CHAPITRE HUITIÈME


L’AVENIR DES ARYENS


Conditions du problème. — Le métier de prophète est rempli de déboires. Richelieu ne se doutait guère qu’il dressait l’échafaud de Louis XVI. Bismarck ne supposait pas qu’il paralysait pour longtemps l’Europe centrale et occidentale, au bénéfice de l’Amérique et des Russes. Les publicistes ont toujours aussi complètement échoué dans leurs prévisions que les hommes d’état. Ce n’est pas que le problème de la connaissance de l’avenir soit insoluble en soi. Si l’on rejette l’intervention de l’arbitraire et du mystique dans les événements comme dans le jeu des phénomènes chimiques, il faut bien reconnaître que tout ce qui se passera dans l’avenir est déterminé d’une manière immuable. Le progrès des connaissances humaines permettra peut-être de lire dans l’avenir comme l’histoire lit dans le passé, mais nous sommes bien loin d’en être arrivés à le faire. La part de l’imprévu, qui n’est ni l’arbitraire ni le surnaturel, se trouvant ainsi réservée, je vais chercher quelles sont les perspectives d’avenir de l’Europæus et des peuples chez lesquels il domine.

J’examinerai d’une manière indépendante deux questions réellement distinctes. La première est celle des chances de succès de l’Europæus par rapport aux autres races habiles à lui faire concurrence. La seconde est celle des chances des différents peuples de parvenir à réaliser à leur profit l’empire mondial, et des conséquences de cet événement lointain mais inévitable. Si l’holocratie doit être réalisée par un peuple plus ou moins Aryen, quelles seront les conséquences de l’état social qui suivra sur la pureté, sur la valeur de la race ?

Les concurrents de l’Aryen. Les Juifs. — Le seul concurrent dangereux de l’Aryen, dans le présent, c’est le Juif. La question juive ne se pose pas cependant pas à mes yeux de la même façon qu’à ceux des antijuifs, et de Drumont en particulier, si nous prenons l’affaire du côté français. Pour Drumont et ses amis, l’Aryen c’est l’indigène, le Français de nation, c’est-à-dire en fait le bracycéphale plus ou moins pur ou mélangé d’Europæus, résultat des longues sélections du passé. Par la Révolution le brachycépbale a conquis le pouvoir, et par une évolution démocratique ce pouvoir tend à se concentrer, en théorie, dans les classes inférieures, les plus brachycéphales. L’antisémitisme politique a pour but de conserver l’œuvre de la Révolution, et d’empêcher le passage du pouvoir entre les mains des Juifs, et plus généralement des étrangers. Sur cet antisémitisme politique se greffe l’antisémitisme économique, forme du protectionnisme, et l’antisémitisme religieux, forme du cléricalisme.

L’Aryen tel que je l’ai défini est tout autre, c’est l’H. Europæus, une race qui a fait la grandeur de la France, et qui est aujourd’hui rare chez nous et presque éteinte. C’est une race, non pas un peuple, et les peuples qui s’y rattachent, Anglais, Hollandais, Américains sont des étrangers, et plutôt des ennemis pour nous. La question telle que je la comprends est donc surtout de savoir qui, des Anglais et des Américains ou des Juifs, possède le plus de chances dans la lutte pour l’existence. Dans ces conditions nous autres Français sommes intéressés dans la question comme le lièvre dont on discute la sauce, et notre sauce à venir peut être juive, sans que le succès définitif des Aryens soit compromis.

Le problème ainsi posé comporte une explication qu’il ne faut pas différer. Si Europæus est bien une race zoologique, les Juifs sont plutôt une race ethnographique, et par suite le problème n’est pas identique en théorie à celui de la concurrence d’Europæus et d’Asiaticus par exemple, ou d’Europæus et du brachycéphale Alpinus. En pratique cela n’a pas une grande portée. Si les Juifs sont une race factice, ils ont été poussés par leur mode d’existence à un degré d’unité psychique égal à celui des races zoologiques les mieux déterminées, et si l’incohérence zoologique se reflète dans la psychologie du Juif, cette instabilité même est une caractéristique de leur psychologie.

En fait les Juifs, comme les Chananéens en général, les Phéniciens, les Carthaginois, représentent une population bâtarde, issue du mélange d’envahisseurs dolicho-blonds et d’indigènes très divers de l’ancienne Palestine. À cet élément premier se sont joints, dans les diverses régions colonisées par les Juifs, des éléments indigènes très différents. Comme les Phéniciens, les Juifs étaient grands voyageurs, et plusieurs siècles avant leur dispersion ils se répandaient déjà dans toute l’Asie occidentale, et en Égypte. Partout où s’installait une colonie juive, la propagande religieuse augmentait bientôt le nombre des adeptes, mais le recrutement se faisait de telle façon que la psychologie juive était peu altérée. Il fallait pour devenir Juif une véritable affinité, semble-t-il, avec le Juif d’origine. C’est pourquoi le Juif nous apparaît toujours le même au point de vue moral : à Babylone, chez les Pharaons, dans l’Égypte des Ptolémées, dans la Rome de Cicéron, à Éphèse ou en Espagne, le Juif était ce que nous le voyons aujourd’hui en France, en Pologne ou en Hongrie. La nation juive contemporaine est le meilleur exemple de convergence psychique : l’indice varie de 77 en Algérie à 83 en Pologne, les Juifs sont blonds, les Juifs sont bruns, mais partout ils sont les mêmes, arrogants dans le succès, serviles dans le revers, cauteleux, filous au possible, grands amasseurs d’argent, d’une intelligence remarquable, et cependant impuissants à créer. Aussi dans tous les temps ont-ils été odieux, et accablés de persécutions qu’ils ont toujours mise sur le compte de leur religion, mais qu’ils semblent avoir méritées par leur mauvaise foi, leur cupidité et leur esprit de domination. Si l’on réfléchit que l’antisémitisme est bien antérieur au christianisme, qu’il remonte au moins au xve siècle avant notre ère, il est difficile de voir dans le supplice du Christ la cause unique de la haine dont ils ont été poursuivis par les chrétiens.

Tel qu’il est, avec ses défauts balancés au point de vue de ses destinées futures par de hautes qualités intellectuelles et un vif esprit de race, le Juif apparaît bien comme un concurrent sérieux de l’Aryen dans la conquête du monde. Il ne faut pas cependant se faire d’illusions sur l’étendue de ses chances, limitées dans l’espace et le temps.

La situation du Juif est, en effet, tout autre dans les pays brachycéphales, d’où il parait chasser le dolicho-blond, et dans les pays vraiment aryens, où il paraît tout au plus capable de se maintenir dans une situation plutôt inférieure.

Domination éventuelle des Juifs en Occident. — Sur le continent, le régime ploutocratique impliquerait d’une manière toute naturelle l’avènement prochain d’une puissante oligarchie juive. Aucun autre élément ne possède une telle proportion d’hommes habiles à faire foisonner les millions, et à semer la corruption autour d’eux. Tout autour de nous, le Juif n’a pas de rival dans l’art d’exploiter le travail du brachycéphale et de concentrer ses économies. Sous un régime où la seule inégalité reçue est celle de la fortune, le Juif est naturellement appelé à prendre le premier rang, et la forte organisation qui fait d’Israël un État dans les États pourra lui permettre d’éliminer de la classe dominante tous les autres éléments, dans la mesure qu’il estimera nécessaire.

Le caractère ubiquiste de la nation juive, unique et partout présente, lui permet de se superposer aux multiples nations de race inférieure, et de constituer au-dessus d’elles une puissante unité gouvernante. Les Juifs peuvent devenir pour la moitié de l’Europe ce que sont les Anglais dans l’Inde. La conquête de la France, plus facile en raison de la constitution du pays et de l’absence d’aristocratie organisée, se poursuit en ce moment sous nos yeux. Avoir fait cette conquête sans bruit, sans bataille, sans répandre une goutte de sang, l’avoir faite sans autres armes que les millions des français et les lois du pays, cet exploit est plus merveilleux que, ceux d’Alexandre et de César. Chose plus merveilleuse, cette invasion interstitielle, cette conquête légale n’ont pas soulevé les rancunes que laisse toujours le sang versé. Les vaincus acceptent leur défaite : le maître qu’ils cherchaient, ils l’ont enfin trouvé. Si dans les classes dirigeantes et dans le commerce les protestations sont nombreuses, la masse des ouvriers, la masse plus grande des paysans se taisent et ne protestent pas. C’est que pour les premiers la perte est directe, est certaine, les hauts emplois, les places lucratives, les bonnes maisons ne seront plus pour leurs enfants. Pour la masse des travailleurs manuels il ne s’agit au contraire que d’un changement d’exploiteurs, et il n’est pas encore évident à tous les yeux que l’oppression doive être plus lourde.

Les peuples catholiques ont si bien conscience de la cause de leur déchéance, due aux sélections religieuses plus qu’à toute autre cause d’usure, qu’ils sont disposés à tout souffrir des Juifs. Plutôt que de reprendre le joug de l’Église, ils accepteront la domination nouvelle, si pleine d’inconnu qu’elle soit. L’Allemagne du Nord sera peut-être plus difficile à dissoudre, mais la lutte des classes peut l’amener assez vite au point de maturité où se trouve la France, et les Juifs y sont dès à présent très puissants. C’est pourquoi il est possible que dans un avenir prochain l’Occident devienne, à l’exception de l’Angleterre, une république fédérative gouvernée par une oligarchie juive. C’est ce que semble présager la prépondérance de plus en plus grande des questions économiques, l’aptitude majeure des Juifs à concentrer les capitaux, et le développement sans cesse plus accusé du régime ploutocratique.

À mesure que le régime ploutocratique, — si mal appelé démocratique[1], — se développera en Europe, on peut donc s’attendre à voir se développer une puissante féodalité juive, maîtresse du sol, des usines et du capital, profondément séparée du peuple par la religion, la race et l’orgueil. Le seul écueil sur lequel puisse se briser la destinée de la nation juive serait celui du socialisme mais de longtemps ce danger n’est plus à craindre. Beaucoup de socialistes estiment que le mouvement de concentration des richesses entre les mains des Juifs doit être favorisé par tous les moyens. C’est le procédé le plus sûr et le plus doux de parvenir à la nationalisation des moyens de production. Il suffira de frapper une classe peu nombreuse, étrangère et détestée. Au sein du parti ouvrier j’ai moi-même propagé cette idée. Le raisonnement n’était pas mauvais, mais les Juifs l’ont fait aussi et se gardent. Il n’y a pas de révolution socialiste possible tant que dureront les formidables armées d’aujourd’hui, dont la fonction, il faut bien le dire, est plutôt de maintenir le régime ploutocratique contre les tentatives de révolution intérieure que de défendre chaque pays contre son voisin. Il suffirait donc aux Juifs de se réserver les charges de judicature et les hauts emplois militaires pour maintenir leurs sujets dans la soumission, comme les Français font en Indo-Chine et les Anglais dans l’Inde.

Je crois que la domination juive ne sera pas plus douce que le fut celle des Carthaginois. Le sang est au fond le même, la psychologie la même. On voit trop le Juif obséquieux qui demande, on oublie le Juif arrogant qui commande. Il y a chez cet être, à double face, de la femme qui ruse et caresse pour corrompre, du prêtre hautain et dominateur. Si les Juifs fournissent très peu de criminels de sang, et une proportion si forte de voleurs, de faussaires et d’escrocs, ils sont plus vindicatifs que doux, et ce qu’ils craignent c’est le gendarme et le juge. Depuis la Commune, une seule fois le peuple et l’armée se sont trouvés aux prises. C’était à Fourmies, et un Juif fit ouvrir le feu. Je crois que la répression des tentatives des ouvriers, des paysans aussi, que l’oppression pousserait à l’émeute serait souvent terrible, dans un but exemplaire. Un feu en rafale couchant des centaines de cadavres à terre en trente secondes calmerait les esprits très au loin. Et si l’armée nationale, bien que très disciplinée, encadrée de chefs juifs ou dévoués entièrement au régime de la ploutocratie juive, laissait cependant à désirer, il serait aisé de faire faire les plus dures besognes par les régiments jaunes ou noirs, dont la base de recrutement serait assurée par les vastes colonies apportées par la France et l’Allemagne.

Est-il probable que les Juifs aillent plus loin, parviennent à se substituer à la population indigène éliminée par la misère ou autrement ? Je ne le crois pas. Le Juif est de nature incapable de travail productif. Il est courtier, spéculateur, il n’est pas ouvrier, pas agriculteur. Organisé pour s’emparer habilement du fruit du travail d’autrui, le Juif ne peut exister sans une population bien plus nombreuse d’inférieurs qui sèment, récoltent, tissent et construisent pour lui. S’il n’est pas la première aristocratie du monde, il est certainement la mieux adaptée à la vie parasitaire. Prédateur, rien que prédateur, il est un bourgeois, il ne peut, ne veut être qu’un bourgeois.

Il existe en Pologne de fortes masses de Juifs ruraux, et beaucoup de Juifs travaillant dans les manufactures. Les premiers sont de mauvais agriculteurs, vivant surtout d’usure et de la vente des boissons. Les seconds sont de mauvais ouvriers, mal musclés peu résistants, maladroits. C’est la nécessité des lois du pays qui les réduit à ces conditions, et non leur libre choix. Dans les autres pays, on ne rencontre guère de Juifs cultivateurs ou fabricants. Les statistiques sont très curieuses. Le recensement du 14 juin 1895, a donné pour le royaume de Prusse les résultats suivants :

Évangéliques (protestants) 20.217.547
Catholiques 10.805.961
Juifs  361.944
Sans confession ou appartenant à
d’autres confessions
 104.963

Voici maintenant la répartition des confessions dans les diverses branches de l’activité humaine. Le pour cent indiqué est pris relativement à la population de chaque confession, considérée isolément :

Agriculture et occupations connexes
  
Évangéliques 3.000.963 32.96%
Catholiques 4.765.525 37.06%
Juifs 1.650   1.03%
Mines, forges, industrie du bâtiment
  
Évangéliques 3.015.144 33.08 %
Catholiques 1.690.163 33.47 %
Juifs  33.246 20.67 %
Commerce et industrie, assurances
  
Évangéliques 456.306   5.01 %
Catholiques 172.074   3.61 %
Juifs   82 069 51.04 %
Commerce de détail, aubergistes, etc.
  
Évangéliques 449.482 4.94 %
Catholiques 186 939 3.92 %
Juifs 4.506 2.80 %
Services domestiques. — Salariés y compris les domestiques
  
Évangéliques 768.689 8.44 %
Catholiques 362 928 7.62 %
Juifs 4.791 2.98%
Militaires. — Service de l’État, de la cour. — Professions libérales
  
Évangéliques 577.688 6.35 %
Catholiques 233.081 4.89 %
Juifs 9.804 6.10 %
Sans profession
  
Évangéliques 839.054   9.22 %
Catholiques 353.831   7.43 %
Juifs   24.732 15.38 %

Parmi les personnes sans profession, nous trouvons 15 % chez les Juifs contre 9 % chez les protestants et 7 % chez les catholiques. Les Juifs occupés à l’agriculture ne font que 1.03 % de l’ensemble des Juifs, contre 32.06 % des protestants et 37.03 % des catholiques. Plus de la moitié, 51 %, vit du commerce, et 6.10 % exercent des professions libérales, proportion bien plus forte que chez les confessions chrétiennes, dont il faut défalquer d’ailleurs le corps nombreux des officiers. L’enseignement occupe 1.69 % des Juifs, proportion plus forte que dans les autres confessions : protestants 1.21 %, catholiques 1.11 %. Il ne faut d’ailleurs pas perdre de vue que les Juifs appartenant à peu près tous aux professions bourgeoises, il faudrait les comparer aux bourgeois protestants et catholiques et non à la masse.

Cette proportion est à peu près la même dans les divers pays pour lesquels il y a des statistiques. Nous n’en avons pas en France. De peur de mécontenter M. Homais, le gouvernement a depuis longtemps supprimé des feuilles de recensement toute question relative à la religion. Il en résulte que nous ne savons même pas combien il y a de Juifs en France, ce qui serait facile, presque tous les israélites de religion étant Juifs de nation, et presque tous les Juifs israélites. Ce qui est certain c’est que l’on ne voit jamais de paysans ou d’ouvriers juifs. Chez nous plus que partout il faut comparer le nombre des Juifs à celui des bourgeois et non à celui de l’ensemble de la population. Ce qui tend sans cesse à faire exagérer encore l’importance si grande de l’élément juif, comme de l’élément protestant, c’est qu’on oublie qu’ils représentent des état-majors sans soldats. Si nous avons en France 100.000 Juifs, mais tous dans le commerce ou dans les professions libérales, il est évident qu’ils doivent représenter un pour cent de ces professions sans rapport avec les proportions des divers groupes religieux dans la nation.

De telles conditions sont très défavorables à la perpétuité d’une domination. Les Juifs, à la différence des autres aristocraties, tendent à se multiplier au lieu de s’éteindre, mais leur multiplication se limiterait s’il s’agissait de fournir des éléments destinés à remplacer nos ouvriers et nos paysans. Dans les conditions ordinaires, le mouvement se fait de bas en haut, jamais de haut en bas. Je ne crois pas qu’il soit dans le naturel des Juifs d’essayer, pour consolider leur domination, une chose aussi anormale. Leur fécondité diminuera dès que le nombre de parasites compatible avec la vie sociale se trouvera dépassé.

Caractère éphémère de cette domination. — Il faudrait d’ailleurs, pour arriver à une substitution complète, un temps plus long que la durée probable de cette domination. Les Juifs ont une natalité utile très supérieure à celle des populations au milieu desquelles ils vivent. Ils ne font pas toujours plus d’enfants, mais ils en amènent davantage à l’âge adulte. Aussi leur nombre croît-il relativement plus vite, ce qui, en bonne mathématique, leur assurerait une écrasante majorité dans un temps donné : seulement ce temps est éloigné de plusieurs siècles.

Dans la durée de ce siècle, le nombre des Juifs est pour toute l’Europe passé de 2 à 10 millions. S’il venait à quintupler de même dans le siècle prochain, cela ferait environ cinquante millions d’hommes en 2000. Ce nombre suffirait amplement à pourvoir le commerce, les administrations, renseignement, la justice, toutes les professions libérales, tous les emplois où l’on ne meurt pas de faim, mais il ne saurait suffire à remplacer les masses ouvrières et rurales. Les Juifs ne constitueraient donc qu’une caste d’autant plus détestée que son nombre plus grand rendrait son entretien plus onéreux à la masse des travailleurs. Cet édifice ne résisterait pas aux efforts extérieurs. Les Juifs fussent-ils arrivés à écarter le danger de la conquête de l’Occident par la Russie, ou à devenir les maîtres de la Russie elle-même, victorieuse de l’Occident, leur puissance resterait à la merci d’une conquête aryenne, car le Juif désorganise tout ce qu’il touche, ne possède ni l’esprit de gouvernement ni l’instinct militaire nécessaire à la conservation des empires. Les États-Unis d’Europe deviendraient donc un jour pays de conquête, une sorte de Chine, et les Juifs retourneraient bientôt à leur état naturel d’intermédiaires soumis entre l’Aryen et le brachycéphale.

Le Juif n’a jamais eu le sens politique. Il a le tempérament anarchiste, et depuis l’antiquité la plus haute ce caractère est de race chez lui. Jamais les peuples chananéens ne sont arrivés à sortir du régime de la peuplade et de la cité. Et quelles cités ! Prenez Tyr ou Jérusalem, Sidon ou Carthage, le temps des Aménophis ou celui des historiens grecs, partout la discorde, la guerre civile en permanence, le massacre et la tyrannie. De larges calculs et de prévisions séculaires, point de traces. Le condere in aeternum est inconnu de ces peuples : or gouverner c’est prévoir, et faire comme si la nation devait atteindre les limites du monde et de l’éternité.

En vain le noyau chananéen des communautés juives d’Europe s’est agrégé des éléments locaux. Sauf peut-être pour les Khazars, l’affinité qui a présidé à cet accroissement était si étroite que la psychologie primitive n’a pas changé. Les ordres religieux réalisent ce miracle de conserver le même esprit d’âge en âge, bien qu’ils se recrutent par cooptation. Entre ces ordres et la nation juive il existe des analogies profondes sur lesquelles je ne saurais trop insister. Les communautés, j’allais dire les congrégations juives, se sont ainsi agrégé seulement les individus nés pour être Juifs, comme un cristal plongé dans une solution complexe devient le centre d’une cristallisation homogène. Et l’esprit d’anarchie, l’esprit impolitique des ancêtres de Jérusalem et de Carthage souffle encore sur les métis des vieux Chananéens.

Le Juif, obéissant à ses aptitudes prodigieuses de spéculateur et d’escroc, traite toute affaire politique comme une spéculation ou une escroquerie. Il ne voit que le résultat immédiat, que l’avantage direct, sans s’inquiéter des répercussions. C’est le parfait opportuniste, jamais il ne se doute que l’avenir est fils du présent, il ne vit que dans et pour le présent. C’est pourquoi sa direction politique n’est pas seulement immorale, mais encore et surtout destructive.

Les Juifs n’ont pas davantage l’esprit militaire. De Candolle a d’ailleurs montré pourquoi, et par suite de quelle sélection. Au temps où les Habiri possédaient sans doute plus de sang blond, ils inquiétaient fort Rib-Addi, roi de Gebal, qui s’en plaignait, comme nous savons, très amèrement à Aménophis. Mais il y a de cela 3.500 ans. La défense de Carthage, celle de Jérusalem montrent ce que peuvent déployer d’héroïsme farouche les Chananéens au désespoir, mais aux jours des plus grandes conquêtes de Carthage, les armées étaient composées de mercenaires. Je doute que les troupes confiées à la direction des Juifs ne présentent jamais un esprit militaire. Si redoutables d’ailleurs que ces armées puissent être, il suffirait de la cavalerie de saint Georges pour en avoir raison.

Les Aryens n’ont donc pas à se préoccuper de la concurrence des Juifs dans la direction des peuples. Quand même le rêve politique de l’ambition juive viendrait à se réaliser, chose possible en somme dans cette période de l’histoire ou l’intérêt économique est seul pris en considération, le désordre et l’anarchie mettraient promptement à la discrétion des peuples guerriers de race blonde les États qui auraient accepté la domination sémitique. Si grandes que soient les forces des peuples soumis à sa direction, le Juif se chargera lui-même de les désorganiser, de les détruire, et de faire partie belle à ses adversaires.

De Candolle a dressé un tableau saisissant de l’avenir d’une Europe juive[2]. Le grand botaniste genevois, qui a été le guide et le conseiller de mes premiers travaux, de science politique, n’a pas assez prolongé son existence pour voir comme je le fais son hypothèse en voie d’être réalisée. Les événements marchent maintenant avec la rapidité de l’orage. La liquidation de la vieille Europe commence, le soldeur est à son poste, elle est commencée !

Il est assez curieux de voir que les Juifs ne paraissent pas avoir compris d’abord le rôle politique assigné à leur race par la destinée. C’est d’une manière automatique, et probablement tout à fait inconsciente, que la conquête du pouvoir dans l’Europe centrale et occidentale a commencé. Dès que les Juifs ont été livrés en toute liberté à l’exercice de leurs instincts, dans une société où les intérêts économiques sont considérés en première ligne, leurs aptitudes majeures à l’accumulation des capitaux les ont désignés comme les hauts barons de l’aristocratie du capital. C’est par l’acquisition des richesses que commencent toutes les aristocraties, mais la leur a cela de particulier qu’elle s’est fondée sur une acquisition pacifique et dépourvue de risques. Ils se sont emparés de l’argent par la force des instincts ataviques, et l’argent leur donnera bientôt sans doute la suprême puissance, parce qu’il est aujourd’hui seul Dieu et seul roi.

Les Juifs clairvoyants ont pris conscience de ce rôle. L’idée d’une conquête possible du pouvoir, et de son exploitation raisonnée, devient peu à peu courante dans Israël. Il se constitue, par la force des choses, une puissance gouvernementale qui ne connaît pas de frontières, et qui peut conduire, s’il n’arrive point d’accident, à la constitution de ces États-Unis d’Europe, subordonnés à une oligarchie juive, dont j’ai parlé déjà comme d’une hypothèse admissible. Le mouvement qui s’opère ainsi devient plus volontaire, plus raisonné. Il se révèle aux yeux perspicaces par une infinité de faits, et je suis étonné que si peu de contemporains le comprennent. À part les livres de Drumont et de quelques antisémites, à part un petit nombre de mémoires et de brochures allemandes et un petit livre bien inconnu sur les États Unis d’Europe et la domination juive, écrit en français par un auteur dont j’ai oublié le nom, presque rien n’a été publié sur cette question importante.

Dans ces dernières années, beaucoup de Juifs, désireux de se constituer une patrie, ont songé à restaurer l’ancien royaume juif de Palestine. Les colonies fondées par un des Rothschild et qui prospèrent, ont été le point de départ. Aujourd’hui ce qu’on appelle le mouvement sioniste prend des proportions très grandes. Je ne crois pas qu’il aboutisse à un exode, et à régulariser la situation anormale d’une nation qui depuis près de vingt siècles vit sans patrie et ne s’en trouve point plus mal. La restauration du royaume juif de Palestine n’empêcherait pas l’immense majorité des Juifs de rester cosmopolites. Le but parait d’ailleurs bien mesquin aux ambitieux d’Israël, qui commencent à entrevoir comme une chose possible la domination réelle d’une moitié de l’Europe.

Ce n’est pas le mouvement sioniste qui déterminera l’échec des prétentions juives à la domination. J’attache plus d’importance à une autre cause, de nature purement religieuse. La force d’Israël est dans son exacte séquestration sexuelle. Cette séquestration est due à une cause religieuse. Elle peut cesser avec cette cause, et Israël, déjà soumis à l’usure de sélections dont son isolement social le préservait jusqu’ici, serait exposé en outre aux conséquences du croisement, et à l’absorption par des masses plus grandes.

Une opinion propre naguère à quelques indépendants fait son chemin dans les milieux protestants, religieux et méditatifs. C’est que le Christ n’était point Dieu, fils de Dieu. Jésus que ses disciples et lui-même croyaient le Messie, n’était que le plus grand des prophètes d’Israël, avec la mission sublime d’apporter la dernière parole. Le Messie viendra seulement aux jours derniers, à la veille de la fin lointaine du monde. Le Nouveau-Testament se trouve ainsi soudé à l’Ancien, il n’y a plus qu’un Testament, qu’un Livre. Cette opinion ne change rien aux principes de conduite du christianisme, elle ne change que la conception reçue de la mission du Christ.

Et en même temps, parmi les Juifs, un nombre sans cesse croissant regarde le Christ comme prophète et fait du Nouveau-Testament le complément de l’Ancien. Protestants et néo-juifs arrivent ainsi à une croyance commune, et si demain appartient, chose possible, à cette conception nouvelle de la mission du Christ, le christianisme dans sa forme nouvelle ne sera plus qu’une secte du Mosaïsme, ou plutôt les deux religions finiront par se fondre en une seule.

Cette tendance, inconsciente chez la masse, très précise chez beaucoup, nous explique l’entente facile des protestants et des Juifs. Elle mérite d’être considérée avec une attention extrême, car nous sommes peut-être à la veille d’une transformation du christianisme auprès de laquelle la Réforme de Luther deviendrait peu de chose. Les conséquences de l’évolution en cours peuvent modifier d’une manière complète les probabilités d’une phase de domination juive en Occident. Si l’isolement religieux des Juifs vient à cesser, leur nation se dissoudra aussi promptement qu’un morceau de sucre plongé dans un verre d’eau. Quelle serait l’influence de leurs descendants métissés, il serait difficile de le dire, il existe peu de semblables métis. Les plus en vue chez nous sont affublés des plus grands noms de France. Les grandes familles, contraintes par les rois de résider à la cour pour être mieux surveillées, se sont adaptées sans retour à la vie parasitaire. Elles vivent aujourd’hui aux dépens des rois de la Bourse, après avoir vécu de la bourse des rois. Leurs fils épousent des Juives, leurs filles sont les maîtresses des Juifs. Le croisement des affranchis du Ghetto avec les enfants des courtisans et des courtisanes de Louis XV ne parait pas jusqu’ici donner des sujets bien brillants.

Les Brachycéphales. — Il semblerait superflu d’essayer d’évaluer les chances des brachycéphales. Les États brachycéphales, France, Autriche, Turquie, sans parler de la Pologne qui n’est plus, sont loin d’offrir la vitalité des États-Unis ou de l’Angleterre. Cependant la médiocrité même du brachycéphale est une force. Ce neutre échappe à toutes les causes de destruction. Noiraud, courtaud, lourdaud, le brachycéphale règne aujourd’hui de l’Atlantique à la Mer Noire. Comme la mauvaise monnaie chasse l’autre, sa race a supplanté la race meilleure. Il est inerte, il est médiocre, mais se multiplie. Sa patience est au-dessus des épreuves ; il est sujet soumis, soldat passif, fonctionnaire obéissant. Il ne porte pas ombrage, il ne se révolte point. Ces qualités purement passives ne l’ont pas servi dans les îles Britanniques où il a perdu pied. En présence d’éléments aryens d’une particulière énergie, et placés par les lois en bonne posture pour en faire usage, le brachycéphale a disparu comme trop inférieur. Il n’est pas démontré que, dans les pays aryens, la lutte doive être, dans l’avenir, aussi défavorable pour lui que dans le passé. Les conditions légales et la coutume peuvent changer. Il est possible qu’avec le temps les États les plus favorables au développement de l’individualité passent par les phases traversées déjà par la France et par les États latins et brachycéphales. En ce cas, le progrès des servitudes sociales et de l’interdépendance, — obligation de faire ceci, de ne pas faire cela, chaque homme grevé de servitudes au bénéfice de tous, — peut faire que l’avenir soit aux plus serviles.

Ne l’oublions pas, la masse des règlements, des obligations légales, croit rapidement partout. Les États-Unis eux-mêmes présentent à l’heure actuelle une telle floraison de papier coercitif qu’on se demande ce qui pourra bien être permis dans un siècle. Si ce mouvement, qui se développe d’une manière inévitable, vient à s’accélérer, peu importera, dans un temps donné, que le caractère d’un homme soit ou ne soit pas énergique, entreprenant. Ce qu’il pourrait avoir envie de faire, et le voisin pas, la loi lui défendra de le faire, et l’homme actifs sera dans ses actions très près de l’homme inerte.

Les chances du brachycéphale tendraient à devenir plus sérieuses encore si l’empire mondial était réalisé par les Russes, peuple de bureaucrates. Il est probable que la domination des États-Unis subirait une orientation plus libérale, mais celle de la Russie serait très probablement administrative et conduirait tout droit à une réglementation unique pour l’univers, à un fonctionnarisme universel, socialisme absolu compatible avec tous les gouvernements possibles. Et certainement ce fonctionnarisme est ce qui convient au brachycéphale. En France, dans ces cinquante dernières années, le nombre des fonctionnaires est passé de 188 000 à 416 000. Il en est ainsi dans les autres pays brachycéphales, et même en Suisse, où l’avènement politique des couches inférieures a fait disparaître les principes de bonne administration et de liberté. Si l’on continue à exiger, comme première qualité d’un sujet, qu’il soit parfaitement inerte et soumis à l’autorité, le brachycéphale finira par avoir le dernier mot. Race amie de la servitude, sans cesse à la recherche de maîtres et peu difficile dans leur choix, il peut user toutes les races capables de lui fournir ces maîtres, et rester seul, couvrant la terre de sa postérité docile et médiocre. Seuls les noirs et certains jaunes pourraient être pour lui, dans cette sélection à rebours, les concurrents dangereux. Les races colorées. — Les races colorées, H. asiaticus, H. Afer sont des concurrents de l’avenir plutôt que du présent. Les Japonais, les nègres des États-Unis et des Antilles sont pour le moment les seuls représentants de ces races qui constituent un danger, et il est d’ordre bien secondaire. Dans l’avenir, quand le demi-milliard de jaunes de l’Extrême-Orient sera parvenu à un degré de civilisation plus analogue au nôtre, les difficultés deviendront plus grandes. Il en sera de même quand les populations noires de l’Afrique, douées d’une si grande fécondité et que nous empêchons de s’égorger, rempliront le continent de leurs masses compactes et fardées de civilisation.

Le Japonais et le Chinois surtout possèdent de remarquables aptitudes économiques. Ils valent, au point de vue commercial, les Arméniens, les Juifs et les Anglais. Ils ont sur les Juifs un grand avantage : agriculteurs sans pareils, ils tiennent au sol par des racines profondes et ne constituent pas une simple classe bourgeoise, mobile et sans cesse exposée à l’usure sans pouvoir réparer ses pertes en puisant dans des réserves.

Je ne crois pas beaucoup aux dangers d’une invasion jaune faite par les armes[3]. Si elle se produit, ce ne sera point sous la forme d’une conquête chinoise. Il est très douteux maintenant que les peuples de l’Extrême-Orient puissent conserver leur indépendance. Il est peu probable qu’ils parviennent à la recouvrer après l’avoir perdue. Ce que je crains au point de vue militaire, c’est l’emploi contre les races blanches de puissantes armées jaunes, fait par les nations européennes maîtresses de la Chine. Je crains les garnisons jaunes ou noires installées dans les villes de France ou d’Allemagne, pour maintenir l’ordre, c’est-à-dire l’oppression des peuples d’Occident par les gouvernements occidentaux, avec l’appui des armées noires ou jaunes. Je crains encore plus qu’au jour de la grande lutte, l’écrasement de l’Occident ne soit l’œuvre des millions de soldats chinois que le Tsar russe pourrait encadrer dans ses troupes.

Au point de vue économique, il ne faut pas s’exagérer les dangers de la lutte de l’ouvrier à cinq francs contre l’ouvrier à cinq sous. La productivité de l’ouvrier jaune est très au-dessous de la moyenne, et le prix de la main d’œuvre ira en augmentant là-bas quand elle sera plus demandée. L’ouvrier américain, si cher payé, n’en écrase pas moins l’ouvrier français moins payé : il produit plus que lui, à salaire égal. La concurrence des manufactures asiatiques ne sera vraiment redoutable que le jour ou elles auront sélectionné leurs ouvriers pour en obtenir un rendement élevé. Il n’en est pas moins vrai que l’on peut se demander si la concurrence ne fera pas baisser les salaires en Europe et en Amérique et si certaines nations pourront conserver leur marché, en présence de concurrents vendant moins cher. L’industrie est menacée, dans des conditions indéterminables quant à présent, d’une catastrophe analogue à celle qu’a subie l’agriculture, mais tandis que les terres délaissées reprendront leur valeur le jour où la culture du blé occupant toutes les terres capables d’en produire à bon compte, la demande continuera à croître, il est à craindre que certains pays industriels ne puissent arriver à substituer aux industries vaincues d’autres plus prospères et mieux appropriées au milieu. Dans ce cas certaines nations, l’Angleterre, l’Allemagne, pourraient être frappées de déchéance, et leur population forcée de se disperser.

Il est même possible que l’importation directe d’ouvriers jaunes viennent changer les conditions actuelles du travail en Occident. Les États-Unis se défendent. Je ne sais si l’Europe pourrait se défendre de même, surtout si la qualité de citoyens venait à être accordée aux Chinois soumis à la France par exemple, ou à l’Allemagne. Cette entrée d’éléments jaunes dans les nations occidentales ne pourrait être indéfiniment retardé si les principes politiques actuels continuaient à dominer. Il ne serait pas longtemps possible de refuser la qualité de citoyens aux Chinois, dont les aptitudes sociales et politiques sont plutôt au-dessus de la moyenne de celles de nos électeurs français. C’est un danger positif, et que l’on ne semble pas apercevoir, des annexions faites ou projetées en Extrême-Orient. Je ne sais si je me trompe, mais dès le jour où j’ai vu commencer le dépècement de l’Afrique et de l’Extrême-Orient, il m’a semblé que la cause du prolétariat d’Occident se trouvait pour bien longtemps compromise. Ce n’est pas pour nos éléments sociaux supérieurs que la concurrence jaune ou noire est à craindre, mais pour nos éléments inférieurs. Si le travailleur jaune ou noir se trouvait substitué un jour au brachycéphale, ce serait un changement à coup sûr, mais non un progrès pour l’humanité.

À cela on me répondra : qu’importe ? que la fabrication se fasse à Paris ou à Canton, par des mains jaunes ou par des mains blanches, l’industrie n’y perdra rien. Pardon ! il n’est pas indifférent, pour moi, que le travail me soit enlevé au bénéfice du voisin. Et si je possède un domaine, je serai médiocrement consolé si l’on m’assure que, dans cent ans, il sera cultivé avec soin, mais par un Chinois. Je préférerais qu’il le fût par mes petits-fils, et que la prospérité de ma descendance se trouvât assurée.

M. Novicow a fait (Les luttes entre sociétés humaines, p. 561) un raisonnement du même ordre, « Une autre erreur capitale des sociétés consiste à se préparer des réserves pour l’avenir. Ainsi les Américains ne permettent pas l’immigration des Chinois. Ils disent qu’il y a plus d’avantages à laisser les régions du Pacifique et du Far-West à l’état de solitudes pendant de longues années qu’à les peupler de Célestes, parce qu’elles serviront aux besoins des générations futures. Cette conduite est des plus désastreuses, pour plusieurs raisons. D’abord l’expansion nationale ne se fait pas seulement par le peuplement mais par l’assimilation. Si dix ou vingt millions de Chinois vont en Amérique et adoptent l’anglais comme langue maternelle, la culture anglo-saxonne aura un nombre d’adhérents plus considérable. »

Assurément, si le Chinois était assimilable, mais sa psychologie s’y oppose. Il n’est pas inférieur à la plupart des Européens, mais il est autre. L’idée même d’assimilation est contraire à la biologie. J’ai déjà opposé plus haut la notion naturelle de la nation et la fiction juridique. C’est d’ailleurs toujours le même raisonnement d’économiste, qui ne connaît rien en dehors de la richesse. Je pense au contraire que l’homme n’est pas fait pour le service du capital, mais le capital pour le service de l’homme. C’est pourquoi je crains bien de ne jamais m’entendre avec M. Novicow, et son Avenir de la race blanche, qui contient de très bons passages, n’a pas produit sur mon esprit beaucoup d’impression.

Au point de vue sélectionniste, je regarderais comme fâcheux le très grand développement numérique des éléments jaunes et noirs, qui seraient d’une élimination difficile. Si toutefois la société future s’organise sur une base dualiste, avec une classe dolicho-blonde dirigeante et une classe de race inférieure confinée dans la main d’œuvre la plus grossière, il est possible que ce dernier rôle incombe à des éléments jaunes et noirs. En ce cas d’ailleurs ils ne seraient pas une gêne, mais un avantage pour les dolicho-blonds. Il ne faut pas oublier que l’abolition de l’esclavage a été motivée surtout par des considérations chrétiennes, et qu’en somme cette institution, jugée en dehors de toute conception surnaturelle de l’homme, n’a rien de plus anormal que la domestication du cheval ou du bœuf. Il est donc possible qu’elle reparaisse dans l’avenir, sous une forme quelconque. Cela se produira même probablement d’une manière inévitable si la solution simpliste n’intervient pas : une seule race, supérieure, nivelée par sélection, mais nivelée par suppression de la postérité des individus inférieurs ou médiocres.

Limites de l’expansion possible des Aryens. — La plaine découverte, l’air sec des pays depuis longtemps défrichés sont funestes à l’Aryen. La vive lumière, l’ardeur du soleil le tuent. En Europe, depuis l’antiquité, la forêt recule vers le Nord, et l’Aryen recule avec elle. Fils des vapeurs du Gulf Stream et des grèves mouillées de la Mer du Nord, il ne peut se perpétuer sous d’autres cieux, il cède la place ou varie. Ce n’est pas la sélection sociale seule qui l’a chassé de l’Europe méridionale et de l’Afrique du Nord, et déjà il n’est plus aux États-Unis ce qu’il est en Angleterre ou en Écosse.

Je renvoie aux Sélections sociales pour tout ce qui concerne cette question si grave de l’acclimatement. J’ai montré qu’il ne fallait pas espérer voir Europæus conserver partout son type, s’il est appelé, comme cela parait possible, à se répandre sur toute la terre. Il se formera des sous-variétés adaptées aux différents climats. Les caractères physiques seront modifiés, l’essentiel est que les hautes qualités psychiques restent au moins ce qu’elles sont aujourd’hui. La perte des caractères dus au lymphatisme, au demi-vitiligo, ne serait en somme qu’un progrès, un retour à l’état sain.

À cette condition, il est possible de substituer la descendance d’Europæus à celle de toutes les autres races du globe, et je pense que la formation des races adaptées pourrait être facilitée par le croisement. J’entends un croisement systématique et continu, le croisement tel qu’il se pratique ne pouvant donner que de mauvais résultats. J’ai montré dans les Sélections que les métis étaient le plus souvent des êtres peu recommandables. Le métissage de hasard ne donne d’ailleurs que des résultats incohérents et semble impuissant à fournir à lui seul une race homogène et fixée. Les combinaisons des types fondamentaux se font, se défont, réalisent de préférence certaines formes, comme s’il existait une loi des proportions définies dans la chimie des races, mais toujours reviennent les types fondamentaux, et le cycle recommence à l’infini. Tous les types principaux de l’Europe, Europæus, spelæus, meridionalis, acrogonus, existent depuis dix mille ans, se combinent sans cesse, et nous ne sommes pas plus près que le premier jour d’une résultante fixe, d’un état d’équilibre donnant une race mixte, unique, stable et féconde. Nous n’en sommes pas plus près que d’une matière unique, synthétisant uniformément tous les éléments de la chimie dans une combinaison unique et définitive. C’est ce qu’il ne faut jamais oublier de rappeler aux partisans ignorants des mélanges, et de la création d’une race unique par la fusion de toutes les races de l’humanité.

Le croisement qu’il faudrait employer est une toute autre chose, c’est le croisement continu ou d’absorption employé en zootechnie pour substituer une race étrangère supérieure à une race locale, sans courir les risques d’un remplacement en bloc par importation d’animaux non acclimatés. On y parvient en fournissant aux femelles de la race locale, à leurs filles et petites-filles, exclusivement des étalons choisis de la race à introduire. Il se fait dans les produits une sélection naturelle d’après la plus ou moins grande résistance, et tout en se rapprochant par degrés du pur-sang, on obtient des individus résistants.

Il ne faut pas s’imaginer que l’opération soit rapide. J’ai montré dans les Sélections que les métis étaient loin d’être d’exacts intermédiaires entre leurs auteurs. Il s’en faut qu’à la seconde opération on obtienne des sujets n’ayant plus en moyenne qu’un quart de la race locale. Cela dépend des analogies entre les races, de l’adaptation plus ou moins profonde au milieu, des caractères forts, de la faculté plus grande de racer, etc. Il faut en moyenne de quatre à huit générations pour arriver à ne plus produire une forte proportion de sujets défectueux.

Il se fait en ce moment à l’École d’agriculture de Montpellier une expérience très typique. Il s’agit de substituer au troupeau de moutons de race barbarine, très adaptée au climat mais bien défectueuse, un troupeau de race Larzac. Un bélier de race Larzac a couvert dans ce but un lot de barbarines, puis ses filles, les filles de ses filles, etc. Cette expérience, conduite d’une manière scientifique, a été rapportée par M. Sénéquier (Recherches sur le croisement continu, Annales agronomiques, 1898, XXIII, 497-519). Le tableau suivant donne les résultats des quatre premières générations :

Ainsi, à la quatrième génération, il y a un sujet sur dix, qui malgré 15/16 de sang Larzac, est encore presqu’un pur barbarin, et parmi les 6 sujets de la première génération, pas un seul ne se rapprochait plus du type Larzac que du type barbarin, un seul avait des traces appréciables de sang Larzac, les cinq autres étaient presque de purs barbarins.

Cette expérience montre que si l’on cherchait, par exemple, à substituer à la population nègre du Congo une population dérivée d’Europæus, sans exterminer les indigènes, il pourrait se faire qu’au bout de deux siècles de croisement continu rigoureux, le résultat ne fût pas encore atteint. Il faudrait au moins le double de temps si l’on voulait éliminer des brachycéphales, en raison de leur caractère fort. En aucun cas cependant on n’aurait à craindre ce qui est arrivé pour les campanules de Naudin, et le retour d’un type antérieur à l’homme : nous avons pour garant l’expérience du passé.

La lutte pour la domination universelle. — J’ai étudié jusqu’ici d’une manière abstraite les chances des diverses races, en prenant leurs aptitudes pour base de raisonnement. Il faut envisager maintenant l’autre côté de la question. J’ai déjà montré qu’il ne serait point indifférent pour le résultat final de la compétition des races que la domination universelle fût réalisée par telle ou telle des nations existantes. Dans une certaine mesure ce que j’ai dit se rapportait surtout à la concurrence interne, voyons la concurrence purement externe.

C’est une loi historique que les nations tendent à devenir sans cesse plus grandes. Babylone a soumis les villes de Chaldée, puis l’Assyrie et l’Égypte. Son empire est devenu partie intégrante de l’Empire des Perses, et celui-ci a été annexé par la petite Macédoine. L’empire d’Alexandre s’est morcelé, mais en grands royaumes. L’empire romain s’est développé de même, puis s’est morcelé aussi, et des États moyens lui ont succédé. Toujours à la périphérie, l’immense Empire espagnol s’est formé à son tour, puis démembré. L’Empire russe s’est étendu jusqu’à couvrir la moitié de l’Asie, l’Angleterre est maîtresse d’un empire plus vaste encore, et les États-Unis sont immenses. Sans cesse les nations deviennent plus grandes, et bien que l’aire des populations civilisées s’agrandisse sans cesse, le nombre des grandes nations reste à peu près le même. Comme la surface du globe est limitée, le temps est venu où il n’y a plus de place à la périphérie du monde civilisé pour la formation de nouvelles nations géantes, et il n’y a plus de régions civilisées où il puisse se former de petites nations. Ce siècle a vu disparaître un nombre infini de petits États en Europe, l’Italie et l’Allemagne se sont constituées à leurs dépens. Presque tous les petits états indigènes de l’Afrique et de l’Asie ont disparu, et parmi les états plus grands, il ne reste que le Japon, la Chine, le Siam, la Perse, l’Abyssinie et le Maroc. Six états gouvernent aujourd’hui les trois quarts de la population du globe.

Le moment est proche où la lutte pour la domination définitive du globe va s’engager. Les nations qui pourront y prendre part comme prétendants sont désignées dès à présent par leur puissance actuelle ou virtuelle. Je dis virtuelle, car la puissance de certaines nations s’augmentera d’une manière automatique par le peuplement de vastes réserves. C’est le cas de la Russie et de tous les états américains, de l’Australie et de l’Afrique australe. Ces états sont, pour les chances d’avenir, en meilleure posture que la France ou l’Allemagne, dont le territoire entièrement peuplé ne pourrait par lui-même nourrir une population plus forte.

Le rôle de l’Europe est fini, bien fini. Des nations qui comptaient autrefois, les unes, la Hollande, le Portugal, l’Espagne même ne comptent déjà plus. L’Autriche continue son existence chancelante, mais le jour semble proche où les provinces allemandes, la Bohême même, seront absorbées par l’Empire allemand. L’unité germanique sera ainsi reconstituée sous l’hégémonie de la Prusse protestante, pour un temps qui ne sera peut-être pas bien long.

L’avenir de la France parait moins certain, mais il ne faudrait pas se faire d’illusions. Nous avons dans notre histoire deux grandes fautes mortelles, la révocation de l’Édit de Nantes et la Révolution. Dans ces deux aventures nous avons laissé le plus clair de notre force. Si les idées de la Révolution l’avaient emporté, il semble que la France aurait pu devenir le noyau d’un groupement d’états et la métropole d’une humanité nouvelle. La Révolution a fait faillite, et des idées qui l’ont inspirée, la critique scientifique ne gardera presque rien. Nous avons perdu une belle partie mais quand on l’a jouée, il n’était pas probable qu’elle fut perdue : on croyait alors à la raison comme nous croyons à la science. Notre âge a vu s’envoler les dernières illusions. Quand la République fut fondée, il semblait qu’une ère de justice et de prospérité s’ouvrait. Ceux qui ont fait tant de sacrifices, il y a un quart de siècle, comptaient que la nation et l’humanité s’en trouveraient rachetées. Époque d’illusions généreuses et de nobles dévouements ! Il s’est trouvé des gens pour mettre en actions cette popularité, ces sacrifices. Durant des années le prestige de la République a servi à couvrir un monde d’aigrefins, et quand il aurait fallu au pouvoir des hommes de génie, d’une vertu surhumaine, pour refaire une situation si compromise, tous les partis n’ont pu donner que des habiles, rusant au jour le jour, et persuadés que l’on gouverne avec des finesses d’avoués retors. Pendant que les années s’écoulaient en querelles byzantines, que le crédit de la République diminuait aux yeux de la nation, pour avoir trop souvent servi à garantir des actes criminels et des hommes tarés, nos concurrents grandissaient d’une manière qui ne permet plus d’entrevoir d’égalité possible dans les luttes à venir.

Nous en sommes à n’avoir plus qu’une chance de conserver notre indépendance relative : continuer à ruiner nos finances pour le maintien d’un militarisme absurde, car un peuple fort peut désarmer, un peuple marqué pour une fin prochaine ne saurait le faire sans hâter d’autant la catastrophe. Si l’on calcule la proportion des naissances et des sujets mâles qui arrivent à l’âge adulte en France et en Allemagne, on trouve qu’en 1911 l’Allemagne aura un nombre de conscrits exactement le double de celui de la France, 530.000 contre 273.000. À ce jour la situation réciproque des deux nations sera claire, car pas un homme de guerre n’admet qu’il soit possible de lutter avec des chances de succès contre un ennemi double. Il faudra donc, d’une manière inévitable, ou devenir le satellite d’un ennemi plus puissant de l’Allemagne, ou composer avec celle-ci, conserver en tout cas, pour rendre la conquête trop chère, l’armement à outrance qui nous écrase aujourd’hui. Situation terrible d’un peuple, la mort lente par épuisement, pour éviter la mort immédiate.

Je ne crois d’ailleurs pas que l’Allemagne puisse compter sur un avenir bien long. J’admets qu’elle puisse s’agrandir en absorbant la moitié de l’Austro-Hongrie, cela ne lui donnera pas au proche des territoires pour déverser l’excédent de sa population. Dès à présent les femmes allemandes travaillent beaucoup à peupler les pays à demi vides des Amériques, et préparent dans leurs fils qui émigrent des ennemis à leurs fils qui restent. Le développement industriel et commercial de l’Allemagne est un des plus beaux exemples de ce que peut la volonté aryenne. Pas de ports, pas de côtes, des vasières et des bancs encombrant les estuaires, et cependant l’Allemagne a la troisième marine du monde. Peu de charbon, peu de minerais, et cependant l’Allemagne fabrique, elle exporte. En ce temps de concurrence difficile où la France, si riche en côtes et en ports, si prospère autrefois, n’a pas su maintenir son rang et a presque retiré son pavillon des mers du globe, l’Allemagne a su, partant de rien, arriver à couvrir les mers de ses vaisseaux. Rien ne montre mieux le contraste des deux peuples, Allemands du nord et Français, audace et ténacité chez l’un, légèreté et veulerie chez l’autre mais il n’en résulte pas que l’Allemagne puisse indéfiniment augmenter sa population et la nourrir de son commerce extérieur. Tout a ses limites, et ici, la limite est le développement industriel qui se généralise sur le globe entier.

En l’état, l’Allemagne est le bouclier de l’Occident contre l’invasion russe. Tant que le bouclier tiendra, la civilisation que nous avons pourra durer. Dès qu’il sera rompu, je crois que l’Empire des Tsars s’étendra aussitôt jusqu’aux limites extrêmes, à l’Atlantique et à la Méditerranée. L’événement pourra être retardé par l’action de l’Angleterre ou des États-Unis, par la coalition des nations occidentales, mais il me parait inévitable. La situation de l’Occident est celle de la Grèce à la fin des luttes d’Athènes, de Thèbes et de Sparte, les Macédoniens s’avancent.

La coalition occidentale peut se faire sous l’hégémonie de l’Allemagne. Il est possible aussi qu’elle se fasse dans des conditions différentes, par l’action des Juifs qui dissolvent rapidement les nations. Corpora non agunt nisi soluta. Cette destruction de l’esprit national peut faciliter le groupement des nations, rendu difficile aujourd’hui par le nationalisme. En ce cas il pourrait se produire plus qu’une simple coalition, une fédération analogue à celle des États-Unis, sous la direction de la nation cosmopolite par excellence, mais j’ai déjà dit ce que je pensais des chances de durée de la domination juive. La coalition pure et simple n’aurait d’ailleurs pas beaucoup plus d’éventualités de succès. Celles des nations d’Occident qui ne sont pas, comme la France, frappées d’arrêt de développement, ne sauraient augmenter d’une manière indéfinie leur population. La Russie, au contraire, possède d’immenses réserves de territoire, qui lui permettront de porter cette population à un chiffre double, triple de celui de la population de l’Occident, d’assurer ainsi le résultat de la lutte.

Il faut donc regarder comme terminé le rôle des nations occidentales, même récemment refaites et jeunes en apparence, comme l’Allemagne et l’Italie. L’avenir est seulement aux nations qui disposent d’immenses réserves de territoire, pouvant recevoir des centaines de millions d’habitants. Ces nations peuvent attendre. Plus la lutte sera retardée, plus elle sera certainement fatale aux anciens peuples.

Tout ce que l’on pourrait espérer, — encore peut-on l’espérer ? — c’est qu’il soit fait une situation d’indépendance relative aux peuples historiques. La France, l’Allemagne, l’Italie sont de véritables musées historiques, les reliquaires d’une civilisation qui meurt, mais qui meurt après avoir engendré celles de l’avenir. Ceux qui héritent du profit de nos efforts, et qui deviennent ce qu’ils n’auraient point été sans nous ne doivent-ils pas quelques ménagements aux nations usées par l’enfantement du monde nouveau ? Comme pour la Grèce, qu’on laisse à ceux qui les composent une certaine dignité, en mémoire de ceux qui ne sont plus. Nations à la retraite, c’est tout ce qu’elles peuvent être désormais, j’en conviens, mais que l’on n’en fasse point des Irlandes.

Dans deux générations la Russie comptera près de cinq cents millions d’habitants. Son territoire actuel et la Sibérie permettent de nourrir cette immense population, sans recourir à des ressources semblables à celles qui font vivre sur le sol de l’Angleterre et de l’Allemagne un excédent d’habitants. Au sud de la Sibérie, les immenses déserts qui dépendent aujourd’hui de l’Empire chinois, mais qui seront d’une manière nécessaire rattachés à l’Empire russe dans un avenir prochain, constituent une réserve dont il est impossible d’évaluer trop haut l’importance. Ces déserts ne sont pas pierreux, sablonneux et sans eau comme le Sahara ; leur mise en culture pourra exiger des artifices, mais une moitié au moins de ces immenses territoires est susceptible de culture. Il est possible qu’avant la date indiquée la majeure partie de la Chine, peut-être l’Inde et l’Asie entière soient tombées au pouvoir des Russes. On ne peut évaluer, en tout cas, à moins d’une quarantaine de millions d’hommes les forces militaires dont disposera le Tsar de ce temps. La richesse qui se développe d’une manière lente et régulière dans l’Empire russe sera devenue très grande, moindre sans doute que celle d’autres états, les États-Unis par exemple, mais suffisante pour que les frais de guerre puissent être envisagés sans les appréhensions qui paralysent aujourd’hui l’action de la Russie. Cette grande nation a donc tout intérêt à retarder le plus possible la crise qui la mettra en conflit avec l’Occident. Plus cette crise sera retardée, plus grande sera l’inégalité des forces, plus grande la certitude du succès des Russes.

La Russie est avant tout une nation asiatique. L’Angleterre est cosmopolite et surtout maritime. Son vaste empire paraît morcelé, mais comme elle est maîtresse des mers, les autres puissances sont plutôt à l’état d’enclaves dans son territoire. La force de l’Angleterre est prépondérante sur mer, plutôt faible sur terre. Il est probable que l’Angleterre sera maîtresse de l’Afrique entière, dans un avenir rapproché : rien n’est ménagé en tout cas pour parvenir à ce résultat. L’Australie offre un vaste territoire de peuplement, bien qu’une faible partie des terres y soit fertile. L’Afrique du Sud pourra recevoir aussi de nombreux colons, et l’Angleterre sera longtemps encore un réservoir inépuisable d’émigrants. La richesse enfin est immense. Je doute cependant qu’avec tous ces avantages, et celui d’une écrasante supériorité de valeur de la race, l’Angleterre puisse faire longtemps contrepoids à l’Empire des Tsars. Celui-ci a en sa faveur son extrême cohésion, une centralisation puissante, un développement intense du militarisme. L’Angleterre est vulnérable partout, étant dispersée. Les différentes parties de l’Empire britannique peuvent, à certains moments, se trouver en conflit d’intérêts, au point de ne pas se porter un mutuel secours. L’organisation militaire est imparfaite. L’Angleterre, il est vrai, se militarise peu à peu, et M. H. Spencer doit être bien étonné de ce phénomène, mais la psychologie de l’Anglo-Saxon, disposé à tous les sacrifices pour un effort exceptionnel, ne s’accommode guère d’une faction à monter pendant un siècle. Il est donc possible que l’Angleterre soit assez facilement chassée de l’Asie, et même qu’elle puisse perdre l’Afrique, le jour où des armées venant d’Asie pourront franchir l’isthme de Suez.

On peut donc envisager, avec quelques chances de vraisemblance, la possibilité que l’Angleterre et son immense empire viennent à se souder aux États-Unis. Ces derniers, en raison de l’immensité de leur territoire continu, de la possibilité d’y faire vivre des centaines de millions d’hommes de race Europæus, sont les véritables adversaires de la Russie dans la grande lutte à venir. Les États-Unis ont contre eux des chances nombreuses. Leur population se reproduit peu, et l’augmentation est due surtout aux immigrés et fils d’immigrés. Le meilleur élément est menacé de diminuer de nombre, et dans la Nouvelle-Angleterre la situation est, dès à présent, très inquiétante. Le féminisme est un danger plus redoutable encore. L’Amérique pullule de femmes ingénieurs, avocats et même prédicateurs[4]. Ces femmes, qui sont précisément parmi les mieux douées, font à l’homme une concurrence inutile et ne remplissent point leur fonction propre. À ce régime, une nation risque de périr aussi promptement que si elle couvrait un territoire de couvents. La corruption politique est extrême. J’ai collectionné des quantités de documents qui permettent regarder comme des enfantillages les concussions les plus retentissantes de nos politiciens français. La présence de dix millions de nègres est un danger, que vient augmenter celle d’une prodigieuse quantité de fainéants et de vauriens venus d’Europe, l’immigration ayant, dans ces dernières années, contribué à augmenter surtout la lie de la population.

L’esprit américain est cependant si plein de ressources que les États-Unis me paraissent avoir plus de chances que la Russie. On verra dans le paragraphe suivant avec quelle résolution les Américains se sont lancés dans la pratique du sélectionnisme. Un peuple d’une pareille indépendance d’idées est capable de se réformer sur bien des points. Si l’entente vient à se faire entre les Anglais et les Américains, il n’est point douteux que l’empire des mers doive leur rester, et qu’ils puissent lever parmi eux des armées suffisantes pour tenir en échec et pour abattre les forces de la Russie. L’Angleterre ne peut développer sa population au-delà de limites qui sont à peu près atteintes, toute surproduction sera matière d’exportation. Les États-Unis peuvent au contraire arriver à compter dans un demi-siècle 150 à 200 millions d’habitants, et à fournir des armées immenses. La difficulté sera d’ailleurs de les transporter sur l’ancien continent, et je ne vois pas comment elle pourra être résolue. Cette difficulté pourra faire durer le duel très longtemps, à moins que l’on ne s’aborde par la Sibérie orientale, région peu propice. Les États-Unis prennent très nettement conscience de leur rôle futur. La centralisation fait des progrès immenses, aux dépens d’ailleurs des libertés locales, et l’esprit militaire et conquérant se développe avec rapidité.

Je ne parle pas des républiques de culture latine. Elles sont venues au monde trop tard, et la race est en soi trop inférieure. Le Mexique, où l’élément indien l’a définitivement emporté, le Brésil, immense état nègre qui retourne à la barbarie, sont les deux seules nations d’une importance numérique sérieuse. Le Chili et l’Argentine, qui ont un tout autre avenir, sont très peu peuplés, et le retard initial ne saurait être réparé. Tous ces états seront dans cinquante ans les égaux, en population et en puissance, de la France, de l’Italie, de l’Espagne, mais comme ces nations, ils ne sauront échapper aux entreprises d’un gigantesque voisin.

On frémit en pensant aux hécatombes humaines que l’avenir réserve. La lutte entre les prétendants à la domination universelle sera longue, et nécessairement sans merci. La disparition des nations secondaires, de celles qui ne peuvent être prétendantes, ne sera pas nécessairement aussi sanglante. Il y a des cas où l’inégalité des forces est telle que la résistance du plus faible est inutile. S’il plaisait à l’Allemagne d’annexer la Hollande ou le Danemark, et si les autres nations laissaient faire, la résistance de ces petits états équivaudrait à un suicide. Il est probable qu’elle serait de pure forme. D’autres petites nations pourraient même ne pas résister du tout, et se laisser annexer de bonne grâce. Cela pourrait être pour quelques-unes une sorte d’avantage.

Tous les congrès, toutes les fictions, toutes les subtilités n’empêcheront pas l’évolution de continuer, le nombre des nations de décroître avec rapidité, l’état universel d’être réalisé. Les formules du droit international, les conférences pacifiques, humanitaires, servent surtout à rassurer les victimes de l’avenir, à les endormir dans l’espoir de la sécurité, pendant que grandissent les nations maîtresses. Les ennemis du militarisme et les amis de l’arbitrage n’ont pas tort, mais ils se font de grandes illusions. Les masses attirent les masses, les petites nations deviennent par la force même des choses les clientes et les satellites des autres. La lutte des grandes nations est une nécessité naturelle. La vraie loi de la lutte pour l’existence est celle de la lutte pour la descendance. Les excédents de population peuvent aujourd’hui trouver une issue par l’émigration. Quand la terre sera toute peuplée, l’expansion des uns aura pour condition nécessaire l’extermination des autres. C’est alors que la lutte deviendra inévitable et atroce. L’arbitrage est un moyen parfait pour éviter les conflits entre deux nations qui ne veulent pas se battre, mais quand l’écrasement de l’une devient une nécessité pour l’autre, il n’y a plus de place pour l’arbitrage. Le militarisme est épuisant, absurde, mais il est le seul moyen possible pour le faible de n’être pas détruit, pour le fort de s’entraîner à détruire et à dévorer le faible. Les luttes de l’avenir ne seront pas des jeux de rois ou des caprices de peuples, mais la conséquence nécessaire des besoins de nations en croissance.

Il est très difficile de prévoir quand et au bénéfice de qui sera réalisé l’empire universel. Je ne crois pas cependant que cela prenne plus de deux ou trois siècles. Les événements se précipitent avec une vitesse croissante. Je crois aussi que les États-Unis sont appelés à triompher. Au cas contraire, l’univers sera russe.

Il est plus difficile encore de prévoir l’état social qui sortira de la victoire. On peut seulement affirmer que le militarisme disparaîtra enfin. Une formidable armée sera conservée pour la police du globe, mais une seule, quelques centaines de mille hommes seulement. Ce sera peu chez un peuple de trois ou quatre milliards d’hommes. L’unité de gouvernement central entraînera l’unité de la législation générale, et il deviendra possible d’arriver à une organisation systématique du travail. L’ère du socialisme sera venue, mais d’un socialisme sans doute très différent de ce que nous supposons. Le sélectionnisme pourra être pratiqué sans réserve, et le niveau moyen relevé de génération en génération. Il est possible qu’une très grande liberté règne, plus probable, surtout si la Russie l’emporte, que l’on aboutisse au contraire au fonctionnarisme général. À cette distance toutes les hypothèses sont possibles. Les progrès de la science auront changé dans de telles proportions les conditions de la vie que tabler sur les données actuelles serait s’exposer avec certitude à faire des prévisions d’une réalisation impossible. Une société qui n’aura plus la houille pour base industrielle, le christianisme pour fondement moral, quelle idée pouvons-nous nous en faire ?

Le sélectionisme pratique. — J’ai montré dans les Sélections que la vie sociale n’était pas favorable aux meilleurs, que la sélection se fait le plus souvent dans le sens du plus mauvais. C’est une idée qui a de la peine à pénétrer dans les esprits, habitués à regarder l’évolution comme orientée vers le mieux, et la sélection comme favorable aux meilleurs. Depuis la publication du volume précédent de mon cours, il a paru dans ce sens divers travaux importants, parmi lesquels il faut citer Demoor, Massart et Vandervelde, L’évolution régressive, Paris, Alcan, 1897.

J’insisterai cependant sur le sens véritable et si méconnu de l’idée darwinienne. La théorie de Darwin n’est pas, bien qu’on le dise, celle de l’origine des espèces, mais celle de la survivance. Une épidémie éclate, les plus réfractaires survivent. Un chasseur redoutable apparaît, les plus habiles s’échappent. La disette vient, les plus sobres ou les plus chercheurs subsistent. Les formes des survivants se perpétuent, celles des moins heureux s’éteignent. Il n’y a pas une espèce de plus, il peut seulement y en avoir de moins. La théorie de la survivance est donc plutôt celle de la destruction des espèces que celle de leur origine. Pour être conservée, il faut que la forme existe.

La théorie de Darwin est encore moins celle du progrès organique. La cause qui détermine la survivance implique une supériorité, mais relative. Cette supériorité existe par rapport à la cause de destruction, mais la forme survivante peut être pour tout le reste inférieure. Supposez sur un bateau qui fait naufrage un poisson et un homme, mettons un académicien. L’académicien se noie, le poisson rentre dans son élément. C’est de la sélection, ce n’est pas du progrès. L’évolution par sélection se fait en avant, en arrière, à côté. Remarquons d’ailleurs que nos idées de supériorité, d’infériorité, sont de pures conventions. Elles ne correspondent à rien de réel. Il n’y a ni haut ni bas dans l’univers, qui est infini dans tous les sens. Il n’y a pas davantage d’infériorité et de supériorité, mais seulement des états que nous appelons tels, parce qu’il nous plait de les appeler ainsi. Le bien et le mal, le beau et le laid, le chaud et le froid, le haut et le bas, l’inférieur et le supérieur n’existent qu’en tant que nous les appelons tels. Ce qui existe ce sont les actions, les choses, les températures, et ainsi de suite. Nous classons tout cela d’après un idéal qui peut varier suivant les temps, les lieux, les hommes et leurs humeurs.

Le sélectionnisme, en tant que doctrine pratique, consiste à corriger les conséquences fâcheuses de la sélection naturelle, et à multiplier les types admis comme les plus beaux et les meilleurs. Il a beaucoup d’analogie dans son but avec le socialisme, qui consiste à corriger les conséquences naturelles de l’évolution économique, d’après un idéal déterminé de perfection sociale.

Depuis la publication des Sélections, les efforts des sélectionnistes américains ont abouti dans un certain nombre d’états à faire passer des lois d’une haute importance. Des lois analogues sont en voie de passer dans d’autres états américains. Ces résultats sont d’une importance capitale pour l’avenir de l’humanité. Le plus difficile était de trouver un législateur disposé à donner l’exemple, et à prendre des mesures sévères pour empêcher la reproduction des éléments dont la postérité n’est pas souhaitable.

Je prendrai comme type la loi du Connecticut. Elle prohibe l’union libre comme le mariage et atteint les épileptiques, les imbéciles, les faibles d’esprit. La peine qui frappe les conjoints est de trois ans de prison au minimum. Les intermédiaires qui ont facilité soit le mariage, soit les relations accidentelles sont punis d’un an de prison et 1.000 dollars d’amende. Le mariage est toléré si la femme a plus de 45 ans.

La loi proposée au Parlement de Pensylvanie interdit le mariage aux personnes atteintes des maladies suivantes : syphilis, blennorrhagie, épilepsie, dipsomanie, tuberculose, aliénation mentale. Les enfants d’aliénés sont frappés comme les malades eux-mêmes. L’Ohio et le Maryland sont en voie de consacrer les mêmes prohibitions.

Le Texas a déjà prohibé le mariage des épileptiques, le Massachusetts celui des épileptiques, des alcooliques, des syphilitiques.

Dans l’Ohio, le rapt et le viol sont punis de castration. La valeur sélective n’existe que dans le cas d’individus atteints de folie érotique : dans les autres cas la législation de l’Ohio est plutôt sujette à critique, les délits sexuels étant, d’une manière générale, du même ordre que le sacrilège et autres crimes religieux. L’appréciation de l’acte, toute violence mise part, est subordonnée au concept religieux de l’appréciateur. C’est surtout au culte de la virginité connexe à la mariolatrie, et à l’estime professée par le christianisme à l’égard de l’abstinence sexuelle que se rattachent les notions usuelles et légales relatives aux délits sexuels. Dans les sociétés antiques la plupart de ces délits étaient regardés comme légers, ou même comme des actes tolérés ou licites, et il en est de même chez les peuples civilisés non chrétiens.

En Europe, il commence à se fonder des associations sélectionnistes, et les idées pratiques se font jour dans le public. L’opinion commence à voir avec défaveur le mariage des héréditaires. Des médecins ont le courage de détourner certains clients du désir de laisser une postérité. On commence dans les milieux éclairés à tenir compte dans les mariages de certaines conditions de race, et surtout des aptitudes de famille. Cela est peu, mais c’est dejà plus qu’on n’aurait espéré il y a vingt ans. Les mœurs de l’Europe sont tellement fixées qu’il est difficile d’attendre dans cette voie de rapides progrès.

Les Américains, gens pratiques, commencent exactement par où il fallait commencer. On supprime d’abord, pour l’avenir, les héréditaires, c’est-à-dire la plus grande partie des individus à charge aux autres et à eux-mêmes, qui sont voués à une vie d’inutiles souffrances par l’imprudence de leurs procréateurs. C’est le programme de Haycraft et des autres sélectionnistes anglais et américains dont j’ai exposé la doctrine. Il n’est pas question de races inférieures, pas question de multiplication artificielle des éléments d’élite. Cela viendra plus tard. Il suffira d’élargir des dispositions entrées dans les mœurs. J’ai d’ailleurs expliqué dans les Sélections pourquoi la question de race avait peu d’importance aux États-Unis.

Selon moi, pour aboutir, la sélection systématique doit toucher le moins possible aux individus vivants, et se borner à prévenir la reproduction des uns, à favoriser celle des autres. Je ne suis pas partisan des mesures violentes dont parlent les sélectionnistes américains, et qu’ils commencent à pratiquer. La castration me parait inutile, elle comporte des succédanés qui pourraient être utilement appliqués aux sujets à éliminer. La sclérose de l’épididyme, déterminée par une injection de chlorure de zinc, est parfaitement suffisante et sans danger. On emploie à cet effet une solution de 5 gr. de chlorure de zinc dans 100 gr. d’eau distillée. Le manuel opératoire est très simple et comporte deux méthodes. 1e Inciser les téguments, injecter avec la seringue de Pravaz 3 à 5 gouttes dans l’épididyme mis à nu. 2e Sans inciser, après asepsie locale, serrer la base des bourses avec les doigts pour faire saillir fortement le testicule, et après avoir reconnu l’épididyme, y enfoncer l’aiguille de la seringue et injecter le chlorure de zinc. Cette dernière méthode est moins sûre, mais réduit l’opération a une simple piqûre. L’opération entraîne la sclérose de l’épididyme, la régression de la prostate, la sclérose du testicule, avec atrophie légère. Si l’on opère sur l’adulte, le sujet, totalement infécond, conserve l’aptitude au coït. C’est l’opération de choix quand on ne veut pas empêcher le coït lui-même. Ce procédé me parait le plus élégant pour la suppression de la postérité des dégénérés. Chez les femmes, l’ovariotomie, dangereuse même à froid, et dont les répercussions sont graves, peut être remplacée par une infibulation bien faite, par la suture de la partie antérieure du vagin, ou, si l’on veut conserver l’aptitude au coït, par la production artificielle d’une sclérose des trompes.

La faillite du christianisme. — On a remarqué combien peu, dans mes prévisions, je tenais compte des idées politiques et des mœurs d’aujourd’hui. C’est que je regarde les idées et les mœurs comme devant subir une transformation complète dans un avenir prochain. Depuis quinze cents ans le christianisme n’a pas empêché l’évolution politique et sociale de s’accomplir dans un sens plutôt contraire à ses principes. Je pense, et je m’en suis déjà expliqué dans les Sélections et dans la préface du Monisme, que son influence sur les idées et les mœurs va diminuer encore. Nous sommes arrivés à un tournant : au-delà, dans l’inconnu, tout est possible, sauf le passé.

La crise d’idées contemporaines, la faillite du christianisme, n’a de comparable que celle même de l’avènement du christianisme. Et quand je dis faillite du christianisme, je devrais dire la faillite des religions, si quelques-unes, l’islamisme par exemple, ne se trouvaient un peu à l’abri, par leur indépendance de toute cosmogonie, et par le déterminisme qu’elles admettent.

Nos idées politiques et nos mœurs étaient en rapport étroit avec la religion. Trois choses tenaient le christianisme en crédit dans l’esprit des masses, et lui faisaient une clientèle en dehors des théologiens.

La première était la nécessité d’une explication des origines du monde et de l’homme. La Genèse répondait à ce besoin. Les théories évolutionnistes ont substitué une explication scientifique à l’explication religieuse. Du jour où l’on a su que l’homme était descendu d’ancêtres animaux et tous les êtres vivants d’organismes très inférieurs, où l’origine des astres et de notre globe a été expliquée sans place pour le mystique, les masses ont commencé à ne plus croire. Il reste encore pour les savants une difficulté, celle de l’origine des premiers grumeaux de matière vivante, mais l’esprit simpliste des foules n’en tient déjà plus compte. Cette difficulté, pensent-elles, sera bientôt résolue comme les autres, tout dépend d’une expérience de laboratoire qui peut être réussie demain.

La seconde était la nécessité de maintenir la morale. Pas de société sans morale, pas de morale sans religion. La morale, c’était celle du christianisme, on n’en comprenait point d’autres. Donc, nécessité du christianisme. De nos jours on est arrivé à comprendre le caractère arbitraire des morales. Il y a un nombre infini de morales possibles, et de fait autant que de grands systèmes religieux. Ce que nous appelons conscience est la résultante des sélections sociales du passé, et de l’éducation présente. La morale du christianisme est certainement parmi les plus mauvaises. Faite en vue d’une existence ultérieure, qui est infiniment improbable, elle sacrifie la société à l’individu, la vie réelle à d’imaginaires intérêts mystiques. Nos contemporains ont vu tout cela. De là une crise morale qui jette le désarroi partout. La morale d’hier s’en va, et celle de demain n’est pas née.

La troisième était l’influence consolatrice de la religion dans les crises douloureuses de la vie et à l’heure de la mort. Que de milliards d’affligés les promesses dorées du christianisme ont consolé ! Que de milliards d’agonisants elles ont bercé jusqu’à l’instant suprême de la chute dans le néant ! Cette influence bienfaisante disparaît avec la croyance à la vie future, et au bonheur infini qui attend les malheureux. La grande consolatrice s’en va : si la religion a fait du mal aux sociétés, les individus n’auront plus jamais pareilles promesses de bonheur.

Nous sommes en marche par le monisme vers l’élimination complète de l’idée de religion. Nous sommes en marche, par les formules nouvelles basées sur l’hygiène sociale, vers l’élimination de l’idée de morale. C’est une évolution qui a ses avantages et ses inconvénients, mais que le progrès des connaissances humaines rend inévitable.

La faillite de la politique moderne. — Le christianisme a fourni à la politique une série de postulats : distinction de l’âme et du corps, origine surnaturelle de l’âme, identité de nature des âmes, indépendance des âmes. Ajoutez à cela l’idée paradisiaque, l’idée de justice éternelle, celle de libre-arbitre et toute une série de principes de morale.

Il s’est opéré un démarquage curieux, commencé par les écrivains politiques chrétiens, achevé par les philosophes du xviii. Aux idées chrétiennes on a ajouté un grain d’idées antiques. De tout ce travail est sorti le système des principes politiques modernes. Les masses les ont acceptés avec d’autant plus de facilité que ces principes se reliaient aux idées religieuses dont elles étaient imbues. L’envie, l’amour du lucre et des jouissances y trouvaient en même temps leur compte. L’essence surnaturelle de l’âme a servi de point d’appui à la théorie des droits de l’homme, antérieurs et supérieurs à la nature et aux sociétés. L’identité de nature des âmes a conduit à la théorie de l’égalité fondamentale, que les accidents de la vie sociale viennent altérer, mais qu’il faut rétablir. La commune origine des âmes, toutes créées directement par Dieu, a permis d’admettre aisément la théorie de la fraternité. L’indépendance des âmes, qui ne participent pas à la parenté charnelle des corps, a servi de base à la thèse individualiste. La théorie du péché originel a produit, par un réflexe anti-religieux, celle de la bonté naturelle de l’homme, que les influences sociales et l’éducation rendent criminel ou mauvais. L’idée de libre arbitre a ouvert à la raison humaine des horizons ambitieux, et n’a pas été sans influence sur la conception, pourtant si différente, de la liberté politique. Le paradis a été laïcisé, on l’a fait descendre sur terre : théorie du progrès de l’humanité. L’idée de justice absolue a subi la même évolution, ce n’est plus Dieu, c’est l’homme qui est chargé de la réaliser, mais elle sera… dans l’avenir ! L’idée de charité a enfanté le philanthropisme sentimental et mal placé. Prenez, brassez tous ces enfantillages, combinez-les à doses diverses et vous aurez tous les systèmes de principes politiques, du socialisme au cléricalisme, des idées du pays de Rousseau à celles du peuple des Tsars.

Le conflit de tous ces systèmes a fait couler pas mal de sang, et ce n’est pas fini. Jamais d’ailleurs l’homme n’a été plus égoïste que de nos jours : fraternité. C’est notre siècle qui a le premier fourni des milliardaires : égalité. De la liberté je ne parle pas, j’ai montré qu’elle était le propre d’une race, et encore !

La faillite de la Révolution est un épisode local de la faillite de cette politique chrétienne, démarquée, laïcisée, dont l’échec enténèbre notre fin de siècle. Avec le christianisme s’écroule dans l’abîme la politique libertaire, humanitaire, égalitaire. Et les politiciens, dont le bagage intellectuel, quand ils en ont un, est de l’autre siècle, s’effarent, ne croient plus à rien, vont à l’aventure, et aux aventures.

Je le crois bien, de tous leurs principes il n’y en a pas un qui ne heurte de front quelque loi naturelle, et si les lois de la nature deviennent les instruments puissants de celui qui sait, les ignorants ne cherchent pas impunément à les violer.

À toutes ces doctrines qui s’écroulent, le monisme oppose les siennes, dont les bases sont les inéluctables lois de la nature. Elles ne sont point données pour certaines, la certitude absolue n’existant que pour les philosophes et les théologiens, mais comme probables, avec une probabilité très grande, parfois voisine de l’infini. Tout un système de propositions les résume, dont la plupart n’ont pas besoin d’être développées.

L’homme n’est pas un être à part, ses actions sont soumises du déterminisme de l’univers. Les sociétés n’évoluent pas au hasard ; les lois de leur évolution sont complexes, à peine connues et difficiles à connaître, mais aussi nécessaires que celles du mouvement de l’atmosphère. Le surnaturel est exclu de la vie humaine et sociale.

L’âme et le corps sont un, les phénomènes psychiques étant fonction du cerveau. L’âme est donc héritée, comme le corps. La psychologie individuelle est sous la dépendance des ancêtres : une inégalité fondamentale des individus résulte de la différence de naissance. L’inégalité de la naissance est la seule qui ne puisse être réparée. Les effets de l’éducation sont essentiellement conditionnés par l’hérédité, ils sont intransmissibles. L’éducation peut farder l’individu, rien ne passe de ce mensonge par la génération.

On n’entre par décret ni dans une famille ni dans une nation. Le sang que l’on apporte dans ses veines en naissant, on le garde toute sa vie. L’individu est écrasé par sa race, et n’est rien. La race, la nation sont tout.

Tout homme est apparenté à tous les hommes, et à tous les êtres vivants. Il n’y a donc pas de droits de l’homme, pas plus que de droits du tatou à trois bandes ou du gibbon syndactyle, que du cheval qui s’attelle ou du bœuf qui se mange. L’homme perdant son privilège d’être à part, à l’image de Dieu, n’a pas plus de droits que tout autre mammifère. L’idée même de droit est une fiction. Il n’y a que des forces. Les droits sont de pures conventions, des transactions entre puissance égales ou inégales ; dès que l’une d’elles cesse d’être assez forte pour que la transaction vaille pour l’autre, le droit cesse. Entre membres d’une société, le droit est ce qui est sanctionné par la force collective. Entre nations cette garantie de stabilité fait défaut. Il n’y a pas de droit contre la force, car droit n’est que l’état créé par la force, et qu’elle maintient latente. Tous les hommes sont frères, tous les animaux sont frères, et leurs frères, et la fraternité s’étend à tous les êtres mais être frères n’est pas de nature à empêcher qu’on mange. Fraternité, soit, mais malheur aux vaincus ! La vie se maintient que par la mort. Pour vivre il faut manger, tuer pour manger.

Le progrès est une pure conception humaine. L’évolution se fait autour de nous, en avant, en arrière, à côté, progresse, recule, tourne et retourne. Elle ne tend pas indéfiniment vers le mieux, elle ne tend vers rien. Elle se fait actuellement vers la plus grande conscience, mais cette conscience s’éteint avec l’être conscient, qui doit s’éteindre. Il n’y a pas de paradis, même sur terre. Il ne faut pas demander à la science plus qu’elle ne peut donner. Elle donne à l’homme conscience et puissance. Elle n’a pas un pouvoir direct sur le bonheur pour cela il faut s’adresser au prêtre, au sorcier, au marchand d’alcool, de morphine, à l’armurier surtout, marchand de suicide.

La liberté, si elle existe, est étroitement limitée : 1° par l’hérédité ; 2° par le milieu. L’action de la volonté sur l’évolution sociale est donc restreinte. L’évolution sociale est dominée par la sélection, et la sélection sociale élimine les meilleurs. L’évolution a deux caractères généraux : 1° spécialisation et inégalité croissantes ; 2° interdépendance croissante, la réaction des actes de chaque individu tendant à intéresser l’humanité entière. Sans cesse l’individu devient moins libre.

Entre les idées politiques d’hier et celles de demain, l’antagonisme est donc absolu. En présence des théories monistes et darwiniennes, les doctrines du xviiie siècle ne sont plus que des variantes de la doctrine chrétienne. Le libéralisme, le socialisme sont deux formes du cléricalisme, c’est-à-dire de la politique basée sur les postulats de l’Église.

Il est vraiment étonnant que les conséquences du monisme et du darwinisme n’aient pas été vues d’une manière plus claire. J’éprouve un plaisir malicieux, mais vif, à constater l’embarras qui perce dans nombre d’articles récents, parus dans des revues socialistes, anarchistes ou prétendues démocratiques. Dans le darwinisme, ou d’une manière plus générale dans les doctrines scientifiques sur l’origine des espèces et du monde, on avait vu surtout l’argument à opposer aux religions, et chez nous à l’Église, créationniste et liée par le texte de la Genèse. On n’avait pas compris que le darwinisme appliqué à l’homme dans sa vie sociale excluait pour l’avenir tout élément d’explication sociale non scientifique, c’est-à-dire admettant des causes surnaturelles en dehors de la causalité générale de l’univers. Quand je dis on, je dis les libres penseurs, ou ceux qui se qualifient tels, car dès l’origine les Églises avaient vu les conséquences des théories nouvelles, et en avaient pris texte pour dénigrer celles-ci.

Cette exclusion du surnaturel est ainsi d’autant plus fatale aux doctrines affranchies du dogme, mais restées esclaves du reste, que la ressource suprême des chrétiens leur fait défaut. Le recours au miracle, aux manifestations de l’omnipotence divine, rompant la chaîne des causes et des effets qui s’engendrent à l’infini, le recours aux propriétés intrinsèques de l’âme considérée comme entité réelle distincte et en dehors du monde des forces et des atomes, tout ce qui peut permettre d’échapper par un acte de foi aux conclusions de la science politique darwinienne, tout manque à la fois à ces libres penseurs.

Ils n’ont que le choix entre le retour pur et simple aux doctrines théologiques d’où ils procèdent ou l’adhésion pure et simple à l’explication scientifique des phénomènes sociaux, et l’abandon de tous les principes philosophiques dont leur doctrine politique est faite. Ce n’est pas vers la science qu’ils iront. Leur psychologie est celle des hommes qui jadis se prosternaient dans les églises et faisaient flamber les hérétiques : ne nous étonnons point, ils en descendent. Déjà libéraux, socialistes, anarchistes traitent les darwinistes de barbares. Soit ! Voici les barbares qui viennent, les assiégeants deviennent assiégés, et leur dernier espoir de résistance est de s’enfermer eux-mêmes dans la citadelle qu’ils attaquaient. L’avenir prochain montrera à nos fils ce curieux spectacle, les théoriciens de la fausse démocratie moderne contraints de se renfermer dans la citadelle du cléricalisme. Ce conventionnel avait une intuition de l’avenir qui répondait à la demande d’un sursis d’exécution pour Lavoisier : « La République n’a pas besoin de savants ! » En face des dogmes nouveaux l’alliance des hommes de l’Église et de ceux de la Révolution sera le fait de demain, mais il n’y a pas d’alliance qui puisse retarder l’heure de la destinée, pas d’homme de génie qui puisse ramener l’humanité à l’ignorance. Nous courons vers l’inconnu, mais jamais le passé ne reviendra, jamais !


FIN
  1. Le mot démocratie fait bien, il plaît au peuple : Demos aime toujours à être flatté. La chose est plus rare. Le gouvernement direct par le peuple, la seule vraie démocratie, n’est possible que dans un territoire très restreint, dont les affaires sont locales, et suppose une certaine aptitude de tous avec une grande égalité d’intérêts. Quand les affaires sont nombreuses, il n’y a plus de démocratie possible qu’entre aristocrates, comme à Athènes. Il faut alors une classe esclave qui travaille, pendant que l’homme libre vit sur la place publique. Aussi n’avons-nous guère chez les peuples modernes, sans esclaves et trop grands, que le nom de la démocratie. Dans le Referendum suisse, on en trouve une trace, mais je crois que le Referendum serait d’application difficile chez les nations plus grandes, en France, en Allemagne. Il pourrait cependant intervenir peut-être dans les affaires municipales. Sous l’Empire, le plébiscite était une institution du même ordre, mais d’application très limitée et faussée. Il n’a pas donné de brillants résultats. Pour ne pas renoncer au mot, on baptise démocratie un régime qui n’a rien de commun avec la démocratie, sauf le nom. On entend souvent par là un régime où le pouvoir est censé être exercé par la plèbe, ou pour la plèbe. En réalité la plèbe, pas plus que la classe instruite, ne joue un rôle actif dans le choix des représentants. Ceux-ci sont, en réalité, désignés par des oligarchies sans mandat, et gouvernent dans l’intérêt de coteries, mais surtout dans le leur. En Allemagne, qui ne se pique point de démocratie, le sort des paysans et des ouvriers est infiniment mieux assuré par les lois qu’il ne l’est chez nous, et l’esprit des codes est plutôt voisin du socialisme. Lecky a fait de nos fausses démocraties une critique très dure (Democracy and Liberty, London, 1896). Voyez aussi Bodley, France, London. 1898.
  2. Histoire des sciences et des savants, 2e éd., p. 173-175. Le passage est un peu long, cependant je veux le citer tout entier.
    « Si l’Europe était entièrement peuplée d’Israélites, voici le singulier spectacle qu’elle présenterait. Il n’y aurait plus de guerres, par conséquent le sens moral ne serait pas si souvent froissé, des millions d’hommes ne seraient pas arrachés aux travaux utiles de toute espèce, et l’on verrait diminuer les dettes publiques et les impôts. D’après les tendances connues des Israélites, la culture des sciences, des lettres, des arts, surtout de la musique, serait poussée très loin. L’industrie et le commerce seraient florissants. On verrait peu d’attentats contre les personnes, et ceux contre la propriété seraient rarement accompagnés de violence. La richesse augmenterait énormément par l’effet d’un travail intelligent et régulier, uni à l’économie. Cette richesse se répandrait en charités abondantes. Le clergé n’apurait point de collision avec l’état, ou bien ce serait seulement sur des objets secondaires. Il y aurait malheureusement des concussions et peu de fermeté chez les fonctionnaires publics. Les mariages seraient précoces, nombreux, assez généralement respectés ; par conséquent les maux résultant du désordre des mœurs seraient rares. Les naissances seraient nombreuses, et la vie moyenne prolongée. Par toutes ces causes, la population augmenterait énormément. Ce serait un peu l’état de la Chine, avec plus de moralité, plus d’intelligence, plus de goût et sans les révoltes et les massacres abominables qui déshonorent le moins céleste des empires.
    Après ce tableau, qui n’a pas demandé beaucoup d’imagination, puisqu’il est basé sur des faits connus, je me hâte d’ajouter qu’une société ainsi composée ne serait pas viable. Pour peu qu’il restât en Europe quelques enfants des anciens Grecs ou Latins, des Cantabres ou des Celtes, des Germains, des Slaves ou des Huns, l’immense population supposée serait bientôt soumise, violentée et pillée. Plus ses richesses seraient grandes, plus vite on la dépouillerait. Plus la race serait belle, plus on la traiterait comme celle des Circassiens et des jeunes captives qui pleuraient jadis à Babylone. Si les barbares manquaient en Europe, il en viendrait d’au-delà des mers. »
    Dans mon cours de 1890-1891, Les Sémites, leur rôle social, j’ai consacré plusieurs leçons à la question juive. S’il m’est possible de publier ce volume, on y trouvera des détails plus complets. Voyez quant à présent Sélections sociales, p. 76, 139, 276, 346, 351, 479.
  3. On parle couramment des peuples jaunes comme de peuples usés par une civilisation remontant aux âges les plus lointains. C’est une erreur, comme pour l’Inde. Les Chinois paraissent être venus en fort petit nombre du Turkestan sur les bords du fleuve Jaune. Peut-être leurs conducteurs avaient-ils été chassés de Chaldée par quelque révolution, les plus anciens caractères chinois paraissant conserver la forme des caractères chaldéens du trentième siècle. La civilisation chinoise s’est développée lentement. Le premier souverain historique, Yu, date de 2205.
    La Chine, au commencement de notre ère, ne comptait qu’une trentaine de millions d’habitants, et a singulièrement progressé en toutes choses depuis deux mille ans. L’Indochine ne paraît avoir été civilisée qu’à partir du commencement de notre ère, par des Indous et des Chinois. Quant au Japon, il a commencé avec les nations modernes d’Occident. Le premier empereur, Kami-Yamato, daterait de 667 av. J.-C., mais les arts de la civilisation paraissent n’avoir été importés de Chine que du IIe au Ve siècle de notre ère. La première date historique certaine est de 461 ap. J.-C. La population était en 610 de 5 millions d’habitants, elle est aujourd’hui de 43 millions.
  4. J’emprunte au Journal des Économistes, 1898, S.V. xxxiv, p. 154-155, l’inquiétante statistique ci-dessous des femmes à professions masculines aux États-Unis :
      
     1870  1890
    Architectes  1 22
    Peintres et sculpteurs  412 10.810
    Écrivains littéraires ou scientifiques  159   2.725
    Clergyladies 67   1.225
    Dentistes 27  337
    Ingénieurs   127
    Journalistes 35  888
    Légistes  5  208
    Musiciennes   5.758 34.518
    Remplissant des fonctions officielles  414   4.875
    Médecins et chirurgiens  527   4.555
    Teneurs de livres et comptables  27.777
    Copistes-secrétaires   8.016 64.048
    Sténographes et typographes  7 21.185
      

    Si le mouvement continue, il ne naîtra bientôt plus aux États-Unis que de la graine de portefaix ou de terrassiers.