der weitere Schluss nicht bezweifelt werden können, dass alle europäischen Brachycephalen Schadel wesentlich verschieden von den mongolischen Schadeln sind, dass also die europäischen Brachycephalen keine Nachkommen der Mongolen sein kennen, und dass daher eine prähistorischen Einwanderung von Mongolen aus Asien ein anthropologischer Irrthum ist (p. 48). Die Vergleichung meiner 3.400 lebenden Tiroler mit den mongolischen Rassenbildern Ranke’s hat augenscheinlich erwiesen, dass die Tiroler keine Aehnlichkeit in körperlichen Eigenschaften mit den mongolischen Völkern haben. Und da die Tiroler mit den anderen kurzköpfigen Europäern in somatischer Beziehung übereinstimmen, so gilt dieser Satz auch für alle kurzköpfigen Europäer. Aber am klarsten beweist meine vergleichende craniologische Uebersichtstabelle der brachycephalen Tiroler Schädel und der Mongolenschädel, dass die Mongolenschädel in allen craniologischen Merkmalen streng verschieden sind von den Tiroler Schädeln und da diese mit den brachycephalen europäischen Schädeln fast ganz ubereinstimmen, kann von einer mongolischen Einwanderung in Europa keine Rede mehr sein (p. 53). »
Au témoignage de Tappeiner, fondé sur l’étude de 3.600 vivants et 927 cranes, dont 384 au-dessus de 83. je puis ajouter le mien, qui repose sur l’étude d’un nombre à peu près égal de Cévenols. Je n’ai non plus jamais rencontré un seul mongoloïde. On peut d’ailleurs consulter les chiffres de deux de mes mémoires sur la région cévenole qui ont déja paru : Matériaux pour l’Anthropologie de l’Aveyron et Recherches sur 127 ultra-brachycéphales de 95 a 100 et plus.
Je ne trouve pas davantage de types mongoliques parmi les brachycéphales anciens que j’ai pu voir dans divers musées.
La question a du reste pris récemment une tournure nouvelle. Les recherches anthropologiques en Russie, dans le Caucase et la Sibérie occidentale, Turkestan compris, n’ont pas encore fourni un seul crâne mongolique antérieur aux Huns, aux Turcs et aux Tartares. L’arrivée des brachycéphales jaunes dans l’Asie centrale ne parait pas antérieure à notre ère. J’ajoute que les migrations par le N. de la Caspienne n’étaient pas précisément faciles jusqu’à une époque assez rapprochée des temps historiques. Nos brachycéphales sont au contraire pour partie apparentés de très près à ceux de l’Asie Mineure, de l’Arménie et des régions voisines, jusque dans le N. de la Perse et au Pamir. Ces derniers, étudiés par Ujfalvy, ne sont d’ailleurs, d’après leurs propres traditions, que des colons amenés par les Macédoniens en Bactriane. Ce sont ces Galtchas, dans lesquels Topinard voyait des Savoyards attardés dans leur migration vers l’Ouest !
Ne faut-il pas profiter de l’occasion pour en finir avec une autre légende, connexe avec la première ? On s’imagine couramment que la race jaune est brachycéphale. C’est une erreur profonde, que j’ai relevée plusieurs fois, et aussi mon ami Ujlalvy, mais qui paraît tenace. Le véritable H. Asiaticus, jaune, aux yeux et aux cheveux noirs, de petite ou moyenne taille, à la paupière oblique, est toujours dolichocéphale. C’est son métis avec un Acrogonus indéterminé qui est brachycéphale. En fait, sur sept cents millions de jaunes, il n’y a pas un quart de brachycéphales. Les peuples jaunes dont l’indice atteint le niveau moyen des peuples brachycéphales d’Europe sont peu nombreux, et ceux à indices supérieurs à 84 très rares. Ce sont tous de petites tribus (Mandchoux 84, Usbeks 84, Kirghiz 83, Kalmouks 86). Leur nombre total ne fait pas trois millions d’individus. Les jaunes de Sibérie sont en général au-dessous de 80 ou un peu au-dessus. Les Ladakis du Pamir mesurés par Ujlalvy lui ont donné une moyenne de 77 pour 36 individus. Risley a trouvé sur 388 montagnards du Darjeeling une moyenne de 80.7. Les Thibétains sont au-dessous de ce chiffre. Hagen a trouvé sur de nombreuses séries de Malais des moyennes comprises entre 80 et 86.9, mais les Malais sont déja pour partie une autre race. Sur 15.382 Chinois, il a trouvé un indice de 81.7, inférieur à ceux de la France, de l’Allemagne, de l’Autriche, de la Russie, de l’Italie, de la péninsule des Balkans, qui flottent entre 82 et 86.
Il y a donc en Chine et chez tous les peuples jaunes beaucoup moins de brachycéphales que chez nous, et comme chez nous ces brachycéphales représentent un élément intrus ! - ↑ Voyez quelques indications dans Le Fort, La topographie cranio-cérébrale, Paris, Alcan, 1890.
- ↑ Pour les plis labiaux, voir Cénas, Les petites lèvres au point de vue anthropologique et médico-légal, AFAS, 1897, H, 708. On ne saurait trop insister sur l’importance des variations ethniques de l’orifice vulvaire ; l’ignorance des médecins légistes, qui ne connaissent pas le caractère ethnique de certaines conformations, aboutit très souvent à des erreurs judiciaires de la plus haute gravité. C’est dans les affaires essentiellement subordonnées à une conception religieuse, comme celles de mœurs, qu’il conviendrait de réduire au minimum les erreurs scientifiques, et c’est là qu’elles sont le plus nombreuses, les médecins même les meilleurs n’étant d’ordinaire pas anthropologistes. Une des affaires qui m’ont valu le plus de succès comme ministère public mais qui chargent le plus lourdement ma conscience était uniquement basée sur une erreur de ce genre. C’est pourquoi je crois devoir insister sur la nécessité d’exiger des médecins légistes la connaissance de l’anthropologie.
- ↑ Chez certains roux d’Europe les cheveux sont gros, raides, d’un tiers moins nombreux pour une surface égale, à coupe moins elliptique. Ces caractères qui rappellent ceux des cheveux des races jaunes sont peut-être les indices d’un croisement dans ce sens.
- ↑ Ce changement de couleur avait déja préoccupé les anciens. Aristote (Problemata, XXXVII, 2), en cherche la cause : « Διὰ τί οἱ γηράσκοντες μελάντεροι γίνονται ; Ἤ ὅτι πᾶν σηπόμενον μελάντερον γινέται ». Le même se demande (Problemata anecdota, I, 62), pourquoi la barbe est souvent plus claire que la chevelure, et non l’inverse : « Διὰ τί μὲν πώγων γίνεται πυρρὸς ἄνευ τῆς κεφαλῆς, ἡ δὲ κεφαλὴ πυρρὰ ἂνευ του πώγωνος οὐ γίνεται ; Ἤ δίοτι αἴ τε πυρραὶ τρίχες δέ ἀσθένειαν γενόνται, καὶ ἐν τῷ πώγονί εἰσι τρίχες ἀσθενέστεραι φύσει ». La raison d’Aristote rappelle la vertu dormitive de l’opium. En réalité, dans les croisements, le pôle d’influence brachycéphale se trouve dans la région occipitale, et l’influence Europæus se fait d’autant plus sentir que le point où elle s’exerce est plus éloigné de ce pôle.
- ↑ L’importance de l’inspection simultanée d’un grand nombre d’individus pour saisir les faciès différentiels est bien connue des naturalistes. Quand on rapproche deux individus d’espèces ou de variétés très voisines de Curabus, d’Aphodius, de Cétoines, l’œil le plus expert fait à peine la différence des faciès. Si l’on pique au contraire sur deux lignes trente ou quarante exemplaires des deux variétés, on s’étonne d’avoir été porté à les confondre. Pour les crânes il en est de même. Deux crânes de race différente peuvent paraître à peu près semblables, mais le faciès très différent se manifeste dès qu’on aligne un certain nombre d’exemplaires de chaque race. Il en est ainsi alors que la variabilité dans l’espèce ou la race paraît dépasser l’intervalle qui les sépare. Ces écarts individuels ne frappent plus quand les échantillons sont en nombre, et le faciès collectif est l’impression dominante.
- ↑ Voir les recherches nouvelles de Mies communiquées au xiie Congrès médical international, Moscou 1897.
- ↑ Pour la répartition quantitative du pigment, voyez Ludolf Breul, Ueber die Verbreitung des Hautpigments bei verschiedenen Menschenrassen, Iena, Fischer, 1896, thèse soutenue à Strasbourg la même année. Breul a étudié le pigment de coupes prises en 25 ou 30 endroits de ses sujets, mais ces derniers étaient moins nombreux que le titre ambitieux du travail tendrait à le faire croire : cinq Européens, dont deux femmes et un seul blond, un Soudanais, un Fellah, un Arabe, un Japonais. Le travail est suivi d’une bibliographie d’ailleurs fort incomplète.
- ↑ Il est très difficile de déterminer la nature et l’étendue des ravages
causés par l’action chimique et physique intempestive des radiations qui pénètrent les tissus. Toute cette branche de la physiologie est a peu près inconnue. Jusqu’ici on s’est peu occupé de ces radiations, et on a cru que leur zone d’action ne dépassait pas la peau. La découverte des rayons X, qui produisent dans l’intérieur des tissus des lésions remarquables, et notamment sur les os (Gilchrist, A Case of dermatitis due to the X Rays, Bull. of the J. Hopkins Hospital, t. VIII, 1897, p. 170), a ouvert des horizons nouveaux dont l’exploration sera difficile, car nous ignorons évidemment la plus grande partie des espèces de rayons pénétrants. La corrélation entre les rayons chimiques, cause d’altérations probables dans
l’organisme, et la pigmentation, qui a pour effet d’éteindre en grande partie ces rayons et de les employer pour son propre renforcement, est de nature à pouvoir être plus facilement étudiée. Il est probable que la plupart des maladies des Européens dans les pays chauds sont dues à des altérations chimiques profondes dont ils pourraient se défendre en portant des vêtements imperméables aux rayons chimiques. Le blanc qui
arrête et réfléchit beaucoup de rayons lumineux est une défense illusoire contre les autres et ne les empêche point d’aller faire dans les cellules profondes de la chimie à contre-temps. La nature intervient heureusement en faisant de la pigmentation. Sur les photogravures du mémoire Gilchrist, la main atteinte de périostite est venue bien plus sombre, en
raison de l’absorption des rayons lumineux par les cellules pigmentaires, dont l’auteur dit « were almost as numerous as are usually found in a section of negro skin », Cette pigmentation toutefois n’avait pas suffi pour empêcher l’action profonde.
Il est probable qu’une doublure rouge appliquée aux vétements et aux coiffures serait d’une grande utilité pour les Européens vivant dans les pays chauds. Elle suppléerait à l’insuffisance de la pigmentation. Il faut remarquer que les populations peu pigmentées de I’Inde, de Ja Chine et de l’Afrique ont depuis longtemps une préférence pour les vêtements blancs, jaunes et rouges. Les nègres au contraire tolèrent parfaitement le bleu et l’ont en affection. - ↑ La peau des parties couvertes est nettement bleuâtre chez quelques cercopithèques : C. Diana L., et semnopithèques : S. Entelles Dufr., mais ce caractère n’est pas constant. L’entelle décrit par Cuvier avait la peau bleuâtre, mais j’en ai vu chez qui elle était claire. Nous verrons la même instabilité chez le chimpanzé ordinaire, Tr. niger. Geo, , et l’orang-outang.
- ↑ Il n’existe guère de répartition géographique de la couleur chez les singes. Tous ou à peu près sont tropicaux, et tous pourvus de fourrure. En Amérique les espèces les plus septentrionales ne remontent pas au delà de Mexico, les plus méridionales n’atteignent pas Buénos-Ayres. En Europe le magot atteignait pendant le pléistocène la région des Pyrénées, où M. Harlé a trouvé ses restes ; ce singe a été trouvé dans l’Hérault associé à la faune actuelle ; il existait encore en Corse au commencement de notre ère, et une série de textes fournis il y a quelques années par divers collaborateurs à la Revue scientifique permet de supposer qu’il en a survécu des exemplaires jusque dans les temps modernes, depuis les Pyrénées jusqu’aux Alpes. Aujourd’hui on ne le trouve plus qu’à Gibraltar. Par ses caractères, ce singe ne se classe ni parmi les clairs ni parmi les foncés. En Asie nous trouvons au Thibet, dans la Chine occidentale et jusqu’en Mandchourie des singes très résistants qui supportent de longs et rigoureux hivers. La présence de singes au N. de l’Himalaya est plus étonnante qu’en Chine, étant donnée l’altitude, mais il ne faut pas oublier que du singe et du relief montagneux, c’est peut-être ce dernier qui est le plus jeune.
Plusieurs singes du nord et de l’ouest de la Chine paraissent se rattacher au Macacus Rhesus, dont ils constitueraient des races claires. M. lasiotis Gray du Sou-Tchuen a la peau claire partout, sauf les callosités qui sont écarlate. M. Tcheliensis Edw., qui affronte les hivers rigoureux de la Mandchourie, est pourvu d’une fourrure très épaisse. Il a également la peau claire. Le premier est olivâtre jaune, le second tourne davantage au roux.
D’autres espèces constituent un genre spécial, Rhinopithecus caractérisé surtout par la présence d’un nez, sinon aussi sémitique que celui du nasique, tout au moins très respectable. Rh. Roxellanæ Edw. habite les montagnes du N.-O. de la Chine. Il est gris argenté dessus, gris jaunâtre dessous. La peau est blanche, mais la face est nettement verte, les callosités jaunes. Rh. Bieti Edw., le singe des neiges, qui habite le Thibet dans la région du haut Mékong, est plus clair de face et plus foncé de poil, le gris tournant au noirâtre sur le dos.
En somme, les espèces des régions froides sont plutôt claires de peau et même de poil. En revanche le gorille, presque nu et habitant le pays des nègres, est à peu près de leur couleur, ainsi que le chimpanzé chauve, un peu mieux vêtu cependant. Mejer a décrit un Troglodytes calvus du jardin zoologique de Dresde qui avait la peau d’un blanc rosé, les poils roux ou roux foncé, mais il s’agit d’un individu anormal (Ein Brauner Tschimpanze, Abh. und Ber. des Museums zu Dresden, 1894-95). - ↑ On a signalé depuis longtemps des cas de flavisme avec vitiligo chez les nègres et diverses autres populations foncées. C’est probablement à des cas de demi-albinisme qu’il faut rapporter ce qui a été dit de nègres blonds vus au Congo (Bull, de la Soc. d’Anthr. de Paris, 1895, p. 724). Il existerait aussi vers le pays de Kong des troglodytes à peau assez claire, avec des yeux bleus. Jusqu’ici aucun exemplaire n’a pu être étudié. J’ai vu un Chinois demi-albinos qui avait aussi la chevelure d’un roux clair et les yeux bleus, avec de vastes plaques de vitiligo sur la peau. Buffon et les écrivains du siècle dernier ont déjà connu les Indiens dépigmentés de la Colombie et du Darien. Le chimpanzé blond de Meyer était probablement l’analogue des nègres blonds.
- ↑ La théorie de l’influence des climats sur la pigmentation n’est pas nouvelle. Elle remonte aux anciens (Aristote, Pline, Manilius), qui d’ailleurs ne comprenaient pas le mode d’influence du milieu. Aristote (Προβλήματα, XXXVI, 2) disait : « Διὰ τί οἱ ἀλιεῖς καὶ πορφυρεῖς καὶ ἁπλῶς οἱ τὴν θάλατταν ἐργαζόμενοι πυῤῥοί εἰσιν ; Πότερον ὅτι ἡ θάλαττα θερμὴ καὶ αὐχμώδης ἐστὶ διὰ τὴν ἄλμην, τό δὲ τοιοῦτον πυῤῥὰς ποιεῖ τὰς τρίχας, καθάπερ ἢ τε κονία καὶ τὸ ἀρσενικόν ; Ἥ τὰ μὲν ἐκτὸς γίνονται θερμότεροι, τὰ δ’ ἐντὸς περιψύχονται διὰ τό βρεχομένων αὐτῶν ἀεὶ ξηραίνεσθαι ὑπὸ τοῦ ἡλίου τὰ πέριξ ; τουτῶν δὲ τοῦτο πασχόντων αἱ τρίχες ξηραινόμεναι λεπτύνονται καὶ πυῤῥοῦνται. Καὶ πάντες δ’ οἱ πρὸς ἄρκ τον πυῤῥότριχες καὶ λεπτότριχές εἰσιν ». La première observation, que les pêcheurs et les préparateurs de pourpre étaient blonds, prouve simplement
que du temps d’Aristote comme aujourd’hui les Aryens aimaient le métier de gens de mer, la dernière, sur les peuples nordiques, aboutit à une explication bizarre, mais en rapport avee l’idée d’influence des climats.
Pline (II, 90, 1) formule cette idée plus nettement ; « Contexenda sunt his cœlestibus nexa causis. Namque Æthiopas vicini sideris vapore torreri, adustisque sîmiles gigni, barba et capillo vibrato, non et dubium. Et advcrsa plaga mundi atque glaciali, candida cute esse gentes, flavis promissas crinibus ».
Manilius développe davantage (Astronomicon, IV, 709 et suiv.). Il développe même beaucoup :« Idcirco in varias leges variasque figuras
Dispositum genus est hominum, proprioque colore
Formantur gentes ; sociataque jura per artus
Materiamque parem privalo fœdere signant.
Flava per ingenies surgit Germania partus.
Gallia vicino minus est infecta rubore.
Asperior solides Hispania contrahit artus.
Martia Romanis orbis Pater induit ora
Gradivumque Venus miscens bene temperai artus ;
Perque coloratas subtilis Græcia genies
Gymnasium prœfert vultu fortesque palæstras ;
Et Syriam produnt torii per tempora crines ;
Aethiopes maculant orbem, tenebrisque figurant
Per fuscas hominum genies. Minus India tostas
Progenerat mediumque facit moderata tenorem.
Jam proprior, tellusque natans Aegyptia NiloLenius inriguis infuseat corpora campis.
Phoebus areuosis Afrorum pulvere terris
Exsiccat populos. Et Mauritania nomen
Oris ha bet, titul unique suo fert ipsa colore. »Galien (Περὶ κράσεων, II, 5) développe la thèse avec des proportions qui ne permettent pas de reproduire le texte. Je resume : « Les Égyptiens, les Arabes, les Indiens, tous ceux enfin qui habitent une région sèche et chaude ont les cheveux noirs, courts, secs, crépus, fragiles. Au contraire ceux qui habitent une région froide et humide, les Illyriens, les Germains, les Dalmates, les Sarmates, tous les habitants de la Scythie ont les cheveux fins, droits et roux, Ἰλλυριοί τε καὶ Γερμανοὶ καὶ Δαλμάται καὶ Σαυρόμαται καὶ σύμπαν το Σκυθικὸν… λεπτὰς καὶ εὐθείας καὶ πυῤῥάς. Il en est de même pour les âges, les cheveux des enfants rappellent ceux des Germains, ceux de l’âge adulte rappellent ceux des Éthiopiens ». La doctrine se retrouve developpée encore davantage dans le traité De l’air, des eaux et des lieux d’Hippocrate, qui lui est entièrement consacré.
Les grandia et mollia corpora des Gaulois avaient fortement frappé les Romains. Hippocrate et Galien étudient le lymphatisme des Scythes et le décrivent d’une manière minutieuse. S’il n’y a pas d’exagération dans leurs récits, on peut dire que les Scythes d’Europe avaient atteint le dernier degré de lymphatisme compatible avec la vie. Je conseille de lire le livre II de l’ouvrage de Galien, et celui d’Hippocrate en entier.
- ↑ Geikie a coosacré un appendice du Great Ice Age à l’énumération des gisements glaciaires antérieurs au pléistocène, et les notes contiennent une riche bibliographie.
On a constaté la présence de conglomérats d’apparence glaciaire, et parfois des stries caractéristiques, dans des couches appartenant à presque tous les étages, de l’écorce terrestre : précambrien en Écosse ; cambrien au Varangerfiord en Norwège et dans l’Inde ; silurien à Pangi, Cachemire, Glen App, Écosse, Maimanse près du Lac Supérieur, Gibbo-river, Australie ; dévonien, Sedburgh, Lammermuir Hills. Le carbonifère d’Europe et d’Amérique est riche en dépôts glaciaires. M. Julien qui a spécialement étudié ceux de France a établi leur corrélation avec la chaîne Hercynienne, alors élevée de six mille mètres environ (V. Julien, Carbonifère marin de la France centrale, Paris, Masson, 1896, p. 269).
Le permien est d’une prodigieuse richesse en gisements glaciaires. L’énumération par Geikie tient six pages. De nombreuses localités ont été cependant omises. On trouvera une très riche bibliographie des glaciaires permiens, spécialement de l’Inde, dans Nôtling, Beitraege zur Kenntniss der glacialen Schichten permischers Allers in der Salt-Range, Punjab, Indien, Neues Jahrbuch für Mineralogie, 1896, II, pp. 61 sq.
Le trias, le jurassique et le crétacé ont laissé moins de traces de leurs glaciers. On en a récemment signalé de nouvelles, notamment des blocs de granit erratiques de la craie d’Angleterre, présentés par M. Stebbing à la Société géologique de Londres dans la séance du 24 février 1897.
Le miocène a été riche en glaciers. La région des Alpes et celle des Pyrénées, montagnes alors infiniment plus élevées qu’aujourd’hui, fournissent de nombreux exemples de conglomérats et de déjections glaciaires. V. Trulat, Les Pyrénées, Paris, Baillière, 1896.
Tous ces phénomènes glaciaires paraissent avoir été dus à l’existence de massifs montagneux énormes, agissant comme condensateurs dans une atmosphère saturée d’humidité, et dont la température, constante sur tout le globe, n’était probablement pas très élevée. Il est probable que le soleil encore diffus n’échauffait pas autant la terre d’autrefois que les Tropiques d’aujourd’hui. On a évalué la température de la grande époque des fougères, carbonifère moyen et supérieur, à 15 ou 16° seulement.
Le régime des saisons et des zones n’a débuté que pendant le tertiaire, quand le soleil a commencé à éclairer moins fortement les deux pôles. L’inégalité s’est accusée sans cesse et ira en s’accusant davantage. En somme, il y a toujours eu des phénomènes glaciaires, mais ceux du pléistocène sont d’une nature particulière, et en corrélation intime avec la crise météorologique causée par la réduction de l’insolation polaire au dessous d’un minimum critique. Aucune faune froide n’est venue jusqu’ici nous révéler l’existence de périodes de refroidissement général antérieures au pléistocène. - ↑ La surface couverte par la glace en Europe, au moment de la plus grande extension des glaces, a été de six millions de kilomètres carrés, soit les deux tiers de la surface totale. Grand axe 4.000 kil., petit axe 2.500. Cubage 70 millions de kilomètres cubes. En Amérique, surface totale 15 millions de kilomètres carrés, grand axe 7.000 kil. Pour l’Asie les chiffres manquent. De même pour les surfaces maritimes. La masse totale de la calotte polaire ne devait donc pas être inférieure à 200 millions de kilomètres cubes, et atteignait probablement 300 millions. Cette quantité de glace, si énorme qu’elle paraisse, ne représente cependant qu’une tranche d’eau de moins d’un mètre enlevée aux océans.
- ↑ Sur le plateau du Groenland, qui subit aujourd’hui le régime glaciaire, Nansen a observé des températures très basses. Entre le 11 et le 15 septembre, à l’altitude de 2.000 à 2.500 m., le maximum de jour a été -20°, le minimum de nuit -45°. A l’altitude de 2.000 m., en hiver, la température moyenne est -25° et descend jusqu’à -65° et -70°. Au moment de la plus grande glaciation, la Scandinavie, située sous les mêmes parallèles, devait subir des températures beaucoup plus basses et presque interplanétaires. Si l’on attribue au sol un niveau de 1.000 m. plus élevé qu’aujourd’hui, chiffre faible en raison de l’énormité de la masse des matières enlevées par la glace et dispersées sur le N. de l’Europe, et au glacier une épaisseur de 1.500 m., on est amené à conclure que la surface moyenne de la couche de glace devait être comprise entre 3.000 et 4.000 mètres. Le froid était bien moins vif dans nos régions.
La ligne des neiges persistantes, indiquée par la position des glaciers, était de 1.000 m. au S. de la Forêt Noire et des Vosges. Elle se relevait dans les Alpes, et dans les Pyrénées ne descendait pas au dessous de 1.700 m. On en a conclu que la température était seulement de 5 ou 6° plus froide qu’aujourd’hui en Allemagne et en France, et de 6° dans les Pyrénées. Ces chiffres s’appliquent au moment de la plus grande glaciation. En somme, la température était ce qu’elle est aujourd’hui au Canada, et dans le sud de la Sibérie, régions placées sous le même parallèle que les nôtres. Le climat était donc normal, et c’est celui de nos jours qui est anormal, dû à l’influence du Gulf-Stream. Il devait seulement, au point de vue biologique, être rendu plus dur par la constance et la violence du vent du nord.
Nous n’avons pas de données pour les régions intermédiaires, la zone extérieure de la coupole polaire, et les terres libres qui l’avoisinaient immédiatement. La décroissance était probablement très rapide depuis la Scandinavie jusqu’à la limite des glaces, et surtout depuis celle-ci jusqu’aux régions pour lesquelles nous sommes documentés. - ↑ Les dépôts laissés par les glaciers sont comparables par leur épaisseur à d’importantes formations géologiques, mais partout où n’ont pas agi ces formidables instruments d’érosion et de transport, les couches pléistocènes ne dépassent pas quelques mètres. Les dépôts glaciaires marins du nord de l’Europe ont de 40 à 200 mètres. Dans l’île de Seeland, un sondage a atteint 400 m. sans sortir de la couche. On évalue la masse totale des matériaux enlevés à la Scandinavie et aux régions voisines à plus de 700.000 kilomètres cubes. La Baltique et les lacs de Finlande, dus à l’érosion glaciaire, ont fourni une partie des matériaux, mais l’abrasion a dépassé 2.000 m. dans quelques régions de la Scandinavie. Dans la région du Léman, des sondages ont atteint une profondeur de 200 m. sans sortir de la couche des matériaux alpins apportés par les glaciers. Les alluvions de rivière ne dépassent, au contraire, généralement pas dix ou vingt mètres en France et en Allemagne. Plus au sud, la couche devient très faible.
Les couches marines sont à peu près négligeables. Cependant elles ont atteint une épaisseur plus grande dans certains dépôts de la Méditerranée, formés durant une période d’affaissement local lent et continu. Dans ce cas l’épaisseur des couches pléistocènes peut atteindre plusieurs dizaines de mètres.
En Chine, le loess, qui est une formation éminemment pléistocène, un dépôt de poussière et de boues, atteint dans la vallée du Hoang-Ho une épaisseur de 600 m. C’est encore une anomalie dont l’explication sera impossible tant que le mode de formation du loess n’aura pas été expliqué.
Ces données ne concordent donc pas avec les chiffres de Croll. L’hypothèse de Croll peut cependant fournir des résultats plus satisfaisants, combinée avec celle d’Adhémar sur la précession des équinoxes. D’après cette théorie, Thémisphère nord et l’hémisphère sud jouissant alternativement d*un été plus long, et souffrant d’un hiver plus prolongé, le maximum de refroidissement pour chacun d’eux constituerait une période glaciaire, dont l’intensité serait réglée par une combinaison avec les causes invoquées par Croll. La période d’Adhémar est d’environ 10.500 ans. Elle donnerait au pléistocène une durée de 50 à 60.000 ans, peut-être suffisante pour l’accomplissement des phénomènes d’érosion et de transport.
Il ne faut pas toutefois chercher à raccourcir trop les périodes glaciaires. Que l’on songe au temps nécessaire pour amener, à dos de glacier, un bloc de Finlande en Brandebourg ou de Suède en Angleterre. Avec la marche actuelle des glaciers il faudrait plusieurs milliers d’années. Mettons que le transport ait été dix fois plus rapide, il n’en a pas moins fallu, le glacier établi, des milliers et des milliers d’années pour transporter la prodigieuse quantité de matériaux détritiques indiquée plus haut. - ↑ Drjgalski a calculé que le granité se dilatant de 8 à 9 millionnièmes lorsque sa température augmente de 1°, pour 5 ou 10 degrés la dilatation serait de 40 à 90 millionnièmes. Il suffirait d’une dilatation de 4 millionnièmes pour expliquer les relèvements produits en Scandinavie depuis l’époque glaciaire. Réciproquement l’affaissement general de la region circumpolaire pourrait être en partie explique par la perte de chaleur pendant les périodes glaciaires, perte très incomplètement recupérée depuis, mais cette cause ne peut être invoquée seule, car les affaissements précèdent toujours les maxima de froid.
- ↑ Le globe entier était couvert durant le pléistocène moyen d’une faune de mammifères gigantesques, éléphants, rhinocéros, édentés, ruminants, marsupiaux. Toute cette faune est éteinte, à part deux espèces d’éléphants et trois ou quatre de rhinocéros, qui survivent en Afrique et en Asie. L’Amérique du Nord a perdu Mastodon ohioticus, Elephas Colombi, americanus, Mylodon, Megatherium, Megalonyx. Toute cette faune s’est éteinte depuis la fin du pléistocène. On la trouve dans les brèches et dans les grottes des Grandes Antilles et des Bahamas, jusqu’à Anguilla, dans l’est extrême du système des Grandes Antilles. Toutes ces terres faisaient, comme nous le verrons plus tard, partie du continent. L’Amérique du Sud a perdu de grands félins, Machœrodus neogœus, Feles protopanther, des chameaux, Macrauchenia, Protauchenia, et toute une faune singulière d’édentés, de tatous : Chlamydotherium, Glyptodon, Eutatus, Panochtus, Dœdicurus, Toxodon, Tant dans le Nord que dans le Sud, quelques espèces ont végété jusqu’à une époque récente, le dernier mastodonte aurait été tué au siècle dernier et le bison a été exterminé de nos jours. L’immense majorité des espèces n’existait déjà plus à la un du pléistocène.
- ↑ Espèces des couches immédiatement antérieures au niveau sicilien qui ne se retrouvent plus aux niveaux supérieurs : Mastodon arvernensis Cr., Borsoni H., Rhinoceros etruscus Falc, Tapirus arvernensis Dev., Gazella Julieni Dép., borbonica, burgundina Dép., Antilope ardea, Palæcreas torticornis, Cervusardeus Cr., Pardinensis Cr., Douvillei Dép., Etueriarum Cr. et J., cusanus Cr., Castor issiodorensis Croix., Ursas arvernensis Cr., Hyœna Perrieri Cr., Machaerodus crenatidens Fabr., etc. En Italie, Palœoryx Meneghinii, Equus intermedius, Inuus florentinus. La disparition totale des antilopes est surtout à remarquer. Il faut toutefois observer que les tombes néolithiques de l’Hérault ont fourni des débris de gazelles dont quelques espèces ont pu se maintenir sur le littoral méditerranéen, si elles n’ont pas été importées, les gazelles ayant été domestiques en Égypte et dans le N. de l’Afrique à l’époque indiquée.
Du commencement à la fin du pliocène, la faune de la France et des pays voisins est à peu près constante. On remarque très peu d’apparitions et d’extinctions de formes nouvelles, l’abondance relative varie seule. Il y a aussi des faciès locaux, avec espèces spéciales, qui rendent parfois difficile le classement chronologique des gisements isolés, mais ne rompent pas l’unité de la faune. Celle-ci perd plus de la moitié de ses espèces dès le commencement du pléistocène, par l’effet du changement de climat. - ↑ Pour les flores du pléistocène, il n’a pas été fait de découvertes botaniques importantes depuis l’ouvrage classique de Mortillet, auquel je renvoie par suite le lecteur. À noter cependant la découverte du blé cultivé dans les dépôts asyliens du Mas d’Azil, et de plusieurs arbres fruitiers. Cette graminée d’une si grande importance appartenait donc probablement à la flore pléistocène d’Europe, ou du moins de la région ibérique. Ainsi prend fin une longue controverse sur l’origine du blé. La thèse de l’importation asiatique est d’ailleurs abandonnée pour la plupart de nos espèces domestiques animales et végétales, qui sont maintenant rattachées à des souches indigènes ou méditerranéennes.
Pour les flores d’époque chaude, voyez aussi Dollfus, Tufs de Montigny. C. R. Ac. Sc, t. 126 (1898), 139.
Pour celles d’époques froides, et d’une manière générale pour les pays du Nord, voyez Nathorst, Blytt. Nehring, Andersson, Hult. - ↑ Les recherches de Nehring, de Sluder et de divers autres savants allemands ont prodigieusement enrichi la liste des espèces du quatrième interglaciaire. En France, les dépôts de cavernes ont été transformés en phosphates sans avoir été étudiés, et la science ne dispose que de débris sans état civil bien précis, arrachés à la rapacité des phosphatiers ou récoltés au hasard par des amateurs souvent zélés, rarement pourvus des loisirs, de l’argent et des connaissances techniques nécessaires. C’est donc aux gisements allemands que nous sommes surtout redevables de la connaissance de la faune à rongeurs, petits carnassiers et insectivores, jusqu’à la taille du Felis manul V. et du Hystrix hirsutirostris.
On trouvera dans le mémoire de Wuldrich une liste de près de 80 espèces de mammifères du quatrième interglaciaire de la Basse-Autriche. Pour la région du Rhin, le volume consacré au Schweizersbild fournit des listes de mammifères presque aussi copieuses, et d’autres relatives aux oiseaux, aux vertébrés inférieurs. Dans l’ouvrage de Rivière, Antiquité de l’homme dans les Alpes-Maritimes, on trouve une liste à peu près complète des espèces alors vivant dans la région. La faune des coquilles du lœss a fait l’objet de diverses publications allemandes. Les principales et les plus caractéristiques sont : Limas agrestis L., Hyalina cristallina M., Palula pygmœa Drap., Helix pulchella Mûll., costata Mûll., sericea Drap., hispida L., villosa Drap., arbustorum L., alpestris Sandb., Cochliopa lubrica M., Pupa secale Drap., dolium Drap., muscorum L., columella Mart., pygmœa Drap., Clausilia parvula Studer, corionydes Held, Succinea oblonga Drap. - ↑ J’ai principalement utilisé les travaux suivants, dont la liste complétera dans une certaine mesure celles de la 3e édit. du Great Ice Age, qui s’arrétent à 1892 ou 1893.
Andersson. — Om nagra vaetfossil fran Gottland (Geol. Foren. Forhandl., 1893, XVII, 33-52),
Andersson et Berghell. — Torfmosse öfverlagrad af Strandvall vester om Ladoga (ibid., XVII, 21-24).
Andersson. — Om senglaciala och postglaciala aflagringar i mellersta Norrland (ibid., XVI, 531-666).
Andrussow. — Sur l’état du bassin de la Mer Noire pendant l’époque pliocène (Bull. Ac. des Se, de Pétersbourg, 1894, NXXV, 437-448).
Baltzer. — Beitrage cur Kenntniss der interglacialen Ablagerungen (Neues Jahrbuch für Mineralogie, 1896, I, 159 et s.)
Blytt. — Om to kalktufdannelser i Gudbrandsdalen (Vid. Selsk. Forehand]., 1892, n° 4, et tirage à part, Christiania, 1892, 50 p.)
Blytt. — Om de fytogeografiske og fytopaleontologische grunde forat antage klimatvexlinger under kvartaetiden {ibid., 1893, n° 5).
Blanckenhorn. — Das diluvium der Umgegen von Erlangen (Sitzungsberichte der physikal-medic. Societät zu Erlangen, 1895).
Boule. — La topographie glaciaire en Auvergne (Annales de géographie, 1895, V, 277-296, carte montrant la plus grande étendue de la première glaciation).
Cappelle. — Der Lochemerberg, ein Durchragungszug im niederlindischen Diluvium (Mededeel omtr. Geol.-v. Nederland, 12, in Verhandl. k. Akad, Wetensch., 1893, III, 1).
Davison. — Die Conchylienfauna der altpleistocänen Travertine der Weimarisch Taubacher Kaltestuffbeckens (Nachrichtsblatt der deutschen Malakologischen Gesellschaft, 1893, 145-167),
Fournier. — Description géologique du Caucase central (Annales Fac. des Sc. de Marseille, 1897, VII, avec carte de I’époque glaciaire au Caucase).
De Geer, — Om Strandliniens förskjutning vid vara insjöar (Geol. Foren, i Stockholm Förh., XV, 378). Hult. — Mossfloran i trakterna mellan Alavasaksa och Pallastunturit (Acta Societatis pro Fauna et Flora Fennica, 1886, III, 66 et s.)
Hansen. — Strandlinje studier (Archiv for Math, og Naturvidenskab, 1890, XIV, 254-343, XV, 1-96).
Kerner, — Das glaciaterraticum im Wippthalgebiet (Verh, der geol. Reichsanstalt, 1894, n° 11).
Ladrière. — Étude stratigraphique du terrain quaternaire du Nord de la France (B. Soc. geol. du N., 1890, XVIII, 93-149, 205-276).
Munthe. — Preliminary report on the physical Geology of the Litorina Sea (Bul. Geol. Inst. Univ. Upsala, 1895, 1-30). — Om fyndet af ett Bernredskap i Ancylus lera ndra Norsholm (Ofversigt. vetensk. Akad. Förhandl., 1895, 151-177).
Nathorst. — En växtförande lera fran Viborg i Finland (Geol. Förening. i Stockholm Forhandl., 1895, XVI, 361). — Die Entdeckung einer glacialflora in Sachsen (Ofversigt. vetensk. Akad. Förh., 1894, 519-543).
Nehring. — Ueber Wirbelthierreste von Klinge (N. J. für Min., 1895, I. 183 et s.) — Ueber einem neuen Fund von Cratopleura-Samen in dem Lauenburger Torflager (N. J. M. 1895, II, 254 s.) V. aussi Nüesch.
Nötling. — Beiträge zur Kenntniss der glacialen Schichten permischen Alters in der Salt-Range, Punjab (N. J. M, 1896, II, 61 et s., riche bibliographie).
Nüesch. — Das Schweizersbild. (Forme le t. XXXV des N. Mem. de la Soc. Helv. des Sc. nat., 1896 ; les diverses spécialités ont été traitées à part par autant de spécialistes, Penck, Studer, Nehring, Kollmann).
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Pomel. — Carte géologique de l’Algérie. Explication de la 2e ed. provisoire. Paléontologie, monographies. — Alger, Fontana, plusieurs volumes déjà parus.
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Turner. — On human and animal remains found in caves at Oban, Argyllshire (Pr. of the Soc. of Ant. of Scotland, 1895, XXIX, 410). - ↑ Ainsi la présence de parcelles de Rapakiwi dans un gravier prouvera que celui-ci contient des éléments d’origine finlandaise, cette roche étant propre à cette région. Dans le N. de l’Allemagne, cette présence prouvera que le limon est contemporain du troisième glaciaire, ou postérieur, les courants de glace n’ayant apporté dans les périodes antérieures que des matériaux scandinaves. L’analyse microscopique des limons de l’Allemagne du Nord, de la Scandinavie, de la Belgique, de l’Angleterre et de ceux retirés du fond de la mer par les sondages a donné de précieux résultats.
- ↑ Les alternatives de périodes pluviaires et séches, de plus en plus faibles et rapprochées continuent. Les couches de fond de Ja vallée de la Vilaine à Rennes ont fourni à MM. Lebesconte et Béziers des coupes qu’ils ont comparées a celles de Ladriére, mais qui reposent sur des graviers remaniés a silex néolithiques, probablement du sixiéme glaciaire, Ces couches nous font connaître deux nouveaux épiglaciaires, du commencement et de la fin du Moyen-Age, qui paraissent répondre à ceux des couehes de l’estuaire de l’Escaut. Voyez Description stratigraphique des ter- rains quaternaires et des alluvions modernes de Rennes (Bull. de Ja Soc. se. et med, de l’Ouest, 1897, VI, 221-235). L’identification avee les couches de Ladrière est contredite par le contenu archéologique, mais l’analogie est curieuse, et dans plus d’un eas les couches similaires à celles de Ladriére, signalées sur tant de points, sont plus probablement contemporaines de celles de Rennes.
- ↑ Cette flore à Laurus canariensis est celle du chelléen de la Celle, de Montigny près Vernon et de Meyrargues. On la trouve en particulier à Tlemcen.
Les conditions climatériques dans lesquelles elle s’est développée ne peuvent pas avoir été très différentes en France et en Algérie. Celle-ci n’avait donc pas un climat tropical, ni même une moyenne de température aussi élevée qu’aujourd’hui, les ardeurs de l’été se Lrouvant amorties par l’humidité de l’atmosphère, comme chez nous les rigueurs de l’hiver. - ↑ La cessation soudaine du régime des pluies abondantes n’a pas encore complétement déterminé la mort du Sahara. La végétation, de plus en plus restreinte et précaire, s’est longtemps maintenue dans les bas-fonds en épuisant les eaux telluriques. Si l’on dépensait, comme le veulent certains ingénieurs, le peu d’eau fossile qui reste disponible, non seulement les oasis créées par leur soin ne tarderaient pas à disparaitre, mais les puits nécessaires aux voyageurs seraient bientot taris. Il ne faudrait pas développer beaucoup les puits artésiens pour supprimer avant un siécle toute espéce de vie animale ou végétale dans la région désertique.
- ↑ Il ne faut pas essayer d’expliquer de même les périodes chaudes antérieures, ni le climat tertiaire. Pendant le tertiaire, le Gulf-Stream ne
pouvait influer sur le climat du N. O. de l’Europe, l’emplacement actuel de l’Atlantique Nord étant alors occupé par un système de terres qui laissaient communiquer l’Europe et l’Amérique. La température douce de ces hautes régions ne pouvait être due qu’à un plus grand volume du soleil, dont les rayons tangents aux pôles de la terre élaient convergents, tandis qu’ils divergent aujourd’hui, Tous les déplacements du
pôle compatibles avec la mécanique céleste et l’aplatissement de la terre ne peuvent expliquer la présence d’une flore chaude à Taxodium distichum, forme mexicaine, dans les couches tertiaires du Groenland et du Spitzberg, à une latilude de plus de 81°. Dans ees régions la grande nuit
d’hiver dure trois, quatre et cinq mois. Méme en admettant une température constante, ces plantes n’auraient pu vivre dans un pays où le soleil reste un tiers de l’année sans se lever. Un déplacement du pôle de vingt ou trenle degrés ne permettrait méme pas d’expliquer leur existence.
Les lignes isothermes ont donc descendu depuis et descendront sans cesse davantage vers l’Équateur, C’est la mort par refroidissement qui s’avance. - ↑ L’ilot de Rockall est un rocher inaccessible situé a 420 kil. de l’lrlande, au tiers de la distance entre l’Europe et l’Amérique. Il est formé d’un granite porphyrique special appelé rockallite. Ce rocher domine un banc de roches basaltiques de 100 kil. de long sur 80, situé à 180 m. sous l’eau. Ce basalte, comme celui des îles Shetland, Feroer, etc., parait appartenir à un systeme de nappes basaltiques émises à plusieurs reprises sur toute l’étendue du continent euramericain effondré. Ces émissions paraissent correspondre à des phases d’effondrement. Les unes sont pliocènes, d’autres pléistocènes. On trouve en Amérique une autre vaste nappe de basalte dans l’O. des États-Unis, mais dont l’émission n’a pas semblablement entrainé l’engloutissement de la région recouverte.
Les pêcheurs donnent le nom de Buss à la terre dont Rockall faisait partie, et qui aurait encore subsisté au Moyen-Age. V. Revue scientifique, 1898, I, 283 ; Tour du Monde, 1898, couverture du 19 février. - ↑ Pythéas raconte que dans son expédition dans la mer du Nord, l’épaisseur de l’eau empêchait la manœuvre des rames. Cette observation a été l’objet des critiques les plus vives. Il est probable que Pythéas n’a point imaginé ce fait. Les navires de l’époque avaient l’habitude de naviguer le long des côtes, et le voyage de Pythéas correspond à une période d’affaissement, dont l’invasion de la plaine maritime belge fut le maximum. La mer du Nord avait à peu près acquis ses contours actuels, mais ceux-ci, depuis le Pas-de-Calais jusqu’en Norvège, étaient encore indécis. Le navire de l’explorateur s’avançait sur des vasières à peine couvertes, où les rames s’enfonçaient dans la fange. Il se trouvait aux prises avec les mêmes difficultés que les navires de gros tonnage de la marine actuelle, obligés de naviguer loin des côtes pour ne pas labourer la vase molle à demi glacée en hiver, couverte de ces glaçons tendres qu’il compare à des méduses, et que connaissent encore les navigateurs de la région. Entre l’Elbe et la Weser, les cuirassés qui suivent la côte ne peuvent le faire qu’en se tenant en moyenne à trente kilomètres de la terre.
A mesure que nous connaissons mieux l’état ancien des choses, une infinité de faits paradoxaux s’expliquent, dont la critique s’était emparée pour jeter le discrédit sur les affirmations des plus anciens historiens et géographes. La catastrophe de l’Atlantis et l’inondation progressive du pays des Cimbres se rattachent d’une manière directe à un état de choses ancien, sur lequel la critique littéraire a dit bien des sottises. Il ne faut d’ailleurs pas en vouloir aux critiques, notre génération est la première à savoir d’une manière exacte que la figure du sol est en perpétuel devenir. - ↑ Ameghino, Contribucion al conocimiento de los Mamiferos fosiles de la Republica Argentina, Actos de la Acad. de Sciencias en Cordoba, 1889, VI, 1059 pages. 97 planches. — « Prem. contrib. a la connaissance de la faune a Pyrotherium », Bul. Inst. Geogr. arg., 1895, XV.
On trouve ce qu’il est nécessaire de connaître, et de bonnes figures, dans divers mémoires de seconde main : Trouessart, « Les primates tertiaires », Anthrop., 1892, 257-274 ; Glangeaud, « Les mammifères crétacés de la Patagonie », R. gén. des sciences, 1898, 133-144. V. aussi Ameghino, « L’âge des couches fossilifères de Patagonie », R. scient., 1898, II, 72-74.
Les Notopithecidés (Notopithecus, Eupithecus, Archaeopithecus) des couches à Pyrotherium du crétacé supérieur seraient les ancêtres des Lémuriens, mais en même temps très rapprochés des Typothéridés, qui sont des ongulés. À côté des Lémuriens, on trouve de vrais singes dans les couches éocènes du Santacruzien. Ces singes répartis par Ameghino en plusieurs genres (Homunculus, Anthropops, Eudiastatus, Homocentrus), ancêtres des cébiens, dont ils ont la formule dentaire. Anthro- pops perfectus A. a une machoire inférieure de forme presque humaine, courte, presque en demi-cercle, à symphise haute et epaisse, n’ayant ni plus ni moins de menton que celle de Pithecanthropus Neanderthalensis. Celles des autres espèces, et aussi du Notopithecus adapinus A. crétacé, rappellent les formes des machoires des anthropoïdes. - ↑ Le crâne du gorille, du chimpanzé très jeunes, âgés de moins d’un an, ressemble d’une manière prodigieuse à celui des Pithecanthropus. Les arcades sourcilières sont même moins accusées, et la ressemblance se continue dans la face. À partir d’un an la divergence s’accuse, et à mesure que les saillies osseuses se développent la ressemblance diminue et disparaît. Le prognathisme énorme du gorille et du chimpanzé ne dépasse pas à la naissance celui du Boschiman adulte. L’évolution de l’homme se fait donc par la conservation de plus en plus longue des caractères fœtaux, et celle des anthropoïdes par l’exagération chez l’adulte d’une foule de caractères nouveaux. C’est pourquoi l’on peut dire exactement que les anthropoïdes, partis du même point que l’homme, n’ont pas su s’arrêter à temps. La lente oblitération des sutures crâniennes chez l’homme, a été cause et effet du développement cérébral. La matière osseuse qui chez lui sert à l’agrandissement de la boîte crânienne a été différemment utilisée par les grands singes, et leur a fourni les matériaux d’une puissante ossature faciale et crânienne, destinée à porter des muscles robustes. L’évolution des anthropoïdes est analogue à celle qu’ont subie les grands carnassiers.
Il a été publié depuis la thèse de Deniker (Recherches anatomiques et embryologiques sur les singes anthropoïdes, Paris, 1886), des documents intéressants sur l’embryogénie des anthropoides. Le travail en cours de publication de Selenka sera d’une grande importance. - ↑ Sur les anthropoïdes fossiles, voyez comme travaux récents : Gaudry, Le Dryopithèque, Mém. de la Soc. Géol. de France, Paléontologie, 1890, I, 1 ; Harlé, Une mâchoire de Dryopithèque, B. Soc. géol. de Fr., 1898, S. III, XXVI, 377-383 ; Dubois, Über drei ausgestorbene Menschenaffen, N. Jahrb. für Minéralogie, 1897, I, 83-104 ; Branco, Die menschenähnlichen Zähne aus dem Bohnerz der schwabischen Alb, Jahreshefte des Ver. für Naturk. in Wurtt., 1898.
Pour le Nesopithecus, v. Gaudry, Communication à l’Acad. des Sciences, C. R. Ac. des Sc, 1896, CXX11I, 542. Ce singe pléistocène atteignait la taille de l’homme ; sa dentition était voisine de celle des macaques et des semnopithèques, mais il avait 36 dents comme les singes américains. Nesopithecus Roberti n’est connu que de Madagascar. Pour l’orang-outang, v. Selenka, Die Rassen und der Zahnwechsel des Orang-Utan, Sitzungsberichte der K. K. Akad. der Wissenschatten zu Berlin, 1896, XXXVI, 391-392. - ↑ Le travail fondamental sur ce Pithecanthropus reste l’étude originale de Dubois, Pithecanthropus erectus, eine menschenähnliche Uebergangs-form aus Java, Batavia, 1894. Il a paru depuis toute une bibliothèque de travaux de seconde main, dont le meilleur est peut-être celui de Manouvrier, Deuxième étude sur le Pithecanthropus erectus, Bull. Soc. d’Anthr., 1896, VI, 553-641.
Comme autres travaux sur les hommes tertiaires, voir le résumé de Buschan, V° Tertiärmensch, Handwörterbuch der Zoologie, t. VII (Breslau, Trevendt, le tome a paru en 1897), et Issel, Liguria geologica e preistorica, II, 319-330 et pl. XXIV. Il est douteux que les pièces citées soient fossiles, mais la preuve contraire n’est pas faite, et les découvertes de Trinil et de Taubach commandent une circonspection de plus en plus grande dans la négation.
Pour l’homme fossile pléistocène, voyez Quatrefages et Hamy, Crania ethnica, p. 1-146. Cette partie, comme d’ailleurs tout le recueil, est bien incomplète et surannée aujourd’hui. Hamy a donné dans le Compte-rendu du Xe congrès d’Anthropologie à Paris une bonne étude critique des matériaux connus en 1889 (Matériaux pour servir à l’étude de la paléontologie humaine, p. 405 à 456 du Compte-rendu). Voyez encore, comme étude critique générale, Mortillet, Formation de la nation française, Paris, Alcan, 1897, spécialement VIe part., ch. 1 et 2. - ↑ Les figures 4 à 10 sont empruntées a la Formation de la nation française de M. de Mortillet. Les clichés ont été gracieusement communiqués par l’éditeur M. Alcan.
- ↑ La marche en flexion a été étudiée par Marev qui a constaté par la méthode chronophotographique sa superiorité physiologique sur la marche ordinaire. Des essais pratiques ont été faits ensuite au IIe corps sous la direction du commandant Raoul. Les troupes arrivent à donner sans fatigue 20 kilometres en 1 heure et demie (Comment on marche, par F. Regnault et Raoul, pref. de Marey, Paris, 1898).
- ↑ Voici les principales mensurations des crânes de Pithecanthropus les moins mutilés :
ORIGINE Longueur Largeur Indice céph. D. f. min. P. erectus, Trinil 185 135 72.97 P. Neanderthalensis, Neanderthal 200 144 72-74 106 P. Neanderthalensis, Canstadt 92 P. Neanderthalensis, Spy 1 200 140 70 104 P. Neanderthalensis, Spy 2 198 130 74.8 106 P. Neanderthalensis, Eguisheim 200 150 74-76 P. Neanderthalensis, Brechamps 75.5 P. Neanderthalensis, Marcilly 75.5 - ↑ On connaît de l’Amérique du Sud un autre Pithecanthropus du pléistocène moyen qui paraît avoir survécu et laissé quelques traces dans les populations actuelles, mais toutes les pièces néandertaloïdes récentes trouvées en Europe n’ont qu’une fausse analogie avec les Pithécanthropes. Ce sont des crânes dont le frontal est très fuyant, et parfois les orbites saillantes, soit par un effet d’atavisme car les Pithécanthropes figurent assurément dans l’ascendance de beaucoup de nos contemporains, s’ils ne sont la souche de l’humanité entière, soit par variation individuelle. Le crâne à visière le plus remarquable figure dans ma collection. Je l’ai trouvé à Restinelières, près de Montpellier, dans une tombe en dalles, avec deux sujets normaux, et il date de quelques siècles avant ou après notre ère. J’ai voyagé une fois d’Arvant à Béziers avec le porteur d’un crâne aussi caractérisé. Le voyageur, que je n’ai pas interrogé, par une discrétion dont il me donnait l’exemple, était pourvu du Temps et de brochures protestantes. J’ai pensé et je pense encore qu’il était probablement ministre du culte réformé. J’ai décrit encore, parmi mes crânes de Montpellier, une forme curieuse à frontal fuyant qui n’est pas rare dans la direction du Tarn. Toutes ces formes n’ont du P. Neantherthalensis qu’une ressemblance dans la conformation du frontal. Darwin, dont les yeux étaient abrités sous d’énormes arcades surplombantes, ne se rattachait pas davantage aux Pithecanthropus, mais dans tout son ensemble le frontal de l’illustre naturaliste était visiblement pathologique.
- ↑ Marie L., 40 ans, née à Artez (13. Pyrénées), parents d’Artez, F, F, nez DA, 49, 37, face 119, 115, crane 180, 149, indice 82.77. Irma L., sa fille, 13 ans, née a Artez, parents d’Artez, M, F, nez DA, 48, 34, crâne 181, 146, indice 79.78.
- ↑ En outre des classiques Reliquiae aquitanicae de Lartet et Christy et de l’Album préhistorique de Morillet, les principaux grands recueils à consulter sont les deux ouvrages en cours de publication de Piette, L’Art pendant l’âge du renne, et de Girod et Massénat, Stations de l’âge du renne dans les vallées de la Vézére et de la Corrèze. V. aussi Hornes, Urgeschichte der Bildenden Kunst, Wien, Holzhausen, 1898. De nombreuses pièces isolées ont été publiées dans la Revue d’anthropologie, L’Anthropologie et surtout les Matériaux pour l’histoire primitive et naturelle de l’homme, 1869, 1873-77, 1880, 1885. Il existe de bonnes séries au Muséum de Paris et au British Museum.
Les recueils et les musées d’art, qui collectionnent tant de brimborions sans ombre de goût, n’ont pas donné accès aux œuvres d’art préhistoriques, et ces objets n’ont pas acquis la valeur marchande qui aurait pu assurer leur conservation. Je considère les statuettes d’ivoire de M. Piette comme égales en valeur d’art aux célèbres terres-cuites de Tanagra ; leur mérite est infiniment plus grand, car elles datent d’au moins trente mille ans avant la belle époque hellénique. Cependant les grottes qui contiennent les chefs-d’œuvre de la glyptique préhistorique ont été livrées aux phosphatiers à des prix très inférieurs pour chacune à la valeur de la moindre Tanagra, et les chefs-d’œuvre mêlés aux ossements des artistes ont été mis au moulin. Cela prouve combien la recherche des objets d’art est surtout une affaire de mode, et leur valeur l’effet d’une concurrence où le snobisme exerce plus d’action que le sentiment artistique. - ↑ Ils avaient certainement domestiqué le cheval, et dès l’époque du renne. Voyez Piette, Notes pour servir à l’histoire de l’art primitif, Anthropologie, 1894, V, 129-146. L’auteur figure, p. 139 et 141, des têtes de chevaux munies d’une chevètre très compliquée.
- ↑ Rivière, La grotte de la Mouthe, C. R. Ac. des Sc. de P., 1896, CXXIII, 543-546 ; 1897, CXXlV, 731-734. Daleau, Les gravures sur roches de la caverne de Pair-non-Pair, Actes de la Soc. archéologique de Bordeaux, 1897.
- ↑ Pour l’ensemble des exemplaires connus de H. priscus, voyez Hervé, La race des Troglodytes magdaléniens, R. de l’Éc. d’Anthrop., 1893, III-173-188. Les fouilles des Hotteaux ont été arguées de peu de méthode. Elles avaient été faites par un curé. Cette raison ne me parait pas suffisante. Ce qui est vrai, c’est que le mémoire est faible au point de vue anthropologique. L’auteur me semble avoir eu raison cependant de ne pas anticiper sur l’étude qui devra être faite par un spécialiste.
Mon ami et ancien élève Bauby a découvert à Estagel des squelettes de l’âge du renne qui ne paraissent se rapporter à aucune des races connues, et qui apporteront probablement une certaine perturbation dans les notions acquises. Il faut attendre la publication des pièces par le Pr. Depéret. V. Donnezan, Grotte d’Estagel, Bull. de la Soc. Agricole. Scientif. et Litt. des Pyrénées-Orientales, 1895, XXXVI. - ↑ Schwalbe sépare la calotte d’Egisheim du groupe néandertaloïde en raison de la moindre platycéphalie (Über die Schädelformen der ältesten Menschenrassen, Mitt. der philom. Gesellschaft in Elsass-Lothringen, 1897, VII). Manouvrier regarde les crânes de Marcilly et Bréchamps comme des formes atténuées (R. de l’Éc. d’Anthrop., 1897, VII). Dans le même ordre d’idées ou peut citer le mémoire de Newton sur le nouveau squelette paléolithique trouvé à Galley-Hill, Kent (On fossil remains found in paleolithic gravels, Quart. Journ. of the geolog. Sec, 1895, LI, 505-527).
- ↑ Le fait est rapporte par Pline (H. Nat. n, 67) et Pomponius Mela (III, v, 45) d’apres Cornelius Nepos. De Ceulenaer regarde ces Indiens comme ayant inspiré l’auteur d’une tête de bronze du Louvre, qui ressemble beaucoup aun portrait de Peau-Rouge (Type d’Indien du Nouveau-Monde représenté sur un bronze antique du Louvre, Mem. cour. de l’Acad. de Belgique, serie 8°, XLV).
- ↑ Données des principaux sujets priscus, et d’un lot de 15 Groenlandais orientaux :
Pour l’étude des Groënlandais, voyez Hansen, Bidrag til Ostgronländernes Anthropologi, Copenhague, 1886, Bidrag til Vesgronldndernes Anthropologi, Copenhague, 1893. La premiere monographie porte sur 250 vivants et 15 crânes, la seconde sur 2.500 vivants, le quart de la population totale.
- ↑ Comme documents spéciaux pour la race de Cro-Magnon, voyez : Hervé, Distribution en France de la race néolithique de Beaumes-Chaudes Cromagnon, R. de l’Éc. d’Anthr., 1894, IV, 105-122 ; Rivière, De l’antiquité de l’homme dans les Alpes-Maritimes, Paris, 1878 ; Verneau, Nouvelle découverte de squelettes préhistoriques aux Baoussé-Rousse, Anthropologie, 1892, III. 513-540 ; Lapouge, Crânes préhistoriques du Larzac ; et la monographie des crânes de Cro-Magnon dans le Crania ethnica. Les mensurations des crânes de Cro-Magnon indiquées ci-dessous sont celles de Verneau. J’ai rectifié pour le crâne de Sargels l’indice orbitaire, pris d’abord d’après l’ancienne méthode. Les indices orbitaires des séries néolithiques n’ont pas été rectifiés, et ne sont pas exactement comparables à ceux des sujets de Cro-Magnon, Sargels et Menton.
Je regarde les sujets de Beaumes-Chaudes, L’Homme-Mort, Sordes, l’Argar et la plupart de ceux que l’on rattache aujourd’hui à la race de Cro-Magnon comme des métis de spelæus et meridionalis. H. spelæus est de bien plus haute taille, Cro-Magnon h. 1.75. Sargels f. 1.68. Menton h. 1.83, 1.73, 1.78, 1.94. f. 1.64, h. jeune 1.63, L’Homme-Mort 1.65, Beaume-Chaude, h. 1.60. Il a aussi la face bien moins haute, et se distingue nettement de ses métis par l’indice orbitaire et l’indice nasal. Dès le néolithique moyen, H. spelæus est fort rare à l’état typique ou subtypique. - ↑ La région atlantique a toujours eu une industrie et un art plus ou moins différents de ce qui existait en Allemagne et dans l’est de la France. Les instruments chelléens ressemblent peu aux instruments mesviniens et à ceux de Taubach. La glyptique usitée dans le bassin de la Garonne et ses environs diffère de celle de l’Est et du Sud-Est. Le solutréen est de plus en plus considéré comme le faciès du magdalénien dans l’Est et le Sud-Est. Les dolmens, à une époque plus récente, sont cantonnés dans l’Ouest, le Centre-Ouest et le Midi. Cette différence dans l’ethnographie rend parfois difficile l’établissement des synchronismes, et dans bien des cas les périodes ne peuvent correspondre terme à terme.
- ↑ Reinach, Statuette de femme nue de Menton, Anthropologie, 1898, IX, 26-31 et pl. 1-2. Mortillet a contesté sans raisons valables l’authenticité de la pièce. Virchow a publié la photographie d’une statuette en ivoire de mammouth de Brunn, en Moravie (Photographie eines aus Mammuthsstosszähnen geschnitzten Idols von Brünn, Verhandl. der Berliner anthr. Gesellschaft, 1895, XXVII, 705).
- ↑ Le petit méditerranéen répond à la race Pélage ou Méridionale de H. Japeticus Bory. Il est souvent désigné par la dénomination taxinomique de H. mediterraneus. Je ne connais pas l’auteur de la date de l’introduction de cette dénomination, mais je regarde celle-ci comme postérieure à l’emploi fait par Haeckel du même mot pour désigner à peu près ce que Bory appelait H. Japeticus. D’après le code taxinomique il ne convient pas de tenir compte de l’expression H. Japeticus, qui correspond à une satura, et l’emploi par Haeckel du nom H. mediterraneus peut être ainsi regardé comme non avenu. J’ai préféré cependant créer un nom nouveau que de reprendre en changeant l’affectation celui de Haeckel. Le jour où la validité de H. mediterraneus pour désigner le méditerranéen de Broca serait établie, H. meridionalis tomberait simplement en synonymie.
- ↑ Beddoe, dans son mémoire Sur l’histoire de l’indice céphalique dans les îles Britanniques (Anthropologie, 1894, V, 513-529, 658-673), donne les moyennes suivantes : 87 néolithiques des grottes et long-barrows, indice 72 ; 19 néolithiques des round-barrows, 77.5 ; 103 crânes des round-barrows de l’époque du bronze, 80 ; 109 romano-bretons 75, 4.
La sériation quinaire de ces quatre groupes donne :60-61 63-69 70-74 73-79 80-81 85-89 90-94 Néolithiques, long-barrows 2 24 50 11 » » » —round-barrows » 2 2 9 3 3 » Bronze » » 14 33 44 11 1 Romano-bret. » 6 43 52 7 1 » Ce tableau montre d’une manière frappante la submersion graduelle des anciens dolichocéphales par les brachycéphales et leurs métis, et celle de la population mélangée par l’immigration des Gaulois dolicho-blonds.
Remarquez d’ailleurs l’indice moyen très modéré de 80. C’est juste la limite entre les crânes courts et longs. Les indices au dessus de 80 sont seuls significatifs et font seulement la moitié de la série de bronze. Il n’y a là rien qui ressemble aux sériations de populations vraiment brachycéphales, comme celles que j’ai fournies, par exemple, pour l’Aveyron (Mat. pour l’Anthropol. de l’Aveyron, p. 65-72). Pour bien mettre en évidence la différence des séries de brachycéphales préhistoriques et de celles de vrais brachycéphales, différences que les écrivains non spécialistes ne manquent jamais d’oublier, je mets en parallèle avec les sériations précédentes celle de l’ossuaire moderne de Sainte-Radégonde, Aveyron. 60-61 63-69 70-74 73-79 80-81 85-89 90-94 Ste-Radégonde 3 18 9 2 - ↑ L’Égypte nous fournit en grand nombre des stations et des ateliers paléolithiques et néolithiques. Les stations anciennes ne se trouvent guère que dans la Haute-Égypte ou sur les plateaux qui bordent le cours inférieur du Nil. Les stations néolithiques se rencontrent jusqu’à la pointe du Delta, autour du Caire, dans la vallée. Les unes et les autres sont dans des localités si bien choisies qu’elles ont été habitées d’une manière constante depuis cette époque. La quantité d’objets en pierre dont le sol est semé a fait croire qu’ils dataient de l’époque historique, parce qu’on les trouve en abondance dans les ruines. En réalité, dans les monuments funéraires intacts, on ne trouve d’instruments en silex intentionnellement déposés que pendant l’époque de l’Ancien-Empire, et dès la IVe dynastie les formes autres que les couteaux sont déjà rares.
Les stations égyptiennes sont difficiles à classer. Elles sont toutes à la surface du sol, et renferment des restes des dates les plus diverses. Il semble cependant qu’en Égypte, comme dans tout le nord de l’Afrique, les formes anciennes soient restées en usage à côté des plus récentes, jusqu’en pleine époque néolithique. On assiste à la transformation de la hache chelléenne en celle de Saint-Acheul, et de cette dernière en hache polie, par une série de formes intermédiaires qui manquent totalement en Europe. Chez nous la hache cesse avec P. Neanderthalensis et ne reparaît, sous la forme polie, qu’avec H. meridionalis. Ce dernier paraît avoir introduit la hache polie d’Afrique en Europe, à moins qu’on ne la fasse descendre des tranchets allongés des kiökkenmöddings du néolithique ancien de Scandinavie. Les stations de l’Égypte et du N. de l’Afrique montrent à peu près toutes les formes d’armes et d’instruments connus en Europe, et dont on peut voir l’infinie variété dans le Musée préhistorique de Mortillet, et l’atlas magnifique des frères Siret. L’Égypte possède en plus une forme particulière de hache plate, courte, arrondie comme le fer d’une francisque, qui n’existe pas en Europe et caractérise la fin du néolithique africain. De cette forme est dérivée la hache en bronze égyptienne, si différente de toutes les formes européennes, réciproquement inconnues en Égypte.
Les Égyptiens n’ont jamais voulu accepter l’usage du fer jusqu’à l’époque classique. Pour des raisons probablement religieuses, ils se sont tenus pendant deux ou trois millènes, et peut-être davantage, en état d’infériorité par rapport aux Chaldéens. Ils n’en connaissaient pas moins ce métal dès une période ancienne. Quant au cuivre et au bronze, on les trouve dès les premières dynasties, représentés par des menus objets qui prouvent la connaissance et en même temps la rareté de ces métaux. Le tombeau de Négadah, ou reposait Ménès, le fondateur du royaume, n’a fourni qu’une perle, un bouton et quelques bouts de fil de cuivre, avec une abondance relative plus grande de l’or. Celui de Den (IIIe dynastie) est un peu plus riche, et dans d’autres tombes royales de la troisième dynastie on a trouvé même des haches et des vases de bronze. Le cuivre domine beaucoup sous les premières dynasties. On a trouvé dans les mines de cuivre du Sinaï des inscriptions au nom des rois Sozir et Snofrou, de la IIIe dynastie, soit environ 4.000 ans avant J.-C. Sous la VIe dynastie, le sceptre en cuivre de Pepi I montre que ce métal était encore rare et précieux vers 3.500. Il cesse de l’être sous les dynasties suivantes, et l’étain devenant abondant à son tour, l’usage du cuivre pur devint rare. V. Flinders Petrie, Nagada and Ballas, London, 1897 ; Morgan, Recherches sur les origines de l’ancienne Égypte, Paris, Leroux, 2 vol. parus 1896-98 ; de Bissing, Les Origines de l’Égypte, Anthr., 1898, IX, 241-258 ; Berthelot, Sur les mines de cuivre du Sinaï, C. R. Ac. des Sc., 1896, II, 365-367.
On ne connaît pas de néolithique dans les vallées du Tigre et de l’Euphrate. Dès l’époque des plus anciens objets connus, vers 4300, le cuivre est un métal usuel, bien que précieux encore. L’analyse, faite par M. Berthelot, d’une statuette du temps de Ournina (vers 4300), a montré qu’elle était de cuivre pur. De même, la lance votive de Tello, de la même époque. De même une statuette au nom de Goudea et divers objets plus récents (Berthelot, Histoire des sciences, I, 364, 391-393 ; L’Âge du cuivre en Chaldée, C. R. de l’Ac. des Sc., 897, I, 1328-1331). Le bronze, d’abord rare, n’apparait guère que vers 3500.
Le cuivre a donc été connu dès une époque très ancienne. Cela n’a rien d’étonnant, car il est comme l’or et l’argent du nombre des métaux que l’on trouve à l’état natif. On le rencontre ainsi dans les Cévennes, en Espagne, à Chypre, etc. On a dû s’apercevoir aussi de bonne heure que certaines pierres brillantes des mêmes gisements, soumises à l’action du feu, se réduisaient en cuivre. L’essai des minerais analogues a conduit à la découverte de l’étain, du plomb, de l’antimoine, métaux très anciennement connus et d’une préparation facile au feu ordinaire. Le fer a exigé, au contraire, plus d’efforts, et l’emploi de souffleries. Le bronze a pu être trouvé en fondant ensemble des minerais de cuivre et d’étain.
L’Égypte et la Chaldée ont tiré leur étain ou leur bronze du dehors. Ces pays ne fournissent pas d’étain. Il est probable que l’étain a été découvert d’abord en Saxe ou en Limousin. Il a pu pénétrer de là en Égypte par la même voie que l’ambre de la région de l’Elbe, qui apparaît déjà dans les tombes de la VIe dynastie.
La découverte du cuivre a pu se faire en divers lieux. On peut supposer que celle de l’étain, en raison de la rareté des gisements, a été faite en France ou en Allemagne, vers le quarante-cinquième siècle. Cela nous force à reculer les débuts de l’époque énéolithique de l’Europe jusque vers cette date, et peut-être faudra-t-il remonter encore plus haut. Les découvertes archéologiques de ces dernières années, en Égypte, dans les îles orientales de la Méditerranée, en Chaldée, l’existence bien établie d’un commerce entre ces pays et le N. O. de l’Europe dès cette époque, une foule d’autres raisons contraignent à reculer sans cesse les dates du préhistorique européen. Les dates que j’indiquerai seront toujours minima.
Il est à remarquer que le cuivre est resté en usage jusqu’à l’époque du fer en Hongrie, en Russie, dans l’Asie centrale et en Sibérie. Le centre de production de l’étain et du bronze paraît avoir été le centre et le N. O. de l’Europe, d’où il s’exportait jusqu’en Égypte et en Chaldée. L’hypothèse contraire de Mortillet et sa thèse de l’origine indo-chinoise de l’étain sont maintenant abandonnées, comme contraires à tous les faits observés. - ↑ Déjà usités durant le quatrième interglaciaire par l’homme contemporain du renne, et même du mammouth, les caractères conventionnels apparaissent sur les cailloux coloriés des grottes pyrénéennes, cinquième interglaciaire, comme un système définitif d’écriture. On est même obligé de supposer que les jeux de cailloux, retrouvés dans diverses grottes par M. Piette, représentent le matériel scolaire de ce temps-là, des caractères mobiles destinés à former des mots et faciliter l’enseignement de la lecture, de même que les essais de sculpture ou de gravure corrigés des époques magdalénienne et papalienne semblent les traces d’un enseignement artistique. Sur ces caractères, v. Piette, Les Galets coloriés du Mas d’Azil, Paris, Masson, 1896.
L’écriture des dolmens a été étudiée par Létourneau, dans un mémoire communiqué le 19 janvier 1893 à la Société d’anthropologie de Paris et qui figure au Bulletin ; ce mémoire est analysé dans la Revue scientifique de la même année, t. I, p. 463-467. V. aussi, du même auteur, La paléographie mégalithique, R. sc., 1897, 3e sér., VIII, 142-141, et Mortillet, Formation de la nation française, 166-172. Pour les pierres écrites d’Algérie, v. Flamant, Note sur les stations… de pierres écrites… du Sud-Oranais, Anthropologie, 1892, III, 145-156 ; Note sur deux pierres écrites, Anthropologie, 1897, VIII, 284-293.
L’écriture égéenne a fait l’objet de travaux considérables de A. Evans : Primitive pictographs and a Præ-Phenician Script from Crete, J. of hellenic Studies, 1894, XIV, 270 sqq., et London, Quariteh, 1895 ; Further discoveries of Cretan and Ægean Script, wilh Libyan and Proto-Egyptian comparisons, 1897, XVII, 327-395.
L’écriture phénicienne n’est qu’un dérivé de l’écriture égéenne, du laquelle plusieurs autres se sont détachées aussi d’une manière indépendante. Cela n’empêchera pas l’enseignement classique de professer longtemps l’origine phénicienne de nos écritures, comme l’origine bactrienne de nos pères ! - ↑ Weinzierl a décrit les crânes des cistes de Löbosilz sur l’Elbe (Der prähistoriche Wohnplatz und die Begräbnisstätte auf der Lösskuppe von Löbositz, Zeitschrift für Ethnologie, 1895, XXVII, 49 sq.) Trois crânes offrent les indices respectifs de 67.3, 69.1, 68.1. Ces indices sont bien faibles et font songer à meridionalis. Virchow déclare au contraire nettement aryens les crânes de Worms. L’indice des quatre premiers varie de 72.3 à 73.3, celui du cinquième est égal à 78.7, mais le sujet est métopique (Virchow, Eröffnung prähistorischer Gräber in Worms, Zeitschrift für Ethnologie, 1897, XXIX, 464 sq.).
Les néolithiques d’Allemagne se sont introduits assez tardivement en Bohême, où l’on ne trouve pas de traces d’habitation humaine entre l’époque du mammouth et celle des dolmens. Niederle a étudié avec beaucoup de soin le néolithique de Bohême (Prispécky k anthtropologii zemi ceskych, II, Prag, Simacek, 1894). L’indice céphalique des crânes varie de 62.03 à 78.8. Il n’y a pas trace de brachycéphales, les deux types en présence sont meridionalis et Europæus. On n’a pas trouvé spelæus. Tous les sujets ont la face haute, le nez étroit. La platycnémie est commune.
Virchow a décrit trois crânes néolithiques de Lenghyel dans la Hongrie méridionale. Ils se rapportent peut-être aux ancêtres des Grecs et sont de pur type Europæus, avec des indices cependant un peu faibles, 67.5, 68.8, 74.3 (Zeitschrift für Ethnologie, 1890, Sitzber., 96). - ↑ La palaffite de Concise a fourni un crâne sans état-civil précis, probablement de l’époque du bronze, peut-être postérieur, décrit par M. Verneau (Un nouveau crâne humain d’une cité lacustre, Anthropologie, 1894, V, 54-66). L’auteur se demande s’il s’agit d’un type nouveau. Non, le crâne, brachycéphale à 91, qu’il rapproche très justement des crânes de l’allée couverte de Meudon, époque du bronze, me parait un Acrogonus typique, semblable à ceux de mes séries montpelliéraines, et à ceux de Sinsat et de Salléles. Il ressemble exactement au spécimen d’Acrogonus que j’ai exposé en 1889 au Champ-de-Mars, et aux types illyriens décrits et figurés par Zampa dans la Revue d’Anthropologie (Anthropologie illyrienne, R. d’A., 1886. S. III, 625-647).
La station de la Tène, âge du fer, a donné aussi des crânes, Gross (La Tène, un oppidum helvète, Paris, Felscherin, 1886, p. 51) dit que deux d’entre eux, de la couche archéologique, donnent une moyenne de 70.7. Ce sont probablement des crânes gaulois. Les autres, au nombre de 8, paraissent plus récents et provenir de graviers modernes : leur indice est 79.6, celui des habitants actuels du pays. - ↑ Kharouzine a publié une monographie des Lapons dans le Dnevnik de 1890, fasc. 4, dont on trouvera l’analyse dans L’Anthropologie, 1891, II, 80-82. L’indice des Lapons purs est sur le vivant 87.5 pour les hommes, 87.1 pour les femmes, la taille de l m 50 et l m 43. On trouve chez eux, chose qui mérite réflexion, 34 % de cheveux et 64 % d’yeux clairs. Ces derniers chiffres indiquent, soit un mélange avec Europæus, ce qui n’est pas confirmé par la taille, soit une transformation en voie de s’accomplir dans le sens d’un type clair. Les Lapons de Russie, très métissés, ont une taille plus haute, un indice plus faible et une coloration plus claire.
- ↑ Pour le préhistorique russe, voyez les deux volumes des Comptes rendus du Congrès d’Archéologie préhistorique et d’anthropologie de Moscou, 1892, spécialement le mémoire de Bogdanow : Quelle est la race la plus ancienne de la Russie ? annexé au premier volume. Ont paru depuis : de Baye, Notes sur l’âge de la pierre en Ukraine, Anthr., 1895. VI. 1-39 ; de Baye, Notes sur l’époque des métaux en Ukraine, ibid., 374-392.
- ↑ Les mentions les plus anciennes que je connaisse des Goutis et des Amourrous remontent à Sargon d’Agadé, vers 3800. Ce sont des tablettes trouvées à Tello en 1895. M. Thureau-Dangin les a communiquées à l’Académie des Inscriptions le 28 août 1896 (C. R., 1896, S. IV, XXIV, 355-361). L’une porte « Roi Ousoumgal, année où le joug au pays de Guti a imposé ». M. Thureau-Dangin attribue le fait à Sargon, mais il modifie pour cela la traduction littérale. Une autre porte : « Dans l’année où Sargon, roi de la ville d’Agadé, le pays d’Amurru… ». De cette tablette existe un double qui la complète ainsi : « … mati Amurram, in basaar shade,… Le pays d’Amourrou, dans les escarpements des montagnes. » Sargon a poussé ses conquêtes jusqu’à Chypre. Il a dû trouver les Amourrous sur l’Oronte.
Agum le jeune (Kakrimi), roi de la dynastie kassite de Babylone, vers 1600, énumère parmi ses titres celui de « sar mâtu Gutii, nisi saklaati, roi du pays des Goutis, gens… ». Jusqu’ici l’épithète reste obscure. On a proposé « sans raison », épithète singulière dans la bouche d’un roi parlant d’un de ses peuples !
Les mentions relatives aux Amourrous et au pays de Gouti sont extrêmement nombreuses, et sans intérêt pour la connaissance du physique de ces peuples. On retrouve la mention du pays de Gouti jusque dans la Chronique de Nabonide et le Cylindre de Cyrus.
Je crois que par esclaves clairs de Suri on entend des Amourrous. Ce serait la plus ancienne mention du nom de la Syrie. - ↑ Ivanovsky (Dnevnik, 1890, 174) attribue aux Ousouns trois crânes retirés du lac Issyk-koul, près Sémiretchensk, dont les données sont : indices céphaliques 80.7 ; 78.6 ; 82.9 ; indices nasaux 47 ; 52.4 ; 48.9 ; diamètres bizygomatiques 115, 116, 121 millim., distances interorbitaires 22, 23, 27 mill. L’attribution est très incertaine. Talko Hryncewicz (O tcheloviéctcheskikh kostiak paiden. v okrest, slob, Oust-Kiakta, Irkoutsk, 1893) décrit deux crânes de Kiakta, dans la même région, datant de la fin de l’âge du cuivre sibérien, peu antérieure à notre ère. Ils sont identiques à ceux des Kourganes russes de l’époque scythique. Indices 73.2, 73.5.
- ↑ Jordanes, Historia Gothorum, XXXV, le décrit ainsi : « Forma brevis, lato pectore, capite grandiori, minutis oculis, rarus barba, canis aspersus, simo naso, teter colore, originis suæ signa restituens. »
- ↑ Sommier (Siremi, Ostiacchi e Samoiedi dell’Ob, Archiv. per l’Antropologia, 1887, XVII) donne les chiffres suivants. Zirianes, taille des hommes 1 m 64, des femmes 1.54 ; yeux clairs, 10% seulement de foncés et moyens ; cheveux, clairs, mais 35% de moyens et foncés ; moyen de 24 hommes 82.44, de 13 femmes 83.28. Ostiaks de l’Obi, taille 1.56 et 1.44, 13% seulement de blonds, 38 de bruns ; indices 79.28 et 79.01. Ces deux peuples sont profondément mélangés de Samoyèdes. Les tribus les plus pures sont plus claires et plus dolichoïdes. Les Vogouls, moins mélangés, sont en majorité clairs, avec un indice de 78. De même chez les Bachkirs, où suivant les tribus l’indice varie de 80 à 84. Les Turcomans purs ont des indices encore moins élevés. Jaworski (Anthropologische Skizzen der Turkmenem, Arb. der Anthr. Ges. der militar-medizinischen Akademie, 1897, II, 145-206), a trouvé sur 59 Turcomans, presque tous Tekès, les mesures suivantes : longueur du crâne 193, largeur 140, indice 75.64 (de 68.77 à 81.78), circonférence horizontale 548 : taille moyenne 1.67 (de 1.57 à 1.93). Un voit que les indices élevés des Turcs sont dus au croisement avec les brachycéphales du Caucase, de l’Arménie et de l’Asie-Mineure. Dans toutes les populations finno-ougriennes d’Asie, on trouve dans les sériations un lot marqué d’éléments dolichocéphales blonds. En Europe les Tchoudes, les Estes, les Lives ont pour indices 79 à 80, suivant les localités. Les divers groupes des Finlandais, mêlés de Lapons, ont des indices un peu plus élevés. Voir les cartes de l’indice céphalique en Russie, dans Ripley, The racial geography of Europe, Pop. Science Monthly, 1898. LIII, p. 740 et en face de la page p. 724.
- ↑ Les Égyptiens, lors des grandes campagnes en Asie, vers 1700, rencontrèrent sur l’Euphrate un royaume de Mitani, dont dépendait Ninive. Les Assyriens ne s’étendaient pas encore jusque-là. Le roi Dusratta donna, vers 1450, sa fille Tadushipa en mariage à Aménophis III. Les archives diplomatiques de Tel-el-Amarna nous ont conservé la correspondance relative à ce mariage, et la liste des objets constituant la dot de la princesse. On y trouve de nombreux mots de la langue du Mitani, que l’on regarde comme aryenne. Ces documents seraient les plus anciens monuments connus des langues aryennes. Je n’y vois pas beaucoup plus d’éléments aryens que dans l’assyrien, on tout cas rien d’analogue au zend ou au sanscrit.
Le royaume du Mitani fut détruit peu après. Les campagnes des sârs assyriens nous montrent dans les montagnes à l’est de l’Assyrie et dans la Haute-Babylonie des Matiens, qui sont peut-être les restes de ce peuple, et que l’on a cherché à rattacher aux Mèdes. Une fraction de Matiens habitait aussi sur l’Halys, en Asie-Mineure.
Quant aux Mèdes, il en existait une tribu en Macédoine. Les Vénètes se prétendaient d’origine mède. On en disait autant des Sigynnes. Faut-il voir dans ces tribus des Mèdes attardés en Europe, ou au contraire des fractions revenues d’Asie, analogues aux Perses et aux Arméniens qui auraient colonisé le Maroc ?
Mon regretté maître Amiaud pensait que le déplacement des Perses a eu lieu du temps de Sargon, sous la conduite d’Achéménés (Cyrus, roi de Perse, Mélanges Rénier, 242-260).
J’ai recueilli et traduit tous les textes relatifs aux peuples aryens avec lesquels les Babyloniens et les Assyriens ont été en contact. On trouvera en appendice les parties essenticlles de ces textes. L’édition dont je me suis servi est celle de la Keilinschriftliche Bibliothek. - ↑ Ammien Marcellin, Res gestae, XXIII, 6, décrit ainsi les Perses de son temps : « Graciles pœne sunt omnes, subnigri vel livido colore patientes, caprinis oculis, torvi et superciliis in semiorbium speciem curvatis junctisque, non indecoribus barbis, capillisque promissis hirsuti. » Ces Perses ne ressemblaient pas plus aux Achéménides que les Français ne ressemblent aux Francs et aux Gaulois. Le portrait convient en revanche aux Persans modernes.
- ↑ Voyez Sayce, The white race of Palestine, Nature, 2 Aug. 1888. Petrie a publié une iconographie des races d’apres les monuments égyptiens, à laquelle il est utile de se référer.
- ↑ Faidherbe a publié autrefois (Recherches anthropologiques sur les tombeaux mégalithiques de Roknia, Bône, 1866) le résultat des fouilles de 14 dolmens de Roknia. Dix-huit crânes ont donné une moyenne de 75, mais des trois indices les plus élevés de la série, un à 79, un à 80, sont féminins, ils paraissent appartenir à une autre race ; un autre à 81 est de sexe douteux. Les os longs féminins accusent une taille de 1.55, les masculins en indiquent une de 1.74. Ces tailles avaient été calculées d’après les tableaux d’Orfila, dont usent les médecins légistes, mais qui ne valent rien. Il faudrait reprendre le travail.
On n’a, je crois, publié aucune série depuis celle de Faidherbe, mais en revanche on a beaucoup pillé. Il est vraiment regrettable que les fouilles nombreuses faites dans les dolmens algériens, aujourd’hui détruits pour la plupart, n’aient pas été plus fructueuses pour l’anthropologie. Sur ce terrain si riche, quand les explorateurs sérieux viendront, il ne restera qu’à glaner dans les localités ravagées par les archéologues amateurs.
Les pièces de Roknia proviennent-elles des Maxyes, des Lebous, nous ne pouvons le savoir. Le type dominant est en tout cas Europæus, et d’autre part il est bien certain que les anciens indigènes blonds, Tamehous, ont reçu un renfort de tribus venues d’Europe vers le vingtième siècle ou un peu avant. C’est à partir de ce moment qu’au terme général Tamehous se substituent de nombreux noms de tribus. - ↑ Le tombeau de Ménès à Négadah et ceux de plusieurs autres souverains des premières dynasties portaient les traces d’un violent incendie qui avait détruit les parties en bois, les offrandes et le corps. Comme les tombeaux particuliers de la même époque ne montrent aucune trace de crémation, on pense qu’il ne s’agit pas d’un rite, mais d’une précaution prise contre l’avidité des spoliateurs. Amélineau attribue d’ailleurs cet incendie aux moines d’un couvent voisin, qui ont laissé des graffiti en copte sur les murs.
Certains souverains de l’Assyrie et de la Chaldée ont voulu être brûlés dans leurs palais, avec toutes leurs richesses. On a trouvé aussi, dans la nécropole de Mughéir et ailleurs, des tombes où le corps et les objets qui l’accompagnaient portaient les traces du feu. Dans ces derniers cas, il n’est pas probable qu’il s’agisse de fidèles d’un culte dissident. La raison de la crémation est peut-être une précaution d’hygiène, prise en temps d’épidémie. Le mode rituel des funérailles comportait l’inhumation, même après crémation, et on ne se servait pas d’urnes.
On peut donc dire que chez les nations du Nil et de l’Euphrate la crémation n’a jamais été qu’une mesure individuelle, prise dans des cas très exceptionnels, et sans caractère religieux. La crémation, chez les peuples d’Europe, était au contraire un rite religieux. Tandis que les Orientaux cherchaient par tous les moyens, et surtout par l’embaumement, à défendre le corps contre la destruction, les Occidentaux regardaient sa destruction comme indispensable pour rendre à l’âme son entière indépendance. C’est pourquoi les corps étaient entièrement incinérés, tandis que les Chaldéens, dans le cas de crémation, se contentaient de détruire les chairs, laissant les os à peu près intacts et encore rattachés par les restes des parties molles. On inhumait ensuite le squelette décharné par le feu. - ↑ L’Histoire de Maspero, mine précieuse de renseignements souvent en désordre et dépourvus d’index, est illustrée de figures faites avec soin. Je signalerai dans le t. II les portraits ethniques suivants : Amourrous, 147, Lebous 431, Libyen noir 461, Poulasati 462, 463, 699, 701, chef Shagalasha 465, un Zakkala très Europæus 698, le prince Khati de type brachycéphale 474, des Syriens du nord, type brachycéphale arménien, 146, des Hittites du même type 353. V. aussi Crania ethnica, p. 151.
- ↑ Dans un travail fait avec grand soin, et accompagné d’un atlas très pratique, le prof. Pullè a réuni tous les renseignements utiles sur les peuples de l’Italie ancienne, et aussi tout ce qu’il faut savoir de l’anthropologie physique et sociale de l’Italie actuelle (Profilo anthropologico dell’Italia, Firenze, Landi, 1898). Ce travail très bien fait renferme la substance des travaux de Pauli, de Sergi et de beaucoup d’autres, et il trouve le moyen d’avoir en outre son originalité propre.
- ↑ Commentaire d’Eusthate sur Denys le Periégète, v. 285 : « Οἱ Γερμανοί… γνήσιοι Γαλάταις, οἷς ἐοίκασιν ἐν μορφαῖς καὶ βίοις καὶ ἧθεσι, πλεονάζοντες μόνον ἀχοιότητι μεγέθει τε καὶ ξανθότητι… »
Strabon, VI, I, 2 : « Γερμανοί… μικρὸν ἐξαλλάττουτες τοῦ Κελτικοῦ φύλου τῳ τε πλεονασμῷ τῆς ἀγριότητος καὶ τοῦ μεγέθους καὶ τῆς ξανθότητος, τἆλλα δὲ παραπλήσιοι καὶ μορφαῖς καὶ ἤθεσι καὶ βίοις ὄντες…… ». Ce passage se retrouve avec quelques changements de mots dans les Chrestomathies, épitome de Strabon fait par un Grec du vie siècle. Le même auteur (iv, v. 2), dit des Bretons : « Οἱ δὲ ἄνδρες εὐμηκέστεροι τῶν Κελτῶν εἰσι, καὶ ἦσσον ξανθότριχες, χαυνότεροι δὲ τοῖς σώμασι. »
Timagène, auteur grec du ier siècle av. J.-C., fragments conservés en traduction dans le xve livre d’Ammien Marcellin, § 12 : « Celsioris staturæ et candidi pæne Galli sunt omnes, et rutili, luminumque torvitate terribiles, avidi jurgiorum, et sublatius insolescentes. Nec enim eorum quemquam adhibita uxore rixantem, multo fortiore et glauca, peregrinorum ferre potuerit globus : tum maxime cum illa inflata cervice suffrendens, ponderansque niveas ulnas et vastas, admistis calcibus emittere coeperit pugnos, ut catapultas tortilibus nervis excussas. Metuendæ voces complurium et minaces, placatorum juxta et irascentium : tersi tamen pari diligentia cuncti et mundi… Ad militandum omnis ætes aptissima, et pari pectoris robore senex ad procinctum ducitur et adultus, gelu duratis artubus et labore adsiduo, multa contempturus et formidanda… Vini avidum genus, adfectam ad vini similitudinem multiplices potus ; et inter eos humiles quidam obtusis ebrietate continua sensibus… raptantur discursibus vagis. »
Diodore, v, 28 : « Οἱ δὲ Γαλάται τοῖς μὲν σώμασίν εἰσιν εὐμήκεις, ταῖς δὲ σαρξί κάθυγροι καὶ λευκοί, ταῖς δὲ κόμαις οὐ μόνον ἐκ φύσεως ξανθοί, ἀλλὰ καὶ διὰ τῆς κατασκευῆς ἐπιτηδεύουσιν αὔξειν τὴν φυσικὴν τῆς κρόας ἰδιότητα, v. 23 : τὰ δὲ παιδία παρ’ αὐτοῖς ἐκ γενετῆς ὑπάρχει πολιὰ κατὰ τό πλεῖστον· προβαίνοντα δὲ ταῖς ἡλικίαις εἰς τὸ τῶν πατέρων χρῶμα ταῖς χρόαις μετασχηματίζεται »
Dion, dans son livre LXII (2), dont nous n’avons que l’abrégé de Xiphilin, décrit ainsi la reine bretonne Boadicea : « Ἦν δὲ καὶ τὸ σῶμα μεγίστη καὶ τὸ εἶδος βλοσυρωτάτη, τό τε βλέμμα δριμυτάτη, καὶ τὸ φθέγμα τραχῦ εἶχε, τὴν δὲ κόμην πλείστην τε καὶ ξανθοτάτην οὖσαν μέχρι τῶν γλουτῶν καθεῖτο. »
J’ai déjà transcrit deux textes du Περὶ κράτεων de Galien, p. 78 et 252. On peut y joindre ce passage du commentaire sur le iiie livre des Épidémies d’Hippocrate : « Παρατιθέντες γοῦν τά τε βρέφη καὶ Κελτοὺς καὶ Γερμανούς, ὑγροτέρους μὲν ὄντας ὁμολογουμένως τῇ κράσει, ψυχροτέρους δ’οὐκέθ’ὁμολογουμένως »
J’ai également reproduit p. 262, un texte de Clément d’Alexandrie.
Les textes latins sont très nombreux.
Virgile, Æn., VIII, 659 :« Aurea cæsaries ollis atque aurea vestis,
Virgatis lucent sagulis ; tum lactea colla
Auro innectuntur ; duo quisque alpina corruscant
Gæsa manu, scutis protecti corpora longis. »
Tibulle, I, 7, 12 :« Carnuti et flavi cærula lympha Liger. »
Silius Italicus, Pun., IV, 200 :« Obcumbit Sarmens, flavam qui ponere victor
Cæsariem crinemque tibi, Gradive, vovebat,
Auro certantem et rutilum sub vertice nodum. »
Tive-Live, XXXVIII, 17 : « Procera corpora, promissæ et rutilatæ comæ ; … mollia corpora, molles ubi ira consedit animos, sol, pulvis, sitis, ut ferrum non admoveas, prosternunt . »
Claudien, Stil, II :« Tum flava repexo Gallia crine ferox. »
Manilius, Astron., IV, 714 :« Gallia vicino minus est infecta rubore. »
Lucain, Ph., I, 402 :« Solvuntur flavi longa stalione Puteni. »
— III, 77 :
« Celsos ut Gallia currus
Nobilis et flavis sequeretur mixta Britannis. »
Tacite, Ag., XI :« Rutilæ Caledoniam habitantium comæ. »
Jordanes, Hist. Goth., II : « Sylorum colorati vultus, torto plerique et nigro nascuntur, Caledoniam vero incolentibus rutilæ comæ, corpora magna sed fiuida, qui Gallis sive Hispanis a quibusque attenduntur assimiles. Unde conjectavere nonnulli quod ea ex his accolas continuo vocatos acceperit. »
Tertullien, De cultu femineo : « Video quasdam et capillum croco vertere. Pudet eas etiam nationis suæ, quod non Germanæ aut Gallæ sint procreatæ : ita patriam capilli transferunt. » - ↑
Avienus, Descript. orbis, 418 : « Flavaque cæsariem Germania… ».
Lucain, II. 51 : « Fundat ab extremo flavos aquilone Suevos Albis ».
Claudien, VIII, 446 : « Ante ducem nostrum flavam sparsere Sicambri Cæsariem ». XXIV, 18 : « Mine flaventes Sicambri Cæsarie, nigris hinc Mauri crinibus irent ». XXVI, 419 : « Agmina quinetiam flavis objecta Sicambris ». XXI, 37 : « Nec fida Valenti dextera duxisset rutilantes crinibus aras ». Auxiliaires germains. XXI, 202 : « Ingentia quondam Nomina, crinigero flaventes vertice reges ». Rois germains vaincus. VIII, 53 : « Quum geticis ingens premeretur Mysia plaustris ». Goths envahisseurs. XXXV, 65 : « Seu flavos stravere Getas ».
Tacite, Germ., IV, 5 : « Truces et cœrulei oculi, rutilæ comæ, magna corpora ».
Ovide, Am., I, 14 145 : « Nunc tibi captivos mittit Germania crines… 48 dices… 49 nescio quam, pro me laudat nunc iste Sicambram ».
Silius Italicus, Punica, III, 608 : « Jam puer auricomo formidate Batavo ».
Martial, VI, 60, 3 : « Sic leve flavorum valeat genus Usipiorum ».
Horace, Ep., 16, 7 : « Nec fera cærulea domuit Germania pube ».
Juvénal, XI II, 164 : « Cærula si quis stupuit Germani lumina, Flavam cæsariem ».
Calpurnius Flaccus, Decl., II : « Rutili sunt Germaniæ vultus et flava proceritas ».
Sidoine Apollinaire, Pan. Aviti, 42 : « Flavis in pocula fracti Sicambris ». VIII, 9 : « Istic Saxona Cærulum videmus ». Pan. Majoriani, 220 : « Nubebat flavo similis nova nupta marito ». Pan. Major., 75 : « Rutili quibus arce cerebri ad frontem coma tract a jacet… turn lumine glauco Albet aquosa acies ».
Priscos de Panium, Ιστ. Βυζ., XVI : « Ὄν κατὰ τὴν Ρώμην εἴδομεν πρεσβευόμενον, μήπω ἐούλον ἀρχόμενον, ξαυθὸν τὴν κόμην τοῖς αὐτοῦ περικεχυμένην διὰ μέγεθος ὤμοις ». Un prince franc.
Procope, De bello Vandalico, 1, 2 : « Γοτθικὰ ἔθνη… μέγιστα καὶ ἀξιολογώτατα. Γότθοι τέ εἰσι καὶ Βανδίλοι καὶ Οὐεσίγοτθοι καὶ Γήπαιδες. Πάλαι μέντοι Σαυρομάται καὶ Μελάγχλαινοι ὠνομάζοντο. Εἰσὶ δὲ οἱ καὶ Γετικὰ ἔθνη ταῦτ' ἐκάλουν. Οὔτοι ἄπαντες ὀνόμασι μὲν ἀλλήλων διαφέρουσιν, ὥσπερ εἴρηται, ἄλλῳ δὲ τῶν πάντων οὐδενὶ διαλλάσσουσι. Λευκοὶ γὰρ ἄπαντες τὰ σώματα τέ εἰσι καὶ τὰς κόμας ξανθοὶ, εὐμήκεις τε καὶ ἀγαθοὶ τὰς ὄψεις, καὶ νόμοις μὲν τοῖς αὐτοῖς χρῶνται, ὁμοίως δὲ τὰ ἐς τὸν θεόν αὐτοῖς ἤσκηται ».
Les textes mérovingiens, carolingiens et germaniques sont nombreux. Je ne les citerai pas, mais je ferai exception pour un très curieux passage de la Rigsthula, un des plus anciens poèmes islandais, qui fait partie de l’Edda de Saemund. Ce texte contient une ethnogénie des peuples du nord qui est très voisine de ce que nous arrivons à constater par l’anthropologie. Il exprime très bien la succession des époques (Edda, Amma, Modir, l’ancienne, la grand’mère, la mère) et des races (Thrael, Karl, Jarl, l’esclave, l’homme, le noble). Fustel de Coulanges (Invasion germanique, 271) a reproduit une traduction latine très libre de ce passage. Le texte que je donne est celui du Corpus poeticum boreale (Oxford, Clarendon Press, 1883), I, p. 235 et suivantes.
Le dieu Rig descend trois fois sur la terre, et féconde trois mortelles de chacune desquelles sort une race supérieure à la précédente.
« 22 Iod ol Edda, ioso vatni… hævi svartan, heto Thrael… vas thar a hændom hrokkit skinn, kropnir knuar… fingr digrir, fulligt andlit, lotr hryggr, langir hælar. Nam hann meir at that magns at kosta, bast at binda, byrdar goerva, bar hann heim at that hris gcrstan dag… 77 Iod ol Amma, ioso vatni ; kællodo Karl… raudan ok riodan, ridodo augo… œxn nam at temja, ardr at gærva, hus at timbra, hlœdor at smida, karta at gærva, ok keyra plog… 130 Svein ol Modir, silki valdi, ioso vatni, Iarl leto heita. Bleikt var har, biartir vangar ; ætul varo augo sem yrmlingi… lind nam at skelfa, leggja strengi, aim at beygja, œrvar skopta, flein at fleygja, frækkov dyja, bestom rida, hunom verpa, sverdom bregda, sund at fremga. »
Je traduis :
« 22 Edda accoucha d’un garcon, le purifia avec de l’eau… à cause de sa peau brune on l’appela Thrael… La peau de ses mains était rugueuse, les jointures fléchies, les doigts épais, la face laide, la taille épaisse, les talons longs. Il commença à déployer sa force, enlevant des bandes d’écorce, faisant des liens et apportant des fagots à la maison à fatigantes journées… 22 Amma accoucha d’un garcon, le purifia avec de l’eau. Elle l’appela Karl… Il était roux et rubicond, ses yeux mobiles… Il commença à dompter les bœufs, à construire des cbarrues, à faire des charpentes de maison, construire des granges, des chariots, conduire la charrue… 130 Modir accoucha d’un fils, l’essuya avec de la soie, le purifia avec de l’eau, et l’appela Iarl. Sa chevelure était blonde, ses joues vermeilles, ses yeux vifs comme ceux d’un jeune serpent… il se mit à tailler un bouclier de tilleul, fixer une corde à un arc, le bander, emmancher des flèches, lancer la javeline, manier la lance, monter à cheval, manier l’épée et à nager. »
Karl, fils à la troisième puissance du dieu, fut père de Kin, qui inventa les sciences, les arts et les lettres.
Tous les enfants de Thrael, Karl et Iarl ont des noms significatifs. Je renvoie au texte pour ces listes assez longues. - ↑ Les travaux de M. Fouillée meritent une mention spéciale. L’auteur s’est placé sur le bon terrain, sa notion de race est celle de la race zoologique. Il s’est assimilé, avec une facilité remarquable, les résultats les plus récents de l’anthropologie pure et appliquée. On peut lui reprocher quelques erreurs et des confusions, mais la faute en est le plus souvent au changement de sens des mots. Ainsi il regarde les Irlandais et autres peuples de langue celtique comme brachycéphales, parce que Broca, jadis, avait appelé celto-slave la race brachycéphale. Il demande pourquoi le nègre, dolichocéphale, n’est pas supérieur comme le dolicho-blond, oubliant que la supériorité du dernier tient à sa race, dont elle est un caractère comme la dolichocéphalie même, et n’est pas l’effet de cette dolichocéphalie, qui sert seulement de critérium dans l’analyse clinique où il faut se servir d’éléments appréciables par l’œil et les instrument Voyez Psychologie du peuple français, Paris, Alcan, 1898 ; Le peuple grec, esquisse psychologique, R. des Deux-Mondes, 1898, cxlvii ; 46-76.
Voyez aussi Le Bon : Les lois psychologiques de l’évolution des peuples, Paris, Alcan, 1894 ; Psychologie des foules, 3e éd., Paris, Alcan, 1898. - ↑ Les Romains ont fait un jeu de mots sur gallus (coq), et Gallus (gaulois). C’était une allusion injurieuse à la fanfaronnade des Gaulois. Par une méprise singulière, le Gouvernement de juillet a été amené à faire du coq un emblème national. L’oiseau sacré des Gaulois était le corbeau. Piètre emblème de décadence que le roi du fumier, fanfaron devant ses poules, et qui fuit bec ouvert et tête basse, volaille apeurée, devant le balai d’une fille de ferme.
- ↑ Même en matière ordinaire, il est bien rare que les tribunaux ne répriment pas la résistance à une tentative illégale d’arrestation. La police et la gendarmerie sont sacrées, même quand l’acte auquel elles se livrent est qualifié crime ou délit. Je dois dire que j’ai vu un exemple du contraire et après vingt ans j’en reste frappé. Instruisant à Chambon pour une affaire de vol de bois, j’envoyai quérir par un gendarme l’auteur du délit, une robuste Marchoise qui refusa de suivre. Le gendarme insista, employa la force, fut rossé, son uniforme mis en lambeaux. Je poursuivis, suivant l’usage. Le Tribunal, par un jugement bien motivé, acquitta la prévenue, déclarant qu’elle avait agi dans la plénitude de ses droits repoussant une main mise qui constituait elle-même une infraction. L’honnête homme qui rédigea ce jugement se nommait Desvergnes-Lafont-Faye, et de toute évidence ne visait pas un grand avancement. Il fut d’ailleurs mis à la retraite peu après, quand Martin-Feuillée, de fâcheuse mémoire, reconstruisit la magistrature avec des éléments qui, hélas !, n’ont pas montré de docilité qu’en matière politique.
- ↑ Si l’on ne se paie point de fictions, il faut bien admettre que la reconnaissance des droits de la nation, — chez nous, ailleurs et en tout temps, — avait pour cause la crainte de l’émeute. Les lumières de la philosophie n’auraient pas suffi à convaincre les hommes d’État. La reconnaissance des droits du peuple fut motivée aux yeux des gouvernants moins par une très parfaite certitude de leur existence que par la nécessité d’un compromis avec une force considérable, et même irrésistible. En politique, pas plus qu’ailleurs, il n’y a de droits en soi, mais des forces avec lesquelles on transige, et l’émeute était une force.
Aujourd’hui la situation a changé dans tous les grands États. Le peuple ne peut guère contre le pouvoir. Avec les balles qui traversent les murs comme des feuilles de carton et les centaines de mille hommes que tout gouvernement respectable peut aligner dans les trois jours, il n’y a plus d’égalité entre l’émeute et l’armée. Il n’y a plus de barricades possibles aujourd’hui. Les trente mille cadavres de la Commune l’avaient déjà montré, que serait-ce aujourd’hui ?
Les rapports politiques entre les peuples et les pouvoirs ne sont donc pas appelés à rester longtemps ce qu’ils sont. Ironie ! Ce sont les progrès de la science qui les vont changer ! Il est trop humain que les pouvoirs abusent de la situation nouvelle. L’armée est aujourd’hui la protectrice, le rempart de la ploutocratie. C’est à peu près sa fonction unique, et depuis trente ans la nôtre n’a gagné en Europe qu’une bataille, celle de Fourmies : maigres lauriers d’ailleurs auprès de ceux que l’armée italienne a conquis à Milan. Et peu à peu, au lieu des régiments qui connaissent le peuple, puisqu’ils en sortent, les gouvernements seront amenés à employer en première ligne les régiments noirs et jaunes, dont on voit poindre les avant-gardes.
Nous marchons vers des temps très durs, vers une époque d’autorité abusive et souvent incohérente, exercée ici par l’exécutif et là par les Parlements, ailleurs encore par chacun des pouvoirs à son tour. Cela n’implique d’ailleurs en rien l’avènement de la monarchie dans les pays qui sous la forme républicaine, et surtout en France. Quand le chêne vermoulu a été arraché par la tempête, quand il a séché pendant un siècle sur le sol, vouloir le remettre debout, espérer faire sortir de puissantes frondaisons de ce cadavre, c’est de la folie pure. Nous allons vers des choses inconnues, différentes du présent, différentes du passé, mais non vers la liberté. Venise et la Bolivie, exemples très différents, peuvent servir à montrer que république n’est pas nécessairement synonyme de liberté ou de progrès. L’irresponsabilité de fait des gouvernements anonymes est propice au développement de la tyrannie. - ↑ A quoi tient la supériorité des Anglo-Saxons. Paris, Didot, 1897.
- ↑ Je n’ai donné dans Les lois fondamentales qu’un résumé très court des corrélations économiques de l’indice céphalique, et je suis encore plus bref ici. J’engage le lecteur à se reporter au mémoire spécial que j’ai consacré à cette question. Il contient une quantité de faits suggestifs et des tableaux considérables (Corrélations financières de l’indice céphalique, R. d’Éc. politique, 1897, XI, 257-279).
- ↑ Voyez sur ce point Matériaux pour l’Anthropologie de l’Aveyron, Bull., XXI, 1898, p. 30, tir. à part 47-48. On suit très bien au-delà, des limites du département, sur les cartes de la Lozère et de la Haute-Loire et sur celle de l’Ardèche, dressées à l’aide de mes matériaux et de ceux de M. Bourdin.
J’ai aussi montré, dans Mat. pour l’Anthr. de l’Hérault, une disposition analogue. Pour l’Europe, on peut suivre à l’aide des cartes de Ripley mais l’échelle en est insuffisante. - ↑ J’ai repris depuis l’étude de l’Aveyron, en collaboration avec Durand de Gros, dans Mat. pour l’Anthr. de l’Aveyron. Dans le canton de Rodez, les conscrits, presque tous paysans, de la commune chef-lieu, ont pour indice 86.73, ceux des communes suburbaines ont exactement le même indice, à deux centièmes près, 86.71, mais les communes éloignées sont bien plus brachycéphales, 87.71. Dans le canton de Villefranche, le chef-lieu, conscrits presque tous paysans, donne 85.96, les communes purement rurales 86.98.
- ↑ Études d’Anthroposociologie, Écoliers et paysans de Saint-Brieuc, Rev. int. de Soc., 1897. Muffang a trouvé pour indice de 10 lycéens briochins de père et mère 82.3, de 100 écoliers de l’école laïque 84.3, et de séries de paysans des communes rurales de canton, ensemble cent sujets, 83.0 à 80.2. Le canton nord de Saint-Brieuc, en partie urbain, est moins brachycéphale que le canton sud, qui est rural : Collignon 85.10, 86 05, Muffang 84.74, 83.49. Les premiers calculs pour Rennes me donnent les résultats suivants : 140 fils d’urbains 187, 156, 82.9 ; 50 conscrits issus parents originaires l’un de la commune de Rennes, l’autre d’une commune rurale du canton 187, 154, 82.6 ; 100 conscrits ruraux du canton, parents d’une même commune 84.0.
- ↑ Je résume les résultats définitifs publiés par Ammon dans le ch. XIII de l’Anthropologie der Badener. Il a été mesuré 865 urbains d’origine et 324 immigrés de la campagne dans les 91 petites villes, 366 urbains et 546 immigrés dans les 9 grandes villes. La proportion de sujets grands (70 et au-dessus) a été de 23.5% chez les ruraux, 23.1 et 23.4 chez les immigrés des petites et des grandes villes, 23.0 et 26.7 chez les urbains des petites et des grandes villes. La proportion croit des ruraux aux urbains des grandes villes. La proportion des dolichocéphales a été : ruraux 10.8 ; immigrés, petites villes 14.2, grandes villes 12.2 ; urbains, petites villes 14.5, grandes villes 23.3. Celle des brachycéphales a été, dans les mêmes catégories 40.3, 41.7, 34.5, 33.5, 22.7. La proportion des dolichocéphales va donc en croissant des ruraux aux urbains des grandes villes, et celle des brachycéphales en décroissant. L’indice a été pour les ruraux 84,l, les immigrés des petites villes 83.0, des grandes villes 83.3, les urbains des petites villes 83.3, des grandes villes 82.3. Les dimensions absolues ont été, longueur, ruraux 182, immigrés, petites villes 183, grandes villes 183, urbains, petites villes 183, grandes villes 185, les largeurs 153, 153, 153, 153, 152. Les longueurs vont donc en augmentant, et les largeurs en diminuant, des ruraux aux urbains des grandes villes, et le volume augmente avec la longueur, la réduction des largeurs étant très faible.
Les proportions d’yeux bleus, dans le même ordre, sont 41.3, 37.0, 39.0, 40.2, 42.1, celles d’yeux bruns 12.6, 14.8, 13.6, 14.8, 14.5. Les proportions des cheveux blonds et noirs sont 41.6, 38.0, 34.8, 43.9, 33.6, et 18.0, 16.6, 25.1, 15.8, 28.1. Je renvoie pour les détails à l’œuvre monumentale d’Ammon. La distinction entre urbains fils d’immigrés et urbains fils d’urbains est traitée au chapitre XIV. Le livre d’Ammon est le modèle auquel on devra se conformer désormais dans les recherches de ce genre, et dépasse de beaucoup les grandes statistiques du ministère de la guerre italien dirigées et publiées par Livi. Ces dernières ont été faites avant que les recherches d’anthroposociologie fussent assez avancées, et par suite ne comportent pas toutes les distinctions nécessaires. - ↑ Je renvoie, pour ce qui concerne l’Italie, aux éditions américaine et italienne des Lois fondamentales. On y trouvera des tableaux très complets, que je ne juge pas à propos de reproduire. Le présent ouvrage ayant pour objet Europæus, je n’ai pas à insister sur ce qui concerne les régions où il ne joue qu’un rôle très accessoire.
- ↑ Ainsi le travail de Elkind, Die Weichsel-Polen, Moskau, 1896. L’auteur a mesuré 375 ouvriers de fabrique à Varsovie, l’indice est pour 226 hommes 80.85, pour 149 femmes 81.35. À cette population urbaine d’habitat, sinon d’origine, vivante et contemporaine, il compare 42 crânes polonais d’anciens cimetières ruraux, et une autre série de 27 crânes des xvie et xviie siècles. Les indices sont 80.5 et 81.3, c’est-à-dire l’équivalent de 82 environ sur le vivant. Il s’agit de savoir si la différence est due à la loi des populations urbaines, ou si l’indice a baissé. La dernière hypothèse est contraire à une loi générale, mais qui comporte des exceptions, ainsi pour l’Alsace, où l’indice semble diminuer depuis deux ou trois siècles.
- ↑ Il n’a pas été publié, à ma connaissance, d’autres séries de migrateurs que les miennes, du moins pour la France, mais j’ai reçu de M. Bertillon un document très important. C’est la photographie d’une carte de l’indice céphalique dressée par lui, à l’aide d’individus de toutes provenances mesurés à Paris, c’est-à-dire tous migrateurs, sauf les Parisiens. On ne peut exactement comparer cette carte à celle de Collignon, en les considérant comme types l’une de la population déracinée des départements, l’autre de la population normale. La carte de M. Bertillon est dressée exclusivement d’après les fiches des malfaiteurs ou supposés tels mesurés dans son service à la Préfecture de police, et les longueurs sont, suivant la méthode du service anthropométrique, mesurées de la racine du nez, au lieu de l’être de la glabelle. Les sujets sont donc d’une catégorie très spéciale et ne représentent pas la moyenne des émigrants de chaque département à Paris, et d’autre part l’indice est constamment relevé, d’une quantité inconnue, par l’emploi d’une longueur qui n’est pas maxima.
La moyenne trouvée par M. Bertillon est 83.8, supérieure de 0,2 à celle admise par Collignon. Il attribue à la Suisse celle de 84.6. Les différences sont très faibles pour les départements. Cependant pour quelques-uns l’écart s’élève jusqu’à deux unités. D’une manière générale tous les départements de la moitié nord sont un peu plus brachycéphales. - ↑ Il faut bien s’entendre. Les départements très brachycéphales reçoivent peu d’immigrants et ne voient pas baisser leur indice. J’ai montré pour l’Aveyron qu’il s’élève au contraire. Ce sont les départements dolichocéphales qui deviennent rapidement brachycéphales par immigration. Cela s’est produit d’une manière définitive pour la région à basse natalité du bassin gascon. Dans l’Hérault, le Gard, la Normandie, la marche de l’indice est incroyablement rapide. La moyenne nationale ira sans cesse en s’élevant au dessus de 83, et les départements les moins brachycéphales dépasseront tour à tour cette moyenne, en marche vers celle des départements actuellement les plus brachycéphales. Il n’y aura donc pas dans l’avenir de péréquation réelle, mais un relèvement général et continu, plus fort dans les régions moins brachycéphales, et qui entraînera une moindre inégalité. Tout cela, bien entendu, sous la réserve qu’il n’y aura pas immigration et développement d’éléments étrangers, dolicho-blonds ou juifs.
- ↑ Les 61 interdépartementaux du Midi dont il est question dans Sélections sociales, p. 380, et Fundamental laws, p. 82, ont pour indice 81.0 au lieu de 82.9, moyenne des moyennes départementales.
Le tableau relatif aux paysans de Hédé, cantonaux et intercantonaux, p. 379 des Sélections, est inexact. Le typographe a affecté les chiffres des cantonaux aux intercantonaux et réciproquement. J’ai fait la correction dans les Lois fondamentales. - ↑ M. Verneau, dans son compte-rendu (Anthropologie, 1890, 592), met en doute l’existence affirmée par Chalumeau de la loi que « plus une classe sociale est élevée, plus elle compte de hautes tailles ». Le critique parait regarder les résultats de Chalumeau comme accidentels et isolés. Il oublie les travaux de Beddoe, de Quételet, d’Ammon, de Livi et de tant d’autres, à moins qu’il ne préfère ne pas en tenir compte. C’est ainsi que dans ses Races humaines de la collection Brehm, il a fait le silence sur les résultats obtenus par l’anthropologie depuis quarante ans, c’est-à-dire depuis que Broca l’a fait entrer dans la phase scientifique. Quatrefages est mort avec la pieuse illusion d’avoir anéanti le darwinisme, auquel il avait simplement rendu le service de le débarrasser d’un certain nombre de propositions douteuses. Contre les progrès d’une science hérétique, son disciple préfère-t-il employer l’éteignoir ? C’est reprendre un procédé traditionnel de l’Église, qui n’a jamais réussi.
- ↑ Le mot démocratie fait bien, il plaît au peuple : Demos aime toujours à être flatté. La chose est plus rare. Le gouvernement direct par le peuple, la seule vraie démocratie, n’est possible que dans un territoire très restreint, dont les affaires sont locales, et suppose une certaine aptitude de tous avec une grande égalité d’intérêts. Quand les affaires sont nombreuses, il n’y a plus de démocratie possible qu’entre aristocrates, comme à Athènes. Il faut alors une classe esclave qui travaille, pendant que l’homme libre vit sur la place publique. Aussi n’avons-nous guère chez les peuples modernes, sans esclaves et trop grands, que le nom de la démocratie. Dans le Referendum suisse, on en trouve une trace, mais je crois que le Referendum serait d’application difficile chez les nations plus grandes, en France, en Allemagne. Il pourrait cependant intervenir peut-être dans les affaires municipales. Sous l’Empire, le plébiscite était une institution du même ordre, mais d’application très limitée et faussée. Il n’a pas donné de brillants résultats. Pour ne pas renoncer au mot, on baptise démocratie un régime qui n’a rien de commun avec la démocratie, sauf le nom. On entend souvent par là un régime où le pouvoir est censé être exercé par la plèbe, ou pour la plèbe. En réalité la plèbe, pas plus que la classe instruite, ne joue un rôle actif dans le choix des représentants. Ceux-ci sont, en réalité, désignés par des oligarchies sans mandat, et gouvernent dans l’intérêt de coteries, mais surtout dans le leur. En Allemagne, qui ne se pique point de démocratie, le sort des paysans et des ouvriers est infiniment mieux assuré par les lois qu’il ne l’est chez nous, et l’esprit des codes est plutôt voisin du socialisme. Lecky a fait de nos fausses démocraties une critique très dure (Democracy and Liberty, London, 1896). Voyez aussi Bodley, France, London. 1898.
- ↑ Histoire des sciences et des savants, 2e éd., p. 173-175. Le passage est un peu long, cependant je veux le citer tout entier.
« Si l’Europe était entièrement peuplée d’Israélites, voici le singulier spectacle qu’elle présenterait. Il n’y aurait plus de guerres, par conséquent le sens moral ne serait pas si souvent froissé, des millions d’hommes ne seraient pas arrachés aux travaux utiles de toute espèce, et l’on verrait diminuer les dettes publiques et les impôts. D’après les tendances connues des Israélites, la culture des sciences, des lettres, des arts, surtout de la musique, serait poussée très loin. L’industrie et le commerce seraient florissants. On verrait peu d’attentats contre les personnes, et ceux contre la propriété seraient rarement accompagnés de violence. La richesse augmenterait énormément par l’effet d’un travail intelligent et régulier, uni à l’économie. Cette richesse se répandrait en charités abondantes. Le clergé n’apurait point de collision avec l’état, ou bien ce serait seulement sur des objets secondaires. Il y aurait malheureusement des concussions et peu de fermeté chez les fonctionnaires publics. Les mariages seraient précoces, nombreux, assez généralement respectés ; par conséquent les maux résultant du désordre des mœurs seraient rares. Les naissances seraient nombreuses, et la vie moyenne prolongée. Par toutes ces causes, la population augmenterait énormément. Ce serait un peu l’état de la Chine, avec plus de moralité, plus d’intelligence, plus de goût et sans les révoltes et les massacres abominables qui déshonorent le moins céleste des empires.
Après ce tableau, qui n’a pas demandé beaucoup d’imagination, puisqu’il est basé sur des faits connus, je me hâte d’ajouter qu’une société ainsi composée ne serait pas viable. Pour peu qu’il restât en Europe quelques enfants des anciens Grecs ou Latins, des Cantabres ou des Celtes, des Germains, des Slaves ou des Huns, l’immense population supposée serait bientôt soumise, violentée et pillée. Plus ses richesses seraient grandes, plus vite on la dépouillerait. Plus la race serait belle, plus on la traiterait comme celle des Circassiens et des jeunes captives qui pleuraient jadis à Babylone. Si les barbares manquaient en Europe, il en viendrait d’au-delà des mers. »
Dans mon cours de 1890-1891, Les Sémites, leur rôle social, j’ai consacré plusieurs leçons à la question juive. S’il m’est possible de publier ce volume, on y trouvera des détails plus complets. Voyez quant à présent Sélections sociales, p. 76, 139, 276, 346, 351, 479. - ↑ On parle couramment des peuples jaunes comme de peuples usés par une civilisation remontant aux âges les plus lointains. C’est une erreur, comme pour l’Inde. Les Chinois paraissent être venus en fort petit nombre du Turkestan sur les bords du fleuve Jaune. Peut-être leurs conducteurs avaient-ils été chassés de Chaldée par quelque révolution, les plus anciens caractères chinois paraissant conserver la forme des caractères chaldéens du trentième siècle. La civilisation chinoise s’est développée lentement. Le premier souverain historique, Yu, date de 2205.
La Chine, au commencement de notre ère, ne comptait qu’une trentaine de millions d’habitants, et a singulièrement progressé en toutes choses depuis deux mille ans. L’Indochine ne paraît avoir été civilisée qu’à partir du commencement de notre ère, par des Indous et des Chinois. Quant au Japon, il a commencé avec les nations modernes d’Occident. Le premier empereur, Kami-Yamato, daterait de 667 av. J.-C., mais les arts de la civilisation paraissent n’avoir été importés de Chine que du IIe au Ve siècle de notre ère. La première date historique certaine est de 461 ap. J.-C. La population était en 610 de 5 millions d’habitants, elle est aujourd’hui de 43 millions. - ↑ J’emprunte au Journal des Économistes, 1898, S.V. xxxiv, p. 154-155, l’inquiétante statistique ci-dessous des femmes à professions masculines aux États-Unis :
1870 1890 Architectes 1 22 Peintres et sculpteurs 412 10.810 Écrivains littéraires ou scientifiques 159 2.725 Clergyladies 67 1.225 Dentistes 27 337 Ingénieurs — 127 Journalistes 35 888 Légistes 5 208 Musiciennes 5.758 34.518 Remplissant des fonctions officielles 414 4.875 Médecins et chirurgiens 527 4.555 Teneurs de livres et comptables — 27.777 Copistes-secrétaires 8.016 64.048 Sténographes et typographes 7 21.185 Si le mouvement continue, il ne naîtra bientôt plus aux États-Unis que de la graine de portefaix ou de terrassiers.