L’Antiquaire (Scott, trad. Ménard)/Chapitre XXII

Traduction par Albert Montémont.
Ménard (Œuvres de Walter Scott, volume 7p. 229-240).


CHAPITRE XXII.

LA CONFIDENCE.


Raymond se croit le plus sage lorsqu’enfermé dans son cabinet il se moque de ceux qui courent de tels dangers et de semblables aventures, lui qui à la recherche de l’or a déjà vu s’évaporer en fumée la moitié de ses terres, et dont le creuset, objet de ses espérances, vient de se briser une seconde fois. Mais n’importe : si le troisième vient à résister, tout chez lui, oui, jusqu’à ses marmites et ses poêles, sera consacré à faire de l’or.


Une semaine environ après les aventures dont notre dernier chapitre a rendu compte, M. Oldbuck étant descendu dans le parloir où l’on déjeunait, ne trouva pas, comme à l’ordinaire, ses femelles rendues à leur devoir, ses rôties n’étaient pas faites, et le pot d’argent qui contenait habituellement cette espèce de bière appelée mum, dont nous avons déjà parlé, n’était pas même auprès du feu, comme on avait coutume de l’y mettre avant d’y verser cette liqueur.

« Maudit soit l’écervelé ! se dit-il en lui-même ; maintenant qu’il commence à être hors de danger, je ne puis plus supporter cette vie-là… Tout est ici sens dessus dessous… Une saturnale universelle semble avoir succédé au bon ordre et à l’exactitude qui règnent ordinairement dans ma paisible maison. Je demande ma sœur, pas de réponse… J’appelle, je crie, j’invoque mes dieux pénates par plus de noms que les Romains n’en donnèrent jamais aux leurs… À la fin Jenny, dont j’entends depuis une demi-heure la voix glapissante percer les régions souterraines de la cuisine, veut bien condescendre à m’écouter et à me répondre, mais sans daigner monter l’escalier, de sorte que la conversation doit avoir lieu aux dépens de mes poumons. » Ici il commença de nouveau à crier : « Jenny, où est miss Oldbuck ?

— Miss Grizzel est dans la chambre du capitaine.

— C’est cela, j’en étais sûr… Et où est ma nièce ?

— Miss Marie fait le thé du capitaine.

— Je l’aurais parié… Et où est Caxon ?

— Il est allé à la ville chercher le fusil du capitaine et son chien d’arrêt.

— Et qui diable arrangera ma perruque, imbécile que vous êtes ? Comment avez-vous pu laisser partir Caxon pour une telle niaiserie, quand vous saviez que miss Wardour et sir Arthur devaient être ici à l’issue du déjeuner ?

— Et comment pouvais-je l’en empêcher, monsieur ? Votre Honneur ne voudrait pas sûrement qu’on s’avisât de contrarier le capitaine en ce moment, et tandis qu’il est mourant.

— Mourant ! s’écria l’Antiquaire alarmé. Comment ? quoi ? est-ce qu’il est plus mal ?

— Non, il n’est pas plus mal, que je sache[1].

— Alors il est donc mieux… Et qu’avons-nous besoin ici d’un chien et d’un fusil ? l’un pour gâter les meubles, voler les provisions, étrangler le chat peut-être ; l’autre pour qu’il s’en serve à envoyer du plomb dans la cervelle de quelqu’un. Il me semble qu’il doit avoir assez, pour quelque temps, de pistolets et de fusils. »

En ce moment miss Oldbuck entra dans le parloir, à la porte duquel son frère était engagé dans cette conversation avec Jenny, lui, criant du haut de l’escalier, elle, s’égosillant d’en bas à lui répondre.

« Mon cher frère, lui dit la vieille demoiselle, vous allez vous enrouer à force de crier. Fait-on tant de train quand il y a quelqu’un de malade dans la maison ?

— Par ma foi, il n’y a plus que le malade dans toute la maison ! Je suis encore à jeun, et probablement aussi il faudra que je me passe de ma perruque ; et cependant je ne dois pas même oser me plaindre de la faim ou du froid, dans la crainte de troubler mon gentilhomme alité, qui est séparé d’ici par plus de six chambres ; et qui se trouve assez bien pour envoyer chercher son fusil et son chien, quoiqu’il sache à quel point je hais de tels objets depuis que notre frère aîné, le pauvre Williewald, a quitté ce monde pour s’être mouillé les pieds en chassant dans les marais de Kittlefitting. Mais tout cela n’est rien… Je suppose qu’on s’attend sans doute à me voir aider moi-même à tenir un coin de la litière de M. l’écuyer Hector, s’il lui plaît d’aller se livrer à ses fantaisies de chasse, et faire l’essai de ses forces en tirant sur mes pigeons ou mes canards… car je crois qu’une partie des ferœ naturœ[2] du moins n’ont rien à redouter de lui pendant quelque temps. »

Miss Mac Intyre entra alors, et se mit à remplir ses fonctions journalières en préparant le déjeuner de son oncle avec l’empressement de quelqu’un qui est en retard et veut regagner le temps perdu ; mais cela ne lui servit pas à grand’chose. « Prenez garde, petite sotte, lui dit son oncle… ce mum est trop près du feu ; la bouteille va éclater… et je présume aussi que vous avez l’intention de réduire en cendre cette rôtie, afin de pouvoir en faire une offrande à Junon. N’est-ce pas ainsi, ou c’est au moins par quelque nom mythologique de ce genre, que vous appelez cette chienne que je vois là, et que votre frère, avec sa sagacité ordinaire, a jugée digne de devenir commensale de ma maison, de quoi je le remercie, et d’augmenter le nombre de toutes les femelles dont il est déjà entouré ?

— Mon cher oncle, je vous supplie de ne pas en vouloir à cette pauvre bête ; on l’avait attachée dans l’appartement de mon frère à Fairport, mais elle a rompu deux fois sa chaîne pour accourir le joindre ici : vous ne voudriez pas, j’en suis sûre, qu’on battît ce fidèle animal pour le chasser. Il hurle à la porte de son maître comme s’il avait quelque instinct du malheur arrivé au pauvre Hector, et on a toutes les peines du monde à l’en faire bouger.

— Comment ! reprit l’oncle, on disait que Caxon était allé à Fairport chercher son fusil et son chien !

— mon Dieu non, mon cher monsieur, reprit miss Mac Intyre ; c’est pour y chercher les objets nécessaires au pansement de sa blessure ; et puisqu’il allait à Fairport, Hector a demandé en même temps qu’il en rapportât son fusil.

— Allons, la chose n’est pas tout-à-fait si absurde que je le croyais en réfléchissant que tant de femelles s’en sont mêlées… Qu’on s’occupe de son pansement, c’est juste ; mais qui accommodera ma perruque ? Allons, pour aujourd’hui, ajouta le vieux garçon en se regardant dans la glace, il faudra que Jenny essaie de la rendre présentable… et maintenant mettons-nous à déjeuner comme nous pourrons. Ce serait bien le cas de dire à Hector ce que sir Isaac Newton dit à son chien Diamant (je déteste ces animaux-là !), lorsqu’il eut renversé une bougie allumée sur des calculs qui occupaient le philosophe depuis vingt ans, et qu’il les eut réduits en cendre : « Diamant, Diamant, tu ne te doutes guères du mal que tu as fait ! »

— Je vous assure, monsieur, répondit sa nièce, que mon frère regrette l’emportement de sa conduite, et reconnaît que M. Lovel s’est très bien comporté.

— Cela raccommode bien les choses, après que le pauvre garçon s’est vu obligé de fuir le pays. Je vous dis, Marie, que ce n’est pas à la portée de l’intelligence d’Hector, et à plus forte raison de celle d’une femelle, de comprendre toute l’étendue de la perte qu’il a occasionnée à notre siècle et à la postérité… Aureum quidem opus[3]. Un poème sur un si beau sujet, avec des notes relatives tant aux passages obscurs qu’aux passages qui ne le sont pas ; même à ceux qui n’étant ni clairs ni obscurs, flottent encore dans le crépuscule douteux des antiquités calédoniennes ! J’aurais donné de la tablature aux panégyristes celtes par mes recherches. Fingal, comme ils se sont imaginé d’appeler Fin-Mac-Coul, s’enveloppant de nouveau dans son nuage, aurait disparu comme l’esprit de Loda… Un homme déjà vieux et dont les cheveux blanchissent peut-il jamais espérer de retrouver une occasion semblable à celle-là ? Et se la voir enlever par le sot emportement d’une tête chaude !… Mais il faut se résigner ; que la volonté de Dieu soit faite. »

Pendant tout le déjeuner, l’Antiquaire ne cessa de rabâcher de la sorte, suivant l’expression de sa sœur ; et en dépit du miel, du sucre et de toutes les douceurs qu’offre ordinairement en Écosse la table du déjeuner, ce repas, pour celles qui le partageaient avec lui, se ressentait de l’amertume de ses réflexions et de son humeur. Mais elles connaissaient le naturel de l’homme, et, comme le disait tout bas miss Grizzel Oldbuck à son amie miss Rebecca Blattergowl, Monkbarns aboyait plus qu’il ne mordait.

Le fait est que M. Oldbuck, qui avait éprouvé les plus vives inquiétudes tant que son neveu avait été véritablement en danger, se croyait autorisé, en le voyant entrer en convalescence, à donner essor à ses plaintes sur l’embarras qu’il avait eu et l’interruption apportée dans ses occupations savantes. Encouragé par le respectueux silence dans lequel sa sœur et sa nièce l’écoutaient, il exhala son mécontentement en murmures semblables à ceux que nous avons rapportés, dirigeant à la fois ses sarcasmes contre la race féminine, les militaires, les chiens et les fusils, qu’il regardait tous comme des causes plus ou moins directes de bruit, de discorde et de désordre, et qu’il déclarait avoir en abomination.

Cet épanchement de bile ou cette éruption de spleen fut tout-à-coup interrompu par le bruit d’une voiture qui s’arrêtait à la porte. Cet incident dissipa au même instant la mauvaise humeur d’Oldbuck, qui se hâta de monter chez lui et d’en redescendre bien vite, chose de nécessité absolue, pour recevoir convenablement miss Wardour et son père à la porte de sa maison.

Après s’être de part et d’autre salués avec cordialité, sir Arthur, qui avait envoyé plusieurs fois s’informer de l’état du capitaine Mac Intyre, en demanda plus particulièrement des nouvelles.

La réponse fut : « Il va mieux qu’il ne mérite, après nous avoir tous tourmentés de ses folles querelles et violé la paix de Dieu et du roi.

— Le jeune gentilhomme, dit sir Arthur, avait été un peu imprudent ; mais il avait appris qu’on lui avait l’obligation d’avoir signalé un caractère suspect dans la personne du jeune Lovel.

— Pas plus suspect que le sien, répondit l’Antiquaire, ardent à défendre son favori. Il s’est assez follement entêté à ne pas répondre aux impertinentes questions d’Hector, voilà tout. Mais Lovel, sir Arthur, sait mieux choisir ses confidens. — Oui, miss Wardour, vous avez beau me regarder, la chose est réelle ; c’est à moi qu’il a confié les motifs secrets de sa résidence à Fairport, et il n’y a pas d’efforts que je n’aie faits pour l’aider à atteindre le but qu’il s’était proposé. »

En écoutant cette déclaration magnanime du vieil Antiquaire, miss Wardour avait changé plusieurs fois de couleur, et pouvait à peine en croire ses oreilles ; car en affaires d’amour (et il était naturel qu’elle supposât que c’était là le sujet en question), de tous les confidens qu’on pût choisir, après Édie Ochiltree pourtant, Oldbuck lui semblait le plus étrange et le plus bizarre, et elle ne pouvait revenir de l’étonnement et du déplaisir que lui causait une combinaison de circonstances aussi singulières que celles qui mettaient un secret d’une nature si délicate dans la possession des individus les moins faits pour en être dépositaires. Elle pensait aussi avec crainte à la manière dont Oldbuck ferait l’ouverture de cette affaire à son père, car elle ne doutait pas que ce ne fût son intention. Elle savait bien que le vieux gentilhomme, quoique très violent dans ses préjugés, avait très peu d’égards pour ceux des autres, et elle redoutait une vive explosion lorsqu’un éclaircissement aurait lieu entre eux. Ce fut donc avec une grande inquiétude qu’elle entendit son père demander un entretien particulier, et qu’elle vit Oldbuck se lever promptement et le conduire à sa bibliothèque. Elle resta cependant à sa place, essayant de causer avec les dames de Monkbarns, mais avec le trouble et l’effroi qui agitent Macbeth forcé de dissimuler les agitations d’une conscience coupable pour prêter l’oreille et répondre aux réflexions des chefs dont il est entouré, sur l’orage de la nuit précédente, tandis que toutes les facultés de son âme sont recueillies pour écouter la première alarme de meurtre qui ne peut manquer d’être répandue par ceux qui viennent d’entrer dans la chambre où dormait le roi Duncan[4]. Cependant la conversation des deux savans s’était tournée sur un sujet bien différent de celui que redoutait miss Wardour.

— Monsieur Oldbuck, dit sir Arthur après les politesses d’usage et lorsqu’ils furent bien établis dans le sanctum sanctorum[5] de l’Antiquaire, vous qui êtes si bien instruit de mes affaires de famille, vous allez sans doute vous étonner de la question que je suis sur le point de vous faire.

— Ma foi, sir Arthur, si elle est relative à de l’argent, j’en suis bien fâché, mais…

— Oui, monsieur Oldbuck, elle est relative à de l’argent.

— Réellement alors, sir Arthur, continua l’Antiquaire, dans l’état actuel des affaires et vu la baisse des fonds…

— Vous vous méprenez sur mon intention, monsieur Oldbuck, dit le baronnet ; je veux vous demander votre opinion sur le placement d’une grosse somme d’argent.

— Diable ! s’écria l’Antiquaire ; » et sentant que cette expression involontaire de surprise était tout au plus polie, il chercha à la justifier en exprimant sa joie de voir à la disposition de sir Arthur une grosse somme d’argent lorsque cette marchandise était si rare. « Et quant à la manière de l’employer, dit-il après une pause, les fonds sont bas en ce moment, comme je l’ai déjà dit, et il y a de bonnes acquisitions à faire en pièces de terre. Mais ne feriez-vous pas mieux, sir Arthur, de commencer par liquider les dettes ? Il y a d’abord la somme portée dans l’obligation personnelle, puis trois autres signatures, continua-t-il (en prenant dans le tiroir à droite de son armoire un certain memorandum relié en rouge dont sir Arthur, par expérience des appels fréquens qui y avaient été faits précédemment, abhorrait jusqu’à la vue), avec l’intérêt de ladite somme, montant tout ensemble à… voyons…

— À environ mille livres sterling, répondit vivement sir Arthur, vous m’en avez dit le montant l’autre jour.

— Mais il y a un autre terme d’intérêts échu depuis, sir Arthur, et cela monte maintenant (sauf erreur) à onze cent treize livres sterling sept schellings cinq pences et trois quarts d’un penny sterling. Mais faites l’addition vous-même.

— Non, non, je ne doute pas qu’elle ne soit juste, mon cher monsieur, » dit le baronnet repoussant le livre de la main, à peu près de la même manière qu’on cherche à se soustraire à cette politesse de l’ancien temps qui vous présente avec importunité des mets dont vous avez déjà mangé jusqu’à en être plus que rassasié… « Elle est parfaitement juste, j’en suis certain ; et dans l’espace de trois jours au plus, vous en recevrez toute la valeur… c’est-à-dire s’il vous plaît de l’accepter en lingots.

— En lingots : j’imagine que vous voulez parler de plomb ? Diable, avons-nous enfin trouvé la fameuse veine ? Mais que pourrai-je faire de mille livres sterling et plus de plomb ?… Les anciens abbés de Trocotsey auraient bien pu en faire couvrir leur église et leur monastère, mais moi…

— Quand je dis lingots, reprit le baronnet, je veux parler des métaux précieux… de l’or, de l’argent.

— Bah ! vraiment ? Et de quel Eldorado ce trésor doit-il être importé ?

— Pas loin d’ici, dit sir Arthur d’un ton significatif ; et maintenant que j’y pense, vous pourrez voir le procédé tout entier, à une seule petite condition.

— Et quelle est-elle ? demanda l’Antiquaire.

— C’est qu’il faudra que votre amitié vienne à mon aide en m’avançant une centaine de livres sterling ou environ. »

M. Oldbuck, qui en imagination tenait déjà en principal et intérêts le montant d’une dette qu’il regardait presque comme désespérée, fut si étourdi de se voir présenter aussi inopinément le revers de la médaille, qu’il ne put que répéter avec un accent plein de douleur et de surprise : « Vous avancer cent livres sterling !

— Oui, mon bon monsieur, continua sir Arthur, mais sur la meilleure sécurité possible d’être remboursé dans deux ou trois jours. »

Il y eut ici une courte pause : ou les muscles de la mâchoire inférieure d’Oldbuck n’avaient pas repris leur élasticité de manière à lui permettre de proférer une négation, ou sa curiosité lui faisait garder le silence.

« Je ne vous demanderais pas de me rendre ce service, continua sir Arthur, si je ne possédais pas des preuves certaines de la réalité des espérances dont je viens de vous parler. Et je vous assure, monsieur Oldbuck, qu’en m’ouvrant à vous comme je le fais sur ce sujet, mon intention est de vous prouver ma confiance et le souvenir reconnaissant que je conserve des services que j’ai reçus plusieurs fois de votre amitié. »

M. Oldbuck le remercia, mais en évitant soigneusement de s’avancer jusqu’à promettre de nouveaux secours.

« M. Dousterswivel, dit sir Arthur, ayant découvert… »

Ici l’Antiquaire l’interrompit, les yeux étincelans d’indignation.

« Sir Arthur, je vous ai si souvent averti de la friponnerie de ce coquin de charlatan, que je suis vraiment étonné que vous veniez m’en parler.

— Mais, écoutez, écoutez au moins, dit sir Arthur à son tour, cela ne peut vous faire aucun mal ; bref, Dousterswivel m’a persuadé d’être présent à une expérience qu’il a faite dans les ruines de Saint- Ruth ;…. et que croyez-vous que nous y ayons trouvé ?

— Une autre source, sans doute, de l’existence de laquelle le fripon n’avait pas manqué de s’assurer auparavant.

— Non vraiment… une boîte pleine de pièces d’or et d’argent… les voici. »

Là-dessus sir Arthur tira de sa poche une large corne de bélier, fermée par un couvercle de cuivre, et contenant une quantité considérable de monnaies, dont la plupart étaient d’argent, mais où quelques pièces d’or se trouvaient mêlées. Les yeux de l’Antiquaire s’animèrent en les étalant sur la table.

« Voilà, ma foi ! des pièces de monnaie écossaises, anglaises et étrangères des XVe et XVIe siècles, et quelques uns de ces articles rari et rariores’, etiam rarissimi[6]. Voici le bonnet de Jacques V ; la licorne de Jacques II ; le vieux teston d’or de la reine Marie, avec son effigie et celle du dauphin… Et tout cela a-t-il été trouvé réellement dans les ruines de Saint-Ruth ?

— Sans aucun doute… J’en ai été témoin oculaire.

— Eh bien, reprit Oldbuck, il faut maintenant m’expliquer où, quand et comment cela s’est passé.

— Quand ? répondit sir Arthur : c’était à minuit, lorsque la lune était dans son plein ; le lieu, comme je vous l’ai déjà dit, est les ruines de l’abbaye de Saint-Ruth ; et quant à la manière, c’est une expérience nocturne faite par Dousterswivel, accompagné de moi seul.

— En vérité ! dit Oldbuck, et quels moyens de découverte a-t-il donc employés ?

— Seulement une simple fumigation, dit le baronnet ; ajoutez-y que nous l’avons faite à l’heure planétaire favorable.

— Une simple fumigation ! une simple mystification ! L’heure planétaire ! un archet planétaire[7] !… Comment vous a-t-il persuadé ces impertinentes sornettes ?… sapiens dominabitur astris[8]. Mon cher sir Arthur, cet homme vous a complètement dupé sur terre et sous terre, et il vous eût également dupé dans l’air, s’il avait été là quand vous avez été hissé au sommet du sentier du diable à Halket-Head ; assurément la métamorphose eût été à propos[9].

— Je vous suis certainement fort obligé, monsieur Oldbuck, de l’opinion avantageuse que vous avez de mon discernement ; j’espère cependant que vous voudrez bien croire que j’ai vu ce que j’ai vu.

— Assurément, sir Arthur, jusqu’à un certain point cependant ; c’est que je sais que sir Arthur ne dira avoir vu que ce qu’il a cru voir.

— Eh bien donc ! répliqua le baronnet, aussi vrai qu’il y a un ciel au dessus de nos têtes, j’ai de mes propres yeux vu trouver ces pièces de monnaie, à la suite d’une fouille faite dans le chœur de l’église de Saint-Ruth à minuit. Et quant à Dousterswivel, quoique cette découverte soit le fruit de son art, cependant, à parler franchement, je ne crois pas qu’il aurait eu la fermeté d’esprit de continuer l’épreuve si je n’avais pas été auprès de lui.

— Bah, vraiment ! dit Oldbuck du ton de quelqu’un qui désire entendre la fin d’un récit avant de se livrer à ses commentaires.

— Oui, en vérité, continua sir Arthur, je vous certifie que j’étais sur mes gardes ; nous, entendîmes des sons fort étranges, cela est certain, et qui semblaient venir des ruines.

— Oh, oh ! dit Oldbuck, c’était un compère qui s’y était caché, je gage.

— Pas du tout, dit le baronnet ; le bruit, quoique d’un caractère effrayant et surnaturel, ressemblait plutôt à celui d’un homme qui éternue violemment qu’à tout autre. Outre cela, j’ai certainement entendu un profond gémissement, et Dousterswivel m’a assuré que c’était l’esprit Peolphan, ce grand chasseur du Nord (cherchez-le dans votre Nicolaus Remigius ou dans votre Petrus Thyracus, monsieur Oldbuck), qui contrefait l’action de prendre du tabac et les effets qu’il produit.

— Tout singulier que soit cela, comme provenant d’un tel personnage, on ne peut nier du moins qu’il n’y eût de l’à-propos là dedans ; car vous voyez que la boîte qui contient ces pièces ressemble pour la forme à ces vieux moulins à tabac dont on se servait en Écosse. Mais vous eûtes le courage de continuer en dépit des éternumens de l’esprit ?

— J’avoue qu’il est possible qu’un homme ordinaire eût pu céder à l’effroi ; mais je soupçonnais une imposture, et d’ailleurs, sentant que mon nom me fait un devoir de montrer un courage supérieur à toutes les circonstances, je forçai Dousterswivel, par des menaces sérieuses et violentes, à continuer son opération ; et vous voyez, monsieur, la preuve de son savoir et de sa probité dans cet amas de monnaies qui est devant vous, et parmi lesquelles je vous prie de choisir les pièces et les médailles qu’il vous conviendra de joindre à votre collection.

— En ce cas, sir Arthur, puisque vous avez cette bonté, et à la condition que vous me permettrez d’en marquer la valeur suivant l’appréciation faite dans le catalogue de Pinkerton, et de la porter en déduction de votre compte sur mon livre rouge, je choisirai avec plaisir.

— Non, non, dit sir Arthur Wardour ; je ne veux pas que vous les regardiez autrement que comme un don d’amitié, et encore moins voudrais-je m’en rapporter à l’évaluation de votre ami Pinkerton, qui a attaqué les anciennes et respectables autorités, piliers vénérables sur lesquels repose l’honneur des antiquités écossaises.

— Oui, oui, reprit Oldbuck, vous voulez parler, je présume, de Mair et de Boëce, les apôtres de la fraude et du mensonge. Eh bien ! malgré tout ce que vous m’en avez dit, je regarde votre ami Dousterswivel comme aussi apocryphe qu’aucun d’eux.

— Alors, monsieur Oldbuck, dit sir Arthur, sans réveiller d’anciennes disputes ; je dois supposer que vous jugez que, parce que je crois à l’histoire ancienne de mon pays, je n’ai ni yeux ni oreilles pour m’assurer des événemens dont je suis témoin.

— Pardonnez-moi, sir Arthur, répliqua l’Antiquaire ; mais je regarde l’affectation de terreur que votre collaborateur, ce digne gentilhomme, a voulu feindre, comme faisant partie de la farce et du mystère qu’il jouait alors. Ensuite, quant aux pièces d’or et d’argent, elles sont si mélangées et si différentes de pays et de dates, que je ne puis croire qu’elles aient été réellement amassées et enfouies dans le but ordinaire ; je penserais plutôt que, semblables aux bourses placées sur la table du procureur d’Hudibras,


C’est de l’argent placé là pour la montre,

Comme des nids trompeurs où la poule rencontre

Des œufs qu’on l’invite à couver ;

Client auquel on voudrait enlever

Le prix de vils conseils prodigués pour ou contre[10].


C’est une ruse commune à toutes les professions, mon cher sir Arthur ; mais puis-je vous demander combien cette découverte vous a coûté ?

— Environ dix guinées.

— Pour lesquelles vous avez gagné l’équivalent de vingt guinées peut-être en poids réel, et à peu près le double de cette valeur aux yeux de fous comme nous qui voulons bien payer la rareté. Allons, je dois convenir que pour la première chance il vous a offert un profit assez tentant. Et que propose-t-il de risquer sur la seconde ?

— Cent cinquante livres sterling, dont je lui ai donné le tiers, ayant pensé que vous voudriez bien me fournir le reste.

— Je ne pense pas que ceci soit son dernier coup ; la chose ne me paraît pas d’une assez grande importance. Il est probable qu’il nous laissera encore gagner cette partie : c’est ainsi que les escrocs s’y prennent pour amorcer ceux qui commencent à jouer. Sir Arthur, vous ne doutez pas, j’espère, de mon désir de vous obliger ?

— Certainement, monsieur Oldbuck, et je crois vous l’avoir assez prouvé par ma confiance.

— Eh bien donc, laissez-moi parler à ce Dousterswivel. Si l’argent peut être avancé dans un but utile à votre intérêt, par égard pour l’ancien voisinage je ne vous le refuserai pas ; mais si, comme je le crois, je puis vous découvrir ce trésor sans faire aucune avance, je présume que vous ne vous y opposerez pas non plus ?

— Je ne puis m’y opposer en aucune façon.

— Alors, où trouverai-je Dousterswivel ? demanda l’Antiquaire.

— Pour vous dire la vérité, il est dans ma voiture, à la porte ; mais connaissant vos préventions contre lui…

— Grâce à Dieu, je n’ai de préventions contre personne, sir Arthur ; ce sont les systèmes et non les individus qui encourent ma réprobation. » Il sonna. « Jenny, dit-il à la servante qui se présenta, allez informer le monsieur qui attend en bas dans la voiture, que sir Arthur et moi lui faisons nos complimens et le prions de monter. »

Jenny alla faire sa commission. Il n’était entré nullement dans les projets de Dousterswivel d’admettre M. Oldbuck dans ce prétendu mystère. Il avait compté que sir Arthur obtiendrait l’argent qui lui était nécessaire, sans aucune discussion sur la manière dont il se proposait de l’employer, et attendait en bas dans le but de s’emparer le plus tôt possible de ce dépôt, car il prévoyait qu’il était au bout de sa carrière. Cependant, lorsqu’il fut prié de se rendre devant sir Arthur et M. Oldbuck, il résolut bravement de s’en fier aux ressources de cette impudence naturelle dont le lecteur aura pu remarquer que le ciel l’avait libéralement pourvu.


  1. Il semble, observe l’auteur, que la classe inférieure en Écosse se soit donné le mot pour ne jamais convenir qu’un malade aille mieux. Lorsqu’on s’informe de l’état d’une personne qui touche à son rétablissement, la réponse la plus satisfaisante qu’on puisse obtenir, c’est qu’elle n’est pas plus mal. a. m.
  2. Bêtes sauvages. a. m.
  3. L’ouvrage d’or a. m.
  4. Voyez Macbeth, de Shakspeare. a. m.
  5. Saint des saints. a. m.
  6. Rares, plus rares et très rares. a. m.
  7. Planetary fiddlestick, façon de parler écossaise qui signifie « sornettes » ou « vous êtes un sot de croire cela. » a. m.
  8. Le savant s’assujettira les astres. a. m.
  9. Le mot duper se dit en anglais gull, qui signifie également mouette ; il résulte de cette double acception un jeu de mots intraduisible pour nous. To make a gull of you, « faire de vous une dupe, » veut dire en même temps, « s’il eût fait de vous une gull (une mouette de mer) pendant que vous étiez sur le rocher, vous auriez pu voler dans l’air, et vous tirer seul d’embarras sans avoir besoin d’être hissé. a. m.
  10. Voyez le poème de Butler intitulé Hudibras. a. m.