L’Antiquaire (Scott, trad. Ménard)/Chapitre XXIII

Traduction par Albert Montémont.
Ménard (Œuvres de Walter Scott, volume 7p. 241-250).


CHAPITRE XXIII.

LE TRÉSOR.


Votre compère, ce docteur à la barbe sale et enfumée, est capable de renfermer tout cet or dans la tête d’un verrou, puis d’en substituer un autre de mercure sublimé qui se dissoudra à la chaleur et s’évaporera tout en fumée.
L’Alchimiste.


« Comment fous portez-fous, mon pon monsier Oltenpuck ? J’espère que le capitaine Mac Intyre, cet aimaple chentilhomme, il est enfin mieux. Hélas ! il être une maufaise affaire quand les cheunes chens ils s’envoient ainsi du blomb dans le corps.

— Je crois, en effet, monsieur Dousterswivel, que toutes les aventures où il est question de plomb sont assez précaires ; mais j’ai appris avec plaisir de sir Arthur, continua l’Antiquaire, que vous avez choisi un meilleur genre d’industrie, et que vous êtes maintenant à la découverte de l’or.

— Oh ! monsier Oltenpuck, mon pon et honoré badron n’aurait pas tû fous tire un mot de ce petite affaire ; car, pien que j’aie assurément pleine et entière confiance dans la prudence et la discrétion du pon monsieur Oltenpuck, et tans la grante amitié qu’il borte à sir Ardhur Wartour, c’est là, pon Tieu, un secret d’un grand poids.

— Oui, d’un plus grand poids, je crois, qu’aucun des métaux dont nous lui devrons la découverte, répondit Oldbuck.

— Cela tépend te la foi et te la patience que vous apporterez à la grante épreuve. Si vous vous joignez à sir Ardhur qui doit y mettre 150 l. st. (foyez, en foilà déjà 50 en un de ces méchans pillets de fotre panque de Fairport) ; en bien ! si vous ajoutez 150 livres en méchans billets de ce genre, vous recueillerez, en or et en archent bur, je ne sais compien.

— Et personne ne le sait davantage, ’e crois, dit l’Antiquaire. Mais écoutez, monsieur Dousterswivel : supposons, que, sans importuner par de nouvelles fumigations l’esprit aux éternumens, nous allions en corps, de plein jour, avec le soutien d’une bonne conscience, et sans employer d’autres instrumens de magie que des pioches et des bêches bien solides, fouiller d’un bout à l’autre le sol de l’église de Saint-Ruth, et sans risquer aucune dépense, nous assurer ainsi de l’existence de ce trésor supposé (les ruines appartenant à sir Arthur, il ne peut y avoir d’obstacle), croyez-vous que nous réussissions en nous y prenant de cette manière ?

— Pah ! fous ne troufer seulement pas un té te cuivre…, mais sir Arthur en fera à sa folonté… Je lui ai montré de quelle manière il est bossible, très bossible même de se procurer de grosses sommes t’argent pour ses besoins… Je lui ai montré la féritable exbérience… s’il n’y feut pas croire, mon pon monsier Oltenpuck, cela ne fait rien à Herman Dousterswivel ; il perd seulement par là ses frais et tout l’archent, tout l’or qu’il aurait trouvé foilà tout. »

Sir Arthur Wardour jeta un regard timide sur Oldbuck, qui, malgré leur fréquente différence d’opinions, avait, surtout quand il était présent, une véritable influence sur lui. Dans le fait, le baronnet avait un sentiment secret, qu’il s’avouait à peine lui-même, que le génie de l’Antiquaire intimidait le sien. Il l’estimait intérieurement comme un caractère pénétrant, observateur et caustique ; mais il craignait son humeur piquante, et n’était pas sans confiance dans la sagacité de ses opinions en général. Dousterswivel sentit donc qu’il courait le danger de voir lui échapper sa dupe, à moins qu’il ne réussît à faire quelque impression favorable sur son conseiller.

« Je sais, mon pon monsier Oldenpuck, qu’il y a de la brésomption à fous barler t’esprits et te démons. Mais recardez cette corne curieuse ; je n’ignore pas que fous connaissez les curiosités de tous les bays, et que vous savez comment la grande corne d’Oldenburgh, qu’on montre encore tans le muséum te Copenhague, fut tonnée au tuc d’Oldenburgh par un esprit femelle des pois… Fous voyez donc que si je foulais, je ne bourrais pas vous abuser, puisque fous connaissez au premier coup d’œil ce qui est curieux… Examinez tonc cette corne pleine de monnaies… si c’eût été une poîte ou une cassette, je ne vous en tirais rien.

— Cette corne, à la vérité, dit Oldbuck, prête quelque force à votre argument. C’était un ustensile façonné des mains de la nature, et dont, en conséquence, les nations barbares se servaient beaucoup, quoique probablement les cornes, dans le sens donné à cette métaphore, soient devenues plus communes en raison des progrès de la civilisation. Quant à cette corne que voici, ajouta-t-il en la frottant sur sa manche, c’est une précieuse et respectable relique, qui sans doute fut destinée à devenir pour quelqu’un une cornu copiœ, corne d’abondance, mais il est permis de douter si c’est pour l’adepte ou pour son patron.

— Allons, monsier Oldenpuck, je fois que fous êtes toujours ingrédule… mais permettez-moi bourtant de fous assurer que les moines entendaient le magisterium.

— Laissons le magisterium de côté, monsieur Dousterswivel, et occupez-vous un peu plus du magistrat. Savez-vous bien que cette occupation à laquelle vous vous livrez est contre les lois de l’Écosse, et que sir Arthur et moi-même sommes de la commission des juges de paix ?

— Mon Tieu ! quel rapport cela peut-il afoir avec moi qui fous fois tout le pien que je peux ?

— Il faut que vous sachiez que lorsqu’on abolit les lois cruelles contre la sorcellerie, comme on n’avait pas l’espoir de détruire chez les hommes ce penchant à la superstition qui lui sert de base, on voulut du moins prévenir autant que possible l’abus qu’en pouvaient faire des gens malintentionnés et artificieux. En conséquence, il est arrêté par le 29e statut de George II, 5e chapitre, que quiconque prétendra, au moyen de sa soi-disant connaissance des sciences occultes, découvrir tels objets qui auraient été perdus, volés ou cachés, souffrira la peine du pilori et de la prison, comme escroc et comme imposteur.

— Est-ce là la loi ? demanda Dousterswivel avec quelque agitation.

— Vous pourrez vous en assurer vous-même, répondit l’Antiquaire.

— Alors, messiers, je prentrai conché de fous, foilà tout. Che n’aimerais pas tu tout me foir sur ce que vous appelez fotre pilori ; c’est un très mauvais moyen te prendre l’air, et che n’aime pas tavanlage vos brisons où l’on ne peut respirer tu tout.

— Si tel est votre goût, monsieur Dousterswivel, je vous conseille de rester où vous êtes, car je ne puis vous laisser aller, à moins que ce ne soit accompagné d’un constable ; et d’ailleurs, j’attends de vous que vous nous accompagnerez sur l’heure aux ruines de Saint-Ruth, et que vous nous désignerez l’endroit où vous vous proposiez de trouver ce trésor.

— Pon lieu ! monsier Oldenpuck, est-ce ainsi qu’on traite un ancien ami ? quand je fous ai dit aussi clairement que ch’ai pu que si fous y allez à présent, vous n’y trouferez pas la faleur d’une malheureuse pièce de six pences.

— J’en ferai pourtant l’expérience, et vous serez traité selon le succès qu’elle aura,… toujours avec la permission de sir Arthur. »

Sir Arthur, pendant cette conversation, paraissait fort embarrassé, et, pour me servir d’une phrase triviale mais énergique, avait réellement l’oreille basse. L’opiniâtre incrédulité d’Oldbuck le portait à soupçonner fortement l’imposture de Dousterswivel, et la manière dont le chimiste défendait son terrain n’était pas aussi résolue qu’il l’aurait désiré ; cependant il ne l’abandonna pas entièrement.

« Monsieur Oldbuck, dit-il, vous ne rendez pas justice à M. Dousterswivel. C’est par l’usage de son art qu’il a entrepris de faire cette découverte, et par l’application de caractères représentant les intelligences qui président à l’heure planétaire où l’expérience doit être faite. Et vous le sommez d’y procéder sous peine de châtiment, et sans lui laisser l’usage des moyens préliminaires qui doivent lui assurer le succès.

— Je n’ai pas dit cela absolument. Je le requiers d’être présent à la fouille, et de ne pas nous quitter pendant cette opération… Je crains qu’il ne soit d’intelligence avec les intelligences dont vous parlez, et que ce qui pourrait se trouver caché à Saint-Ruth ne vienne à disparaître avant que nous y arrivions.

— Eh pien, messieurs, dit Dousterswivel d’un air résolu mais sombre, che ne ferai pas te tifficulté te fous suifre, mais je vous téclare t’avance que fous ne trouferez rien qui faille seulement la peine de pouger de chez fous de vingt pas.

— Nous allons en faire l’épreuve, » dit l’Antiquaire. En conséquence, ils montèrent dans la voiture du baronnet, et miss Wardour fut avertie que son père désirait qu’elle restât à Monkbarns jusqu’à son retour d’une promenade qu’il allait faire. La jeune personne eut quelque peine à concilier cette injonction avec le sujet qu’elle supposait avoir dû occuper sir Arthur et l’Antiquaire, mais elle se vit forcée de rester encore quelque temps dans ce pénible état d’incertitude.

Le trajet fut assez triste pour nos chercheurs de trésors. Dousterswivel garda un sombre silence, méditant à la fois sur la perte de ses espérances et la crainte d’un châtiment. Sir Arthur, dont les songes dorés venaient par degrés de s’évanouir, contemplait la triste perspective de tous les maux qui le menaçaient, et Oldbuck, qui sentait qu’en s’avançant autant dans les affaires de son voisin, il lui donnait le droit d’attendre de lui quelque secours efficace, réfléchissait tristement jusqu’à quel point il serait obligé de délier les cordons de sa bourse. Ainsi, chacun de son côté s’enfonçant dans des réflexions assez désagréables, personne ne songea à prononcer un mot jusqu’à ce qu’on eût atteint la petite auberge des Quatre Fers à cheval, enseigne sous laquelle elle était connue. Là, ils se procurèrent des hommes et les outils nécessaires à la fouille, et tandis qu’ils s’occupaient de ces préparatifs, ils furent tout à coup abordés par le vieux mendiant Édie Ochiltree.

« Que Dieu bénisse Votre Honneur, commença la robe bleue sur le véritable ton traînard et plaintif du mendiant, et qu’il lui accorde une longue vie… J’ai bien de la joie d’apprendre que le jeune capitaine Mac Intyre soit encore une fois sur ses jambes… N’oubliez pas votre pauvre Bedesman aujourd’hui.

— Ah, ah ! te voilà, mon vieux brave ! Comment, diable, tu n’es pas venu à Monkbarns depuis les dangers que tu as courus sur terre et sur mer… ? Tiens, voilà quelque chose pour acheter du tabac… » Et fouillant dans sa poche pour y chercher sa bourse, il en tira en même temps la corne qui contenait les monnaies.

« Oui, et voilà quelque chose pour l’y mettre, dit le mendiant en jetant un regard sur la corne ; ce que vous tenez là est une de mes vieilles connaissances… Je pourrais faire serment que je reconnaîtrais cette corne à tabac parmi un millier d’autres. Je l’ai portée pendant bien des années, jusqu’au moment où je la troquai contre cette boîte de fer-blanc, avec le vieux George Glen, le serrurier-mineur, quand il lui prit fantaisie d’aller travailler à la mine de Glen Withershins, là-bas.

— Ah, vraiment ! dit Oldbuck : ainsi vous l’avez donnée en troc à un mineur ? Mais je suppose que vous ne l’aviez jamais vue si bien remplie. » Et en parlant ainsi, il l’ouvrit et montra les médailles.

« Sur ma foi, vous en pouvez jurer, Monkbarns ; quand cette corne m’appartenait, il n’y avait jamais dedans pour plus de six sous de râpé noir à la fois. Mais n’allez-vous pas en faire un antique, maintenant, comme vous avez fait de plus d’une chose déjà ? Diable ! je voudrais bien que quelqu’un s’avisât de faire de moi un antique aussi ; mais les gens qui trouvent de la valeur dans de semblables brimborions de cuivre, de fer et de corne, ne se soucient guère d’un vieux rustre de leur espèce et de leur pays.

— Vous pouvez maintenant deviner, dit Oldbuck en se tournant vers sir Arthur, aux bons offices de qui vous devez la découverte de cette mémorable nuit. En apprenant que cette corne a appartenu à un de vos mineurs, c’est lui découvrir un rapport assez direct avec quelqu’un de notre connaissance. J’espère que nous ne réussirons pas moins ce matin, et sans qu’il nous en coûte rien.

— Et où Vos Honneurs ont-ils dessein d’aller, dit le mendiant, avec toutes ces pioches et ces bêches ? C’est sans doute encore un de vos tours, Monkbarns. Vous allez consulter quelques uns de ces vieux moines là-bas dans leurs tombes, et les en faire sortir avant le jour du jugement. Mais, avec votre permission, j’ai envie de vous suivre, moi, et de voir ce que vous allez faire. »

La troupe arriva bientôt aux ruines de l’abbaye, et quand on eut atteint le chœur, on s’arrêta pour réfléchir au parti qu’on allait adopter. En même temps, l’Antiquaire s’adressa ainsi à l’adepte :

" Je vous prie de me dire, monsieur Dousterswivel, quelle est votre opinion dans cette affaire ? Y a-t-il plus de probabilité de succès à fouiller de l’est à l’ouest, ou de l’ouest à l’est ? Nous assisterez-vous avec votre fiole remplie de la rosée de mai, ou avec la baguette divinatoire du coudrier dédié aux sorcières ? ou peut-être aurez-vous la bonté de venir à notre aide en nous fournissant quelques termes bien ronflans, bien sonores du métier, qui, dans le cas où ils manqueraient ici leur effet, pourraient être utiles à ceux qui n’ont pas le bonheur d’être garçons, pour faire taire leurs enfans quand ils sont méchans.

— Monsieur Oldenpuck, dit Dousterswivel avec humeur, je fous ai téjà tit que fous ne feriez rien tu tout ici, et je trouferai peut-être quelque moyen de fous remercier pientôt de vos politesses à mon égard.

— Si Vos Honneurs ont dessein de creuser le sol, dit le vieil Édie, et qu’ils veuillent suivre l’avis d’un pauvre homme, je commencerais là-bas au dessous de cette grande pierre, au milieu de laquelle on voit un homme étendu sur le dos.

— J’ai quelque raison moi-même de croire que nous ferons bien, dit le baronnet.

— Et moi, dit Oldbuck, je n’en ai aucune pour m’y opposer. Il n’était pas très rare qu’on cachât des trésors dans les tombeaux des morts… on en peut citer plusieurs exemples d’après Bartholinus et autres. »

Cette tombe, la même sous laquelle sir Arthur et l’Allemand avaient trouvé les pièces de métal, fut encore une fois ouverte, et la terre céda facilement à la bêche.

« C’est de la terre fraîchement remuée, dit Édie, elle ne résiste pas… Je me connais à cela, moi, car j’ai travaillé tout un été avec le vieux Will Winnet, le fossoyeur, et j’ai creusé plus d’une tombe dans ma vie ; mais je l’ai quitté pendant l’hiver, car il faisait trop froid à ce travail-là ; puis il vint une fête de Noël[1], et les gens mouraient comme des mouches, car on dit qu’une fête de Noël emplit les cimetières. Mais moi qui n’ai jamais aimé à travailler dur de ma vie, je m’en fus, et laissai Will creuser tout seul ces dernières demeures pour lui et pour Édie. »

Les travailleurs arrivèrent alors à un point qui permit de distinguer que les côtés de la tombe qu’ils fouillaient avaient été dans l’origine entourés de quatre murs de pierre de taille, formant un parallélogramme destiné probablement à recevoir le cercueil.

« Ne fût-ce que par curiosité, dit l’Antiquaire, ces travaux vaudraient la peine d’être continués… Je voudrais savoir quel est celui dont la tombe a coûté tant de soins et de peines.

— Les armes du bouclier, dit sir Arthur en soupirant, sont les mêmes que celles qu’on voit sur la tour de Misticot[2] qu’on suppose avoir été construite par Malcolm l’usurpateur. Personne ne sut où il avait été enterré, et il y a une vieille prophétie dans notre famille qui ne nous présage rien de bon quand son tombeau sera découvert.

— Je me souviens, dit le mendiant, de l’avoir entendu citer bien souvent quand je n’étais qu’un enfant ; la voici :

« Du tombeau de Malcolm quand on sera certain,
Les biens de Knockwinnock seront tous perte ou gain. »

Oldbuck avec ses lunettes sur le nez s’était déjà mis à genoux sur le monument, et suivait, moitié des yeux, moitié du doigt, les restes effacés de l’effigie du défunt guerrier. « Ce sont très certainement les armes de Knockwinnock, s’écria-t-il, écartelées avec celles des Wardour.

— Richard, appelé Wardour Main-Sanglante, avait épousé Sibylle de Knockwinnock, héritière de cette famille saxonne, et par cette alliance, dit sir Arthur, donna au château et à la terre le nom de Wardour, en l’année de Jésus-Christ 1150.

— C’est très vrai, sir Arthur, et voici la barre fatale, signe d’illégitimité, qui s’étend diagonalement sur les deux côtés représentés sur le bouclier. Où avions-nous donc les yeux pour ne pas avoir remarqué plus tôt ce monument curieux ?

— Et où était donc la pierre qui le couvrait ? dit Édie Ochiltree, et comment n’a-t-elle attiré nos yeux qu’à présent ? car, homme ou enfant, je connais cette vieille église depuis soixante longues années, et je ne l’ai jamais remarquée auparavant… Cependant elle n’est pas de si petite taille que quelqu’un ne pût y prendre garde dans sa paroisse. »

Chacun interrogea alors sa mémoire sur l’état où il avait toujours vu les ruines dans cette partie de l’église, et tout le monde fut d’accord pour se souvenir que ce coin avait été obstrué par un amas considérable de décombres qu’on avait dû nécessairement enlever pour que cette tombe fût devenue visible. Sir Arthur seul aurait pu se rappeler qu’il avait vu ce monument à la dernière occasion qui l’y avait amené, mais son esprit avait été trop agité alors pour remarquer ce qu’il y avait de nouveau dans cette circonstance.

Pendant que la compagnie s’occupait de ces souvenirs et de ces discussions, les ouvriers continuaient leur travail. Ils avaient déjà creusé à cinq ou six pieds de profondeur, lorsque le sol devenant de plus en plus dur, ils commencèrent à se fatiguer de leurs efforts.

« Nous sommes au fond maintenant, dit l’un d’eux, et il n’y a ici ni bière ni autre chose… de plus malins que nous y ont passé les premiers, sans doute : » et en disant ainsi, il sortit de la fosse.

— Hors de là, garçon ! dit Édie s’y mettant à sa place ; laissez-moi essayer mon vieux métier de fossoyeur. Vous cherchez bien, mes enfans, mais vous trouvez mal. »

Aussitôt qu’il fut dans la fosse il donna vigoureusement de son bâton ferré dans la terre, et sentant une forte résistance, il s’écria comme un écolier lorsqu’il a trouvé quelque chose : « Il n’y a personne de moitié ni de quart ; le tout est bien à moi tout entier, et rien à mes voisins. »

Tout le monde, depuis le baronnet abattu et découragé, jusqu’au sombre et taciturne Allemand, animé d’un mouvement de curiosité, s’attroupa autour du tombeau et aurait sauté dedans si l’espace l’eût permis. Les travailleurs, qui avaient commencé à se fatiguer de leur tâche monotone et en apparence désespérée, reprirent aussitôt leurs outils et se mirent à piocher avec toute l’ardeur de l’attente. Leurs pioches rencontrèrent bientôt une surface dure comme celle du bois, et qui, à mesure que la terre fut enlevée, prit la forme distincte d’une caisse, mais beaucoup plus petite qu’une bière ordinaire. Toutes les mains s’empressèrent de la soulever de terre, et toutes les voix proclamèrent son poids et augurèrent bien de sa valeur. On ne se trompait pas.

Lorsque la boîte ou cassette eut été posée sur le sol, et qu’on eut enlevé le couvercle d’un coup de pioche, on y trouva d’abord une couverture de gros canevas ou de serpillière, puis une grande quantité d’étoupes, et par dessous plusieurs lingots d’argent. Une acclamation générale accueillit une découverte si étonnante et si inattendue. Le baronnet leva les yeux et les mains vers le ciel, dans l’extase silencieuse d’un homme qui se voit délivré d’une inexprimable angoisse morale. Oldbuck, qui pouvait à peine en croire ses yeux, touchait les lingots d’argent l’un après l’autre. Il n’y avait dessus ni inscription, ni gravure, excepté sur un seul qui paraissait espagnol. Cependant, ne se lassant pas de tout examiner pièce par pièce, rang par rang, il s’attendait à trouver ceux de dessous d’une moindre valeur. Mais il ne put s’apercevoir d’aucune différence, et fut forcé d’admettre que sir Arthur Wardour était devenu possesseur d’un poids de métal qui pouvait valoir un millier de livres sterling. Sir Arthur promit alors à tous les assistans qu’ils seraient largement récompensés de leur peine, et commença à s’occuper de la manière dont on transporterait cette brillante capture à Knockwinnock. L’adepte alors, se remettant de sa surprise qui avait égalé pour le moins celle de tous les autres individus présens, le tira par la manche, et lui ayant offert ses très humbles félicitations, se tourna ensuite vers Oldbuck d’un air de triomphe :

« Je fous tisais pien, mon pon monsieur Oldenpuck, que che trouferais une occasion de fous remercier de fos bolitesses. Or, ne trouvez-fous pas maintenant que che me suis afisé d’un très pon moyen de fous faire mes remercîmens ?

— Comment, monsieur Dousterswivel, est-ce que vous prétendriez avoir quelque part à notre heureux succès ? Vous oubliez que vous nous avez refusé les secours de votre art. Et vous êtes ici dénué des armes avec lesquelles vous auriez dû livrer le combat où vous prétendez maintenant avoir vaincu en notre faveur. Vous ne vous êtes servi ni des charmes, ni des talismans, ni de la baguette, ni de miroir magique, ni de figure de géomancie[3]. Où est donc tout votre appareil, mon sorcier, votre Abracadabra[4], votre fougère de mai, votre verveine,


« Vos crapauds, vos corbeaux, vos dragons, vos panthères,
Votre lune ou soleil et votre firmament,
Votre Latone, Azoch, vos Zernichs ou mégères,
Vos philtres, vos bouillons, et vos autres matières
Qui feraient bien crever un homme en les nommant ?


Ah ! impayable Ben Jonhson[5], paix éternelle à tes cendres, toi qui fus le fléau des charlatans de ton siècle ! qui se serait attendu à les voir revivre dans le nôtre ? »

La réponse que fit l’adepte à cette tirade se trouve dans le chapitre suivant.


  1. Le texte dit a green yule, expression écossaise pour Christmas, la fête de Noël. a. m.
  2. Misticot, pour misbegot, mot qui veut dire bâtard. a. m.
  3. Art de deviner par des points ou des lignes tracés au hasard. a. m.
  4. Formule persane employée dans la combinaison des lettres magiques pour guérir les malades. a. m.
  5. La citation qui précède est tirée de l’Alchimiste, par cet auteur. a. m.