L’Art de greffer/Travaux complémentaires du greffage

G. Masson Éditeur (p. 188-200).

VII. — Travaux complémentaires du greffage

En décrivant les procédés de greffage, nous avons indiqué les principaux soins réclamés par chacun d’eux, une fois le travail terminé. Nous les résumerons en les généralisant.

[1]Surveillance des ligatures. — Au moins huit jours après le greffage, on veille à ce que la ligature n’étrangle pas la plante. Si elle pénètre dans l’écorce par l’effet de la croissance du sujet, on se hâtera de donner un coup de greffoir en travers de la ligature, à l’opposé du bourgeon inoculé ou des jointures d’écorce ; le lien, ainsi coupé, tombe sans qu’on y prête la main.

Un commencement de strangulation n’est pas toujours un motif suffisant pour détacher le lien. S’il y a trop peu de temps que le greffage est terminé, on retarde la suppression de la ligature ; il suffirait de la trancher partiellement ou de la remplacer par une autre. Une greffe ainsi serrée ou comprimée pourrait devenir à œil poussant.

Lorsque la ligature étrangle le sujet, on la coupe en haut et en bas, puis on la déroule en l’extrayant minutieusement des boursouflures d’écorce qu’elle a suscitées. La moindre esquille oubliée peut occasionner des désordres chez l’individu greffé.

Il vaut mieux enlever le lien à l’automne, avant l’hiver, les épidermes et les points de jonction s’acclimateront graduellement. On laissera jusqu’au printemps la ligature des greffes sensibles au froid, sauf dans les situations exposées au verglas. La tille, la laine, le raphia enlevés assez tôt permettront à l’écorce de supporter la température et aux replis de disparaître.

La ligature des greffes de boutons à fruit (voir chap. ix) est conservée plus longtemps ; on la retire après la nouaison du fruit.

Dans les premiers jours qui suivent le greffage, on pourra rencontrer plus fréquemment des ligatures qui se relâchent ; il faudra les renouveler. En même temps, on rafraîchira le mastic des engluements gercés ou tombés.

On profitera de cette première surveillance pour recommencer les greffes non réussies et pour enlever les cornets de papier, feuilles et autres écrans, placés sur le greffon pour le préserver de l’action du hâle et de la sécheresse.

[2]Étêtage du sujet. — Il s’agit ici des greffages en approche et de côté.

Les arbres greffés par approche seront soumis au sevrage. Cette opération comprend l’étêtage du sujet et la séparation de la mère ; son but est de localiser la sève dans le sujet et dans le greffon réunis et soudés. (Voir page 88).

Les sujets greffés latéralement, soit par écusson, soit par rameau — en placage, sous écorce, dans l’aubier, en flûte, — seront écimés de suite ou après l’hiver, suivant le mode de greffage, à œil poussant ou à œil dormant.

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Fig. 102. — Étêtage successif de la greffe à œil poussant (Lilas).

1o  Si le greffage est à œil poussant, c’est-à-dire pratiqué assez tôt en saison pour permettre au greffon de végéter avant l’hiver, l’écimage du sujet (A, fig. 102) sera commencé quelques jours après le greffage ; on coupera les sommités (b) des branches et de la flèche ; huit jours après, on les taillera encore plus court (B), et ainsi de suite à mesure que le greffon se développera jusqu’à 0m,10 au-dessus de la greffe (C). On ménagera des rameaux sur l’onglet pour aider le greffon à attirer la sève ; enfin l’onglet sera enlevé au ras de la greffe (d) vers la fin de la végétation. Désormais, l’arbre (D) est complet.

2o  Si le greffage, au contraire, est à œil dormant, c’est-à-dire si le greffon ne doit pas pousser avant le printemps suivant, on attendra que l’hiver soit passé, et l’on étêtera le sujet à 0m, 10 au-dessus de la greffe (C, D, fig. 99, p. 181).

Lorsqu’il y aura des greffes sur plusieurs branches, chaque branche sera tronçonnée comme les tiges greffées.

Le moignon conservé au-dessus de la greffe prend le nom d’onglet, de chicot. On le tiendra plus court si le greffon est douteux ou muni d’yeux peu saillants ; si, au contraire, l’onglet est ramifié, on l’élague ; il suffira de deux ou trois bourgeons pour attirer la sève. Quand les yeux du greffon sont incertains ou éteints, l’application d’une nouvelle greffe par rameau, auprès de l’ancienne, serait une bonne précaution, sans que l’arbre en soit « déshonoré », suivant une expression de l’École du Jardin fruitier.

L’opération de l’étêtage d’un sujet porte différents noms locaux et usuels ; le plus répandu est sevrage, comme s’il s’agissait d’isoler de la mère une greffe en approche ou une marcotte.

[3]Ébourgeonnement du sujet. — Quand la végétation commence, il faut ébourgeonner sévèrement. Plus tard, on agit avec plus de précautions. Nous abattons avec la serpette ou avec la main les bourgeons du sujet situés entre le sol et la greffe. On pourrait en conserver sur les tiges chétives et en pincer les jeunes pousses, elles y attireraient le fluide nourricier.

Les bourgeons qui se développent sur l’onglet, autour de la greffe, seront littéralement supprimés ; toutefois, au-dessus de ce point, et afin de ne pas diminuer l’aspiration de la sève indispensable à la soudure, on conserve un ou deux bourgeons à titre d’appelle-sève, et on les pince. On les conservera plus longtemps sur les espèces dont l’onglet se dessèche vite, comme l’Érable, le Cytise, le Févier, le Hêtre, le Sophora. On les élaguera lorsque le jeune scion pourra se passer d’auxiliaire.

L’ébourgeonnage est renouvelé dès que l’on remarque une végétation de jets étrangers à la greffe. On modère à chaque fois l’opération sur les arbustes fluets, souffrants, et l’on cesse quand le greffon-écusson persiste à rester engourdi. Avec certaines espèces, l’Abricotier, le Rosier, si l’on taille l’onglet à ras d’une greffe dormante à l’excès, on a la chance d’en exciter la végétation immédiate ou de faire développer de nouveaux rameaux du sauvageon ; ceux-ci, à leur tour, seraient écussonnés ultérieurement. Cette taille de l’onglet est une solution radicale et décisive.

Des sujets greffés en tête sur tige ou sur branches préalablement tronquées seront ébourgeonnés jusqu’au sol, sur la tige et sur les branches greffées. Çà et là, on ménagera provisoirement quelques petites ramifications ou des bourgeons, dans le but d’appeler le fluide séveux vers la greffe ou vers les parties faibles.

En tout temps, on extirpera soigneusement, jusqu’à leur naissance, les drageons et les rejets souterrains qui affameraient la greffe.

[4]Destruction des insectes. — En même temps que l’ébourgeonnement, aura lieu la surveillance à l’égard des insectes et leur destruction. Ce sera d’ailleurs un soin continuel, attendu que le mal est permanent.

On trouve les insectes au centre des feuilles roulées, dans les plaies, sous la ligature, contre les tuteurs. Leurs attaques sont généralement plus vives à l’égard des bourgeons de la greffe. Si l’on négligeait de les détruire, la jeune plante serait gravement compromise.

Nous insistons pour une surveillance de tout instant, quelle que soit la température. Les animaux nuisibles — comme tous autres — sont plus actifs au printemps ; les uns agissent pendant la pluie, les autres sous l’action de la chaleur ; ceux-ci le matin ou le soir, ceux-là en plein midi.

Chenilles, larves, papillons, lisettes, charançons, hannetons, coupe-bourgeons, pique-bourgeons, mouches, allantes, fourmis, etc., seront impitoyablement écrasés avec la main ou sous le pied, aux différentes phases de leur existence.

On détruira le tigre, le kermès, les pucerons par des lavages à l’eau de savon noir, avec des infusions de tabac ou de plantes aromatiques, ou par des projections de poudre insecticide, et le puceron lanigère au moyen de frictions à l’huile ou du pralinage à la chaux. Les corps gras sont appliqués sur le greffon, avant qu’il bourgeonne, ou lorsqu’il est bien développé, et non aux premières évolutions de la sève.

Les limaces et les escargots seront attirés sous des tas d’herbages, des feuilles de choux, des planches pourries, etc., et écrasés aussitôt. Un cordon de cristaux ou de poussières de sulfate de cuivre n’est jamais franchi par les mollusques.

Nous avons dit que l’emploi d’accessoires : tuteurs, coffres, paillassons, toiles, etc., imprégnés de compositions cupriques, n’était pas favorable à l’existence des insectes et des colimaçons.

[5]Palissage de la greffe. — Sur les arbres écimés avec onglet, dès que les rameaux de la greffe atteignent 0m,10, nous commençons à les palisser en les accolant contre l’onglet.

La figure 103 montre le palissage du jet de l’écusson contre l’onglet (D) du sujet. Pour les espèces d’arbres où l’onglet ne suffirait pas, on ajouterait un tuteur qui serait d’abord lié au collet du sujet, puis à la greffe (A, fig. 104). Les arbres susceptibles de se décoller à la greffe, ceux qui donnent des tiges fortes ou tourmentées, ont besoin d’un tuteur dès leur début.

Pour un jeune arbre greffé en tête (fig. 105), sans onglet, une baguette flexible (A) réunie par les deux bouts sur la tige servira au palissage des rameaux (B, B) de la greffe.

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Fig. 103. — Dressage du rameau de l’écusson contre l’onglet, et section de l’onglet.
Fig. 104. — Palissage d’une greffe latérale contre le tuteur.

Si la tige porte plusieurs greffons (fig. 106), il faudra un support à chacun d’eux, soit une latte ou un petit bâton plus ou moins ramifié, attaché au tronc par deux liens.

Les sujets greffés en basse tige seront accompagnés d’un tuteur ayant une dimension calculée sur la végétation de la greffe en première année. Dans les pépinières, on conserve sur les arbres greffés les lattes et les baguettes pendant au moins une année. Si l’arbre est destiné à voyager, on renouvelle le palissage au moment de sa déplantation, ce qui garantira suffisamment la greffe dans l’emballage.

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Fig. 105. — Palissage de la greffe sur une jeune tige. Fig. 106. — Palissage de plusieurs greffons sur une même tige.

Les jeunes scions de la greffe sont palissés avec du jonc. Les baguettes et les tuteurs sont attachés au sujet avec deux osiers, au moins ; un seul osier ou plusieurs liens en jonc ou en paille ne seraient pas assez solides. Quand le rameau de la greffe devient ligneux, on peut l’accoler avec du gros jonc, de l’osier, avec de la tille, du raphia, de la spargaine, de la paille mouillée, avec des lanières d’écorce ou de jeunes tiges de lin ou de chanvre résultant d’un semis dru.

On palisse avec soin en évitant de trop comprimer le rameau, d’en froisser l’épiderme ou d’en tourmenter les feuilles.

Les tuteurs sont en bois arrondi plutôt qu’en brin fendu, le sulfatage en augmente la durée. On place l’échalas de préférence à la face nord du sujet ; de cette façon, il ne gênera point l’action des rayons solaires sur les tissus de l’arbre.

Un tuteur placé contre un arbre à haute tige doit toujours être assez élevé pour dépasser le point greffé. Trop court et attaché à la tige sans soutenir la greffe, il exposerait davantage cette dernière à être brisée par le vent ; il serait préférable alors de ne pas mettre de tuteur, mais disons encore que le sujet et la greffe résisteront mieux aux bourrasques avec l’appui d’un support commun (C, fig. 45, p. 89).

Des tampons de mousse, de cuir ou de liège entre le tuteur et l’arbre seront nécessaires pour éviter toute meurtrissure.

Au moment des orages, on redoublera de vigilance et, si des greffes étaient trop agitées par le vent, on chercherait à y remédier par de nouveaux supports et même par l’écimage ou l’effeuillage des rameaux les plus allongés.

[6]Suppression de l’onglet. — Après une année de végétation, on retranche l’onglet de la greffe ; en le laissant plus longtemps, il meurt et la carie attaque le sujet. Si on le coupe à l’époque du déclin de la sève, la plaie se cicatrise, et le coude formé au point de jonction ne tarde pas à disparaître. Cependant, il n’y aurait aucun danger à conserver pendant deux ans l’onglet d’une greffe faible en végétation.

Dans les pépinières, l’ablation de l’onglet se fait en août et en septembre, quand le travail de l’écussonnage se termine. On commence par les greffes dont la liaison pourrait être moins intime ; par exemple, lorsque deux genres différents sont greffés l’un sur l’autre : le Poirier sur le Cognassier, le Cerisier sur le Mahaleb, l’Abricotier ou le Pêcher sur le Prunier ou sur l’Amandier, le Néflier sur l’Aubépine ou sur le Cognassier, le Lilas sur le Troène.

On coupera l’onglet en biais, suivant la ligne B de la figure 103, et celle (i) de la figure 109, la section étant dirigée sur un plan oblique dont la base commence en face du talon de la greffe pour finir à la gorge même de cette greffe. Si l’onglet était gros et sec, ou placé entre deux scions (fig. 97, p. 177), on emploierait la scie et l’on parerait ensuite avec une lame fine. Dans les cas ordinaires, la serpette à désongletter (fig. 4) est la plus convenable pour les arbres à basse tige. — L’opérateur arc-boute son pied au collet de l’arbre ; mais le coup de serpette doit être donné avec une certaine habileté, respectant la jeune pousse et ne fatiguant pas le sujet.

Un petit chicot pourrait être enlevé au sécateur ; on planerait ensuite la coupe à l’aide de la serpette, en retenant la lame avec la main pour ne point attaquer la greffe.

L’application de boue, d’onguent sur la plaie est favorable à la cicatrisation.

En même temps qu’on supprime l’onglet, on retranche les scions complémentaires résultant d’un greffage multiple. La solidité de la greffe y gagnera.

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Fig. 107. — Réduction du bourrelet de la greffe.

[7]Réduction du bourrelet de la greffe. — Lorsqu’il se manifeste, à la naissance de la greffe, un bourrelet proéminent (A, fig. 107) au détriment de la libre circulation de la sève, nous cherchons à l’atténuer par quelques incisions longitudinales données au printemps, partant du bourrelet de la greffe (C) pour se continuer sur le sujet chétif (B). Le cambium dégorge par ces issues, dilate les couches génératrices et vient aider à leur accroissement.

Les incisions sont produites par un simple coup de greffoir ; elles seront prolongées çà et là sur la tige, dans les endroits faibles, et renouvelées modérément dans le cours de la végétation, s’il y a lieu.

Par un procédé analogue, nous utilisons le bourrelet du Poirier sur Cognassier au profit de la vigueur de l’arbre. Le poirier (D, fig. 108), trop gros relativement au sujet (E) sur lequel il est greffé, ralentit sa vigueur et sa production. Nous y remédions en pratiquant dans le bourrelet (F), au printemps, de petites incisions longitudinales ; nous buttons en H avec du sable ou de la terre amendée, entretenue humide par l’arrosage, un paillis ou une couverture de tannée usée. Des radicelles (g) ne tarderont pas à sortir des fissures du bourrelet (F’) sur la greffe ; elles deviendront racines et alimenteront l’arbre directement.

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Fig. 108. — Affranchissement du Poirier sur cognassier.

Le Poirier (D’) ainsi affranchi reprendra une vigueur nouvelle, tandis que le tronc (E) appartenant au sujet de Cognassier périclitera et finira par disparaître avec ses racines. Le bourrelet de la greffe, riche en tissu cellulaire, peut être alors assimilé au talon de la bouture crossette (fig. 21, p. 40).