L’Art de greffer/Choix des sujets et des greffons
IV. — Choix des sujets et des greffons
[4.1]choix des sujets
Le sujet destiné au greffage est généralement un végétal complet portant tige, branches et racines ; mais le sujet pourrait être une simple bouture, un fragment de rameau ou de racine.
Le sujet complet, plus difficile et plus lent à obtenir, est préférable à tout autre dans la majorité des circonstances. Nous donnerons donc plus de développement à son éducation.
éducation du sujet complet
[4.2.1]Premier âge. — Le sujet destiné au greffage est obtenu par semis, par marcottage ou par bouturage. Le plant issu du drageonnage ne convient pas autant, parce que l’opération de la greffe et ses suites l’exciteraient encore à drageonner, ce qui est ici un défaut.
[4.2.1.1]Semis. Semer les graines aussitôt leur maturité : 1o d’avril en juin ; 2o d’août en octobre.
Faire stratifier les graines qui ne peuvent être semées tout de suite ; elles seront mises dans une caisse ou dans un vase peu profond, par lits alternés avec des couches de terre sableuse, et le récipient placé à la cave. Dès que la graine commencera à germer, on la sèmera en pleine terre.
Ameublir et nettoyer minutieusement le terrain destiné au semis.
Semer à la volée, en lignes ou par trous.
Une semence sera d’autant moins enterrée qu’elle sera plus petite, que le climat et le terrain seront plus froids, et que l’époque de sa mise en terre se rapprochera davantage du temps de sa germination.
Un semis compact étiole le plant ; trop écarté, le plant reste court et peut se ramifier. On calculera donc la vigueur du plant et sa destination. Si le plant est dru, on peut le desserrer, dans l’été, par une éclaircie, un dépiquage raisonné.
Tasser le sol, arroser, désherber, détruire les insectes, chasser les oiseaux.
Le semis sous verre hâte et favorise la germination des graines. Dans ces conditions, les semences pourront être enterrées moins profondément, et l’on repiquera le jeune plant sous châssis ou en pleine terre, dès qu’il aura développé une ou deux feuilles.
[4.2.1.2]Marcottage. — Le marcottage se pratique au printemps, en été ou à l’automne, avec des rameaux ligneux ou herbacés tenant à la mère.
[fig14]Fig. 14. — Marcottage simple.
Les arbustes-mères (A, fig. 14) étant disposés en touffes, on ouvre une tranchée autour, et l’on y amène les rameaux vigoureux et sains (B). On les couche assez près de la souche et, les faisant couder brusquement, on en redresse la sommité que l’on taillera à deux yeux (D) au-dessus du sol. On pourrait faciliter l’émission des racines en retenant le brin couché avec un crochet (C), ou par une incision en long (F), à la courbure ; alors le tuteur (E) est nécessaire. On remplira le trou avec de la bonne terre, et plus tard, le sevrage ou séparation de l’élève d’avec la mère se fera en g, g. C’est le marcottage simple.
Marcotter en vase les espèces délicates ou à feuilles persistantes.
[fig15]Fig. 15. — Marcottage en vase.
Ainsi le rameau (X, fig. 15) sera couché et introduit dans le vase à fleur (V) mis en terre et, par une ouverture (Z) préparée, le coude (Y) simple ou incisé favorisera la sortie du chevelu. La sommité, assez courte et à feuille persistante, ne sera pas taillée. Une fois le jeune plant complet, on le sèvrera (S) de la mère.
Pour tout marcottage, le sevrage doit être pratiqué dès que le plant aura suffisamment de racines. Une fois qu’il est détaché de la souche, on l’extrait du sol et on le plante à demeure ou en pépinière.
Par le marcottage multiple, on couche horizontalement, dans une rigole, une branche (B, fig. 16) en végétation, adhérente à la souche-mère (A), les jeunes rameaux (de a à g) étant au début de leur évolution. La rigole sera successivement comblée de bonne terre, après suppression des feuilles de base. Les jets trop vigoureux (f, g, fig. 16) réclament un écimage en vert pour qu’ils ne puissent nuire au développement des autres rameaux qui sont placés moins favorablement. À l’automne, chacun de ces rameaux, étant enraciné, sera sevré et constituera un plant.
[fig16]Fig. 16. — Marcottage à long bois.
On marcotte par cépée ou en butte (fig. 17) : le Cognassier, les Pommiers paradis et doucin, le Prunier, le Figuier, le Noisetier, l’Olivier, etc.
[fig17]Fig. 17. — Multiplication par buttage ou cépée.
Le sujet est recepé à fleur du sol ; dans l’été, on le butte de terre meuble, et on pince l’extrémité des scions encore herbacés, de manière qu’ils puissent former du chevelu. À l’automne, on déchaussera le tronc et on extraira les jeunes tiges enracinées. Si le plant était faible ou peu chevelu, on le taillerait assez long, on le butterait de nouveau jusqu’à l’année suivante ; mais s’il est détaché de la mère, on le repiquera en nourrice, c’est-à-dire en pépinière. Les souches peuvent être buttées tous les ans ou tous les deux ans.
Ce mode de reproduction est le séparage ou l’éclatage, procédé par division.
[4.2.1.3]Bouturage. — Des fragments de rameau ou de racine, placés dans le sol, végètent et constituent un sujet : tel est le bouturage.
Le fragment appelé bouture est une portion de rameau comprenant un œil (fig. 18) ou plusieurs yeux (fig. 19) et, dans ce cas, longue de 0m,25 à 0,40 environ, ou une portion de racine (fig. 20) d’une longueur de 0m,05 à 0m,15.
[fig18][fig19][fig20]Fig. 18. — Bouture par œil. |
Fig. 19. — Bouture simple. |
Fig. 20. — Bouture de racine. |
Le rameau sera coupé sous un œil comme la figure 19 l’indique. Le talon ou empâtement du rameau-bouture favorise l’émission des chevelus ; il est indispensable chez certaines espèces, comme le Cognassier (fig. 21) ; c’est la bouture crossette.
La figure 21 représente la crossette, et la figure 22 le résultat de ce mode de bouturer.
Le bouturage par rameau se fait au printemps ou à l’automne. À cette dernière époque, qui convient aux espèces à bois dur, on plante la bouture au moment même de sa préparation.
[fig21][fig22]Fig. 21. — Rameau bouture avec talon, ou crossette. |
Fig. 22. — Plant raciné de la bouture-crosette. |
Pour le bouturage de printemps, on prépare les boutures en hiver. On coupe les boutures et on les enterre debout, la tête en bas, de toute leur longueur (voir A, fig. 32), dans une tranchée en plein air ou à la cave. Au printemps suivant, on les plantera dans leur position normale, en laissant sortir de terre un ou deux yeux.
On éborgnera les yeux mis en terre des espèces sujettes à produire des jets souterrains ; tels sont le Dierville, le Groseillier, le Jasmin, le Rosier, le Saule, le Sureau, la Viorne.
Une bouture portant deux yeux sera enfoncée complètement en terre, dans une position verticale ; c’est un bon moyen pour les végétaux à bois tendre ou gélif, comme la Vigne, le Figuier, le Mûrier, le Jasmin, le Platane.
La figure 23 représente une pépinière de boutures plantées en tranchées. La tranchée (A) est comblée (B), puis les boutures buttées de terre (C).
[fig23]Fig. 23. — Plantation de rameaux-boutures en pépinière.
Au lieu d’un rameau, une branche ou une tige pourrait être plantée et prendre racine ; ce serait alors une bouture-plançon. Ce mode réussit avec le Saule et le Peuplier.
Les boutures de racines (fig. 20) se composent de morceaux de racine longs de 0m,05 à 0m,15 ; on plantera ces fragments en rigole, à l’ombre, couverts de terre légèrement ; un bon compost, un paillis et de fréquents arrosages en activent la réussite. — Une racine plus longue, couchée dans la rigole, pourra émettre plusieurs bourgeons qui formeront autant de plants après un sectionnement, à l’automne.
Le bouturage de rameaux courts, munis d’un seul œil (fig. 18), se fait sous verre, à froid.
Le bouturage d’arbustes à feuillage persistant réussit mieux sous un abri vitré.
[4.2.1.4]Repiquage. — Le repiquage consiste à replanter provisoirement en nourrice les jeunes plants venus par semis ou par bouture ; il leur procurera un collet trapu et des racines chevelues.
Un procédé, trop peu employé, consiste à repiquer le jeune semis quelque temps après sa germination, alors qu’il a deux ou trois feuilles au-dessus des cotylédons. Ce travail produit, à la première saison, un sujet vigoureux dont le collet bien pris et l’appareil radicellaire bien développé sont favorables au greffage futur. En le plantant, on lui coupe la radicule avec les ongles. Bassiner souvent, pailler, ombrager.
Les plants d’arbres résineux et d’arbustes toujours verts seront replantés de la mi-août à la fin de septembre, de leur première année ; sinon, de mars en mai, l’année suivante.
Les plants à feuilles caduques seront repiqués pendant le repos de la sève. À ces derniers seulement, on pourra tailler les tiges et les racines trop allongées (voir fig. 24 et 25, p. 44).
Le repiquage se fait au plantoir, sur des lignes écartées de 0m,25, avec 0m,10 d’intervalle, au minimum, entre les sujets. Après deux années, le plant est suffisamment constitué pour être replanté en pépinière ou en place définitive.
[4.2.2]Pépinière. — La pépinière est obligatoire pour élever les sujets très jeunes, nécessitant des soins continuels de culture et de taille.
La pépinière doit être établie sur un emplacement aéré, sain et composé d’une bonne terre, facile à cultiver. On évitera, s’il est possible, les sols poreux exposés à une sécheresse persistante, aussi bien que les terrains trop compacts ou susceptibles d’être inondés.
En ce qui concerne l’amendement des terrains à pépinière, le mélange de terres végétales est préférable aux fumiers. Un arbre élevé dans un sol richement fumé vaut mieux qu’un arbre venu en mauvaise terre ; mais il est inférieur à celui qui a crû dans une bonne terre ordinaire, composée d’éléments divers.
On défonce le terrain avant l’hiver, en mélangeant les terres dans la tranchée au lieu d’en superposer les couches ; on extrait les pierres, les racines, les mauvaises herbes. Une fois le moment de la plantation arrivé, il n’y a plus qu’à niveler le sol en lui donnant un dernier labour.
[4.2.3]Plantation du plant. — On choisit du plant jeune, trapu, bien enraciné. S’il est âgé de plus d’une année, il a dû subir préalablement le repiquage dont il vient d’être parlé, à moins qu’il ne réunisse les conditions requises.
On l’habille avant de le planter. Habiller un plant, c’est tailler, nettoyer les racines et les branches (fig. 24). Les racines seront raccourcies modérément (a) ; quand elles sont fatiguées, on les tient plus courtes. La tige sera rabattue (b) à 0m,25 du collet si le plant doit être greffé en pied, à 0m,10 s’il est destiné au greffage en tête. Les ramifications latérales pourront être enlevées, ou plutôt écourtées.
[fig24][fig25]Fig. 24. — Habillage du jeune plant. |
Fig. 25. — Plant court, non écimé. |
Les arbres verts et certaines espèces à bois creux, les plants courts ou gras (fig. 25), le Châtaignier, le Marronnier, le Noyer, le Tulipier, ne seront pas écimés. Le pivot sera réduit (A).
On plante en quinconce, à des intervalles calculés sur l’avenir des élèves. Une distance de 0m,50 sur des lignes espacées de 0m,75 est la mesure moyenne dans les pépinières bien tenues. On l’augmente ou bien on la diminue, suivant que le sujet doit venir branchu ou non, et selon le nombre d’années qu’il doit rester en pépinière.
La plantation se fait au plantoir ou à la bêche. Si l’on plante tardivement ou par un temps de hâle, on praline à l’avance la racine du plant dans une boue ordinaire. Une bouillie de terre grasse, de bouse de vache et de purin, autour des racines, est utile aux plants fatigués.
On tasse la terre en plantant. On arrosera, s’il le faut, seulement la première année et surtout au début de la végétation.
[4.2.4]Recepage du plant. — La première année, on s’est borné à cultiver, à soigner le plant. Nous supposons d’abord qu’il est destiné à s’élever à tige pour le greffage en tête ; nous parlerons ensuite du plant qui doit être greffé en pied.
[fig26]Fig. 26. — Recepage de jeunes plants.
Après la première année de végétation, et avant que la seconde recommence, on recèpe le plant que l’on destine à monter à haute tige. Receper [fig27]
Fig. 27. — Jeune sujet après une année de recepage.
un plant, c’est le couper net
de 0m,05 à 0m,10 environ du sol (fig. 26). On attend les mois de février ou de mars pour pratiquer cette ablation, la sève étant au repos et les gelées d’hiver n’étant plus à craindre.
Pendant l’été, on accole contre le moignon conservé le plus beau rameau du tronc (fig. 27), et graduellement on enlève les autres scions développés sur l’onglet. À l’automne, on supprime le chicot en A (fig. 27), avec la serpette ordinaire (fig. 3), ou à désongletter (fig. 4).
Quand le jet principal ne prend pas une direction régulière, on a recours au palissage contre un tuteur, ou au greffage d’une espèce vigoureuse qui s’élève naturellement à tige.
Le recepage serait inutile sur de beaux sujets trapus, vigoureux et droits ; mais s’il y avait incertitude, il vaudrait mieux receper.
[4.2.5]Élagage du jeune sujet. — L’élagage consiste à couper les branches inutiles qui garnissent la tige. En général, les branches fortes sont enlevées totalement, jusque sur leur talon ; les moyennes sont coursonnées, et les faibles conservées. (Voir fig. 30, p. 49.)
Coursonner une branche, c’est la tailler à quelques yeux, soit les branches A (fig. 30) rapprochées ou coursonnées en B. On ne doit pas oublier que le retranchement des branches fatigue un arbre et que leur conservation le fortifie. La taille aura donc pour but de former le sujet et d’équilibrer sa végétation.
[fig28]Fig. 28. — Modes d’élagage.
Lorsque la tige est forte, il n’y a aucun inconvénient à supprimer les branches latérales, depuis le collet jusqu’à l’endroit destiné à la greffe.
En résumé, élaguer sévèrement les tiges plus fortes, élaguer partiellement les tiges faibles, éviter les mutilations sur les sujets chétifs.
En élaguant une branche (A, B, fig. 28), il convient de ménager un peu de son empâtement ou talon, à la base plutôt qu’au sommet ou gorge du point d’attachement sur la tige. On y parvient en donnant le coup de serpette de bas en haut. Pour le donner en sens inverse, il faut une certaine habileté de main, sans quoi l’on s’exposerait à déchirer le coussinet ou l’empâtement de la branche respecté suivant la figure 29.
[fig29]Fig. 29. Coupe de l’élagage.
Pour éviter le développement de grosses branches inutiles auprès du bourgeon terminal, on coupera au printemps l’œil qui devrait leur donner naissance ; c’est un éborgnage.
L’élagage sur la jeune flèche sera modéré ; on se bornera à coursonner les ramifications trop longues qui s’y seraient développées, et à laisser les autres.
L’écimage de la flèche aura lieu dès que la hauteur fixée pour la greffe aura été dépassée de 0m,30 au moins. La végétation de la tête du sujet contribuera à le fortifier encore.
Arrivé à cet état (fig. 31), l’arbre peut supporter l’opération du greffage en tête.
[4.2.6]Préparation du sujet pour le greffage. — Pour recevoir la greffe, un sujet doit être ou
étêté, ou non étêté, cela dépend du mode de greffage employé. Il en sera question au chapitre
VI, consacré aux Procédés de greffage. D’abord, le greffage se pratique de deux manières, en général : sur place, c’est-à-dire l’arbre en terre, ou à l’abri, le sujet hors terre.
Nous verrons plus loin que les greffes sont en tête ou de côté : en tête, le sujet étant tronçonné, la greffe vient le couronner ; de côté, le sujet conserve — provisoirement — une partie de sa tige au-dessus de la greffe.
[fig30][fig31]Fig. 30. — Coursonnement des branches vigoureuses. |
Fig. 31. — Jeune sujet à haute tige. |
[4.2.7]Greffage sur place. — Les greffes en tête nécessitent l’étêtage du sujet ; l’opération se fait au moment du greffage ; de cette façon la plaie ne s’envenime pas, puisqu’elle sera engluée aussitôt la greffe posée. Cependant lorsqu’on opère sur de gros arbres ou à la montée de la sève, il est bon de tronçonner le sujet quelques semaines à l’avance et au-dessus du point destiné à la greffe.
L’étêtage préalable offre, pour les grandes exploitations, l’avantage de retarder la végétation et de permettre de prolonger plus longtemps la possibilité du greffage avec chances de succès.
Si l’on peut opérer le tronçonnement définitif du sujet au-dessus d’un bourgeon immédiat, le rôle provisoire de ce dernier sera d’attirer ou d’entretenir la sève vers la greffe, — surtout vers la greffe non soudée, — on le supprimera quand le greffon aura son développement assuré.
Les greffages de côté ne nécessitent point l’ablation capitale et immédiate du sujet. Il suffit que la place en soit nette, et qu’on élague les ramifications qui se développent à l’endroit de la greffe, sur une longueur moyenne de 0m,10 ; les branches du dessus continueront à attirer la sève, et celles du dessous à faire grossir le sujet.
Pour les greffages d’été, l’élagage définitif, aussi modéré que possible, doit être pratiqué un mois avant le moment de greffer ; le fluide séveux, ralenti par cette opération, reprendra son activité et facilitera le succès du greffage. Avec un délai moindre, le retranchement des rameaux superflus provoquerait un arrêt de sève contraire à la reprise de la greffe. Il vaudrait mieux, dans ce cas, n’élaguer qu’au moment de greffer ; la soudure serait terminée lors du ralentissement de la végétation.
Ces travaux doivent être exécutés avec des instruments bien acérés, et par un ouvrier habile qui saura éviter de meurtrir le sujet ou de laisser des chicots chargés de sous-yeux.
Les arbres résineux ne sont point assujettis à ce travail préparatoire.
[4.2.8]Greffage à l’abri. — Il est une manière de greffer sur laquelle nous reviendrons quelquefois, surtout à l’occasion de la Vigne, le greffage à l’atelier, à l’abri, à la cave, dit au coin du feu ou sur les genoux, pratiqué pendant le repos de la sève. Les sujets sont déplantés et placés sous un hangar ; on les greffe à l’abri des intempéries ; ils sont plantés ensuite en jauge ou en place.
La greffe sous verre est un greffage à l’abri.
Dans les pays froids, tels que l’Allemagne du Nord, la Suède, la Russie, où l’hiver dure longtemps, où la période courte et active du printemps laisse peu de latitude aux travaux du jardinage, on rentre, à l’automne, les plants dans une cave à + 10°. Là, on les greffe, on emboue la racine et on les enjauge dans le sable, tout étiquetés ou numérotés. Aussitôt la gelée et les neiges disparues, on sort de la cave les sujets greffés pour les planter en pépinière.
Les horticulteurs de l’Amérique du Nord ont recours à ce système ; ils recueillent les plants et les racines de sauvageons, ils les greffent et les conservent dans un caveau, en attendant les beaux jours pour le transport à la pépinière.
Il paraît que, pour doubler ou tripler l’élément sujet, on butte dans la pépinière les jeunes plants de certaines espèces, de telle sorte que la tige souterraine se trouve augmentée d’autant. Lors de l’arrachage, on la fractionnera par morceaux de 0m,10, garnis de chevelus ou de mamelons radicellaires ; ces tronçons seront mis en jauge à la cave de multiplication, et constitueront des sujets au moment du greffage à l’abri.
[4.3]sujet de bouture par rameau ou par racine
En dehors des sujets racinés, on peut employer, chez quelques espèces, de simples rameaux ou racines à l’état de bouture rudimentaire, c’est-à-dire que le rameau-bouture est nu, privé de chevelu, et que la racine-bouture n’a émis aucun bourgeon, au moment de la greffe.
Le rameau-bouture doit être coupé sur la mère, au jour du greffage, s’il s’agit de végétaux à feuillage persistant ; pour toute autre espèce, il est préférable de préparer la bouture à la chute des feuilles et de la mettre en jauge, au nord (fig. 32, p. 58). Son état de sève ainsi retardé permettra de prolonger la saison du greffage ; la formation des premiers bourrelets radicellaires à la base hâtera son enracinement, et le greffon se soudera mieux.
Choisir un rameau bien constitué, de grosseur moyenne ; les trop gros sont creux, les trop petits sont chétifs. Conserver le talon si possible et 3 ou 4 yeux sur la longueur (fig. 21).
Nous ferons les mêmes observations pour les racines-boutures (fig. 20). En les extirpant de la souche-mère, à la chute des feuilles et en les mettant en jauge toutes préparées de longueur (de 0m,05 à 0m,15), complètement recouvertes de terre, à l’ombre, il s’opérera chez elles un travail de mise en sève préparant leur bourgeonnement pour l’époque du greffage.
Avec les Aralias, les Bignones, les Clématites, les Pivoines, on peut greffer au moment de la division des racines-sujets.
Au moment de greffer, on assortira les racines aux greffons, en mettant en contact sujet et greffon de diamètre analogue, le greffon étant plutôt moins gros que le sujet.
[4.4]choix des greffons
[4.4.1]On nomme greffon l’arbre, le rameau ou le bourgeon que l’on greffe sur le sujet et que l’on désire propager. Quand le greffon n’est pas un végétal complet, le végétal qui fournit le rameau ou le bourgeon-greffe est appelé mère ou étalon.
Habituellement, on appelle mère la plante qui fournit les sujets, et étalon celle qui fournit les greffons. Dans le langage pratique, on confond quelquefois ces deux expressions, surtout à l’occasion du greffage par approche.
Le greffon doit être de bonne qualité, sain, rustique ; en un mot, parfaitement constitué.
Un greffon vicié propage le mal qu’il possède ; le mauvais choix répété sur plusieurs générations amène une détérioration de la variété. On dit alors qu’elle a dégénéré ; mais la dégénérescence n’est que locale et non générale. La preuve en est fournie par les branches d’arbres à feuilles panachées. On propage la panachure par le greffage, et la variété type n’en reste pas moins exempte de la chlorose ; cependant, si le mal n’est pas visible comme l’est une panachure, on se rendra complice de la dégénérescence en multipliant des greffons défectueux.
Il convient encore de prendre des greffons ayant les caractères spécifiques, suffisamment accentués. Ainsi les Poiriers et les Pommiers, semés en vue de produire des variétés inédites, sont épineux au début et finissent par perdre tout le caractère sauvage, à l’âge adulte, lorsqu’ils préparent leurs éléments fructifères. Si l’on veut doubler les chances de production par un report de greffons sur d’autres arbres, il faudra choisir, en tête de l’étalon-semis, ces greffons dépouillés de l’aspect primitif. L’enfance de l’égrin ne se reproduira pas ; on profitera au contraire de son adolescence qui amènera la fructification.
Un fait analogue se présente chez les résineux. Après leur premier âge, les Callitris, Cyprès, Chamæcyparis, Frenela, Genévrier, Retinospora, subissent une transformation dans leurs formes extérieures ; cette phase nouvelle est indispensable à la bonne confection des greffons.
Il faut, en outre, que le greffon possède les qualités que l’on désire reproduire. Par exemple, l’étalon fruitier vigoureux aura donné de beaux et bons fruits, suivant sa nature ; l’arbre d’ornement possédera nettement le port, l’écorce, le feuillage, la fleur, le fruit, ou tout autre caractère qui constitue la variété même ; mais il sera toujours d’une nature saine et robuste.
En général, la partie centrale et moyenne des rameaux fournit de bons greffons.
Certains arbres, cependant, exigent des bourgeons du sommet ; d’autres, des yeux éperonnés. Chez les Conifères, Araucarias, Cèdres, etc., les greffons de tête obtenus par l’écimage de la flèche sont à préférer.
Nous indiquerons ces exceptions ou mieux ces conditions au chapitre viii, à chaque espèce.
On ne saurait d’ailleurs puiser avec indifférence des greffons à une source inconnue. Dans une exploitation de pépinière, on donne, avec raison, une certaine importance aux arbres-étalons, à leur état robuste, à l’identité de leur variété, car ils deviennent arbres d’étude en même temps que porte-greffons. On les soumet à la taille pour en obtenir un plus grand nombre de rameaux ; mais on aura soin de conserver alternativement, d’une année à l’autre, quelques branches non taillées, si l’on veut avoir en été des greffons d’une maturation plus précoce. Les rameaux qui se développent au sommet d’une branche non taillée aoûteront promptement.
[4.4.2]Le greffon-arbre est un végétal complet ; cet arbre greffon, planté depuis une année au moins, doit naturellement se trouver à proximité de son sujet. Nous verrons qu’il pourrait en être rapproché artificiellement le jour même du greffage et que, d’un autre côté, cet élément de la greffe en approche est parfois un rameau resté adhérent à l’arbre.
[4.4.3]Le greffon-œil sera isolé du rameau qui le porte au moment même où l’on se dispose à l’appliquer sur le sujet.
[4.4.4]Le greffon-rameau pourrait comprendre deux sections :
1o Le rameau qui est détaché de son arbre-étalon pendant la sève pour les greffages d’été et d’automne ;
2o Le rameau qui est détaché de l’arbre au repos de la sève, pour les greffages d’hiver et de printemps.
Les rameaux-greffons de la première section seront coupés sur l’arbre-étalon au moment du greffage, et aussitôt effeuillés, la feuille étant coupée sur son pétiole (voir fig. 88). On les placera aussitôt à l’ombre, la base entourée de mousse fraîche ou baignant dans une eau dormante, en attendant leur emploi qui ne saurait tarder sans danger pour la qualité du greffon. Ces rameaux sont utilisés pour les greffages par rameau, fin de l’été et commencement de l’automne ; en outre, ils approvisionnent l’écussonnage pratiqué pendant la végétation.
[4.4.5]Les rameaux-greffons destinés aux greffages d’hiver et de printemps seront détachés de l’étalon dans le courant de l’hiver, avant que la sève se soit mise en mouvement. On choisit une température sèche et pas trop froide ; lorsqu’il gèle fort, une partie du cambium se retire des jeunes rameaux et ils ne se remettent pas facilement. Pour les conserver en bon état jusqu’à l’époque du greffage, on les enterre aux deux tiers de leur longueur, à l’ombre d’un arbre vert, ou au nord d’un bâtiment (A', fig. 32), dans un sol sec et sain. Il suffira d’ouvrir un trou ou une rigole ; on y placera les greffons un peu inclinés et l’on recouvrira la base avec de la terre ameublie ; on pressera légèrement. Le sommet, hors jauge, bourgeonnera peut-être, mais les yeux inférieurs, à utiliser, resteront endormis.
Dans les grands établissements de greffage où la conservation prolongée des greffons est indispensable, et lorsque l’action des gelées d’hiver est à craindre sur ces rameaux de réserve, on les assemble en petits ballots coniques, bien étiquetés ; le pied est formé par les extrémités de coupe laissées à nu, tandis que l’on entoure de paille la partie supérieure. Ces bottillons sont ensuite placés par leur base sur une couche de sable sec et fin comme le sable à pavage, dans une cave modérément humide, hermétiquement fermée et non éclairée. Ici une glacière serait d’une grande ressource. En aménageant une chambrette contiguë, au niveau du sol, on y conservera intacts les greffons, assez tard dans la saison, sans que le mouvement de la sève se fasse sentir dans leurs tissus.
[fig32]Fig. 32. — Conservation souterraine de rameaux-boutures
et de greffons (Coupe du sol).
Les espèces à bois délicat pourrissant facilement en terre, leurs rameaux mal aoûtés ou trop fins se comporteront mieux dans cette galerie.
À défaut de glacière, nous avons pratiqué sous terre, à 20 centimètres, une retraite entourée de planches épaisses (B, fig. 32) ; c’est en quelque sorte une caisse sans fond couvrant les greffons déposés à même sur une terre meuble ou un lit de sable. Le couvercle est une planche simplement posée sur le cadre ; on le lève pour prendre des greffons, il faut le replacer aussitôt si l’on veut éviter le dessèchement des rameaux.
Les greffons privés d’air et de lumière, placés là pendant le repos de la sève, se conserveront sains pendant toute l’année. Cette privation de l’air extérieur est rigoureusement nécessaire. Une trop forte épaisseur de greffons aurait l’inconvénient de provoquer la fermentation au cas où la fraîcheur du sol se ferait sentir sur eux.
L’état léthargique des greffons, si l’on peut s’exprimer ainsi, en permet l’utilisation de mai en août pour les greffages par rameau ou par œil ; ils se prêtent ainsi aux voyages, le pied dans la glaise, le corps dans la mousse un peu fraîche. À leur arrivée, ils seront plongés pendant quelques heures dans l’eau ou tenus quelques jours en terre, et même ils seront couchés tout en long dans le sol ou à la cave, pendant deux, trois ou quatre semaines, s’ils ont l’écorce ridée ; aussitôt revenus à l’état normal, ils pourront être utilisés au greffage.
Les rameaux greffons cueillis en sève et destinés aux voyages seront effeuillés sur le champ et transportés par voie rapide. Le rameau aura la base piquée dans un tubercule ou un tampon de mousse fraîche, tandis que le surplus sera entouré de sciure bien sèche ou d’un papier parcheminé ou d’une toile gommée, substances qui ont la propriété de conserver intacts les rameaux-greffons lorsqu’ils sont exposés à rester assez longtemps en route.